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LE TEMPS DU QUESTIONNEMENT

Se demander qui l’on est, s’interroger sur ses goûts et ses manières de réagir dans diverses situations : tout cela semble avoir des e ets bénéfiques sur notre santé mentale. Mais à la condition de ne pas confondre introspection et rumination.

Par Stella Marie Hombach, journaliste scientifique.

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En Bref

£ L’autoréflexion, qui consiste à réfléchir à ses propres attitudes, qualités et comportements, peut se pratiquer par écrit, sous la forme d’un journal, ou à l’oral avec des amis.

£ Ces approches semblent associer découverte de soi et équilibre psychique.

£ L’intérêt de cette pratique est de mettre les événements de la vie en récit pour en dégager un sens.

Narcisse, qui aimait tant se délecter de sa propre image, se frotterait sans nul doute les mains à notre époque. Le nombrilisme est aujourd’hui plus fort que jamais : on ne compte plus les livres de conseils expliquant comment prendre soin de sa propre personne. « La découverte de soi : Qui suis-je ? Qu’est-ce que je veux ? », ou encore : « Réfexion sur soi : trouver le calme, la joie de vivre et l’amour ». Un des derniers gros succès en date : « Le rendez-vous avec soi-même ». Sur Instagram, même topo, puisque sous le hashtag #selfrefection on trouve désormais plus d’un million de contributions, ainsi que des dizaines de posts proposant des exercices pour s’exercer à l’introspection.

Mais un pas a été franchi depuis les anciens Grecs. Alors qu’amoureux de lui-même, Narcisse n’avait qu’à contempler son image refétée dans l’eau, l’autoréfexion contemporaine consiste à explorer le fond du lac jusque dans ses recoins les plus profonds.

Se Voir Sous Un Angle Diff Rent

La confrontation avec sa propre personne ne date pas d’hier. C’est un thème affectionné par l’art et la littérature. Probablement prit-il son envol avec le mouvement des Confessional Poets, éclos aux États-Unis à la fn des années 1950. Les auteurs de ce qu’on appela donc la « littérature confessionnelle » extériorisaient à travers leurs écrits ce qu’ils avaient de plus intime. Gêne et honte n’étaient plus taboues. En Scandinavie, c’est dès le XIX e siècle qu’un type particulier d’université populaire proposa de seconder les citoyens et citoyennes dans la construction de leur identité tout en renforçant leur capacité d’autodétermination. Le séjour était gratuit et durait entre quatre et six mois… Tout un programme.

Mais à quoi bon ? Quel est l’intérêt de réféchir à sa propre vie ? James Pennebaker, psychologue social à l’université du Texas, à Austin, a son opinion sur le sujet : « Réféchir, c’est prendre du recul et essayer de mieux comprendre une chose, quelle qu’elle soit. » Dans le cas d’une équation mathématique, il ne s’agit pas de calculer le résultat, mais de se demander quels sont sa logique et son fonctionnement interne. De la même façon, se questionner sur une facette de soi-même poursuivrait un objectif similaire : « Dans les deux cas, développe le professeur, l’acte de réfexion fait apparaître des aspects insoupçonnés du problème. »

Qu’est-ce que cela signife au juste ? Pratiquer l’autoréfexion consiste essentiellement à prendre de la distance et se considérer soi-même sous un nouvel angle. C’est, dans une certaine mesure, ce que signife le terme latin refectere, d’où est issu « réfexion ». Ce mot est composé de fectere, « féchir », au sens de plier, et du préfxe re, qui désigne un retour au point de départ ou une réciprocité.

« Réféchir » signife littéralement « courber vers soi », comme on peut le faire d’une tige fexible que l’on ramène à son origine. L’autoréfexion consisterait donc à se retourner sur soi-même.

Cette pratique est un des éléments les plus importants des différentes formes de psychothérapie. Mieux comprendre ses propres diffcultés ainsi que leurs causes est généralement le point de départ qui aide les patients à s’en détacher et à défnir une meilleure attitude envers leur propre personne. Mais l’autoréfexion peut aussi être pratiquée de façon plus informelle et occasionnelle, par exemple au gré de conversations entre amis : prenez un stylo et notez quelques remarques qui vous viennent à l’esprit au cours de la conversation, sur vous, sur vos réactions au cours de l’échange, voire sur des expériences passées analogues. Cette méthode est conseillée dans de nombreux guides.

LES TROIS FORMES DE L’AUTORÉFLEXION

Plus précisément, l’autoréfexion peut se faire sous trois formes : par oral – en exprimant ses réfexions à voix haute, pour soi ou pour d’autres –, par écrit, ou par ce qu’on appelle le « monologue silencieux », celui de la petite voix intérieure qui accompagne nos pensées. À ce jour, de nombreuses études scientifiques indiquent que ce type de cogitation consistant à produire un récit écrit ou oral d’expériences qui nous sont arrivées, ou de pensées qui nous préoccupent, est globalement bénéfque à l’individu. Il augmente le bien-être, favorise la construction de l’identité ainsi que la croissance personnelle, et aide à mieux réguler les émotions – ce que résument les scientifques Kelly Marin, de l’université de Manhattan, et Elena Rotondo, de l’université d’État du New Jersey, dans une analyse publiée en 2015. Selon James Pennebaker, aucun travail n’a encore été mené –à sa connaissance – pour savoir si l’autoréfexion sous forme de monologue intérieur a le même effet. Il se peut qu’il ne suffse pas de laisser éclore des pensées, mais qu’il soit encore nécessaire de les exprimer, que ce soit en parlant avec d’autres personnes ou juste pour soi, à l’aide d’un papier et d’un crayon.

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