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Le Champ des possibles réunit comédiens professionnels et en situation de handicap
from Poly 249 - Septembre 2022
by Poly
Prendre le risque de chavirer
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Virginie Marouzé et Guillaume de Baudreuil ouvrent Le Champ des possibles avec des balades improvisées unissant comédiens professionnels de la compagnie Tout va bien ! et en situation de handicap de La Mue du Lotus.
Par Thomas Flagel – Photos de Guillaume de Baudreuil
Il n’existe en France qu’une poignée de troupes professionnelles de comédiens en situation de handicap à côté des historiques Théâtre de l’Entresort ou de L’Oiseau-Mouche. C’est à l’occasion d’un atelier amateur il y a une vingtaine d’années que Virginie Marouzé, directrice artistique de la compagnie Tout va bien !, se lance dans l’aventure. « En dix minutes, toutes mes propositions avaient été bazardées, c’était la séance la plus déstabilisante de ma vie. J’étais en panique avec mes outils de théâtre mais j’ai immédiatement eu envie, sans pouvoir tout de suite dire pourquoi, de cheminer avec cette capacité à tout remettre en cause tout le temps », se souvient-elle. Depuis 2018, elle s’occupe des volets artistiques et de production de La Mue du Lotus, qui réunit douze acteurs en Meurthe-et-Moselle, adossée au Caps de Rosières-auxSalines, un établissement et service d’aide par le travail gérant l’accompagnement social. Le projet vise à professionnaliser dix à douze comédiens en situation de handicap mental (trisomie, autisme…) et psychique (schizophrénie…). « La mixité y est immensément riche car voisinent des personnes ne sachant ni lire ni écrire et un ingénieur de formation de 59 ans. Il faut s’adapter aux possibilités de chacun tout en bénéficiant de l’effet moteur du groupe et de l’exigence de la création. » La complexité de l’accompagnement n’est pas si différente de celle des acteurs de Tout va bien !, elle exige simplement beaucoup plus de temps, de monde et de manières de faire inventées sur-mesure. « La singularité forte des comédiens en situation de handicap fait tanguer un peu plus fort le bateau du spectacle vivant. Les émotions et les corps prennent des chemins de traverse surprenants et déroutants, qui obligent à sortir des rythmes habituels de création : il y a plus de recherche au quotidien, le spectacle n’est pas la finalité mais une étape montrée d’une recherche au long cours éclatant les paradigmes. » Leur nouvelle création, Le Champ des possibles, se base sur des improvisations dans l’espace public. Un « pari fou » pour le scénographe et co-metteur en scène Guillaume de Baudreuil que de les « faire nous emmener dans leur univers, de réussir à ce qu’ils posent leurs corps et leurs émotions dans leur bizarrerie, en des lieux inhabituels où n’importe quoi peut arriver ». Si la forme de balades est figée en solos ou duos, leur articulation n’a de cesse de se recomposer à chaque fois. Après le passage d’une porte symbolique, les acteurs choisissent le lieu de leur arrêt improvisé. « On touche un endroit de jeu frôlant le réel, l’instant et l’inédit qui tordent les choses, les envies, les regards », confie-t-il. Et Virginie de conclure : « Cette troupe permanente a dû apprivoiser une grande liberté, apprendre à écouter les espaces pour dessiner ensemble les dynamiques de chacun, leurs forces et délicatesses qu’ils livrent sans artifices. »
Au Centre de création ouvert aux arts en campagne (Montiers-surSaulx) les 16 et 17 septembre (en partenariat avec l’ACB – scène nationale de Bar-le-Duc), au Parc du Charmois (Vandœuvre-lèsNancy) les 23 et 24 septembre (avec le CCAM) et à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Champenoux) le 2 octobre (en partenariat avec Scènes et Territoires) cietoutvabien.com
Coup de théâtre
Pour sa deuxième édition, Micropolis poursuit la démocratisation de l’accès à la culture avec neuf spectacles, conçus pour être joués hors des salles habituelles.
Par Julia Percheron – Photo de Longueurs d'ondes par Jean-Marc Lobé
Conservatoire régional du Grand Nancy, Institut européen de Cinéma et d’Audiovisuel… cette année, sept établissements de la métropole lorraine – pour la plupart dépourvus d’équipements théâtraux – ouvrent leurs portes au festival Micropolis. « Aujourd’hui, il y a une nécessité d’aller vers les publics, de les sensibiliser à cet art en leur en simplifiant l’accès », résume la directrice du Théâtre de la Manufacture et metteuse en scène Julia Vidit. Une volonté de décentralisation qui a convaincu quatre nouvelles structures de faire partie de cette manifestation, à l’image du Goethe-Institut et de l’IAE. « On pourrait se demander quel est le lien entre une école de management et le théâtre, mais c’est justement l’envie de faire découvrir la culture à cette jeunesse qui donne tout son sens au projet. »
Parmi les spectacles proposés, la création musicale et audiovisuelle n’est jamais loin : Longueurs d’ondes* (01 & 02/10, Théâtre de la Manufacture), mis en scène par Bérangère Vantusso, mêle ainsi sons d’archive et témoignages pour redonner vie à Lorraine Cœur d’Acier, une radio pirate lancée en 1979. « L’artiste contemporain Paul Cox l’a mis en images en s’inspirant du kamishibai japonais, à la façon d’une pièce de théâtre de papier. Le narrateur raconte l’histoire en faisant défiler des dessins glissés dans un castelet en bois, ce qui rend les acteurs très vifs et énergiques. » Laura Fedida et Hugues De La Salle, de la Compagnie trois-6ix-trente, s’emparent donc de la scène afin de livrer « un message sur l’engagement, teinté d’humour et de couleur. » Le jeune public est également convié à s’initier à ces représentations, notamment à travers Dissolution (29/09-02/10, Goethe-Institut), « une œuvre intergénérationnelle centrée sur trois personnages différents. » Écrite par Catherine Verlaguet, mise en scène par Julia Vidit et jouée par le conteur Rachid Bouali, cette histoire « aborde la question de la disparition et de la transmission : un grand-père s’en va, ce qui entraîne un questionnement sur le sentiment d’exister, la manière dont il faut s’y prendre pour ne pas passer à côté de sa vie. » Seul sur scène, le comédien interprète à tour de rôle le vieil homme, son fils et son petit-fils, créant une atmosphère « douce et drôle à la fois. » Plus improbable et pourtant « très prenant », le Concert à table (30/09 & 01/10, Théâtre de la Manufacture) de Claire Diterzi et du musicien Lou Renaud-Bailly « interroge sur la création d’un lien par les sons. » La chanteuse détourne des objets du quotidien pour créer un ensemble musical déroutant : « bouilloire, verres d’eau, clochettes, crayons… elle s’en sert pour accompagner sa voix sur ses propres chansons et, même si elle suit une trame, je suis persuadée qu’il y a une part d’improvisation à chaque fois », sourit Julia Vidit.
Au Théâtre de la Manufacture et dans six autres lieux (Nancy) du 29 septembre au 2 octobre theatre-manufacture.fr
Bogota Social Club
Avec leur dernier opus, les Colombiens du Meridian Brothers poursuivent leur hommage fantasque à la musique latina et revisitent la “salsa dura“ des seventies.
Par Suzi Vieira – Photo de Mariana Reyes
Depuis près d’un quart de siècle, le producteur colombien Eblis Álvarez (à gauche) secoue la scène underground latino-américaine en réinvestissant avec truculence et inventivité le riche patrimoine musical de son pays. Loin de la cumbia aseptisée dont se repaît aujourd’hui l’industrie mondialisée, cet authentique digger dans l’âme œuvre, avec ses quatre complices du Meridian Brothers – combo expérimental aussi baroque que barré –, à la réévaluation des folklores andins, latins ou afro-caribéens trop longtemps méprisés et ringardisés, du vallenato au bullerengue. Un an seulement après l’album Paz en la Tierra, la formation bogotanaise remet ainsi au goût du jour El Grupo Renacimiento, mythique et éphémère septet de ”salsa dura” devenu, à la fin des années 1970, la voix de la jeunesse dans un pays déchiré par la guerre civile et l’essor du narcotrafic, avant de voir ses membres tomber dans la drogue et l’oubli. C’est du moins ce que raconte la légende… inventée de toutes pièces par les Meridian Brothers ! Car Renacimiento n’a jamais existé. Le groupe imaginaire sert en réalité de prétexte à un hommage aussi fantasque que respectueux aux productions salseras des seventies, celles du grand Joe Arroyo ou d’orchestres comme La Columna de Fuego ou Los Hermanos Lebrón, portés par le souffle révolutionnaire de l’époque et les promesses marxistes d’un renouveau social et politique.
« Sucio policía, no hay diversión / Anarquía absoluta, la Solución » (« Policier pourri, pas de distraction / Anarchie absolue, la Solution »), chante Álvarez de sa voix modifiée sur le refrain du morceau d’ouverture, La Policía, qui dénonce les violences policières d’hier – et surtout d’aujourd’hui – au rythme chaloupé des congas. Dans Metamorfosis, son double venu du passé imagine se réveiller un jour dans la peau d’un robot. Errant à corps perdu dans un monde kafkaïen au possible, « plein de caméras, plein de drones », il prie les divinités yorubas de le sauver d’un futur dystopique où la technologie cannibalise l’humain. C’est du néo-tropicalisme pur jus. Musicalement, la copie est parfaite, de la salsa à l’os : la façon de chanter, le format, les montunos répétitifs du piano. Et puis, deci delà, subtilement saupoudrées, quelques nappes de synthés résonnent, donnant à l’ensemble un jubilatoire effet de pastiche psyché. Le disque sort chez Ansonia Records, mythique label créé dans les années 1940 à Brooklyn par un immigré portoricain. Merengue, bomba, mambo, boogaloo… la maison joua un rôle majeur dans l’essor de la musique latina, avant de péricliter à la fin des eighties. Elle renaît aujourd’hui de ses cendres avec ce Meridian Brothers & El Grupo Renacimiento, annonçant déjà quelques autres perles à venir !