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Anticythère par Jean-Paul Hannecart

Anticythère Les derniers rebondissements ?

Par Jean‐Paul Hannecart,

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Introduction Depuis sa découverte en 1901, l’épave d’Anticythère n’a de cesse de nous surprendre. Des archéologues aux astronomes en passant par les plongeurs, tous s’accordent à y reconnaitre un site archéologique exceptionnel et qui peut être considéré comme l’un des plus importants de l’histoire universelle de l’homme. La découverte Nous sommes au printemps de l’année 1900, deux bateaux grecs et leurs équipages de pêcheurs d’éponges reviennent de leur campagne annuelle de pêche sur les côtes Nord de l’Afrique. Surpris par une tempête alors qu’ils font route vers leur port d’attache situé dans le Dodécanèse, les deux caïques se trouvent obligées de chercher refuge près de l’îlot d’Anticythère, à mi-chemin entre la Crête et le Péloponnèse. Pour tromper l’attente, on ordonne une plongée. Vêtu du lourd scaphandre de Siebe, le plongeur désigné

Source illustration: © J-P Hannecart, 1991

est mis à l’eau au moyen de la plate-forme prévue à cet usage, mais à peine a-t-il touché le fond qu’il tire violemment sur la corde le reliant à la surface pour manifester son intention de remonter d’urgence, ce qui est d’ailleurs fait sans tarder. Aussitôt à bord et libéré de son casque, l’homme explique d’un air épouvanté avoir vu jaillir du fond marin tout un peuple de géants aux formes monstrueuses. Intrigué, mais sans perdre son sang-froid, Démétrios Kondos, le capitaine revêtit à son tour le scaphandre. Il a pour devoir, de rassurer son équipage et dans le cas présent de vaincre le scepticisme des plus optimistes de ses compagnons et la peur des autres. À près de 60 mètres de profondeur, sur un fond de sable et de posidonies proche des éboulis de la côte, le capitaine constate avec stupeur la réalité du récit qu’il vient d’écouter juste auparavant. Il se ressaisit pour s’apercevoir qu’il se trouve devant des dizaines de statues de bronze et de marbre fortement concrétionnés. Après avoir contemplé le site, il rejoint la plate-forme pour être hissé en surface, non sans avoir pris le soin de ramasser le bras cassé d’une statue pour prouver aux autres et peut-être aussi à lui-même qu’il n’a pas rêvé.

L’endroit L’îlot d’Anticythère, également connu des italiens sous le nom de Cerigotto, se situe à peu près à midistance entre l’île de Cythère (Cerigo) et la Crête. On n’a jamais compté plus de 250 habitants sur ces quelques kilomètres carrés. Sur certaines cartes anciennes, Anticythère est appelée Aegilia. En ce qui concerne l’île toute proche d’Anticythère, elle a été consacrée depuis la Grèce antique au culte de la déesse de la beauté et de l’amour. Selon la mythologie grecque, les plages rocheuses de l’île y ont vu naître, de l’onde de l’écume des vagues déferlantes, une créature féminine d’une beauté incomparable, Aphrodite, assimilée par les Romains à la déesse Vénus.

Source illustration: © J-P Hannecart, 1991

Les premières fouilles Les autorités grecques, rapidement averties réalisent vite l’importance de cette découverte et passent aussitôt un accord avec les pêcheurs d’éponges afin d’entreprendre dès l’hiver suivant, une campagne de récupération, la toute première de cette envergure dans l’histoire de l’archéologie. Non disposé à la plongée en scaphandre, les archéologues confient aux pêcheurs d’éponges le soin d’extraire et de renflouer les trouvailles faites sur le site. Un bâtiment de la marine de guerre est affrété pour la circonstance et les opérations scientifiques supervisées par le directeur des antiquités, Georges Byzantinos. À cette époque, les seules connaissances en matière de décompression sont celles publiées en 1878 par le physicien français Paul Bert, dans son ouvrage intitulé : « La Pression Barométrique ». Il faudra attendre 1907 et les premières tables de décompression du physicien écossais John Scott Haldane pour bénéficier d’une marge de sécurité suffisante. C’est dans cette ignorance justifiée par l’histoire, mais avec la peur de ce que les plongeurs appellent alors « la maladie des caissons » que six plongeurs d’abord, dix ensuite, se relayeront pendant neuf mois pour remonter les objets trouvés sur l’épave. Ils se fixent une limite de deux plongées de cinq minutes par jour et par plongeur. Cette précaution n’évitera cependant pas à l’un des scaphandriers de trouver la mort suite à une embolie gazeuse. Par ailleurs, deux autres accidents du même genre laisseront leurs malheureuses victimes paralysées à jamais.

Le mauvais temps vient augmenter les difficultés sans pour autant arrêter les opérations qui se poursuivent malgré tout. Disposant de si peu de temps d’immersion, les scaphandriers doivent se contenter dans un premier temps du ramassage hâtifs des objets éparpillés sur le sable. Les statues à demi-ensablées sont rapidement élinguées pour se voir ensuite littéralement arrachées du fond avec force et fracas. Certaines de ces œuvres subissent mal la manœuvre destinée à les ramener au grand jour. Mal saisies ou trop lourdes, des statues échappent à leurs câbles et coulent à nouveau pour atteindre le fond, parfois plus profond et pas toujours, on s’en doute bien, sans aucuns dommages. Un dégagement superficiel permet de constater, du moins le pense-t-on, fixées aux rochers par la concrétion marine. Une simple réflexion sur le fait que l’on n’ait pas encore en vue le fond de carène de l’épave aurait dû suffire à créer le doute. Si les moyens l’avaient permis, une

Source photo:NatureBlog

excavation de quelques mètres l’aurait confirmé. Face aux circonstances, décision est prise de scier les statues à leurs bases. On s’apercevra plus tard qu’il s’agissait en fait de groupes ou d’ensembles de sculptures sur un seul socle. Le navrant n’a cependant pas encore atteint son paroxysme, lorsque les pêcheurs d’éponges, transformés en archéologues pour la circonstance, vont déverser plus loin en mer des rochers qui sont tombés, pensent-ils, des falaises toutes proches et qui gênent leur travail. Le professeur Byzantinos s’avise d’en examiner un de plus près pour y reconnaître avec stupéfaction une sculpture en marbre, plus grande que nature et rendue méconnaissable par l’attaque des mollusques

Source photo:Gentside Découverte

au cours des longs siècles d’immersion. Le rapport fera ainsi état de plusieurs œuvres d’art perdues à tout jamais dans les abîmes, du moins le dit-on à ce moment.

L’état de conservation L’immersion de près de 2 000 ans dans les eaux de la méditerranée fait que les statues, surtout celles en marbre ont énormément souffert de la concrétion marine, au point de les rendre parfois méconnaissables et de les confondre avec de vulgaires rochers sans le moindre intérêt. Seul l’enfouissement dans le fond sablonneux, ne fusse que d’une partie de ces œuvres, permet de les préserver suffisamment que pour maintenir l’esprit créatif et la volonté de représentation des artistes qui les ont créées. Les statues en bronze ont eu, quant à elles plus de chance, pour autant qu’elles aient bénéficié de manutention plus délicate.

La « Machine d’Anticythère » Mais le plus surprenant reste à venir. La direction des antiquités organise, à Athènes, une exposition des objets récupérés sur le site de l’épave d’Anticythère. C’est alors que l’archéologue Valérios Stais remarque la présence dans le lot d’un objet qui sort complètement de l’ordinaire pour une épave antique de cette époque et de cette origine. L’objet en question est désormais

Source photo:Société Astronomique de France mondialement connu sous l’appellation de « Machine d’Anticythère » ou encore « Mécanisme d’Anticythère ». L’examen préliminaire fait état de trois gros morceaux et de 82 fragments provenant d’une sorte de mécanique constituée d’engrenages et de rouages complexes, concrétionnés et incrustés de gangue marine. Un spécialiste allemand de l’époque, Albert Rehm évoque alors un calculateur astronomique. Un genre de planétaire qui permettrait de connaître sa position en mer par celle de certaines planètes.

Fonctionnement La « Mécanique d’Anticythère » est un planétaire basé sur le cycle de Méton et coordonné sur le calendrier égyptien. L’opérateur règle le mécanisme à l’aide d’une clef ou d’une manivelle sur le mois et l’année en cours. Il obtient ainsi la position des planètes au moment voulu. Le mécanisme synchronise les positions de la Lune, du Soleil, de Vénus et Mercure pour les planètes ainsi que plusieurs constellations du zodiaque. On relève d’abord quelques 900 caractères grecs de 1.5 à 2.5 mm de hauteur et qui indiquent les

Source photo:Planète Gaia

positions de ces corps célestes. La période du saros est également prise en considération. De ce fait, la « Mécanique d’Anticythère » peut être utilisée pour prédire les éclipses. La « Mécanique » était dans un coffret en bois (disparu) d’environ 340 x 180 x 90 mm.

Réalité ou supercherie ? L’archéologue Valérios Stais est né en 1857 à Anticythère ( ! ) et est mort à Athènes en 1923. Il étudie d’abord la médecine avant l’archéologie et prend la direction du Musée National d’Archéologie d’Athènes en 1887. C’est justement lui qui révèle la « Mécanique d’Anticythère » le 17 mai 1902 en préparant l’exposition consacrée aux objets récupérés sur le site de l’épave. Aurait-il ajouté l’objet provenant d’une épave plus récente dans le but d’augmenter l’intérêt du public et de la communauté scientifique ? C’est ce que prétendent certains qui affirment que cette technologie n’est apparue que beaucoup plus tard, au 15ème siècle. Toujours est-il que la « Mécanique d’Anticythère » fait le buzz en 1902 et continue de le faire aujourd’hui, plus d’un siècle

Source photo : Bulletin of History of Archeology

après sa découverte. Le doute pointe son nez ! Aucune datation précise de la mécanique n’a pu être faite mais des éléments troublants s’additionnent sans cesse :

Deux objets similaires à la « Mécanique d’Anticythère » sont évoqués par Cicéron au IIIème siècle avant notre ère. L’un des deux objets serait l’œuvre de Posidonios. Aux 900 inscriptions en caractères grecs déjà relevées sur la « Mécanique » viennent s’ajouter quelques 2 000 autres révélées lors d’un examen radiographique en 2006. Les inscriptions déchiffrées à 95% évoquent un texte astronomique qualifié d’étrange et mentionnant les planètes Vénus, Mercure et plusieurs constellations du zodiaque. L’analyse graphique de cette récente observation permet de dater le texte aux environs de 100 avant notre ère.

Retour à Anticythère Deux reconnaissances sur le site du naufrage en 2012 et 2013 révèlent que de nombreux objets s’y trouvent encore éparpillés sur plus de 300 mètres, ce qui ne peut évidemment correspondre à la taille du navire mais découle plutôt des premières fouilles effectuées en 1901. Une expédition de grande envergure a lieu en 2014, sous la direction de deux plongeurs archéologues avec l’appui du scaphandre EXOSUIT du WHOI et mis au point par le canadien Phyl Nuitco. Ce scaphandre autonome « atmosphérique » autorise la plongée jusqu’à -300 mètres. Plus rien à voir avec le Siebe-Gormann de 1900 ! Le navire d’Anticythère faisait au moins 50 mètres de long ce qui le fait qualifier de « Titanic Romain » par l’archéologue américain Brendan Foley. Parmi les objets retrouvés à cette occasion, une lance en bronze de plus de deux mètres et qui était probablement un accessoire

Source photo : WHOI d’une des statues déjà connue de ce site.

En août 2016, de nouvelles fouilles ont lieu et le squelette partiel d’un membre de l’équipage est retrouvé sur le site du naufrage. La datation est effectuée et indique -87 avant J.-C. La profondeur supérieure à 55 mètres oblige les plongeurs à recourir aux techniques de plongée aux mélanges et avec des recycleurs. L’objectif de ces nouvelles fouilles, outre de compléter les connaissances déjà acquises sur cette épave, est l’espoir de trouver sur place

Source photo : Archeow d’autres fragments de la célèbre

« Mécanique d’Anticythère » afin de lever tous les doutes qui pourraient encore subsister à son sujet. Pour le CNABH, Jean-Paul Hannecart, avril-mai 2020

Bibliographie Encyclopédie Cousteau, éditions Robert Laffont, 1976 La Croix.com Merveilles et Mystères du Monde Sous-Marin, éditions Reader’s Digest, D-1974/0621/17 Wikipedia

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