MENSUEL N° 123 Octobre 2018
LA RESONANCE Comment
raconte sa traversée du chaos
CAHIER CENTRAL
William James
LA RÉSONANCE
EXTRAITS DE
SELON l’ère du hacking l'expérience des êtres humains” Peter Singer religieuse
WILLIAM JAMES L’Expérience religieuse (extraits)
SUPPLÉMENT OFFERT
M 09521 - 123 - F: 5,90 E - RD
Alexandre Yuval Noah Harari L’ALTRUISME Jollien “Nous entrons dans EFFICACE
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retrouver le contact avec le monde
Ne peut être vendu séparément. © akg-images. Illustration : StudioPhilo/William L.
Mensuel / France : 5,90 € Bel./Lux./Port. cont. : 6,50 € Suisse : 11 CHF Andorre : 6,20 € Allemagne : 6,90 € Canada : 11,50 $CA DOM : 8 € COM :1 000 XPF Maroc : 70 DH Tunisie 11,30 TND
Huit ans après Accélération, le philosophe Hartmut Rosa présente son nouveau concept
ÉDITO
L’œil de
Berberian Par Alexandre Lacroix Directeur de la rédaction
Les saisons de la fragilité omme elle est étrange, cette lumière claire, presque blanche, qui traverse désormais nos automnes sans mollir, sans virer au miel, à la douceur, sans se nuancer d’ombres. Est-ce l’effet du réchauffement climatique ? Je vois, sur les arbres, les feuilles se racornir et dorer presque au même rythme qu’avant, mais la ville et les campagnes restent plongées longtemps dans une clarté nette de tragédie grecque, qui n’était autrefois que le privilège de juillet et qui se maintient avec insolence bien au-delà du délai, un peu comme une invitée encombrante qui ne comprend pas que l’heure est avancée, qu’elle devrait s’en aller. Mon corps, nos corps prennent de nouveaux plis, comme de supporter entre juin et août des chaleurs autrefois rarissimes sous nos latitudes, de plus de trente degrés, qui ne faiblissent pas des semaines durant. Il s’agit peut-être d’une sorte de training, de préparation au monde qui vient, s’il est vrai que les températures vont continuer à augmenter et que la courbe pour le siècle est asymptotique. Comme épreuve existentielle, mais aussi comme pure expérience, la canicule n’est pas que désagréable, elle donne aussi l’occasion d’explorer toute une gamme de plaisirs : celui de transpirer abondamment chaque jour et d’évacuer par tous les pores de la peau l’acidité et le sel, les toxines que les mois tempérés maintiennent sans doute à un niveau trop élevé dans l’organisme ; ou encore celui de se passer de manteau et même de veste, de n’avoir qu’une seule couche de tissu – chemise ou tee-shirt – sur soi, de se promener en short, en tongs, même sur nos lieux de travail ; celui de laisser les fenêtres ouvertes même la nuit, de vivre au grand air ; de retrouver chaque matin un ciel d’un bleu nu. Nos étés indiens, nos vagues de chaleur jouent sur nos cordes sensibles… Je pense aussi à ce cher vin rouge, que les canicules rendent indigeste, à qui l’on se surprend à préférer le blanc frais ; à ces sucres lents et ces viandes dont on n’aurait jamais cru avoir moins de gourmandise sincère que des fruits. Mais aussi, ces bouleversements récents tendent à changer ma perception des cycles de la nature. Jusqu’ici, les saisons à la beauté la plus fragile – et donc la plus précieuse ! – étaient pour moi l’automne, le printemps. Car il suffit d’un rien, d’un imprévu, d’un coup de froid précoce en octobre, de pluies et de grisailles trop insistantes de mars à mai pour que la magie de ces périodes soit gâchée. Désormais, c’est le froid qui me paraît fragile, précaire. Un manteau de neige sur la ville, une forêt gantée de gel, une pelouse couverte de gelée blanche à l’aube, une bonne descente du mercure à moins dix m’apparaissaient autrefois comme des manifestations de la puissance de l’hiver, de sa brutalité, comme si le froid était un étau capable de serrer le monde jusqu’à le faire durcir, à le suffoquer. Maintenant, neiges et gel me semblent aussi graciles et précieux que le vol d’un papillon ou la chute d’une bogue de châtaigne décrochée par une bourrasque. Il y a des nuages dans le ciel ? Loin de les regretter parce qu’ils amènent la pluie, il me font maintenant l’effet d’adoucir le panorama, d’introduire dans la pierre de l’azur un peu de l’évanescence des rêves. Ainsi, le changement climatique n’est pas qu’un problème de spécialistes, de climatologues et de géologues, de choix de politique énergétique ; il ne se traduit pas seulement non plus par des catastrophes, sécheresses ou tornades, qui font la une des médias dans le grand dehors du monde globalisé ; il s’est déjà fait une place au plus intime de nos vies. Il a déplacé pour nous les saisons de la fragilité.
© Serge Picard pour PM ; illustration : Charles Berberian pour PM.
C
N’hésitez pas à nous transmettre vos remarques sur
reaction@philomag.com
Philosophie magazine n° 123 OCTOBRE 2018
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10, rue Ballu, 75009 Paris Tél. : 01 43 80 46 10 www.philomag.com
CAMILLE FROIDEVAUX-METTERIE
CATHERINE MALABOU P. 72
P. 32
Spécialiste des théories et des débats féministes, elle tient un blog très suivi sur ce thème, « Féminin singulier », sur notre site philomag.com. Nous présentons en avant-première des extraits de son dernier livre, Le Corps des femmes. La bataille de l’intime, publié par Philosophie magazine Éditeur. Au lendemain de l’affaire Weinstein et du mouvement #metoo, elle y montre comment les rapports de pouvoir configurent l’expérience quotidienne et corporelle des femmes.
EVA ILLOUZ P. 60
De livre en livre, cette sociologue israélienne née en France explore les métamorphoses des sentiments à l’ère du capitalisme. Après Pourquoi l’amour fait mal, elle a récemment coécrit avec le psychologue Edgar Cabanas Happycratie. Comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies, une charge contre les gourous de la pensée positive. Elle se livre, dans notre dossier, à une lecture amicale mais critique du livre Résonance de Hartmut Rosa, qui vient de paraître.
Rigide et abstraite, la philosophie de Hegel ? Pas pour Catherine Malabou, qui après lui avoir consacré sa thèse, L’Avenir de Hegel, s’est inspirée du philosophe allemand pour élaborer son concept de plasticité. Cette professeure à l’université Kingston de Londres et à l’Université de Californie à Irvine, également autrice du récent Métamorphoses de l’intelligence, nous livre ici une relecture décapante de l’auteur de Phénoménologie de l’esprit, qu’elle dépeint en penseur de la transformation.
ALEXANDRE JOLLIEN
PETER SINGER
Comment faire de la philosophie une thérapeutique de l’âme et du corps ? Ce philosophe et écrivain, auteur d’Éloge de la faiblesse, n’a cessé de penser la recherche du bonheur à partir du handicap ou des blessures psychologiques. Parti pendant trois ans en Corée du Sud, il a suivi l’enseignement d’un maître zen et pratiqué la méditation, expérience qu’il raconte dans Vivre sans pourquoi. Il nous confie ici, avec courage et lucidité, son expérience de l’addiction, qui inspire aussi son dernier ouvrage, La Sagesse espiègle.
Pionnier dans la lutte pour la protection des animaux, professeur en bioéthique à l’université Charles-Sturt de Melbourne et à Princeton, l’auteur de La Libération animale a aussi critiqué les arguments contre l’avortement et l’euthanasie. Dans un long entretien, le philosophe utilitariste propose le concept d’« altruisme efficace », titre de son dernier essai sur la lutte contre l’extrême pauvreté, et esquisse une solution hétérodoxe à la crise des flux migratoires.
P. 34
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P. 66
YUVAL NOAH HARARI P. 28
Professeur d’histoire à l’Université hébraïque de Jérusalem, il est l’auteur de deux best-sellers planétaires : Sapiens, synthèse pluridisciplinaire de l’histoire mondiale du Paléolithique à nos jours, et Homo Deus, conjecturant un avenir gouverné par l’intelligence artificielle. Il répond à nos questions sur les défis du futur proche, à l’occasion de la parution de 21 Leçons pour le XXIe siècle.
SERVICE ABONNÉS abo@philomag.com / 01 43 80 46 11 Philosophie magazine, 4, rue de Mouchy, 60438 Noailles Cedex - France Tarifs d’abonnement : prix normal pour 1 an (10 nos) France métropolitaine : 57 € TTC (TVA 2,1 %). UE et DOM : 69 €. COM et Reste du monde : 77 €. Formules spéciales pour la Belgique et la Suisse Belgique : 070/23 33 04 abobelgique@edigroup.org Suisse : 022/860 84 01 abonne@edigroup.ch Diffusion : Presstalis. Contact pour les réassorts diffuseurs : À Juste Titres, 04 88 15 12 42, Julien Tessier, j.tessier@ajustetitres.fr RÉDACTION redaction@philomag.com Directeur de la rédaction : Alexandre Lacroix Rédacteurs en chef : Martin Legros, Michel Eltchaninoff Conseillers de la rédaction : Philippe Nassif, Sven Ortoli Chefs de rubrique : Martin Duru, Catherine Portevin Secrétaires de rédaction : Noël Foiry, Marie-Gabrielle Houriez Création graphique : William Londiche / da@philomag.com Graphiste : Alexandrine Leclère Responsable photo : Stéphane Ternon Rédactrice photo : Mika Sato Rédacteur Internet : Cédric Enjalbert Webmaster : Cyril Druesne Ont participé à ce numéro : Adrien Barton, Charles Berberian, Myriam Dennehy, Victorine de Oliveira, Sylvain Fesson, Tristan Garcia, Philippe Garnier, Gaëtan Goron, Seb Jarnot, Jules Julien, Samuel Lacroix, Frédéric Manzini, François Morel, Catherine Meurisse, Tobie Nathan, Charles Pépin, Charles Perragin, Serge Picard, Claude Ponti, Oriane Safré-Proust, Séverine Scaglia, Isabelle Sorente, Nicolas Tenaillon, Peter Van Agtmael, Laurent Villeret ADMINISTRATION Directeur de la publication : Fabrice Gerschel Responsable administrative : Sophie Gamot-Darmon Responsable abonnements : Léa Cuenin Fabrication : Rivages Photogravure : Key Graphic Impression : Maury imprimeur, Z.I., 45300 Manchecourt Commission paritaire : 0521 D 88041 ISSN : 1951-1787 Dépôt légal : à parution Imprimé en France/Printed in France / Philosophie magazine est édité par Philo Éditions, SAS au capital de 340 200 euros, RCS Paris B 483 580 015 Siège social : 10, rue Ballu, 75009 Paris Président : Fabrice Gerschel RELATIONS PRESSE Canetti Conseil, 01 42 04 21 00 Françoise Canetti, francoise.canetti@canetti.com PUBLICITÉ Partenariats/Publicité Audrey Pilaire, 01 71 18 16 08, apilaire@philomag.com MENSUEL NO 123 - OCTOBRE 2018 Couverture : © Benjamin Everett ; Francesca Mantovani/Gallimard via Leemage Origine du papier : Italie. Taux de fibres recyclées : 0 %. Tous les papiers que nous utilisons dans ce magazine sont issus de forêts gérées durablement et labellisés 100 % PEFC. Le taux majoritaire indiqué Ptot est de 0,009.
2017 La rédaction n’est pas responsable des textes et documents qui lui sont envoyés. Ils ne seront pas rendus à leurs propriétaires.
© CP ; Antje Berghaeuser/LAIF/REA ; Hannah Assouline/Opale/Leemage ; Francesca Mantovani/Gallimard via Leemage ; Charlie Surbey/Camerapress/Gamma-Rapho ; Alletta Vaandering.
ILS ONT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO
Grandes orgues de l’immanence des vérités p. 84
Cor d’harmonie de la championne de boxe thaïlandaise p. 56 Gong de Lao-Tseu p. 52
Rafraîchissement secret du joueur de flûteau p. 24
Tubes résonants de l’émotion religieuse Cahier central
L’hallali d’Harari p. 28 Grosse caisse de béton artistique p. 90
Petite flûte traversière de la dialectique p. 72
Saxophone avec prélèvement à la source p. 18
Second violon imitant le premier p. 22
Duo de faux Versaillais p. 98
Domination masculine encore bien ancrée p. 32
Glissandos multiples de l’addiction p. 34
SOMMAIRE P. 3 Édito
P. 8 Questions à Charles Pépin
P. 10 Questions d’enfants à Claude Ponti P. 12 Courrier des lecteurs
DOSSIER La résonance
P. 44 « Je parle au monde et il me répond »
avec Hartmut Rosa
P. 52 Les bonnes vibrations
des philosophes classiques
P. 56 Alter échos : cinq témoins racontent
L’instrument à vent préféré de Socrate p. 96
Déchiffrer l’actualité P. 14 TÉLESCOPAGE P. 16 REPÉRAGES
P. 18 PERSPECTIVES
La démission de Nicolas Hulot, ou l’expression de la dimension symbolique du pouvoir / Les hauts fonctionnaires de la Maison Blanche font de la résistance face à Trump / Les enjeux philosophiques du prélèvement à la source / La philosophe queer Avital Ronell accusée de harcèlement sexuel P. 22 AU FIL D’UNE IDÉE Le plagiat P. 23 POUR UN NOUVEAU PARTAGE Isabelle Berrebi-Hoffmann (en partenariat avec la Maif) P. 24 ETHNOMYTHOLOGIES par Tobie Nathan
Harpe enchantée de la vie bonne p. 44
leurs expériences de résonance
P. 60 Les limites du concept de résonance,
avec Stéphane Haber, Eva Illouz et Philippe Huneman
Cahier central Agrafé entre les pages 50 et 51, notre supplément : L’Expérience religieuse (extraits) de William James
Cheminer avec les idées P. 66 ENTRETIEN
Peter Singer
P. 72 LE CLASSIQUE SUBJECTIF
G. W. F. Hegel vu par Catherine Malabou P. 78 BOÎTE À OUTILS Divergences / Sprint / Intraduisible / Strates P.80 BACK PHILO
Prendre la tangente P. 28 ENTRETIEN
Les prophéties de Yuval Noah Harari P. 32 BONNES FEUILLES Le Corps des femmes. La bataille de l’intime, de Camille Froidevaux-Metterie P. 34 ENTRETIEN Alexandre Jollien : son combat contre l’addiction P. 40 MOTIFS CACHÉS par Isabelle Sorente
Cordes sensibles pincées par l’utilitarisme p. 66
© Illustration : Sévrine Scaglia pour PM
Ce numéro comprend un supplément de 16 pages, avec des extraits de L’Expérience religieuse, de William James (agrafé entre les pages 50 et 51). Un encart Malesherbes Publications (26 g, 115 x 225 mm) est jeté dans ce numéro 123 de Philosophie magazine. Il est adressé à 10 000 abonnés payants de France métropolitaine.
Livres
P. 82 ESSAI DU MOIS
On ne naît pas soumise, on le devient / Manon Garcia P. 83 ROMAN DU MOIS J’ai couru vers le Nil / Alaa el-Aswany P. 84 POINT DE VUE Tristan Garcia a lu Alain Badiou P. 86 Nos choix P. 90 Notre sélection culturelle P. 92 Agenda
P. 94 LA CITATION CORRIGÉE
par François Morel
P. 95 Jeux
P. 96 Humaine, trop humaine
par Catherine Meurisse
P. 98 QUESTIONNAIRE DE SOCRATE
Justice
PHILOSOPHIE MAGAZINE N° 124 PARAÎTRA LE 25 OCTOBRE
Philosophie magazine n° 123 OCTOBRE 2018
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« L’enjeu est de ne pas laisser l’accélération nous transformer en automates enchaînant des gestes et des actes de pensée optimisés, sans relation authentique les uns avec les autres, ni avec le monde. »
En vente en librairie ET SUR NOTRE BOUTIQUE EN LIGNE W W W. P H I L O M A G . C O M
Tangente
ENTRETIEN
Après les best-sellers Sapiens et Homo Deus, l’historien israélien signe avec 21 Leçons pour le XXIe siècle un nouveau grand récit, celui de notre avenir proche. Une réflexion inquiète sur un futur envahi par l’intelligence artificielle capable de hacker l’esprit humain, qui nous met au défideréinventerl’éducation et le travail. Visionnaire ou dogmatique ? Propos recueillis par Martin Legros
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Entretien
Les prophéties de
Y Yuval
Charlie Surbey/ Camerapress/Gamma-Rapho
Noah Harari
uval Noah Harari est un personnage déroutant. Cet historien israélien (42 ans) s’est imposé comme l’un des auteurs les plus lus dans le monde. Pourtant, son premier ouvrage, Sapiens, paru en 2011, est presque le fruit du hasard. À l’Université hébraïque de Jérusalem, où il enseignait l’histoire de la guerre au Moyen Âge, il a vent d’une demande récurrente des étudiants, celle d’un cours sur l’histoire de l’humanité. Si aucun professeur n’avait eu jusque-là l’énergie de répondre, lui décide de s’y coller. D’abord dispensé sur Internet, refusé par de nombreux éditeurs avant d’être publié à petit tirage en Israël, ce récit de la conquête de la Terre par Homo sapiens, grâce à son pouvoir de coopérer avec ses semblables et d’inventer des fictions collectives, comme l’État, les dieux ou l’argent, rencontre un succès planétaire. Cette « brève histoire du passé » est suivie en 2015 par Homo Deus. Une brève histoire de l’avenir qui s’attache à la métamorphose de la condition humaine sous l’influence des nouvelles technologies. C’est aujourd’hui un troisième volume qui paraît (toujours chez Albin Michel) : 21 Leçons pour le XXIe siècle, où l’auteur s’attaque aux défis de l’avenir proche. « L’humanité est confrontée à des révolutions sans précédent, écrit-il, tous nos vieux récits s’émiettent, et aucun nouveau récit n’est jusqu’ici apparu pour les remplacer. » Quelles sont ces révolutions ? D’abord la fusion de la biotechnologie et des technologies de l’information qui vont permettre de changer l’homme en intervenant sur son corps et son cerveau – « nous sommes entrés dans l’ère du hacking des êtres humains ». Grâce à leur puissance de calcul et d’apprentissage, les algorithmes décideront mieux que nous ce qui est bon pour nous, martèle Harari sans toujours étayer ce pronostic. Et ils rempliront bientôt, et toujours mieux que nous, la plupart des tâches qui nous étaient dévolues, comme conduire des voitures. Ces dernières seront augmentées de logiciels éthiques qui seront comme « pilotées par Michael Schumacher et Emmanuel Kant réunis ». Un constat qui vaut aussi pour la médecine et pour la composition musicale. Seuls les philosophes semblent avoir un avenir, eux qui seront requis pour trancher les conflits entre homme et machine. Et l’auteur de redouter une nouvelle division sociale opposant une petite caste de surhommes aux pouvoirs biologiques démultipliés à une masse d’inutiles. « Karl Marx est un meilleur guide dans le monde de demain que Steven Spielberg. » La crise à venir est donc béante. D’autant qu’elle survient au moment où les peuples ne croient plus au grand récit libéral d’ouverture des marchés, des frontières et de l’histoire pour s’adonner à des nostalgies nationalistes, autoritaires et religieuses. Alors qu’il s’agirait de compléter le modèle libéral pour garantir nos libertés contre les futures « dictatures digitales », tout se passe comme si nous n’y croyions plus. Quels sont les remèdes ? Pour l’historien, tous les outils sont à réinventer. En premier lieu, la politique et l’éducation. Mais aussi la méditation dans laquelle l’auteur, bouddhiste convaincu, voit une échappatoire possible. Mais il y a urgence. « Nous avons encore le choix pour quelques décennies. Si nous faisons l’effort, nous pouvons encore étudier qui nous sommes vraiment », conclut Harari. Son grand récit embrasse large, mais il est empreint d’une forme de dogmatisme qui le conduit à faire le portrait d’une humanité sur le point de renoncer à sa liberté – liberté dont le bouddhisme a montré, en réalité, qu’elle n’était qu’une illusion. L’entretien que nous publions est le fruit d’un échange par e-mails. Renommée oblige : nous n’avions droit qu’à cinq questions. Dans cet espace réduit, nous avons tenté de rendre compte de l’ampleur de sa démarche tout en le confrontant à ses contradictions, qu’il s’agisse de la fonction qu’il accorde aux récits ou de la place qu’occupent ses convictions bouddhistes.
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ENTRETIEN
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Entretien
« C’est le bordel, Mais y a pas de probleme » Dans son dernier ouvrage, La Sagesse espiègle, Alexandre Jollien révèle un moment de son existence où il a été pris dans l’engrenage d’une dépendance. Avec sincérité, il raconte son enfer et la manière dont il s’en est sorti.
© Unsplash, montage : StudioPhilo : William L. ; Francesca Mantovani/Gallimard via Leemage.
Propos recueillis par Alexandre Lacroix
Né en 1975, il a vécu dix-sept ans dans une institution spécialisée pour handicapés. Philosophe et écrivain, il est l’auteur d’Éloge de la faiblesse (Éditions du Cerf, 1999) et du Métier d’homme (Seuil, 2002), prises de parole distanciées sur le handicap, refusant l’apitoiement comme l’héroïsation. Avec Matthieu Ricard et Christophe André, il a signé Trois Amis en quête de sagesse (L’Iconoclaste/Allary Éditions, 2015), un immense succès public. Après Vivre sans pourquoi. Itinéraire spirituel d’un philosophe en Corée (Seuil, 2015), il publie en cette rentrée chez Gallimard La Sagesse espiègle.
U
ne fois n’est pas coutume, cet entretien est rédigé à la deuxième personne du singulier. Dire « tu » : il ne s’agissait pas d’afficher une quelconque connivence, mais de respecter le registre d’une conversation très intimiste. Certaines paroles n’auraient sans doute jamais été prononcées avec le vouvoiement ! Car cet entretien a une histoire : il y a un an, Alexandre Jollien, que je connaissais assez mal, m’appelle parce qu’il veut dîner avec moi et parler de la question de l’addiction… Pendant une année, alors qu’il rédigeait La Sagesse espiègle, son nouvel essai qui paraît chez Gallimard le 4 octobre, nous nous sommes retrouvés de temps à autre pour discuter de ce thème, quelquefois en compagnie d’un ami commun, le médecin alcoologue Jean-Bernard Daeppen, dont il sera aussi question dans cet article.
C’est que La Sagesse espiègle représente un pari risqué. Depuis Éloge de la faiblesse (éditions du Cerf, 1999), Alexandre Jollien a passionné de nombreux lecteurs en racontant son enfance blessée ou encore son long séjour en Corée pour y apprendre la méditation. Mais son nouveau livre, avec sa dimension autobiographique, risque d’en surprendre plus d’un. Jollien y manipule des substances hautement inflammables. Il y aborde plusieurs tabous – dont celui de la dépendance affective et sexuelle –, en ne perdant jamais sa voix, d’une sincérité déconcertante, qui alterne des références philosophiques élevées avec des tournures familières. C’est donc dans le prolongement de ces échanges que s’est tenu cet entretien, recueilli à la fin du mois d’août dans une pizzeria de Lausanne, où habite le philosophe. Lausanne, une ville si belle sous le soleil, si propre, qu’il était presque étrange d’y invoquer l’antique et terrifiant Chaos ! Mais qui peut se flatter de ne l’avoir jamais rencontré à l’improviste ?
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LE MONDE SELON
Michel Serres
Dialogue avec les « petites poucettes » • Le Grand Récit, du big bang à l’homme de demain • Sauve qui peut la Terre : pour un contrat avec la Nature • Communication : de Leibniz à Internet, via Tintin
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Dossier
POURQUOI AVONS-NOUS BESOIN D’ÊTRE AIMÉS ?
PARCOURS DE CE DOSSIER
P. 44
Héritier de l’école de Francfort, le sociologue Hartmut Rosa est l’un des penseurs contemporains les plus passionnants. Après avoir démontré que nous vivions à l’ère de l’« accélération », qui crée à la fois de l’épuisement et de l’aliénation, il lui oppose aujourd’hui un antidote : non pas la lenteur, mais la « résonance ». Parce qu’il éclaire magistralement les enjeux de notre époque, nous consacrons exceptionnellement notre dossier à sa théorie d’une nouvelle relation au monde. Un dossier qui commence par un entretien fleuve.
P. 52
L’idée de résonance trouve un écho puissant dans l’histoire de la philosophie. D’Aristote à MerleauPonty, en passant par Spinoza ou Rousseau, les philosophes sont nombreux qui ont pensé la vertu des justes rapports avec le monde, les autres et soi-même. Tour d’horizon.
P. 56
Nous vivons tous des expériences de résonance, mais certains sont amenés, par leur métier, à les cultiver au quotidien. Nous avons recueilli les témoignages vibrants d’un duo de musiciens, d’un jardinier, du cofondateur d’une communauté de travailleurs indépendants et d’une championne de boxe thaïlandaise.
P. 60
À se présenter comme un fait social total aux implications aussi bien éthiques que politiques, le concept de résonance ne va pas manquer de faire débat. Pour Philosophie magazine, les philosophes et sociologues Stéphane Haber, Eva Illouz et Philippe Huneman ouvrent le tir et nous font part de leurs critiques à l’égard de la proposition de Hartmut Rosa.
LA RÉSONANCE COMMENT RETROUVER LE CONTACT AVEC LE MONDE
HARTMUT en 1965 à Lörrach, dans la Forêt-Noire, ROSA N éHartmut Rosa est l’un des observateurs
© Tobias Kruse/Ostkreuz
les plus acérés de notre époque. Il a d’abord étudié la philosophie à l’université de Fribourgen-Brisgau et à la London School of Economics, avant de se tourner vers la sociologie. Il enseigne aujourd’hui à l’université d’Iéna. Cet intellectuel n’a publié que très peu de livres et reste discret dans les médias. En publiant en 2005 une somme, Accélération. Une critique sociale du temps (La Découverte, 2010), réflexion sur nos rythmes de vie insensés, il a accédé à une reconnaissance mondiale. Il a prolongé cette réflexion en faisant paraître le texte d’une conférence courte et frappante, Aliénation et Accélération (La Découverte, 2012). En 2016 est paru en Allemagne Résonance. Une sociologie de notre relation au monde, dont la traduction française sort cet automne chez La Découverte. Ce livre, dont l’ambition (et le volume !) sont comparables à ceux d’Accélération, propose une conception de la « vie bonne » qui nous a paru si intéressante que nous lui consacrons ce dossier.
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Dossier
LA RÉSONANCE
L a o -t s e u
(VIe siècle av. J.-C.)
L’harmonie avec le Tout
Les bonnes vibrations des « classiques » Aristote
Ton âme peut-elle embrasser l’Un, et former avec lui un tout indissoluble ? Le Livre de la Voie et de la Vertu
© Photo Josse/Leemage ; domaine public/jastrow ; Warren Keelan : domaine public ; domaine public.
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éconnecter, lâcher prise, retrouver l’harmonie avec la nature. Ces aspirations aujourd’hui en vogue peuvent s’autoriser d’une référence (très) éloignée dans l’espace et le temps : maître légendaire du taoïsme chinois, Lao-tseu se fait l’apôtre du « non-agir » comme secret de la fusion avec le Tout. Le « non-agir » ne signifie pas l’inaction, l’oisiveté complète ; il s’agit plutôt d’une attitude qui consiste à mettre de côté l’ego et toute forme de volontarisme. Pratiquer le non-agir, c’est renoncer à forcer le cours des choses ; c’est un laisser-faire, qui fait adhérer à « la spontanéité des êtres ». De la sorte, le sage taoïste s’unit, ne fait qu’un avec le Tao (« la Voie »), qui est le principe ultime de l’univers et la « source jaillissante » de tout ce qui existe. Comment faire ? Sans entrer dans les détails, Lao-tseu préconise la méditation. Cependant, il est également possible de se fondre dans le décor du réel ; c’est le peintre qui s’absorbe dans le paysage, ou le nageur qui épouse le courant du fleuve. Eux agissent avec plus de justesse, car ils acceptent d’être silencieusement portés et transformés par ce monde qui les accueille, et palpite en eux.
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(384-322 av. J.-C.)
L’amitié L’amitié entre les gens de bien est bonne et s’accroît par leur liaison même. Et ils semblent devenir meilleurs en agissant et en se corrigeant mutuellement, car ils s’impriment réciproquement les qualités où ils se complaisent Éthique à Nicomaque
V
otre ami vous impressionne. Ce que vous admirez le plus chez lui, ce n’est pas tant son humour – ou son indéfectible ponctualité à l’heure de l’apéro – que sa grandeur d’âme. Par ses comportements au quotidien, il vous inspire, vous tire vers le haut. Voilà une conception tout aristotélicienne de l’amitié. Pour le philosophe grec, celle-ci ne repose pas sur l’intérêt ou la recherche du plaisir. Condition du bonheur, l’amitié véritable survient quand je considère mon ami comme un alter ego, un « autre moi-même ». Pourquoi cet honneur ? Selon Aristote, « l’amitié est une vertu » : les amis sont des égaux qui partagent la même « disposition morale », qui ont la même attirance pour les conduites nobles et désintéressées. L’amitié va de pair avec une certaine émulation : les amis rivalisent pour apparaître comme des « gens de bien » – pour prendre un exemple aristotélicien, Untel, magnanime, donne son argent à ses amis. Je vois la vertu en lui, comme lui la perçoit en moi : l’amitié est indissociable d’un tel jeu de miroir, où je me réfléchis, me retrouve dans mon alter ego, et réciproquement.
Que ce soit dans l’amour ou l’amitié, le travail ou l’activité physique, la religion ou l’engagement politique, les philosophes ont frayé de nombreuses voies pour rendre la vie plus intense et renouer le lien avec le monde. Tour d’horizon en dix propositions.
Spinoza (1632-1677)
Par Martin Duru
L’amour Nous nous efforcerons, autant que nous pouvons, de faire que la chose aimée soit affectée d’une Joie qu’accompagne l’idée de nous, c’est-à-dire qu’elle nous aime en retour Éthique
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uand on sait l’état de transport dans lequel l’expérience peut nous plonger, la définition peut sembler un peu sèche : « L’Amour est une Joie qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure », écrit Spinoza. Pour l’auteur de l’Éthique, l’homme cherche à « persévérer dans son être », à vivre davantage. Lorsque cet effort est comblé, nous éprouvons de la joie : celle-ci correspond au « passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection ». Or une autre personne peut être à l’origine d’une telle expansion de soi – une rencontre imprévue, et c’est tout un monde qui s’ouvre… L’amour décuple ma « puissance d’agir », c’est-à-dire ma capacité à être affecté mais aussi à affecter. Spinoza y insiste : quand nous sommes amoureux, nous faisons tout notre possible pour que l’autre nous considère aussi comme « la cause extérieure » de son élan vital. Y arriverons-nous (avec des SMS enfiévrés ou des fleurs), c’est une autre question… Cependant, dans l’amour, il y a toujours cette espérance : que le rayonnement passe d’un être à l’autre, qu’un écho s’installe, que la ferveur se communique. En somme : joie de recevoir, plaisir d’offrir.
Rousseau (1712-1788)
La nature J’allais alors d’un pas plus tranquille chercher quelque lieu sauvage dans la forêt […] où nul tiers importun ne vînt s’interposer entre la nature et moi. C’était là qu’elle semblait déployer à mes yeux une magnificence toujours nouvelle lettre à Malesherbes
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es plus beaux jours, il dit les avoir passés dans les bocages et les bois, à s’émerveiller de « la pourpre des bruyères » ou de la « majesté des arbres ». Pour Jean-Jacques Rousseau, éternel solitaire, la nature est d’abord un refuge ; il s’y plonge pour mieux fuir le monde des hommes qu’il déteste. Mais Jean-Jacques ne gagne pas les forêts pour « se retrouver ». Au contraire, dans ses pérégrinations, il s’oublie lui-même en déplaçant son attention vers les formes de vie qui l’entourent. Il s’intéresse notamment aux plantes : il les collecte dans un herbier et en scrute par pur plaisir, sans ambition scientifique, les similitudes et les différences. Il s’agit de sonder la fécondité infinie de la nature afin de la célébrer dans son ensemble. C’est une communion romantique et panthéiste que Rousseau décrit : « Je sens des extases, des ravissements inexprimables à me fondre pour ainsi dire dans le système des êtres, à m’identifier avec lui » (Les Rêveries du promeneur solitaire). La nature est le lieu privilégié d’un tel lien d’immersion et de connivence secrète – il paraît qu’aujourd’hui, on enlace bien les arbres.
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Idées
ENTRETIEN
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Philosophie magazine n° 123 OCTOBRE 2018
Vous PETER SINGER devez vous demander comment faire le bien En France, Peter Singer est peu connu en dehors du cercle des militants de la cause animale dont il est l’un des maîtres à penser. Pourtant, c’est l’un des philosophes vivants les plus importants qui, par ses expériences de pensée provocantes, bouscule nos convictions morales les mieux ancrées. À l’heure où paraît son dernier livre L’Altruisme efficace, il nous accorde un entretien où la raison ne fait guère de sentiment. Propos recueillis et traduits par Alexandre Lacroix
© Alletta Vaandering
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épaysement garanti. Si Peter Singer est l’un des philosophes les plus influents et les plus débattus du monde anglo-saxon, il n’est guère connu du public français. Et pour cause : sa manière de raisonner, d’aborder les questions morales, est complètement déroutante pour notre tradition. L’ambition de Peter Singer est de fonder des recommandations éthiques en ne convoquant jamais aucun argument religieux et en s’en tenant à une argumentation rationnelle et à des données objectives et quantifiables. Il ne tient aucun compte des croyances et des valeurs des êtres humains, pas plus qu’il ne s’intéresse à leurs sentiments ou à leurs émotions. Son but est de donner à l’éthique la rigueur d’une science. Et, de fait, par son recours à de nombreuses expériences de pensée et par sa manière de citer souvent des chiffres, il semble nous proposer une sorte de morale de laboratoire. Peter Singer s’inscrit, en réalité, dans une tradition de pensée qui a fait florès dans les pays de tradition protestante : comme Jeremy Bentham, comme John Stuart Mill, il est utilitariste. C’est-à-dire qu’il se demande comment maximiser l’utilité, ou le bien-être du plus grand
nombre possible d’individus. Par individus, Singer n’entend pas seulement les humains, mais tous les « sentients », soit les êtres doués d’une conscience de la mort et capables de ressentir la douleur. La réflexion de Singer sur le bien-être animal est présentée dans un livre qui a fait date, La Libération animale (1975). Mais la parution en cette rentrée de L’Altruisme efficace (Éditions Les Arènes) donne l’occasion de découvrir un autre versant de son travail, qui a trait cette fois aux relations entre humains. Non content d’être utilitariste, Singer est aussi conséquentialiste : il considère que, pour évaluer si une action est bonne ou mauvaise, il faut laisser de côté les intentions de la personne qui l’a commise, pour s’intéresser seulement à ses conséquences. Un motard accidenté est au sol, vous croyez bien faire en essayant de le relever et vous lui abîmez la colonne vertébrale. Un conséquentialiste ne retiendra que ce dernier point : à ses yeux, vous avez mal agi. Dès lors, une bonne action est une action qui a pour effet d’accroître le bien-être objectif des êtres (leur santé, leur bien-être), et une mauvaise action a un impact négatif sur celui-ci. Voilà les grandes lignes du projet dans lequel s’inscrit Singer, qui nous emmène très loin de notre vie morale spontanée. Prêts pour le voyage ?
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© Illustration : Jules Julien pour PM ; photo-droits d’inspiration : © Hannah Assouline/Opale/Leemage ; Domaine public ; Hannah Assouline/Opale/Leemage.
Idées
LE CLASSIQUE SUBJECTIF
G. W. F. H E G E L V U PA R C AT H E R I N E M A L A B O U
« Hegel nous invite à nous transformer en permanence » Vous pensiez que Hegel était un penseur rigide et abstrait ? Catherine Malabou y voit au contraire un philosophe pour qui l’identité est « plastique », c’est-à-dire jamais figée.
C AT H E R I N E MALABOU
Elle enseigne à l’université Kingston, à Londres, et à l’Université de Californie à Irvine. Ses recherches lient philosophie hégélienne (L’Avenir de Hegel. Plasticité, temporalité, dialectique, Vrin, 1994), neurosciences (Que faire de notre cerveau ?, Bayard, 2004 ; Ontologie de l’accident, Léo Scheer, 2009) et réflexions sur les nouvelles technologies (Métamorphoses de l’intelligence. Que faire de leur cerveau bleu ?, PUF, 2017).
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’image de Hegel s’est ternie au cours du XXe siècle. Les atrocités du nazisme et du stalinisme ont rendu obsolète et dangereuse sa vision de l’histoire comme marche de l’esprit vers un sens et une rationalité absolue. Une telle lecture de Hegel est cependant trop massive et ne prend pas en compte toutes les ressources d’avenir qu’elle recèle. J’ai tenté très tôt de les faire apparaître dans ma thèse de doctorat intitulée précisément L’Avenir de Hegel. Le sous-titre en était “Plasticité, temporalité, dialectique”. J’ai en effet entrepris d’interpréter la philosophie hégélienne au fil de la plasticité. Ce n’est pas là un concept qui
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Depuis 2500 ans, la philosophie pense l’État et la politique. Aujourd’hui, la valeur cumulée des Gafa dépasse le PIB de la France.
Il est temps que les philosophes s’intéressent à l’économie, à l’entreprise et au sens du travail.
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L’entreprise peut-elle se libérer ? Hannah Arendt et le sens du travail Pour ou contre la bise au bureau ? Le collaboratif résout-il tous les problèmes ? Machiavel en open space Effet Matilda : où sont les femmes ? Pourquoi votre boss est incompétent L’intelligence artificielle mettra-t-elle fin au travail ?
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LA RÉSONANCE
(extraits)
SUPPLÉMENT OFFERT
WILLIAM JAMES L’Expérience religieuse