Hors-série : Le monde selon Michel Serres by Philosophie magazine

SERRES LIT TINTIN

Les Bijoux de la Castafiore, ou la communication impossible

Rencontre avec les « Petites Poucettes » Le Grand Récit, du big bang à l’homme de demain Sauve qui peut la Terre : pour un contrat avec la Nature

LE MONDE SELON

MICHEL

SERRES Cervantès, Jules Verne, Leibniz, Pascal... Michel Serres nous ouvre sa bibliothèque

France : 7,90 € / Andorre : 7,90 € / Belgique-Luxembourg-Portugal : 8,90 € / Allemagne : 9,20 € / Suisse : 14,90 FS Canada : 13,25 $CAN / TOM : 1100 CFP / DOM : 8,90 €

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Un contrat mondial longue durée Entretien avec Stephanie Posthumus pp. 51-53

pp. 7-13

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CHRONOLOGIE Le périple d’un penseur généraliste pp. 14-19

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Dans la bibliothèque de Michel Serres Extraits de Jules Michelet, Jules Verne, La Fontaine et de la Bible commentés pp. 56-63

Un passeur inspiré Entretien avec Michel Serres

LA NOUVELLE CONDITION HUMAINE Introduction par Martin Legros pp. 92-93

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Extrait « Nous nous construisons nous-mêmes » Michel Serres

pp. 20-23

p. 94

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COMMUNIQUER

Introduction par Sven Ortoli

LE GRAND RÉCIT

Introduction par Martin Legros pp. 26-27

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Extraits illustrés Du big bang à Apollo 8 Michel Serres pp. 28-34

Sommaire

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De Lucy à Petite Poucette Entretien avec Yves Coppens pp. 35-37

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Dans la bibliothèque de Michel Serres Extraits de Georges Lemaître, Henri Poincaré et Jacques Monod commentés pp. 40-45

p. 66

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Extrait « Internet, c’est vraiment du Leibniz sans Dieu… » Michel Serres p. 67

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Information, la révolution du doux Entretien avec Serge Abiteboul et Gilles Dowek

Extrait À notre santé ! Michel Serres p. 95

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Le renard enthousiaste Par Florence Ehnuel pp. 98-99

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Dans la bibliothèque de Michel Serres Extraits de Homère, Cervantès et Erwin Schrödinger commentés pp. 100-105

pp. 69-72

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Extrait Les Bijoux de la Castafiore. Quand la communication fait tintin Michel Serres pp. 73-81

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Dans la bibliothèque de Michel Serres Extraits de Homère, Pascal, Leibniz et Claude Shannon commentés pp. 84-89

QU’EST-CE QUE LA PHILOSOPHIE ?

Introduction par Octave Larmagnac-Matheron pp. 108-109

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Un penseur en dialogue Entretien avec Frédéric Worms pp. 112-116

PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE

SAUVER LA TERRE

Introduction par Martin Legros pp. 48-49

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Extraits « Polluer pour s’approprier » Michel Serres p. 50

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Dans la bibliothèque de Michel Serres Extraits de La Fontaine, Platon, Aristote et Leibniz commentés pp. 117-121

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ABÉCÉDAIRE pp. 122-130

Michel Serres

Le Monde selon

Les Petites Poucettes dialoguent avec l’ogre de savoir Entretien entre Michel Serres et sept enfants d’Internet

YVES COPPENS Professeur émérite au Collège de France, paléo anthropologue français, il est connu en tant que codirecteur de l’expédition qui permit la découverte du squelette de l’australopithèque Lucy (1974). Il a notamment publié Le Singe, l’Afrique et l’homme (Fayard, 1983), Le Genou de Lucy. L’histoire de l’homme et l’histoire de son histoire (Odile Jacob, 2010) et Origines de l’Homme, origines d’un homme. Mémoires (Odile Jacob, 2018). Il analyse la pertinence et la fertilité, dans son domaine de recherche, de la notion de « Grand Récit » élaborée par Michel Serres, pp. 35-37

GILLES DOWEK Informaticien et logicien, il est chercheur à l’Inria et professeur attaché à l’ENS Paris-Saclay. Il est notamment l’auteur de La Logique (Flammarion, 1995 ; rééd. Le Pommier, 2015), Les Métamorphoses du calcul. Une étonnante histoire de mathématiques (Le Pommier, 2007), et de Ces préjugés qui nous encombrent (Le Pommier, 2009). Il a aussi écrit, avec Serge Abiteboul, Le Temps des algorithmes (Le Pommier, 2017). Il analyse, à la lumière de l’œuvre de Michel Serres, l’avènement d’une société de l’information, pp. 69-72

FLORENCE EHNUEL Écrivaine et agrégée de philosophie, ancienne élève de Michel Serres, elle a contribué au Cahier de L’Herne n° 94 (2010) consacré au philosophe. Elle est notamment l’auteure de Le Beau Sexe des hommes (Seuil, 2008 ; rééd. Points, 2009) et Le Bavardage, parlons-en enfin. Pour une classe à l’écoute (Fayard, 2012). Elle fait le portrait d’un philosophe à l’enthousiasme teinté de spiritualité, pp. 98-99

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OCTAVE LARMAGNACMATHERON Titulaire d’un master de philosophie contemporaine à Paris-I, il a collaboré à l’ensemble de ce numéro, et a réalisé l’entretien avec Gilles Dowek et Serge Abiteboul, pp. 69-72

EMMANUEL LEVINE Agrégé de philosophie, élève de l’École normale supérieure, il prépare une thèse en phéno ménologie et philosophie politique. Il a participé à l’organisation du dialogue entre Michel Serres et les Petites Poucettes, pp. 7-13, et a réalisé l’entretien avec Stephanie Posthumus, pp. 51-53

STEPHANIE POSTHUMUS Professeur de littérature comparée à McGill University (Canada), elle a récemment publié French Écocritique: Reading Contemporary French Theory and Fiction Ecologically (University of Toronto Press, 2017). Elle évoque la place de Michel Serres dans l’écocritique nord-américaine et l’apport de son « contrat naturel », pp. 51-53

FRÉDÉRIC WORMS Professeur agrégé de philosophie contemporaine à l’ENS et directeur adjoint du département des Lettres, il a notamment publié La Philosophie en France au xx e siècle. Moments (Gallimard, 2009), Droits de l’homme et philosophie. Une anthologie (1789-1914) (CNRS, 2009), Le Moment du soin. À quoi tenons-nous ? (PUF, 2010) et Les Maladies chroniques de la démocratie (Desclée de Brouwer, 2017). Il évoque la figure bienveillante de son ancien directeur de mémoire et restitue l’apport original d’un rationaliste épris de dialogue, pp. 112-116

MENSUEL, 10 NUMÉROS PAR AN / Rédaction : 10, rue Ballu 75009 Paris / E-mail : redaction@philomag.com / Information lecteurs : 01 43 80 46 10 / www.philomag.com / Directeur de la rédaction : Alexandre Lacroix / Service abonnés : Philosophie magazine, 4, rue de Mouchy, 60438 Noailles Cedex – France (01 43 80 46 11), abo@philomag.com / Offres d’abonnement : abo. philomag.com / Diffusion : Presstalis / Contact pour les réassorts diffuseurs : À Juste Titres (04 88 15 12 44 – Julien Tessier, j.tessier@ajustetitres.fr) HORS-SÉRIE “MICHEL SERRES” Automne-Hiver 2018 / Rédacteur en chef : Sven Ortoli / Rédacteur stagiaire : Octave Larmagnac-Matheron / Secrétariat de rédaction : Vincent Pascal, asssisté de Noël Foiry / Direction artistique : Jean-Patrice Wattinne / L’Éclaireur / Iconographie : Véronique Billiotte / Couverture : © Thomas Laisné/Contour by Getty Images / Directeur de la publication : Fabrice Gerschel / Responsable administrative : Sophie Gamot-Darmon / Fabrication : Rivages / Impression : Mordacq, rue de Constantinople, ZI du Petit-Neufpré, 62120 Aire-sur-la-Lys / Commission paritaire : 0521 D 88041 / ISSN : 2104-9246 / Dépôt légal : à parution / Philosophie magazine est édité par Philo Éditions SAS au capital de 340 200 euros, RCS Paris B 483 580 015 / Président : Fabrice Gerschel / Relations presse : Canetti Conseil (01 42 04 21 00), francoise.canetti@canetti.com / Publicité culturelle, commerciale, partenariats : Audrey Pilaire (01 71 18 16 08), apilaire@philomag. com / Imprimé en France, Printed in France / La rédaction n’est pas responsable des textes et documents qui lui sont envoyés. Ils ne seront pas rendus à leurs propriétaires /

Michel Serres

Le Monde selon

6 Contributeurs

SERGE ABITEBOUL Informaticien et romancier, il est chercheur à l’ENS Paris, directeur de recherche à l’Inria et membre de l’Académie des sciences. Il est l’auteur de Sciences des données. De la logique du premier ordre à la toile (Fayard, 2012), et a écrit, avec Gilles Dowek, Le Temps des algorithmes (Le Pommier, 2017), ainsi que Terra Data. Qu’allons-nous faire des données numériques ? (Le Pommier/Cité des sciences et de l’industrie, 2017) avec Valérie Peugeot. Il aborde l’apport de la pensée de Michel Serres dans la compréhension des transformations du monde contemporain, pp. 69-72

Les Petites Poucettes dialoguent avec l’ogre de savoir

Fin septembre 2018 : sur le pas de sa porte, Michel Serres accueille les étudiants venus l’interroger.

ENTRETIEN AVEC MICHEL SERRES

Propos recueillis par Emmanuel Levine, avec Martin Legros et Sven Ortoli Photos : Stéphane Lagoutte/ MYOP

Dans son essai Petite Poucette, Michel Serres dressait le portait optimiste d’une jeunesse qui a grandi le portable au bout des doigts. Il lui lançait aussi un défi : inventer de nouvelles manières de connaître et de communiquer. Sept d’entre eux, âgés de 16 à 24 ans, sont allés à sa rencontre pour l’interroger en retour : comment vivre dans une époque en pleine mutation ?

Michel Serres

Le Monde selon

Aymeric Oehmichen, 16 ans

Élève en seconde au lycée international Montessori, passionné d’informatique, il s’inquiète de la passivité qu’implique un usage immodéré des écrans.

SARAH › Vous appartenez à une génération

Les Petites Poucettes et l’ogre de savoir

très différente de la nôtre et pourtant vous avez cherché à comprendre ce qui nous arrivait avec les nouvelles technologies…

MICHEL SERRES \ Vous avez raison de souligner la différence gigantesque qui existe entre ma génération et la vôtre. Et il ne s’agit évidemment pas tant de l’âge que du simple fait que vous êtes nés, si je puis dire, le portable à la main comme Athéna est sortie armée et casquée de la cuisse de Zeus ! Si j’ai forgé le personnage de Petite Poucette, c’était au départ pour réfléchir à la crise de l’éducation. La plupart des réponses à cette crise s’ordonnent toujours autour de la question des nouveaux programmes : « Il faut leur enseigner ceci ou cela ». Pour moi, c’est penser à l’ancienne ! Le problème ne tient pas à la nature des programmes, il tient au fait de savoir qui

sont les nouveaux élèves. Parce que vous habitez dans un nouveau monde ! Comme l’écriture et l’imprimerie par le passé, les nouvelles technologies changent radicalement notre rapport au monde. C’est comme cela que j’ai entamé ma réflexion sur Petite Poucette.

PIERRE › Pourquoi

avez-vous féminisé le personnage du Petit Poucet ?

M. S. \ Pour la raison suivante : les enseignants de ma génération ont fait l’expérience de ce fait, patent, que les filles étaient meilleures que les garçons – plus attentives, plus professionnelles, plus motivées. Pourquoi ? Parce qu’elles avaient à cette époque une place à conquérir. À l’école, elles en faisaient toujours un peu plus pour exceller. C’est pour rendre hommage à cette génération qui a porté les femmes beaucoup plus haut qu’auparavant que j’ai féminisé le Petit Poucet.

ADAM › Pour nous, Petites Poucettes, il est

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difficile de peser les avantages des nouvelles technologies puisqu’on les utilise depuis qu’on est né…

Mariette Thom, 22 ans

Étudiante en histoire contemporaine à la Sorbonne, elle insiste sur l’aliénation que peut représenter le portable.

M. S. \ Vous avez raison, c’est plus facile pour moi qui les ai vues apparaître. Mais prendre conscience des inconvénients comme vous le faites, c’est aussi apprendre à les maîtriser. C’était déjà la même chose quand on a inventé l’écriture, puis l’imprimerie ! On en oublie aujourd’hui les inconvénients... À ce propos, un monsieur que j’admire beaucoup a écrit un livre dont le héros a lu tellement de romans de chevalerie que tout ce qu’il voit est du roman. Il est complètement pris par le portable... pardon, par le roman ! Vous

Michel Serres

Le Monde selon

REPÈRES BIOGRAPHIQUES

« Je suis un enfant de Garonne. Mon père était marinier : j’ai habité le fleuve toute mon enfance »

« 1944... En un clin d’œil, le brave père de famille peut se transformer en bourreau »

1930 1er septembre : Michel Serres naît à Agen, dans le Lot-et-Garonne.

1944 À la libération d’Agen, il voit la foule tondre une femme qu’on a dénudée, accusée d’avoir couché avec un Allemand.

1939 La guerre redistribue les classes à la rentrée scolaire : l’élève Serres passe directement du primaire à une classe équivalant à la quatrième.

Le périple

1940 La famille Serres accueille une fratrie de réfugiés belges.

1949 Admis à l’École navale à Brest, il en démissionne bientôt, et passe une licence de mathématiques. 1951 Licence de lettres.

1952 Entre à l’ENS de la rue d’Ulm. Jacques Derrida et Pierre Bourdieu figurent parmi ses condisciples. Michel Foucault est son « caïman » (répétiteur).

« Je n’ai pas aimé cette période. J’en suis sorti laminé »

Le périple d’un penseur généraliste Des rives de la Garonne à l’université Stanford, de l’École navale à Normale Sup’, la trajectoire de cet académicien adepte de Wikipédia est aussi riche que singulière. Abordant tour à tour Leibniz, l’histoire des sciences, les systèmes de communication ou les albums de Tintin, son œuvre reflète la curiosité gourmande et la passion de comprendre qui l’anime. HISTOIRE POLITIQUE, SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE 1935 Formation du groupe de mathématiciens Nicolas Bourbaki. 1936 Alan Turing élabore un automate imaginaire, qui anticipe l’ordinateur.

1945 Deux bombes nucléaires, fruits du projet Manhattan, sont larguées par les États-Unis sur Nagasaki et Hiroshima.

1945 Les Françaises votent pour la première fois. 1948 Découverte de l’effet transistor.

1949 L’astrophysicien britannique Fred Hoyle forge l’expression « big bang » pour désigner par dérision la thèse de Georges Lemaître.

« Hiroshima est une catastrophe épistémologique, un événement qui a révélé l’horizon de la destruction totale possible de l’humanité »

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PUBLICATIONS SCIENTIFIQUES ET PHILOSOPHIQUES 1944 Dans What is life ?, E. Schrödinger, prix Nobel de physique 1933, anticipe la découverte de l’ADN.

1948 Claude Shannon publie A Mathematical Theory of Communication. Simone Weil, La Pesanteur et la Grâce, publication posthume.

1949 Claude Lévi-Strauss, Les Structures élémentaires de la parenté.

1932 Werner Heisenberg, connu pour sa formulation du principe d’incertitude (1927), reçoit le prix Nobel de physique.

1960 Maître de conférences à la Faculté de lettres de Clermont-Ferrand, où il retrouve Michel Foucault.

1969 Enseigne l’histoire des sciences à l’université Paris-I-Sorbonne. Ralliant les États-Unis sur le paquebot France, il rejoint l’université Johns-Hopkins.

1968 Après mai, il participe à la création du département de philosophie de l’université de Vincennes. Soutient sa thèse, publiée sous le titre Le Système de Leibniz et ses modèles mathématiques, devant Georges Canguilhem, Jean Hyppolite, Suzanne Bachelard et Yvon Belaval.

Publication du premier volume de la pentalogie Hermès, qui analyse la transformation du monde opérée par les nouvelles formes de communication.

Michel Serres

1956-1958 Service militaire dans la Marine française. Il participe à l’expédition de Suez en 1956.

« Je m’honore d’avoir reçu le prix du meilleur valseur lors de ma traversée sur le France »

Le Monde selon

1955 Reçu 2e ex æquo à l’agrégation de philosophie, et 1er au Capes.

« Le climat de l’époque, c’était marxisme et psychanalyse à haute dose »

Mission Apollo 11. Photographié par Neil Armstrong, l’astronaute Edwin (Buzz) Aldrin, fait à son tour un petit pas pour l’homme, le 20 juillet 1969.

1954 Début de la guerre d’Algérie.

1952 Georges Canguilhem publie Connaissance de la vie.

1958 Création du circuit imprimé par la firme Texas Instruments. 1960 Commercialisation de la pilule contraceptive aux États-Unis, réservée aux femmes mariées.

1958 Gilbert Simondon publie Du mode d’existence des objets techniques. Léon Brillouin publie La Science et la Théorie de l’information.

1961 L’astronaute russe Youri Gagarine est le premier homme à effectuer un vol dans l’espace. 1962 Entrée en vigueur de la Politique agricole commune de l’Union européenne. Manifestations paysannes en France.

1963 Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem. 1966 Michel Foucault, Les Mots et les Choses.

1965 Première connexion informatique à longue distance aux États-Unis. 1967 Promulgation de la loi Neuwirth autorisant la contraception en France. Première transplantation d’un cœur humain chez l’homme.

1970 Jacques Monod, Le Hasard et la Nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, dont Serres a relu le manuscrit.

1968 Événements de Mai-68. Présentation du projet de transfert décentralisé de données Arpanet, ancêtre d’Internet. 1969 Neil Armstrong et Buzz Aldrin sont les premiers hommes à fouler le sol lunaire.

1972 René Girard, dans La Violence et le Sacré, développe sa théorie du bouc émissaire.

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1953 Découverte de la structure en hélice de l’ADN par James Watson et Francis Crick.

Le périple

Parachutistes coloniaux, dernière troupe française à quitter l’Égypte, le 26 décembre 1956.

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Ouverture

20 Michel Serres

Le Monde selon

Le passeur inspiré

« Avec quelques-uns, j’appelle au secours de notre planète. Mais qui nous entend ? »

Michel Serres

Propos recueillis par Sven Ortoli

Le Monde selon

ENTRETIEN AVEC MICHEL SERRES

\ On a souvent dit que j’étais un éternel

optimiste, mais je n’ai jamais dit que le monde était bon, ni qu’il le deviendrait ; j’ai dit qu’il était meilleur aujourd’hui qu’hier. Toutes proportions gardées, mes petits-enfants ont une vie bien plus agréable que celle de mes parents.

Mais leur confiance dans l’avenir est moins grande ?

\ Oh ! la confiance dans l’avenir, c’est relatif… Pour mes parents qui ont connu deux guerres mondiales, elle n’était pas très assurée… Quant à moi, il y a un domaine dans lequel je suis très pessimiste : avec quelques-uns, j’appelle au secours, au secours de notre planète, au secours des fleuves pollués, des glaciers qui fondent et des océans jonchés de nos plastiques. Mais qui nous entend ? Nous ne sommes pas assez nombreux à y croire. La plupart des gens, les puissants en tête, préfèrent fermer les yeux. Après nous le déluge, en somme ! Le schéma est désastreux mais classique : de même que nous savons qu’un jour nous mourrons, mais sans y croire tout à fait, de même nous savons que l’humanité entière va droit dans le mur et nous refusons d’y croire !

Que conseilleriez-vous aux générations qui viennent ?

\ Je ne leur donnerai pas de conseil parce que les jeunes hommes et femmes qui grandissent aujourd’hui comprennent bien mieux que moi la catastrophe qui vient ! Et c’est par eux que passera le salut du monde, si salut il y a. Quant à ce que sera leur futur, je ne me donnerai pas le ridicule de le décrire : on peut dire des futurologues ce que Caton disait des aruspices 1 à Rome : ils ne peuvent pas se regarder sans rire ! Je ne fais jamais de prédictions.

Ouverture

MICHEL SERRES

Vous affirmez tout de même que l’avenir est sombre…

\ Ce n’est pas une prédiction, c’est un fait. Bien sûr que l’avenir est sombre. Mais tout n’est pas écrit, donc rien n’est inéluctable. Cela signifie-t-il qu’il n’y a pas de déterminisme absolu ? Que le hasard existe, en somme ?

\ On sait depuis les néo-darwiniens qu’il y a deux leviers dans l’histoire de la vie qui sont : la mutation, 1. Devins qui examinaient les entrailles des animaux sacrifiés pour en tirer des présages.

PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE

Êtes-vous un optimiste ?

Marin, fils d’un marinier de la Garonne, Michel Serres n’a cessé de jeter des passerelles entre des domaines de savoir qui semblaient infranchissables. Homme des confluences adepte d’une philosophie « liquide », il navigue sous le ciel étoilé de la connaissance en abordant aujourd’hui les rivages des textes sacrés. Entretien sur le futur de la planète, la contingence et le sel de la vie avec un homme de dialogue, spirituel dans tous les sens du terme.

PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÃ&#x2030;RIE

24 Michel Serres

Le Monde selon

Récit

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Le Grand Michel Serres

Le Monde selon

Michel Serres

Le Monde selon

« Nous avons eu un choc, dans les années soixante, en contemplant les photos de la Terre prise de l’espace : pour la première fois de notre histoire, nous avons vu le monde sans horizon, la planète telle qu’elle est dans le cosmos. Cela a donné un poids concret à la formule de Pascal : “Nous sommes embarqués.” Les hommes ont soudain compris qu’ils étaient tous des matelots d’un même navire. En outre, ils ont commencé à se rendre compte des blessures qu’ils infligeaient au monde sous couvert d’exploitation des ressources. »

Le Grand Récit

Michel Serres, « Et si… on instaurait la paix perpétuelle ? », in Philosophie magazine, n° 28, avril 2009, p. 34.

Photo prise le 24 décembre 1968 dans le cadre de la mission Apollo 8 qui offrit la première vision d’un lever de Terre depuis la Lune, et permit la première sortie de l’orbite terrestre par des hommes.

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Michel Serres

Le Monde selon

De Lucy à Petite Poucette ENTRETIEN AVEC YVES COPPENS Propos recueillis par Sven Ortoli

YVES COPPENS

\ L’idée est tellement juste que je regrette

de ne pas l’avoir eue avant Michel ! Avec le Grand Récit, il a inventé un terme qui parle immédiatement parce qu’il inscrit l’humanité dans toute une longue histoire de narrations, celle de l’Univers, celle de la Terre et celle de la vie. Michel Serres possède – c’est un don – un regard grand angle qui lui permet de saisir le concept qui se cache derrière un fait ou une pratique en cours.

Une pratique en cours… ?

\ Oui, parce qu’un certain nombre d’entre nous, que ce soit chez les paléontologues ou chez les astronomes et d’autres, pratiquaient en somme le Grand Récit comme Monsieur Jourdain la prose. Si je me reporte à mes premières années sur le terrain, c’était la manière naturelle de voir les choses. D’envisager des temporalités différentes. Par exemple, lorsque je suis parti travailler dans le sud de l’Éthiopie vers 1967, j’ai commencé par survoler la zone pour évaluer la dimension du bassin sédimentaire. J’aurais pu me contenter du petit bout de terre que l’on m’avait assigné comme terrain de fouilles puisqu’il était bourré de fossiles, mais envisager la totalité du bassin permettait de déterminer ce qu’il pouvait contenir, et ainsi de

circonscrire l’espace et, par suite, l’histoire. J’ai fait ensuite le tour à pied. Des centaines de kilomètres carrés ! Mais il fallait bien les parcourir pour situer mon espace de recherche. J’ai toujours eu cette manie, ou cette manière, de circonscrire le sujet que j’avais à traiter avant de passer à l’autre bout de la lorgnette. Pour le temps, c’est pareil. Je commence toujours mes conférences à la première perception de l’Univers il y a 14 milliards d’années, même si je traite des derniers millions ! Michel m’a gentiment dit un jour : « Au fond, Lévi-Strauss s’est occupé de l’espace, et toi du temps ». Ce n’est pas faux en ce sens que ma discipline est fondamentalement historique. Elle s’inscrit dans le temps et ne peut pas exister sans un calendrier et des datations.

D’où la nécessité d’un Grand Récit rassemblant des chronologies ?

\ Il est indispensable ! Lorsque je m’adresse à des enfants, je n’aime guère utiliser des chiffres : 4 milliards pour la vie, 2 milliards pour la vie pluricellulaire, etc. Donc je raconte une histoire : « Si vous demandez à votre papa d’acheter un microscope très cher – à effet tunnel – et que vous regardez votre peau, vous verrez des atomes, identiques à ceux qui peuplaient l’Univers il y a 14 milliards

PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE

Que vous inspire l’idée de Grand Récit ?

Le Grand Récit

Il n’y a pas si loin de la paléontologie à la philosophie. Une même question obsède les deux disciplines : Qu’est-ce que l’homme ? Et elles s’accordent sur la nécessité d’inscrire notre histoire dans une narration plus vaste. Celle du Grand Récit, axe d’interprétation qu’Yves Coppens partage avec son ami Michel Serres.

Michel Serres

Le Monde selon

« Polluer pour s’approprier » MICHEL SERRES { E X T R A IT S }

La pollution n’est pas un effet collatéral de nos activités industrielles, mais un geste fondamental par lequel l’animal humain s’approprie la Terre. Toujours, il a vécu en parasite, exploitant son hôte – notre planète – jusqu’à le mettre en danger. Passons à la symbiose !

50 Sauver la Terre PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE

Michel Serres, Le Mal propre, Poche-Le Pommier, 2012, pp. 86-87.

etour donc à la nature ! Cela signifie : au contrat exclusivement social ajouter la passation d’un contrat naturel de symbiose et de réciprocité où notre rapport aux choses laisserait maîtrise et possession pour l’écoute admirative, la réciprocité, la contemplation et le respect, où la connaissance ne supposerait plus la propriété, ni l’action la maîtrise, ni celles-ci leurs résultats ou conditions stercoraires 2. Contrat d’armistice dans la guerre objective, contrat de symbiose : le symbiote admet le droit de l’hôte, alors que le parasite – notre statut actuel – condamne à mort celui qu’il pille et qu’il habite sans prendre conscience qu’à terme il se condamne lui-même à disparaître. Le parasite prend tout et ne donne rien ; l’hôte donne tout et ne prend rien. Le droit de maîtrise et de propriété se réduit au parasitisme. Au contraire, le droit de symbiose se définit par réciprocité : autant la nature donne à l’homme, autant celui-ci doit rendre à celle-là, devenue sujet de droit. » «

Michel Serres, Le Contrat naturel, Champs essais, Flammarion, 1992, pp. 67-68.

1. Rousseau. 2. Relatifs aux excréments.

e premier vivant qui ferma un terrain en s’avisant de pisser sur son pourtour devint le premier propriétaire en même temps que le premier des pollueurs.” Voilà du Jean-Jacques 1 en version écolo. De la pollution vient l’appropriation et réciproquement. Depuis l’invention de la chasse d’eau – fin du xixe siècle à Londres – et celle du tout-à-l’égout, il devint, en effet, difficile – et fort rare – de pouvoir marquer nos niches par l’urine ; changeant de régime, nous nous rabattîmes sur d’autres techniques, dures et douces. Ne prenant, dans nos comptes, que les premières, nous risquons de ne pas résoudre le problème. Non, je me trompe, tout peut changer. Car, inversement, ne pas polluer, cela équivaudrait à ne point s’approprier ni envahir. Voici la nouveauté sublime : une avancée neuve vers la paix. […] Voilà : je dois recommencer pour la dernière fois. Beaucoup d’animaux délimitent leur niche par l’urine ou quelque autre déjection. Si je crache dans la soupe, nul ne pourra plus la déguster que moi : elle en devient ma propriété. Le propre s’acquiert et se garde par le sale. Nous avons suivi les conduites animales, agricoles, religieuses, tribales, nationales, industrielles, mondiales... » « “

Michel Serres

Le Monde selon

ENTRETIEN AVEC STEPHANIE POSTHUMUS

Un contrat mondial longue durée Il y a trente ans, Michel Serres jetait les bases d’une communauté de la nature et des hommes : un « contrat naturel » à l’échelle de la planète. Spécialiste canadienne de l’écocritique, Stephanie Posthumus évoque l’écho de la pensée de Serres outre-Atlantique. Et souligne à quel point le style et la pensée sont imbriqués dans l’expression de son projet planétaire, fruit d’un humanisme où l’homme n’est plus au centre du monde.

STEPHANIE POSTHUMUS \ Sa pensée écologique demeure cantonnée dans les départements de littérature, en raison de son style très poétique. C’est d’ailleurs paradoxal puisque les écologistes nord-américains sont en quête de nouvelles manières de vivre plus respectueuses de l’environnement, d’un programme politique « vert » et d’une nouvelle éthique de la nature : tout ce que l’on trouve dans son éco-philosophie ! On peut espérer que la traduction de ses œuvres plus récentes va permettre aux

lecteurs nord-américains de découvrir l’énorme potentiel de son « contrat naturel ».

L’écocritique anglo-saxonne pense l’environnement sur le modèle d’une nature sauvage à préserver. En quoi la pensée de Michel Serres marque-t-elle une rupture par rapport à ce courant ?

\ Si sa pensée est très attentive au monde non-humain, il n’appréhende pas le rapport entre nature et

PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE

Quelle position Michel Serres occupe-t-il dans la pensée écologique outre-Atlantique ?

Sauver la Terre

Propos recueillis par Emmanuel Levine

Michel Serres

Quand la communication fait tintin

Le Monde selon © Hergé / Moulinsart 2018

Communiquer

chute finale : une visite impromptue qui tombe mal. Les dernières cases de l’album des Bijoux de la Castafiore d’Hergé encadrées par le hibou, le perroquet et la pie.

Qu’advient-il d’un monde où la communication se propage de manière instantanée ? Michel Serres ouvre l’album des Bijoux de la Castafiore et étudie la question dans un article aussi prophétique que séminal de la revue Critique, en 1970. Son texte, qui lui valut des remarques acides du monde académique, est resté justement célèbre. D’abord parce qu’il y envisage la bande dessinée comme objet d’étude philosophique. Ensuite parce qu’il annonce et décrit une communication devenue pléthorique où se multiplient brouillages, inversions et distorsions – soit une société de « l’incommunicable ». Allô, Houston ? Ici la boucherie Sanzot.

PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE

PAR MICHEL SERRES

Michel Serres

Le Monde selon

74 Communiquer

Les planches et légendes accompagnant ces pages ne figuraient pas dans l’édition originale du texte de Michel Serres. Elles émanent de la rédaction.

onte aux doctes, aux profonds, aux théoriques, aux illisibles, aux ténébreux, aux inaccessibles, à tous ceux qui multiplient nos drames vitaux par surenchère à la surdité intersubjective. Oui, la monadologie contemporaine, c’est Les Bijoux de la Castafiore. Le trésor est au fond du nid de la pie bavarde ou dans la cassette de la péronnelle. Qui ne savent quoi en faire. Qui ne cessent de faire du bruit. Voici des dessins pour aveugles et, pour les sourds, du bruit. […] La scène est à Moulinsart. Pour la deuxième fois, depuis Pot-Bouille, l’essentiel est un escalier. Chez Zola, l’ancien décor, entre cour et jardin, était

devenu le plateau même, où se croisaient, aveuglément, le peuple et les bourgeois. La ligne de partage était le lieu du drame. Ici, l’escalier a fonction symbolique : chemin central par où tous passent, par où tous doivent passer, pour sortir, ouvrir la porte, aller au village, et dont une marche est rompue. L’accident forcé dans le nécessaire. Le canal est obstrué, la communication interrompue. Autrement dit : toutes les techniques, tous les moyens, donnés ou construits, de rapport à autrui, sont irréparablement brisés. Boullu n’arrive jamais ; lorsqu’il répare enfin, l’accident recommence. L’interception. Sautez au dernier dessin [voir page précédente] : le degré cassé, le capitaine affalé parmi les débris, l’échelle de marbre occupe l’espace. De part et d’autre, trois oiseaux : le hibou, le perroquet, la pie. La pie qui surveillait la promenade tout au haut du premier tableau. La pie voleuse, bavarde, l’oiseau d’opéra, ouvre et ferme la marche. Les trois bêtes parlent : ululent, jacassent, répètent. Voyez maintenant le profil de Blanche, jamais présentée de face : vieille chouette, pie, perroquet ? Le marin, dans son cauchemar, décide :

les plombs et les perles, la bougie et les bijoux. Coupure

la perruche sur les planches, et lui, tout nu, dans un parterre de papegais [voir p. 81]. Ah, jeunesse de mousse, où l’on carguait les voiles en haut du cacatois… Or, la vieille chouette chante La Gazza ladra 1. Et donc la Castafiore, seule entre tous, ne chute pas dans l’escalier, parle à tous et n’écoute rien, a le trésor et le cache sans l’assurer. D’où les personnages principaux de la farce : une pie, un escalier, un perroquet, prosopopées du langage. Trésor perdu, échange manqué. Seul le savant sourd, insensible au bruit comme d’ailleurs au sens, saura changer Bianca en ce qu’elle devrait être, des roses blanches.

lle chante et perd les Bijoux, la diva : un cyclone. Elle vocalise : le bruit de fond. Elle parle. Elle qui se métamorphose en trois oiseaux, transforme ses interlocuteurs en personnages différents, les fait exploser, les démembre, les tue, les anéantit, en truquant les mots et les noms. […] Le plus touché par la tornade est le vieux loup de mer, l’hôte dont la maison est envahie. Mordu par l’enfant

de courant, coupure de la voix. Plus de peur que de mal ; les bijoux étaient sous les coussins.

PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE

PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÃ&#x2030;RIE

90 Michel Serres

Le Monde selon

PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÃ&#x2030;RIE

La nouvelle condition humaine 91

Michel Serres

Le Monde selon

Michel Serres

Le Monde selon

PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE

Qu’est-ce que la philosophie ?

112

Un penseur en dialogue

« Serres est un de ceux qui, après Canguilhem, ont cherché à montrer que la science n’est pas neutre »

Michel Serres

Propos recueillis par Sven Ortoli

Le Monde selon

ENTRETIEN AVEC FRÉDÉRIC WORMS

Qu’est-ce que la philosophie ?

FRÉDÉRIC WORMS \ Je l’ai rencontré au moment exact où il passait de l’histoire de la philosophie – les Hermès et son chef-d’œuvre sur Leibniz sont des textes d’une forme encore académique – à une philosophie plus généraliste, ouverte sur la société et sur le monde. C’était en 1983. Il venait de publier coup sur coup et de manière, je crois, symbolique, en 1980 le dernier tome des Hermès [Le Passage du Nord-Ouest], et Le Parasite, un livre qui était déjà – son titre le montre – une ouverture immense et rigoureuse pour le grand public. Le « parasite » passait de la théorie de l’information à la vie quotidienne et aux plus grands enjeux moraux et politiques ! D’un objet apparemment minime, un simple brouillage, Serres faisait quelque chose de systémique, très puissant, structurant dans toute notre vie pour le meilleur et pour le pire. Le travail de Serres mêle ainsi à la fois rigueur et originalité, dans une grande écriture. C’était pour moi le philosophe de l’époque – je sentais qu’avec lui le structuralisme devenait ou redevenait vivant et concret. Je ne le jouais d’ailleurs pas contre les autres grandes philosophies de l’époque. Pour moi, ce n’était pas une guerre entre lui et qui que ce soit d’autre. Même si, quand je l’ai rencontré, j’ai constaté qu’il était effectivement en combat avec certains. Je le comprenais, mais ce n’était pas ce qui me retenait : j’appréciais le positif, moins la critique. Il entretenait à mon sens un lien très fort avec les philosophes ; il

avait des proximités plus grandes qu’on ne croit même avec ceux envers lesquels il était en débat critique : Deleuze, Derrida, ou encore Foucault, dont il fut très proche pendant un moment. C’était le Serres de la revue Critique, emblématique des années 1960, le Serres du Lucrèce, qui pouvait montrer la puissance critique des modèles mathématiques tout en parlant de « thanatocratie » – il avait déjà l’idée des pouvoirs de la science et de la nécessité pour la philosophie et l’épistémologie de se faire critiques à l’égard de celle-ci. On ne peut pas séparer Serres de Foucault de ce point de vue-là. Serres est un de ceux qui, après Canguilhem, ont cherché à montrer que la science n’est pas neutre. « Le seul mythe pur, c’est celui de la science pure », affirmait-il contre Bachelard. La science n’est jamais pure ; il y a toujours des images qui parasitent les modèles, et des forces aussi, des pouvoirs de vie ou de mort – c’est cela la « thanatocratie » (contemporaine du « biopouvoir » de Foucault, évidemment !). Au fond, il s’agissait de réintégrer une forme de polarité vitale dans une analyse sérieuse des modèles, et réciproquement.

Dans quelles circonstances l’avez-vous rencontré ?

\ C’était en 1983, j’avais 19 ans et je voulais faire ma maîtrise avec lui, mais je n’avais aucune idée du sujet ! J’avais lu avec beaucoup d’intérêt Le Parasite, et déjà un peu du grand œuvre sur Leibniz que j’essayais de comprendre avec mon petit bagage philosophique de l’époque, en fin de licence et de première année à l’ENS (après

PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE

Quel souvenir gardez-vous de votre découverte de Michel Serres ?

113

La rencontre avec celui qui fut son directeur de mémoire fut déterminante dans le parcours de Frédéric Worms, professeur de philosophie contemporaine à l’ENS. Combinant la rigueur académique et une originalité foisonnante, Michel Serres demeure à ses yeux un rationaliste avide de comprendre un monde en métamorphose, et toujours soucieux de dialoguer avec la communauté de ses contemporains.

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Ils ne croient pas au progrès Ils méprisent la démocratie Ils sont de retour

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