Chemins #03

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Chemins la revue des vacances

hebdomadaire - semaine du 4 ao没t au 10 ao没t 2013

#03


la rédaction rédactrice en chef marie-jeanne robert secrétaire de rédaction alexandre guyard rédacteurs-reporters emma denys marie-jeanne robert alexandre guyard stacy bardeau marjorie fournier reporters photographes marie-jeanne robert emma denys

auteurs alexandre guyard emma denys marie-jeanne robert photographe marie-jeanne robert anne foti conception graphique anne foti

alexandre, marie-jeanne et anne avant la représentation de carrefour métallique le 2 août 2013 à abondance, châlet plein-soleil.


sommaire

journal édito par alexandre guyard

p. 5

journal d’un ado en colo

p. 7

quand on arrive...

p. 9

rencontres - dans l’atelier manga...

p. 10

portraits masqués - portraits chinois

p. 16

nos costumes quotidiens

p. 22

chemins poétiques carrefour métallique

une pièce de théâtre écrite par

marie-jeanne robert

alexandre guyard

emma denys

p. 27



édito Dans le ciel bleu presque violet, les nuages dansent. Les danseurs dansent aux rythmes des tambours souterrains. Dans la montagne un cœur bat, un cœur aux murs de béton et aux portes en bois. Dans ce cœur au battements réguliers s'activent d'autres cœurs, tous battent aux même rythme. Les cuisiniers cuisinent et les manga dessinent. C'est dans ce cadre unique que nous avons pour vous et pour nous-même écrit ce journal où se mêlent vie quotidienne, poésie, images et écriture. Depuis l’arrivée d’un ado en colonie de vacances, jusqu’à nos travestissements quotidiens en passant par l’univers du dessin qui transforme la réalité, nous avons souhaité nous intéresser à la vie vue comme une représentation théâtrale. En effet, cette semaine le thème de notre atelier était le théâtre et le masque. Les masques que nous portons tous dans notre vie quotidienne, les représentations que nous donnons tous quand il s’agit d’être avec les autres, de donner à voir une part de soi-même ou d’animer un groupe d’adolescents ! Une pièce de théâtre occupe toute la deuxième partie de notre revue. Un texte dramaturgique écrit par Marie-Jeanne, Emma et Alexandre durant les ateliers d’écriture animés par anne foti. Nous avons (re)traversé nos souvenirs d’enfance et plus particulièrement l’instant où l’on a quitté notre enfance. Nous avons eu le plaisir de jouer la pièce devant tous les jeunes de la colo et surtout vécu l’intensité de traduire et de partager sur scène ces moments intimes. Cela fut pour nous (marie-jeanne, anne, emma et moi) un grand moment d’émotion ! alexandre guyard. 5


masque intĂŠrieur


journal d’un ado en colo Les heures défilent, se ressemblent, se disloquent, se meurent. L’attente s’étire et s’étire encore jusqu’au moment où la pancarte surgit du vide. L’attente ne fait que commencer. La peur augmente de minute en minute, comment sera cette colonie, vont-ils m’aimer, vont-ils me détester ? Vont-ils m’accepter ? Mon cœur bat de plus en plus en fort, mon regard se brouille, mes jambes se mettent à trembler. Je ferme les yeux, je me concentre sur la voix de la gare. Le train arrive, nous ne sommes que trois, sommes nous si peu nombreux !? Enfermant ces questions au fond de ma tête, je prend ma valise et entre dans les entrailles du train qui m’avale, refermant derrière les passagers ses mâchoires d’acier. Je dépose ma valise sur une étagère, et je cherche ma place. Nos places 71, 72, 75, et 76, je m’assois à la place 72 ,celle du côté de la rangée. La véritable attente commence... Le paysage défile, tantôt mon regard se perd dans les champs de colzas, tantôt il se cogne au rempart des branches, des feuilles, de la forêt, mais le paysage défile et défile encore. Du noir. Le train vient de rentrer dans un tunnel, la vitre ne me renvoie plus que mon visage aux cernes creusées. Le train s’arrête, une musique retentit, une voix féminine la suit: « Votre attention s’il vous plaît nous vous informons que le train est immobilisé dans un tunnel. Nous vous prions de ne pas ouvrir les portes du train pour raison de sécurité.» La voix répète encore ces consignes qui à tout à chacun sont totalement absurdes; qui voudrait ouvrir les protes d’un train lorsqu’il est encore dans un tunnel ? Je me pince les lèvres pour éviter de piaffer de rire. Déjà mes voisins rient sans retenue de leur propre situation. J’apprends vite que celui en face de mon moniteur risque de rater son prochain train. C’est étrange, il rigole alors que son week-end est fichu. C’est une façon comme une autre d’oublier la réalité, en rire. 7


masque intérieur

Mes paupières se font lourdes, je ne tiens plus, le sommeil m’emporte... J’ouvre les yeux, une caresse, la lumière, une morsure. Quelques minutes plus tard une musique retentit, la voix, toujours à son poste, nous informe que le train a 45 minutes de retard. Le train s’ébranle dans un concert de crissement métallique, et nous voilà repartis vers l’inconnu. Le temps passe et laisse des traces, la peur de l’inconnu s’est dissipée à la sortie du tunnel. La gare approche, avec elle, la peur de l’inconnu. L’animateur nous conseille d’aller chercher nos valises pour pourvoir descendre plus rapidement. Mes jambes se bloquent, mon cœur s’arrête de battre. Je ferme les yeux, je me concentre, d’abord mes mains, puis ma tête, enfin mes jambes. Mon cœur redémarre puissance dix. Je me lève et marche jusqu’à ma valise, je la prend, j’avance et je m’arrête. La porte s’ouvre, je suis en ébullition, une seule question me taraude maintenant : qui m’attend derrière cette porte ? Je suis mon moniteur qui nous conduit à une foule d’enfant qui attend avec impatience le départ du car. Tous sourient, rient et vivent ces vacances comme si elles étaient leurs dernières. Le car va partir, je prend une place à côté d’une fille aux cheveux châtains, aux yeux marrons. Ses poignées arborent une multitude de bracelets mal accordés. Le voyage jusqu’au centre commence, les passagers du car se rencontrent, se retrouvent. Moi-même, j’apprends à connaître ma voisine, je lie des liens et je profite. Oui, les vacances peuvent enfin commencer ! alexandre guyard. 8


masque intérieur

Ce que l’on ressent quand on arrive en colo. La plus grande émotion quand je suis arrivée en colonie, c’est celle de la séparation d’avec mes parents. Une séparation douloureuse, qui fait mal, mais aussi le début d’une belle aventure. Les parents s’en vont, pas le temps de dire au revoir, mais après on rencontre de nouveaux amis avec lesquels on s’amuse et on passe de bons moments ! marjorie fournier

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dans l’atelier manga...


rencontres Un style particulier, des livres adulés pas des ados en soif de lecture simple où l’on peut trouver la vie fantastique de héros inconnus jusqu’à la vie amoureuse de lycéens normaux en passant par des séries policières. Nous avons voulu connaître les motivations qui poussent les ados à lire et surtout dessiner des mangas. Elsa a 13 ans, elle participe à l’atelier manga animé par Paolo, du lundi au vendredi. Paolo est encore étudiant, et il a trouvé dans le dessin un moyen de s’exprimer, et de créer son propre univers. Elsa qui dessine des mangas depuis peu a accepté de répondre à quelques questions. Pour les ados, le manga est un reflet d’eux même, ils aiment s’identifier à des héros imaginaires, à des amours impossibles, ou même à des inspecteur impassibles! Ces livres sont en quelque sorte le jardin secret de ces jeunes parfois tourmentés qui recherche une idole, une parenthèse dans leur vie pour pouvoir bâtir leur propre chemin. Comment trouvez vous l’inspiration? Parfois j’ai une étincelle et l’idée arrive comme ça sans prévenir. Mais lorsque l’inspiration manque, je m’inspire des manga que j’ai lu. Lorsque vous dessinez à quoi pensez vous? Je pense à ce que les autres attendent de mon manga. S’ils vont aimer, s’ils vont détester. Mais je pense avant tout au dessin lui-même, le but étant d’atteindre la perfection, il ne faut pas se laisser déconcentrer ! Pourquoi le manga et pas d’autre style de dessin? Le manga permet des expressions du visage ou du corps que l’on ne retrouve pas dans les bandes dessinées classiques. Puis le manga n’a pas de style précis, il permet une 12


manga addict liberté de mouvement sur les personnages unique en sont genre. Mais avant tout , j’aime le manga ! Quelles sont les étapes d’un manga ? D’abord il nous faut trouver l’idée/le thème de notre manga, puis nous faisons une esquisse du personnage principal pour pouvoir le mettre en mouvement. Ensuite nous créons un brouillon de notre manga. Pour finir, nous recopions le brouillon au crayon de papier puis l’on repasse dessus en soulignant bien les traits dans la couleur souhaitée. alexandre guyard. dessin d’elsa


visages nous avons interrogé plusieurs adolescentes, plusieurs visages, pour tenter de décrypter ce que c’est la vie en colonie. gabrielle, kéthline, juliette, carla et léa ont répondu à nos questions; remix :

Qu’est-ce qui te donnes envie de venir en colonie ? De faire de la cuisine et faire la multi-activité. Tu aimes les multi-activités ? Oui ! Qu’est-ce que tu trouves intéressant dans les multi-activités ? Tout ! Toutes les activités : même l’accro-branche et tous se qui s’en suit ? Oui. Que viens-tu faire en colonie ? Je viens faire du sport, faire du rafting et puis me faire des amies et tout. Tu aimes bien le sport ? Oui. Pourquoi tu te sens plus à l’aise en colonie, que dans la vie réelle ? Parce-qu’ il y a plus de jeunes. Quand tu regardes les prospectus pour partir en colonie, que cherches-tu; Plutôt les activités proposées ou le paysage et l’endroit ? Un peu les deux, parce-que si le paysage est pourri ce n’est pas très agréable ! Mais qu’est ce qui est le plus important pour toi ? Les activités, parce que c’est important de s’amuser en colonie car si tu t’ennuies , ça sert à rien. Mais s’il y a des personnes qui s’ennuient tu les réconfortes comment ? Je leur parle, je leur dis «salut, comment ça va ?» et après on commence à discuter et tout ça. 14


visages Tu te fais beaucoup d’amies en colonie ? Ça dépend si t’oses parler ou pas. Et si on n’ose pas ? T’es bien embêtée ! Tu aurais préféré partir vers la montagne ou vers la plage ? Vers la montagne. Pour quels objectifs ? (Carla) Vers la montagne, il y a des p’tits villages et j’aime bien les p’tits villages. Aimes-tu Abondances ? Oui. Tu y es déjà allé ? Oui. Si tu devais choisir entre une colonie ou on travaille (comme l’école) ou cette colonie que choisiriez-vous ? Cette colonie. Si vous devriez être le directeur/directrice de cette colonie que changeriezvous ? La julienne de légumes ! Pourquoi ? Parce que ce n’est pas bon ! (rires) Si vous venez en colonie c’est spécialement pour les booms, les activités ou pour chercher une petit(e) copain/copine ? Un peu de tout ça. De préférence ? Les activités. propos recueillis par stacy bardeau.

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portraits masqués voilà que l’équipe de la rédaction se dévoile et se montre tout en ce cachant derrière le jeu du portrait chinois. Et si on était... une couleur un vêtement un animal une fleur une saison une chanson un livre un sport un plat une odeur un objet un mot ? Et si on était tout cela à la fois? Et si on était faits de tous ces petits masques que l’on porte au gré de nos humeurs ?

reportage de marie-jeanne robert.

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Rose Une jupe Un ours blanc Une eucalyptus L’hiver Someone like you d’Adèle Natacha Kampuch Le ski Un gâteau au chocolat La vanille ou la noix de coco Un collier Amour 17


Bleu Un sweat bien chaud Loup blanc Rose noire Automne Mistral gagnant de Renaud Les âmes Vagabondes de Stephanie Meyer Le rugby Un gratin de macaronis aux formages Le Lytchee Une photographie Rêver 18


Noir Étoffe Un loup Une rose noire Hiver Tomber de ses yeux de Louis Delort Antigone Planche à voile Des pâtes carbonara L'odeur de la forêt Une plume Liberté 19


Bleu Robe Chien Rose rouge Été Je penses à toi de Jennifer Classe de mer de Roger de la Vedi Handball Un gratin de pomme-de-terre Le curry Les souvenirs de famille Aimer 20


Bleu Un pull en laine, parce que c’est doux. Un chat, parce que je suis à la fois douce et à la fois sauvage Une rose rouge Été RDX jump Le dico des filles Badminton moules-frites La vanille Téléphone Amour 21


costumes quotidiens Emma a souhaité poser quelques questions à trois animateurs de la colo au sujet de leur look et des apparences, réponses croisées : Ton look a-t-il beaucoup changé depuis ton adolescence ? Morgane : Oui, je mettais des pulls tricotés par ma mamie, genre le truc qui fait plaisir. Lou : Non, pas vraiment, je me suis toujours habillé de la sorte. Sue : Je suis toujours habillée avec le même look . Tu donnes de l’importance à ton look? Morgane :Oui beaucoup, je ne sors pas tant que je ne me trouve pas belle ! C'est vraiment important pour moi ! Lou :Bah... je ne lui donne pas plus d’importance que ça … Sue: J'aime pas être habillée comme une pouilleuse, mais si j’étais habillée comme une pouilleuse je m'en ficherais ! (rires). Tu aimes l'originalité? Morgane : Oui ça peut aller, genre quelqu'un se ramène avec un pantalon fluo, ça peut aller mais pas dans l’extrême non plus … Lou : Pas tellement, en fait faut pas qu'il y en ait trop … Sue : L’originalité, c'est comme si on met un bas qui ne va pas avec le haut, mais qui va bien quand même. Y a t-il une personne que tu as plus remarqué par rapport a son style? Morgane : Oui Sue on voit qu'elle est à l’aise dans ses vêtements, et aussi Mohamed, il a un truc mais je ne sais quoi... Il s'habille bien lui.

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question de mode Qu'est ce que tu aimes porter le plus souvent? Morgane : J'aime porter des shorts car on est à l’aise avec. Lou : Sans vêtement ! Soue: Sans vêtement ! Et se que tu n'aime vraiment pas porter? Morgane : Les sarouels multicolores, ça c'est vraiment horrible . Lou : Les strings parce que sa gratte ! l Sue : les string aussi !

propos recueillis par emma denys.

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carrefour mĂŠtallique


chemins poétiques

Personnages Jules (18 ans) Abigaël (26 ans) Léo (30 ans) Le gardien Une vieille gare reliant des villes infiniment petites dont personne ne se donne la peine de se souvenir des noms. Arrivée des derniers trains. La fraîcheur des premières nuits d’été se fait ressentir. Les voyageurs ont peu à peu disparus laissant une gare vide au mur salit par de minuscules doigts impatients. Seuls quelques courageux sont présents. Des courageux obligés ou volontaires. Un gardien se persuade qu’il n’a peur de rien: chantonne la musique rejetée par de minuscule perles noires chacune reliée par un fil de même couleur. Il joue avec un trousseau de clef épais d’une main et marche de façon régulière. Dans l’autre main, il tient une lampe torche qui lui révèle les secrets obscurs des moindres petits recoins de sa gare. Sur un quai sombre et sale à peine éclairé par la lumière défaillante d’un lampadaire, un banc et quelques phrases gravées dessus : « être ou ne pas être », « je suis libre d’écrire », « A + R = cœur ». Au dessus du banc un panneau « point de rencontre » et un peu plus loin une poubelle qui déborde. Jules attend quelqu’un. Il est assis sur le banc. Il a des mouvements impatients et ne cesse de regarder aux alentours. Il porte un chapeau et une veste de costume, il est apprêté pour l’occasion. Il tient dans ses mains une lettre, qu’il froisse et jette à la poubelle. 28


carrefour métallique Jules : Assis sur un banc, sur le quai de la gare, j’ai compris avec qu’elle facilité nous pouvons perdre ce que l’on croit posséder pour toujours, comme l’amour d’un père. Cette soirée où le vent frais rafraîchissait mon visage. Cette soirée où la nuit commençait à peine à s’étendre sur la terre sèche de l’été. Les vacances venaient de commencer, mes parents souhaitaient marquer mon passage en 3ème. Ma sœur avait prévu de passer nous voir dans la soirée, j’étais tellement heureux de pouvoir la revoir elle et son visage farceur. Mes parents étaient fiers de moi, dans leurs yeux je n’y voyais rien d’autre. Moi je l’avoue, je ne souriais pas. Mais j’ai été bête. Pour moi ce bonheur était vide. Je mentais à mes parents, et je ne me le pardonnais pas. Je sais, beaucoup d’enfants mentent à leurs parents, alors pourquoi pas moi ? La vérité c’est que je ne suis pas aussi fort que les autres enfants. Je suis faible et je m’en veux. Ce soir là, j’avais décidé d’être fort. Abigaël passe devant le banc, elle est encombrée de valises et de sacs, elle a autour du cou un appareil photo. Elle porte des talons hauts et un tailleur. Jules s’interrompt, la regarde déposer son fatras. Elle s’assoit sur une de ses valises. Jules : J’ai une chose très importante à vous dire, je les vois tous les deux serrés comme deux jeunes amoureux sur le canapé, ma voix les sépare et leurs regards convergent vers moi comme deux papillons vers la lumière. Je parle, je tremble, mais je continue alors que leurs visages changent peu à peu. Leurs mains d’abord … Leurs mains soudées se séparent. Leur regard a abandonné toute trace d’amour, tout signe de fierté. En face de moi ce n’est plus mes parents que je vois mais deux inconnus. Abigaël prend des photographies, ça et là, de choses qu’elle seule peut voir. Son flash crépite mais il n’y a pas d’objectif sur son appareil, un cache noir recouvre le miroir intérieur de son reflex.

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Jules : Ma mère pleure, mon père se fige devant moi ce n’est plus le père avec lequel je riais les soirs où nous étions seuls tous les deux, avec lequel j’apprenais à cuisiner, devant moi c’est un homme froid qui se tient. Dans ses yeux juste de la colère. Il se lève, son bras se tend, raide et sans appel, le doigt vers la porte. Cette porte fenêtre en bois au loquet métallique et aux écrous rouillés. Sur la vitre des traces de pattes laissées par le chien qui lui à l’inverse souhaite rentrer et non pas sortir de la maison. Ma mère se lève, je remarque pour la première fois ses rides qu’elle essaie de cacher. Sa voix s’interpose et me redonne espoir. « Va dans ta chambre » ditelle. Je m’avance vers la porte, je passe devant elle ; elle me regarde, alors que pour mon père je n’existe déjà plus. Et soudain, comme dans mon enfance je prends conscience de la présence de l’ennemie. Ces règles imposées aux bonnes familles, la façon de se tenir ou autre, imposer une couleur à un être sans qu’il puisse tenir lui-même son pinceau. Dans cette soirée sèche d’été, mes joues se sont humidifiées. Léo arrive avec un casque audio sur les oreilles, il danse un peu tout en marchant et chantonne le même air que le gardien. Il contourne le banc par l’arrière, saute au dessus et s’assoit sur le dossier du banc. Abigaël, toujours, prends de temps à autre des photographies au flash. Elle se lève et s’approche de Léo qu’elle prend en photo alors qu’il la regarde. Léo : Assis sur un banc sur le quai de la gare, j’ai compris avec quelle facilité nous partons. Je me demande si je partirai aussi vite que toi moi aussi, oui je m’en souviens, je dois rire ce jour là parce que c’était le carnaval. Maman m’a trop bien habillé, je suis déguisé en pirate. J’adorais les pirates tu te souviens? Ils n’avaient peur de rien et moi non plus, je sais pas pourquoi d’ailleurs, sans doute parce que j’étais grand pour mon âge mais ça c’est pas trop important hein, j’ai du arrêter de grandir quand tu es parti. Tu sais des fois quand je ferme les yeux et que je fais le vide autour de moi, je me sens bien, tout s’évapore et il ne reste que la joie comme un moustique autour 30

d’une lumière en pleine nuit. Et soudain, comme dans mon enfance je prends


conscience de la présence de l’ennemi, alors tout s’en va et je te vois, toi dans le garage, t’y planquait tes secrets, j’ai tout fouillé quand t’es parti mais rien : j’ai rien trouvé, t’as du les prendre, t’as tout pris de toute façons! Pourquoi tu regardes pas ma main hein ? (Léo s’adresse à Abigaël qui continue de le photographier). Je te dis que je ne sais pas, mais toi p’tete que tu sais non ? ( Il s’adresse à Abigaël, le ton de sa voix monte, il hurle à présent). Alors arrête, Arrête ! (Léo se lève, s’éloigne d’Abigaël et de ses flashes). Pardon. Je suis fatigué, j’en peux plus, peut être que si je dors ici ça s’estompera, j’ai envie de me laisser partir tout doucement. Mais j’ai pas le droit de le faire, je sais pas pourquoi d’ailleurs, peut-être que je ne veux pas faire comme toi. T’as pensé à moi ? (Il regarde Abigaël). Non bien sur, c’était tellement plus simple de se barrer au lieu de tout affronter. T’as voulu partir ? Ok. Fais le jusqu’au bout. Jules se lève et marche comme s’il partait. Il reste de dos à coté du panneau « point de rencontre ». Léo : Tu es assis sur le cuir noir usé du canapé du salon, tu attends que je descende, tu me regardes avec cet air que je déteste, cet air avec la tête penchée, les yeux qui ne regardent pas, les yeux tombant sur les poils longs du tapis. Tu massais tes gros doigts pour faire passer le stress, tu fais toujours ça quand tu es stressé. J’ai pas su te demander ce qu’il y avait. Tu as juste dit qu’il fallait que tu me parles et j’ai compris, ton sourcil broussailleux s’est dressé sur ton front. Si tu savais comme je veux te pardonner, je ne peux pas. Je n’arriverai pas à te mentir en te regardant droit dans les yeux comme tu me la fais. J’y ai cru à tes paroles, j’y ai cru tellement fort comme on peu croire au père noël quand on a 4 ans. J’y ai cru à tel point que je te voyais déjà revenir, toi. Je te vois me sourire délicatement, entrouvrir tes lèvres déchirées pour me dire que tu l’aimes encore. C’est faux, mais je te crois. Je te voyais déjà revenir toi et ton sac rouge affreux, toi et tes chemises à carreaux tellement mal accordées avec tes shorts à rayures. Toi et ton humour qui peux faire arrêter de pleurer un enfant à qui on a volé une sucette. C’est comme ça que j’ai grandi. T’as tout brisé comme ça,

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tout ce que j’avais construit Tu m’as volé mon enfance, mon innocence. Tu as fais la pire chose qu’un père peut faire à son fils. C’est comme ça que j’ai grandi, en une heure de temps tu as brisé ce que mon âme d’enfant avait mis 15 ans à construire. Oui je sais, c’est la vie. C’est surtout ce que je voudrais le plus oublier, redevenir qui j’étais, qui on était. Jules (Il se retourne et regarde Abigaël, s’approche d’elle) : Un miroir, un rouge à lèvre, des ciseaux, une tignasse trop grande, des traits noirs volants. Abigaël : Assise sur un banc sur le quai de la gare, j’ai compris avec quelle facilité nous oublions que nos parents ont aussi une vie, j’ai 8 ans, je vis dans une petite maison à un étage, dans la maison il y a maman, Estéban (mon frère), mon chat, et moi... Même mon chat est plus vieux que moi, donc je suis vraiment la plus petite ici, bref, ce soir là était un soir spécial, je viens de prendre ma douche, je me mets en pyjama, un pyjama rose avec des rayures blanches et grises, mon frère venait aussi de prendre sa douche, lui aussi en pyjama, un pyjama marron avec des rayures blanches et grises. Maman elle n’était pas en pyjama. Elle se mettait du maquillage et une belle robe, rose avec des petites fleurs vertes, ce soir là on avait dîner avant maman, avec Estéban on montait à l’étage dans notre chambre, et mon frère me dit. Jules : Hé Abigaël, on met nos supers chaussures ? Abigaël : Oui si tu veux... On avait des chaussures avec des roues. On se sentait liibres. Plus tard maman nous as demandé de descendre, on est descendu avec nos super chaussures, en faisant attention de ne pas tomber dans les escaliers qui grinçaient. Maman n’était pas seule, il y avait un homme qui devait avoir la trentaine, maman présente Fred, Frédéric... Il était grand, Frédéric, sans doute 1m80, il avait des petits yeux vert, un nez qui se faisait remarquer, des sourcils bien taillés, de grandes dents droites, un grand sourire, des cheveux arrivant dans le creux de son cou, blond bouclé, assez mal rasé. Il portait une chemise à 32

carreau rouge, un jean presque neuf et des tongs en plastique noir. Je lui ai dit


bonjour en essayant d’être polie, mais je ne pu m’empêcher de lui demander d’où il venait. J’avais fait la connaissance de mon futur beau père. Léo : Un petit lapin noir tacheté de blanc courant sur un tapis vert, finissant sa course derrière un sofa. Jules : Le paysage défile devant mes yeux d’enfant. Mon grand-père tourne, et tourne encore avec moi sur le tourniquet face à cette plage de Bretagne où les vagues atteignent la digue pour devenir flaque. L’image de mon grandpère est floue, je lui tends la main mais le tourniquet tourne et tourne encore me laissant seul face au vent venant de la mer... Le paysage s’assombrit devant mes yeux, les arbres défilent, comme des milliers de lignes noires aux courbes imparfaites. Les cendres sur les genoux, ma mère ferme les yeux comme pour se réveiller pendant que mon père qui conduit ne détourne pas son regard froid de la route. Je suis seul derrière, je regarde à travers ma vitre le paysage qui s’assombrit encore. Léo : J’ai pas de mémoire. Enfin si, mais pas pour tout. Je me souviens de mon premier jour d’école mais pas de mon dernier. Je me souviens de ce que je peux lire mais pas de ce que je dois apprendre. Je me souviens de la première fois ou je t’ai vu pleurer. C’est pas ma faute, je le sais, mais je me sens mal. Tu restes devant la fenêtre, une lettre à la main, tu es persuadée que je ne te vois pas mais par précaution tu restes à observer je ne sais quoi (Léo sort de la valise une balle, qu’il lance à Jules, mais Jules ne fait rien pour la rattraper, la balle tombe et roule). Tu dois avoir très mal aux yeux à cause du soleil. Et puis légèrement tu te retournes vers moi et me souris. Tu vas vers ta chambre, me demandant d’aller jouer. Ce que je ne fais pas. Je t’observe. Je te vois appuyée contre le mur de la chambre, tu plies doucement tes genoux jusqu’à lâcher à quelques centimètres du sol. Jules reprend dans la poubelle sa lettre froissée qu’il déplie. Léo ramasse la balle, il l’observe, joue un peu avec.

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Jules : Une photo oubliée sous mon lit, nous sourions, j’ai l’air heureux avec lui. Léo : Je me souviens d’un soir de noël, tout les trois, dans la voiture. On attend au rond point. Papa est au volant, et le tapote avec des gestes rapides. Énervée toi aussi tu lui dis de ce calmer, que c’est le soir de noël qu’on pourrait passer une soirée sans crier dans tout les sens. Mais tu connais papa. Il l’a mal pris, forcement. C’est toujours le même sujet qui revient quand tout va mal. Il a voulu te toucher, et il a glissé ses mots affreux. J’étais au fond de mon siège sans dire. J’aurais pu dire, dire quoi ? Je suis resté à serrer mon portable entre mes doigts pour éviter de crier moi aussi. Je fixais les gouttes de pluie à travers ton siège, en me concentrant sur la vitre. J’ai ensuite vu ton visage. Ce n’est pas des gouttes de pluie sur ton visage. Non, mais des larmes, encore. Papa à alors quitté la voiture comme ça, je n’ai même pas eu le temps de le voir partir. Mais je t’ai vu toi, sortir et faire le tour de la voiture, toujours en pleurs mais sans rien montrer de ta blessure. Jules : Une aiguille pointue, une pièce blanche à la fenêtre aux barreaux, un minuscule flacon au liquide rouge. Léo : Toujours des larmes, et encore les tiennes. Ce jour là, il part. Tu me tiens dans tes bras en disant que tout se passera bien, qu’on serra deux à jamais. Ce que je ne sais pas c’est ce que toi tu sais. Tu sais pourquoi il part. Encre quelqu’un qui ne tiendra pas ses promesses. Tu le laisses partir sans rien dire, sans même montrer à quel point tu le détestes. Je lève la tête doucement pour regarder tes yeux bleus rougis par la douleur. Mais tu restes et tu me réconfortes comme n’importe quelle mère l’aurait fait. C’est ce jour là que tu m’as vu grandir. Jules : Un rêve, une nuit avec lui, puis plus rien. Un visage, aux yeux bleus, aux joues roses, aux cheveux blonds. A la robe blanche, aux cris qu’elle lance. Un plafond blanc, un mur blanc, un parquet rouge. Une voix, mon amie, de l’aide. Ma main droite est immobile, rougie comme le sol. On me secoue, on hurle 34

dans mes oreilles mais je n’entends rien. Pour moi seul compte le couteau rouge


à terre. J’ai essayé, on m’a arrêté. Un liquide rouge coule le long de mon bras, mais je n’ai pas mal, ma douleur est celle causée par les larmes de mon amie. Ses larmes à elle coulant sur mon visage, le clouant au sol, l’empêchant de s’en aller... Léo : Une chambre d’amie en été, moi allongée sur le lit, une lampe a frange posée sur la commode. Un coup de vent sonne le commencement d’une danse (il lance la balle à Jules). Jules : La morsure du froid, une plage au sable chaud, la mer glacé où je trempe mes pieds accompagné d’un enfant aux yeux bleus ondulant sur les vagues (il lance la balle à Léo). Léo : Des petits doigts crasseux arrachant des miettes de papier peint en relief rose saumon (il lance la balle à Jules). Jules : Un lac, notre premier rendez-vous, une rencontre, son sourire, notre baiser, notre union (il lance la balle à Léo). Léo : Des morceaux de verre brisé et une forte odeur d’alcool mais aucune lumière : juste quelques taches violettes tournant à la surface de mes yeux (il lance la balle à Jules). Jules : Une estrade en bois âgé, une foule d’inconnus aux visages étonnés, des musiciens souriants, ma voix qui me surprend (il lance la balle à Léo). Léo : Une forte douleur, des grincements de roux sur un goudron fondant au soleil. Des petites marques sur un genou et quelques gouttes auburn sur un tissu blanc (il lance la balle à Jules).

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Abigaël : Chez mamie j’avais 9 ans, Tonton est là aujourd’hui, on parle de tout, de rien... Assise sur une chaise en plastique rouge et avachie sur le bar en bois poncé et vernis, Tonton dit. Léo : Es-tu prête à savoir la vérité sur ton père ? Abigaël : Je répond oui bien sur mais où est il ? Sans vraiment comprendre … Tonton, tonton, il y a de la pluie sur ta joue. Il essuie ses larmes avec sa main droite. Jules : Abby, papa est à l’hôpital … (il chantonne : Over over over dose … il se rassoit sur le banc à la même place). Abigaël : On est parti voir papa à l’hôpital. En m’approchant de son visage, je ne sais par quel miracle il a les yeux ouverts. Ses yeux bleus, ses rides aux coins des yeux, sa cicatrice au coin de la lèvre supérieure. Il souriait parce que j’étais près de lui. Il me demanda pardon, mais je ne lui pardonne pas. Mon plateau tombe, de la salade par terre car je suis tombée avec mon plateau, un verre cassé, une Holà dans le réfectoire, mon verre tombe en même temps que mon plateau. Les gens se moquent dans mon collège car je suis tombée avec mon plateau, mon assiette retournée car je suis tombée avec mon plateau. On me demande si je vais bien. Ils ne voient pas que rien ne va ? Je me relève, je vais voir une dame pour lui demander une serpillière. Elle me la donne et je pars. Je pars nettoyer les dégâts. Je pars me resservir, tout le monde me regarde, non ils me dévisagent. J’aperçois le petit imbécile qui m’a précédemment fait trébucher, je passe devant lui en l’évitant, non cette fois ci, il ne m’aura pas. Léo : Tu te souviens de ce que tu disais toujours, un truc comme « c’est ce que l’on aime qui nous détruit le plus », je t’aime. Oh oui je vais rester ici ce soir, reste avec moi toi aussi, peut-être que mes souvenir resterons plus longtemps dans 36

ma tête si tu restes avec moi, ne me réveille surtout pas, s’il te plaît, reviens.


Jules : Assis sur un banc, sur le quai de la gare, j’ai compris avec qu’elle facilité la seule chose qui me tient c’est un pan de ta veste et ce décor trop grand, ce serait tellement beau, les pièces où l’on vivrait, les canapés, les fauteuils qui de nos silhouettes auraient fait un deuil. Je ne t’entends plus, dis, je ne t’entends plus. Et soudain, comme dans mon enfance je prends conscience de la présence de l’ennemie. Invisible et pourtant là, il n’a ni nom, ni visage mais il est là, il prend parfois l’apparence de la solitude qui marche sur nos pas comme une sangsue, comme un souvenir accroché, un souvenir d’enfant que je ne serai plus jamais. Je ne t’entends plus, dis, Je ne t’attends plus. Léo : De toutes façons, il viendra jamais (Léo et Abigaël répètent « il ne viendra jamais » d’une façon enfantine, en narguant Jules). Jules retire le fil du casque de la poche de Léo et s’aperçoit qu’il n’y a aucune musique. Ils regardent ce fil suspendu aux doigts de jules. Puis, d’un même mouvement vont tous les trois s’asseoir sur le banc. Jules : L’orage. A la lueur d’une bougie, une voix grave se fait entendre, grave mais délicate presque réconfortante. Je cède doucement à ce mensonge. Le genre d’histoire que l’on raconte comme une caresse de réconfort. Des yeux brillent dans le noir. Tes mains me serrent, avec toi je n’ai plus peur. Abigaël : Et je me réveille seule, perdue dans cet espace vide. Tu n’es plus là. Il ne reste que des bruits, des bruits de pas, des éclats de rire comme des morceaux de toi éparpillés, laissés au hasard. Léo : Au coin de la cheminée, aux dômes crénelés de remparts métalliques comme des rails, des cendres. Ta photo sur le mur n’est plus là. J’ouvre les tiroirs à la poignée brillante. Aucune trace d’elle.

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Jules : Tu es parti, Abigaël : Sans moi, Léo : A jamais.

Abigaël, comme si elle prenait encore une photographie, fait mine d’allumer la radio. Sur une musique de Joy division, A means to an end, jouée très fort, les trois personnages se lèvent, dansent de façon mécanique et solitaire. Jules, tout en dansant, déchire la lettre froissée et jette ses confettis immobilisant les gestes des danseurs.

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édité par gentiane en piste centre plein soleil à abondance (74) juillet 2013 dans le cadre d’ateliers d’écriture et de journalisme animés par anne foti


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