Hors-série Levinas by Philosophie magazine

Visage et vulnérabilité / Quelle hospitalité pour les migrants ? / Les énigmes du corps / La trace de Dieu / Talmud et philosophie/Emmanuel SHORRIE SE

LEVINAS

M 06296 - 40H - F: 7,90 E - RD

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France : 7,90 € / Andorre : 7,90 € / Belgique-Luxembourg-Portugal : 8,90 € / Allemagne : 9,20 € / Suisse : 14,90 FS Canada : 13,25 $CAN / TOM : 1100 CFP / DOM : 8,90 €

Au lendemain de la Shoah, il a refondé la philosophie à partir de l’éthique et de l’expérience du visage de l’autre Avec Judith Butler, Luc Dardenne, Alain Finkielkraut, Jean-Luc Marion…

ET AUSSI : LE DILEMME DESSINÉ PAR EMMANUEL GUIBERT / ET UN ENTRETIEN AVEC THOMAS OSTERMEIER

LAZARE BENAROYO Professeur d’éthique et de philosophie de la médecine à la Faculté de biologie et de médecine de l’université de Lausanne (Suisse) et médecinchef de l’unité d’éthique du Centre hospitalier universitaire vaudois. Il est l’auteur de Éthique et Responsabilité en médecine (Médecine et hygiène, 2006), a co-édité La Philosophie du soin. Éthique, médecine et société (PUF, 2010) et Les Classiques du soin (PUF, 2015). Fort de son expérience de médecin, il révèle l’intérêt de la pensée de Levinas pour comprendre le rapport entre patient et soignant, pp. 35-37

FLORENCE BURGAT Directrice de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique, membre des Archives Husserl et du comité consultatif du muséum national d’Histoire naturelle, co-rédactrice en chef de la Revue semestrielle de droit animalier. Elle a publié Liberté et Inquiétude de la vie animale (Kimé, 2006), Une autre existence. La condition animale (Albin Michel, 2012), et Être le bien d’un autre (Rivages, 2018). Elle se demande si, pour Levinas, le visage de l’animal exprime, comme le visage humain, le commandement « Tu ne tueras point », pp. 40-42

JUDITH BUTLER Philosophe américaine, professeure à l’université Berkeley. A publié Trouble dans le genre (1990 ; trad. fr. La Découverte, 2005, rééd. 2006), Vie précaire (2004 ; trad. fr. Éditions Amsterdam, 2005), et Vers la cohabitation. Judéité et critique du sionisme (2012 ; trad. fr. Fayard, 2013). Elle présente la réflexion sur la précarité des « sansvisage » qu’elle a développée au contact de la pensée de Levinas, pp. 61-63

PHILIPPE CAPELLE-DUMONT Prêtre catholique, professeur à la Faculté de théologie catholique de l’université de Strasbourg et doyen honoraire de la Faculté de philosophie de l’Institut catholique de Paris. On lui doit les trois volumes de Finitude et Mystère (Cerf, 2005, 2013, 2016), et la codirection des cinq volumes de l’anthologie Philosophie et Théologie (Cerf, 2009, 2010, 2011). Il explore le rapport complexe de la philosophie levinassienne avec le christianisme, pp. 110-111

TINA CHANTER Professeure de philosophie à l’université Kingston de Londres, directrice de la collection « Théorie du genre » des Presses de l’université d’État de New York. On lui doit notamment (non traduits à ce jour) Ethics of Eros: Irigaray’s Rewriting of the Philosophers (Routledge, 1995), Time, Death, and the Feminine: Levinas with Heidegger (Stanford University Press, 2001), et Art, Politics and Rancière: Broken Perceptions (Bloomsbury Press, 2017). Elle examine dans quelle mesure la notion de féminin employée par Levinas est empreinte de préjugés sexistes, pp. 84-85

DANIELLE COHEN-LEVINAS Philosophe et musicologue, ancienne élève du Conservatoire national supérieur de musique et de l’École normale supérieure de musique, belle-fille d'Emmanuel Levinas. Elle a notamment publié Inventions à deux voix. Entretiens avec Jean-Luc Nancy (Le Félin, 2015), et Le devenir-juif du poème. Double envoi : Celan et Derrida (Presses de l’Université de Montréal, 2016). À paraître : Une métaphysique sans logos. Philosophie de Richard Wagner (Gallimard). Elle interroge le rapport de la pensée de Levinas au judaïsme, pp. 100-103

PHILIPPE CORCUFF Sociologue, maître de conférences de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Lyon et cofondateur des universités populaires de Lyon et de Nîmes. Il est notamment l’auteur de La Société de verre. Pour une éthique de la fragilité (Armand Colin, 2002), Mes années Charlie et après ? (Éditions Textuel, 2015), illustré par Charb, ou encore Pour une spiritualité sans dieux (Éditions Textuel, 2016). Il explore divers usages politiques et sociologiques possibles de la pensée de Levinas, pp. 66-67

Levinas

Emmanuel

4 Contributeurs PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE

Ils ont contribué à ce numéro…

MICHEL OLIVIER Chargé de cours de philosophie à l’université Paris-Nanterre. Ses travaux portent notamment sur la philosophie du langage et la question de la légitimité collective. Par ailleurs chef d’entreprise, il est l’auteur de Peirce. La Pensée et le Réel (Hermann, 2013). À partir d’un extrait de Levinas, il s’interroge sur la nécessité, pour la justice, de faire parfois usage de violence, pp. 59-60

FRANÇOIS-DAVID SEBBAH Professeur de philosophie à l’université ParisNanterre, membre associé des Archives Husserl et du laboratoire « Connaissance organisation et systèmes techniques » de l’Université de technologie de Compiègne. Auteur notamment de Levinas, ambiguïtés de l’altérité (Les Belles Lettres, 2000), L’Épreuve de la limite. Derrida, Henry, Levinas et la phénoménologie (PUF, 2001), Usages contemporains de la phénoménologie, coécrit avec Jean-Michel Salanskis (Sens et Tonka, 2008). Il décrypte la notion complexe et fondamentale de visage chez Levinas, pp. 30-34

FRÉDÉRIC WORMS Professeur agrégé de philosophie contemporaine à l’ENS, directeur adjoint du département des Lettres et membre du Comité consultatif national d’éthique. Il a notamment publié Le Moment du soin. À quoi tenons-nous ? (PUF, 2010), Revivre. Éprouver nos blessures et nos ressources (Flammarion, 2012), La vie qui unit et qui sépare (Payot, 2013) et Les Maladies chroniques de la démocratie (Desclée de Brouwer, 2017). Il questionne la possibilité de construire, à partir de la pensée de Levinas, une politique de l’hospitalité, pp. 52-56

Levinas

Emmanuel OCTAVE LARMAGNAC-MATHERON Titulaire d’un master de philosophie contemporaine à Paris-I. Il a réalisé l’entretien avec Luc Dardenne, pp. 19-25, a participé aux entretiens avec Jean-Michel Salanskis et avec Frédéric Worms, et a contribué à l’ensemble de ce numéro.

JEAN-LUC MARION Philosophe, professeur émérite de l’université Paris-Sorbonne, professeur à l’université de Chicago et membre de l’Académie française. On lui doit notamment L’Idole et la Distance (Grasset, 1977 ; rééd. Le Livre de Poche, 1991), Dieu sans l’être. Théologiques (Fayard, 1982 ; rééd. PUF, 2002), De surcroît. Études sur les phénomènes saturés (PUF, 2001) ou encore Le Phénomène érotique (Grasset, 2003 ; rééd. Le Livre de Poche, 2004) et Prolégomènes à la charité dont l’édition définitive vient de paraître (Grasset, 2018). Il met en lumière la nouveauté fondamentale que représente l'apport de Levinas dans l’histoire de la pensée, pp. 116-120

JEAN-MICHEL SALANSKIS Professeur émérite de philosophie de l’université Paris-Nanterre. Il a publié Levinas vivant (Les Belles Lettres, 2006), Heidegger, le mal et la science (Klincksieck, 2006 ; rééd. 2009) et Le Fait juif (Les Belles Lettres, 2017), Le Monde du computationnel (Encre Marine, 2011), et Partages du sens : une présentation de l’ethanalyse (Presses universitaires de Paris Ouest, 2014). Il souligne le rôle fondamental joué par le corps dans l’architecture de la pensée levinassienne, pp. 88-91

Contributeurs

ALAIN FINKIELKRAUT Philosophe, académicien, ancien professeur à l’université Berkeley et à Polytechnique, cofondateur de l’Institut d’études levinassiennes, il anime sur France Culture depuis 1985 l’émission « Répliques ». Il est notamment l’auteur de Et si l’amour durait (Stock, 2011), L’Identité malheureuse (Stock, 2013 ; rééd. Folio, Gallimard, 2015), La Seule Exactitude (Stock, 2015 ; Gallimard, édition augmentée, 2016), et a dirigé l'édition de Des animaux et des hommes (Stock, 2018). Il explique, à la lumière de la philosophie de Levinas, ce que signifie la « sagesse de l’amour » qu’il défend, pp. 76-81

EMMANUEL LEVINE Agrégé de philosophie, élève de l’École normale supérieure, il prépare une thèse en phénoménologie et philosophie politique. Il a réalisé les entretiens de François-David Sebbah, de Judith Butler et de Philippe Capelle-Dumont. Il a également participé aux entretiens avec Frédéric Worms, Alain Finkielkraut, Jean-Michel Salanskis, Danielle Cohen-Levinas et Jean-Luc Marion. Il a enfin contribué à l’ensemble de ce numéro.

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LUC DARDENNE Réalisateur et auteur belge. On doit au duo qu’il forme avec son frère Jean-Pierre des films comme Rosetta et L’Enfant, Palme d’or 1999 et 2005 au Festival de Cannes, Le Fils (2002), Le Silence de Lorna (2008) et La Fille inconnue (2016). Il est aussi l’auteur de Sur l’Affaire humaine (Le Seuil, 2012) et de deux volumes intitulés Au dos de nos images (Le Seuil, 2005 et 2015), dans lesquels il médite sur son travail cinématographique. Il analyse l’influence que la philosophie de Levinas a exercée sur son cinéma, pp. 19-25

Emmanuel Levinas « Sans nom » (Vingt ans après) pp. 8-11 biographie

Vie et visages du « penseur de l’autre » pp. 13-18

Accorder l’éthique et l’esthétique Entretien avec Luc Dardenne pp. 19-25

LE VISAGE DE L’AUTRE EN RÉSUMÉ…

DE L’ÉTHIQUE À LA POLITIQUE EN RÉSUMÉ…

Autrui, visage, vulnérabilité, responsabilité

Tiers, justice, État, droits de l’homme

pp. 28-29

pp. 50-51

Face à la vulnérabilité Entretien avec François-David Sebbah

Pour une politique de l’hospitalité ? Entretien avec Frédéric Worms pp. 52-57

pp. 30-34

L'appel de l’autre souffrant Par Lazare Benaroyo

Extrait Accueillir sans condition Jacques Derrida

pp. 35-37

p. 55

L’animal a-t-il un visage ? Par Florence Burgat

Extrait La justice et le bourreau Emmanuel Levinas

pp. 40-42

p. 58

Extrait Bobby, le dernier kantien d’Allemagne Emmanuel Levinas

Autrui, le tiers et l’État Par Michel Olivier pp. 59-60

p. 41

SEMAINE SPÉCIALE LEVINAS dans les « Chemins de la Philosophie » produits par Adèle Van Reeth sur France Culture Du 4 au 7 février 10h - 11h.

Extrait La souffrance animale me regarde Emmanuel Levinas p. 43

Talmud, mode d’emploi Par Emmanuel Levine

pp. 61-63

Une réponse aux tentations identitaristes Par Philippe Corcuff pp. 66-67

p. 44

Le Talmud lu par Emmanuel Levinas Un exemple : l’Alliance MENSUEL, 10 NUMÉROS PAR AN / Rédaction : 10, rue Ballu 75009 Paris / E-mail : redaction@philomag.com / Information lecteurs : 01 43 80 46 10 / www.philomag.com / Directeur de la rédaction : Alexandre Lacroix / Service abonnés : Philosophie magazine, 4, rue de Mouchy, 60438 Noailles Cedex – France (01 43 80 46 11), abo@philomag.com / Offres d’abonnement : abo.philomag.com / Diffusion : Presstalis / Contact pour les réassorts diffuseurs : À Juste Titres (04 88 15 12 42 – Julien Tessier, j.tessier@ ajustetitres.fr)

La parole des « sans-visage » Entretien avec Judith Butler

Le Talmud lu par Emmanuel Levinas L’accueil des anges pp. 68-69

p. 45

Dans la bibliothèque d’Emmanuel Levinas : Fiodor Dostoïevski, Les Frères Karamazov pp. 46-47

Dans la bibliothèque d’Emmanuel Levinas : Vassili Grossman, Vie et Destin pp. 70-71

CAHIER CULTURE FACES DE DILEMME

LES ÉNIGMES DU CORPS

LA TRACE DE DIEU

EN RÉSUMÉ…

Insomnie, jouissance, caresse, paternité

Par Emmanuel Guibert, prix René-Goscinny 2017 du Festival d’Angoulême pp. 122-137

Dieu, religion, idée d’infini, trace pp. 98-99

pp. 74-75

Sagesse de l’amour Entretien avec Alain Finkielkraut pp. 76-81

Une synthèse entre Athènes et Jérusalem Entretien avec Danielle Cohen-Levinas pp. 100-103

Extraits « Une dualité insurmontable des êtres » Emmanuel Levinas, Simone de Beauvoir, Jacques Derrida

Sartre-Levinas. Israël et la question juive Par Emmanuel Levine pp. 104-107

pp. 82-83

Quelle place pour les femmes ? Par Tina Chanter

Levinas et le christianisme Entretien avec Philippe Capelle-Dumont

pp. 84-85

pp. 110-111

Le corps, voie d’accès à l’autre Entretien avec Jean-Michel Salanskis

Le Talmud lu par Emmanuel Levinas Offenses et pardon

pp. 88-91

pp. 112-114

Le Talmud lu par Emmanuel Levinas Et Dieu créa la femme

Dans la bibliothèque d’Emmanuel Levinas : René Descartes, Méditations métaphysiques

pp. 92-93

« RACONTER DES HISTOIRES POUR PARLER DES CONFLITS DANS LA SOCIÉTÉ »

Entretien avec Thomas Ostermeier par Cédric Enjalbert pp. 138-146

pp. 114-115

Dans la bibliothèque d’Emmanuel Levinas : Marcel Proust, Du côté de Guermantes

Une pensée sans exemple Entretien avec Jean-Luc Marion pp. 116-120

pp. 94-95

HORS-SÉRIE “LEVINAS” Hiver 2018 / Rédacteur en chef : Sven Ortoli / Rédacteurs : Octave Larmagnac-Matheron, Emmanuel Levine / Secrétariat de rédaction : Vincent Pascal, asssisté de Noël Foiry / Direction artistique : Jean-Patrice Wattinne / L’Éclaireur / Iconographie : Lise Bruyneel, Mika Sato / Couverture : © illustration : Sonia Roy /+ colagene pour PM photo-droits d’inspiration : Ulf andersen/ Getty images / Directeur de la publication : Fabrice Gerschel / Responsable administrative : Sophie Gamot-Darmon / Fabrication : Rivages / Impression : Pollina, ZI de Chasnais, 85407 Luçon / Commission paritaire : 0521 D 88041 / ISSN : 2104-9246 / Dépôt légal : à parution / Philosophie magazine est édité par Philo Éditions SAS au capital de 340 200 euros, RCS Paris B 483 580 015 / Président : Fabrice Gerschel / Relations presse : Canetti Conseil (01 42 04 21 00), francoise.canetti@canetti. com / Publicité culturelle, commerciale, partenariats : Audrey Pilaire (01 71 18 16 08), apilaire@philomag.com / Imprimé en France, Printed in France / La rédaction n’est pas responsable des textes et documents qui lui sont envoyés. Ils ne seront pas rendus à leurs propriétaires /

Levinas

Emmanuel

Publié en 1966, le texte intitulé « Sans nom » porte la mémoire des six millions de juifs exterminés lors de la Shoah. Si Levinas a survécu aux atrocités du nazisme, il reste irrémédiablement marqué par cette époque où le monde s’effondrait. Telle est la « tumeur dans la mémoire » qui ronge le survivant, et qui lui inspire « trois vérités pour l’humanité ».

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Dessin à la mine sur papier d’emballage réalisé par Liana Franklova au camp de concentration de Terezín (Theresienstadt). Il représente la distribution de nourriture au camp. On remarque qu’aucun des enfants qui se présentent devant l’énorme gamelle de soupe ne possède de bouche pour la boire. Née le 12 janvier 1931 à Brno (Tchécoslovaquie), Liana Franklova fut déportée le 5 décembre 1941. Transférée à Auschwitz, elle y fut assassinée le 19 octobre 1944 à l’âge de 13 ans.

Vingt ans après...

Levinas

Emmanuel

Sans nom

epuis la fin de la guerre, le sang n’a pas cessé de couler. Racisme, impérialisme, exploitation, demeurent impitoyables. Les nations et les hommes s’exposent à la haine, au mépris, craignent misère et destruction. Mais les victimes savent au moins où porter les yeux qui s’éteignent. Leurs espaces désolés appartiennent à un monde. De nouveau existe une opinion indiscutée, des institutions indiscutables et une Justice. Dans les discours, les écrits et les écoles, le bien a rejoint le Bien de toutes les latitudes et le mal est devenu le Mal de tous les temps. La violence n’ose plus dire son nom. Ce qui fut unique entre 1940 et 1945, ce fut le délaissement. Toujours on meurt seul et partout les malheurs sont désespérés. Et entre les seuls et les désespérés, les victimes de l’injustice sont partout et toujours les plus désolées et les plus seules. Mais qui dira la solitude des victimes qui mouraient dans un monde mis en question par les triomphes hitlériens où le mensonge n’était même pas nécessaire au Mal assuré de son excellence ? Qui dira la solitude de ceux qui pensaient mourir en même temps que la Justice au temps où les jugements vacillants sur le bien et le mal ne trouvaient de critère que dans les replis de la conscience subjective, où aucun signe ne venait du dehors ? Interrègne ou fin des Institutions ou comme si l’être même s’était suspendu. Plus rien n’était officiel. Plus rien n’était objectif. Pas le moindre manifeste sur les droits de l’Homme. Aucune “protestation d’intellectuels de gauche” ! Absence de toute patrie, congé de toute France ! Silence de toute Église ! Insécurité de toute camaraderie. C’était donc cela “les défilés étroits” du premier chapitre des Lamentations 1 : “Pas de consolateur !”, et la plainte du rituel de Kippour 2 : “Ni grand prêtre pour offrir des sacrifices, ni autel pour y déposer nos holocaustes !” Il y a plus d’un quart de siècle, notre vie s’interrompit et sans doute l’histoire elle-même. Aucune mesure ne venait plus contenir les choses démesurées. Quand on a cette tumeur dans la mémoire, vingt ans ne peuvent rien y changer. Sans doute la mort va annuler bientôt l’injustifié privilège d’avoir survécu à six millions de morts. Mais si pendant ce délai de grâce, les occupations ou les divertissements de la vie remplissent à nouveau la vie, si toutes les valeurs dépréciées – ou antédiluviennes – se remettent à valoir, si tous les mots qu’on croyait de langues mortes réapparaissent dans les journaux et les livres, si bien des droits périmés trouvent à nouveau institutions et force publique pour les protéger – rien n’a pu combler, ni même recouvrir le gouffre béant. On y retourne à peine moins souvent des recoins de notre dispersion quotidienne, et le vertige qui saisit à son bord est toujours le même. Faut-il s’obstiner à faire entrer dans ce vertige une humanité dont la mémoire n’est pas malade de ses propres souvenirs ? Et nos enfants qui naquirent au

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Levinas

Emmanuel

ENTRETIEN AVEC LUC DARDENNE

Propos recueillis par Octave Larmagnac-Matheron

Éthique et esthétique Luc Dardenne

Si le visage doit être distingué de la face matérielle, s’il est un appel d’au-delà du monde, est-il possible de le représenter ? C’est la gageure qu’affronte le cinéaste Luc Dardenne, qui a suivi les cours de Levinas à l’université de Louvain. Ses images s’efforcent de capturer ce dont il est impossible de se saisir : autrui. Le cinéma que ce passionné de philosophie crée avec son frère Jean-Pierre cherche continument à désarçonner la caméra, afin qu’elle ne puisse enfermer le personnage qu’elle montre. Plans de tournage.

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Accorder l’éthique et l’esthétique

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Éthique et esthétique

Emmanuel

Levinas

Le Silence de Lorna (2008) Avec Arta Dobroshi, Jérémie Renier, Alban Ukaj et Morgan Marinne. Prix du scénario au Festival de Cannes.

Comment avez-vous découvert la pensée de Levinas ?

LUC DARDENNE \ J’ai commencé à lire Levinas à la fin de mes études à l’université de Louvain, vers 1978. C’est là que se trouve une grande partie des Archives Husserl, le père de la phénoménologie. J’ai continué à y suivre des cours pendant quelques années, et notamment celui de Levinas de 1980, qui était une reprise de certaines de ses dernières leçons en Sorbonne, sur « Dieu, la mort, le temps ». Plus tard, je l’ai revu chez lui ; mon frère et moi avions le projet de faire un film documentaire à propos d’Ernst Bloch, sur lequel Levinas avait donné des cours 1. Je lui ai expliqué que nous voulions essayer de comprendre à partir du Principe Espérance de Bloch pourquoi et comment les hommes avaient résisté à l’oppression, à la terreur à travers l’histoire. « Effectivement, on a toujours résisté et c’est très bien, m’a-t-il répondu. Mais ce qui s’est passé en Europe au XXe siècle est tout autre chose. On a exterminé un peuple. Que répond le Principe Espérance à cette réalité

du mal ? Et aussi à ce trop peu de résistance de la part de ceux qui ont laissé les juifs aller vers la mort ? » Cela m’a beaucoup marqué. Les juifs d’Europe ont vécu cette situation traumatique où ils regardaient d’autres hommes qui ne les regardaient pas et les laissaient mourir.

Comment cette pensée a-t-elle influencé votre pratique cinématographique ?

\ Levinas a été une grande inspiration. Pour mon frère également avec qui j’en parlais beaucoup, même si son intuition artistique a été générée par d’autres rencontres. Par rapport au cinéma, une phrase m’a particulièrement marqué : « le visage désarçonne l’intentionnalité qui le vise » 2 [voir pp. 30-34]. Une révélation ! Ce que nous essayons de faire avec mon frère, c’est précisément de penser notre caméra comme désarçonnée par ce qu’elle vise, par ce qu’elle prend – on parle de prise, au cinéma. « Peut-être l’art cherche-t-il à donner un visage aux choses et c’est en cela que

ÂŠ Pierre Gonnord

Levinas

Emmanuel

Qu’est-ce qui est le plus important en philosophie ? La connaissance ou la métaphysique ? Ni l’une ni l’autre, répond Levinas. L’éthique est primordiale. Elle surgit dans le rapport à l’autre, dans le face-à-face, dans la rencontre avec ce que

Le visage de l’autre

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le philosophe appelle le « visage » et qui ne se réduit ni aux yeux, ni au nez, ni à la bouche. Car le visage, dit-il, est avant tout l’expression d’une vulnérabilité : je suis responsable de mon prochain car sa fragilité m’appelle à l’aide.

Kristov. Série Testigos.

Levinas

Emmanuel

À quoi sert la philosophie de Levinas face au malheur des migrants et aux peurs qu’ils suscitent ? Et si chacun est infiniment responsable d’autrui, pourquoi ne pas tout donner au premier venu ? Comment conjuguer cette exigence absolue avec la multiplicité

De l’éthique à la politique

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des hommes qui demandent mon aide ? En établissant des règles de justice, seules capables de guider la générosité en lui imposant des limites, affirme Levinas. Et à la condition que cette justice, toujours au risque de se corrompre, demeure sous contrôle de l’éthique.

Migrants débarquant d'un canot sur une plage à la pointe de Tarifa en Andalousie (Espagne) après avoir traversé le détroit de Gibraltar depuis les côtes marocaines, le 27 juillet 2018.

Levinas

Emmanuel

52 De l’éthique à la politique

Pour une politique de l’hospitalité ? ENTRETIEN AVEC FRÉDÉRIC WORMS

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Propos recueillis par Octave Larmagnac-Matheron, Emmanuel Levine et Sven Ortoli

Insistant sur le rôle de la demeure dans l’existence humaine, Levinas a ouvert la voie pour penser une politique de l’hospitalité. La maison devrait ainsi être à ses yeux le lieu de l’accueil inconditionnel d’autrui. Sans nier son caractère problématique, le philosophe Frédéric Worms souligne la valeur critique de cette exigence.

Levinas

Emmanuel FRÉDÉRIC WORMS \ Il est certain que Levinas a une expérience du déplacement, mais il faut distinguer deux moments dans son parcours. D’abord, son arrivée en France via l’Allemagne, qui n’est pas un exil imposé : il n’est pas chassé de chez lui, c’est un choix totalement volontaire et libre, motivé par un profond désir de France, qui passe notamment par l’histoire de l’affaire Dreyfus et par la philosophie de Bergson.

En revanche, en 1940, l’effondrement du sol français, que tout le monde croyait solide, est un moment de véritable dénuement pour lui – on en découvre l’ampleur dans les volumes d’inédits. Il parle d’une détresse, d’un abandon total. C’est une expérience terrifiante, d’autant plus marquante que Levinas avait confiance dans cette France qui l’avait bien accueilli. Voilà pourquoi, quand tout s’écroule en 1940, puis quand il est témoin des persécutions, quelque chose se brise en lui. Son rapport à la France est fait de cette ambivalence : une confiance, mais aussi un ébranlement, sans que l’un prenne le pas sur l’autre.

De l’éthique à la politique

Né en Lituanie avant de s’installer en France, Levinas était lui-même un immigré. Quel était son rapport à l’exil et à l’accueil ?

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Vue aérienne de migrants honduriens à bord d’un camion en route vers les États-Unis, dans les faubourgs de Tapachula, au sud du Mexique, le 22 octobre 2018.

Levinas

Emmanuel

marcher ensemble plutôt qu’ils ne tournent les hommes les uns vers le visage des autres »

Emmanuel Levinas, L'Au-delà du verset, Éditions de Minuit, 1982, p. 89.

Migrants à bord d'un bateau turc accostant près du village de Skala sur l'île grecque de Lesbos, le 16 novembre 2015.

De l'éthique à la politique

fonctionner le réel ; même si ces rapports nous font

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à travers la Loi et le règlement, […] fait de nos jours

« La solidarité du monde moderne, solidarité planifiée

Levinas

Emmanuel

Nausée, insomnie, caresse… Avec Levinas, le corps entre en philosophie par les petites portes du quotidien. En passant par la nausée, avant Sartre, le philosophe décrit cet enfermement en soi-même qui conduit à la limite de l’étouffement. Par l’insomnie, il touche à ces moments

Les énigmes du corps

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de solitude et d’inquiétude nocturnes où chacun est submergé par un monde sur lequel il n’a plus de prise. Par la caresse, il explore le geste fondamental du rapport érotique : la main de l’un ne fait qu’effleurer le corps de l’autre, elle ne peut jamais s’en emparer.

Série Coït. Couple faisant l'amour. France, 2006.

Levinas

Emmanuel

à une possession – elle est comme un jeu avec quelque chose qui se dérobe. »

Emmanuel Levinas, Œuvres complètes, t. 3, Éros, littérature et philosophie, Grasset/Imec, 2013, p. 179.

The screen door, 2013

Les énigmes du corps

Mais une recherche qui ne tend pas

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Il est vrai cependant qu’elle cherche. […]

« La caresse ne cherche pas à posséder.

Levinas

Emmanuel

Qu’est-ce que Dieu ? Levinas en parle comme d’un appel de l’infini qui imprègne le rapport à toute forme d’altérité : Dieu est l’Autre en capitale, et la religion qui relie les hommes est un autre nom de la relation éthique qui s’établit entre eux. Mais ce Dieu

La trace de Dieu

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philosophique a-t-il un rapport avec celui de la Torah, ou avec celui des chrétiens puisque le philosophe a toujours trouvé des lecteurs attentifs du côté du Vatican ? Du Dieu de Levinas, on ne peut saisir que sa trace discrète colorant le rapport à autrui.

Ann Veronica Janssens, yellowbluepink, 2015.

Levinas

Emmanuel

mais un Désir. J’ai essayé de décrire la différence du Désir et du besoin par le fait que le Désir ne peut être satisfait ; que le Désir, en quelque

manière, se nourrit de ses propres faims et s’augmente de sa satisfaction » Emmanuel Levinas, Éthique et Infini. Dialogues avec Philippe Nemo, Fayard et Radio-France, 1982, p. 97

Ann Veronica Janssens. Orange, 2010.

La trace de Dieu

que la relation à l’Infini n’est pas un savoir,

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un accès à l’idée de Dieu. [...] Je pense, quant à moi,

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« Dans l’accès au visage, il y a certainement aussi

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Cahier

culture

Cahier Culture Nous avons proposé à Emmanuel Guibert, dessinateur et scénariste de bande dessinée, de plancher sur le thème du dilemme. Plus que jamais auteur et dessinateur, il nous offre avec Faces de dilemme une suite d’autoportraits au miroir de la conscience. Et nous avons rencontré le metteur en scène allemand Thomas Ostermeier, artiste engagé qui présente à Paris La Nuit des rois de Shakespeare et Retour à Reims, d’après Didier Eribon. Entretien sur le théâtre et la fonction du metteur en scène.

PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÃ&#x2030;RIE

Emmanuel Guibert

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Cahier