1984 et la corruption du langage
Se défier du pouvoir
Qu’est-ce qu’une vie décente ?
GEORGE
ORWELL ÇA NOUS REGARDE
Entretiens avec Jean-Claude Michéa, Jean-Jacques Rosat, Raphaël Enthoven, Agnès Vandevelde-Rougale, et des textes d’Orwell, Aldous Huxley, Claude Lefort, Simon Leys, Bertrand Russell...
La République de Platon en BD par Jean Harambat Livres V-VII
France : 8,90 € / Belux : 9,90 € / Suisse : 16 FS / Allemagne : 10,20 € / Espagne-Portugal cont. : 9,90 € / DOM / S : 9,90 € / TOM : 1 200 XPF / MAR : 102 Mad / TUN : 19,60 Tnd / Canada : 14,99 $Cad /
L 17892 - 48 H - F: 8,90 € - RD
RWELL
RAPHAËL ENTHOVEN
Maîtresse de conférences, elle a notamment publié Un bonheur sans mesure (Albin Michel, 2017), Guérir la vie par la philosophie (PUF, 2017 ; rééd. 2020), René Descartes (Que sais-je ?, PUF, 2013 ; rééd. 2018), Fénelon et Port-Royal (Classiques Garnier, 2017), et Être quelqu’un de bien. Philosophie du bien et du mal (PUF, 2019). Elle rappelle que la résistance à l’ordre autoritaire implique un retour sur soi et la conservation d’une aptitude à l’imagination, pp. 40-43.
Philosophe, écrivain et journaliste, il anime le programme Philosophie tous les dimanches sur Arte. Il a notamment publié Little Brother (Gallimard, 2017), Vermeer. Le jour et l’heure (Fayard, 2017), livre d’entretiens avec Jacques Darriulat, Le Temps gagné (Éditions de L’Observatoire, 2020), Anagrammes pour lire dans les pensées (Actes Sud, 2016) avec Jacques Perry-Salkow, et, avec Jean-Paul Enthoven, un Dictionnaire amoureux de Marcel Proust (Plon, 2019). Il met en regard avec la société totalitaire de 1984 le despotisme sournois du monde contemporain où nouvelles technologies, datas, et politiquement correct empiètent jour après jour sur la liberté des citoyens, pp. 56-61.
OCTAVE LARMAGNAC-MATHERON Titulaire d’un master de philosophie contemporaine à Paris-I, diplômé du CFPJ, il est rédacteur des hors-série de Philosophie magazine. Il a contribué à l’ensemble de ce numéro, a réalisé les entretiens avec Agnès Vandevelde-Rougale, et avec Stéphane Leménorel, coréalisé celui avec Jean-Jacques Rosat, et développé des parallèles entre la pensée d’Orwell et celle de Foucault, pp. 50-51, de Klemperer, pp. 78-79, et de Sartre, pp. 102-103.
Ils/Elles ont contribué à ce numéro…
PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE
JEAN HARAMBAT Après des études de philosophie, il s’adonne au dessin et à la bande dessinée. Également auteur de reportages et de récits dessinés pour la presse écrite, il a notamment publié chez Actes Sud En même temps que la jeunesse (2011) et Ulysse. Les chants du retour (2014), et chez Dargaud Opération Copperhead (2017), prix René-Goscinny 2018, et Le Detection Club (2019). Il poursuit son adaptation en BD, en exclusivité, de La République de Platon (mise en couleurs par Isabelle Merlet) à travers les livres V, VI & VII, pp. 108-124.
© Hannah Assouline / Opale / Leemage © Jullien Faure / Leextra via Leemage © Collection personnelle © Daniel Caccin pour De lémont’BD 2018.
Contributeurs
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LAURENCE DEVILLAIRS
PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE
Philosophe et poète. En 2008, il a reçu le prix de poésie Max-Pol Fouchet pour son recueil Ciels de traîne (Le Castor astral, 2009) publié sous le pseudonyme d’Adrien Montolieu. Il est l’auteur de George Orwell ou la vie ordinaire (Le Passager clandestin, 2017). Il voit en Orwell un précurseur de la décroissance qui, à la démesure technique, oppose l’idéal d’une vie à taille humaine faite de mesure et de dignité, pp. 84-89.
Philosophe, romancier, scénariste, créateur des conférences Cinéphilo chez MK2. Dernier livre paru : Facile. L’Art français de réussir sans forcer (Michel Lafon 2018). Conférences en ligne : www.cinephilo.fr. Il examine l’œuvre phare d’Orwell au travers de ses avatars multiples au cinéma, pp. 52-53, et de son adaptabilité, pp. 80-81.
JEAN-CLAUDE MICHÉA
JEAN-JACQUES ROSAT
Philosophe, ancien professeur de philosophie, il est l’un des principaux introducteurs en France de l’œuvre de l’historien américain Christopher Lasch. Spécialiste de la pensée et de l’œuvre d’Orwell, il fustige le dévoiement de l’intelligentsia de gauche et défend des valeurs morales collectives dans une société individualiste et libérale. Il a notamment publié Orwell, anarchiste tory (Climats, 1995 ; rééd. Flammarion, 2020), Les Mystères de la gauche. De l’idéal des Lumières au triomphe du capitalisme absolu (Climats, 2013). À paraître en mars : L’Empire du moindre mal. Essai sur la civilisation libérale (Champs-Flammarion). Il met l’accent sur la pensée socialiste d’Orwell et son appel aux vertus morales et intellectuelles des « gens ordinaires », pp. 8-13.
Spécialiste de la pensée de George Orwell. Ancien maître de conférences au Collège de France, où il est responsable éditorial de la collection « Philosophie de la connaissance », et co-anime avec Jacques Bouveresse le groupe de travail « Rationalité, vérité et démocratie ». Auteur de Chroniques orwelliennes (Collège de France, 2019), il a aussi codirigé chez Agone plusieurs ouvrages sur ce sujet, dont Orwell, entre littérature et politique (2011), et a traduit Orwell ou le pouvoir de la vérité (2012) de James Conant. Il s’attache ici à montrer comment le totalitarisme œuvre à détruire l’idée même de vérité objective, pp. 30-35.
AGNÈS VANDEVELDE-ROUGALE Socio-anthropologue, chercheuse associée au LCSP (Laboratoire du changement social et politique, université Paris-Diderot). Elle a notamment publié La Novlangue managériale. Emprise et résistance (Érès, 2017), où elle analyse comment le management moderne participe au corsetage des imaginaires, au façonnage des univers symboliques et à l’écrasement des intelligences. Elle a également codirigé, avec Pascal Fugier, le Dictionnaire de sociologie clinique (Érès, 2019). Après Orwell qui voyait dans la corruption et l’appauvrissement du langage un trait distinctif du régime totalitaire, elle pointe le développement insidieux d’une « novlangue managériale » mondiale qui contamine l’ensemble des discours politiques et médiatiques, et formate la pensée, pp. 64-69.
Contributeurs
OLLIVIER POURRIOL
5
Remerciements La rédaction remercie les éditions Ivrea et les éditions Agone de nous avoir permis de recourir libéralement à leurs fonds dans le cadre de la réalisation de ce hors-série.
ORWELL
© Collection personnelle © Julien Falsimagne / Leextra via Leemage © Collection personnelle © Hannah Assouline / Opale / Leemage © Collection personnelle.
STÉPHANE LEMÉNOREL
RWELL
Un antidote à tous les « délires idéologiques » Entretien avec Jean-Claude Michéa
1984 L’intime et le pouvoir Octave LarmagnacMatheron
— La vie de George Orwell Octave LarmagnacMatheron et Sven Ortoli
— La Ferme des animaux L’utopie tombée dans la boue Sven Ortoli
pp. 8-13
pp. 14-22
pp. 24-25
pp. 26-27
I. SE DÉFIER DU POUVOIR
II. SE BATTRE POUR LA VÉRITÉ
pp. 28-53
« La liberté de dire que 2 et 2 font 4 » Entretien avec Jean-Jacques Rosat pp. 30-35
—
6
EXTRAIT
L’horreur de la politique Simon Leys p. 46
—
EXTRAIT
Montée du fascisme, la faute aux socialistes
De la matraque à l’hypnose Aldous Huxley
—
—
EXTRAIT
p. 36
Sommaire
pp. 54-81
EXTRAIT
p. 47
EXTRAIT
« Le pouvoir n’est pas un moyen, c’est une fin »
Le nationaliste et le patriote
—
—
p. 37
EXTRAITS
p. 48
EXTRAIT
« Un progrès vers plus de souffrance »
De la guerre froide à l’esclavage
— Comment devient-on un résistant ? Laurence Devillairs
—
pp. 38-39
pp. 40-43
p. 49
ORWELL ET FOUCAULT
Du Panoptique à Big Brother, le pouvoir vous a à l’œil Octave Larmagnac-Matheron pp. 50-51
— 1984. Séquels mutiples Ollivier Pourriol
Nous sommes déjà en 1984 Entretien avec Raphaël Enthoven pp. 56-61
—
EXTRAIT
« Le langage peut corrompre la pensée » pp. 62-63
— La novlangue managériale, un formatage de la pensée Entretien avec Agnès VandeveldeRougale pp. 64-69
—
EXTRAITS
Briser les hommes ou briser la vérité ? Richard Rorty vs. James Conant
EXTRAIT
Le contrôle de la parole Bertrand Russell p. 75
—
EXTRAITS
Fake news et « doublepensée », la grande manipulation pp. 76-77
—
ORWELL ET VICTOR KLEMPERER
Les novlangues totalitaires Octave Larmagnac-Matheron pp. 78-79
— Peut-on adapter 1984 ? Ollivier Pourriol pp. 80-81
pp. 72-73
—
EXTRAITS
La liberté d’opinion menacée p. 74
PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE
pp. 52-53
MENSUEL, 10 NUMÉROS PAR AN / Rédaction : 10, rue Ballu 75009 Paris / E-mail : redaction@philomag.com / Information lecteurs : 01 43 80 46 10 / www.philomag.com / Directeur de la rédaction : Alexandre Lacroix / Service abonnés : Philosophie magazine, 45, avenue du Général-Leclerc, 60643 Chantilly Cedex – France (01 43 80 46 11), abo@philomag.com / Offres d’abonnement : abo.philomag.com / Diffusion : MLP / Contact pour les réassorts diffuseurs : À Juste Titres (04 88 15 12 42 – Julien Tessier, j.tessier@ajustetitres.fr)
PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE
pp. 82-105
La « décence ordinaire » contre le productivisme Entretien avec Stéphane Leménorel pp. 84-89
—
EXTRAIT
Impasse de la misère p. 90
—
EXTRAIT
L’emballement sans frein de la machine p. 91
—
EXTRAITS
EXTRAIT
Prendre la mesure de l’humain p. 100
—
pp. 107-130
La République de Platon Livres V-VII Une BD à suivre par Jean Harambat pp. 108-124
Sommaire
III. VIVRE À HAUTEUR D’HOMME
CAHIER CULTURE
ORWELL ET SARTRE
L’individu contre les identités de groupe Octave Larmagnac-Matheron pp. 102-103
— Ken Loach, le monde comme il va Sven Ortoli pp. 104-105
Dickens vs. Marx, la décence contre la perfection
Napoléon, l’empereur et les philosophes
7
Une exposition à La Villette Octave LarmagnacMatheron pp. 125-130
pp. 92-93
—
EXTRAIT
Saluer le printemps contre le politiquement correct p. 94
—
pp. 98-99
Origine du papier : Finlande • Taux de fibres recyclées : 0 %. • Certifié PEFC • Eutrophisation : 0,04 kg/t
HORS-SÉRIE “ORWELL” Hiver-printemps 2021 / Rédacteur en chef : Sven Ortoli / Rédacteur : Octave Larmagnac-Matheron / Secrétaire de rédaction : Vincent Pascal assisté de Noël Foiry / Direction artistique : Jean-Patrice Wattinne / L’Éclaireur / Iconographie : Stéphane Ternon / Couverture : © Granger NYC/Rue des Archives / Directeur de la publication : Fabrice Gerschel / Responsable administrative : Sophie Gamot-Darmon / Fabrication : Rivages / Impression : Mordacq, rue de Constantinople, ZI du Petit-Neufpré, 62120 Aire-sur-la-Lys / Commission paritaire : 0521 D 88041 / ISSN : 2104-9246 / Dépôt légal : à parution / Philosophie magazine est édité par Philo Éditions SAS au capital de 340 200 euros, RCS Paris B 483 580 015 / Président : Fabrice Gerschel / Relations presse : Canetti Conseil (01 42 04 21 00), francoise.canetti@canetti.com / Publicité culturelle, commerciale, partenariats : Audrey Pilaire (01 71 18 16 08), apilaire@philomag. com / Imprimé en France, Printed in France / La rédaction n’est pas responsable des textes et documents qui lui sont envoyés. Ils ne seront pas rendus à leurs propriétaires /
ORWELL
Le corps intermédiaire de l’autre Claude Lefort
© Éric Vandeville / akg-images
EXTRAIT
RWELL
UN ANTIDOTE À TOUS LES « DÉLIRES IDÉOLOGIQUES » ENTRETIEN AVEC
JEAN-CLAUDE MICHÉA Propos recueillis par Alexandre Lacroix
PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE
© Vincent Nguyen / Figarophoto
Un antidote à tous les « délires idéologiques »
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Longtemps en butte aux calomnies des intellectuels communistes orthodoxes, Orwell est à présent communément salué pour la lucidité de sa vision politique et sa critique du conformisme. Plutôt que l’antitotalitarisme bien connu d’Orwell, le philosophe Jean-Claude Michéa choisit de mettre ici en exergue sa pensée socialiste souvent occultée, et son appel aux vertus morales et intellectuelles des « gens ordinaires ». Portrait d’un « esprit libre ».
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Un antidote à tous les « délires idéologiques »
9
s8
JEAN-CLAUDE MICHÉA — Je nuancerais l’idée qu’« au-
jourd’hui tout le monde aime George Orwell ». Ce serait oublier les campagnes de calomnies dont il reste régulièrement la cible dans une partie de la gauche. Je pense par exemple à celle orchestrée par le quotidien The Guardian en 1996, puis à nouveau en 2003, qui ne visait rien moins qu’à présenter Orwell comme un délateur professionnel ! Il est du reste significatif que le principal artisan de cette campagne de désinformation – campagne non moins significativement relayée, à l’époque, par Libération, Le Monde et France Culture – soit ce même Seumas Milne, auquel Jeremy Corbyn n’a pas hésité à confier en 2015, entre autres tâches pour le moins curieuses, celle de purifier le Labour Party de toute influence « sioniste ». Mais, pour le reste, je suis d’accord. À l’image de cette poignée d’esprits libres, d’Albert Camus à Simon
ORWELL
Il plaît aux jeunes qui découvrent 1984 comme aux lecteurs âgés, aux gens de droite comme de gauche… Il inspire les groupes de rock, les concepteurs de jeux vidéo mais aussi les professeurs de littérature. Comment expliquez-vous qu’aujourd’hui tout le monde aime George Orwell ?
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La vie de George Orwell
14 RWELL
SOUS LE SIGNE DE LA LUCIDITÉ ET DE L’ÉQUITÉ
PAR OCTAVE LARMAGNAC-MATHERON ET SVEN ORTOLI
PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE
La vie de George Orwell
Citoyen anglais né en Inde, ce jeune commissaire adjoint de la Police impériale partage bientôt la vie miséreuse des habitants des faubourgs de Londres. Rejoignant les rangs des Républicains pendant la guerre d’Espagne, il fait l’expérience du dogmatisme idéologique des prétendus alliés communistes. Il ne cessera dès lors de prôner une vue lucide du monde loin des mots d’ordre de tous bords et de plaider pour une vie simple et solidaire.
15
1903 s
1917 s
1911 s
1922 s
Une bourse permet au jeune garçon d’entrer comme interne au sein de la preparatory school St Cyprian. Excellent élève, il vit néanmoins très mal la vie au pensionnat qu’il qualifiera plus tard d’« épouvantable cauchemar ». À une amie rencontrée en vacances, il confie qu’il rêve de devenir écrivain – il aimerait écrire à la manière d’Une utopie moderne de H. G. Wells. Tous deux lisent et écrivent de la poésie.
Il obtient une bourse pour intégrer le célèbre Eton College, dont il est élève de 1917 à 1921, avec pour professeur de français, durant un an, Aldous Huxley, le futur auteur du Meilleur des mondes (1932). Même s’il se dit « intéressé et heureux », le jeune homme néglige sa scolarité et d’élève brillant devient un étudiant passable. Peu de chances d’obtenir une bourse sans laquelle ses parents ne sauraient l’envoyer à l’université. De toute façon, Blair ne rêve pas d’Oxford, mais d’Orient. Eric Blair réussit l’examen de la Police indienne impériale. Il choisit la Birmanie comme affectation. Commencent « cinq années d’ennui au son des clairons ». Il apprend le birman et l’hindoustani tout en assumant les responsabilités de commissaire adjoint dans cette période de répression des mouvements indépendantistes.
ORWELL
© Farabola / Leemage
Naissance d’Eric Arthur Blair, le 25 juin, à Motihari, dans le nordest de l’Inde. Son père Richard travaille pour la Régie de l’opium mise en place par l’administration coloniale. Ida, sa mère, est la fille d’un Français, négociant en bois exotique qui s’est enrichi en Birmanie. Avec sa mère et Marjorie, sa sœur aînée, ils regagnent l’Angleterre dès 1904 – Richard les rejoindra huit ans plus tard en prenant sa retraite.
Captation d’un moniteur affichant l’image d’un dispositif de reconnaissance faciale en usage au siège de la compagnie d’intelligence artificielle Megvii, à Pékin, le 10 mai 2018.
© Gilles Sabrié / The New York Times / Redux / Réa
combine l’ensemble des stratégies qui permettent de contrôler la pensée, les émotions et les actions d’un être humain. Il ne confond pas régime totalitaire et démocratie libérale, mais il alerte sur le possible amenuisement des contre-pouvoirs dans nos démocraties.
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Se défier du pouvoir
SE DÉFIER DU POUVOIR
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ORWELL
« Le totalitarisme promet moins un âge de la foi qu’un âge de la schizophrénie », avertit Orwell dans The Prevention of Literature, et il ajoute que « pour être corrompu par le totalitarisme, il n’est pas nécessaire de vivre dans un pays totalitaire ». Pour lui, le totalitarisme
RWELL
Résister est un acte individuel, affirme la philosophe Laurence Devillairs : pas de résistance sans singularité, sans retour sur soi. On ne conteste pas l’ordre des choses sans plonger dans l’intimité de sa conscience. Toute l’entreprise totalitaire de 1984 vise à détruire cette individualité, à empêcher chacun de penser par soi-même et à extirper toute capacité d’imagination. Ainsi, imaginer que le monde pourrait être autre qu’il n’est, c’est une menace terrible pour tous les autocrates.
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Se défier du pouvoir
40
PAR
LAURENCE DEVILLAIRS
L
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Se défier du pouvoir
COMMENT DEVIENT-ON UN RÉSISTANT ?
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C’est en se réappropriant son individualité, sa singularité irréductible, que l’on devient résistant. Être, c’est être un être, et c’est en cela s’opposer au relativisme, qui indifférencie les choses et qui fait dire que deux et deux font quatre aussi bien que trois ou cinq ; s’opposer au collectivisme, qui indifférencie les êtres et qui entraîne solitude, délation, haine ; et à la propagande, qui indifférencie les mots, à travers la diffusion de la novlangue, qui se vide peu à peu de mots. De la prise de conscience de soi-même comme individu, découle tout le reste : l’amour, le discours, la subversion. Car la subversion originaire, c’est d’être soi, sujet de ses actes et de ses paroles, de ses volontés et de ses peurs aussi. Résister, c’est donc d’abord
ORWELL
© Hannah Assouline / Opale / Leemage
© Xxxxxxxxxxxxxxxxx
e livre d’Orwell 1984 n’est pas un roman sur la dictature, c’est une allégorie de la résistance : qu’est-ce qui fait qu’on décide de s’opposer ? d’agir et non plus de subir ? On serait tenté de répondre que seule la liberté rend libre, que c’est par elle et en son nom que l’on instruit la désobéissance. La réponse d’Orwell n’est pourtant pas celle-ci : ce qui est premier, ce n’est pas l’acte libre, c’est l’individu.
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Évoquant tour à tour les nouvelles technologies, l’exigence croissante de transparence de la vie privée, l’extension des processus de surveillance et de contrôle, les manipulations des infox et la cancel culture, Raphaël Enthoven décrit une société où les individus devenus des datas subissent un despotisme sournois, empiétant jour après jour sur leur liberté. Il est temps de remettre l’histoire dans le bon sens…
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Se battre pour la vérité
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ENTRETIEN AVEC
RAPHAËL ENTHOVEN Propos recueillis par Sven Ortoli
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Se battre pour la vérité
NOUS SOMMES DÉJÀ EN 1984…
57 Quelle est la plus grande menace à vos yeux ? Un Big Brother ou une escouade de Little Brothers ? L’œil vertical qui pèse sur les Ouïghours ou les regards horizontaux qui s’exercent sous nos latitudes ?
RAPHAËL ENTHOVEN — Il faudrait poser cette ques-
Reste que vivre en démocratie expose à quantité de dispositifs qui – des nudges 1 aux algorithmes – façonnent nos désirs et réduisent nos comportements à des datas. Little Brother n’est pas moins actif que son grand frère. La transformation de l’espace public en cage de verre, le phagocytage des souhaits par une intelligence artificielle, le tribunal sans appel 1. Le nudge désigne une incitation (sous forme de message écrit ou de symbole dans l’espace public) adressée à un individu ou un consommateur en vue de modifier son comportement en matière de santé, d’écologie, de sécurité routière, etc.
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© Joanna Tarlet-Gauteur / Signatures
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tion aux gens qui défilent contre notre « fausse démocratie » tout en célébrant des dictatures où jamais ils ne vivront… Si imparfait soit l’État de droit, il n’y a aucune commune mesure entre le fait de vivre en France (ou dans toute démocratie) et le fait de vivre en Chine, en Iran ou en Russie – Alexeï Navalny est du même avis.
RWELL
Orwell voyait dans la corruption et l’appauvrissement du langage l’un des traits distinctifs des régimes totalitaires : pour se débarrasser de la vérité du réel, rien de mieux que de se doter d’une « novlangue » au service de l’idéologie. Or les entreprises d’aujourd’hui ont repris cette pratique à leur compte pour asseoir leur pouvoir. C’est ainsi qu’on assiste au développement insidieux d’une « novlangue managériale » mondiale qui, au-delà de l’entreprise, contamine l’ensemble des discours politiques et médiatiques et formate la pensée. L’éclairage de la sociologue Agnès Vandevelde-Rougale.
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Se battre pour la vérité
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ENTRETIEN AVEC
AGNÈS VANDEVELDE-ROUGALE Propos recueillis par Octave Larmagnac-Matheron
PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE
Se battre pour la vérité
LA NOVLANGUE MANAGÉRIALE, UN FORMATAGE DE LA PENSÉE
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Orwell imaginait une novlangue créée par l’État pour asseoir sa domination. Dans votre travail, vous soulignez que la novlangue de notre monde contemporain est plutôt née dans les entreprises…
rence importante. La novlangue managériale dont je décris l’influence (je ne suis pas la première à utiliser l’expression !) n’est pas un décalque de celle de 1984. Contrairement à ce qu’imagine Orwell avec le « Newspeak », cette novlangue n’est pas créée délibérément par une instance supérieure – Big Brother et son administration – qui chercherait à manipuler le langage. C’est un processus beaucoup plus diffus, souterrain, insidieux. Il est certainement sous-tendu par une idéologie gestionnaire néolibérale, mais cette idéologie n’est pas imposée par une instance unique : elle se met en mouvement, en premier lieu, dans le discours des managers et des consultants, au sein des entreprises, et avec le
ORWELL
© Yuriyzhuravov / iStockphoto
AGNÈS VANDEVELDE-ROUGALE — Oui, c’est une diffé-
RWELL
Orwell, précurseur de la décroissance ? C’est la thèse défendue par le philosophe et poète Stéphane Leménorel. L’auteur de 1984 n’est pas seulement, en effet, un critique du totalitarisme : il s’effraie de la mécanisation croissante, de notre aliénation à un productivisme décuplé – outil de domination insidieux qui détruit tant les facultés humaines que la nature. Face à la démesure technique, Orwell oppose l’idéal d’une vie à taille humaine faite de mesure et de dignité.
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Vivre à hauteur d’homme
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ENTRETIEN AVEC
STÉPHANE LEMÉNOREL Propos recueillis par Octave Larmagnac-Matheron
Votre ouvrage George Orwell ou la vie ordinaire est paru dans la collection « Les précurseurs de la décroissance » des éditions Le Passager clandestin. Le qualificatif « décroissant » est-il pertinent pour parler d’Orwell ?
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Vivre à hauteur d’homme
LA « DÉCENCE ORDINAIRE » CONTRE LE PRODUCTIVISME
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l’idée, elle, ne l’est pas. Nul doute que l’approche de la décroissance aurait séduit Orwell. L’un et l’autre s’inscrivent dans un double mouvement : à la fois rupture radicale avec le capitalisme industriel et conservation de la vie, du milieu naturel, des liens sociaux, des conditions d’une vie décente. Rupture et conservation correspondent bien à la pensée de notre « anarchiste tory ». Orwell était conscient que, face à ce que Walter Benjamin avait nommé la « tempête » du progrès, la première urgence était de protéger et de conserver ce qui pouvait l’être : la vie sociale et la vie sauvage, la dignité et la mesure, l’usage des facultés humaines. Il partage avec la décroissance une orientation radicale : la volonté de renoncer à la quête de puissance, de défendre et reconstruire une vie vivante, désincarcérée de l’imaginaire productiviste, une vie à taille humaine qui retrouve la nature comme un milieu dont il faut prendre soin et non comme une ressource et un matériau. Orwell, qui donne tant d’importance à la vie concrète, aux
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© Karine Pierre / Hans Lucas
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STÉPHANE LEMÉNOREL — Si le terme est anachronique,
LIVRES V-VII
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La République PAR JEAN HARAMBAT
Une histoire à suivre au fil de nos hors-série.
La République Livres V-VII
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À PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE
qui confier le gouvernail d’un navire ? Certainement pas au premier venu : ce serait le naufrage assuré. À l’armateur qui en est le propriétaire ? Pas davantage : posséder quelque chose n’implique en rien de savoir l’utiliser. La solution tombe sous le sens : il faut confier le navire à l’homme qui maîtrise l’art du pilotage ! Tel est le raisonnement, imagé, que Socrate tient aux convives rassemblés dans le palais de Céphale à cette heure tardive. Ce détour permet au philosophe malicieux de reposer la question qui occupe l’assemblée depuis le début de la soirée : qui doit diriger la cité ? La réponse s’impose, désormais, d’elle-même : celui qui maîtrise l’art de gouverner ! Ou, pour le dire autrement : celui qui comprend
l’idée suprême, celle de la justice. La conclusion de Socrate semble imparable : la cité a donc besoin de « philosophes-rois ». À ceci près que les philosophes, comme l’observe l’auditoire, ne veulent pas le pouvoir. Et la cité ne veut pas d’eux. Socrate confirme, et explique cette contradiction par la célébre « allégorie de la caverne » : le philosophe, pour atteindre la vérité, doit s’émanciper de l’obscurité de l’opinion dans laquelle communient les hommes ordinaires. Lorsqu’il redescend dans la caverne, pensant libérer ses concitoyens de leurs chaînes, il est massacré. Les hommes sont attachés à leurs illusions ! LA RÉDACTION
La République LIVRES V-VII
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© Éric Vandeville / akg-images
Napoléon, l’empereur et les philosophes
On connaît bien les jalons de la geste napoléonienne, de la marche au triomphe jusqu’au crépuscule. On connaît plus mal les philosophes qui ont pu nourrir la vision du monde de l’empereur. Une exposition offre notamment l’occasion de suivre sa formation intellectuelle et son évolution.
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culture
OCTAVE LARMAGNAC-MATHERON
CAHIER
PAR
Napoléon, l’empereur et les philosophes
PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE
NA POL ÉON
culture CAHIER
Il y a deux siècles, Napoléon quittait ce monde après l’avoir profondément bouleversé. Deux siècles au cours desquels son héritage – sublime pour certains, terrible pour d’autres – n’a cessé d’être débattu. C’est sans doute qu’il n’y a pas de réponse : l’époque napoléonienne reste, fondamentalement, ambiguë – sombre et glorieuse à la fois. Raison probable de la fascination que continue de susciter l’empereur. La Réunion des musées nationaux-Grand Palais consacre précisément, à partir du 14 avril, une exposition spectaculaire à l’homme d’État. L’occasion de découvrir sa vie politique et militaire, mais aussi de revenir sur certains aspects plus intimes de son parcours. Sait-on, par exemple, qu’il fut un grand lecteur de philosophie ? De Rousseau, d’abord, de Machiavel ensuite. Son œuvre politique n’aurait peut-être pas été tout à fait la même sans la fréquentation des grands penseurs.
HEGEL
J
’ai vu l’Empereur – cette âme du monde – sortir de la ville pour aller en reconnaissance ; c’est effectivement une sensation merveilleuse de voir un pareil individu qui, concentré ici sur un point, assis sur un cheval, s’étend sur le monde et le domine. » Nous sommes en 1806. Hegel est en train d’achever son grand œuvre, la Phénoménologie de l’esprit. Napoléon s’apprête à livrer la bataille d’Iéna. Il défile dans les rues de la ville, passe sous la fenêtre du philosophe. Hegel en a la certitude, Napoléon effectue, en acte, ce que lui-même s’efforce de théoriser : l’histoire est un processus téléologique de réalisation de « l’esprit absolu ». Napoléon, en ce sens, n’est que l’instrument de l’Absolu : il sait « ce qui est nécessaire et ce dont le moment est venu », mais ne comprend pas, au fond, ce qu’il fait. « À la pointe de toutes les actions », l’empereur est aveugle. « Toute sa nature ne fut que sa passion. » Il ne voit pas Hegel d’ailleurs : c’est au philosophe que revient, finalement, de donner sens au grand mouvement dont Napoléon est le héros. «
Si l’interprétation hégélienne du moment napoléonien est bien connue, elle laisse pourtant bien peu de place – voire aucune – à la singularité du personnage, à ses motivations subjectives, à la manière d’appréhender sa propre action, son rôle dans l’histoire. Comment devient-on, au juste, Napoléon ? Question facultative, pour le philosophe allemand : l’homme n’a pas d’importance, seul compte ce qu’il incarne. L’exposition Napoléon, qui se tiendra à partir du 14 avril à la Grande Halle de La Villette, donne justement à voir comment s’est construit l’homme avant d’accéder au pouvoir, comment sa
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PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE
Napoléon, l’empereur et les philosophes
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