n°61 été 2012
comment traverser la crise ? Par Pascal Bruckner L’homme qui défie Poutine Interview exclusive de Mikhaïl Khodorkovski Nicolas Grimaldi « Je ne veux plus que souffler sur les braises de la vie »
Sommes-nous
faits Pour vivre
à deux ? Supplément offert par
no 61
Ne peut être vendu séparément. ILLUSTRATION : SÉVERINE SCAGLIA/COSTUME 3 PIÈCES POUR PM ; PHOTO : HÉLÈNE BAMBERGER/OPALE
DELEUZE
DIALOGUES AVEC CLAIRE PARNET
EXTRAITS
Préface d’Arnaud Bouaniche
Gilles Deleuze
Mille concepts sur un plateau
Mensuel n°61 / France : 5,90 € Bel./Lux./Port. cont. : 6,50 € Suisse : 11 CHF Andorre : 6,20 € Deutschland : 6,90 € Canada : 11,50 $CA DOM : 8 € COM : 1 000 XPF Maroc : 60 DH
M 09521 - 61 - F: 5,90 E - RD
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La sociologie du droit, de la famille et de la vie privée, sont ses domaines d’étude privilégiés. Directrice de recherche à l’EHESS, elle a écrit Des humains comme les autres. Bioéthique, anonymat et genre du don (EHESS, 2010) et a proposé un concept : Le Démariage (Odile Jacob, 1993). Elle relève les métamorphoses de la sociologie du couple. cahier central >
Arnaud Bouaniche
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Pascal Bruckner Philosophe et romancier, il s’est fait connaître par des essais sur les mœurs contemporaines – Le Sanglot de l’homme blanc (Seuil, 1983) – où il s’intéressait à la manière dont les aspirations libertaires et égalitaires des années 1960 avaient accouché de nouvelles formes d’idéologies. Il signe un texte très inspiré sur la profondeur de la crise qui ravage l’Europe.
Diffusion : Presstalis. Contact pour les réassorts diffuseurs : À juste Titres (04 88 15 12 41 – Benjamin Boutonnet) Directeur de la rédaction : Alexandre Lacroix Rédacteur en chef : Martin Legros Rédacteur en chef adjoint : Michel Eltchaninoff Conseillers de la rédaction : Philippe Nassif, Sven Ortoli Chefs de rubrique : Martin Duru, Catherine Portevin Édition : Noël Foiry, Marie-Gabrielle Houriez Conception graphique : William Londiche Responsable photo : Cécile Vazeille-Kay Graphiste : Estelle Chatelot Rédacteur Internet : Cédric Enjalbert Webmaster : Cyril Druesne Ont participé à ce numéro : Adrien Barton, Ricardo Bloch, Charles Berberian, Christian Bouchindhomme, Édouard Caupeil, Myriam Dennehy, Philippe Dupuy, Raphaël Enthoven, Rodolphe Escher, Agnès Gayraud, Jana Glaese, Noémie Issan-Benchimol, Roland Jaccard, Jul, Mathilde Lequin, Yves Michaud, Anne-Sophie Moreau, Thomas Schweigert, Victorine de Oliveira, Pierre Péju, Charles Pépin, Chloé Salvan, Séverine Scaglia, Patrick Spät, Pierre-Henri Tavoillot, Nicolas Tenaillon. Couverture : © Rodney Smith Directeur de la publication : Fabrice Gerschel Responsable administrative : Sophie Gamot-Darmon Fabrication : Rivages Photogravure : Key Graphic Impression : Maury imprimeur, Z.I., 45300 Manchecourt. Commission paritaire : 0516 K 88041 ISSN : 1951-1787 Dépôt légal : à parution Philosophie magazine est édité par Philo Éditions, SAS au capital de 153 000 euros, RCS Paris B 483 580 015 Siège social : 10, rue Ballu, 75009 Paris Président : Fabrice Gerschel Associés : Fabrice Gerschel, Prélude Finance, Sven Ortoli Relations presse Canetti Conseil, 01 42 04 21 00 Françoise Canetti, francoise.canetti@canetti.com Publicité culturelle et littéraire Littéraire communication, 01 47 54 94 94 Katia Joffo, jklitt@laposte.net Publicité commerciale Kamate Régie, 06 87 06 62 32, Dominique Olivier, dolivier@kamateregie.com
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La rédaction n’est pas responsable
rendus à leurs propriétaires.
Laurent Barry Ethnologue spécialiste des systèmes de parenté africains, il enseigne l’anthropologie de la sexualité. Maître de conférence à l’EHESS et chercheur au Laboratoire d’anthropologie sociale du Collège de France, il est l’auteur de La Parenté (Gallimard, 2008) et fait le point dans notre dossier sur la pratique de la polygamie dans le monde.
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David Edmonds Philosophe anglais, producteur de documentaires radiophoniques à la BBC, il a publié Wittgenstein’s Poker (Harper Perennial, 2002) et Rousseau’s Dog (en collaboration avec John Eidino, Ecco, 2006). Alors que vont s’ouvrir les jeux Olympiques de Londres, il tente de discerner pour nous les limites entre entraînement et dopage dans le sport contemporain.
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Luc Ferry Philosophe et ancien ministre de l’Éducation nationale, il dirige le Conseil d’analyse de la société. Auteur de La Révolution de l’amour. Pour une spiritualité laïque (Plon, 2010) et de De l’amour, une philosophie pour le XXI e siècle (Odile Jacob, 2011), il s’est prêté à l’exercice délicat de commenter une série de témoignages très personnels sur la vie à deux aujourd’hui.
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Gibus de Soultrait Surfeur, directeur de la rédaction du magazine Surf Session, il a entretenu une correspondance avec Gilles Deleuze. Enseignant au master de sport de glisse de l’université de Bordeaux-2, il est l’auteur de L’Entente du mouvement (Éditions Surf Session, 2011). Il nous raconte sa première rencontre et sa relation avec Gilles Deleuze.
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Claude Habib Spécialiste de Rousseau et de littérature du XVIIIe siècle, enseignante à l’université de la Sorbonne nouvelle, elle est l’auteur de Galanterie française (Gallimard, 2006) et du Consentement amoureux (Hachette Littératures, 1998). S’appuyant sur Rousseau, elle met en question la « solution » proposée par le philosophe Bertrand Russell pour faire durer le désir au sein du couple.
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Laurent de Sutter Chercheur en théorie du droit, essayiste (Contre l’érotisme, La Musardine, 2011) et directeur de la collection « Travaux pratiques » aux PUF (où il a édité Slavoj Žižek ou Jean-François Lyotard), il enseigne aux Facultés universitaires Saint-Louis et à la Vrije Universiteit Brussel, à Bruxelles. Auteur de Deleuze. La pratique du droit (Michalon, 2009), il a conçu le lexique du dossier auteur.
La photographe >
Gabrielle Duplantier Photographe indépendante vivant au Pays basque, elle se partage entre des collaborations avec la presse et l’édition, et ses travaux personnels, autour du portrait féminin, son sujet de prédilection, et de ses voyages réguliers au Portugal, la terre de ses racines. Elle signe pour nous les photos du grand entretien de Nicolas Grimaldi.
Imprimé en France/Printed in France
textes et documents qui > des lui sont envoyés. Ils ne seront pas
Docteur en philosophie, il appartient au Centre international d’étude de la philosophie française contemporaine (CIRPFC). Spécialiste de Bergson et de Deleuze, il a publié une très bonne entrée en matière dans l’œuvre du philosophe du désir et de l’événement, Gilles Deleuze. Une introduction (Pocket, 2010). Il préface le cahier central du dossier auteur.
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— Philosophie Magazine
© DRPF/Odile Jacob ; PUF ; DR/Grasset ; CP ; Tim Mansell/Oxford University Press ; Hannah Assouline/Éditions Plon ; Mario Duplantier.
mensuel no 61 juin 2012 Rédaction : 10, rue Ballu, 75009 Paris. E-mail : redaction@philomag.com Téléphone : 01 43 80 46 10 www.philomag.com
Irène Théry
sommaire
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Exclusif - Khodorkovski : la rédemption d’un oligarque ?
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Allemagne/Grèce : les vraies raisons du désamour
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Le diable dans les détails À court d’Histoire, par Yves Michaud Le chant des signes Cinéma en 3D, par Raphaël Enthoven Passage à l’acte Jan Philipp Reemtsma
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Vivre en temps de crise
Pour avoir défié Vladimir Poutine, il a tout perdu et n’est plus qu’un simple détenu. De la colonie pénitentiaire où il est enfermé, il a répondu à nos questions. Selon le philosophe Heinz Wismann, c’est parce que les Allemands se sont longtemps identifiés aux Grecs qu’ils sont aujourd’hui intraitables avec eux. Généalogie d’un conflit mimétique.
L’époque
© Arena ; Colin Anderson/gettyimages ; Rodney Smith ; Simen Johan, courtesy Yossi Milo Gallery, New York ; Gabrielle Duplantier pour PM ; Séverine Scaglia/Costume 3 Pièces pour PM ; Hélène Bamberger/Opale.
Courrier Vos questions Télescopage Radar Matière à penser Revue de presse
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Jeux Olympiques
Le philosophe David Edmonds affirme que l’essence du sport est en question lorsque les athlètes utilisent des technologies qui font exploser les limites du corps. Dans un essai inédit, Pascal Bruckner pénètre au cœur de l’expérience de la crise qui fait perdre à la civilisation européenne son aura dans le monde. Et dessine les ressources pour la traverser sans (trop) perdre de plumes.
Dossier Sommes-nous faits pour vivre à deux ? Nous avons désormais le droit de tout expérimenter : solitude, divorces, configurations érotiques diverses et recompositions acrobatiques. Comment se fait-il alors qu’après avoir tout balayé, nous soyons encore accrochés au bon vieux couple ? Réponses des principaux intéressés, mais aussi de Frank Cézilly, spécialiste des comportements animaux, de l’ethnologue Laurent Barry, de Claude Habib, d’Irène Théry, de Luc Ferry ou de Roland Jaccard, ce célibataire militant…
Les philosophes
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Entretien Nicolas Grimaldi
Ancien grand professeur à la Sorbonne, il nous reçoit dans son repaire, un ancien sémaphore sur la Côte basque. Cherchant la vérité dans la solitude, il interroge sans relâche les énigmes de la conscience, le rapport au temps et conçoit la vie comme un rayonnement.
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Clivages Intérêt / Désintérêt, par Pierre-Henri Tavoillot Haut lieu Buenos Aires, la bibliothèque de Jorge Luis Borges L’exemple / La phrase choc / L’art d’avoir toujours raison
Deleuze : Mille concepts sur un plateau
C’est le plus fou, le plus pop, le plus influent des penseurs français contemporains. De l’anti-Œdipe au corps sans organes, en passant par le rhizome et la déterritorialisation, tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Deleuze sans avoir jamais osé le demander.
N° 62 paraîtra le 23 août
Retrouvez-nous sur Internet www.philomag.com Ce numéro comprend un supplément de 16 pages, Dialogues, avec Claire Parnet (extraits), en cahier central (agrafé entre les pages 54 et 55).
N° 61 — JUILLET/Août 2012
Les livres 92 Sélection essais philo 96 Sélection sciences humaines 98 Sélection romans 99 Sélection bandes dessinées 100 102 104 106
Agenda La BD de Jul Tests et jeux Le questionnaire de Socrate Sébastien Tellier
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Exclusif Mikhaïl Khodorkovski
L’ennemi intime de Poutine Derrière les barreaux depuis 2003, Mikhaïl Khodorkovski n’a pas l’intention de se taire. De la colonie pénitentiaire de Carélie où il est enfermé, le milliardaire déchu a répondu, par écrit, à nos questions. De Dostoïevski à Sakharov, de l’expérience du temps qui passe en prison à sa vision de l’avenir de la Russie, il dessine le tableau d’un pays face à son destin.
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ais qui est Mikhaïl Khodorkovski ? Première hypothèse : l’héritier des grandes figures de l’histoire russe, qui ont vécu le bagne ou le camp, et que cette expérience a profondément transformées. Après Dostoïevski ou Soljenitsyne, Khodorkovski, qui purge sa neuvième année de peine dans une colonie pénitentiaire de Carélie [au nord-ouest de la Russie], n’est plus l’entrepreneur insolent des années 1990. Il a découvert les privations, les vexations, le mensonge généralisé, mais aussi l’indépendance d’esprit et le goût de la lenteur. Deuxième hypothèse : une nouvelle incarnation de la dissidence. Après les scientifiques, les ingénieurs, les artistes ou les philosophes des années 1960-1970, qui se battaient pour les droits de l’homme et la liberté de pensée, ce sont désormais les entrepreneurs qui sont punis pour vouloir construire un avenir économique ouvert et sans corruption, dans un pays où les pots-de-vin et les confiscations se pratiquent à grande échelle. Troisième hypothèse : un ancien milliardaire qui a utilisé tous les vides juridiques et les jeux d’influences pour bâtir son empire. Et qui paie désormais, pour l’exemple, les dérives du capitalisme sauvage postsoviétique. Les autres oligarques se sont enfuis ou se sont pliés à la « verticale du pouvoir » poutinienne. Pas lui. Il en subit les conséquences. Ces trois versions du personnage transparaissent dans l’entretien qu’il nous a accordé. Le récit de son quotidien de
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prisonnier révèle une expérience existentielle profonde. Lorsqu’il sera libéré, en 2016, il ne sera assurément plus le même. À travers sa critique de l’arbitraire du régime actuel, il se reconnaît dans les grandes figures de la dissidence. Enfin, dans son plaidoyer pour une Russie moderne intégrée à l’Europe, on entend le chef d’entreprise mais aussi l’homme politique qui compte bien jouer un rôle dans l’après-Poutine. Mikhaïl Khodorkovski est tout cela : un puissant déchu qui vit une rédemption personnelle derrière les barreaux ; un prisonnier politique qui incarne désormais l’anti-Poutine ; un leader que l’on tente de détruire, mais qui tient bon car il croit en son avenir. Il a accepté de répondre à nos questions par écrit. Il y a plusieurs mois, nous les avons communiquées à l’un de ses avocats, Youri Schmidt. Elles ont été envoyées par courrier à la colonie pénitentiaire où est enfermé Mikhaïl Khodorkovski. Elles ont été vérifiées par la censure, puis transmises au prisonnier. Celui-ci a répondu par écrit, à la main, et a renvoyé son texte par la poste – après vérification par la censure interne qui, d’après nos informations, n’a rien interdit ni modifié. Il a mis ses analyses sur le papier dans la période qui se situe entre la victoire de Vladimir Poutine aux élections présidentielles du 4 mars dernier et son intronisation début mai. À leur lecture, on voit se dessiner une figure encore mystérieuse, mais au courage et à l’intelligence exceptionnels.
© Alexander Natruskin/Reuters
Propos recueillis par Michel Eltchaninoff / Traduit par Galia Ackerman
— Philosophie Magazine
L’enfermement Qu’est-ce qui a changé, dans votre vie quotidienne, depuis que vous avez été transféré en Carélie ? Comment se déroule « une journée de Mikhaïl Borissovitch » ? Mikhaïl Khodorkovski : À la différence de la maison d’arrêt de Moscou, ici, en Carélie, on peut se promener dans une petite cour, à l’air libre. La vie se déroule en baraquement, dans un foyer de cent cinquante personnes, où il n’y a pas de chambres fermées et d’où l’on amène les gens au travail, à l’atelier. Nous y réalisons des travaux peu qualifiés. C’est toujours mieux que de passer toute la journée dans une cellule. En même temps, il n’y a ici qu’un seul téléviseur pour tout le monde et il n’est possible de regarder les nouvelles que sur la première chaîne, et seulement une fois par jour 1. Je ne peux travailler pour moi et lire que le soir, après une journée entière de travail à l’atelier – mais on est tout le temps dérangé par toutes sortes de bêtises. En revanche, tous les trois mois, il est possible de passer trois jours avec sa famille dans une pièce spéciale. Il est donc plus difficile de travailler, mais plus facile de vivre. Vous avez écrit : « La prison rend libre. » Dans quel sens ? Aujourd’hui, me trouvant en prison, je me sens indépendant. Je ne suis responsable ni d’une compagnie ni des gens. On peut me mettre au cachot, ce qui s’est déjà produit à de nombreuses reprises. Mais, en comparaison avec la privation de liberté, cela n’est rien. Ainsi, mon « censeur intérieur » s’oriente exclusivement sur mes propres représentations de ce qu’il faut faire. Les facteurs extérieurs jouent un rôle bien moins important qu’auparavant. C’est dans ce sens que je me sens plus libre. Vous avez également affirmé que le camp est un antimonde où le mensonge est la norme… Les tribunaux et la police russes ne ressemblent pas à leurs homologues européens. Si jamais un policier européen ment à un juge, il s’agit d’une exception. Le policier russe, lui, ment, en règle générale, au gré de ce que lui demandent les autorités. Du coup, c’est la vérité qui devient une douce exception. C’est la même ligne de conduite que s’approprient les prisonniers. Ici, la tromperie est la norme. Tout le monde ment à tout le monde. Bien sûr, avec le temps, on commence à y voir clair et suffisamment bien pour se repérer. Cependant, cela reste abject d’un point de vue moral. Le bagne a profondément bouleversé la vision du monde de Dostoïevski. La vôtre, après huit années de détention, a-t-elle changé ? Sans aucun doute, plus de huit ans d’enfermement m’ont fait changer et ont modifié ma vision du monde. Cependant, contrairement à l’aristocrate Dostoïevski, il ne m’a pas fallu « apprendre à connaître le vrai peuple russe ». Car je côtoie N° 61 — juillet/août 2012
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© Mark Zibert/Puma ; Tim Mansell/Oxford University Press
Essai
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— Philosophie Magazine
Jeux Olympiques
corps L’au-delà du
À chaque nouveau record, c’est la question des limites physiques qui est posée. Lorsque les athlètes utilisent des prothèses ou s’enferment dans des « chambres d’altitudes », ils se transforment eux-mêmes. Pour le philosophe David Edmonds, cela nous oblige également à redéfinir l’essence même de la performance. Traduit par myriam dehenny
L
x Diplômé de l’Open University au Royaume-Uni, ce philosophe spécialiste du jeu et du sport a notamment signé Bobby Fischer Goes to War (« Bobby Fischer s’en va en guerre », Ecco, 2004, non traduit) et la série de podcasts Philosophy Bites, sur Internet.
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e 10 000 mètres couru par l’Australien Ron Clarke aux jeux Olympiques de Mexico en 1968 ne vous évoque aucun souvenir ? Cette course, qui a fait la Une des journaux, a marqué un tournant décisif dans l’athlétisme de compétition. Clarke, quant à lui, s’estime heureux d’en être sorti vivant. Sous le regard consterné de 55 000 spectateurs, cette course a bien failli tourner à la catastrophe. Dans le troisième tour, l’un des coureurs s’effondre et, à six tours de l’arrivée, deux autres jettent l’éponge. Le rythme n’est pourtant pas particulièrement soutenu : à mi-parcours, le chronomètre affiche le résultat le plus médiocre depuis les Jeux de 1924, à Paris. À deux tours de la ligne d’arrivée, Clarke (précisons qu’il détenait plus de records que tous ses concurrents et que les bookmakers le donnaient gagnant) est dans le peloton de tête. « Je ne m’étais jamais senti aussi bien », dira-t-il. Mais voilà que tout à coup il s’essouffle et se laisse distancer. De ce dernier tour, couru en quatre-vingt-dix secondes, il ne gardera aucun souvenir : « D’habitude, je le courais en soixante-quatre. » Sitôt franchie la ligne d’arrivée, en sixième position, il s’effondre. Un témoin rapporte qu’il est « pâle comme un zombie » ; d’après un reporter du Los Angeles Times, « un macchabée aurait meilleure mine ». « Heureusement, le médecin m’a vu tourner de l’œil », raconte Clarke. Placé sous oxygène, enveloppé d’une couverture, il est
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Essai
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L’Europe au crépuscule
Comment traverser la crise ? À l’heure où le destin du Vieux Continent se joue dans l’un de ses berceaux, la Grèce, Pascal Bruckner dresse un sombre tableau de l’état du monde occidental… Tout en livrant des solutions qui lui font refuser la fatalité du déclin. Révolution copernicienne
« Il est étrange de vivre consciemment la fin d’une civilisation » _Charles de Gaulle
L © Colin Anderson/gettyimages ; Olivier Roller/Grasset.
x Philosophe et romancier, Pascal Bruckner a été professeur à la New York University et à l’Institut d’études politiques de Paris. Il a reçu le prix Médicis de l’essai en 1995 pour La Tentation de l’innocence (Grasset). Dernier ouvrage paru : Le Fanatisme de l’apocalypse. Sauver la Terre, punir l’Homme (Grasset, 2011).
es mauvaises nouvelles s’accumulent : l’Europe va se décomposer, l’économie se disloque, le capitalisme ne survivra pas à la mort de son ancien ennemi, le communisme. Vingt-trois ans à peine séparent la chute du Mur du grand marasme qui nous frappe : vingt années décisives où l’Europe et l’Amérique sont passées du triomphalisme au doute, de la gloire à la stupeur. Pour nous, la roche Tarpéienne a bien suivi le Capitole et personne, hormis quelques rares esprits, n’a vu arriver la chute. Nous sommes dans la situation de ces bourgeois déclassés qui perdent leur fortune en quelques mois et vivent le dénuement avec la mentalité de leur ancienne opulence. Nous n’y croyons pas, nous restons en état de sidération. Il y a dans cet empilement de disgrâces quelque chose de presque comique, comme si à chaque malheur répondait immédiatement une avalanche d’autres infortunes. Le sol se dérobe sous nos pieds par séries de décrochages successifs : un désastre ouaté mais terrible. Chaque fois que nous pensons toucher le fond, un autre gouffre s’ouvre sous nos pas. Quand tout se délite, il faut acquérir non seulement le sens de la résistance mais surtout celui de la nuance. Il y a de la complaisance dans notre pathos de la chute car la situation, si dégradée soit-elle, resterait enviable à bien des peuples démunis pour qui nous restons « des étrangers au ventre plein » (Xi Jinping, le futur leader chinois).
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Ce qui nous rendait libres depuis 1945, c’était la conjonction de la prospérité matérielle, de la redistribution sociale et des progrès technologiques. C’était aussi la certitude de la paix garantie par la construction européenne et la dissuasion nucléaire. À l’abri de cette quadruple enceinte, nous pouvions vivre insouciants, nous construire en personnes libres, maîtres de leur destin. Que ces piliers vacillent, que la dette plombe nos économies, que le chômage frappe, que se désintègre le filet de protections tissé par l’État providence, que reviennent partout la grande pauvreté et la mendicité, que les périls climatiques sapent notre confiance dans les vertus du progrès et nous voilà touchés dans nos œuvres vives, passant de la désinvolture à l’effroi. Si tant de citoyens se sentent angoissés, c’est que les amortisseurs classiques se sont estompés, laissant chacun face à des problèmes de plus en plus lourds. Plus rien ne semble atténuer la brutalité de la mondialisation. L’Europe n’est plus un refuge, elle se désagrège : censée nous protéger, elle est devenue le vecteur même du trouble, comme un temple qui s’effondre sur ses fidèles. Le pire n’est plus inconcevable, ni la fin de tout ce à quoi nous tenions. De là que tant de nos contemporains se barricadent dans les nations, les régions, la famille, comme on s’enferme chez soi lorsque la tempête fait rage. D’un bout à l’autre de la chaîne, le spectre de la faillite menace : faillite des classes moyennes guettées par la prolétarisation mais aussi de l’Europe et des États-Unis, dépassés dans le domaine qui était leur prérogative, l’excellence économique. Voilà le temps des États dégradés par les agences de notation comme des cancres. Plus que jamais les deux grandes instances qui dirigent le monde sont l’école et le tribunal : dans une époque de concurrence farouche, nous sommes toujours à la fois jugés et notés, soumis à l’examen et à l’évaluation de nos pairs. Notre détresse vient d’une réussite qui nous a engourdis : l’Europe se présentait à ses membres comme une forteresse qui allait nous prémunir à
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DOSSIER
Sommes-nous
faits pour
vivre à deux ? C
’est notre plus cher paradoxe. La banalisation du divorce et l’affirmation du droit au plaisir ont bouleversé la vie conjugale. Mais une chose n’a pas changé : notre attachement à la vie de couple. Les célibataires cherchent l’âme sœur sur Meetic, les homosexuels réclament le droit au mariage, alors que la polygamie tend à disparaître. Y aurait-il donc une raison à cette consécration du chiffre deux ? Luc Ferry, théoricien de la « révolution de l’amour », nous livre son regard sur cinq témoignages de la vie de couple, tiraillés entre aspiration à la durée et attraction pour le multiple. Claude Habib, spécialiste du romantisme, s’interroge sur la tentation de l’adultère à l’heure où la sexualité est devenue constitutive de notre identité, tandis que Roland Jaccard rappelle avec humour que le mariage est une entreprise de destruction de la liberté. Au terme de ce parcours, le deux apparaît non pas comme la solution enfin trouvée au problème amoureux mais comme une structure fragile où nous cherchons une issue à notre solitude métaphysique.
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Retrouvez le thème de notre dossier dans l’émission Du Grain à moudre, le 5 juillet à 18 h 20. À écouter aussi sur franceculture.fr
— Philosophie Magazine
Š Rodney Smith
LES PHILOSOPHES L’ENTRETIEN
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Nicolas Grimaldi
« Je ne veux plus que souffler sur les braises de la vie » Celui qui fut un grand professeur à la Sorbonne réside aujourd’hui, presque retiré, sur la Côte basque. Cherchant la vérité dans la solitude, il brasse dans son œuvre des thèmes atemporels – le désir, le temps, l’amour… Et cultive une éthique de la joie comme communion avec les autres. Propos recueillis par Martin Duru / Photos Gabrielle Duplantier
À
quelques mètres en contrebas, les vagues de l’océan Atlantique se brisent sur d’étranges feuilletés de schiste et répandent leur embrun. De l’autre côté, derrière un flanc de collines verdoyantes, c’est l’Espagne. Nous sommes à l’extrême pointe de la Côte basque. Plus précisément, sur les hauteurs de Ciboure, commune mitoyenne de Saint-Jean-de-Luz, dont la baie s’offre au regard. Hôte exquis, Nicolas Grimaldi nous reçoit dans son singulier repère, un ancien sémaphore qu’il a aménagé et dans lequel il vit depuis plus de quarante ans. La bâtisse est solide, austère, dominée par sa petite tour caractéristique. L’horizon, ciel et mer confondus, s’étend directement en face, si bien que le sentiment d’être à l’écart de tout s’impose inexorablement. C’est là que cet ancien grand professeur d’université – il a notamment été onze ans en poste à la Sorbonne – construit en solitaire son œuvre, où la métaphysique dialogue avec les arts et la littérature. Comme en écho avec l’endroit où il habite, Nicolas Grimaldi arpente inlassablement des thèmes atemporels : la conscience, le désir, le temps, l’imaginaire, l’amour, le sens de la vie… L’entretien se déroule d’abord dans un salon élégant avec N° 52 — septembre N° 61 Juillet/août 2012 2011
vue, dont les murs sont recouverts de certaines de ses toiles – « Peindre me fatigue en me reposant », confie-t-il, en amateur de paradoxes. Après une escapade en voiture dans l’arrière-pays, la discussion se poursuit dans un restaurant de fruits de mer, côté espagnol, à Pasajes. Le philosophe ne s’y était pas rendu depuis un moment et il est effaré de voir à quel point l’environnement urbain a changé, s’est bétonné : « Je ne me reconnais plus dans ce monde. » Mais trêve de mélancolie. Où qu’il soit, Nicolas Grimaldi s’exprime dans une langue très élaborée, parfois délicieusement surannée – à en rappeler l’existence de l’imparfait du subjonctif… Si l’expression « parler comme un livre » lui va comme un gant, nous sommes néanmoins face à un volcan. À chaque question posée, il commence sa réponse par un murmure caressant, presque hésitant, qui bute, se cherche ; puis trouvant la voie, il s’embrase, incandescent, comme possédé. L’un de ses essais s’intitule Socrate, le sorcier et montre en quoi le maître de Platon envoûtait ses interlocuteurs. Même devant une langouste grillée, tel est Nicolas Grimaldi : un sorcier, un mage consumé par la pensée. Et l’incendie de se propager à ceux qui l’écoutent.
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Les philosophes Le grand auteur
deleuze Les flux du désir
© Illustration : Séverine Scaglia/Costume 3 Pièces pour PM ; photo : Hélène Bamberger/Opale.
Entrer dans sa pensée, c’est comme pénétrer une jungle luxuriante. Comme autant d’espèces sauvages, les mots et les notions les plus étranges y prolifèrent : « rhizome », « déterritorialisation », « corps sans organes », « machines désirantes », « devenir-animal »… Météore du paysage intellectuel français du XXe siècle, Deleuze conçoit la philosophie comme une activité de création de concepts, tâche à laquelle il s’est attelé avec une rare inventivité. Le cocktail est détonnant : son côté très pop, renforcé par son intérêt pour les arts, s’allie à une métaphysique complexe, qui met la différence et le devenir au premier plan. Contre tout ce qui empêche ou réprime le surgissement du nouveau, il en appelle à l’éclosion des singularités, à la mise en branle du désir envisagé comme flux créateur et subversif. Il s’agit toujours pour lui de s’arracher aux normes et aux identités préétablies pour intensifier l’existence. Alors, comme l’été est propice aux escapades et aux « lignes de fuite », expérimentez l’effet Deleuze.
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Livres
pour tous lecteur curieux lecteur motivé lecteur averti
sélection essais philo Pendant que j’y pense par Catherine Portevin
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La génération des enchantés L’époque donne de la voix. Un signe que Vincent Delecroix trouve réjouissant et replace dans une exploration du chant, d’Homère à nos jours. Par Philippe Nassif
Chanter / Vincent Delecroix / / Flammarion / 350 p. / 19 €
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u commencement, il y a la parole. Oui mais à l’origine ? C’est dans le chant que notre être s’enracine. Telle est l’idée qui rythme le riche essai de l’écrivain et philosophe Vincent Delecroix. De sa table de travail, il entend sa femme cantatrice répéter ses arias… et compose du coup des phrases comme : « Le désir est chantant avant de prendre la parole. » L’auteur explore le chant sous toutes ses tonalités. Le poète américain Walt Whitman « chante le corps électrique », tandis qu’Homère délivre le secret du chant des sirènes. On assiste au tragique destin de rock star d’Orphée. Platon utilise le chant à des fins pédagogiques, Kierkegaard est fasciné par sa libération chez Don Giovanni de Mozart, pure expression du désir. On entend encore la vulgarité bonasse des comédies musicales françaises ou les modulations vocales éternellement adolescentes des chanteurs pop. S’explicite ainsi un démocratique exercice de soi auquel, sans doute, nous devrions être plus attentifs : après tout, chanter, n’est-ce pas se donner la possibilité de laisser vibrer à l’unisson toutes les dimensions de notre être ? D’où l’intuition de Delecroix : une époque qui chante tant ne peut être aussi désenchantée qu’elle le prétend. Il ne s’agit pas d’entonner le refrain du réenchantement du monde. Mais de comprendre que le présent est ouverture : « Un lieu […] où l’on joue sa parole, où on la risque, où l’on peut effectivement la perdre, où l’on peut la reprendre. » Et d’ajouter, « reprends-la : chante ». — Philosophie Magazine
© Pierre Emmanuel Rastoin pour PM ; Julie de Waroquier.
e temps est l’allié des livres. En été, on a le temps. L’été est donc le second allié des livres. Voici une loi fondamentale qui justifie les « sélections de livres pour l’été » dans les journaux qui ne prennent pas leurs lecteurs pour des valises. Nous qui sommes, à Philosophie magazine, conscients de la nécessité anthropologique de la loi pour régir la vie commune, nous la respectons donc avec joie et sérieux. Nous n’avons pas cherché le prototype du « livre d’été » – qui pourtant existe : le « livre d’été » parle de « sujets d’été » (soleil, nature, plage, drague, chagrin d’amour, corps sain, farniente, salade composée, grillades, cancer de la peau…). Il y a juste ici des livres qui aèrent l’âme, qui la font chanter ou errer au rythme du blues ; il y a de quoi voyager avec Nietzsche vers le Sud, respirer le vent avec Thoreau et même s’étourdir avec la cartographie des limbes inventée par la bande dessinée. Un en-cas pour la route : Les Lois fondamentales de la stupidité humaine (PUF). Le grand historien de l’économie Carlo M. Cipolla, après s’être échiné toute sa vie à déjouer la scientificité des économistes, y dessine une classification tout aussi « scientifique » de l’humanité, séparée en « intelligents », « crétins », « bandits » et « stupides ». On repère en général les crétins… Mais les stupides ? Ceux dont les actes nuisent à tous, y compris à eux-mêmes ? « Ce sont les plus dangereux », prévient Cipolla, en certifiant en avoir repéré un pourcentage stable dans toutes les couches de la société, jusqu’aux illustres prix Nobel. Si vous commencez ce traité de la stupidité, vous manquerez votre train. Ce serait bête !
Bleu évasion
Philosophie du blues Philippe Paraire
/ Les Éditions de l’Épervier / 204 p. / 14 €
Leçon d’intelligence
Culture ou mise en condition ?
Hans Magnus Enzensberger / Trad. de Bernard Lortholary / Les Belles Lettres / 336 p. / 15,50 €
Chaque nouvel essai de H. M. Enzensberger – romancier, poète, dramaturge, et influent intellectuel de la gauche allemande – est une leçon d’intelligence. Ces seize essais – critiquant la langue journalistique ou explorant l’œuvre du poète américain Carlos Williams Carlos – publiés à l’orée des années 1960 pourraient tout aussi bien être imprimés aujourd’hui sans perdre une once d’actualité et de style. Ainsi, les trente pages consacrées à l’esprit du tourisme. Plutôt que de dénigrer le voyagisme industriel, Enzensberger préfère démontrer l’ineptie de ceux qui, au nom d’un âge d’or du tourisme, s’élèvent contre sa dégradation par les masses. C’est oublier que le tourisme, dès sa naissance avec les Romantiques, est déjà une illusion de bonheur : une « liberté qui n’est qu’une imposture » puisqu’on est assuré de rentrer chez soi. Et qui attend qu’on lui oppose, à l’instar de toute industrie culturelle, l’affirmation de notre liberté réelle. P. N. N° 61 — Juillet/Août 2012
C’est un secret du temps présent qui, telle la lettre volée d’Edgar Poe, est pourtant devant notre nez. Le blues, cette musique de vagabonds noirs se lançant sur les routes américaines pour fuir la ségrégation, s’est imposé, à travers ses déclinaisons rock ou hip-hop, comme le premier folklore véritablement mondial. Car, démontre Philippe Paraire, le blues témoigne d’un mode de vie qui est devenu notre lot commun, « une éthique de l’errance solitaire » qui est aussi un cheminement vers soi. Commentant les textes, res suscitant les légendes, analysant la musique, l’auteur décrypte les motifs de l’errance intérieure, sexuelle, sentimentale, géographique, sociale ou addictive qui font écho à la vie des jeunes générations « possédées de l’intérieur par l’idée de l’évasion ». Et il éclaire d’une lumière bleutée la pulsation tragique qui anime la vie à l’ère du capitalisme tardif. P. N.
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Livres Sélection essais philo
Grand vent
Journal (1837-1840) Henry David Thoreau
/ Trad. de Thierry Gillybœuf / Finitude / 256 p. / 22 €
La force du Sud
Le Voyage de Nietzsche à Sorrente Paolo D’Iorio
/ CNRS Éditions / 248 p. / 20 €
Automne 1876 : Nietzsche approche le soleil. Le jeune auteur de Naissance de la tragédie séjourne à Sorrente dans le golfe de Naples avec quelques amis, dont Paul Rée. Cet hiver méditerranéen sera décisif. Le philosophe élit le Sud pour éclairer la suite de son œuvre : « Je n’ai pas assez de force pour le Nord » et pour ses « âmes balourdes et artificielles » ; mais « assez d’esprit pour le Sud », écrira-t-il. Le Sud consacrera sa rupture avec Wagner. Le Sud sera le ferment de sa philosophie de l’esprit libre et du Gai Savoir. Le Sud changera le sens du nihilisme par la force d’un adverbe : « pourtant » (trotzdem) – « rien n’a de valeur, tout est vain, pourtant… ». Le philosophe Paolo D’Iorio restitue pas à pas, document après document, presque mot à mot, la genèse (et regénèse) de la mue nietzschéenne. Passionnante traversée de l’histoire d’une pensée. C. P.
Le Bordelais Finitude a entrepris la publication de l’énorme Journal de Thoreau. Voici le premier volume et préparez vos bibliothèques pour recevoir les quatorze suivants. Pas de risque de les voir prendre la poussière. Le verbe du philosophe, lyrique, poétique, parfois même pince-sans-rire (bien servi par la traduction de Thierry Gillybœuf) est trop ouvert au grand vent des forêts du Massachusetts pour en avoir le temps. Notes de lectures, aphorismes, observation des éléments et de la nature… autant de « glanures » portant en germe les futures révoltes (La Désobéissance civile) et retraites dans les bois (Walden). « Qui n’a jamais prêté l’oreille au vacarme infini du Silence ? » interroge Thoreau en décembre 1838. Une « pensée éveillée » bien décidée à nous étonner. Victorine de Oliveira
Locus solus
Espace et lieu dans la pensée occidentale Thierry Paquot et Chris Younès (dir.) / La Découverte / 320 p. / 26 €
Pour bien s’orienter dans la pensée, il faut d’abord trouver le Nord. Mais qu’indique la boussole au juste ? L’espace existe-t-il indépendamment de notre perception – comme l’espace absolu de Newton – ou n’existe-t-il – comme chez Leibniz – que parce que des objets le constituent ? De Platon à Nietzsche en passant par Marc Aurèle, Emerson et bien d’autres, le recueil rassemblé par Thierry Paquot et Chris Younès parcourt la « géohistoire » de la philosophie du lieu (commun ?), du paysage et de l’orientation. Replaçant chacun dans son espace-temps, il fournit une somme de repères pour… ne pas perdre le Nord. Chloé Salvan
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Mutation technologique
États de choc
Bernard Stiegler / Mille et Une Nuits / 356 p. / 18 €
La crise financière mondiale nous laisse en « état de choc ». Bernard Stiegler s’inspire ici de la fameuse « stratégie du choc » de Naomi Klein : ou comment les économistes ultralibéraux ont poussé les gouvernants à exploiter les crises – au Chili dans les années 1970 ou à la NouvelleOrléans en 2004 – pour imposer un capitalisme désentravé. Plus profondément, le choc est, selon lui, technologique : il est causé par les mutations de la technique, le grand refoulé de la philosophie, qui, pour Stiegler, prend aujourd’hui le visage abêtissant d’un « marketing planétaire » sans limite. Nous sommes en crise parce que nous ne pensons pas le lien anthropologique entre la technique et le désir. Et c’est parce que l’Université ne s’approprie pas les nouveaux outils numériques qu’elle n’est plus capable d’assurer une autonomie de la pensée, donc, pour Stiegler, les moyens d’« une souveraineté nationale ». Un intéressant rapport d’étape d’une œuvre qui cherche – et réussit – à tracer les contours du basculement en cours. P. N. — Philosophie Magazine
Face cachée
Bio animée
Les Larmes de Hegel Olivia Bianchi et Édouard Baribeaud
/ Ollendorff et Desseins / 182 p. / 24,40 €
Découvrir un penseur aride sur la plage est désormais possible grâce à cet ouvrage d’introduction au philosophe allemand G. F. W. Hegel (17701831), serti d’illustrations drolatiques. Parcourant les grands thèmes de sa pensée (notamment l’histoire, l’art, la religion, l’amour), l’auteur insiste sur le coup de génie du philosophe : avoir fait du négatif (la souffrance) un moment d’un processus plus large qui peut le transmuer en une nouvelle affirmation positive – les larmes de douleur peuvent devenir larmes de joie ou d’émotion. C’est la dialectique, qui concerne les aspects les plus concrets de l’existence et nous pousse à voir le monde d’un œil neuf. Hegel est ici rendu à la vie. Michel Eltchaninoff
Emmanuel Levinas, l’intrigue de l’humain Miguel Abensour
/ Hermann / 98 p. / 16 €
Vous dites Levinas, on vous répond le visage, l’altérité de l’Autre (majuscule oblige). Mais il y a chez Levinas plus que certains levinassiens du dimanche ne veulent bien le voir. Une pensée du politique, par exemple, d’autant plus subversive qu’elle met en question les catégories classiques de la philosophie politique. Miguel Abensour, penseur qui appréhende la politique « non pas dans ce qui la légitime mais dans ce qui vise à la détruire », rend justice à ce Levinas visionnaire de « Quelques réflexions à la philosophie de l’hitlérisme » (1934), à ce Levinas qui aurait élaboré un véritable « contre Hobbes » en réhabilitant l’hypothèse d’un « humain utopique », à ce Levinas qui lit Marx, Buber, Bloch et parle d’anarchie. Un Levinas sulfureux. Ça fait du bien. Noémie Issan-Benchimol
Science dans le boudoir
Épistémologie pour une marquise Pascal Engel
/ Les Éditions d’Ithaque / 180 p. / 16,23 €
La philosophie comme sagesse a bonne presse. Et c’est tant mieux. La philosophie comme science fait peur ou fait tyrannique. Et c’est dommage. Pascal Engel, assumant la difficulté de l’exercice, renoue avec la tradition des entretiens de formation de Fontenelle et offre un aperçu instructif, pédagogique et parfois polémique des grandes questions actuelles d’épistémologie, de métaphysique et de philosophie morale et religieuse. Un livre exigeant à mettre entre les mains de toutes les marquises et marquis postmodernes. N. I.-B. N° 61 — Juillet/août 2012
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Livres sélection essais sciences humaines
Les mots d’un conflit
Engagements et Déchirements
À travers des récits de patients, le psychiatre Henri Grivois propose une histoire de la folie à l’âge moderne, qui nous concerne tous. Par Martin Legros
« Grandeur de la folie / Henri Grivois / / Robert Laffont / 252 p. / 19 €
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out le monde est en moi et je suis en tout le monde. J’ai l’impression d’être la seule et je n’aime pas ce sentiment », clame Elvire, 20 ans. « Je suis la personnalité de milliards d’êtres humains, des hommes, des femmes, des enfants », affirme Fabrice, 17 ans. Ces témoignages de crises psychotiques, Henri Grivois, fondateur des urgences psychiatriques à l’Hôtel-Dieu, à Paris, en a recueilli des centaines. Il en a retiré une toute nouvelle conception de la folie. En deçà du délire qui enferme le patient dans son for intérieur, la folie est avant tout l’expérience d’une extraordinaire ouverture : « Tout leur être est ouvert et public. Ils s’imaginent comme le point de mire ou la cible de leurs congénères. » D’où vient cette expérience ? La réponse de Grivois, très féconde sur le plan médical, a une portée philosophique : les psychotiques nous révèlent, sous le mode du dérèglement, une fonction interindividuelle constitutive de l’humanité. Nous sommes branchés et concernés les uns par les autres. Cette fonction, « le concernement » – qui n’est ni de l’empathie ni de la compassion – précède toute relation interpersonnelle, sans même que nous la ressentions. Contre les psychiatres qui attendent que la crise se déclare pour la traiter, Grivois préconise que l’on accueille les psychotiques avant qu’ils ne formulent leur trouble en délire – d’où son combat pour les urgences. « Ils vivent seuls, en acte, l’espèce humaine. » Il faut le leur dire. Méfiant vis-à-vis de la théorie, Grivois a l’audace d’aller chercher une confirmation de sa thèse dans trois grands récits de crise : celle de Jésus (« Je porte le péché de tous les hommes »), de Nietzsche (« Je suis chaque nom de l’histoire ») et de Rousseau (« Je suis le seul à être tout le monde »). Il nous fait partager dans ce livre sa conviction d’avoir touché au roc de la folie naissante : « Endosser jusqu’à son terme l’irrévocable et inaccessible lien avec nos semblables. »
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/ Gallimard-Imec / 264 p. / 39,90 €
La guerre d’Algérie fut la première guerre où les mots pesèrent. Dans les revues et les journaux s’affrontèrent nombre d’intellectuels pas encore nommés « médiatiques » : Sartre, Vidal-Naquet, Camus, Jeanson, Mauriac, Soustelle, Paulhan, Domenach… Lire la guerre d’Algérie par ces débats d’idées ressemble donc à une archéologie de la vie intellectuelle d’aujourd’hui. Où les lignes de partage transcendent le clivage gauche/droite. Où l’engagement des intellectuels fut loin de se réduire au Manifeste des 121 (publié d’ailleurs tardivement, en 1960), qui réclamait le droit à l’insoumission. Voir, par exemple, cette lettre inquiète de Kateb Yacine à Albert Camus en 1957, qu’il sent s’éloigner : « Exilés du même royaume nous voici comme deux frères ennemis […]. Irons-nous ensemble apaiser le spectre de la discorde, ou bien est-il trop tard ? » C. P. [Ce livre est le catalogue d’une exposition qui se tient à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (Imec), à l’abbaye d’Ardenne (Basse-Normandie) jusqu’au 14 octobre.] — Philosophie Magazine
© Véronique aussi © Geoffrey Cottenceau & Romain Rousset
Ma folie, notre humanité
Catherine Brun et Olivier Penot-Lacassagne (dir.)
Histoire(s) de cirque
Chocolat, clown nègre Gérard Noiriel
/ Bayard / 329 p. / 21 €
Il fut le célébrissime « clown Chocolat » à la fin du XIXe siècle, le « clown nègre » battu par le clown blanc, face à un public qui n’avait jamais vu de Noirs. Toulouse-Lautrec immortalisa la souplesse de sa danse dans les cabarets parisiens. Il mourut dans la misère. Chacun ignora son nom (Rafael), d’où il venait (vendu jeune esclave à Cuba à un marchand portugais), comment il vécut et ce qu’il pensait, souffrait, voyait, comprenait de cette société coloniale. L’historien Gérard Noiriel a mené l’enquête à partir d’un document – les mémoires de Chocolat recueillies par un journaliste –, qu’il défait chemin faisant en réfutant une à une les informations. Pour l’historien, même les erreurs, même les mensonges, même les silences de l’histoire – et peut-être surtout eux – sont le matériau de l’histoire. Une belle histoire. C. P.
Sous influence
Reflets dans un œil d’homme Nancy Huston
/ Actes Sud / 98 p. / 16 €
La différence des sexes trouve ici sa plus simple expression : si les femmes ont la main sur la fécondité, elles vivent toujours sous le regard des hommes. Dérangeant un certain féminisme, Nancy Huston affirme qu’elles ne sont pas pour autant devenues des hommes comme les autres. C’est à se demander si la femme « libérée » ne s’est pas adaptée au désir masculin. À la maman, les hommes n’ont-ils pas de tout temps préféré la putain ? Le propos serait un peu facile si les intéressés n’avaient pas un droit de réponse. Cheminant ainsi, de rencontres en intuitions, de confidences masculines en destins féminins, la romancière signe une jolie galerie de portraits. C. S.
Nouvelles de l’art et de l’Orient
Florence et Bagdad Hans Belting
/ Trad. de Naïma Ghermani et Audrey Rieber / Gallimard / 377 p. / 35 €
Entre Renaissance italienne et science arabe médiévale, apprenons à déplacer notre regard, à libérer l’histoire de l’art d’un eurocentrisme qui l’appauvrit. Telle est la thèse forte de Hans Belting : l’art occidental de la perspective a fleuri sur une théorie d’origine arabe, une « théorie mathématique des rayons visuels et de la géométrie de la lumière ». Audacieuse, l’étude va au-delà d’un essai chatoyant sur le charme des différences culturelles. Elle a l’immense mérite, contre l’idée belliqueuse d’un « choc » des cultures, de nous faire entrer dans la « profondeur d’une histoire commune ». Agnès Gayraud N° 61 — Juillet/Août 2012
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Livres sélection romans et bandes dessinées
Destins croisés L’idéologue nazi Alfred Rosenberg fut obsédé par Spinoza. Le prétexte pour raconter les itinéraires de deux êtres que tout oppose. Par Pierre Péju
Le Problème Spinoza / Irvin Yalom / / Trad. de Sylvette Gleize / Galaade / 576 p. / 24,40 €
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oici un roman qui entend reposer quelques questions décisives. Le spinozisme : un remède à la bêtise ? L’antisémitisme : une pathologie curable dans certaines conditions ? La psychanalyse : une libération individuelle, dans la continuité de la pensée de Spinoza ? L’auteur, Irvin Yalom, est psychothérapeute et s’est fait un nom dans la fiction (avec Et Nietzsche a pleuré et La Malédiction du chat hongrois, parus au Livre de poche). Sa trouvaille romanesque ? Raconter alternativement les biographies de deux êtres que tout sépare : Baruch Spinoza que l’on suit dans sa vie quotidienne, mais surtout dans l’exposé dramatisé de sa philosophie (présentée comme rationalisme athée et sagesse moderne) ; et l’idéologue nazi Alfred Rosenberg, raciste obsédé et responsable de massacres de populations juives. Individu médiocre et buté, il est hanté par Spinoza depuis son enfance au collège où il a appris que Goethe, le plus grand écrivain et le « plus pur Allemand », considérait l’auteur de l’Éthique, d’origine juive, comme un génie universel. Il rédige pour Hitler des traités confus sur la supériorité de la race aryenne, tandis que Spinoza reste une écharde plantée dans sa cervelle. Il se montre incapable de « penser » au sens où Hannah Arendt employait ce mot, et sa fascination devient vite souffrance puis maladie mentale. Yalom a introduit dans son récit érudit deux personnages fictifs : un jeune homme inquiet qui questionne et stimule Spinoza. Et un médecin, adepte des thèses freudiennes (!), qui pousse Rosenberg dans ses retranchements. Le croisement de ces deux destins, l’un lumineux, l’autre criminel, que Yalom oppose de façon très (trop ?) frontale, invite finalement à une méditation sur la personnalité envoûtante de Spinoza.
Silence désaccordé
La Nébuleuse de l’insomnie António Lobo Antunès /
/ Trad. de Dominique Nédellec / Christian Bourgois / 347 p. / 20 €
Un domaine agricole sur le déclin au Portugal, une famille où règne un grand-père amer, des femmes à qui l’on dit « viens par ici ». L’un des héritiers, le narrateur, est autiste, un « idiot ». S’exprime la voix d’un esprit dérangé pour les uns, à fleur de peau pour ceux qui apprécieront sa musique toute faulknérienne. Merleau-Ponty a relevé l’illusion d’un silence intérieur « en réalité bruissant de paroles ». Lobo Antunès en donne un possible déchiffrage : « Ça va vite d’abord puis c’est de plus en plus lent et ça s’arrête au beau milieu du refrain. » V. D. O. Ces penseurs, mes héros
Le monde est dans la tête Christoph Poschenrieder /
/ Trad. de Bernard Lortholary / Flammarion / 319 p. / 21 €
Schopenhauer est à Venise, attendant la parution du Monde comme volonté et représentation, avec Goethe, lord Byron et Hegel. Chacun croqué avec une douce moquerie et une humble admiration. Bref, un roman (à thèse) où l’on rit ! V. D. O.
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Éloge du désespoir
Un petit roman lumpen Roberto Bolaño /
/ Trad. de Robert Amutio / Christian Bourgois / 94 p. / 12 €
Le réalisme magique vous barbe ? Vous en avez assez de cette ambiance de fantaisies pastellisées et de rêveries douceâtres dans laquelle se complaît trop souvent la littérature sudaméricaine ? Il est temps de lire Roberto Bolaño, écrivain chilien mort à l’âge de 50 ans, en 2003, et dont l’aura posthume ne cesse de croître. Cette année paraissent chez Bourgois en une seule salve trois livres fulgurants, qui constituent une parfaite introduction. Un petit roman lumpen progresse sur la corde raide de l’émotion – la narratrice semble arracher chacune de ses sentences courtes au plus profond des désespoirs, et c’est très beau. Les proses réunies dans Trois vibrent du même vertige. Curieusement, Les Chiens romantiques, petit recueil de poèmes sur lequel Bolaño a travaillé durant vingt ans, est plus éteint. Est-ce dû au caractère intraduisible de la forme ? Ou bien la poésie de cet homme ne rayonne-t-elle vraiment que dans sa prose ? Toujours est-il que Bolaño offre, en lieu et place du réalisme magique, un registre bien plus corsé : l’idéalisme désabusé. Alexandre Lacroix — Philosophie Magazine
Seuls / Fabien Vehlmann et Bruno Gazzotti / tome 7, Les Terres basses / / Dupuis / 56 p. / 10,60 €
S
i la dépendance est la condition de l’enfant et l’émancipation le rêve de l’adolescence, la solitude dans un monde sans adultes est sans doute l’expérience de pensée la plus inquiétante entre ces deux âges. Seuls, qui s’adresse d’abord à des préadolescents, en est la mise en scène brillante, aventureuse et cauchemardesque. Explicitement inspirée du classique Sa majesté des Mouches de William Golding, la série pose la question de la réinvention des conditions fondamentales de la vie sociale : la hiérarchie, les responsabilités, la division du travail, l’opposition des clans et l’émergence de la violence. Mais c’est la ville cette fois, envahie des animaux du zoo et d’autres mystérieux habitants terrifiants, et non la nature, qui est le théâtre familier et menaçant où Leïla, Dodji, Camille et les autres cherchent à déchiffrer le sens de leur incompréhensible solitude. Les Terres basses, septième et dernier épisode paru, toujours aussi haletant, a la beauté d’une cartographie mouvante des limbes. L’efficacité du dessin, la profondeur et l’audace du scénario donnent à l’ensemble de cette série Seuls l’envergure d’un classique pour tous. A. G.
Conscience des rêves
Manga parano
Les Incidents de la nuit
Billy Bat
David B.
Naoki Urasawa et Takashi Nagasaki / / 3 tome parus / Pika
/ tome 1 de l’intégrale / « Ciboulette » / L’Association / 136 p. / 13 €
éditions / 8,05 € chaque volume
Billy Bat se situe en pleine guerre froide, dans l’Amérique et le Japon des années 1950. Un dessinateur de comics découvre que l’apparence de son personnage, une chauve-souris détective, lui a été inconsciemment inspirée par un mystérieux graffiti japonais. Emblème inattendu de forces occultes qui règnent sur le monde austère et administré de l’après-guerre, la chauve-souris n’est pourtant qu’un dessin enfantin. Mais, chez Urusawa, les formes de l’enfance sont parfois le masque de la violence la plus crue. A. G.
Pérégrination onirique dans les archives d’une revue ésotérique du XIXe siècle fondée par le mystérieux Émile Travers, Les Incidents de la nuit poursuivent la réflexion de David B., entamée depuis Le Cheval blême (L’Association, 1992) et son chefd’œuvre autobiographique L’Ascension du Haut Mal (L’Association, 6 tomes, 1997-2003), sur le rêve, l’origine du mal et la mort. L’opacité est de mise, qu’on ne déchiffre qu’en y entrant. La réédition de la série est l’occasion d’avaler d’une traite ces récits érudits d’imagination pure. A. G. N° 61 — Juillet/Août 2012
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