La République

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LA RÉPUBLIQUE d’après l’œuvre de Platon


Éditrice : Julie Davidoux Conception graphique – PAO : Nord Compo Couverture : Jean Harambat Mise en couleurs : Isabelle Merlet © Philosophie magazine Éditeur, 2021 Tous droits réservés 10, rue Ballu – 75009 Paris www.philomag.com contact@philomag.com ISBN : 978-2-900818-58-9 Diffusion : GEODIF Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


JEAN HARAMBAT

LA RÉPUBLIQUE d’après l’œuvre de Platon

Mise en couleurs : Isabelle Merlet



S’AGRIPPER AU MANTEAU DE SOCRATE Jean Harambat Mon professeur de philosophie de terminale au lycée de Mont-de-Marsan jouait du trombone dans un de ces orchestres que nous appelons ici « bandas ». Jean-François Dupeyron nous parlait de Rousseau et des rêveries d’un promeneur solitaire avant le Tournoi qui comptait à l’époque cinq nations… À quelle banda appartenait-il ? « Los Cumbancheros » peut-être ? Je ne sais plus. Un aprèsmidi, lors des fêtes patronales au cours desquelles ces orchestres sont invités à jouer des airs traditionnels dans les villes des Landes, je surpris mon professeur de philosophie à l’écart du groupe de musique. Il errait dans les rues, mélancolique, un verre de vin à la main et, sur la tête, posé comme un entonnoir, son trombone. Solitaire sous le soleil, avec son grand couvre-chef en cuivre, il avait quelque chose du professeur Tournesol et de l’enchanteur Merlin. C’était là mon premier enseignement socratique : la situation ambiguë du philosophe, sa place à la fois dans le groupe et à l’extérieur, la tension qui existe entre la loi et la liberté, entre la cité et l’homme. Entre la banda et le tromboniste. La recherche de la sagesse est inséparable d’une vie qui demande un pas de côté. Chez Socrate, le pas de côté ne se fait pas sans une conscience de la condition politique de l’homme. Pour tenir ensemble, les humains ont besoin d’attachements, de liens, de cordes de toutes sortes. Il ne faut pas trop tirer sur le fil comme Socrate s’y emploie cependant souvent. En posant des questions d’apparence innocente aux Athéniens de haut rang qui mordent à l’hameçon, en pratiquant

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LA RÉPUBLIQUE - PRÉFACE l’ironie, en semant le désordre, en révélant les confusions, Socrate malmène les certitudes des uns et des autres. Il esquinte leur capacité à « croire ». Ne dit-il pas lui-même qu’il ne sait rien, ce philosophe aux pieds nus ? Socrate propose en revanche des liens solides qui compensent les entailles qu’il peut faire par ailleurs : ceux de l’amitié, des sentiments humains les plus doux et du rire. Dans son essai sur les grands textes, L’Amour et l’Amitié, traduit par Pierre Manent, Allan Bloom compare Socrate à Falstaff. Tous deux, par l’obscénité ou la philosophie, se moquent des conventions. Or, chaque époque est esclave des conventions. Chaque époque a son orthodoxie, sa caverne. Socrate et Falstaff partagent aussi la barbe, la bedaine, une impécuniosité régulière… Et cette provision de bonne humeur qu’exigent les problèmes engendrés par une vie en quête d’une vérité universelle ou d’un tonneau de bière. Socrate plaisante encore le dernier jour de sa vie, avec le bourreau qui lui tend la coupe de poison. L’ironie socratique n’est pas une posture consistant à dissimuler sa propre supériorité. Elle n’est pas une tentative de saper tout fondement à la vie collective, ni un renoncement à percer l’énigme humaine. Elle est une réserve. Socrate, dans sa jovialité et sa souplesse, est mystérieux : ce qu’il dit peut varier d’un moment à un autre du dialogue, peut changer d’un dialogue à un autre. Il exagère un argument ici, « oublie » un élément essentiel là… Il s’adapte à ses interlocuteurs, parfois les éduque, leur dévoile ou leur cache des choses, tout en essayant d’apprendre lui-même à leur contact. C’est une danse. L’incomplétude qui plane sur les dialogues de Platon fait partie intégrante du mystère et de l’éducation du lecteur. La République qui émerge dans ce texte sur la justice n’est-elle pas une tyrannie de la pire espèce ? Que nous enseigne-t-elle sur notre intransigeance d’aujourd’hui ? Socrate croit-il vraiment au « philosophe-roi » ? Peut-être aurait-il fallu, pour lever un peu ce mystère, une conversation franche entre Platon et Socrate, mais elle n’a jamais lieu. Platon est absent. Dans La République, ses deux frères apparaissent en revanche : Glaucon et Adimante, si différents, si opposés, yin et yang. Ils se complètent l’un l’autre et leurs positions si distinctes dans cette petite communauté nocturne font partie de l’édifice. Je dois avertir le lecteur : La République de Platon ne peut pas donner une bande dessinée d’aventures. La seule scène d’action qui s’y présente est celle d’un esclave qui agrippe le manteau de Socrate. Cette petite frappe de Thrasymaque s’agite bien un peu au début du livre mais, tel un interlocuteur idéal, il s’adoucira dans l’avancée du dialogue. La République, ce sont quelques hommes dans une villa du Pirée qui tentent de faire la clarté sur la question de la justice. C’est une aventure de l’esprit, c’est la nuit qui offre un voyage, il faut s’accrocher au manteau de Socrate. Il n’est toutefois pas si absurde de représenter La République de Platon en bande dessinée car le petit théâtre de papier qu’est la BD permet d’incarner les êtres. Ils sont en deux dimensions, certes, cernés par un grossier trait de plume, mais, ils peuvent malgré tout soupirer, se gratter la barbe, rire et esquisser un pas de danse quand le corps reprend ses droits. Dans La République, Socrate mène un étrange dialogue avec Homère, critiquant la poésie, ébauchant lui-même un nouveau genre de poésie, qui soutient la vie philosophique. Les Iidées, si hautes soient-elles, ne peuvent s’exprimer que sur terre, dans les limites de notre condi-

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LA RÉPUBLIQUE - PRÉFACE tion. Socrate, ce soir-là, n’a d’ailleurs pas très envie de parler de justice. Étourdi par la fête, il veut simplement rentrer chez lui… Un autre de mes enseignants, qui ne joue pas du trombone celui-là, m’a donné à voir ce que pouvait être l’attitude de Socrate ici et maintenant, appartenant à la terre et au temps : c’était merveille de le voir interpeller les étudiants les plus réfractaires, qui, soudainement pris au sérieux sur les questions les plus importantes, déployaient un effort inédit pour mettre au jour leurs pensées. Laurent Bibard s’adressait au cancre qui roupille au fond de la salle comme s’il avait quelque chose à apprendre de lui. Les propos des uns et des autres n’étaient pas considérés comme des « opinions » qu’il fallait « déconstruire » mais comme le reflet d’une expérience : une expérience imparfaite, partielle peut-être, mais une expérience authentique qui permettait la découverte des liens qui donnent forme et contenu à la vie. Loin d’une philosophie abstraite et hors de portée se faisait alors entendre une musique qui nous atteignait très profondément, qui nous rapprochait de nous-même et de la nature. L’attitude de Socrate prenait vie sous mes yeux. Sans doute la barbe, le lever de coude, la bonne humeur constante favorisaient-ils la comparaison. Et aussi, peut-être pas la foi inébranlable, mais disons, la disposition de mon professeur Bibard à croire que « nul n’est méchant volontairement », comme l’a dit Socrate. Même si le mal a sa maison partout. Cette bande dessinée est une invitation à écouter Socrate, à agripper son étoffe, à l’accompagner pas à pas dans son raisonnement, avec ce qu’il faut de méfiance mais aussi d’appétit pour le mystère et pour le petit théâtre platonicien. Pour inviter à l’interprétation, je me suis appuyé sur la traduction et les notes de Jacques Cazeaux, les livres de Leo Strauss, de Frédéric Gros, d’Alexandre Koyré et de quelques autres. Et sur des conversations amicales. C’est surtout La Cité et son ombre d’Allan Bloom, cet essai libre et pénétrant sur La République, qui a nourri mon travail et m’a permis « d’incarner » Socrate en dessin. Car les dialogues platoniciens sont comme le Talmud ; l’interprétation n’en finit pas. Si Philosophie Magazine, qui m’a commandé ces pages, ne m’avait pas fixé un cadre et des délais, mes pages seraient sans doute meilleures mais elles seraient inachevées. François Lissarrague m’a fourni des images de l’iconographie antique susceptibles de faire vivre, dans ma bande dessinée, les propos des personnages dans ce dialogue qui se défie des images. Je recopie ici et là des céramiques grecques figurant la mythologie, j’en « réinvente » d’autres. Elles circulent dans la bande dessinée de façon à illustrer le dialogue, à proposer des interprétations. Ne dit-on pas que les figures sur les stamnoi et autres récipients antiques sont la première BD sur l’Iliade et l’Odyssée ? Il en est une que j’ai reproduite dans le livre et qui me plaît particulièrement : c’est une représentation d’Ulysse, vilain, ventru, roublard, qui tente de sauver sa carcasse menacée par Poséidon en colère. Il ressemble à Socrate, qui se veut l’Ulysse de la Raison. Sur ce vase grec, cet Ulysse-Socrate court au-dessus des vagues, son manteau flotte dans le vent. Agrippons-nous.

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Je dédie ce livre à l’amitié et à l’enseignement de Laurent Bibard.


LA RÉPUBLIQUE - LIVRE I

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LA RÉPUBLIQUE - LIVRE I

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REMERCIEMENTS Claire et Laurent Bibard, Tifenn Blain, Romain Brethes, Julie Davidoux, Martin Legros, François Lissarrague, Isabelle Merlet, Sven Ortoli, Vincent Pascal, Patrick Rödel, et Jean-Jacques Rouger.



DU MÊME AUTEUR

La fiancée du Dr Septimus, Blake et Mortimer, avec François Rivière, 2021 Le Detection Club, Dargaud, 2019 Hermiston, L’intégrale, d’après R. L. Stevenson, Futuropolis, 2018 Opération Cooperhead, Dargaud, 2017 Un pour tous, avec Michel Guérin, Actes Sud BD, 2016 Ulysse, les chants du retour, Actes Sud BD, 2014 En même temps que la jeunesse, Actes Sud BD, 2012 Les Invisibles, Futuropolis, 2008


CE SOIR-LÀ, SOCRATE N’AVAIT PAS L’INTENTION DE REFAIRE LE MONDE, IL VOULAIT SEULEMENT RENTRER CHEZ LUI…

Voici le plus célèbre traité de philosophie du monde : La République de Platon raconte une nuit dans une villa du Pirée à Athènes, durant laquelle quelques hommes, Socrate en tête, débattent de la justice et de la démocratie dans une cité idéale. Qui doit gouverner  ? Quelle est l’essence de la justice ? Quelle éducation est propice au Bien de tous ? Pourquoi serait-il nécessaire d’éduquer les femmes ? Grâce à la plume et au pinceau talentueux de Jean Harambat, entrez dans le monde extraordinairement vivant de l’œuvre qui a irrigué toute la philosophie occidentale.

Né en 1976, Jean Harambat suit des études de philosophie qui le conduisent à des activités diverses avant de trouver sa voie avec l’écriture et le dessin. Il a fait partie de la Sélection officielle au Festival d’Angoulême à plusieurs reprises et a reçu de nombreux prix pour son œuvre, dont le Prix René-Goscinny en 2017.

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