L’Amitié. Ce que nous avons de meilleur ?

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DE PLATON À MICHEL SERRES, UNE HISTOIRE AMICALE DE LA PHILOSOPHIE

L’amitié France : 8,90 € / Belux : 9,90 € / Suisse : 16 FS / Allemagne : 10,20 € / Espagne-Portugal cont.: 9,90 € / DOM / S : 9,90 € / TOM : 1200 XPF / MAR : 102 Mad / TUN : 19,60 Tnd / Canada : 14,99 $Cad

Ce que nous avons de meilleur ?

VÉRITÉ, AMOUR, RUPTURE, DÉSIR, DEUIL… : L’AMITIÉ EN QUESTIONS

Avec Alain Comte-Sponville, Laurence Devillairs, Eva Illouz, Jean-Luc Nancy, Charles Pépin… Et aussi La République de Platon en BD, suite et fin

L 17892 - 50 H - F: 8,90 € - RD

Avec


Pascal Bruckner

Contributeurs

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Après Le Nouveau Désordre amoureux (Seuil, 1977), coécrit avec Alain Finkielkraut, ce philosophe et romancier s’est penché dans Le Paradoxe amoureux (2009) et dans Le mariage d’amour a-t-il échoué ? (2010) sur la difficulté de concilier l’amour qui attache et la liberté qui sépare. Il a récemment publié Un coupable presque parfait. La construction du bouc émissaire blanc (Grasset, 2020). Partant du constat que notre époque promeut les passions flamboyantes, il entend réhabiliter les vertus de l’amitié, ce sentiment doux, mais puissant, pp. 30-32.

André Comte-Sponville André Comte-Sponville propose une philosophie originale qui puise aussi bien dans sa jeunesse chrétienne que dans le marxisme, qu’il a étudié auprès de Louis Althusser, après avoir intégré l’École normale supérieure en 1972. Il a récemment publié un Dictionnaire amoureux de Montaigne (Plon, 2020) et Que le meilleur gagne ! (Robert Laffont, 2021). Il ébauche, dans un long entretien, les contours de l’amitié véritable, dont le sens ne cesse d’échapper aux philosophes à travers l’histoire, pp. 18-23.

Laurence Devillairs Spécialiste de philosophie morale, maîtresse de conférences, elle a notamment publié Guérir la vie par la philosophie (PUF, 2017 ; rééd. 2020), René Descartes (Que sais-je ? PUF, 2013 ; rééd. 2018), et Fénelon et Port-Royal (Classiques Garnier, 2017). Elle a plus récemment fait paraître Être quelqu’un de bien. Philosophie du bien et du mal (PUF, 2019). Le modèle républicain français est tiraillé entre l’idéal antique d’amitié politique et le cynisme des Modernes, qui théorisent une duplicité humaine intrinsèque. Laurence Devillairs retrace la genèse de ces deux visions, pp. 45-47.

Dimitri El Murr Spécialiste de philosophie ancienne, Dimitri El Murr dirige le département de philosophie de l’École

Sonia Feertchak Essayiste et enseignante à l’école Les Mots, elle a publié un Manuel d’autodéfense féministe (Plon, 2007), Ma fille. Conseils aux mères d’ados (Plon, 2010), L’Encyclo des filles (Gründ, 2016), un annuel classique destiné aux ados, et Les femmes s’emmerdent au lit (Albin Michel, 2015), essai sur le désir et le féminisme. Son dernier livre, La Vérité tue. Agatha Christie et la famille,

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Jean Harambat Après des études de philosophie, il se consacre au dessin et à la bande dessinée. Également auteur de reportages et de récits dessinés pour la presse écrite, il a publié chez Actes Sud En même temps que la jeunesse (2011) et Ulysse. Les chants du retour (2014), et chez Dargaud Opération Copperhead (2017, prix René-Goscinny 2018), et Le Detection Club (2019). Avec le livre X, il achève ici son adaptation en BD, en exclusivité (à paraître en album le 14 octobre chez Philosophie Éditions), de la République de Platon mise en couleurs par Isabelle Merlet, pp. 114-130.

© Jean-Francois Paga / Opale via Leemage © Luc Nobout / IP3 / Maxppp © Hannah Assouline / Opale / Leemage © Collection personnelle © Frédéric Souloy / GAMMA © Collection personnelle © Franck Ferville / Agence VU pour PM © Serge Picard pour PM © Vincent MULLER / Opale via Leemage © Julien Faure / Leextra via Leemage © Julien Faure / Leextra via Leemage © Daniel Caccin pour De lémont’BD 2018

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Ce que nous avons de meilleur ?

Elles/Ils ont contribué à ce numéro…

normale supérieure – PSL. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles parmi lesquels Savoir et gouverner. Essai sur la science politique platonicienne (Vrin, 2014), Les Philosophes face au vice, de Socrate à Augustin (avec C. Veillard et O. Renaut, Brill, 2020). Il a dirigé avec E. Partene un volume intitulé Kant et Platon. Lectures, confrontations, héritages, à paraître à la rentrée chez Vrin. À l’ère des réseaux sociaux, l’amitié semble plus que jamais facile, à portée de clic. Une illusion pour Dimitri El Murr qui explique que pour perdurer, elle nécessite une présence, du temps et des efforts constants, pp. 61-63.


Eva Illouz Sociologue et directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, elle a notamment publié Les Sentiments du capitalisme (Seuil, 2006), Pourquoi l’amour fait mal. L’expérience amoureuse

Anne-Sophie Moreau Ancienne élève de l’Essec et diplômée de l’ENS en philosophie, elle a rejoint Philo Éditions en 2010. Après avoir piloté le lancement du Philosophie magazin allemand, elle dirige aujourd’hui la rédaction de Philonomist, dévolu au monde du travail, de l’entreprise et de l’économie. Inconnu familier dont la fréquentation nous est imposée au quotidien, le collègue peut néanmoins susciter une relation faite d’une douce connivence, voire d’une exceptionnelle complicité, pp. 54-57.

Influencé par la pensée allemande et notamment par Heidegger, Jean-Luc Nancy est professeur émérite de l’université de Strasbourg. Contre la prétention des systèmes philosophiques, il soutient que le monde ne peut être intégré dans une grande théorie puisqu’il n’est jamais une totalité, comme il l’explique dans Le Sens du monde (Galilée, 1993). Il a également écrit L’Intrus (Galilée, 2000), La Création du monde, ou la mondialisation (Galilée, 2002), et vient de faire paraître La Peau fragile du monde (Galilée, 2020). De son vivant, l’ami ne fait que nous échapper. Une fois disparu, il continue de nous entourer de sa présence. Jean-Luc Nancy revient sur le lien d’amitié, à l’épreuve de la mort, pp. 58-60.

Charles Pépin Philosophe et professeur au lycée d’État de la Légion d’honneur, Charles Pépin est l’auteur d’essais philosophiques et de romans qui l’ont popularisé auprès du grand public. Dans Les Vertus de l’échec (2016) et La Confiance

Francis Wolff Philosophe et professeur émérite à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Spécialiste de philosophie ancienne, il est l’auteur de Plaidoyer pour l’inversel. Fonder l’humanisme (Fayard, 2019), de Penser avec les Anciens (Pluriel, 2016) et de Notre humanité. D’Aristote aux neurosciences (Fayard, 2010). Son ouvrage Dire le monde (PUF, 1997) vient de reparaître chez Pluriel augmenté de commentaires. Doit-on faire preuve d’une franchise totale en amitié ? Ou bien d’une empathie bienveillante ? Francis Wolff revient sur les liens complexes qui unissent amitié et vérité, pp. 38-44.

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Contributrices

Sociologue états-unien de l’université de Stanford, il est connu pour ses travaux en sociologie des réseaux et en sociologie économique. Dans son article le plus connu, il a théorisé la « force des liens faibles ». Il a notamment publié Le marché autrement. Les réseaux dans l’économie (Desclée de Brouwer, 2000), Sociologie économique (Seuil, 2008) et Société et économie (Seuil, 2020). Le sociologue bat en brèche les représentations les plus répandues sur l’amitié, parmi lesquelles l’idée qu’elle serait nécessairement un lien « fort » ou égalitaire, pp. 50-53.

Jean-Luc Nancy

en soi (2018), il fait appel pêle-mêle aux sagesses antiques, à la philosophie moderne et à la psychanalyse pour interroger nos angoisses contemporaines... Son nouveau livre, La Rencontre. Une philosophie (Allary Éditions) a paru en janvier. L’amitié, lorsque nous la rencontrons, ne nous laisse pas indemne et nous transforme profondément. C’est d’ailleurs sa principale vertu, analyse Charles Pépin, pp. 34-36.

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L’AMITIÉ

Mark Granovetter

dans la modernité (Seuil, 2012) et Happycratie. Comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies (Premier Parallèle, 2018). Son dernier ouvrage, La Fin de l’amour. Enquête sur un désarroi contemporain (Seuil, 2020), émet l’hypothèse que les relations sentimentales contemporaines sont en proie à une fatale incertitude. L’amour passion est un échec aux yeux d’Eva Illouz. Comment se fait-il qu’il brille toujours au détriment de l’amitié ? Parce qu’il donne lieu à une industrie extrêmement lucrative, répond-elle… pp. 26-28.

Ce que nous avons de meilleur ?

a paru en mars chez Philosophie magazine Éditeur. Quand l’amitié s’essouffle, doit-on envisager la rupture ? Et comment ? Sonia Feertchak s’interroge, à la suite des philosophes, pp. 64-66.


L’AMITIÉ

Ce que nous avons de meilleur ?

I. L’AMITIÉ EN 11 QUESTIONS

pp. 16-17

L’amitié au banc d’essai

Discussion croisée entre Hannah Attar, Nicolas Gastineau, Océane Gustave, Lucile Hamon, Hillel Schlegel et Angelina Tessier, pp. 8-15

Qu’est-ce qu’un ami véritable ?

Entretien avec André Comte-Sponville

Sommaire

« Je ne suis plus exactement le même » Jean-Pierre Vernant

pp. 18-23

p. 37

Un lien à réévaluer ?

Que dire, que taire ?

Eva Illouz pp. 24-28

Entretien avec Francis Wolff

Extrait

Allan Bloom

« Surtout ne croyez pas vos amis »

p. 41

Un sentiment plus rare que l’amour

6

Extrait

pp. 38-44 Extrait

p. 29

Albert Camus

Une passion au ralenti ?

Extrait

pp. 30-32

« Je vais si loin dans mon pessimisme »

Extrait

p. 43

Pascal Bruckner —

Il n’y a pas d’amitié malheureuse

Milan Kundera —

Michel Tournier

Un idéal ou un leurre pour l’action politique ?

pp. 45-48

Collègues ou plus si affinités ?

Anne-Sophie Moreau pp. 54-57

À la vie, à la mort ? Entretien avec Jean-Luc Nancy pp. 58-60

Loin des yeux, près du cœur… ? Entretien avec Dimitri El Murr pp. 61-63

Comment rompre ? Sonia Feertchak pp. 64-66

Extrait

« Tu dois lui être une flèche »

Friedrich Nietzsche p. 67

p. 33

Laurence Devillairs

Comment se fait la rencontre ?

Test Quelle est votre vision de l’amitié ?

Entretien avec Charles Pépin pp. 34-36

Extrait

Ami / ennemi, distinction Michel Eltchaninoff politique majeure pp. 69-72 Carl Schmitt p. 49

Des liens toujours forts ?

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Entretien avec Mark Granovetter pp. 50-53

MENSUEL, 10 NUMÉROS PAR AN / Rédaction: 10, rue Ballu 75009 Paris / E-mail : redaction@philomag.com / Information lecteurs : 01 43 80 46 10 / www.philomag.com / Directeur de la rédaction : Alexandre Lacroix / Service abonnés : Philosophie magazine, 45, avenue du Général-Leclerc, 60643 Chantilly Cedex – France (01 43 80 46 11), abo@philomag.com / Offres d’abonnement : abo.philomag.com / Diffusion : MLP / Contact pour les réassorts diffuseurs : À Juste Titres (04 88 15 12 42 – Julien Tessier, j.tessier@ajustetitres.fr)


Octave Larmagnac-Matheron pp. 74-75

Gilgamesh L’homme et son double

La révolution du christianisme

« Salammbô », au musée des Beaux-Arts de Rouen

pp. 76-77

pp. 110-113

Sven Ortoli

pp. 86-91

La naissance de la philia

Montaigne et La Boétie L’inexplicable amitié

pp. 78-83

pp. 92-93

Achille et Patrocle Les encyclopédistes Une affection puissante Amitiés et inimitiés pp. 80-81

Platon et Aristote L’amitié des sages pp. 84-85

PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE

pp. 109-130

par Octave Larmagnac-Matheron

La République de Platon, suite et fin par Jean Harambat pp. 114-130

pp. 94-95

Le temps des révolutions pp. 96-107

Nietzsche, Rée, Andreas-Salomé L’« amitié d’étoiles »

Sommaire

II. UNE HISTOIRE AMICALE DE LA PHILOSOPHIE

CAHIER CULTURE

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pp. 98-99

Sartre Les amitiés brisées

HORS-SÉRIE “L’AMITIÉ” Été-automne 2021 / Rédacteur en chef : Sven Ortoli / Rédacteur : Octave Larmagnac-Matheron / Secrétaires de rédaction : Vincent Pascal et Clara Delente / Direction artistique : Jean-Patrice Wattinne / L’Éclaireur / Iconographie : Stéphane Ternon / Couverture : © Lake Como, 1994 from No System (Steidl) © Vinca Petersen / Directeur de la publication : Fabrice Gerschel / Responsable administrative : Sophie Gamot-Darmon / Fabrication : Rivages / Impression : Mordacq, rue de Constantinople, ZI du Petit-Neufpré, 62120 Aire-sur-la-Lys / Commission paritaire : 0521 D 88041 / ISSN : 2104-9246 / Dépôt légal : à parution / Philosophie magazine est édité par Philo Éditions SAS au capital de 340 200 euros, RCS Paris B 483 580 015 / Président : Fabrice Gerschel / Relations presse : Canetti Conseil (01 42 04 21 00), francoise.canetti@canetti.com / Publicité culturelle, commerciale, partenariats : Audrey Pilaire (01 71 18 16 08), apilaire@ philomag.com / Imprimé en France, Printed in France / La rédaction n’est pas responsable des textes et documents qui lui sont envoyés. Ils ne seront pas rendus à leurs propriétaires /

L’AMITIÉ

Origine du papier : Autriche • Taux de fibres recyclées : 33 %. • Certifié PEFC • Eutrophisation : 0,07 kg/t

Ce que nous avons de meilleur ?

pp. 102-103


L’AMITIÉ

Ce que nous avons de meilleur ?

Est-on ami différemment à l’âge des réseaux sociaux ? Comment distinguer l’amour et l’amitié ? Le désir est-il une partie contingente de l’amitié ? Pour en débattre, nous avons réuni six jeunes hommes et femmes de 23 à 35 ans qui partagent un goût pour la philosophie, par leurs études ou par leurs lectures. Ce n’était pas un Banquet – Covid oblige – mais une discussion en plein air, qui s’est révélée très... amicale.

L’amitié au

Propos recueillis par Octave Larmagnac-Matheron et Sven Ortoli

HILLEL › Je ne sais pas si parler de « l’amitié aujourd’hui » a un sens particulier. Je ne vois pas pourquoi les enjeux de l’amitié auraient beaucoup changé au cours des siècles. En revanche, il me semble que le sens de l’amitié varie sensiblement d’un pays à l’autre. Un ami qui vivait au Canada m’a expliqué que là-bas, il faut se connaître depuis dix ou quinze ans pour être amis. En Amérique du Sud, c’est beaucoup plus ouvert – et en même temps les amitiés peuvent se déliter aussi facilement qu’elles sont venues. En Allemagne, les amis sont plutôt les gens avec lesquels on a grandi. On n’a pas vraiment à les choisir – on les connaît depuis l’enfance. LUCILE › Mais en France aussi il y a des différences ! Les amitiés nées à Strasbourg, où j’ai grandi, et celles que

j’ai tissées en arrivant à Paris n’ont rien à voir. À Strasbourg, ce sont des amitiés familiales, des personnes que je connais depuis très longtemps dont je me demande parfois si on partage encore des choses. À Paris, j’ai découvert ce qu’on appelle les « connaissances ». On se fait de nouveaux groupes d’amis chaque année, au travail ou à la fac. Ça change la définition de l’amitié. Ce sont pour moi des relations plus superficielles, plus volatiles lorsqu’on est pris dans le flux de la vie parisienne. ANGELINA › J’ai une approche complètement différente : après avoir quitté l’endroit où j’ai grandi, j’ai réalisé que les amitiés de mon enfance n’étaient pas très profondes : on avait grandi ensemble mais sans se poser de question sur le sens véritable d’amitiés qui résultaient sans doute seulement de contingences géographiques. Au contraire, pendant mes études, j’ai rencontré des gens avec lesquels un lien très profond s’est établi immédiatement. On se connaît depuis deux jours ; pourtant, on est amis d’emblée.

© Xavier Schwebel pour Philosophie magazine

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L’amitié au banc d’essai

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banc d’essai


PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE Océane Gustave Étudiante en master de philosophie à l’université Paris sciences et lettres (PSL).

L’amitié au banc d’essai

Hillel Schlegel Ancien créatif polyvalent dans l’industrie culturelle, il a rejoint l’équipe de Philosophie magazine comme éditeur en 2020.

Nicolas Gastineau Journaliste pour Philosophie magazine en alternance au CFPJ, il travaille aussi pour l’émission « Soft Power » sur France Culture.

Hannah Attar Rédactrice en chef d’Opium philosophie, elle est étudiante en master de philosophie politique à la Sorbonne (Paris-IV).

L’AMITIÉ

Lucile Hamon Après une classe préparatoire littéraire, elle a intégré le master de philosophie politique et éthique à la Sorbonne.

Angelina Tessier Ancienne étudiante à Sciences Po Aix et à l’université de Leiden, aux Pays-Bas, elle est titulaire d’une licence de philosophie.

Ce que nous avons de meilleur ?

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Qu’est-ce qu’un ami véritable ? Entretien avec André Comte-Sponville — pp. 18-23

Un lien à réévaluer ? Par Eva Illouz — pp. 24-29

Une passion au ralenti ? Par Pascal Bruckner — pp. 30-33

Comment se fait la rencontre ? Entretien avec Charles Pépin — pp. 34-37

Que dire, que taire ? Entretien avec Francis Wolff — pp. 38-44

L’amitié en

11 questions Un idéal ou un leurre pour l’action politique ? Par Laurence Devillairs — pp. 45-49

Des liens toujours forts ? Entretien avec Mark Granovetter — pp. 50-53

Collègues ou plus si affinités ? © Jérômine Derigny / Argos diffusion / Saif images

Par Anne-Sophie Moreau — pp. 54-57

À la vie, à la mort ? Entretien avec Jean-Luc Nancy — pp. 58-60

Loin des yeux, près du cœur... ? Entretien avec Dimitri El Murr — pp. 61-63

Comment rompre ? Par Sonia Feertchak — pp. 64-67


Qu’est-ce qu’un ami véritable ? Entretien avec André Comte-Sponville*

D

Propos recueillis par Sven Ortoli

Avez-vous un ou des amis ?

es amis, plutôt qu’un seul ! Abondance de biens ne nuit pas… Je n’ai jamais approuvé, chez Montaigne, ce goût pour une amitié unique, exclusive, à la fois indivisible et incomparable, comme celle qu’il vécut, nous dit-il, avec Étienne de La Boétie. Je prends très au sérieux la notion de «meilleur(e) ami(e) ». Mais justement : elle suppose la pluralité, la comparaison, sans d’ailleurs impliquer forcément, elle non plus, l’unicité. On peut avoir plusieurs meilleurs amis, non pas certes des dizaines (la notion perdrait son sens), mais quelquesuns, forcément rares mais possiblement pluriels. Cela débouche d’ailleurs sur une question intéressante : combien ai-je d’amis ? Et combien de meilleurs amis ? Questions d’autant plus intéressantes que je suis incapable d’y répondre ! Pourquoi ? Parce qu’il y faudrait non seulement une définition de l’amitié – ce n’est pas si difficile –, mais aussi que cette définition soit assez discriminante pour que nous puissions

© Luc Nobout / IP3 / Maxppp

L’AMITIÉ

Ce que nous avons de meilleur ?

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L’amitié en 11 questions

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Doit-on la vérité à ses amis ? Qu’est-ce que l’amitié, qui se nourrit de dialogue autant que de silence ? André ComteSponville nous entretient de cette vertu vitale, faite de partage, qui traverse l’histoire de la philosophie sans jamais trouver de définition définitive.


L’AMITIÉ

Ce que nous avons de meilleur ?

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L’amitié en 11 questions

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L’AMITIÉ

Ce que nous avons de meilleur ?

Dans un texte initialement publié par le quotidien israélien Haaretz pour la Saint-Valentin, la sociologue Eva Illouz décrypte la façon dont l’amour est culturellement valorisé au détriment de l’amitié. Et invite à repenser cette hiérarchie.

Un lien à réévaluer ? Par Eva Illouz*

Traduction : Eva Illouz et Octave Larmagnac-Matheron

L

a Saint-Valentin est une occasion comme une autre pour faire le point sur une vérité que nous avons, collectivement, essayé d’éviter : l’amour romantique –  la source d’inspiration de tant de poèmes et de romans enivrants, le plus vieil idéal de notre civilisation, le but de nos vies – a, dans l’ensemble, été un lamentable échec. Quiconque a les yeux grand ouverts peut constater que la route de l’amour romantique est pavée d’une quantité insondable d’indignités : premiers rendez-vous décevants ; coups d’un soir vides et avilissants ; promesses non tenues ; engagements sans enthousiasme ; princes changés en grenouilles furieuses ; vies partagées qui se terminent dans les marécages du mensonge et de la trahison. Peut-être pire encore que ces indignités : les vies qui n’en finissent plus d’être partagées, et qui continuent à mettre en scène leur épuisement et leur rage impuissante.

Dans le paysage aussi vaste que varié des échecs amoureux, les statistiques du divorce sont accueillies presque avec soulagement – comme le signe que certains ont le courage de refuser la misère domestique, que certains n’acceptent pas de transiger sur leurs fantasmes et leurs désirs. (Pour ceux qui auraient tendance à surinterpréter : je n’affirme pas que l’amour n’existe pas, seulement que le chemin est sinueux et que ses méandres peuvent cacher des souffrances.) Nous avons passé tellement de temps à essayer de secourir des princesses emprisonnées dans des donjons, à rêver de la condition princière des grenouilles, à nous regarder dans les yeux à la lumière des bougies kitsch, à revenir épuisé d’une énième rencontre ennuyeuse, que nous avons complètement oublié de célébrer un sentiment plus mystérieux, et non moins sublime : l’amitié. « L’âme de Jonathan était liée à l’âme de David, et Jonathan l’aimait comme sa propre âme. […] Alors Jonathan fit

© Meyer / Tendance Floue

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L’amitié en 11 questions

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« Pourquoi ne célébrons-nous pas l’amitié avec la même énergie frénétique que celle que notre culture déploie pour célébrer l’amour ? »

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Ce que nous avons de meilleur ?

Après la passion des débuts peut venir le temps de l’amitié entre les amants. Loin d’être le signe d’une résignation ou d’une dégradation du lien, il s’agit de la métamorphose la plus heureuse qu’une union puisse connaître, estime Pascal Bruckner.

Une passion au ralenti ?

L

Par Pascal Bruckner*

es régions tempérées du sentiment sont les plus difficiles à cerner. L’esprit aime à concevoir les extrêmes, la froideur ou la passion, mais il balbutie devant la modération et l’ordinaire comme s’ils manquaient de relief pour être appréhendés. Notre époque que l’on dit matérialiste est tout entière vouée aux mythologies du sublime. Nous exaltons l’amour absolu pour dénigrer les amours ordinaires, les amitiés calmes. Dans la lignée du Banquet de Platon, des professeurs d’absolu divisent, foudroient, hiérarchisent, établissent des échelles de graduation et donc dévalorisent ce que nous vivons. Ils nous exhortent au dépassement, nous soumettent à l’alternative du tout ou rien. À les en croire, « l’amour vrai » serait un tel océan de merveilles qu’à côté de lui, il n’y aurait que tentatives maladroites, misère humaine, rabaissement du cœur. Imaginer que l’amour puisse se dégrader en amitié, qu’il puisse devenir aussi un compagnonnage joyeux heurte ces bons esprits. L’idéalisation du sentiment rêvé entraîne la dépréciation du sentiment vécu. Nous sommes conviés à calomnier nos unions maladroites

© Sian Davey

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L’AMITIÉ

« À l’amour fou, il faut opposer l’amour doux qui travaille à l’édification du monde »

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L’AMITIÉ

Ce que nous avons de meilleur ?

Au nom de l’amitié, doit-on faire preuve d’une franchise totale ? Ou bien d’une empathie bienveillante ? Nos amis doivent-ils faire l’objet de notre dévouement aveugle, au détriment de toute idée de justice ? Le philosophe Francis Wolff revient sur les liens complexes qui unissent amitié et vérité.

Que dire, que taire ? Entretien avec Francis Wolff* Propos recueillis par Sven Ortoli

I

Est-ce que l’amitié s’accompagne d’un devoir de vérité ?

l y a deux façons de considérer cette question. Lorsqu’Aristote déclare : « l’amitié m’est chère mais la vérité m’est encore plus chère », il vise Platon dont il a été le disciple puis l’ami pendant dix-neuf ans avant de s’en séparer pour créer sa propre école philosophique qui est très critique de l’enseignement de l’Académie. Pour Aristote, la vérité philosophique est plus importante que l’amitié. Mais je pense que la question qui vous intéresse concerne le type de vérité que nous devons à l’ami. Or cela nous met souvent face à un conflit de devoirs parce que l’amitié se définit à la fois par la bienveillance mutuelle et par la confiance réciproque. D’un côté, on a le souci du bien de son ami et on ne doit pas le blesser – or, certaines vérités peuvent être désagréables. D’un autre côté, on a le souci de la véracité et on ne doit pas le tromper. Doit-on ou non lui dire telle vérité qui, comme on dit, n’est pas bonne à dire ? La dire, c’est contrevenir à un des principes de l’amitié, la bienveillance. La dissimuler, c’est contrevenir à un autre principe. Dans un cas comme dans l’autre, je trahis l’amitié. Il n’y a pas de bonne solution générale.

Prenons l’exemple classique de l’ami(e) qui sait que le compagnon ou la compagne de l’autre le trompe. Que faire ? Dire ou se taire ?

Dans cet exemple, qui est un motif de vaudeville autant que de tragédie, le conflit de principes est a priori insoluble. Mais quand les principes s’opposent, il faut raisonner par les conséquences : quelles conséquences sont les moins dommageables ? Cela dépend évidemment des cas et des circonstances. Mais au préalable, il faut s’imposer une règle, qui dérive du principe de bienveillance qui définit l’amitié : chercher à faire du bien à l’autre et non à soi. Se demander quel bien (ou quel mal) je vais lui faire en parlant (ou en me taisant), et non pas quel bien (ou mal) je vais me faire en me taisant (ou en parlant). Car je pourrais éprouver du soulagement à ne rien dire, ou – pourquoi pas ? – un plaisir malsain à me prévaloir d’une information inédite. Il faut donc se demander exclusivement : qu’est-ce qui lui fera à lui (ou à elle) le plus grand bien – ou le moindre mal –, à court terme, et à long terme ? La réponse n’est pas nécessairement la même dans les deux cas, et l’amitié vise toujours le long terme. Ceci étant dit, lorsque je ne sais vraiment pas quoi faire parce que la situation est obscure –  et c’est souvent le

© Tamara Dean

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L’amitié en 11 questions

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L’amitié en 11 questions

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« Le silence et la dissimulation recèlent finalement plus de risques et de maux que la révélation et la franchise »

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L’amitié n’est pas nécessairement un « lien fort ». Elle n’implique pas non plus de passer beaucoup de temps ensemble, ni de nourrir une relation strictement égalitaire... Le sociologue états-unien Mark Granovetter revient sur quelques idées communes.

Des liens toujours forts ? Entretien avec Mark Granovetter*

Propos recueillis et traduits par Octave Larmagnac-Matheron

L

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Quelle définition donneriez-vous de l’amitié ?

es sociologues – et c’est aussi mon cas – parlent assez rarement d’amitié, mais plutôt de liens et de réseaux. L’amitié est une notion vague, utilisée dans la vie de tous les jours, sans que l’on demande aux gens ce qu’ils entendent vraiment par là. Ce serait plutôt impoli ! Les gens ne vous disent pas ce qu’ils ont en tête quand ils vous disent qu’ils ont un ami. Ils supposent, simplement, que vous comprenez de quoi il s’agit. Je ne suis donc pas certain que l’on puisse donner une définition précise de l’amitié. Cela étant, en général, ce que les gens nomment amitié correspond à ce que j’ai théorisé sous le nom de « liens forts », par opposition aux « liens faibles ». C’est une dichotomie artificielle, bien entendu : les liens humains sont un continuum, ils sont plus ou moins faibles et plus ou moins forts, selon différents critères. La relation étroite d’amitié est sans doute, dans l’esprit des

gens, davantage du côté des liens forts. Mais ce n’est pas toujours le cas : certaines personnes utilisent parfois le mot pour parler d’une simple connaissance. Le temps passé ensemble est pour vous un critère important des liens forts. Pourtant, on peut être très ami avec quelqu’un que l’on voit très rarement…

En effet. Et on pourrait dire aussi qu’un collègue de travail avec qui vous passez beaucoup de temps n’est pas, pour autant, un ami. La force d’un lien possède au moins quatre dimensions : le temps passé ensemble, l’intensité émotionnelle, l’intimité (la confidence mutuelle) et la réciprocité des services que les amis se rendent les uns les autres. Ces quatre critères permettent de caractériser différentes formes de liens forts, selon leur importance relative. Ainsi, certaines relations fortes n’impliquent pas une grande quantité de temps passé ensemble. C’est aussi vrai dans la famille : en général, même si votre mère habite

© Meyer/ Tendance Floue

L’amitié en 11 questions

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L’amitié en 10 questions

L’AMITIÉ

« On peut caractériser l’intensité des liens en fonction de quatre critères : le temps, l’intensité émotionnelle, l’intimité et la réciprocité »

Ce que nous avons de meilleur ?

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L’AMITIÉ

Ce que nous avons de meilleur ?

Parce qu’il est cet inconnu familier dont la fréquentation nous est imposée au quotidien, le collègue semble être l’inverse d’un ami. Pourtant, il n’est pas exclu que cette relation « accidentelle » se transforme en douce connivence, voire en complicité exceptionnelle.

Collègues ou plus si affinités ? Par Anne-Sophie Moreau*

«

N

ous sommes collègues, et néanmoins amis. » Ainsi avons-nous pris l’habitude de nous présenter, l’un de mes amis et moi, lorsque nous arrivons dans une soirée. Nous en rions, bien sûr. Mais si nous nous plaisons à employer cette formule, c’est aussi parce qu’elle recèle une certaine vérité, celle de l’incongruité de toute relation née au travail : peut-on, au fond, être véritablement amis lorsqu’on travaille ensemble ?

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L’open space, ce «tue-l’amitié »

S’il y a bien une figure étrange dans nos sociétés contemporaines, c’est celle du collègue. Du latin collega, « celui qui a été élu en même temps », le mot désigne cet inconnu dont votre chef a jugé bon de vous imposer le doux commerce sans vous avoir demandé votre avis. Si vous l’abhorrez, il y a de grandes chances que votre hostilité soit partagée par le malheureux élu. Moqué dans les films ou dans les séries, le personnage se caractérise au mieux par sa maladresse,

au pire par sa rudesse, et semble avoir été principalement créé pour vous pourrir la vie. Or il est amené, depuis l’invention de l’open space, non seulement à empiéter sur votre espace vital mais aussi à passer un nombre d’heures incalculable en votre compagnie (il se peut que vous le fréquentiez davantage que votre propre partenaire). C’est notre lot à tous : on ne choisit pas sa famille… ni ses collègues. La relation de travail est ainsi à l’opposé de l’amitié, qui est, elle, librement choisie. Comment imaginer qu’une quelconque intimité naisse de cette sociabilité imposée ? Le chef a beau multiplier les pots pour « faire connaissance », rien n’y fait : on renâcle à faire amiami avec son collègue. Quand on ne le déteste pas, on préfère garder vis-à-vis de lui une certaine distance. Malgré sa proximité physique, le voisin de bureau demeure ainsi un objet d’étonnement ou de curiosité, tout en restant inaccessible. On rêve de le cerner, mais on se garde bien d’aller remuer les tréfonds de sa personnalité, comme si on en avait peur. Le collègue a quelque chose de cette « inquiétante étrangeté » décrite par Freud : il vous est à la fois

© Lars Tunbjork / Agence VU

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L’amitié en 10 questions

L’AMITIÉ

« Le collègue a quelque chose de cette “inquiétante étrangeté” décrite par Freud : il vous est à la fois parfaitement familier et singulièrement étranger »

Ce que nous avons de meilleur ?

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L’AMITIÉ

Ce que nous avons de meilleur ?

De son vivant, l’ami ne fait que nous échapper. Une fois disparu, il continue de manifester sa présence. Jean-Luc Nancy, qui s’est toujours entouré d’esprits, revient sur le lien d’amitié et sa puissance.

À la vie, à la mort ? Entretien avec Jean-Luc Nancy* Propos recueillis par Octave Larmagnac-Matheron

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Votre parcours a été marqué par de nombreuses amitiés, à commencer par celles avec Philippe Lacoue-Labarthe et Jacques Derrida. La philosophie commence-t-elle avec l’amitié ?

eut-être faut-il dire que l’amitié est dans la pensée – la pensée et non les préoccupations, les intérêts, etc. Penser quelque chose n’a de sens que dans la proximité. Même avec une pierre : il faut toucher, éprouver la chose ou la personne.

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Vous avez récemment coordonné un ouvrage en hommage à Bernard Stiegler. Pourquoi parler de l’ami disparu est-il si important et si difficile ?

Il y a là une difficulté indépassable. L’ami n’est plus là, c’est tout. Mais ce « tout » est aussi une présence formidable. J’entends sa voix, j’éprouve sa présence. Il y a de l’ineffaçable. L’autre absent souligne sa présence : voici son rire, voici sa mélancolie. Aujourd’hui je vis entouré d’amis morts et présents. J’entends leurs intonations et je les entends me dire : « Alors, tu voudrais bien savoir ce que nous dirions ;

tu en devines un peu, mais très peu… Nous sommes là, à quelques pas en arrière. » Et moi : « Vous avez vu le Covid-19… » Eux : « Oui, bien sûr, et nous ne savons pas nous-mêmes ce que nous en penserions. » Et moi : « Oui, mais vous approchiez déjà de l’idée d’immunité… » Et eux : « C’est vrai mais on ne pouvait pas imaginer ça… » Ainsi va l’histoire : ça arrive, et l’on s’en va dans cette venue. La mort de l’ami est toujours déjà inscrite en lui. Cette distance de l’autre n’est pas, pour vous, un obstacle à l’amitié ?

C’est ce qui m’échappe de l’autre qui en fait un ami. À condition que cette échappée soit là, entre nous, ni révélée, ni dissimulée. Si elle se dissimule parce qu’elle sait qu’elle ouvrirait un conflit, elle a déjà trahi l’amitié. J’avais un ami qui peu à peu est devenu si préoccupé de la « nation », de la « souveraineté », et de plusieurs formes de complot que tout finissait par passer par ce prisme. Je n’ai pas compris comment cela avait pu s’insinuer entre nous. Cela s’est conclu par une rupture ! Son absence à moi n’était pas celle de sa mort possible :

© Vincent Muller / Opale via Leemage

L’amitié en 11 questions

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de l’amour : on n’aime ni pour la beauté ni pour la richesse. Il y a néanmoins une différence entre l’amour et l’amitié : X est un ami en étant ce personnage, ce caractère, cette vie propre, tandis que si j’aime Y, il ou elle est sans contours, sans limites. La différence est mince, pas toujours évidente, mais elle est là.

L’AMITIÉ

c’était au contraire un bloc de certitudes qui n’admettait aucune étrangeté. Ce qui m’échappe de l’autre, c’est lui, c’est lui-même ! L’inidentifiable. C’est lui mon ami parce que c’est entre nos inidentités [ce qui demeure insaisissable] que ça se passe. Ce n’est pas parce que X est savant ou parce que Y est drôle que ce sont des amis. La même chose est vraie

Ce que nous avons de meilleur ?

« C’est ce qui m’échappe de l’autre qui en fait un ami »



Une histoire amicale

© Geroges Dudognon / adoc-photos

de la philosophie La philosophie est une histoire d’amitié. Elle commence en tout cas par des discussions animées entre Socrate, Platon, Aristote et bien d’autres « amis de la sagesse » réunis lors de banquets ou sur l’agora d’Athènes pour rechercher, ensemble, la vérité. Si les penseurs antiques s’accordent pour dire que l’amitié est ce qu’il y a de plus essentiel, leurs conceptions sur le sujet divergent. Et leurs héritiers ne parviendront pas plus à se mettre d’accord, comme si l’amitié, condition de possibilité de la philosophie, en était en même temps le point obscur, rétif à la parole.

De gauche à droite : Jacques-Laurent Bost et son épouse Olga Kosakiewicz, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, Jean Cau et Michelle Léglise-Vian (de dos) au café de Flore, 1950.


Poursuivant l’entreprise engagée dans les précédents numéros, Jean Harambat livre la fin de son adaptation en bande dessinée du texte de Platon. Au programme du livre X : la place de la poésie, celle de la philosophie, et l’immortalité de l’âme.

culture

.© Nancy, musée de l’École de Nancy.

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LA RÉPUBLIQUE, X PAR JEAN HARAMBAT

D’ATHÈNES À CARTHAGE : REVIVRE L’ANTIQUITÉ

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À l’occasion du bicentenaire de la naissance de Flaubert, le musée des Beaux-Arts de Rouen consacre une exposition à l’un de ses chefs-d’œuvre, Salammbô, qui inspira à Sartre des pages dépourvues de tiédeur...

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SALAMMBÔ À ROUEN

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Mrs. Algernon Bourke costumée en Salammbô, tableau vivant à Bleheim Palace, 1897. © Londres, Victoria & Albert Museum

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culture CAHIER

Pour le bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert, le musée des BeauxArts de Rouen célèbre l’écrivain normand au travers d’une exposition (jusqu’au 19 septembre) consacrée à Salammbô. Nous voici loin de la Normandie du XIXe siècle d’Emma Bovary : dans la Carthage du IIIe siècle av. J.-C. Publié en 1862, Salammbô est un chef-d’œuvre qui ne plaît pas à tout le monde. « C’est une merde », dira même un jour Sartre ! Tout en consacrant des dizaines de pages d’analyse passionnée à l’ouvrage, dans sa trilogie sur Flaubert. Signe qu’au cœur même de la répulsion, le livre de l’« ermite de Croisset » suscite chez le philosophe engagé une profonde fascination.

PAR

OCTAVE LARMAGNAC-MATHERON

Salammbô

Sartre et Flaubert

© RMN

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La République

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culture

LIVRE X

PAR JEAN HARAMBAT Mise en couleurs : Isabelle Merlet

Dernier épisode d’une histoire que vous pourrez retrouver dans son intégralité le 14 octobre en librairie.

La République Livre X

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PHILOSOPHIE MAGAZINE HORS-SÉRIE

L

a soirée touche presque à sa fin. Socrate choisit d’aborder avec ses convives la question de l’âme humaine. Malmenée par des passions sauvages qui sont autant d’animaux à dompter en son sein, elle ne doit se soumettre qu’à une seule autorité : celle de la raison. C’est donc au philosophe qu’il revient d’éduquer les âmes, d’y mettre de l’ordre, et de tracer la voie pour accéder au bonheur. Il est l’homme qu’il faut à la cité. Lui, et non le poète, dont Socrate réclame le bannissement. Le poète, contrairement au philosophe, ne contemple pas la vérité. Il ne fait que produire des imitations qui

excitent les passions les plus animales de l’homme. Ne lui confiez surtout pas l’éducation des citoyens ! Les discussions s’achèvent sur le mythe d’Er, raconté par Socrate. Destiné à entretenir chez les auditeurs la foi en l’immortalité de l’âme, ce récit évoque le jugement des âmes après la mort du corps, et leur réincarnation en des êtres plus ou moins nobles, selon la vie qu’elles ont vécue. C’est en gardant ce mythe à l’esprit que nous saurons comment vivre de la meilleure des façons. En philosophes. LA RÉDACTION


La République LIVRE X

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