LES MALADIES MENTALES
PEUVENT-ELLES ÊTRE CONTAGIEUSES ?
LES MALADIES MENTALES
PEUVENT-ELLES ÊTRE CONTAGIEUSES ?
TESTS DE PERSONNALITÉ
SAVOIR DISTINGUER LES FIABLES
DES FARFELUS
GROSSESSE
CE QUI CHANGE
DANS LE CERVEAU
DES FEMMES
PSYCHOLOGIE
L’ACRASIE, MALADIE
DES ÉCHECS À RÉPÉTITION
PSYCHOLOGIE SOCIALE
COMMENT L’ÉCOLE
FABRIQUE LES INÉGALITÉS
• Le magazine (11 numéros / an)
N° 171
p. 14-16
Je rey S. Mogil
Neuroscientifique à l’université McGill, à Montréal, au Canada, il décortique les processus neuronaux de la perception de la douleur et les mécanismes d’action de l’e et placebo dans notre cerveau.
p. 38-42
Raphaël Gaillard
Professeur de psychiatrie à l’université Paris Cité, à la tête du pôle de psychiatrie de Sainte-Anne, il explique pourquoi la puissance du cerveau humain le rend paradoxalement vulnérable aux maladies psychiques.
p 82-83
Spencer Greenberg
Mathématicien, fondateur de Spark Wave, entreprise d’accompagnement des recherches en sciences du comportement, il a évalué la fiabilité de di érents tests de personnalité.
p. 90-91
Michael Barthelmäs
Psychothérapeute et chercheur à l’université d’Ulm, en Allemagne, il étudie la fonction des pleurs dans le lien émotionnel aux autres, et dans l’amélioration de notre humeur.
Rédacteur en chef
La soumission chimique représente une des formes les plus radicales d’instrumentalisation de l’humain. S’attaquer au cerveau d’une personne dans ses mécanismes les plus intimes, afn d’en faire une chose docile, absente, inconsciente, sans défense. Les plus grands psychopathes de l’histoire, comme le glaçant Jeffrey Dahmer, rêvaient de transformer des humains en robots décérébrés pour assouvir sur eux tous leurs fantasmes.
Ce qui se cache derrière la soumission chimique, c’est la déshumanisation. Un processus qui consiste à faire du sujet un objet, et à annihiler son libre arbitre. Et c’est peut-être ce qui nous interroge dans les viols de Mazan : cette aptitude qu’ont les humains (des hommes, ici) à se prêter un corps comme on se prêterait une voiture ou une perceuse, entre bons amis. Une potentialité maintes fois démontrée dans l’histoire, par l’esclavage, le génocide… Et qui refait surface, dans les sociétés qu’on pensait « civilisées ».
La question de la mémoire est centrale dans ce dossier, car il y a celle – effacée – de la victime droguée, mais aussi la mémoire des personnes qui se « dissocient » dans le trauma, qui se coupent de leurs émotions et de leur souvenir. Comment les récupérer ?
C’est ici que les avis des neuroscientifques, des psychiatres et des psychothérapeutes sont nécessaires pour comprendre les mécanismes d’effacement, de stockage, de récupération et de transformation de la mémoire. Une dynamique rendue visible dans le flm consacré à la vie de Niki de Saint Phalle, dont nous proposons une lecture croisée avec les connaissances sur la psychologie du trauma. £
N° 171 DÉCEMBRE 2024
p. 6 ACTUALITÉS
La migraine, provoquée par des fluides cérébraux Dos courbé, personne dominée ?
Pourquoi craque-t-on sous la pression ?
Comment les psychédéliques réduisent l’anxiété
Un bonnet tricoté pour étudier le cerveau des chats
L’habénula latérale, un pivot de la résilience ?
AVC : comment contrer la hausse
p. 14 FOCUS
Le cervelet impliqué dans l’e et placebo !
Le plus connu des e ets thérapeutiques fait intervenir des zones du cerveau
« primitives ».
Je rey S. Mogil
p. 18 CAS CLINIQUE
Elsa, la femme
qui sabotait sa vie
Elsa rate tout ce qu’elle fait en prenant systématiquement les pires décisions malgré une grande intelligence : c’est le syndrome d’acrasie.
Grégory Michel
p. 26 NEUROBIOLOGIE
Comment la grossesse transforme le cerveau
De nombreuses zones du cerveau diminuent de volume au cours de la grossesse. Une véritable transition cognitive pour les femmes.
Liam Drew
p. 32 SANTÉ MENTALE
Les maladies mentales sont-elles
contagieuses ?
Des phénomènes de propagation de troubles psychiques sont observés : comment peut-on les expliquer ?
Jan Schwenkenbecher
p. 38 NEUROPSYCHIATRIE
«
Le cerveau a évolué en une “supermachine”, mais à quel prix ?
»
Les zones du cerveau qui ont le plus évolué dans l’espèce humaine sont aussi les plus vulnérables aux maladies mentales. Un prix à payer pour notre intelligence. Entretien avec Raphaël Gaillard
Ce numéro comporte un encart d’abonnement Cerveau & Psycho, broché en cahier intérieur, sur toute la di usion kiosque en France métropolitaine. Il comporte également un courrier de réabonnement, posé sur le magazine, sur une sélection d’abonnés. En couverture : © Jorm Sangsorn/Shutterstock
p. 43-59
p. 44 NEUROSCIENCES LE TRAUMATISME AU FOND DU CERVEAU
Les souvenirs de trauma restent parfois enfouis pendant des années. Lorsqu’ils refont surface, quelle est leur fiabilité ?
Joshua Kendall
p. 49 THÉRAPIE
STRESS POSTTRAUMATIQUE : LES LÉSIONS QUI GUÉRISSENT
Bloquer un circuit de neurones du cerveau permettrait d’atténuer les symptômes.
Ilona Bouvard
p. 50 SOUMISSION CHIMIQUE VIOLS DE MAZAN : L’EMPRISE TOTALE
Une triple emprise exercée sur Gisèle Pelicot a rendu les crimes presque indécelables.
Tiphaine Pioger
p. 56 CINÉMA NIKI DE SAINT PHALLE : VOYAGE AU BOUT DE L’INCESTE
Ce film décrit ce qui assaille une victime de viol hantée par un trauma.
Charline Zeitoun
p. 60-72
p. 74-91
p. 92-97
p. 60 PSYCHOLOGIE SOCIALE
L’école fabrique-t-elle les inégalités ?
Notre pratique de l’enseignement amplifie des inégalités préexistantes dans la société.
Sébastien Goudeau
PRIX RIBOT DE PSYCHOLOGIE SCIENTIFIQUE.
p. 66 L’ENVERS DU DÉVELOPPEMENT PERSONNEL
YVES-ALEXANDRE THALMANN
Faut-il penser comme un chat ?
Pour être dans l’instant présent, il faudrait imiter le chat, maître en la matière. Problème : on ignore tout de la pensée de ces animaux.
p. 70 RAISON ET DÉRAISON
NICOLAS GAUVRIT
thérapie du tapotis
Belle arnaque en vogue actuellement, L’EFT-tapping propose de guérir une foule de maux en se tapotant le visage…
p. 74 SANTÉ
Quand les couples optent pour le
« divorce du sommeil »
Que faire quand l’autre remue et ronfle sans arrêt ?
Jocelyn Solis-Moreira
p. 78 SANTÉ
44 et 60 ans : ces deux moments où l’on vieillit…
Notre organisme subirait deux phases de modifications moléculaires déterminantes.
Saima Iqbal
p. 82 PSYCHOLOGIE
Tests de personnalité : comment se repérer ?
Deux spécialistes expliquent ce qui distingue les tests fiables des bidons.
Seth Stephens-Davidowitz et Spencer Greenberg
p. 86 L’ÉCOLE DES CERVEAUX
Gyraphes, éléfants et autres baricentres…
Informations clés, fautes dans un texte : comment éduquer son attention pour les repérer.
Jean-Philippe Lachaux
p. 90 LA QUESTION DU MOIS
Pleurer fait-il du bien ?
Michael Barthelmäs et Janis Zickfeld
p. 92 SÉLECTION DE LIVRES
Aimer un robot avec Blade Runner
Les Nouveaux Chemins de la mémoire
Que s’est-il passé dans la tête des Français ?
La Vie psychique au risque du virtuel – Black Mirror en analyse Vivre en accord avec soi
Testostérone
p. 94 NEUROSCIENCES ET LITTÉRATURE
SEBASTIAN DIEGUEZ
« Les Enfants du limon » : typologies de l’excentricité
En 1938, Raymond Queneau signait un ouvrage atypique consacré aux excentriques. Un type de personnalité que les psychologues ont encore du mal à cerner !
Malgré une intelligence remarquable, cette jeune femme de 32 ans semble rater exprès tout ce qu’elle fait et abandonne les projets dès qu’ils semblent prometteurs. Pourquoi saborde-t-elle ainsi sa propre existence ?
Professeur de psychologie clinique et de psychopathologie à l’université de Bordeaux, chercheur à l’Institut des sciences criminelles et de la justice, psychologue et psychothérapeute en cabinet libéral, et expert auprès des tribunaux.
£ Enfant brillante et pleine de vie, Elsa commence à « faire n’importe quoi » à l’adolescence. À partir de là, sa vie est une succession d’échecs qu’elle semble provoquer elle-même.
£ Sa particularité ? Elle est convaincue que c’est le destin, son karma. Ce qui l’aide à justifier ses déconvenues.
£ S’étant décidée à consulter, on lui découvre un trouble nommé « acrasie ». Une pathologie qui conduit les gens à faire le contraire de ce qui serait bon pour eux, alors qu’ils en ont parfaitement conscience.
£ Étudiée initialement par la psychanalyse sous le terme de « névrose de destinée », l’acrasie fait aujourd’hui l’objet de tests et de prises en charge scientifiques.
u’ai-je fait de ma vie ? », écrit Elsa froidement, alors qu’elle fête ses 32 ans. Avant d’éteindre sa lampe de chevet, elle écrit, telle une diariste, dans un imposant carnet à écrin de cuir marron o ert par son père. Elle y consigne tout, depuis les événements anodins, voire futiles, jusqu’aux mésaventures bouleversantes du quotidien. Mais depuis quelque temps, elle ne se contente plus de recenser les faits. Elle cherche aussi à comprendre son existence, une existence systématiquement entravée par ses erreurs, errances et échecs à répétition. Ce soir, elle est face à un constat amer : elle ne réussit pas sa vie. Pire : elle la détruit. Et pourtant, elle ne se considère pas comme responsable. Elle se sent bien davantage la victime d’une fatalité qui lui colle à la peau.
Dès sa demande de rendez-vous formulée par mail, son ton était clair : « Je ne supporte plus de subir ma vie. Je veux comprendre pourquoi les échecs s’accumulent. » Lorsqu’elle arrive pour la première fois dans mon cabinet, je suis frappé par le contraste entre sa beauté, avec ses grands yeux verts derrière des lunettes à large monture rectangulaire, et le désarroi qui émane de sa personne : un visage tourmenté, des gestes mécaniques, un regard apitoyé, une voix saccadée. Elle arbore pourtant une allure décontractée – jean et Converse, veste à manches chauve-souris – au moment où elle s’installe dans le fauteuil près de ma bibliothèque. Ses mots, eux, sont sans appel : « Rien ne marche dans ma vie, je ne connais que des échecs… Je n’arrive pas à lutter contre eux. »
Pourtant, rien dans son attitude ou ses propos n’indique la présence d’un éventuel trouble psychique (le confrère qui me l’a adressée n’y fait pas davantage allusion). Non, Elsa est
ELSA, LA FEMME QUI SABOTAIT SA VIE
là parce qu’elle se croit enfermée dans une sorte de malédiction. « On m’a toujours dit que j’avais des compétences, que j’étais douée et intelligente, mais je ne réussis rien. Au contraire, je me traîne dans ma vie, je fais les mauvais choix. Dans tous les domaines. J’ai le sentiment, me glisse-t-elle dans un soupir, que c’est mon karma. Vous savez, c’est comme dans les tragédies grecques, c’est le destin. Je suis née sous une mauvaise étoile. »
APRÈS LE DIVORCE DE SES PARENTS…
Pour comprendre ce qui arrive à Elsa, il faut retracer le fl de son histoire. Elle est l’aînée d’une fratrie de trois enfants, de père haut fonctionnaire dans l’administration publique et de mère bibliothécaire. Son enfance se déroule sans accroc majeur, à la maison comme à l’école : « J’étais contente d’aller en cours et d’avoir des copines. Et comme je travaillais très bien en primaire, mes parents étaient aux anges… On m’a même proposé de sauter une classe, ce que ma mère a refusé. J’étais une petite flle curieuse et pleine de vie. »
C’est à 11 ans qu’intervient le premier choc : ses parents divorcent. « Ils se sont séparés par lassitude, ils ne s’aimaient plus. C’était à la fn des vacances d’été, juste avant que je rentre en sixième. Personne ne se doutait de leur rupture…
Cela a été un choc. » La première année, tout se passe bien. « Avec mon frère et ma sœur, nous étions en garde alternée une semaine sur deux, et nos parents se côtoyaient. Puis, lorsque mon père a rencontré sa nouvelle compagne, ma mère est devenue très jalouse. »
À partir de là, Elsa se désintéresse de sa scolarité, elle qui avait toujours été dans les deux premiers de la classe. « Au collège, je ne pensais qu’aux copines, qu’à m’amuser… Mes parents, eux, étaient focalisés sur leurs problèmes. »
C’est alors que la jeune flle, en classe de cinquième, touche au tabac et à l’alcool. Une fois en troisième, elle passe au cannabis, sans qu’on puisse parler d’usage pathologique. Elle s’oppose de plus en plus à ses parents et à ses professeurs. « Mes parents se renvoyaient sans cesse la balle sur mes diffcultés. Ma mère rendait mon père responsable, et il faisait pareil. » Elsa voit ses résultats chuter, redouble sa seconde. Mais décroche son bac. « Je ne sais pas comment j’ai fait… Je ne travaillais pas, je séchais les cours, je dormais à peine. Ma motivation était nulle. »
Vouant une admiration sans borne à la célèbre militante des droits pour la liberté Gisèle
Halimi et à l’illustre ancien ministre Robert Badinter, tous deux avocats, la bachelière décide
de s’inscrire à la faculté de droit pour elle aussi suivre cette voie. Bien que soutenue par son père, elle ne terminera pas son année. Elle part ensuite en licence AES (licence d’administration économique et sociale) et valide laborieusement ses trois années. Acceptée dans le master qu’elle espérait, elle s’arrête à la fn de la première année. « Je l’ai validée, mais je ne voulais plus continuer, j’en avais assez. Mon père était hors de lui. Il me répétait qu’il me restait juste un an à faire. Or, comme toujours, je mettais un terme à ce que je réussissais. »
La personnalité à conduite d’échec est un trouble de la personnalité qui se définit comme une modalité structurée de pensée, de sentiment ou de comportement qui dévie notablement de ce qui est attendu dans la culture de l’individu et qui le conduit à prendre des décisions mauvaises pour lui. Ces déviations doivent se retrouver dans au moins deux des domaines suivants :
£ cognition (perception et interprétation de soi-même, des autres et des événements) ;
£ a ectivité (diversité, intensité et adéquation des réponses émotionnelles) ;
£ contrôle des impulsions et satisfaction des besoins ;
£ fonctionnement interpersonnel.
Ces modalités sont durables et rigides, envahissent diverses situations personnelles et sociales, et entraînent une sou rance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social et professionnel. Ce trouble se manifeste au plus tard à la fin de l’adolescence ou au début de l’âge adulte. Selon les critères diagnostiques du Structured interview for DSM-IV personality (SIPD-IV), la personne doit présenter cinq ou plus des manifestations suivantes : 1. choisit des personnes ou des situations qui lui amènent déceptions, échecs ou mauvais traitements, même quand de meilleurs choix sont possibles ; 2. repousse les tentatives d’aide d’autrui ou les rend ine caces ;
3. réagit à des événements de vie heureux (comme une promotion) par une dépression, un sentiment de culpabilité ou un comportement autodestructeur (par exemple, en provoquant un accident) ;
4. déclenche des réactions de colère ou de rejet, puis se sent blessée, vaincue ou humiliée (par exemple, se moque de son conjoint en public, puis se sent anéantie lorsque celui-ci réagit de la même manière) ;
5. refuse toute occasion de plaisir ou hésite à reconnaître qu’elle s’amuse (malgré des compétences sociales adéquates et la capacité d’éprouver du plaisir) ;
6. n’accomplit pas les tâches essentielles à la réalisation de ses objectifs personnels alors qu’elle en est capable ;
7. n’apprécie pas les individus bienveillants ou les repousse ;
8. se sacrifie spontanément et de façon excessive pour des gens qui ne lui ont rien demandé.
p. 44
Le traumatisme au fond du cerveau
p. 49
Stress post-traumatique : les lésions qui guérissent
p. 50
Viols de Mazan : l’emprise totale
p. 56
Niki de Saint Phalle : voyage au bout de l’inceste
Que se passe-t-il quand on vit un trauma extrême ? Est-il vrai que la personnalité se scinde parfois en deux face aux événements les plus insupportables ? Le souvenir traumatique peut-il s’enfermer au fond de nous pendant des années ? Ces questions font partie de celles que se posent les victimes, leurs familles et l’ensemble de la société. Dans ce dossier, la science rencontre l’actualité. Les spécialistes des neurosciences et les psychothérapeutes y confrontent leurs analyses sur la mémoire traumatique, le tout sur fond de procès des viols de Mazan, où s’entrecroisent les thèmes du trauma et de l’emprise : chimique, biologique et sociale. Sciences, justice, société, il ne manquait finalement que l’art pour se pencher sur cette question, et c’est chose faite grâce à l’analyse d’un film récent qui met en scène l’amnésie traumatique et les moyens d’en sortir. Pour que ces interrogations trouvent enfin des débuts de réponses !
Sébastien Bohler
Certaines personnes victimes de chocs traumatiques oublient ce qui leur est arrivé pendant des années. Lorsque leurs souvenirs ressurgissent, quelle fiabilité leur accorder ? Chercheurs, neuroscientifiques et psychothérapeutes font état de leurs divergences.
Par Joshua Kendall, journaliste.
BREF
£ Après un traumatisme précoce, le cerveau enfouirait le souvenir intolérable : c’est une fuite psychologique quand la victime ne peut pas fuir physiquement le danger.
£ Selon certains experts, les souvenirs autobiographiques forts ne seraient pas refoulés. À l’inverse, de nombreux psychothérapeutes plaident pour des cas de dissociation amnésique, où des faits enfouis pourraient refaire surface.
£ Des expériences utilisant l’imagerie cérébrale semblent montrer que le phénomène de dissociation de la personnalité et d’enfouissement des souvenirs serait réel.
£ Néanmoins, quand un souvenir refait surface, il serait souvent sujet à de multiples distorsions…
Quand une personne a rme se souvenir soudainement d’événements douloureux de son enfance, et qu’elle les avait oubliés pendant une longue période, ses souvenirs ont-ils des chances d’être exacts ? Cette question est à la base des « guerres de la mémoire », qui agitent la psychologie depuis des décennies. La validité des traumatismes enfouis devient ainsi un point de discorde dans les procès, et s’invite dans les scénarios de flms et de séries télévisées.
Des organisations de santé mentale comme l’American Psychiatric Association (APA) ou de nombreux chercheurs en sciences cognitives et en psychologie en France ont mis en garde contre la fabilité d’un événement traumatique oublié dont on se souvient plus tard – connu offciellement sous le nom de « mémoire différée ». Ce scepticisme s’appuie sur un ensemble de recherches montrant que la mémoire n’est pas fable et que de simples manipulations en laboratoire peuvent faire croire que l’on a vécu une expérience qui ne s’est jamais produite. Certains cas notoires de souvenirs retrouvés d’abus
DOSSIER LA MÉMOIRE TRAUMATIQUE
sur enfants se sont révélés faux, provoqués par des thérapeutes trop zélés.
Mais pour les psychothérapeutes spécialisés dans le traitement des adultes ayant survécu à des traumatismes d’enfance, les expériences en laboratoire n’excluent pas la possibilité que certains souvenirs tardifs évoqués par des adultes soient réels. Selon eux, les abus subis tôt dans la vie sont capables de submerger le cerveau de la victime, amenant par exemple un enfant à séparer un souvenir douloureux de sa propre conscience. Ils affrment que ce mécanisme de défense psychologique – connu sous le nom d’« amnésie dissociative » – apparaît régulièrement chez les patients qui viennent les consulter.
LES SOUVENIRS DE TRAUMAS
SONT-ILS FIABLES ?
Les tensions entre les deux positions ont souvent été présentées comme un débat entre les scientifques purs et durs, qui mettent en avant le phénomène des faux souvenirs, et les thérapeutes en pratique clinique, qui s’appuient sur les mécanismes de mémoire différée. Mais les cliniciens qui font également de la recherche publient depuis des décennies des études sur l’amnésie dissociative dans des revues de premier plan, sur des travaux ayant fait l’objet d’une évaluation par leurs pairs. Une de ces études, publiée en 2021 dans la revue
La mémoire est malléable, sujette à de « faux souvenirs ».
American Journal of Psychiatry, la revue phare de l’APA, a livré des indices scientifques à l’appui des arguments des thérapeutes du traumatisme.
TRAUMATIQUE
Le nouvel article utilise l’imagerie par résonance magnétique (IRM) pour étudier l’amnésie, ainsi que diverses autres expériences dissociatives réputées survenir à la suite de sévices graves infigés à des enfants, telles que des sentiments d’irréalité et de dépersonnalisation. Dans un éditorial du même numéro de l’American Journal of Psychiatry, Vinod Menon, professeur de psychiatrie et de sciences du comportement à la faculté de médecine de l’université Stanford, salue la découverte d’un « potentiel mécanisme cérébral expliquant les différences individuelles dans les symptômes dissociatifs chez les adultes ayant subi un traumatisme au début de leur vie et souffrant de trouble de stress post-traumatique (en abrégé, TSPT) ».
Milissa Kaufman, autrice principale de cette nouvelle étude d’IRM, dirige le programme de recherche sur les troubles dissociatifs et les traumatismes à l’hôpital McLean, un établissement universitaire afflié à la Harvard Medical School. Elle note que, comme les précédentes études d’IRM réalisées sur des survivants de traumatismes, celle-ci montre qu’il existe une base neurologique pour les symptômes dissociatifs tels que l’amnésie. « Nous pensons que ces études sur le cerveau sont susceptibles de contribuer à réduire la stigmatisation associée à notre travail, explique-t-elle. Comme de nombreux thérapeutes qui traitent des adultes ayant survécu à de graves sévices étant enfants, j’ai vu des patients retrouver des souvenirs de tels abus. »
Depuis 1980, l’amnésie dissociative fgure parmi les symptômes courants du TSPT dans toutes les éditions du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), la bible diagnostique de la psychiatrie. Cette condition a été confrmée non seulement par des études de cas psychiatriques, mais aussi par des dizaines d’études portant sur des enfants victimes de maltraitance, des personnes ayant subi des catastrophes naturelles, des tortures, des viols, des enlèvements, des violences en temps de guerre et d’autres traumatismes.
Par exemple, il y a vingt ans, le psychiatre James Chu, alors directeur du programme sur les traumatismes et les troubles dissociatifs à l’hôpital McLean, a publié une étude portant sur des dizaines de femmes hospitalisées qui avaient été victimes d’abus pendant leur enfance. La majorité d’entre elles ont déclaré avoir été
partiellement ou totalement amnésiques de ces événements, en expliquant que le souvenir des faits leur revenait généralement, non pas au cours d’une séance de thérapie, mais lorsqu’elles étaient seules chez elles ou en compagnie de leur famille ou de leurs amis. Dans de nombreux cas, écrit le professeur, ces femmes « ont pu trouver autour d’elles de nombreuses confrmations de leurs souvenirs retrouvés ».
VERDICT DE L’IRM : MITIGÉ !
Les spécialistes des faux souvenirs soulignent que la façon de poser des questions aux patients biaise leur remémoration des souvenirs. Sur ce point, comme l’a écrit le psychiatre Michael I. Goode à propos de l’étude de James Chu dans une lettre à la rédaction de la revue, « la seule question posée aux participants a été de savoir si, durant une période, ils ne s’étaient pas souvenus qu’une expérience [traumatisante] s’était produite. Ce qui permettait aux chercheurs de valider la réalité de l’expérience traumatique. »
Des études d’IRM menées au cours des deux dernières décennies ont montré que chez les
Le réseau du mode par défaut (en rouge) permet l’introspection, la réflexion sur soi ainsi que sur l’avenir et le passé autobiographiques. Le réseau frontopariétal (en jaune) intervient dans l’attention au monde extérieur et la résolution de problèmes. L’activité de ces réseaux alterne habituellement (courbes du haut). Mais chez des personnes ayant vécu un traumatisme d’enfance accompagné d’une dissociation de la personnalité, on constate une connexion anormale entre deux réseaux du cerveau : cette forte connectivité serait le signe d’une di culté de l’individu à réguler certaines pensées liées à lui-même (quel est mon passé, mon avenir, mon intégration sociale, etc.).
patients souffrant de TSPT et d’amnésie dissociative, une zone du cerveau impliquée dans le traitement des émotions – l’amygdale – est très peu active tandis que c’est l’inverse dans le cortex préfrontal, une région qui contrôle la planifcation, la concentration et d’autres capacités de fonctionnement exécutif. « De telles différences dans les circuits neuronaux s’expliquent par le fait que les patients souffrant de TSPT et ayant des symptômes dissociatifs tels que l’amnésie et la dépersonnalisation – un groupe qui représente entre 15 et 30 % de l’ensemble des patients souffrant de cette pathologie – se referment émotionnellement en réponse au choc qu’ils ont vécu », explique Ruth Lanius, professeur de psychiatrie et directrice de l’unité de recherche sur le TSPT à l’université de l’Ontario de l’Ouest, qui a mené plusieurs de ces études d’IRM. Les enfants peuvent ainsi essayer de se détacher de l’abus pour éviter une douleur émotionnelle intolérable, ce qui peut les amener à oublier l’expérience pendant de nombreuses années, poursuit-elle. « La dissociation est un mécanisme d’échappement psychologique
DOSSIER
lorsqu’il est impossible de fuir physiquement », ajoute Ruth Lanius.
À ce jour, les chercheurs spécialisés dans les faux souvenirs restent sceptiques quant aux enseignements de l’imagerie cérébrale. Henry Otgaar, professeur de psychologie juridique à l’université de Maastricht, aux Pays-Bas, qui a cosigné plus de 100 publications universitaires sur la recherche sur les faux souvenirs et qui est souvent appelé à intervenir en tant que témoin expert pour les accusés dans les affaires de maltraitance, maintient que les souvenirs autobiographiques intacts sont rarement – voire jamais –refoulés. « Ces études sur le cerveau répondent certes aux demandes des patients qui font état de pertes de mémoire dues à la dissociation, explique-t-il. Mais il existe de nombreuses autres explications à ces corrélations, ne serait-ce que l’amnésie rétrograde, dans laquelle l’oubli est dû à une lésion cérébrale. »
DES RÉSEAUX CÉRÉBRAUX
Pour renforcer leurs arguments, Milissa Kaufman et ses collègues ont eu recours à l’intelligence artifcielle afn d’élaborer un modèle des connexions entre les différents réseaux cérébraux susceptibles d’expliquer les symptômes de dissociation. Ils ont transmis à l’ordinateur des données d’IRM concernant 65 femmes ayant subi des abus dans leur enfance et chez qui on avait diagnostiqué un TSPT, ainsi que leurs résultats à un inventaire de symptômes dissociatifs couramment utilisé. L’ordinateur a fait le reste.
Sa principale conclusion est que les symptômes dissociatifs graves impliquent probablement les connexions entre deux réseaux cérébraux spécifques qui, chez les victimes, semblent actifs en même temps alors qu’ils alternent plutôt chez les personnes sans traumatisme : le réseau dit « du mode par défaut » – qui se met en marche lorsque l’esprit est au repos et implique de se souvenir du passé et d’envisager l’avenir – et le réseau de contrôle frontopariétal – qui est impliqué dans la résolution des problèmes. Dans ce cas, un excès de connectivité pourrait indiquer une perturbation des processus mentaux liés au soi et à la mémoire autobiographique.
L’étude de l’hôpital McLean n’est pas la première tentative pour appliquer l’apprentissage automatique (et donc, l’IA) aux symptômes dissociatifs. Dans un article publié dans le numéro de septembre 2019 du British Journal of Psychiatry, les chercheurs ont montré comment les clichés d’IRM des structures cérébrales de 75 femmes
c’est l’amnésie dissociative.
– 32 atteintes d’un trouble dissociatif de l’identité, pour lequel l’amnésie est un symptôme clé, et 43 témoins appariés – permettaient de faire la distinction entre les sujets atteints ou non de ce trouble, dans près de 75 % des cas.
Selon la professeuse, des recherches supplémentaires doivent être menées avant que les cliniciens puissent commencer à utiliser la connectivité cérébrale comme outil de diagnostic pour évaluer la gravité des symptômes dissociatifs chez leurs patients. « Cette étude n’est qu’une première étape sur la voie de la médecine de précision dans notre domaine », selon elle.
Richard Friedman, professeur de psychiatrie clinique au Weill-Cornell Medical College, considère que l’objectif des chercheurs de l’hôpital McLean est louable. Mais il note que le chemin à parcourir reste semé d’embûches et rappelle que l’histoire de la psychologie est jalonnée d’« évaluations objectives » d’un diagnostic ou d’un état d’esprit particulier qui n’ont jamais été à la hauteur de ce qu’on attendait d’elles. Le professeur cite le cas des tests des détecteurs de mensonges pour lesquels les faux positifs (l’appareil signalait un mensonge alors que la personne disait la vérité) et les faux négatifs (il ne relevait rien de particulier, alors que le sujet mentait) sont légion… En tout cas, bien qu’il soit peu probable qu’un test basé sur le cerveau permette de diagnostiquer les symptômes dissociatifs dans un avenir proche, les recherches sur les explications neurobiologiques montrent que la controverse sur l’oubli et la mémorisation des souvenirs traumatiques est loin d’être réglée. £
Bibliographie
L. A. M. Lebois et al., Large-scale functional brain network architecture changes associated with trauma-related dissociation, The American Journal of Psychiatry, 2020.
V. Menon, Dissociation by network integration, The American Journal of Psychiatry, 2021.
J. A. Chu et al., Memories of childhood abuse : Dissociation, amnesia, and corroboration, The American Journal of Psychiatry, 1999.
A. Reinders et al., Aiding the diagnosis of dissociative identity disorder : Pattern recognition study of brain biomarkers, The British Journal of Psychiatry, 1998
Les traitements médicamenteux et la psychothérapie ne sont que partiellement e caces pour traiter le trouble de stress post-traumatique (TSPT). Une étude récente, publiée dans Nature Neurosciences par Shan Siddiqi, neuropsychiatre à l’école de médecine de Harvard, et ses collègues, suggère que modifier l’activité d’un circuit cérébral particulier améliorerait les symptômes. Pour cela, une méthode accessible consiste à diriger des impulsions d’énergie magnétique vers des régions spécifiques du cerveau afin d’interférer avec le fonctionnement des neurones qui s’y trouvent. Cette technique, appelée « stimulation magnétique transcrânienne » (SMT), a démontré son e cacité dans la prise en charge des symptômes de pathologies comme la maladie de Parkinson. Mais il est crucial de savoir quelle zone précise les impulsions doivent cibler, et donc, quels circuits sont modifiés par la pathologie dans le cerveau.
Pour ce faire, les chercheurs ont analysé les cerveaux de vétérans de la guerre du Vietnam. C’est alors une curieuse découverte qu’ils ont dévoilée : certains soldats ayant subi des lésions cérébrales (à la suite de blessures ou de chocs) étaient moins enclins que les combattants indemnes à développer des symptômes du TSPT. Il existerait donc des endroits du cerveau dont la lésion pourrait protéger de ce syndrome.
Shan Siddiqi et ses collègues ont alors établi une cartographie du réseau de ces lésions, afin d’identifier quelles zones étaient associées à des « lésions protectrices ». Et c’est chose faite : les lésions en lien avec un réseau cérébral incluant le cortex préfrontal médian et les lobes temporaux antérieur et médian (au sein desquels on trouve l’amygdale et l’hippocampe, deux structures indispensables à la peur et à la mémoire) étaient corrélées à une plus faible prévalence du TSPT. En creusant davantage, les scientifiques ont constaté que chez des vétérans n’ayant pas
Sur ces images de cerveaux de vétérans de la guerre du Vietnam, on voit en jaune les zones où des lésions dues à un choc ou à un projectile diminuent la probabilité de développer un syndrome de stress post-traumatique.
de lésion cérébrale, la présence de ce trouble était liée à une hyperconnectivité au sein de ce circuit (des connexions neuronales trop puissantes entre ses di érentes composantes, dont l’amygdale et l’hippocampe). Et lorsqu’on réduisait cette hyperconnectivité par la technique de stimulation magnétique transcrânienne, les symptômes du TSPT s’atténuaient. Petit bémol dans l’histoire, la technique de SMT ne permet pas d’atteindre les couches profondes du cerveau, où se trouvent notamment des structures comme l’amygdale et l’hippocampe. Le candidat idéal à viser est le cortex préfrontal médian, auquel les impulsions magnétiques peuvent facilement parvenir. Il joue un rôle essentiel dans la réduction de la réaction de peur, et son influence sur l’amygdale intervient dans l’apprentissage mais aussi dans la suppression de la peur, deux mécanismes perturbés dans le TSPT. Mais tout cela ne fait pas de lui l’unique candidat à cette approche. En comparant le circuit de chaque patient à celui identifié par la cartographie, il devrait être possible de déterminer la cible
idéale pour le patient en question. Ce qu’ont tenté de faire les chercheurs chez un patient sou rant d’un TSPT résistant aux autres formes de traitement. Shan Siddiqi et ses collègues ont comparé la cartographie des lésions avec les clichés d’imagerie par résonance magnétique du cerveau du patient à l’état de repos. Pour choisir la cible personnalisée de la SMT, une région au niveau du cortex préfrontal, où ces deux types d’images se recoupaient le mieux, a été identifiée. Après sept jours de SMT visant cette zone, le score de sévérité des symptômes du patient est passé de 10/10 à seulement 3/10. De quoi apporter une amélioration impressionnante sur plusieurs aspects de ce trouble invalidant. La prochaine étape consistera à découvrir si ces mêmes e ets bénéfiques s’étendent à un plus large nombre de patients, ce à quoi s’attacheront de futures recherches.
Ilona Bouvard
Source : S. H. Siddiqi et al., A potential target for noninvasive neuromodulation of PTSD symptoms derived from focal brain lesions in veterans, Nature Neuroscience, 2024.
S. H. Siddiqi et al., Nature Neuroscience.
Comment se fait-il que Gisèle Pelicot ne se souvienne d’aucun des viols qu’elle a subis entre 2011 et 2020 ?
£ Quand Gisèle Pelicot apprend qu’elle a été violée par des dizaines d’hommes pendant des années, elle ne se souvient de rien.
£ La soumission chimique bloque la formation des souvenirs dans le cerveau. Mais l’emprise était aussi psychologique de la part du mari, et sociale de la part de son entourage.
£ Le montage mis sur pied par Dominique Pelicot montre une sociologie du viol qui dépasse l’image de l’agresseur psychopathe dans un sombre parking.
La soumission chimique imposée par son mari y est pour beaucoup. Mais à cette mainmise il avait ajouté une emprise psychologique, complétée par une domination sociale, qui ont rendu le crime presque indétectable.
Par Tiphaine Pioger, journaliste membre de la presse judiciaire.
Gisèle Pelicot lors d’une des interruptions du procès de ses agresseurs, le 17 septembre 2024, à Avignon.
Le 12 septembre 2020, un homme est surpris en train de filmer avec son téléphone portable sous les jupes de plusieurs clientes d’un magasin. Il s’appelle Dominique Pelicot, 67 ans, inconnu des services de police. Le vigile du centre commercial de Carpentras (84) où s’est déroulée la scène prévient la police. Choquées, les femmes en question déposent plainte, si bien que Dominique Pelicot se retrouve placé en garde à vue. Le caméscope et les deux téléphones portables qu’il a sur lui sont
confsqués, et une perquisition est réalisée dans la foulée à son domicile. Les agents y saisissent un ordinateur, une clé USB et une carte SD. Et le tout part pour expertise. Voilà pour la partie émergée de l’iceberg judiciaire qui fonce tout droit sur le Vaucluse. Une toute petite procédure à l’origine d’un scandale qui fait accourir depuis le 2 septembre les médias du monde entier au palais de Justice d’Avignon.
Sans ces plaintes, l’affaire des viols de Mazan (le village où habitait le couple) n’aurait peut-être jamais quitté la chambre dans laquelle Dominique Pelicot invitait des inconnus recrutés sur internet depuis près de dix ans pour violer sa femme, Gisèle, après l’avoir droguée. Cinquante hommes se retrouvent aux côtés du mari sur le banc des accusés, une trentaine d’autres n’ont pas encore été identifiés. Comment expliquer que tous – famille, amis, médecins – soient passés à côté de telles violences ? « L’horreur dure depuis qu’ils sont partis vivre dans le Vaucluse, il y a presque huit ans, lorsque maman a pris sa retraite, raconte Caroline Darian, la flle cadette du couple, dans son livre témoignage Et j’ai cessé de t’appeler papa (JC Lattès, 2022). Moi, je n’ai rien vu, rien
DOSSIER
VIOLS DE MAZAN : L’EMPRISE TOTALE
compris. Elle non plus. Aucune trace, pas la moindre réminiscence. »
De quelle nature est l’amnésie qui a frappé Gisèle Pelicot ? Le 2 novembre 2020, elle tombe des nues devant les photos que lui présentent les enquêteurs. Elle qui vient de leur décrire un mari bienveillant et attentionné, « un super mec », dit-elle, se découvre, inconsciente, dans des positions sexuelles avec des hommes qu’elle assure ne jamais avoir vus de sa vie. Les vidéos trouvées sur le matériel informatique saisi lors des perquisitions montrent une femme assommée par les médicaments que lui administrait secrètement son mari, pilés dans sa nourriture. « Madame Pelicot a la réactivité d’un sujet plongé dans le coma, ce qui ne semble curieusement pas dissuader la plupart des participants, écrit Paul Bensussan, médecin psychiatre chargé notamment de l’expertise sexologique pendant l’instruction. La faccidité des tissus, la pose de la bouche et des muscles faciaux, les ronfements sonores, bouche ouverte, achèvent de donner une impression de malaise : la somnophilie, à un tel degré de sédation, pourrait évoquer la nécrophilie… à ceci près que le sujet respire. »
Contrairement aux victimes de soumission chimique qui conservent une mémoire partielle (souvent par fashs) de l’agression, Gisèle Pelicot n’a aucun souvenir de ce que son époux lui faisait subir depuis 2011. L’expertise toxicologique menée sur ses cheveux a montré la présence à dose faible mais régulière de lorazepam (Temesta) et de zolpidem (Stilnox), des substances sédatives qui activent l’inhibition du système nerveux central et qui le ralentissent jusqu’à l’endormissement. Ces médicaments, de la famille des benzodiazépines, nécessitent une prescription médicale que Dominique Pelicot se procurait notamment chez un généraliste du village – le médecin a refusé d’être entendu par les enquêteurs en vertu du secret médical. Selon l’expert toxicologue missionné par la justice, l’utilisation de ces deux molécules explique tout à fait l’absence totale de souvenirs chez la victime, n’excluant pas une récupération mnésique partielle au fl du temps.
LE CORPS SE SOUVIENT
Malgré l’amnésie, le corps de Gisèle Pelicot ne reste pas muet. À deux reprises dans la période des viols, la sexagénaire consulte pour des douleurs gynécologiques inexpliquées. Une échographie révèle une infammation du col de l’utérus. Ses amis et enfants notent également
Parmi les produits administrés par Dominique Pelicot à son épouse, les benzodiazépines ont un e et amnésiant dit « antérograde », c’est-à-dire qu’elles annihilent la capacité du cerveau à former de nouveaux souvenirs pendant une période de une heure environ après leur administration. Découvertes dans les années 1950, les benzodiazépines ont fait l’objet d’études neuroscientifiques qui ont montré qu’elles se fixent sur des récepteurs neuronaux du GABA, un neurotransmetteur inhibiteur du cerveau. Autrement dit, elles vont bloquer l’activité des neurones dans une région essentielle pour la formation des souvenirs : l’hippocampe. Pendant la durée de leur action, cet hippocampe ne peut plus former de trace mnésique de ce que vit la victime – a fortiori si elle est plongée dans un état de sommeil ou de somnolence.
Cette figure montre deux neurones en train de communiquer par l’intermédiaire d’un messager chimique, le GABA. Les molécules de benzodiazépines (en vert) se fixent sur les récepteurs moléculaires du GABA, de minuscules tunnels insérés dans la paroi des neurones. Ces tunnels laissent alors passer des ions chlorure (Cl –), ce qui réduit l’excitabilité du neurone. De cette façon les benzodiazépines bloquent la transmission de l’influx nerveux dans le cerveau, notamment dans les structures de la mémoire. L’information ne passe pas, les souvenirs ne sont plus mémorisés.
chez elle des absences et des trous de mémoire. Tous craignent un début d’Alzheimer. Gisèle Pelicot consulte donc un neurologue en 2017, à Carpentras. « Ce premier spécialiste avait parlé d’un ictus amnésique qui s’apparente à une sorte de trou noir, une perte de mémoire sans séquelles, narre Caroline Darian dans son récit. Nous ignorions, et c’est bien connu des spécialistes en neurologie, qu’on ne fait jamais plusieurs ictus cérébraux. » Consulté l’année suivante, le frère de Dominique Pelicot, médecin à la retraite, évoque un mécanisme de décompensation. En 2019, un neurologue de Cavaillon parle, lui, d’un trouble anxieux et lui prescrit de la mélatonine pour mieux dormir… Le scanner que passe la retraitée ne donne rien non plus. Aucune explication médicale ne semble satisfaisante et son état de santé continue de se dégrader (perte de poids, perte de cheveux, absences…).
« Une fois qu’il a éliminé tous les autres diagnostics possibles, le médecin doit pouvoir penser à la soumission chimique, souligne Leïla Chaouachi. Là, les défauts de formation sont délétères. » La pharmacienne du Centre d’addictovigilance de Paris et experte nationale de l’enquête sur la soumission chimique auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) déplore que le volet toxicologie ne soit pas suffsamment développé dans les études médicales et pharmaceutiques, arguant toutefois que le salut ne viendra pas de quelques cours supplémentaires dans les programmes : « Il faut bien intégrer que la soumission chimique est un mode opératoire pour voler, séquestrer, violer. Avant même de parler de pharmacotoxicologie, il faut se demander quelle est la place donnée dans les formations à la lutte contre les violences. »
Le mode opératoire, bien rodé, de Dominique Pelicot dépasse largement l’empoisonnement médicamenteux. Pour les invités violeurs : parfum et tabac interdits, lavage des mains préalable à l’eau chaude, déshabillage dans la cuisine pour ne pas risquer d’oublier un vêtement dans la chambre. L’instigateur des viols, lui, s’occupe du nettoyage du corps de son épouse une fois les actes sexuels commis. Des stratégies d’invisibilisation des violences qui débordent du cadre nocturne. Quand Gisèle Pelicot se plaint de douleurs pelviennes, par exemple, Dominique plaisante. « Mais que fais-tu de tes journées ? », répond-il en suggérant une infdélité potentielle de la part de sa femme. De la même manière, quand les enfants s’inquiètent de l’état mental et physique de leur
mère ou s’étonnent qu’elle ne réponde pas à leurs appels en pleine journée, le père assure qu’elle est épuisée par la garde de ses petits-enfants.
« Si les enfants et les médecins se sont laissé berner, c’est qu’il a bien joué son rôle de manipulateur, analyse la psychiatre Marie-France Hirigoyen, autrice des ouvrages Les Narcisse et Femmes sous emprise. Ces hommes [violents avec leurs femmes] pensent d’abord à eux, l’autre n’est là que pour les protéger de leur vide intérieur, et s’ils se sentent critiqués ou accusés de quelque chose, alors ils se posent en victime. » Dans son expertise de la personnalité de Dominique Pelicot, Paul Bensussan cite en effet l’absence d’empathie, la froideur affective et la tendance à chosifer l’autre pour l’assouvissement de ses besoins. À la lecture des éléments du dossier, il apparaît que le mari a la mainmise sur la vie, nuit et jour, de son épouse – de la boîte aux lettres qu’il l’empêche de relever jusqu’aux rendez-vous médicaux auxquels il assiste chaque fois. « [Ma mère] a[vait] depuis longtemps délégué à son mari les affaires de la maison. Elle ne faisait même plus les courses. Mon père, en prétendant la débarrasser de cette corvée, y allait seul, raconte la flle du couple. En dehors de la marche avec son amie Sylvie, ma mère n’avait même plus vraiment d’activité sociale. Je mesure le degré d’emprise que mon père a exercé sur maman. » De surcroît, ses troubles neurologiques amènent Gisèle à cesser de conduire sa voiture, elle craint de plus en plus l’AVC et l’idée de prendre le train toute seule l’angoisse. Petit à petit, et à bas bruit, la femme perd son autonomie.
(10,9 % sont du GHB, ou drogue du violeur).
Source : enquête sur la soumission chimique 2022.
Les enjeux qui entourent le procès des viols de Mazan ne se limitent pas aux relations interpersonnelles d’un couple. À la barre, les coaccusés de Dominique Pelicot déflent un à un. À chacun, le président de la cour demande pourquoi il ne s’est pas assuré du consentement de cette partenaire immobile. À l’image de Fabien S., qui, « dans l’excitation, [n’a] pas fait attention », beaucoup de ces hommes se cachent derrière « le chef d’orchestre ».
Durant les investigations, Redouane A., 40 ans, assure qu’il n’a pas commis de viol. Devant le corps visiblement inconscient de Gisèle Pelicot, son consentement à elle ne lui a pas semblé nécessaire puisque le mari avait donné son accord. « Les hommes ont été éduqués avec l’idée qu’ils avaient le pouvoir, c’est pourquoi ils souffrent souvent d’un manque d’empathie et sont beaucoup plus narcissiques que les femmes », décortique MarieFrance Hirigoyen. Deux traits mis en évidence dans la plupart des expertises psychiatriques des co-inculpés du procès des viols de Mazan.
L’EMPRISE SOCIALE
Avec des accusés aux âges et aux profls socioéconomiques variés, presque tous bien insérés dans la société, l’audience se fait trait d’union entre la psychologie, habituée des cours de justice, et la sociologie. L’image du violeur passe du déséquilibré dans un parking sombre au mari qui dort à vos côtés. Et beaucoup s’interrogent sur le caractère systémique du viol. Mazan peut-il être un tournant ? « Jusqu’à présent, les femmes avaient honte et devaient justifer la longueur de leur jupe ; dans ce procès, ce sont les hommes qui se cachent, constate la psychiatre, convaincue que la société tout entière va désormais pouvoir
s’interroger sur le type de rapports qu’elle souhaite entre hommes et femmes.
« Au-delà des considérations sociétales, nous sommes face à une problématique de santé publique, alerte Leïla Chaouachi. En portant atteinte à la santé mentale, les violences sexistes et sexuelles ont un coût pour la société. » D’après la psychiatre Dorothée Charré, autrice d’une thèse sur la soumission chimique, les victimes de violences sexuelles, en particulier lorsqu’elles sont facilitées par des drogues ou des médicaments, présentent des risques importants de développer un état de stress post-traumatique, un épisode dépressif majeur et une consommation abusive de substances (drogues, alcool) par la suite. Et le constat ne se limite pas à la santé mentale. Entre 2008 et 2010, une équipe pluridisciplinaire montée par Fatima Le Griguer Atig, psychologue clinicienne à l’hôpital Robert-Ballanger, à Aulnaysous-Bois, a cherché à mesurer l’impact que les violences conjugales pouvaient avoir sur la santé. Elle a interrogé 236 femmes se présentant aux urgences de son établissement. Sur l’ensemble de l’échantillon, 21 % étaient ou avaient été victimes de violences sexuelles, 72 % de violences physiques et 99,5 % de violences verbales ou psychologiques. « Le corps retranscrit la souffrance subie, résume la psychologue. Cela se traduit par des problèmes dermatologiques ou gynécologiques, des douleurs neuropathiques, des cardiopathies, des gastralgies, des arythmies cardiaques ou l’apparition d’hypertension. » Elle invite les médecins, quelle que soit leur spécialité, à penser les santés mentale et physique de façon globale. Et à systématiquement envisager des violences chez les patientes qui s’assoient devant eux. £
Bibliographie
C. Darian, Et j’ai cessé de t’appeler papa, JC Lattès, 2022. D. Charré, La soumission chimique. Aspects juridiques, médico-légaux et psychologiques d’un comportement mal connu, Sciences du vivant, 2014
M. F. Hirigoyen, Les Narcisse, La Découverte, 2019.
Professeur de psychologie au collège Saint-Michel et collaborateur scientifique à l’université de Fribourg, en Suisse.
Véritables phénomènes de librairie, des ouvrages recommandent de penser comme un chat ou de vivre comme un poisson rouge, sous prétexte que ces animaux parviendraient à être dans l’instant présent.
AProblème : on ne sait pas du tout à quoi pense un chat.
h, la vie d’chat !
Qui n’envie pas l’existence insouciante de nos félins domestiques, entre séances de caresses ronronnantes et siestes interminables ? Au point que certains auteurs s’en sont inspirés pour rédiger de véritables guides de développement personnel, à l’injonction à peine cachée : « Le chat a tout compris, copions le chat ! Libre, calme, observateur, prudent, élégant, charismatique, indépendant, fer, autonome…, le chat possède autant de qualités enviables que vous pouvez développer facilement en vous inspirant de lui au quotidien » (quatrième de couverture de Penser comme un chat, de Stéphane Garnier). D’ailleurs, la mode ne s’arrête pas aux chats : on nous explique qu’on devrait également s’inspirer de l’empathie et de l’altruisme légendaires des dauphins ou de la sociabilité pacifque des bonobos pour corriger nos vilains défauts et parfaire notre humanité. Car les
animaux, en bons maîtres, semblent pouvoir nous apprendre à mieux gérer le stress, à lâcher prise et surtout à faire taire notre mental hyperactif… Vraiment ?
DES MÉTAPHORES ANIMALIÈRES
PARTOUT
La métaphore animalière n’est évidemment pas une invention récente. Pensons aux fables d’Ésope qui remontent au VI e siècle avant notre ère. Le poète grec n’hésitait pas, comme Jean de La Fontaine bien plus tard, à accorder des attributs bien humains aux animaux pour mieux faire passer des leçons de morale. Sous la plume de ces grands auteurs, le renard, le corbeau, le loup, l’agneau ou le rat ne constituent pas des modèles à imiter, mais incarnent certaines de nos attitudes afn d’illustrer leurs effets positifs ou néfastes. En réalité, la fourmi n’est pas plus travailleuse que la cigale n’est fêtarde ! Pas plus qu’un
corbeau ne serait naïf (ce serait plutôt le contraire) ou un lion fer. Tous agissent en fait d’après un équipement cognitif qui dépend de leur programmation génétique. Les caractéristiques précitées (ferté, orgueil, opiniâtreté, etc.) appartiennent surtout au genre humain. Il n’est évidemment pas question de dénier des qualités chez nos amis à plumes, à poils et à écailles. Mais le danger de l’anthropomorphisme n’est jamais bien loin, tant l’étude des animaux constitue un exercice complexe. Les visions partiales et partisanes ont vite fait de prendre le dessus sur l’observation objective. Qui sait, par exemple, que les gentils dauphins, si prompts à aider un autre être vivant en danger, pratiquent le viol en bande – ou plutôt, pour rester descriptif, ils copulent avec – de pauvres tortues de mer ? (Je recommande à ce propos les textes éminemment instructifs du professeur en écologie comportementale à
l’université de Bourgogne Frank Cezilly.)
Et les bonobos dont on vante tant le mode de sociabilité basé sur le plaisir sexuel plutôt que la violence pour résoudre les confits ? Selon les dernières observations réalisées par Maud Mouginot, à l’université de Boston, nos plus proches cousins sur le plan phylogénétique se révèlent être plus agressifs que les chimpanzés. Aussi, en analysant les lignées génétiques au sein de plusieurs groupes, il a été établi que ce sont les mâles les plus belliqueux (envers les autres mâles) qui ont le plus de descendants. La chercheuse invite cependant à la méfance vis-à-vis de toute tentation d’extrapolations de ces résultats aux humains…
L’étude du comportement animal est affaire délicate : hors des laboratoires de recherche, elle en dit souvent plus long sur l’observateur et ses fantasmes que sur l’observé. Dans ces conditions, prêter des qualités à certaines espèces pour
nous en inspirer relève davantage de la fction que de la science. Alors quand il s’agit d’inférer carrément des états mentaux, voire des intentions, chez les animaux… La fameuse insouciance du chat domestique ne serait-elle, elle aussi, qu’une projection de notre part ? La cognition animale reste un mystère dû en grande partie à l’impossibilité d’une communication langagière interespèce. On est tenté de penser que, puisque les bêtes ne parlent pas, elles n’ont pas cette petite voix intérieure qui commente et juge leurs faits et gestes comme c’est le cas pour nous. Quant à conclure que grâce à cela ils vivent la plénitude du moment présent en pleine conscience, ce n’est que conjecture !
Par exemple, il semblerait que les rats puissent éprouver des regrets. Pour en arriver à cette conclusion, Adam Steiner et David Redish, de l’université du Minnesota, ont placé des rongeurs
dans un dispositif les amenant à faire un choix entre des tunnels au bout desquels se trouvait de la nourriture. Certains tunnels délivraient de la nourriture médiocre rapidement, d’autres de la nourriture plus savoureuse, mais au bout d’un temps plus long. D’où le dilemme : attendre davantage pour une nourriture plus appréciée ou se précipiter ? Sachant que le temps total était limité, de sorte qu’il ne fallait pas trop patienter non plus, car cela réduisait fortement la quantité d’aliments à se mettre sous la dent…
Lorsqu’un rat prenait une mauvaise décision, à savoir qu’il dédaignait un délai court et devait ensuite attendre longtemps pour obtenir de la nourriture, au point que la limite de temps était dépassée, il avait tendance à regarder en arrière vers l’option qu’il avait délaissée, ce qui constitue un comportement typique du regret. De plus, des électrodes implantées dans son
cortex orbitofrontal et son striatum ventral, des zones impliquées dans la prise de décision, enregistraient leur activité neuronale. L’analyse de ces données semble indiquer que les rats qui regardaient en arrière se « représentaient » l’occasion manquée.
LES ANIMAUX, MAÎTRES DE L’INSTANT PRÉSENT ?
Dans une autre étude, il s’agissait d’investiguer la réduction de la dissonance cognitive chez les singes capucins (ceux qui par ailleurs rejettent une récompense appréciée, des morceaux de concombre, quand ils voient que des congénères reçoivent quant à eux des grains de raisins, encore plus valorisés – ce qui amène à penser qu’ils sont sensibles à l’injustice). Nous, les êtres humains, avons tendance à pratiquer la réduction de la dissonance postdécisionnelle : lorsque nous avons arrêté un choix et écarté une option, nous dévaluons inconsciemment cette dernière pour éviter d’avoir des regrets. Après coup, ce que nous n’avons pas choisi nous paraît moins attrayant. Un mécanisme de rationalisation qui nous aide à tourner la page plutôt que de nous enferrer dans des ruminations mentales paralysantes.
La chercheuse Louisa Egan et ses collègues, à l’université Yale, ont imaginé un protocole permettant de tester ce mécanisme chez les primates. Ceux-ci sont amenés à faire un choix entre deux friandises également appréciées, provoquant un inconfort résultant du sacrifce d’une des deux options. Afn de réduire ce désagrément, le singe va inconsciemment dévaloriser la friandise qu’il n’a pas retenue. Pour preuve : lorsqu’on présente à nouveau cette friandise délaissée en même temps qu’une autre également attractive, les capucins choisissent systématiquement la nouvelle alors que leurs congénères faisant partie d’un groupe contrôle sont quant à eux partagés entre les deux options équivalentes. Ces résultats semblent indiquer qu’un mécanisme
L’envers du développement personnel
FAUT-IL PENSER COMME UN CHAT ?
psychique aussi complexe que la réduction de la dissonance cognitive est actif dans le cerveau de certains grands singes et non seulement chez les humains. Supposer que le champ de conscience des animaux est silencieux, uniquement ouvert à l’expérience présente, sans anticipations ni regrets, est pour le moins
Une autrice vante les poissons comme modèles de lâcher-prise, eux qui suivent les courants, débarrassés du fardeau de l’esprit…
Bibliographie
F. Cezilly, La Sexualité animale, Evergreen, 2009
M. Mouginot et al., Di erences in expression of male aggression between wild bonobos and chimpanzees, Current Biology, 2024
L. C. Egan et al., The origins of cognitive dissonance : Evidence from children and monkeys, Psychological Science, 2007.
A. P. Steiner et A. D. Redish, Behavioral and neurophysiological correlates of regret in rat decision-making on a neuroeconomic task, Nature Neuroscience, 2014.
hasardeux. Qui sait ce qui se trame réellement dans leur cerveau ? Peut-être rien d’enviable ! Au-delà des apparences, une vie de chat, à la première personne, est peut-être… un enfer. J’aimerais conclure cette incartade dans la psyché animale par ces quelques mots lus récemment dans un journal. Sous le titre La Sagesse des poissons, l’autrice y vantait les poissons comme modèles de lâcher-prise, eux qui « suivent les courants » (un comportement qui ne s’applique apparemment pas aux saumons lorsqu’ils fraient, mais passons). Elle disait s’en inspirer dans certaines situations, chercher à se laisser porter aveuglément afn de « noyer le contrôle et l’anticipation pour se débarrasser du fardeau de l’esprit ». Sauf que le contrôle et l’anticipation sont justement deux fonctions exécutives parmi les plus élaborées de notre cortex, ce qui nous rend humains par excellence…
J’espère que comme pour moi, chères lectrices, chers lecteurs, l’esprit est loin de constituer un fardeau pour vous et que pour rien au monde vous y renonceriez pour vous retrouver dans la tête d’un poisson ou même d’un chat. Et si votre voix intérieure vous pèse par ses inquiétudes et ses critiques, rappelezvous qu’il existe des méthodes éprouvées pour l’apprivoiser. £
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• Des reportages réguliers sur le thème »Women in Science«
Par Saima Iqbal, journaliste à Scientific American.
La dernière fois que vous avez vu votre cousin, il venait de fêter ses 45 ans. Il faut reconnaître qu’il a pris un coup de vieux. Mais ce n’est que le début d’un processus en deux phases – le second arrivera dans une quinzaine d’années.
Généralement, passé les 60 ans, les premiers signes de vieillesse apparaissent. Port de lunettes, d’appareils auditifs, douleurs musculaires ou risque plus élevé de diabète, les exemples sont nombreux. Pourtant, une récente étude publiée dans le journal Nature
Aging suggère que notre corps subirait deux « pics de vieillesse » associés à des changements moléculaires majeurs : à la soixantaine, mais également au milieu de la quarantaine.
Michael Snyder et ses collègues du département de génétique de l’université de médecine de Stanford, aux États-Unis, ont analysé les niveaux de plus de 135 000 molécules et microbes – refétant l’activité des cellules et des tissus –chez 108 volontaires en bonne santé âgés de 25 à 75 ans. Chaque participant a fourni des échantillons biologiques de sang et de selles tous les
trois à six mois pendant une durée médiane de presque deux ans.
Résultat : des changements importants du taux de nombreuses molécules ont été observés à deux moments distincts, à 44 et 60 ans en moyenne (des variations peuvent intervenir selon les individus). Le processus de vieillissement semble donc s’accélérer à ces périodes – la quarantaine et la cinquantaine tardive constitueraient alors des fenêtres temporelles importantes pour surveiller de près l’évolution de la santé d’une personne.
Voici un constat qui semble reféter des observations communes : des gueules de bois plus diffciles à gérer, des blessures musculaires de plus
en plus fréquentes passé les 40 ans, etc. Selon Michael Snyder, les données livrées par cette étude permettraient d’expliquer ces changements physiologiques.
Contrairement aux sujets plus jeunes, les quadras tout comme les sexagénaires présentaient des modifcations moléculaires liées à une faiblesse et à une perte de masse musculaire, à un déclin de la santé cardiaque et à une capacité insuffsante à métaboliser le café. Toutefois, ces deux vagues de vieillissement sont à distinguer. À la quarantaine, l’activité des voies cellulaires impliquées dans la dégradation de l’alcool et des graisses est réduite – ce qui pourrait expliquer pourquoi, après 40 ans, il nous est parfois plus
compliqué de digérer ces composés. Les sexagénaires, quant à eux, présentent des niveaux plus faibles de plusieurs molécules du système immunitaire, telles que les cytokines infammatoires. En d’autres termes, leur réponse immunitaire est affaiblie. À cela, s’ajoutent aussi de faibles niveaux de molécules liées au métabolisme des glucides ainsi qu’au fonctionnement du cœur et des reins, un signe indiquant que les participants plus âgés seraient plus susceptibles de souffrir de diabète de type 2, de maladies cardiovasculaires et de problèmes rénaux.
Ces deux vagues de vieillissement sont similaires à celles qu’une autre équipe de recherche a identifées en 2020 – qui a observé qu’à l’âge de
£ Le processus de vieillissement n’est pas linéaire dans le temps. Il se décomposerait en deux phases clés.
£ Des changements moléculaires majeurs ont été observés à deux moments distincts de la vie, 44 et 60 ans.
£ Mais, bonne nouvelle, en modifiant nos modes de vie, nous pourrions influer sur ces deux périodes.
44 ET 60 ANS : CES DEUX MOMENTS OÙ L’ON VIEILLIT
35 et 65 ans les sujets présentaient un système immunitaire affaibli.
Mais les conclusions de ces récents travaux ne sont pas pour autant irréfutables. Cent huit participants, c’est un échantillon un peu maigre pour tirer des conclusions générales. D’autant plus que tous ces gens vivent dans la même région californienne de Palo Alto, ce qui est bien peu représentatif de la population mondiale, fait remarquer Aditi Gurkar, qui mène des recherches sur le vieillissement à l’université de Pittsburgh (et qui n’est pas impliquée dans la présente étude). Elle ajoute que ces personnes partagent probablement un mode de vie similaire – qu’il s’agisse de l’alimentation, du niveau d’activité physique ou du type d’environnement fréquenté –, ce qui aurait pu infuencer les résultats.
Par ailleurs, l’étude a suivi les participants sur une période courte – sept ans au maximum –, ce qui ne permet pas de prédire comment ils vieilliront à long terme. Les chercheurs ne sont donc pas en mesure de déterminer si les différences observées entre les groupes d’âges refètent de véritables changements biologiques universels ou s’il ne s’agit que de simples variations individuelles. Par exemple, les sujets de 40 et 60 ans inclus dans l’expérience pourraient avoir vieilli plus rapidement que d’autres personnes du même âge dans la population générale, avertit la chercheuse.
Pour confrmer ces résultats, les scientifques estiment qu’il faudrait une étude plus vaste suivant les mêmes participants tout au long de leur vie. Et combinant des sujets d’origines ethniques plus diversifées, issus de classes socioéconomiques différentes, car le vieillissement biologique – l’accumulation de stress subi par les cellules et les tissus – varie considérablement selon de nombreux paramètres. En outre, recueillir des données sur des facteurs tels que l’état de santé ou le handicap d’une personne pourrait aider à mieux évaluer l’ampleur de l’impact des changements liés à l’âge sur la santé globale.
Malgré tout cela, une question reste en suspens ; pourquoi les âges de 44 et 60 ans semblentils des caps critiques à franchir ? Si les raisons ne sont pas encore claires, les auteurs de l’étude émettent plusieurs hypothèses qu’ils espèrent confrmer dans le futur. Le déclin du système immunitaire à la soixantaine pourrait entraîner une dégradation de l’état des organes, déclare Michael Snyder. Tandis que le pic de vieillesse observé à la moitié de la quarantaine coïncide avec des changements hormonaux, notamment liés aux prémices de la ménopause pour les femmes. Mais
Les chercheurs ont évalué, tous les trois à six mois, le nombre et la diversité des molécules et microbes présents sur la peau, dans la bouche, le nez et les selles de 108 participants âgés de 25 à 75 ans. Les taux varient selon l’âge et montrent des pics marqués à deux moments précis : 44 et 60 ans. Cependant, l’étude n’a pas suivi les mêmes participants pendant vingt ans ; ces variations ont été observées entre di érents individus.
cette période ne peut expliquer à elle seule l’ensemble des changements biologiques observés, car hommes et femmes sont affectés de manière similaire. Autre explication plausible : la baisse d’activité physique à cet âge…
Mais Michael Snyder reste optimiste. Il pense que ces résultats pourraient se révéler précieux dans le domaine médical. Les quadragénaires pourraient, par exemple, bénéfcier de bilans sanguins pour surveiller leur taux de lipides, ou pratiquer régulièrement une activité physique pour préserver la santé de leur cœur. Le chercheur souligne également l’importance d’un dépistage précoce et régulier des maladies cardiaques pour des personnes de cet âge ayant déjà eu des problèmes de santé.
Malgré ses limites, cette étude nous rappelle que les choix de nos modes de vie, comme l’alimentation et l’exercice physique, sont de nature à infuer sur notre vieillissement – de manière positive ou négative –, expose Aditi Gurkar. Et elle ajoute qu’il y a actuellement peu de travaux incluant des participants d’âges variés, ou impliquant un échantillonnage biologique aussi complet que celui-ci.
Ce travail représente également une étape importante pour établir des modèles prédictifs de maladies à grande échelle basés sur des données biologiques. Forts de ces éléments, les chercheurs pourront mieux comprendre comment le corps vieillit et comment ces changements sont liés à certaines maladies. £
Bibliographie
X. Shen et al., Nonlinear dynamics of multiomics profiles during human aging, Nature Aging, 2024
E. J. Márquez et al., Sexual-dimorphism in human immune system aging, Nature Communications, 2020
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Par Seth Stephens-Davidowitz, spécialiste en science des données et éditorialiste au New York Times et Spencer Greenberg, mathématicien et fondateur des sociétés Spark Wave et ClearerThinking.
Sur la Toile, dans les magazines ou les cabinets de coaching, les tests de personnalité sont partout. Mais tous ne se valent pas. Deux spécialistes de l’analyse psychométrique expliquent ce qui, de leur point de vue, permet de les distinguer.
Êtes-vous un « ISFP », comme Bob Dylan et Rihanna, ou un « ENTJ », comme Bill Gates et Margaret Thatcher ? Peut-être êtesvous un « INTP », comme Albert Einstein et Tina Fey ? Si vous faites partie des dizaines de millions de personnes qui ont réalisé un test de personnalité Myers-Briggs – un incontournable des écoles de commerce et des quiz en ligne –vous connaissez sûrement la réponse. Mais ces catégories de personnalité ont-elles un sens ou ne sont-elles qu’absurdités ?
Mis au point lors de la Seconde Guerre mondiale, le Myers-Briggs type indicator (MBTI) est probablement le test de personnalité le plus populaire du monde. Il prétend répartir la population en seize catégories basées sur quatre dimensions de la personnalité : l’extraversion (E) ou l’introversion (I), qui déterminent si vous tirez votre énergie d’une action tournée vers le monde extérieur, comme la socialisation, ou d’activités tournées vers votre intériorité, comme la réfexion silencieuse ; l’intuition (N pour iNtuition) ou la perception (S pour sensing ), qui
£ Un des tests de personnalité les plus pratiqués en ligne ou en milieu professionnel est le test MBTI.
£ Les évaluations scientifiques révèlent qu’il est plus performant que l’astrologie, mais moins que l’outil de mesure psychométrique scientifique standard, le modèle dit « des Big Five».
£ Mais il reste populaire. La clé ? Il formule ses conclusions d’une façon agréable pour l’utilisateur…
évaluent dans quelle mesure vous percevez les formes abstraites et les symboles, ou au contraire que vous êtes réceptif aux informations sensorielles directes ; la réfexion (T pour thinking) ou le sentiment (F pour feeling), qui mesurent si vous prenez des décisions en ayant recours à la logique plutôt qu’aux sentiments ; enfn, le jugement (J) ou la perception (P) qui décrivent votre préférence pour la structure plutôt que pour la spontanéité [comme lorsqu’on préfère analyser une situation à l’aide de raisonnements plutôt que par l’intuition, ndlr].
Formidable à première vue ! Sauf que dans les faits, ces tests ne sont généralement pas aussi utiles que leurs partisans le prétendent, et certainement moins que d’autres tests de personnalité. Prenons le modèle de personnalité des Big Five ou des Cinq Facteurs, qui repose sur des décennies de validation statistique par les psychologues. Ce test évalue les personnes en fonction de cinq dimensions de la personnalité : la conscienciosité, l’amabilité, le névrosisme, l’ouverture à l’expérience et l’extraversion (voir l’encadré ci-contre).
Le test de Rorschach consiste à dire à quoi nous fait penser une tache d’encre aléatoire, ce qui est censé refléter nos préoccupations, nos émotions ou nos angoisses. Malgré sa popularité, la fiabilité de ce test est contestée et son utilisation controversée.
Le modèle de personnalité dit des Big Five, élaboré au fil de décennies de recherche en psychologie, distingue cinq dimensions constitutives de la personnalité. Chaque individu obtient un score donné le long de chacune de ces dimensions.
1 La conscienciosité décrit un caractère scrupuleux et responsable, qui fait preuve de conscience et de discipline. Un score bas traduit une personnalité davantage flexible et préférant la spontanéité, mais également peu ordonnée ou peu organisée.
2 L’amabilité reflète les capacités de coopération et d’harmonie sociale d’un individu. Une personne en enregistrant un haut score a tendance à bien s’entendre avec les autres, à être chaleureuse et à avoir une vision optimiste de la nature humaine.
3
Le névrosisme est la tendance plus ou moins prononcée à avoir des émotions négatives (comme la colère, l’anxiété…) et fluctuantes. Un score bas caractérise une personne peu vulnérable aux émotions négatives, et a ectivement stable.
4
L’ouverture décrit la tendance d’un individu à être ouvert aux expériences de toute nature. Cela inclut l’appréciation de l’art, la volonté d’essayer des activités di érentes, la réceptivité aux sentiments et aux valeurs d’autrui.
5
L’extraversion est une propension à se tourner vers l’autre, à extérioriser ses sentiments et à tirer de l’énergie des interactions sociales. Un score bas indique un caractère réservé, plus enclin au calme et à l’introspection.
VIE QUOTIDIENNE Psychologie
TESTS DE PERSONNALITÉ : COMMENT SE REPÉRER ?
Mes collègues et moi-même avons décidé de comparer les deux types de tests. Pour cela, nous avons étudié un test de type MBTI et une échelle selon les Big Five pour voir dans quelle mesure chacun d’entre eux permettait de savoir quels événements une personne avait ou non vécus, parmi une liste préétablie de 37 « faits de vie ». Les résultats sont publiés dans un rapport récent, où l’expression « style MBTI » est employée pour désigner de façon générale les tests qui s’inspirent des concepts du MBTI sans en être des formes offcielles. Les événements de la vie pris en compte ici sont des faits importants sur l’existence des participants, depuis le nombre d’amis proches jusqu’à l’assiduité de leurs pratiques sportives, en passant par le degré de satisfaction à l’égard de la vie. Pour ce faire, nous avons recruté 559 personnes aux États-Unis à l’aide d’une plateforme spécialisée appelée Positly.
En moyenne, le test des Big Five s’est révélé environ deux fois plus précis que le test de type MBTI pour identifer ces événements de la vie, ce qui situe l’utilité du test de type MBTI à michemin entre la science et les approches ésotériques comme l’astrologie. Lorsque nous avons essayé de prédire ces mêmes événements en nous appuyant sur les signes astrologiques (par exemple, si quelqu’un est Poissons ou Bélier), nous avons obtenu un pouvoir d’identifcation nul, ce qui signife que l’astrologie ne fonctionne pas pour décrire avec pertinence la vie des gens. Et si le test de type MBTI donne certes lieu à de meilleurs résultats, ses affrmations sont souvent fausses. De plus, l’ajout des résultats de personnalité de type MBTI à ceux du Big Five n’a pas permis d’obtenir des descriptions plus justes que celles des Big Five seul [si vous souhaitez
comparer vos propres résultats des Big Five et du MBTI afn de déterminer leur degré de précision, vous pouvez le faire ici en utilisant une version gratuite du test que nous avons créé dans le cadre de notre étude ; voir « Sur le web »].
Pourquoi les tests de type MBTI sont-ils si souvent moins performants que ceux qui sont basés sur les Big Five ? Nous avons trouvé deux raisons principales.
Les tests de type MBTI mesurent généralement quatre des cinq grands traits de personnalité. Leurs échelles d’extraversion, d’intuition et de sentiment correspondent assez bien à l’extraversion, à l’ouverture à l’expérience et à l’amabilité des Big Five, respectivement. Dans notre étude, la dimension « jugement » du MBTI représenterait un mélange d’ouverture, d’extraversion et de (manque de) conscienciosité des Big Five.
Mais les tests de type MBTI ne mesurent généralement pas le névrosisme, qui est un indicateur important de nombreux événements de la vie, tels que la réussite professionnelle, les
Un problème des tests de type MBTI est qu’ils obligent les gens à entrer dans deux catégories distinctes pour chaque trait ou dimension de personnalité.
Cela ne reflète pas la réalité de la psychologie humaine.
Score du Big 5
Score du Big 4 (sans névrosisme)
Score des tests de type MBTI
Catégorie des tests de type MBTI
Signes astrologiques
Ce graphique montre la capacité de plusieurs tests de personnalité à identifier les événements survenus dans la vie d’une personne (parmi une liste de 37 événements types). Chaque valeur représente le niveau de corrélation entre les prédictions du test et les événements survenus dans la vie de la personne. Une corrélation de 30 % est considérée comme moyenne. La valeur pour l’astrologie est basée sur les données provenant de 323 participants de l’étude. Pourcentage
Plus « intuitif »
Tous classifiés comme « intuitifs » Scores
Plus « perceptif »
Tous classifiés comme « perceptifs »
extravertis ou introvertis, pensants ou sensibles, ou intuitifs ou sensoriels. Ils se situent plutôt quelque part au milieu. Nous avons constaté que le test de type MBTI serait environ 38 % plus effcace pour cerner les principaux événements de la vie s’il ne dichotomisait pas les traits de caractère des personnes.
Score des tests de type MBTI pour la dimension « perception »
Le graphique illustre la distribution des scores de la dimension « perception » (sensing, en anglais) du test de type MBTI des participants à l’étude. La plupart des personnes sont dans une zone médiane, car elles présentent peu ou prou la même quantité de qualités perceptives et intuitives. Mais les tests de style MBTI les catégorisent comme « entièrement intuitives » ou « entièrement perceptives ».
pensées suicidaires et la satisfaction dans la vie. Sans le névrosisme, la précision prédictive de notre test selon la méthode des Big Five a chuté de 22 % (la corrélation entre ce que nous pouvions prédire sur les personnes à partir de leurs traits de personnalité et ce qui était réellement vrai de ces personnes est passée de 0,23 à 0,18).
Le deuxième problème des tests de type MBTI est qu’ils obligent les gens à entrer dans deux catégories distinctes pour chaque trait ou dimension de personnalité. Par exemple, sur l’échelle d’extraversion, les Big Five vont vous donner un score qui va vous placer quelque part sur une ligne graduée entre la pure extraversion E et la pure introversion I : vous pouvez, par exemple, être à 70 % extraverti, mais avoir tout de même une petite dose d’introversion. Mais avec les tests de type MBTI, vous êtes soit extraverti (E), soit introverti (I), ce qui refète moins bien la réalité de la psychologie humaine. De fait, nous avons observé que les quatre traits de style MBTI avaient presque une distribution normale (c’està-dire que leur distribution prenait la forme d’une courbe en cloche). La plupart des gens sont loin d’être pleins de jugement ou perspicaces,
Sur le web
Le test qui compare vos résultats avec les méthodes des Big Five et du MBTI : https://programs. clearerthinking.org/ personality.html
André Feretti et al., How accurate are popular personality test frameworks at predicting life outcomes ? A detailed investigation, ClearerThinking.org, 2024.
Mais alors, si les tests du MBTI sont moins perspicaces que celui des Big Five, pourquoi jouissent-ils donc d’une telle popularité ? Tout d’abord, ils sont peut-être moins « offensants » que d’autres tests. Après avoir fait passer à 236 personnes aux États-Unis à la fois le test de type MBTI et le test des Big Five, nous leur avons demandé ce qu’elles pensaient des résultats. En particulier si ceux-ci leur permettaient de se sentir bien vis-à-vis de leur personnalité : 10 % des sujets interrogés ont répondu par la négative pour le test de type MBTI, mais ils étaient 19 % pour les Big Five – presque le double, ce qui suggère que la formulation plus douce des résultats du test de type MBTI (malgré une tendance à la dichotomie, paradoxalement) était moins blessante pour le public.
Cela peut s’expliquer en partie par le fait que les tests de type MBTI donnent une tournure plus positive à certains des traits négatifs des Big Five. Ainsi, les personnes qui, selon les Big Five, sont moins ouvertes aux nouvelles expériences – ce qui pourrait être reçu avec moins d’enthousiasme – sont considérées par les tests de type MBTI comme « sensibles ». Les personnes désagréables (faible score sur la dimension d’amabilité) auraient en fait une personnalité « analytique » (T pour thinking – fusionnant le trait « ne pas tenir compte des émotions des autres » avec le trait « logique »). Enfn, le trait le plus négatif de tous – le névrosisme – n’est pas du tout pris en considération.
Une chose est sûre : les personnes interrogées estimaient que les résultats du MBTI étaient tout aussi précis que ceux des Big Five. Ceux-ci nous renseignent donc au moins sur un trait de caractère très répandu : le désir de se sentir bien dans sa peau et sa psyché. En effet, notre étude semble indiquer que les tests de type MBTI pourraient sacrifer l’exactitude dans la description de la personnalité au proft de la complaisance. En d’autres termes, les tests de type MBTI pourraient être moins effcaces que d’autres pour vous dire si vous allez exceller dans votre travail, dans votre relation ou dans votre vie, mais ils peuvent donner des étiquettes sympathiques à certains de vos défauts de personnalité. Et voilà une chose avec laquelle tout le monde, de l’ENTJ à l’ISFP, sera d’accord. £
En classe, les professeurs donnent plus la parole aux enfants issus de milieux favorisés : les autres complexent et se croient moins intelligents. Et leurs résultats chutent…
À 60 ans, des modifications moléculaires dans l’organisme commenceraient à affaiblir la masse musculaire, la santé cardiaque et la capacité à métaboliser l’alcool, les graisses ou le café…
La thérapie EFT-tapping consiste à se tapoter le visage le long de supposés méridiens énergétiques… tout en faisant de la méditation. Celle-ci opère contre l’anxiété ou les problèmes d’attention, et les gens croient aller mieux à cause du tapotement des méridiens. Un phénomène d’erreur d’attribution appelé en psychologie « théorie du chapeau violet »…
« Je fais toujours les mauvais choix. C’est mon karma. Comme dans les tragédies grecques, c’est le destin. Je suis née sous une mauvaise étoile. » Elsa, atteinte d’acrasie
de perte de volume du cortex chez les femmes au cours de la grossesse. Cet amincissement du cortex s’accompagne d’un gain en empathie qui profite à la relation mère-enfant.
Les benzodiazépines utilisées par Dominique Pelicot pour droguer sa femme provoquent une amnésie antérograde qui empêche le cerveau de mémoriser pendant une heure après leur administration.
À diverses périodes de l’histoire, des groupes d’individus, souvent en situation de grande détresse, se sont mis à danser de façon e rénée et désordonnée, parfois jusqu’à l’épuisement. Lors d’épidémies de manie dansante, des milliers de gens auraient dansé pendant des heures, voire des jours ou des semaines…
Dormir à côté d’un gros ronfleur multiplierait par trois les di cultés pour s’endormir et par deux le risque de fatigue et de somnolence pendant la journée.
Cet encart d’information est mis à disposition gratuitement au titre de l’article L. 541-10-18 du code de l’environnement. Cet encart est élaboré par CITEO.