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Réfléchir sur soi-même donne de la signification aux événements.
Le récit, aussi bien écrit qu’oral, semble particulièrement utile lorsqu’il s’agit de gérer des expériences négatives, par exemple le traumatisme créé par un grave accident. L’une des premières études à ce sujet remonte à 1986. James Pennebaker, un des fondateurs de l’écriture thérapeutique, testa cette méthode sur une cinquantaine d’étudiants, qu’il avait répartis en deux groupes. Ceux du premier groupe devaient écrire à propos d’un événement émotionnellement diffcile, alors que ceux du second groupe servaient de témoin et devaient faire de même à propos d’un sujet moins connoté affectivement, comme le planning de leurs révisions. Les participants ont ainsi eu quinze minutes de rédaction, et ont renouvelé l’exercice sur une période de quatre jours consécutifs.
Une Aide Pour M Taboliser Les Exp Riences Difficiles
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Le suivi de l’ensemble des participants a révélé que, quatre mois plus tard, les étudiants qui avaient écrit sur des sujets émotionnellement diffciles avaient signalé moins de problèmes de santé et de jours de maladie que le groupe témoin, et avaient souvent consulté au centre de santé.
Des expériences comparables ont été répétées par la suite avec différents groupes d’individus. Avec des résultats mitigés. Selon les conclusions d’une vaste étude réalisée par l’équipe de Monika Sohal, du Northeast Addiction and Mental Health Centre for Holistic Recovery, au Canada, il reste aujourd’hui diffcile d’évaluer dans quelle mesure l’écriture aide réellement à lutter contre les maladies psychiques telles que la dépression ou le trouble de stress post-traumatique. Du fait des conditions très variables dans lesquelles les recherches sont menées, notamment en ce qui concerne la durée d’écriture et l’échantillon, il serait périlleux de comparer les résultats les uns aux autres. Quoi qu’il en soit, un effet positif semble probable et Monika Sohal et son équipe recommandent sans hésiter cet exercice peu coûteux et facile à mettre en pratique.
LA SALUTOGENÈSE : COMMENT ON SE MAINTIENT EN BONNE SANTÉ
Comment l’autoréfexion est-elle susceptible d’améliorer le bien-être ? Un concept éclairant à ce propos est celui de « salutogenèse » : ce néologisme créé en 1987 par le sociologue Aaron Antonovsky dans son livre Unraveling the Mystery of Health défnit le contraire de la pathogenèse. Ainsi, alors que cette dernière désigne les processus responsables du déclenchement des maladies, la perspective salutogénétique renverse la vapeur et cherche à savoir ce qui au contraire nous maintient en bonne santé. Le sentiment de cohérence est un élément central de cette approche. Il décrit entre autres la capacité à comprendre les relations importantes entre les événements de sa propre existence, à les classer et à les hiérarchiser. Saisir pourquoi telle ou telle situation se produit dans sa vie renforce l’effcacité personnelle et crée du sens : « Réféchir sur soi-même donne une signification aux événements », confirme James Pennebaker. Même reconnaître que tel fait était en fn de compte fortuit ou inévitable est susceptible de conférer une forme de sens.
Il reste que cette démarche n’est pas forcément source de bienfaits, explique le psychologue Jan Müller, de l’Institut pour la conduite d’entretiens orientés vers les ressources de Hambourg. « La question est de savoir comment nous réféchissons sur nous-mêmes et quelle signifcation nous donnons à nos expériences. » Par exemple, si une personne est bloquée dans une spirale de pensées négatives et passe son temps à se dire « Je suis un raté » ou « Je n’arrive à rien de bon », cela n’est pas très utile.
Mettre par écrit ses réflexions à propos de soi-même et de ses propres réactions dans la vie de tous les jours – par exemple lors des conversations entre amis –semble avoir un retentissement positif sur notre santé mentale et physique.
C’est également ce que suggère une étude américaine de 2017. Kelly Marin et Elena Rotondo ont voulu savoir si la réfexion sur les événements négatifs était vraiment adaptée à chaque personne. Pour cela, elles ont commencé par distinguer l’autoréfexion de la rumination : elles défnissent la première comme un effort actif pour donner une signification personnelle à ses propres expériences, pour les explorer, les expliquer, les maîtriser. Dans le cas des ruminations, en revanche, les pensées se répètent constamment et se concentrent généralement sur les causes et les conséquences d’une expérience négative. Pour leur étude, les deux scientifques ont ensuite demandé à environ 70 étudiants en psychologie d’écrire quinze minutes une fois par semaine pendant cinq semaines sur une expérience stressante.
Bien Distinguer Autor Flexion Et Rumination
Résultat : lorsque le degré d’autoréfexion augmentait avec le temps, le stress et l’autocritique diminuaient et les sujets d’expérience évoluaient dans leur personnalité. Chez les ruminateurs, en revanche, les doutes sur soimême ont augmenté ; ils se sont sentis plus stressés et ont moins évolué. Une analyse plus précise des textes a en outre montré que ces derniers étaient effectivement plus attentifs aux causes et aux effets des événements, et moins à la signifcation qu’une situation revêtait pour eux personnellement.
« Les personnes coincées dans une spirale de pensées ont souvent l’impression d’être le jouet des événements. Elles ont le sentiment de ne rien maîtriser », confrme Jan Müller, qui cherche de nouvelles perspectives avec ses patients. Si, par exemple, une mère célibataire se sent durablement dépassée au quotidien, le psychologue met en lumière avec elle, outre sa situation, la pression sociale qui pèse sur elle et sur les femmes en général. « D’un point de vue fnancier, les mères célibataires sont désavantagées, explique-t-il. À cela s’ajoute l’exigence de réussir professionnellement tout en allant chercher leur enfant à temps à la crèche. »
D’où des questions telles que : ces exigences sont-elles réalisables ? Est-ce juste ? Le constat qui en découle pourrait être le suivant : « Pas étonnant que je sois insatisfaite. Cela me relie à beaucoup d’autres femmes qui doivent se débrouiller seules au quotidien. » La patiente peut certes continuer à se sentir insatisfaite ou dépassée, observe Jan Müller, mais la situation lui semble désormais plus compréhensible grâce à la dimension sociale. Elle ne se rejette plus entièrement la faute et se sent moins seule avec ses problèmes.
PRATIQUER QUINZE À VINGT MINUTES
Bibliographie
M. Sohal et al., E cacy of journaling in the management of mental illness : A systematic review and meta-analysis, Family Medicine and Community Health, 2022.
K. A. Marin et E. K. Rotondo, Rumination and self-reflection in stress narratives and relations to psychological functioning, Memory, 2017
J. W. Pennebaker et S. K. Beall, Confronting a traumatic event : Toward an understanding of inhibition and disease, Journal of Abnormal Psychology, 1986.
PAR JOUR
« Réféchir sur soi, c’est découvrir davantage de facettes de sa propre personnalité, insiste James Pennebaker. Le résultat est souvent une meilleure compréhension de soi-même et de sa propre situation. Mais il faut savoir que cela peut aussi être douloureux et trop exigeant ». Selon lui, un étudiant qui a justement l’échéance de son mémoire de fn d’études devant lui n’a pas besoin d’assimiler en plus son enfance diffcile. À ce stade, il peut être préférable de se concentrer sur des choses positives et de remettre l’introspection à plus tard.
Mais si rien d’urgent ne se présente, il recommande : « Prenez trois à quatre jours pour écrire, parler ou réféchir chaque jour pendant quinze à vingt minutes à un aspect de vous-même ou à une expérience particulière de votre vie qui vous préoccupe ou vous intéresse. Si cela vous apporte quelque chose, continuez. » Sans pour autant y voir une panacée. Pour le psychologue américain, il s’agit d’être pragmatique. « Si cela ne vous sert à rien, ne vous obstinez pas, tentez d’autres approches comme le sport ou une psychothérapie. » £