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SeigneuR des AnneauX Le
Tolkien et son mythe
LE SEIGNEUR DES ANNEAUX
ÉDITORIAL
Comment garder espoir dans un monde qui s’effondre « Le plaisir que donne Tolkien, écrit Julien Gracq à propos du chef-d’œuvre que représente Le Seigneur des anneaux à ses yeux, est d’abord un plaisir d’affranchissement. La terre est neuve, la page est vierge, rien n’a encore été dit, la pure ivresse d’inventer se donne carrière : à bride abattue, en avant ! » Et en avant je suis allé. Ventre à terre même, lorsque j’ai entamé, page à page, le long périple du porteur de l’Anneau. C’était en 1973, dans un gros livre publié chez Christian Bourgois, je m’en souviens encore, à la couverture bleue tirant sur le violet d’évêque. À l’époque, les jeunes lecteurs dont j’étais, avaient le sentiment d’appartenir à un club exclusif et secret, disciples d’une culture underground, dans laquelle la Terre du Milieu offrait une destination non moins désirable – mais plus immédiate (et aussi moins déceptive, mais nous l’ignorions alors) – que les chemins de Katmandou. C’était, dit encore Gracq, « le surgissement du tout autre en littérature ». Le tout autre? On a peine à l’imaginer tant ils peuplent aujourd’hui l’imaginaire dès l’école primaire, mais tout était neuf: les Elfes et les Orques, les Hobbits et les Nains, l’œil de Sauron et les arbres plus agiles que ceux de la forêt de Dunsinane. Sans omettre les langages qui les ont fait naître: «L’invention des langues et celle d’une mythologie sont des fonctions connexes», explique Tolkien.
par Sven Ortoli rédacteur en chef
Avec lui, nous découvrions une forme étrange de nostalgie. « La mélancolie au cœur » d’un monde perdu, d’un passé qui ne s’est jamais passé, comme, quelques années plus tard, nous éprouverions avec Star Wars la nostalgie du « futur usagé » que réclamait George Lucas pour l’atmosphère de ses films.
© Warner Bros Pictures Diltz / Bridgeman Images
La nostalgie d’un monde qui célèbre la beauté « des choses qui poussent » : d’ailleurs Tolkien, note Vincent Ferré, « pense littéralement l’écriture comme un processus végétal ». Un monde dans lequel le combat contre le mal – et la « longue défaite » qui l’accompagne – questionne la volonté de s’affranchir de la finitude: «Mon œuvre est principalement concernée par la mort, l’immortalité et la tentation de fuite face à la mort.» À un journaliste qui lui demande une clef de son œuvre, il répond par une citation de Simone de Beauvoir : « Il n’y a pas de mort naturelle ; rien de ce qui arrive à l’homme n’est jamais naturel puisque sa présence remet tout en question. Tous les hommes sont mortels ; mais, pour chaque homme, sa mort est un accident et, même s’il la connaît et y consent, une violence indue. » Exception notable pour un homme qui ne cite quasiment jamais de philosophes. Dans un roman laissé en friche à la fin de la Seconde Guerre mondiale, The Notion Club Papers, son héros philologue s’en explique : « Je ne suis pas un philosophe, mais un expérimentateur. » En 1945, Albert Camus dit la même chose et ajoute : « Je ne crois pas assez à la raison pour croire à un système. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir comment il faut se conduire. » Tolkien offre une réponse : « Dans ce monde déchu, nous avons pour seuls guides, la prudence, la sagesse (trop rare dans la jeunesse, trop tard dans la vieillesse), un cœur pur et la fidélité de la volonté.» Simple comme Samsaget, le sage jardinier. PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE
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LE SEIGNEUR DES ANNEAUX
CONTRIBUTIONS
Marylin Maeso
Verlyn Flieger
Enrico Spadaro
Irène Fernandez
Philosophe et enseignante, Marylin Maeso est spécialiste d’Albert Camus. Elle vient de signer La Petite Fabrique de l’inhumain (Éd. de L’Observatoire, 2021), relecture de La Peste, dans laquelle elle défend un universalisme critique, fidèle à l’esprit républicain. Dans ce horssérie, elle questionne chez Tolkien le prix à payer pour sortir de la condition humaine (p. 12).
Autrice américaine et professeure émérite à l’Université du Maryland, Verlyn Flieger a donné des cours sur la mythologie comparée, la littérature médiévale et les œuvres de J. R. R. Tolkien. Elle a notamment publié Pour comprendre Tolkien. Une lumière éclatée, chez Desclée de Brouwer. Quatre fois lauréate du Mythopoeic Scholarship Award pour son travail sur Tolkien, elle analyse sa pensée du langage (p. 48).
Traducteur italien, membre de la Società Tolkieniani Italiani, Enrico Spadaro a récemment soutenu sa thèse sur J. R. R. Tolkien en France, à l’université AixMarseille : elle a été publiée en 2021 sous le titre La Littérature-monde de J. R. R. Tolkien (L’Harmattan). Enrico Spadaro analyse chez cet auteur une méfiance envers la technique, corruptrice, et un éloge de la « petitesse » pour y résister (p. 64).
Philosophe, elle s’intéresse à la littérature anglo-saxonne, à la théologie, à la bioéthique et à la fantasy. Elle a publié Et si on parlait du Seigneur des anneaux ? (Presses de la Renaissance) et Défense et illustration de la féerie (Philippe Rey). Elle remonte aux sources de l’héroïsme des personnages tolkiéniens et aux coups du sort qui les sauvent (p. 86).
Helena Schäfer Elle a étudié la philosophie et l’économie politique à Bayreuth (Allemagne) et fait actuellement un master en théorie politique à l’université Goethe de Francfortsur-le-Main. Depuis 2020, elle écrit pour le Philosophie Magazin allemand. Elle a coécrit « Tolkien et son temps » (p. 18).
Isabelle Pantin Professeure émérite de littérature française à l’École normale supérieure, elle s’intéresse aux relations entre la poésie, la fiction et les représentations cosmologiques. Elle est notamment l’autrice de Tolkien et ses légendes. Une expérience en fiction (CNRS Éditions, 2013). Elle analyse la nostalgie chez Tolkien (p. 32).
Tristan Garcia Philosophe et romancier, il est l’auteur d’ouvrages traitant de la souffrance animale, du temps et des séries télévisées. Il a publié deux romans chez Gallimard et fait paraître, en 2021, L’Architecture du possible, avec Jean-Marie Durand (PUF). Dans ce hors-série, il lit le Seigneur des anneaux comme un témoignage nostalgique de ce que nos sociétés ont perdu en accédant à la modernité (p. 56).
Vincent Ferré Professeur de littérature générale et comparée à l’université Paris III-Sorbonne nouvelle, il édite, traduit et commente les œuvres de J. R. R. et Christopher Tolkien depuis vingt-cinq ans. Commissaire de l’exposition Tolkien à la BNF, il a notamment dirigé la publication du Dictionnaire Tolkien chez Bragelonne. Vincent Ferré montre ici le rapport de Tolkien au vivant et au sentiment écologique (p. 62).
Michaël Devaux Spécialiste de Leibniz, il enseigne la philosophie de l’éducation à l’ÉSPÉ de l’académie de Caen. Rédacteur de La Feuille de la Compagnie, revue d’études tolkiéniennes, il est l’auteur de Tolkien. L’effigie des Elfes (Bragelonne, 2005) et a codirigé Tolkien aujourd’hui (Presses universitaires de Valenciennes, 2011). Il explique comment le philologue interroge la question du mal et lit dans ses écrits le récit de la corruption du pouvoir par la violence (p. 72).
Leo Carruthers Né à Dublin (Irlande), il est professeur émérite de langue, littérature et civilisation anglaises du Moyen Âge à l’université Paris-Sorbonne. Leo Carruthers est l’auteur de Tolkien et la religion. Comme une lampe invisible (PUPS, 2016) et a dirigé l’ouvrage Tolkien et le Moyen Âge (CNRS Éditions, 2007). Il observe comment, chez ce philologue chrétien non prosélyte, la foi irrigue une œuvre qui célèbre le merveilleux, la magie et les mythologies (p. 94).
Joséphine Robert Florian Werner Docteur en littérature et auteur, il est journaliste pour le Philosophie Magazin allemand : ses livres ont été traduits dans de nombreuses langues et ont reçu plusieurs prix. En septembre, Florian Werner publiera Der Stuttgart-Komplex. Streifzüge durch die deutsche Gegenwart (Klett-Cotta). Dans ce numéro, il coécrit « “Mon précieux”. La philosophie de l’Anneau » (p. 80).
MENSUEL, 10 NUMÉROS PAR AN / Rédaction : 10, rue Ballu 75009 Paris / E-mail : redaction@philomag.com / Information lecteurs : 01 43 80 46 10 / www.philomag.com / Directeur de la rédaction : Alexandre Lacroix / Service abonnés : Philosophie magazine, 45, avenue du Général-Leclerc, 60643 Chantilly Cedex – France (01 43 80 46 11), abo@philomag.com / Offres d’abonnement : abo.philomag.com / Diffusion : MLP / Contact pour les réassorts diffuseurs : À Juste Titres (04 88 15 12 42 – Julien Tessier, j.tessier@ajustetitres.fr)
Titulaire d’un master en études de genre de l’université de Cambridge, elle a soutenu un mémoire sur le terrorisme à travers le prisme de la théorie queer. Elle a participé à l’ensemble de ce hors-série.
Nicolas Gastineau Après Sciences-Po Lille, il a suivi un master de philosophie à Paris-VIII. Il est journaliste à la rédaction de Philosophie Magazine. Il a interviewé Enrico Spadaro (p. 64).
© Vincent Muller / Opale.photo – DR – Hannah Assouline/ Opale / Leemage – Cerigo Films – Carolin Saage – Collections personnelles
Elles/Ils ont contribué à ce numéro…
LE SEIGNEUR DES ANNEAUX
© Photo 12 / 7e Art / MGM / Wingnut Films
SOMMAIRE
Éditorial
Sven Ortoli pp. 03
—
I. LA FABRIQUE DU MYTHE
pp. 06-11
—
Entretien avec Marylin Maeso
—
Le mythe du désenchantement
Tenir à l’Œil
pp. 56-59
La tentation du roi-dieu
L’écho d’un monde perdu Entretien avec Isabelle Pantin pp. 32-39
—
—
pp. 18-23
—
Extrait
Qu’est-ce qu’un conte de fées ? p. 35
Dans la bibliothèque philosophique de Tolkien
—
La grande famille de l’Anneau
pp. 24-25
pp. 42-47
—
La magie des mots Entretien avec Verlyn Flieger pp. 48-52
—
Lecture croisée
Tolkien et Barfield, les profondeurs du langage p. 53
Origine du papier : Allemagne • Taux de fibres recyclées : 100 % • Certifié PEFC • Eutrophisation : Ptot 0,001 kg/t
par Tristan Garcia
pp. 70-71
—
Le héros jardinier
Entretien avec Michaël Devaux
pp. 62-63
—
—
par Vincent Ferré —
La guerre contre les machines
IV. COMMENT L’ESPOIR FAIT TENIR LE MONDE pp. 84-85
pp. 68-69
pp. 28-31
pp. 12-17
Chronologie Le seigneur des mots
Races et histoires
pp. 54-55
III. L’HISTOIRE DU MONDE EST L’HISTOIRE DU MAL
pp. 26-27
Une brève histoire de la Terre du Milieu Philosopher chez les Elfes
II. LA TENTATION DU REFUGE ET COMMENT Y RÉSISTER
L’épreuve du choix Entretien avec Irène Fernandez pp. 86-91
—
Extrait
Petits et grands récits
pp. 72-77
p. 89
Extrait
Extrait
—
L’énigme Tom Bombadil
Le rêve du paganisme
—
p. 91
p. 75
par Slavoj Žižek
pp. 64-66
« Mon précieux » : philosophie de l’Anneau
Il était une foi…
Lecture croisée
—
Entretien avec Enrico Spadaro —
Tolkien et Chesterton, la beauté du monde p. 67
pp. 80-82 Extrait
Un anneau néolibéral ? par Timothy Morton p. 81
—
Lecture croisée
Tolkien et Boèce, le néant du mal
—
Entretien avec Leo Carruthers pp. 94-97
—
Lecture croisée
Tolkien et C. S. Lewis, la consolation de la joie p. 98
p. 83
HORS-SÉRIE “LE SEIGNEUR DES ANNEAUX” Été 2022 / Rédacteur en chef : Sven Ortoli / Rédacteur : Octave Larmagnac-Matheron / Secrétaire de rédaction : François Cano / Direction artistique : Jean-Patrice Wattinne / L’Éclaireur / Iconographie : Stéphane Ternon / Couverture : © Matthieu Tourdes pour Philosophie magazine / Directeur de la publication : Fabrice Gerschel / Responsable administrative : Sophie Gamot-Darmon / Fabrication : Rivages / Impression : Mordacq, rue de Constantinople, ZI du Petit-Neufpré, 62120 Aire-sur-la-Lys / Commission paritaire : 0623 D 88041 / ISSN : 2104-9246 / Dépôt légal : à parution / Philosophie magazine est édité par Philo Éditions SAS au capital de 340 200 euros, RCS Paris B 483 580 015 / Président : Fabrice Gerschel / Relations presse : Canetti Conseil (01 42 04 21 00), francoise.canetti@canetti.com / Publicité culturelle, partenariats : Audrey Pilaire (01 71 18 16 08), apilaire@philomag.com / Publicité commerciale : Ketil Media : Catherine Laplanche (direction commerciale presse), claplanche@ketilmedia.com, 01 78 90 15 37 / Imprimé en France, Printed in France / La rédaction n’est pas responsable des textes et documents qui lui sont envoyés. Ils ne seront pas rendus à leurs propriétaires /
LE SEIGNEUR DES ANNEAUX
© Ted Nasmith via Christian Bourgois éditeur
UNE BRÈVE HISTOIRE DE LA TERRE DU MILIEU
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PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE
LE SEIGNEUR DES ANNEAUX
UNE BRÈVE HISTOIRE DE LA TERRE DU MILIEU
Le monde créé par Tolkien ne se limite pas aux deux petites années que dure l’intrigue du Seigneur des anneaux, mais s’étale sur des dizaines de millénaires. La cosmologie qu’il invente emprunte à la théologie chrétienne et aux légendes nordiques. Elle commence par un monde en forme de disque plat et se poursuit comme une sphère. Comme si Tolkien avait voulu récapituler dans sa cosmologie le chemin qui l’a conduit d’une cartographie à deux dimensions à un monde à trois dimensions. Par Octave Larmagnac-Matheron et Sven Ortoli
Une brève histoire de la Terre du Milieu _La genèse selon Eru
« Il y eut Eru, le Premier, qu’en Arda on appelle Ilúvatar»: ainsi s’ouvre Le Silmarillion (nouvelle traduction de Daniel Lauzon) le texte «mythologique» le plus abouti de Tolkien, édité par son fils Christopher à partir d’innombrables brouillons, qui relate – du point de vue des Elfes – la création du monde (Ainulindalë) et l’histoire ancienne de la Terre du Milieu (Quenta Silmarillion et Akallabêth). S’il est marqué par de fortes influences païennes, l’univers imaginé par Tolkien est en fait monothéiste, avec Eru comme créateur: il «créa d’abord les Ainur, les Bénis, qu’il engendra de sa pensée, et ceux-là furent avec lui avant que nulle chose ne fût créée». «La ressemblance phonétique […] avec la racine indo-européenne “er”, “mettre en mouvement” […] ne peut être aisément ignorée», note Verlyn Flieger.
_La « Grande Musique »
Équivalents des anges, les quinze Ainur se mettent à chanter, comme pour apprivoiser leurs différences. « Chacun ne comprenait que cette part de l’esprit
d’Ilúvatar d’où lui-même était issu, et le sentiment de leur ressemblance mit longtemps à venir. Pourtant une meilleure compréhension leur vint à mesure qu’ils écoutaient et les fit croître en accord et en harmonie. » Eru leur propose un « thème magnifique ». Ainsi commence la « Grande Musique ».
_Le désaccord
L’un des Ainur, Melkor, ne se satisfait pas de son rôle dans l’harmonie d’ensemble. Il « était le plus doué des Ainur en savoir comme en puissance et il partageait les talents de tous les autres. Souvent, seul, il s’était aventuré dans les espaces du vide pour chercher la Flamme Éternelle, car il avait en lui un furieux désir d’amener à l’Être des œuvres de sa propre volonté ». Son orgueil désaccorde l’harmonie angélique, et introduit dès avant la création du monde, dans le tissu musical qui servira de fondement à la réalité, le mal. Au contraire, dans la Bible, « le mal est apporté de l’extérieur par Satan », l’ange déchu, après la création. Eru propose, alors, un second thème « au milieu de la tempête, semblable à celui du début et pourtant différent,
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LE SEIGNEUR DES ANNEAUX
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Entretien avec Marylin Maeso* Propos recueillis par Sven Ortoli
Philosopher chez les Elfes L’œuvre de Tolkien est tissée de questions métaphysiques, éthiques et politiques. Avec, au premier rang d’entre elles, la tension entre la mortalité des uns et l’immortalité des autres. Quel est le prix à payer pour sortir de la condition humaine ? Voilà, souligne Marylin Maeso, ce que Tolkien considérait comme le motif central du Seigneur des anneaux. Pour la philosophe et spécialiste de Camus, il y a une communauté d’interrogation entre le philologue d’Oxford et l’auteur de La Peste : des réponses différentes mais des questions communes sur le sens de la vie et notre place dans l’Univers. Tous deux, dit-elle, réenchantent le monde à leur manière. 12_
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LE SEIGNEUR DES ANNEAUX
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Qu’y a-t-il de philosophique dans l’œuvre de Tolkien ?
Marylin Maeso — L’œuvre de Tolkien est tissée de questionnements qui explorent tous les sillons du champ philosophique. Métaphysiques et existentiels, d’abord, avec la création de différentes espèces (Elfes, Nains, Humains, Hobbits, etc.), chacune dotée de sa propre condition et de ses caractéristiques qui définissent sa place dans le monde. Mais aussi politiques et éthiques : Aragorn redoute de dévaler la même pente funeste que son ancêtre Isildur, qui garda l’Anneau pour lui alors qu’il aurait pu le détruire, et cela amène plusieurs questions : qu’est-ce qu’être un bon gouvernant ? Le pouvoir corrompt-il nécessairement ? Peuton choisir librement son destin ? Etc.
© Bernd Webler / Plainpicture – Vincent Muller/Opale.photo
MARYLIN MAESO
Philosophe et enseignante, Marylin Maeso est une spécialiste d’Albert Camus. Elle lui a consacré un Abécédaire (Éd. de L’Observatoire, 2020) prolongement du travail mené dans Les Conspirateurs du silence (Éd. de L’Observatoire, 2018), où elle défend l’exercice de la nuance et du dialogue dans le débat public comme un remède aux polémiques et aux clivages stériles. Après Les Lents Demains qui chantent (Éd. de L’Observatoire, 2020), elle vient de signer La Petite Fabrique de l’inhumain (Éd. de L’Observatoire, 2021), qui se présente comme une relecture de La Peste. Elle défend un universalisme critique, fidèle à l’esprit républicain.
Les aventures des Hobbits (Bilbo, Frodo, Sam, Merry et Pippin) qui choisissent de s’écarter de la vie tranquille à laquelle ils semblaient voués pour se lancer dans une quête périlleuse soulèvent l’hégélienne question : que signifie « entrer dans l’Histoire » ? L’attitude de Gollum qui, sous l’influence de l’Anneau, se met à creuser fébrilement la terre et les montagnes pour découvrir leurs secrets, s’enfonçant par-là toujours plus dans les ténèbres, fait écho aux réflexions épistémologiques de l’auteur sur l’insuffisance de l’analyse pour engendrer une connaissance solide (« Celui qui brise un objet pour en découvrir la nature a déserté la voie de la sagesse», mettait-il en garde dans La Communauté de l’Anneau). Enfin, la création d’Arda (la Terre du Milieu) sous la forme d’un « Fiat musica » [« Que la musique soit », en latin] lancé par le dieu Eru Ilúvatar et repris par ses anges (les Ainur) qui filent la mélodie à l’exception de Melkor, bientôt ange déchu et futur Morgoth (lequel aspire à prendre la place du chef d’orchestre), amène des considérations esthétiques sur l’harmonie et la dysharmonie. Y a-t-il un thème philosophique majeur dans Le Seigneur des anneaux ? Celui de la lutte entre le bien, incarné par les Hobbits et leurs compagnons d’aventure, et le mal engendré par Sauron ?
M. M. — Bien sûr, ce thème saute aux yeux. Tolkien disait que, étant chrétien, sa vision de l’Histoire était forcément pessimiste. C’est pourquoi celle de la Terre du Milieu est une succession de guerres contre des forces occultes, et de figures jadis grandioses qui chutent tandis que d’autres luttent pour faire mieux que leurs prédécesseurs (Aragorn) ou que ce que l’on attend d’eux, en raison de leur taille (les Hobbits), de leur sexe (Éowyn) ou de leur espèce (Legolas, qui, au lieu de rejoindre les terres immortelles avec ses congénères, défend la Terre du Milieu contre Sauron alors que le temps des Elfes est révolu). PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE
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Peut-on philosopher dans les langues elfiques ? En tout cas, ces langues construites possèdent un vocabulaire spécifique pour parler de sagesse et de connaissance.
Vocabulaire de la philosophie elfique
© Le Hobbit. Un voyage inattendu. Everett / Aurimages
L
es Elfes font-ils de la philosophie ? Drôle de question ! Dans un texte posthume paru dans Parma Eldalamberon, n° 21, Tolkien note qu’« ils possédaient de nombreuses philosophies ». Leurs langues avaient, en tout cas, un mot pour désigner ce que Michaël Devaux appelle la « sagesse tout court », celle du « sage en toute chose », opposée à « la sagesse du spécialiste, la sagesse qui donne la connaissance, la réflexion dans un domaine » (in Tolkien et les sciences, Roland Lehoucq, Loïc Mangin & Jean-Sébastien Steyer, dir.). Le « tout du savoir », plutôt que « sa partie, un département, une branche ». Une acception érudite de la philosophie proche de celle de Platon pour qui le sage est « épris de la sagesse, non pas de tel ou tel aspect ». Dans The Peoples of Middle-Earth, Tolkien définit ainsi le mot « Ingolë » : « Science/Philosophie en tant que tout », « “Philosophie” dans ses emplois les plus anciens qui incluent la Science » – opposée à « “sagacité, sain jugement” (fondé sur l’expérience et une connaissance suffisante). » L’« Ingolë » est distinct de « ñolmë », « un domaine de la sagesse », et de « Kurwë », « compétence technique et invention ». Le sage (« quelqu’un avec une très grande connaissance ») se dira « ingólemo ».
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La Communauté de l’Anneau © Photo 12 / 7e Art / New Line Productions
« Tolkien voit l’homme comme le défenseur de la nature et des générations futures »
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L’écho d’un monde perdu
Entretien avec Isabelle Pantin* Propos recueillis par Octave Larmagnac-Matheron
Au-delà de son récit, le Seigneur des anneaux s’inscrit dans un monde plus vaste. Est-ce l’une des clefs de la fascination que ce livre exerce ?
Isabelle Pantin — Tolkien le dit lui-même: « Une partie de la “fascination” [pour le Seigneur des anneaux] consiste dans l’aperçu de […] légendes et d’histoires, dont l’œuvre ne contient pas un indice complet. » Le Seigneur des anneaux et Le Hobbit s’inscrivent dans un monde plus vaste, qui possède sa cosmogonie, sa cosmologie, son histoire, ses langues, etc. C’est par l’édification du monde que Tolkien a commencé, les romans sont arrivés ensuite. Tolkien y a travaillé pendant des décennies. Une tâche gigantesque, démesurée s’il en est, qui ne sera d’ailleurs jamais achevée. Tolkien ne viendra pas à bout du Silmarillion, qu’il espérait faire paraître
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Tolkien a d’abord forgé un univers aussi vaste qu’ambitieux, cohérent et minutieux dans le moindre détail, avant d’y situer ses romans. L’écho de cet autre monde mythique est teinté d’une mélancolie profonde qui fait toute la saveur de la fantasy, explique Isabelle Pantin.
ces choix – par exemple, comment concilier l’immortalité des Elfes et le fait que les Orques soient des Elfes torturés –, etc. Le monde qu’il crée, ou « subcrée » selon ses termes, doit être doté de fondements et suivre une certaine logique. Même la magie doit se produire avec une certaine cohérence, et non comme un deus ex machina complètement arbitraire. La magie, d’ailleurs, reste étonnamment rare dans l’ensemble de ses textes !
© Mike Mareen/iStockphotos
Créer un monde, est-ce la vocation de l’art pour Tolkien ?
avec Le Seigneur des anneaux. Les brouillons, les réécritures – partiellement publiés dans les douze volumes de l’Histoire de la Terre du Milieu – se sont accumulés pendant des années. Comment expliquer que la Terre du Milieu soit un monde en soi ?
I. P. — Tolkien considérait essentiellement qu’un monde de fantasy doit être doté de la « consistance » ou « cohérence » (en anglais, « consistancy ») « interne de la réalité ». Le travail d’imagination s’accompagne donc fondamentalement, pour lui, d’une précision quasi scientifique. « Plus la raison est claire, meilleure sera la fantasy. » Tolkien ne cesse de dessiner des cartes, d’établir des chronologies pour faire concorder les calendriers et les événements, de réfléchir aux incohérences métaphysiques posées par certains de
I. P. — La fantasy qui invente des choses qui n’existent pas est pour Tolkien une forme « supérieure d’art, la forme en vérité presque la plus pure»; en tout cas, la «plus subcréatrice». Et elle est par excellence littéraire : « Dans l’art humain, mieux vaut laisser la fantasy aux mots, à la véritable littérature. En peinture, par exemple, la présentation visible de l’image fantastique est techniquement trop aisée; la main est susceptible de dépasser la pensée, ou même de la réduire à néant. Il en résulte souvent de la niaiserie ou de la morbidité», écrit-il dans Du conte de fées. Tolkien n’est pas plus tendre avec le théâtre: «Les formes fantastiques ne supportent pas la simulation.» La fixation de l’imaginaire dans une forme visible est, en quelque sorte, incompatible avec une véritable immersion dans la fantasy. «La distinction radicale entre tout art qui offre une présentation visible et la vraie littérature est qu’il impose une forme visible unique. La littérature opérant d’esprit à esprit, elle est donc plus féconde. Elle est à la fois plus universelle et d’une spécificité plus saisissante: si elle parle de pain, de vin, de pierre ou d’abri […] chaque auditeur leur donne une incarnation personnelle particulière dans son imagination.» Même avec quelques décennies de plus, Tolkien ne serait probablement pas parvenu à « achever » son histoire de la Terre du Milieu…
I. P. — Tolkien est un artisan minutieux, soucieux du détail ; mais il possède en même temps une vision extrêmement ample. Il ne fut pas toujours facile de faire coïncider ces deux échelles, en particulier lors de la rédaction du Seigneur des anneaux. C’est ce que met en scène la PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE
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« De même que la parole est une invention par rapport aux objets, le mythe est une invention à propos de la vérité. »
© Cody Cobb
Dialogue avec C. S. Lewis.
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La grande famille… Par Octave Larmagnac-Matheron
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LE SEIGNEUR DES ANNEAUX
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Frodo
Parmi les personnages qui arpentent la Terre du Milieu, neuf illustrent plus particulièrement ce que Tolkien veut montrer des grandeurs et misères de l’humanité. Nul n’est parfait sur ces terres, surtout pas Sauron, le mal incarné, qui n’a pourtant pas toujours été (complètement) diabolique.
© New Line Cinema / WingNut Films Diltz / Bridgeman Images
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e Porteur de l’Anneau est, d’abord, un exemple d’«abnégation» et de «sacrifice»: si Frodo reconnaît qu’« [il] aimerai[t] que l’Anneau ne soit jamais venu à [lui] », il accepte, malgré tout, la mission que le destin lui a assignée – détruire l’Anneau. « J’ai l’ordre d’aller au pays de Mordor, et, par conséquent, j’irai », dit-il dans Les Deux Tours. « S’il n’y a qu’un seul chemin, il me faut l’emprunter. Advienne que pourra. » Et c’est sans doute ce choix à contrecœur qui lui permet de mener sa quête au bout. Le fait de n’avoir jamais désiré l’Anneau et ses pouvoirs lui permettra de résister, plus qu’aucun autre, à la tentation de l’employer, de le revendiquer. Il parvient jusqu’à la montagne du Destin, mais cédera in extremis. Frodo échoue puisqu’il n’abandonne pas l’Anneau par un « acte volontaire ». Mais son échec, précise Tolkien, n’est pas une « faute morale ». Le Hobbit, au bord de la crevasse enflammée, n’a plus le choix. Sa volonté est brisée. L’amour de la Comté, qui sous-tendait sa détermination (« il entreprit la quête par amour »), s’évanouit. « Il ne me reste aucun goût de nourriture, aucune sensation d’eau, aucun son de vent ni souvenir d’arbres, d’herbes ou de fleurs, aucune image de la lune ou d’étoiles. Je suis nu dans les ténèbres », indique-t-il dans Le Retour du roi. Reste l’obsession de l’Anneau qui le ronge et ne lui laisse plus aucun choix. De ce point de vue, « Frodo a fait tout ce qu’il pouvait » et « a mérité tous les honneurs parce qu’il a dépensé jusqu’à la moindre étincelle de pouvoir de sa volonté et de son corps,
© Photo 12 / 7e Art / New Line Productions
: SACRIFICE ET ABNÉGATION ce qui a tout juste suffi pour l’amener jusqu’au point » qu’il était destiné à atteindre. « Pas plus loin. » Personne ou presque n’aurait pu aller « si loin » – « une personne douée d’un plus grand pouvoir n’aurait probablement jamais résisté aussi longtemps » Malgré l’échec de Frodo, la quête réussit, par l’intervention d’un « Autre Pouvoir », providence souterraine qui fait de Frodo son « instrument », pour accomplir la quête. S’il n’a pas commis de faute, Frodo ne se remettra pourtant jamais de cette épreuve. Lui qui « s’attendait à mourir très prochainement » doit finalement reprendre sa vie. Son désir de « revenir en héros », et non comme un simple « instrument du bien », se mêle à une « autoréprobation irrationnelle ». Parfois même regrette-t-il la destruction de l’Anneau, depuis laquelle « tout est noir et vide ». « Il est des blessures qui ne peuvent être entièrement guéries », dira Gandalf. Le mal laisse, malgré sa défaite, une marque indélébile. « Il n’y a pas de véritable retour. […] Je ne serai plus le même. » Il quittera finalement la Terre du Milieu et embarquera pour les Terres immortelles. PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE
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LE SEIGNEUR DES ANNEAUX
L A FA B R I Q U E D U M Y T H E
Tolkien l’écrivain était avant tout philologue. Passionné de mots, il développa une pensée du langage, dans lequel il voit l’essence même de la mythologie. Verlyn Flieger donne quelques clefs de cette philosophie singulière.
La magie des mots
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LE SEIGNEUR DES ANNEAUX
L A FA B R I Q U E D U M Y T H E
VERLYN FLIEGER
Née en 1933, Verlyn Flieger est une autrice américaine d’œuvres de fiction, éditrice et professeure émérite à l’Université du Maryland, où elle a enseigné la mythologie comparée, la littérature médiévale et les œuvres de J. R. R. Tolkien, dont elle est une spécialiste mondiale. Elle a notamment publié les ouvrages Splintered Light: Logos and Language in Tolkien’s World (1983, traduit sous le titre Pour comprendre Tolkien. Une lumière éclatée, chez Desclée de Brouwer) et A Question of Time: J.R.R. Tolkien’s Road to Faerie (2001, non traduit en français), qui font date.
Entretien avec Verlyn Flieger* Propos recueillis par Octave Larmagnac-Matheron
Peut-on parler d’une philosophie du langage de Tolkien ?
Verlyn Flieger — C. S. Lewis a dit un jour que Tolkien avait été « à l’intérieur du langage ». Tolkien était un philologue. Il étudiait les langages dans les textes, les contes, les poèmes, les légendes, etc. – et non comme un système abstrait et statique de signes et de signification. Dans un brouillon de son essai sur le conte de fées, il écrit que « la mythologie est langage et le langage est mythologie ». Pour lui, la mythologie n’utilise pas le langage, elle est langage. Le langage n’exprime pas la mythologie, il est mythologie. Dès lors que nous parlons, nous racontons des histoires. Les histoires ne sont pas un produit dérivé du langage. Dans la version finale de Du conte de fées, Tolkien écrit ainsi : « L’esprit incarné, la langue et le conte sont contemporains dans notre monde. […] Demander quelle est l’origine des récits revient à demander quelle est l’origine de l’esprit et du langage. » Qui vise-t-il ?
© Alexander Babarikin – Coll. personnelle
V. F. — Un philologue allemand, Max Müller [1823-1900], qui considérait les mythes comme une « maladie» corrompant selon lui un langage originel parfaitement clair et sans ambiguïté. Tolkien critique particulièrement la théorie des « mythes de la nature » qui en découle. Dans cette approche, dit Tolkien, « les Olympiens étaient des personnifications du soleil, de l’aurore, de la nuit, etc. […] L’épopée, la légende héroïque, la saga localisèrent alors ces histoires en des lieux réels et les humanisèrent en les attribuant à des héros ancestraux, plus puissants que les hommes et pourtant déjà hommes. » Selon Müller, les histoires sont secondaires et, qui plus est, rendent confuse la description originale des phénomènes de la nature, en introduisant des images ou des métaphores. Tolkien n’est pas du tout de cet avis, comme en témoigne, par exemple, son évocation du dieu nordique du tonnerre Thor. Ainsi écrit-il qu’« il serait […] dénué de sens de demander ce qui vient en premier : les allégories de la nature sur le tonnerre […] ou des histoires au sujet d’un fermier à la barbe rousse, irascible, pas très intelligent, d’une force au-dessus de la moyenne ». « Le conte de fées cessant, il n’y aurait plus PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE
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Le mythe du désenchantement
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LE SEIGNEUR DES ANNEAUX
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P
Avatar de la mythique Avalon, l’île vers laquelle cingle Frodo à la fin du Seigneur des anneaux est pour Tristan Garcia la métaphore de ce que nos sociétés ont le sentiment d’avoir perdu en accédant à la modernité : un monde d’avant (la révolution industrielle, la laïcisation et l’individualisme), d’où la nostalgie d’une société « enchantée » et fantasmée. Mais de quoi cette nostalgie est-elle le nom ?
our toute victoire il y a un prix à payer, et quand quelque chose est gagné quelque chose est perdu. Cette conception d’un équilibre, brisé et rétabli, qui structure nombre de mythes sous-tend aussi des récits qui racontent la fin de l’univers du mythe et l’entrée dans un univers « moderne ». Le Seigneur des anneaux ne se réduit pas à un tel récit, mais il l’est en partie. Dans l’esprit de Tolkien, cette vaste épopée « fondamentalement religieuse et catholique », comme il l’expliquait dans une lettre à Robert Murray, racontait la mort d’un monde où la créature humaine – la plus médiocre d’entre toutes – finissait par s’imposer. En même temps s’en effaçaient les créatures mythiques, en particulier les Elfes. Au terme du roman, le nouveau monde qui s’annonce est donc désenchanté. Les héros qui le quittent s’en vont dans les brumes, vers un territoire vague et rêvé. Et quelle est la destination de Frodo, après que la quête de l’Anneau a été achevée (Le Retour du roi) ? « Il les conduisit alors aux Havres. Un grand navire blanc y était mouillé, et sur le quai, à côté d’un grand cheval gris, un personnage tout de blanc vêtu les attendait. Comme il se retournait et venait vers eux, Frodo vit que Gandalf portait à présent ouvertement le Troisième Anneau, Narya le Grand, et la pierre qui y était enchâssée était d’un rouge de feu. Alors ceux qui devaient partir furent heureux, car ils surent que Gandalf embarquerait avec eux. […] Et le navire sortit en Haute Mer et passa vers l’Ouest, jusqu’à ce qu’enfin, par une nuit pluvieuse, Frodo sentit dans l’air une douce fragrance et entendit flotter sur l’eau un fond de chants. Il lui sembla alors que, comme dans le rêve qu’il avait eu dans la maison de Bombadil, le rideau gris de la pluie se muait en verre argenté qui se repliait, et il vit des rivages blancs et, au-delà, un lointain pays verdoyant. »
Par Tristan Garcia*
© Kilian Schoenberger
Et quel est donc ce pays verdoyant, au-delà des « îles enchantées » ? C’est le pays de Valinor, où les Elfes se retirent également, un peu plus tard ; c’est le refuge des héros, du magicien, des créatures magiques, quand l’homme prend définitivement possession des territoires autrefois partagés par plusieurs races fantastiques, gouverné par la magie, où régnait un mode de production artisanal et où l’on reconnaissait encore la supériorité des valeurs chevaleresques du courage et du dévouement. Pour beaucoup d’interprètes, ce pays de Valinor est une variation sur « Avalon ». À mesure que s’est formée ce qu’on appelle la « matière de Bretagne », le cycle arthurien a mis en scène à la fois l’âge d’or et le déclin de la mythologie celtique, en partant de la célébration païenne de la Nature pour mieux raconter son abandon et son remplacement par un nouveau PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE
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L A T E N TAT I O N D U R E F U G E E T C O M M E N T Y R É S I S T E R
« Le vaste monde vous entoure de tous côtés : vous pouvez vous enclore mais vous ne pouvez pas éternellement le tenir en dehors de vos clôtures. »
© Cody Cobb
La Communauté de l'Anneau.
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L’HISTOIRE DU MONDE EST L’HISTOIRE DU MAL
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LE SEIGNEUR DES ANNEAUX
L’HISTOIRE DU MONDE EST L’HISTOIRE DU MAL
« Vous pouvez faire de l’Anneau […] une allégorie du destin inévitable qui attend toutes les tentatives de vaincre le mal par le pouvoir. »
© Kilian Schoenberger - Earth Pillars
Lettres.
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© Alexander Babarikin
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Pour caractériser l’héroïsme de ses personnages, Tolkien a puisé dans les grandes sagas de la littérature nordique. En leur adjoignant l’intervention fugace d’une discrète providence. Un retournement miraculeux, une « eucatastrophe », est toujours possible, même quand tout semble perdu, analyse la philosophe Irène Fernandez.
L’épreuve du choix Entretien avec Irène Fernandez* Propos recueillis par Octave Larmagnac-Matheron
« Il doit souvent en être ainsi, Sam, quand les choses sont en danger : quelqu’un doit y renoncer, les perdre de façon que d’autres puissent les conserver », dit Frodo dans Le Seigneur des anneaux. Est-ce caractéristique de l’univers de Tolkien ?
Irène Fernandez — Dans une certaine mesure, oui. « Faisons d’abord ce que nous devons faire », affirme Legolas dans Les Deux Tours. Le sort met sans arrêt les personnages devant des « choix sacrificiels », comme le dit Tolkien dans une lettre, qui exigent d’eux le renoncement, l’abnégation ; qui exigent qu’ils perdent, peut-être irrémédiablement, ce qu’ils aiment pour le préserver. Frodo ne retrouvera jamais sa vie d’avant, même après l’accomplissement de la quête. « Il est des blessures que l’on ne peut entièrement guérir » (Le Retour du roi). Ces sacrifices sont des choix profondément douloureux. « J’aurais aimé que l’Anneau ne vienne jamais à moi », dit Frodo dans le film de Peter Jackson. Mais il ne peut éviter d’éprouver la responsabilité qui découle de la situation qui est la sienne, responsabilité assignée en personne, que personne ne peut porter à sa place. C’est ce qu’Aragorn nomme allusivement le « destin du choix », qui court à travers
toute l’existence. Il n’y a pas, pour Tolkien, un choix fait une fois pour toutes, mais toute une série de choix, liés aux événements, aux situations, aux rencontres. Toute une dynamique de l’existence se met en place dans cette répétition des choix, qui n’est pas sans rappeler d’ailleurs ce que dit Tolkien de la foi, qu’il conçoit comme un « acte de volonté répété à l’infini » (Lettres). À travers ces choix, les personnages découvrent de quoi ils sont vraiment capables ?
I. F. — Oui. Si le sort nous met devant des choix que nous n’aurions jamais imaginé, ils sont autant d’occasions pour les personnages de découvrir des forces dont ils ne se croyaient pas porteurs – les Hobbits, en premier lieu. « Je peux parce que je dois », dira Frodo. « Vous ne connaissez pas encore les forces de vos cœurs », soulignait Elrond (La Communauté de l’Anneau). Les épreuves nous révèlent, de manière parfois inattendue. Le mal que nous rencontrons est bien sûr, d’abord, une diminution. Mais la tentative de le surmonter permet d’atteindre un bien supérieur, souligne Tolkien : « Un monde déchu est par essence un monde où l’on ne peut atteindre le meilleur par une libre jouissance ou par ce que l’on appelle “l’accomplissement de soi” […] mais par l’abnégation, la souffrance. » (Lettres). Le meilleur passe par le sacrifice, qui enrichit l’amour que nous éprouvons pour ce qu’il s’agit de défendre : PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE
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Il était
Quoique fervent catholique, Tolkien a conçu un univers empruntant au merveilleux, à la magie et aux mythologies, que le christianisme a souvent combattus. Si, comme le souligne le médiéviste Leo Carruthers, le philologue n’était pas prosélyte, ses écrits sont pourtant parcourus d’une foi profonde qui rayonne comme une « lampe invisible ».
une foi…
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LE SEIGNEUR DES ANNEAUX
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Entretien avec Leo Carruthers*
LEO CARRUTHERS
Propos recueillis par Octave Larmagnac-Matheron
Peut-on qualifier Tolkien d’auteur catholique ?
Leo Carruthers — Il faut distinguer entre un auteur catholique et un catholique auteur. Ce n’est pas parce que quelqu’un est catholique que ses ouvrages le sont. Ce n’est pas le cas, de fait, chez Tolkien – qui était pourtant un croyant fervent. Sa fiction ne contient rien de spécifiquement, d’explicitement chrétien. Il n’y a d’ailleurs dans Le Seigneur des anneaux aucune mention de Dieu, aucune scène à proprement parler religieuse. Il existe bien un être divin, Eru, mais il n’intervient presque jamais directement ; ses « Anges », eux aussi, se tiennent loin de la Terre du Milieu. Cela ne signifie pas, évidemment, que la foi de Tolkien n’exerce aucune influence sur son
Né à Dublin (Irlande) en 1949, il est professeur émérite de langue, littérature et civilisation anglaises du Moyen Âge à l’université Paris-Sorbonne. Depuis 1977, il poursuit ses recherches en France. Il est notamment l’auteur de Tolkien et la religion. Comme une lampe invisible (PUPS, 2016) et a dirigé l’ouvrage Tolkien et le Moyen Âge (CNRS Éditions, 2007).
œuvre littéraire : il dit lui-même que l’histoire de l’Anneau est « une œuvre fondamentalement religieuse et catholique », « [construite] sur des idées religieuses ». Mais cette présence est complètement implicite, elle est « absorbée dans le symbolisme ». Comme le lui dira un lecteur, la Terre du Milieu est « un monde dans lequel une sorte de foi semble être partout [présente] sans source visible, comme une lumière émanant d’une lampe invisible. » C’est aussi ce que soulignera [le prêtre, théologien et ancien pasteur] Louis Bouyer, ami de Tolkien et l’un de ses premiers promoteurs en France : « Pas une seule fois le Nom divin n’est prononcé, pas une seule allusion n’est faite au Sauveur », mais « l’authenticité chrétienne de la spiritualité sousjacente à cette poésie fantastique» est pour lui indéniable. Les vertus des personnages, en particulier – courage, loyauté, sacrifice, abnégation – résonnent avec le christianisme. Mais il ne s’agit, en aucun cas, de vertus exclusivement chrétiennes. L’espérance des héros, et l’intuition chez certains, comme Gandalf, d’une providence font signe vers une sorte de « théologie naturelle ». Là encore, rien de spécifiquement chrétien. Le monde inventé par Tolkien est simplement « compatible » avec la foi chrétienne, mais ne l’évoque jamais directement.
© Cerigo Films
Les histoires de Tolkien ne sont donc pas des allégories, religieuses ou non ?
L. C. — Comme il le dit des contes en général, Tolkien considère que ses fictions doivent être lues pour ellesmêmes, pas comme des récits mettant en scène une spiritualité particulière. Ses histoires possèdent une dimension « symbolique », mais ce ne sont pas des allégories. L’allégorie « consciente et intentionnelle » relève de la « domination voulue par l’auteur » : elle inscrit, sous le récit, un autre récit caché, nécessaire pour comprendre le sens du premier ; elle fait de l’histoire un simple prétexte pour mettre en scène une idée. C’est ce que reproche en particulier Tolkien à la fiction de C. S. Lewis. Dans Le Lion, la Sorcière blanche et l’Armoire magique (1950), la résurrection du lion Aslan ne peut être comprise sans faire référence à la résurrection du Christ. Le symbole, lui, ne cache rien, il ne représente rien d’autre que ce qu’il raconte. L’Anneau dit quelque chose du mal, du pouvoir, du désir de dominer les autres, mais rien de plus dans les
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BLAISE
HS 39
Parmi les 20 textes sélectionnés par Philosophie magazine :
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« Un milieu entre rien et tout » La condition humaine ` « La justice sans la force... » La comédie du pouvoir « Le moi est haïssable » Bas les masques !
Avec Judith Butler, Luc Dardenne, Alain Finkielkraut, Jean-Luc Marion…
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PHILOSOPHIE MAGAZINE / HORS-SÉRIE N ° 46
WAME A. APPIAH ONORA MIANO OSHANA ZUBOFF TENG BIAO...
LEVINAS
Comment on se trompe soi-même Par Antoine Compagnon
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PHILOSOPHIE MAGAZINE / HORS-SÉRIE N ° 44
RS
Le plus grand penseur tragique Par André Comte-Sponville
Machiavel Comment le pouvoir se prend, se garde ou se perd.
VÉRITÉ, AMOUR, RUPTURE, DÉSIR, DEUIL… : L’AMITIÉ EN QUESTIONS
Avec André Comte-Sponville, Laurence Devillairs, Eva Illouz, Jean-Luc Nancy, Charles Pépin… Et aussi La République de Platon en BD, suite et fin
L’art de bien parler
France : 8,90 € / Belux : 9,90 € / Suisse : 16 FS / Allemagne : 10,20 € / Espagne-Portugal cont.: 9,90 € / DOM / S : 9,90 € / TOM : 1200 XPF / MAR : 102 Mad / TUN : 19,60 Tnd / Canada : 14,99 $Cad
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France : 7,90 € / Andorre : 7,90 € / Belgique-Luxembourg-Portugal: 8,90 € / Allemagne: 9,20 € / Suisse: 14,90 FS Canada:13,25$CAN/COM:1100XPF/DOM:8,90 € / Maroc: 90 DH
Il a inventé les algorithmes ! Par Michel Serres
ET AUSSI : LE DILEMME DESSINÉ PAR EMMANUEL GUIBERT / ET UN ENTRETIEN AVEC THOMAS OSTERMEIER
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SaGeSSeS Du monDe
S TEXTES POUR PENSER MONDE QUI VIENT
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AVEC ÉRASME, MACHIAVEL, MONTAIGNE, PIC DE LA MIRANDOLE, RABELAIS... Et Patrick Boucheron, Laurence Boulègue, Antoine Compagnon, Luc Ferry, Michel Serres...
Les superhéros vus par Tristan Garcia
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Au lendemain de la Shoah, il a refondé la philosophie à partir de l’éthique et de l’expérience du visage de l’autre
QUAND LES TEMPS CHANGENT
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Marcher avec les philosophes
HORS SERIE
Un nouveau média qui change tout, des utopies, un souffle de liberté, la mondialisation, la découverte du corps, mais aussi des guerres de Religion et des angoisses apocalyptiques. Les hommes et les femmes de la Renaissance ont vécu cela avant nous.
Avec André Comte-Sponville, Raphaël Enthoven, Françoise Sironi, Daniel Zagury...
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HS 37
Visage et vulnérabilité / Quelle hospitalité pour les migrants ? / Les énigmes du corps / La trace de Dieu / Talmud et philosophie/Emmanuel
La Renaissance
le mal
FOUCAULT
L’Amérique de Walker Evans • Saint-Pétersbourg et les fantômes de la raison
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Les figures contemporaines : terroriste, tortionnaire, serial killer…
Quand les victimes se sentent coupables : la double peine
AVEC UN EXTRAIT DE SON DERNIER LIVRE INÉDIT : LES AVEUX DE LA CHAIR
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Justice, pardon, réconciliation : comment y répondre ?
D’où vient-il ? Une question qui résiste, de Platon à Arendt
Folie, prisons, migrants : le penseur des exclus
Et discuter en chemin avec Pascal Bruckner, Frédéric Gros, Nancy Huston, Jean-Paul Kauffmann, Michel Serres…
LUMIÈRES Entretiens avec Antoine Compagnon, Alain Finkielkraut, Annie Le Brun, Peter Sloterdijk, Enzo Traverso... Cahier Culture : Vermeer, l’art du temps • Rio de Janeiro
Faire de sa vie une œuvre d’art
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CONSEILS, STRATAGÈMES, EXERCICES
Entretiens et joutes verbales avec Barbara Cassin, Bertrand Périer, Charles Pépin, Philippe-Joseph Salazar, Clément Viktorovitch…
LE GUIDE DE SURVIE AU GRAND ORAL DU BAC L 17892 - 51 H - F: 8,90 € - RD
Cahier culture Entretien avec Annie Le Brun : « Sauvons l’imagination ! » Expos : Vanités à Lyon + Enki Bilal au musée de l’Homme
16/01/2020 16:35
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HS 50
HS 51
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Sagesses du monde
Platon
Réchauffement climatique
L’amitié
L’art de bien parler
Machiavel
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Face au retour de l’obscurantisme
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LUMIERES Diderot, Kant, Montesquieu, Rousseau, Voltaire, La Mettrie, Olympe de Gouges, etc. Lus par Élisabeth Badinter, Raphaël Enthoven, Élisabeth de Fontenay, Michel Onfray...
À bas le sexe, vive le plaisir !
J.R.R. Tolkien publié par Christian Bourgois éditeur depuis 1972 Christian Bourgois, Christian Bourgois, Christian Bourgois, éditeur Tolkien éditeur deJ.R.R. J.R.R. Tolkien éditeur de de J.R.R. Tolkien depuis 1972 depuis 1972 depuis 1972
J.R.R. TOLKIEN
CONTES ET LÉGENDES INACHEVÉS
LE SILMARILLION
Édition de CHRISTOPHER TOLKIEN
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Nouvelle traduction de DANIEL LAUZON Illustré par TED NASMITH
J.R.R. TOLKIEN
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LA FRATERNITÉ DE L’ANNEAU
LES DEUX TOURS
LE RETOUR DU ROI
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NOU UNE
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Le chef d’œuvre de J.R.R. Tolkien illustré par Alan Lee
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Traduction de DANIEL LAUZON • Illustré par ALAN LEE
LE SEIGNEUR DES ANNEAUX III
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Traduit de l’anglais par Christine Laferrière
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Le chef d’œuvre de J.R.R. Tolkien illustré par Alan Lee
LE SEIGNEUR DES ANNEAUX II
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G E LÉ ENDE
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LE SEIGNEUR DES ANNEAUX I
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Édité par CHRISTOPHER TOLKIEN
CONTES ET LÉGENDES INACHEVÉS Traduction de TINA JOLAS révisée par PAULINE LOQUIN
Illustré par ALAN LEE . JOHN HOWE . TED NASMITH
J.R.R. TOLKIEN
Traduction de DANIEL LAUZON • Illustré par ALAN LEE
J.R.R. TOLKIEN
Le chef d’œuvre de J.R.R. Tolkien illustré par Alan Lee
Traduction de DANIEL LAUZON • Illustré par ALAN LEE