#114 novembre 2017

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MENSUEL N° 114 Novembre 2017

“Un architecte doit chercher à toucher l’âme”

FRANCIS WOLFF

CAHIER CENTRAL

Pourquoi je suis un humaniste

SÉNÈQUE

Lettres

à Lucilius

(extraits)

SÉNÈQUE LETTRES À LUCILIUS

Ne peut être vendu séparément. © Deagostini/Leemage ; Unslpash ; retouche : StudioPhilo.

RENCONTRE AVEC TADAO ANDO

COMMENT VIVRE AVEC L’IDÉE DE LA MORT ?

SUPPLÉMENT OFFERT

QUEL AVENIR POUR LE BAC PHILO ?

Mensuel / France : 5,90 € Bel./Lux./Port. cont. : 6,50 € Suisse : 11 CHF Andorre : 6,20 € Allemagne : 6,90 € Canada : 11,50 $CA DOM : 8 € COM :1 000 XPF Maroc : 60 DH

JEAN-MICHEL BLANQUER RÉPOND À CATHERINE KINTZLER

vivre mort ? Comment

avec l’idée de la

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ÉDITO

L’œil de

Berberian Par Alexandre Lacroix Directeur de la rédaction

Ces branches qu’on élague ’était le soir du dernier 14-Juillet, au bord d’un petit lac de Bourgogne. J’ai demandé à l’un de mes amis, âgé de 47 ans, pourquoi il s’était mis à fumer une fois la quarantaine sonnée, lui qui n’avait jamais ne serait-ce que tiré une taffe sur une blonde lors de son adolescence. Il rattrapait le temps perdu : je le voyais, à l’âge où la plupart essaient de renoncer à la manie du tabac, griller plus d’un paquet par jour. Cet ami me fit un large sourire et répondit : « Oui, c’est vrai, moi aussi je me demande pourquoi je fume tellement à présent. En plus, je n’aime même pas le goût, ni l’odeur de la fumée. — Alors, c’est la gestuelle qui te plaît ? — Non, je crois qu’en réalité… j’aime l’idée que la cigarette tue. Cela me fait plaisir de provoquer la mort, de la narguer un peu. Parce que ce n’est pas juste un pied de nez en l’air, tu comprends. Fumer est vraiment dangereux, c’est ça qu’est bon. » Cette réponse passerait peut-être pour de la provocation ; or elle est à mon avis non seulement lucide, mais représentative d’une tendance partagée. Nous brûlons tous volontairement et en pleine conscience une partie de notre énergie vitale, sans rien attendre en échange, en pure perte. Certains fument ; d’autres boivent, mangent trop, conduisent à toute allure, pratiquent des sports extrêmes. Comme si nous ne pouvions nous retenir, nous autres humains, d’offrir une partie de nous-mêmes au néant. La plupart du temps, nous prenons soin de nousmêmes. Mais le samedi soir, ou à intervalles réguliers, nous nous injectons une bonne dose de poison. Ne jamais le faire nous donnerait sans doute l’impression désagréable d’être de simples automates réduits à des tâches fonctionnelles. Pour qualifier cette attitude si répandue, le terme d’autodestruction me paraît néanmoins déplacé. Cet ami fumeur sur le tard, par exemple, n’est en rien un suicidaire, mais bien un amoureux de la vie. Dès qu’il y a danger, dès que nous adoptons une conduite qui nuit potentiellement à la santé, il se trouve dans les parages un psychologue de fête foraine pour parler d’addiction, de conduite à risque ou de pulsion de mort. Il n’est pas désagréable de trimballer dans sa poche un « Petit Freud illustré » – mais ne s’agit-il pas, en l’occurrence, d’autre chose ? Je voudrais avancer un terme : élagage. Quand un arbre est jeune, vous diront les jardiniers, il faut veiller à son fléchage, en coupant les pousses terminales qui menacent de créer une fourche, laquelle empêcherait le tronc de pousser haut et droit. Il convient de même d’affaiblir certaines branches, pour la régulation de la vigueur. Enfin, la remontée de la couronne ne s’obtient qu’en sectionnant les branches basses. La plupart de ces opérations de taille doivent s’effectuer durant la jeunesse. N’en va-t-il pas de même pour nous autres humains ? Toutes ces cuites, ces nuits blanches, ces expériences extrêmes que nous avons faites entre 15 et 25 ans, n’étaient-elles pas nécessaires à ce que nous poussions droit ? Nous nous faisons mal, certes, nous amputons notre corps, mais faut-il regarder avec tristesse ce qui est tombé à terre ou se réjouir plutôt que ces coupes franches nous aient aidés à trouver notre forme propre ? Il est bien possible que nous retranchions un excédent de sève, non pour le plaisir malsain de nous exposer au dépérissement, mais au contraire parce que c’est indispensable à l’épanouissement. Entendons-nous, je n’ai jamais été partisan de l’élagage sévère des arbres, qui relève du saccage. Mais un élagage modéré ne donne-t-il pas une silhouette plus libre ?

© Serge Picard pour PM ; illustration : Charles Berberian pour PM.

C

N’hésitez pas à nous transmettre vos remarques sur

reaction@philomag.com

Philosophie magazine n° 114 NOVEMBRE 2017

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10, rue Ballu, 75009 Paris Tél. : 01 43 80 46 10 www.philomag.com

TADAO ANDŌ P. 38

CATHERINE KINTZLER P. 8

Forte de son expérience de professeure au lycée durant plus de vingt ans et des réflexions qu’elle a consacrées à Condorcet, fondateur de l’instruction publique en France, cette philosophe s’est rendue rue de Grenelle, au ministère de l’Éducation nationale, pour échanger avec Jean-Michel Blanquer sur les réformes qu’il compte mettre en place. Et défendre le bac philo dont la pérennité est remise en question.

FRANÇOISE DASTUR P. 53

Universitaire et professeure, traductrice, spécialiste de Husserl et de Heidegger, elle reprend, avec un tempérament de pédagogue hors du commun, les questions que ses aînés soulèvent : le temps, autrui… et la mort, thème auquel elle a consacré plusieurs ouvrages – Comment affronter la mort ? ou La Mort. Essai sur la finitude. Elle explique comment elle parvient à vivre avec l’idée de la mort.

ÉTIENNE TASSIN P. 62

Il est l’un des premiers philosophes universitaires français à avoir consacré une thèse à Hannah Arendt – Le Trésor perdu. Hannah Arendt, l’intelligence de l’action politique. Aujourd’hui, il poursuit une réflexion sur le cosmopolitisme à l’heure des migrations. Il propose ici une lecture philosophique du livre-testament de Henning Mankell, le romancier suédois, dans lequel il a découvert une méditation profonde sur la mort à l’échelle de l’humanité.

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MIREILLE DELMAS-MARTY P. 74

Du Collège de France à l’Académie des sciences morales et politiques, cette juriste engagée a renouvelé le droit en le confrontant aux remous de la mondialisation. Après le monumental Forces imaginantes du droit, elle a récemment publié Aux quatre vents du monde. Elle révèle que, pour penser la loi dans un monde changeant, elle a un inspirateur : Gaston Bachelard, le philosophe de la raison et des rêves.

Prix Pritzker 1995, cet architecte a deux défauts qui pourraient être insurmontables : il revendique l’héritage de Le Corbusier et le béton est la matière qu’il préfère. Seulement voilà, peu d’architectures épousent autant le mouvement de la nature – la lumière et l’air – que les siennes. Et ses créations proposent tout simplement une réforme de l’esprit. La rencontre improbable de l’urbanisme et du zen ?

JUL

P. 96

Il participait déjà au n° 1 de Philosophie magazine – il était alors l’auteur remarqué de Il faut tuer José Bové et de Silex and the City. Depuis, ses séries – La Planète des Sages, Platon la Gaffe et 50 Nuances de Grecs – ont fait hurler de rire nos lecteurs avant de devenir des succès en librairie, accompagnées des textes de Charles Pépin (c’est d’ailleurs en collaborant à notre Guide de survie au bac philo que les deux compères se sont rencontrés). Ce mois-ci, nous disons adieu aux 50 Nuances de Grecs (que vous trouverez en album chez votre libraire dans quelques jours), et à Jul, au revoir, et surtout, merci !

SERVICE ABONNÉS abo@philomag.com / 01 43 80 46 11 Philosophie magazine, 4, rue de Mouchy, 60438 Noailles Cedex - France Tarifs d’abonnement : prix normal pour 1 an (10 nos) France métropolitaine : 57 € TTC (TVA 2,1 %). UE et DOM : 69 €. COM et Reste du monde : 77 €. Formules spéciales pour la Belgique et la Suisse Belgique : 070/23 33 04 abobelgique@edigroup.org Suisse : 022/860 84 01 abonne@edigroup.ch Diffusion : Presstalis. Contact pour les réassorts diffuseurs : À Juste Titres, 04 88 15 12 42, Julien Tessier, j.tessier@ajustetitres.fr RÉDACTION redaction@philomag.com Directeur de la rédaction : Alexandre Lacroix Rédacteurs en chef : Martin Legros, Michel Eltchaninoff Conseillers de la rédaction : Philippe Nassif, Sven Ortoli Chefs de rubrique : Martin Duru, Catherine Portevin Secrétaires de rédaction : Noël Foiry, Marie-Gabrielle Houriez Conception graphique : William Londiche / da@philomag.com Graphiste : Alexandrine Leclère Directrice photo : Valérie Dereux Rédacteurs photo : Mika Sato Rédacteur Internet : Cédric Enjalbert Webmaster : Cyril Druesne Ont participé à ce numéro : Adrien Barton, Charles Berberian, Paul Blondé, Bruno Bressolin, Édouard Caupeil, Philippe Chevallier, André Comte-Sponville, Victorine de Oliveira, Marie Denieuil, Audouin Desforges, Sylvain Fesson Philippe Garnier, Gaëtan Goron, Seb Jarnot, Jules Julien, Fumiko Kataoka, Alexis Lavis, François Morel, Tobie Nathan, Charles Pépin, Charles Perragin, Serge Picard, Emmanuel Polanco, Claude Ponti, Séverine Scaglia, Nicolas Tenaillon, Sylvain Tesson ADMINISTRATION Directeur de la publication : Fabrice Gerschel Responsable administrative : Sophie Gamot-Darmon Responsable développement éditorial : Julie Davidoux Fabrication : Rivages Photogravure : Key Graphic Impression : Maury imprimeur, Z.I., 45300 Manchecourt Commission paritaire : 0521 D 88041 ISSN : 1951-1787 Dépôt légal : à parution Imprimé en France/Printed in France / Philosophie magazine est édité par Philo Éditions, SAS au capital de 254 000 euros, RCS Paris B 483 580 015 Siège social : 10, rue Ballu, 75009 Paris Président : Fabrice Gerschel RELATIONS PRESSE Canetti Conseil, 01 42 04 21 00 Françoise Canetti, francoise.canetti@canetti.com PUBLICITÉ Partenariats/Publicité culturelle et littéraire Audrey Pilaire, 01 71 18 16 08, apilaire@philomag.com Julie Davidoux, 01 71 18 25 75, jdavidoux@philomag.com Publicité commerciale Anne Borromée, 01 71 18 16 03, 06 51 58 08 45 aborromee@philomag.com Audrey Pilaire, 01 71 18 16 08, apilaire@philomag.com MENSUEL NO 114 - NOVEMBRE 2017 Couverture : © Anka Zhuravleva

Origine du papier : Italie. Taux de fibres recyclées : 0 %. Tous les papiers que nous utilisons dans ce magazine sont issus de forêts gérées durablement et labellisés 100% PEFC. Le taux majoritaire indiqué Ptot est de 0,009.

La rédaction n’est pas responsable des textes et documents qui lui sont envoyés. Ils ne seront pas rendus à leurs propriétaires.

2016

© CP ; CP ; . Keitaku Hayashi ; DR ; Isabelle Vincenti/MAXPPP ; Cécile Gabriel/ Dargaud.

ILS ONT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO


Tombeau de l’intelligence bornée

Flambeau de la vaillance devant les spectacles horrifiques

p. 28

Crypte de l’animal rationnel p. 68

p. 54

Ossuaire des cancres sacrifiés sur l’autel de la pédagogie victorieuse p. 8

Griffon engendré par nos forces imaginantes

p. 74

Chapelle du Sacré-Ricœur

Mandibule de la Catalogne détachée du cadavre de l’Espagne

Stèle de la Défunte Ortografe

p. 84

p. 18

p. 28

Nef de l’étreinte subliminale

Allée de l’angoisse heideggérienne

p. 26

p. 53

Allée du crépuscule photogénique p. 80

DANS LES CATACOMBES DE NOTRE CONSCIENCE CE MOIS-CI

Sénèque et Lucilius fêtant leur deuxième millénaire d’amitié Cahier central

Avenue de l’ode au béton pur p. 38


SOMMAIRE P. 3 Édito

Dialogue exclusif

P. 8 Jean-Michel Blanquer / Catherine Kintzler P. 16 Questions à Charles Pépin

P. 18 Questions d’enfants à Claude Ponti

Henning Mankell accompagnant Étienne Tassin aux Enfers

P. 20 Courrier des lecteurs

p. 62

Déchiffrer l’actualité

Phalanges d’un paysan de l’Anthropocène inférieur

P. 22 TÉLESCOPAGE

P. 24 LA PERSONNALITÉ

Marc Jongen P. 26 REPÉRAGES P. 28 PERSPECTIVES L’indépendance de la Catalogne, ou la révolution des élites / La procréation médicalement assistée pour toutes les femmes ? / L’intelligence artificielle aura-t-elle notre peau ? / Esclavage : pourquoi il n’a pas disparu P. 32 AU FIL D’UNE IDÉE La dette P. 33 POUR UN NOUVEAU PARTAGE Isabelle Delannoy (en partenariat avec la Maif) P. 34 ETHNOMYTHOLOGIES par Tobie Nathan

p. 98

Fosse à restes de kebab p. 34

Prendre la tangente

Grotte du Tyrannosaure Rex

P. 38 RENCONTRE

Tadao Andō Perspectives intérieures P. 44 GÉNIE DES LIEUX par Sylvain Tesson

p. 36

DOSSIER Comment vivre avec l’idée de la mort ? P. 48 L’insouciance retrouvée ?

P. 52 Vivre en dépit ou grâce à la pensée

de la mort, avec André ComteSponville et Françoise Dastur P. 54 Reportage sur les travailleurs de la mort P. 62 L’humanité, elle non plus, n’est pas éternelle, par Étienne Tassin

Cahier central Agrafé entre les pages 50 et 51, notre supplément offert : Lettres à Lucilius (extraits) de Sénèque

Cheminer avec les idées P. 68 ENTRETIEN

Francis Wolff

P. 74 LE CLASSIQUE SUBJECTIF

Gaston Bachelard vu par Mireille Delmas-Marty P. 80 BOÎTE À OUTILS Divergences / Sprint / Intraduisible / Strates

Livres

P. 82 ESSAI DU MOIS

La Maison éternelle. Une saga familiale de la révolution russe / Yuri Slezkine P. 83 ROMAN DU MOIS Nos vies / Marie-Hélène Lafon P. 84 ENTRE LES LIGNES Le Philosophe et le Président / François Dosse P. 86 Nos choix P. 90 Notre sélection culturelle P. 92 Agenda

P. 94 LA CITATION CORRIGÉE

par François Morel

Dentition d’Épicure p. 48

© Illustration : Séverine Scaglia pour PM

P. 95 Jeux

P. 96 50 NUANCES DE GRECS

par Jul

Ce numéro offre un supplément de 16 pages, comprenant des extraits des Lettres à Lucilius de Sénèque (agrafé entre les pages 50 et 51). Un encart La Croix (3 volets, 10 g) est jeté sur 23 000 abonnés France Métropolitaine.

P. 98 QUESTIONNAIRE DE SOCRATE

Raymond Depardon

PHILOSOPHIE MAGAZINE N° 115 PARAÎTRA LE 30 NOVEMBRE

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Exclusif

DIALOGUE

Jean-Michel

BLANQUER Catherine KINTZLER

L’ÉDUCATION À ARMES ÉGALES Pour rompre avec un égalitarisme et un pédagogisme dévoyés, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer propose de revenir aux compétences fondamentales dès le plus jeune âge. Une ambition que partage la philosophe et ancienne prof Catherine Kintzler, qui s’inquiète cependant des possibles dérives des réformes en cours et de la remise en cause du statut de la philosophie au baccalauréat. Propos recueillis par Martin Legros / Photos Édouard Caupeil

n ce début de matinée d’automne, la lumière est vive, rue de Grenelle, dans le salon où nous attendons, Catherine Kintzler et moi, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer. Il est intervenu le matin même sur France Inter pour répondre aux accusations de conservatisme et à la démission du président du Conseil supérieur des programmes, Michel Lussault. Il faut dire que le ministre, pour sa première rentrée scolaire, est très exposé, lui qui a décidé de revenir sur une série de mesures prises par sa prédécesseure, Najat Vallaud-Belkacem, comme la suppression des options grec et latin et des classes bilangues au collège, ou la fin des devoirs accompagnés. Mais il a aussi choisi de réorienter son action sur l’apprentissage des fondamentaux au CP, parent pauvre du système. Alors que les polémiques se multiplient au sujet de réformes importantes sur lesquelles il réfléchit depuis longtemps, Jean-Michel Blanquer nous fait part d’emblée de sa satisfaction de pouvoir échanger sur le fond avec une philosophe spécialiste de l’éducation. On l’ignore, mais parallèlement à sa formation de juriste et à sa carrière dans l’Éducation nationale, il entretient un lien étroit avec la philosophie : après une maîtrise de philo à la Sorbonne, il a été l’élève de John

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Rawls, le grand philosophe de la Théorie de la justice, à Harvard – « il était un peu fatigué, mais son cours sur Rousseau était passionnant » –, et dans ses livres programmatiques consacrés à l’éducation, il s’inspire autant des recherches en neurosciences de Stanislas Dehaene que de la pensée de la complexité d’Edgar Morin. Face à lui, Catherine Kintzler : professeure en lycée pendant plus de vingt ans, spécialiste de Condorcet – l’inventeur de l’école républicaine –, mais aussi figure engagée de la gauche laïque, qui s’est très tôt élevée contre les dérives d’une certaine pédagogie égalitariste. « L’école est là pour armer les futurs citoyens, pas pour les désarmer », affirme-t-elle avec vigueur. Elle partage avec le ministre l’ambition de concilier instruction et épanouissement des élèves, mais ne croit pas que l’on puisse faire reposer la charge des réformes sur l’autonomie des établissements, qui risque de renforcer l’hétérogénéité du système. Surtout, elle s’ouvre à lui d’une inquiétude qu’à Philosophie magazine nous partageons : l’éventualité d’une suppression de la philosophie dans un baccalauréat réduit à quatre matières, selon le vœu du président de la République. Au terme d’un dialogue profond, le ministre s’est engagé à conserver à la philosophie la place exceptionnelle qui est la sienne en France, voire à la renforcer. Comme le dit Catherine Kintzler, « c’est la meilleure arme des citoyens ! »



Tangente

RENCONTRE


T A D A O A N D O Star mondiale de l’architecture, il crée des espaces pour modifier nos paysages mentaux. Alors qu’il transforme radicalement la Bourse du commerce à Paris, nous sommes allés le rencontrer dans son atelier au Japon. Propos recueillis par Cédric Enjalbert et traduits par Fumiko Kataoka

Perspectives intérieures

J © Ogata

«

e n’ai jamais étudié l’architecture et je ne la comprends pas », a récemment lancé Tadao Andō, lors d’une conférence. Lauréat en 1995 du prix Pritzker – une sorte de Nobel de la disci­p line –, il est pourtant une star de l’architecture mondiale, considéré à raison comme un épigone heureux de Le Corbusier (1887-1965). Un monument à l’apparence non­ chalante – assez rock dans l’allure avec sa coupe de cheveux qui rappelle les Beatles –, mais dont il est difficile de deviner les intentions sous un voile de désinvolture et d’ironie. Une assurance : Andō pratique l’architecture comme personne. Ses bâtiments sont conçus non tant

en fonction d’une esthétique ou de leur utilité, que du rapport qu’entretient l’homme avec eux, d’un « usage du monde ». L’un de ses chefs-d’œuvre a pris la dimension d’une île : Naoshima, dans la mer intérieure du Japon, au sud-est de Honshū. De cette ancienne « poubelle » à ciel ouvert, il a fait un espace d’art contemporain, à la demande d’un riche homme d’affaires. Là, sur cet îlot difficilement accessible depuis Tokyo, après deux trains, un bateau et un tour de vélo, Andō jardinier a planté massivement pour verdir ce mont chauve. Puis, il a conçu une série de bâtiments, dont le merveilleux

Chichū Museum, érigé autour de l’œuvre des artistes contemporains James Turrell et Walter De Maria, et de tableaux de Claude Monet. Pour y accéder, il faut emprunter une rampe, qui conduit dans les profondeurs souterraines. Dans l’obscurité, sur un sol fait de petits dés de marbre blanc adjoints sans être fixés, flottant sur un tapis de pierre mouvant sous ses pas, le visiteur fait face à une ouverture lumineuse, vers une autre salle. À mesure qu’il s’avance, par le jeu de la per­spective, cette percée dans le mur s’élargit. Les Nymphéas se dévoilent alors en pleine lumière, à plusieurs mètres sous terre.

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Dossier

Comment

vivre avec l’idée de la mort ?


PARCOURS DE CE DOSSIER

P. 48

Nous réconcilier par la pensée avec la condition mortelle ? Oui, mais par quels chemins ? Il se pourrait bien que la suprême conquête philosophique consiste non pas à se rappeler en permanence que nous allons mourir, mais à l’oublier.

P. 52

« La mort n’est rien pour nous » : la fameuse phrase d’Épicure est-elle tenable ? Réponse sobre du grand admirateur des sagesses antiques, André Comte-Sponville. Et désaccord nuancé de Françoise Dastur, qui entend faire place à l’angoisse, dans la lignée de Heidegger.

P. 54

Ils sont pompiers, infirmiers en soins palliatifs ou thanatopracteurs et vivent dans une intimité permanente avec la mort. Nous avons rencontré ces travailleurs de l’ombre. Comment traversent-ils ces épreuves quotidiennes ? En sortent-ils plus sages ?

P. 62

Comment se confronter à l’idée du désastre écologique et des déchets nucléaires que nous léguons ? Ce sont les questions qui hantent l’écrivain suédois Henning Mankell alors qu’il se sait condamné par un cancer. Le philosophe Étienne Tassin salue un esprit qui, en se projetant dans les 100 000 prochaines années, fait œuvre de philosophe.

© Anka Zhuravleva

CAHIER CENTRAL

Pour prolonger ce dossier, nous vous proposons des extraits des magnifiques Lettres à Lucilius, dans lesquelles Sénèque expose à son jeune disciple la supériorité d’une sagesse stoïcienne capable de toiser la mort, pour mieux cultiver l’âme. Philosophie magazine n° 114 NOVEMBRE 2017

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Dossier

COMMENT VIVRE AVEC L’IDÉE DE LA MORT ?

Et si le fin mot de la philosophie n’était pas de nous placer l’idée de la mort constamment sous les yeux, mais au contraire de nous en libérer ? Et si apprendre à mourir, c’était s’alléger du poids des ruminations macabres ? Tel est l’étonnant chemin – semé d’obstacles ! – qui mène à Épicure et à Spinoza. Par Alexandre Lacroix

L’insouciance

retrouvée ?


U © Alex Stoddard

nous sentons monter une irrépressible angoisse. Il n’y a pas de perspective plus effarante. Mais à peine abandonnons-nous ce genre de considérations qu’elles s’évaporent, perdant toute densité, comme les rêves qu’on oublie au réveil. Inconstance ? Signe que nous manquons de philosophie ?

sons d’abord d’une image : l’idée de la mort est comme une tache sur le carreau. Vous êtes à l’intérieur d’une maison. Par la fenêtre, vous apercevez un jardin, avec des fleurs et des arbres verdoyants. Ce jardin représente la vie. Sur le carreau de la fenêtre près de vous, il y a une tache. De deux choses l’une : soit vos yeux effectuent une mise au point sur la tache, et vous voyez celle-ci dans ses moindres détails, elle en acquiert une netteté hyperréaliste (si bien que vous vous rendez compte qu’il ne s’agit pas d’un simple dépôt de saleté, mais bien d’une bulle coincée dans le verre lui-même, que rien ne peut effacer) ; soit vous regardez le jardin et ne discernez la tache autrement que comme un point flou, grisé, qui flotte quelque part entre le feuillage vert et vous – moins qu’une ombre. Cette tache n’est autre que l’idée de la mort : lorsque nous fixons notre attention sur elle, la vie passe au second plan ; tant que nous nous donnons à la vie, elle est vague et anonyme, elle glisse au-dehors de notre champ de vision. L’idéal de lucidité commanderait de tenir les deux ensembles, de ne pas perdre de vue la certitude que le monde court au néant, alors que nous jouons dans la piscine avec nos enfants ou savourons des spaghettis aux fruits de mer, mais ce double postulat n’est guère tenable dans la durée. De sorte qu’en général nous nous aveuglons à moitié. Ou bien nous toisons ce monde avec l’œil d’un immortel. Ou bien nous le lorgnons avec l’œil d’un condamné. Avouons-le, nous nous trouvons vis-à-vis de la mort dans une perpétuelle oscillation. Si nous passons quelques minutes à y penser résolument, à tenter d’anticiper réellement ce que sera l’agonie, à méditer sur les événements qui poursuivront leur cours sans nous,

Mais les meilleurs philosophes euxmêmes hésitent ! Voici une définition possible de la philosophie : une discipline qui tente de nous accorder par la pensée avec la condition mortelle. Si cette définition est pertinente, comment le travail de la philosophie pourrait-il être achevé ? Son dessein est-il même atteignable ? Les Essais de Montaigne portent la trace éloquente de ces atermoiements. En 1572, dans le Livre I de son grand œuvre, Michel de Montaigne consacre un bel opuscule à cette devise antique : « Que philosopher, c’est apprendre à mourir. » Il commence par blâmer les étourdis qui refusent de penser à la mort : « Ils vont, ils viennent, ils trottent, ils dansent. De mort nulles nouvelles. Tout cela est beau : Mais aussi quand elle arrive, ou à eux, ou à leurs femmes, enfants et amis, les surprenant en dessoude [à l’improviste] et à découvert, quels tourments, quelle crise, quelle rage et quel désespoir les accable ? » Dans la suite du passage, le philosophe donne son âge : depuis quinze jours, il a 39 ans. Il s’estime encore jeune et espère avoir encore autant d’années à venir que passées (ici, le lecteur a l’avantage : il sait que l’auteur trépassera à 59 ans). Même dans la force de l’âge, Montaigne admet que la pensée – il emploie le terme savoureux de « pensement » – de la mort l’accompagne à chaque instant. C’est pourquoi il ne craint pas d’affirmer : « Le but de notre carrière c’est la mort, c’est l’objet nécessaire de notre visée. » En 1588, âgé de 55 ans, Montaigne revient sur la question au cours d’un essai recueilli dans son Livre III, « De la physionomie ». Paradoxalement, alors que sa santé est devenue précaire, il se montre bien plus désinvolte au sujet de la mort, comme dégagé. Il commence par louer les gens simples qui, toute leur vie, travaillent aux champs, sont à leur tâche sans se plaindre et ne « s’alitent que pour mourir ». Par contraste, les philosophes lui paraissent des geignards, qui se torturent avec des méditations sur la mort sans en tirer la moindre sagesse pratique, se montrent lâches quand l’heure arrive. « Si vous ne savez pas mourir, ne vous chaille [ne vous en faites pas], nature vous en informera sur le champ, pleinement et suffisamment. » Plus loin, il revient directement sur son affirmation antérieure. La mort ? « Il m’est avis que c’est bien le bout, non pourtant le but de la vie. » Entre le but et le bout, il y a un o. Quelque chose comme un trou.

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Dossier

COMMENT VIVRE AVEC L’IDÉE DE LA MORT ?

Les travailleurs

de la mort Pompier, équipe de soins palliatifs, médecin pratiquant l’euthanasie, thanatopracteur… Leur quotidien les place au plus près de la mort. Mais comment vivent-ils cette proximité ? Chacun a élaboré ses propres stratégies, que nous avons recueillies. Par Paul Blondé


© Kyle Thompson/Agence VU

L e métro s’arrête entre deux stations. Une moue passe sur les visages de nombreux passagers, et le message redouté résonne dans la rame. On distingue les mots « accident grave de voyageur », « trafic interrompu » et « reprise du trafic », mêlés au brouhaha. Que va-t-il se passer entre l’interruption et la reprise ? Thomas, ou l’un de ses collègues sapeurs-pompiers de Paris, va descendre sur les voies faire le travail indispensable que personne n’a envie de faire, et auquel personne n’a même envie de penser. « Quand il faut ramasser des pieds sur 400 mètres, raconte Thomas, une main par-ci, un foie par-là, je ne me pose pas de questions. Je ne le fais ni avec plaisir ni avec tristesse. Simplement, je le fais. C’est mon travail. » Thomas, 32 ans, fait partie des gens exerçant un métier qui le place régulièrement au contact de la mort. Comment vit-on à ce contact ? Comment voit-on la mort quand on la côtoie aussi souvent ? Et cette fréquentation fait-elle changer de regard sur la vie ? Épicure avançait dans sa Lettre à Ménécée que le seul moyen de se débarrasser de la peur de la mort était de s’en détacher et que, de toute façon, cette attitude était la seule porteuse de sens : « Habitue-toi à

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Idées

ENTRETIEN

FRANCIS WOLFF

NOUS, HUMAINS, NE SAVONS PLUS TROP QUI NOUS SOMMES Cet héritier des penseurs de l’Antiquité ne jure que par la raison pour comprendre notre expérience du monde. Passionné de musique, il cherche aussi à refonder l’humanisme, en proposant une véritable utopie cosmopolitique. Propos recueillis par Martin Duru / Photos Audoin Desforges

aris, non loin de la gare du Nord. On déambule un moment dans le quartier tamoul de la capitale, avec ses artères pleines de vie et ses enseignes bariolées. C’est ici que nous reçoit, à son domicile, un fervent défenseur du cosmopolitisme, humaniste jusqu’à la moelle. Dans un bureau à l’imposante bibliothèque, on oublie vite l’agitation extérieure ; la pensée de Francis Wolff imprime son style, son allant caractéristique : « distinguons deux choses », « cette thèse, je crois, peut être démontrée », « prenons des exemples ». Voici un philosophe qui ne jure que par la clarté et l’argumentation du propos. Qui repart toujours de la base, les questions « Qu’est-ce que ? » et « Pourquoi ? », viatiques de la rigueur conceptuelle. Qui, dans la lignée des Grecs qu’il vénère, ne se revendique au final que d’une seule chose : la raison. Quoi ? On la croyait disqualifiée, dépassée, has been. C’est tout le sel de l’histoire : Francis Wolff a été formé à l’École normale supérieure (ENS), qui a vu passer les Foucault et les Derrida. Or c’est en partie contre le postmodernisme et la déconstruction qu’il a tourné son travail, et ce sur les lieux du « crime » : il a été professeur, directeur adjoint, puis directeur du département de philosophie de l’ENS. Aujourd’hui professeur émérite de la noble maison, il ne transige toujours pas sur l’exigence de rationalité. Mais sans dogmatisme aucun. Francis Wolff n’a rien d’un gourou ni d’un maître sectaire ; c’est plutôt un éclaireur et un passeur, toujours partant pour la confrontation serrée des idées. Et si tout cela paraît (un brin) sérieux, ajoutons ceci : déjà, l’homme est d’une grande amabilité et un amateur de bonne chère ; ensuite, s’il a bâti une métaphysique exigeante, inspirant toute une nouvelle génération de penseurs, il s’empare aussi de sujets plus « chauds », brûlants même. Il a écrit sur la musique ou l’amour. Il tente de cerner le propre de l’homme, critiquant aussi bien le transhumanisme que les éthiques animales – notamment dans Trois Utopies contemporaines, son dernier livre qui vient de paraître. Alors, convainquant, voire enthousiasmant, le pari wolffien de la raison ? Voyons voir.

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Vous êtes professeur émérite à l’École normale supérieure, auteur d’une dizaine d’ouvrages. Quel a été votre parcours ? FRANCIS WOLFF : Je viens d’un milieu modeste. Mes parents étaient marchands de journaux à Puteaux. Ils étaient juifs allemands, rescapés du génocide. Par un concours de circonstances ils ont échappé aux rafles, ce qui n’a pas été le cas de mes grands-parents mater­ nels. Mon grand-père paternel, resté vivre en Allemagne, a lui aussi été déporté à Auschwitz. Je m’en tiendrai là. Forcément, ce souvenir a marqué mon enfance, qui fut malgré tout heureuse. Mes parents avaient, pour leurs enfants, une croyance très forte dans l’intégration et le salut par l’école républicaine. Vous entrez à l’ENS en 1971. Quelles grandes figures y avez-vous côtoyées ? Le maître des lieux, à l’époque, était Louis Althusser. Marxiste, proche des structuralistes, il jouissait d’un prestige considérable, y compris à l’étranger. Autant sa plume et sa pensée étaient acérées, dogmatiques, autant



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Idées

LE CLASSIQUE SUBJECTIF

GASTON BACHELARD V U PA R M I R E I L L E D E L M A S - M A RT Y

© Illustration : Jules Julien pour PM ; photo-droits d'inspiration : © Collection Dupondt/akg-images ; Isabelle Vincenti/MAXPPP. © Isabelle Vincenti/MAXPPP

« Bachelard m’a permis d’articuler rigueur et imagination » Professeure de droit à l’Université (Lille-2, Paris-11 et Paris-1), puis au Collège de France, elle est actuellement membre de l’Académie des sciences morales et politiques. À travers une œuvre ambitieuse (Les Forces imaginantes du droit [quatre volumes parus au Seuil entre 2004 et 2011], Libertés et sûreté dans un monde dangereux [Seuil, 2010], Résister, Responsabiliser, Anticiper [Seuil, 2013]), elle pense le droit à l’heure de la mondialisation. Dernier ouvrage paru : Aux quatre vents du monde (Seuil).

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Quel rapport entre Gaston Bachelard, philosophe des sciences, et le droit ? Pour Mireille Delmas-Marty, c’est en explorant l’imaginaire des objets et des concepts que l’auteur de La Psychanalyse du feu lui permet de repenser la loi dans un monde en perpétuelle mutation.

a lecture de Bachelard n’a pas exercé sur moi une influence directe. Elle a été, plus profondément peut-être, comme une mise en mouvement. J’étais fascinée par la place que ce philosophe des sciences, qui ne s’est jamais intéressé au droit, faisait aux images et à la poésie. Notre rencontre avait d’ailleurs commencé par un malentendu. Je cherchais la voie d’une articulation possible entre imagination et rigueur, alors qu’il met en garde contre certaines représentations

imaginaires qui sont un frein à la connaissance objective. Le feu est selon lui l’un des domaines “où l’attitude objective n’a jamais pu se réaliser, où la séduction première est si définitive qu’elle déforme encore les esprits les plus droits et qu’elle les ramène toujours au bercail poétique où les rêveries remplacent la pensée, où les poèmes cachent les théorèmes”. Le feu, mais aussi l’eau, l’air, la terre, qui sont “des substances immédiatement valorisées”, remarque-t-il dans La Psychanalyse du feu [1938]. Ces objets d’étude bénéficient d’emblée de représentations favorables de la part de l’observateur. Le feu évoque, par exemple, la chaleur d’un foyer, la cuisson des aliments, un bon repas, un tempérament vif et honnête : autant d’images qui s’interposent en écran entre le feu et la compréhension que nous en avons et que Bachelard tente de mettre en lumière et de

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