À QUEL ÂGE REMONTENT
NOS PREMIERS
SOUVENIRS ?
NOS PREMIERS
SOUVENIRS ?
NEUROSCIENCES
PRENNENT-ILS
DÉSINFORMATION
N° 172
Nicole Prieur
Thérapeute familiale et hypnothérapeute, elle prend en charge les rivalités et rancœurs tenaces au sein des fratries.
p. 54-58
André Didierjean
Professeur des universités en psychologie à l’université Bourgogne-Franche-Comté, à Besançon, spécialiste de la mémoire, il étudie les mécanismes cognitifs à l’origine des faux souvenirs.
p. 64-65
Stéphane Charpier
Chercheur à l’Institut du cerveau, professeur de neurosciences à l’université Pierre-et-Marie-Curie, il explore les mécanismes cérébraux de la mort.
p. 72-75
Grégoire Borst
Directeur du Laboratoire de psychologie du développement et de l’éducation de l’enfant (LaPysDÉ-CNRS) de l’université Paris Cité, il propose un regard expert sur le comportement des jeunes.
Rédacteur en chef
’est sympa, l’enfance. On la regrette parfois, non ? C’est plein de jolis souvenirs, de sucettes colorées, de cartables qui sentent bon le cuir et d’histoires de lutins. De grandes vacances interminables, de cadeaux sous le sapin. Sauf que… je ne voudrais pas gâcher la fête, mais j’ai comme un souvenir de cadeau qui m’a laissé un goût amer. Pas vous ? Le jour où votre grand frère a reçu une super-PlayStation alors que vous en étiez à votre troisième coffret de Playmobil ? De toute façon, il a toujours eu le beau rôle, l’attention des parents, lui. Et maintenant qu’ils vieillissent, il prétend être trop occupé et c’est vous qui devriez vous occuper d’eux ? Sans compter qu’ils vont probablement le favoriser dans leur héritage…
Stop au mélodrame. Si vous souhaitez comprendre comment se sont formés vos schémas relationnels dans votre fratrie, et pourquoi ils ont déteint par la suite sur vos relations adultes, reportezvous sans attendre à notre dossier central. Sinon, voyez plutôt ce que l’enfance apporte de merveilleux : par exemple, la capacité à faire ses premières expériences de pensée (comme Einstein ! Voir la chronique de Jean-Philippe Lachaux en page 88), ou ces moments où votre connaissance de la langue mais aussi vos capacités intellectuelles se sont développées en écoutant les histoires racontées par papa et maman avant d’aller dormir (voir l’article page 84). Tout cela vous a construit, au-delà des manquements et des injustices. L’absence elle-même serait créatrice, ainsi que le montre l’analyse du fameux roman La Disparition (voir page 94), que Georges Perec a écrit en se privant totalement de la lettre e, pourtant présente dans 80 % de nos mots. Un peu comme si vous aviez grandi avec… cinq fois moins de cadeaux que votre frère ! La preuve qu’on peut s’épanouir en ayant reçu moins que les autres ! £
N° 172 JANVIER 2025
p. 6 ACTUALITÉS
Moins de sucre, plus de neurones !
Les gens sympas mangent du chocolat !
Garçons ou filles, qui sont les plus altruistes ?
Surpoids : quelles conséquences sur le cerveau ?
Le cerveau de la mouche en 3D !
Un casque antidépresseur à utiliser chez soi
p. 14 FOCUS
Pourquoi la croissance n’est pas la clé du bonheur
Des sociétés produisant très peu de richesse matérielle seraient aussi heureuses que celles à fort PIB. Eric Galbraith
p. 18 NEUROSCIENCES
La zone des échecs repérée dans le cerveau !
Quand une opération du cerveau révèle une zone essentielle au jeu d’échecs…
Gary Stix
p. 35-52
p. 22 NEUROSCIENCES
Langage et pensée
La réflexion logique et la parole mobiliseraient des voies neuronales distinctes.
Gary Stix
p. 24 NEUROSCIENCES
« La pensée
n’a
pas forcément besoin de mots »
Entretien avec la neuroscientifique
Evelina Fedorenko
p. 28 NEUROSCIENCES
Le zéro, ou comment notre cerveau conceptualise
le « rien »
Comment dépasser les rivalités, de l’enfance à l’âge adulte ? Dossier
p. 36 PSYCHOLOGIE FRÈRE, SŒUR… ET RIVAL
Des expériences montrent comment nos neurones relèvent le défi de se représenter l’absence de quelque chose.
Yasemin Saplakoglu
Ce numéro comporte un encart d’abonnement Cerveau & Psycho, broché en cahier intérieur, sur toute la di usion kiosque en France métropolitaine. Il comporte également un courrier de réabonnement, posé sur le magazine, sur une sélection d’abonnés. En couverture : © Fortgens Photography/Shutterstock
Les rivalités sont presque inévitables au sein des fratries, et sont liées à l’évolution même de notre espèce. Elles peuvent pourtant devenir toxiques si on n’est pas assez vigilant. D’où quelques clés indispensables à destination des parents.
Bruno Humbeeck
p. 46 DÉVELOPPEMENT PERSONNEL « ON PEUT SE LIBÉRER DE SA FRATRIE »
Comment apaiser une relation avec un frère ou une sœur quand les rancunes anciennes ne sont pas réglées ?
Entretien avec Nicole Prieur
p. 54-75 p. 76-93
p. 94-97
p. 54 PSYCHOLOGIE COGNITIVE
Quand les « fake news » créent de faux souvenirs
A. Navarre, C. Thomas et A. Didierjean
p. 60 L’ENVERS DU DÉVELOPPEMENT PERSONNEL
Rééquilibrer ses énergies psychiques, vraiment ?
Yves-Alexandre Thalmann
p. 64 NEUROLOGIE
Le mort cérébral qui vivait encore
Stéphane Charpier
p. 66 RAISON ET DÉRAISON
Loterie d’Elon Musk : quand la manipulation paie
Nicolas Gauvrit
p. 68 PSYCHOLOGIE COMPORTEMENTALE
Obéissance aveugle : les leçons de Milgram
L. Niemi, E. Machery et J. M. Doris
p. 72 CINÉ & SÉRIES
« Squid Game » : la violence rose bonbon est de retour !
Entretien avec Grégoire Borst
p. 76 DÉVELOPPEMENT Ados : quand le cerveau devient adulte…
Avide de risque et de sensations, le cerveau des ados a besoin de faire ses propres expériences pour se responsabiliser.
Frank Luerweg
p. 84 COGNITION
Pourquoi il faut lire des histoires aux enfants
À la clé, un vocabulaire plus riche, une intelligence qui progresse et une meilleure gestion des émotions.
Daniela Lukaßen-Held
p. 88 L’ÉCOLE DES CERVEAUX Pensez comme Einstein grâce aux « Gedankenexperimenten » ! Correctement guidés, les élèves peuvent apprendre à réfléchir comme le génie physicien grâce à une partie de leur cerveau en plein développement.
Jean-Philippe Lachaux
p. 92 LA QUESTION DU MOIS À quand remonte votre premier souvenir ?
Sabine Seehagen et Norbert Zmyj
p. 94 NEUROSCIENCES ET LITTÉRATURE « La Disparition» : l’absence créative
Écrire tout un roman sans la lettre e, pourtant présente dans 80 % des mots : c’est le défi que s’est lancé voici cinquante-six ans l’écrivain Georges Perec. De récentes études sur le cerveau éclairent cette œuvre sous un jour nouveau.
Sebastian Dieguez
Professeur de géophysiologie à l’université de McGill.
PSYCHOLOGIE
Découverte : des sociétés de petite taille, produisant très peu de richesse matérielle et monétaire, seraient au moins aussi heureuses que celles courant après le PIB.
L’argent ne fait pas le bonheur, et les meilleures choses dans la vie sont gratuites – c’est ce que nous disent les cartes de vœux et les slogans sur les tee-shirts, tasses ou posters. Pourtant, le rapport mondial sur le bonheur, dont la publication chaque printemps reçoit une large couverture médiatique, positionne systématiquement les habitants des pays riches en tête de liste. De plus, des décennies de recherche en psychologie montrent qu’il existe une forte corrélation entre la richesse individuelle et le degré déclaré de satisfaction dans la vie. Bien que l’on dise souvent que cet effet atteint un plateau à un c ertain niveau au-delà duquel un accroissement du niveau de vie n’a plus d’impact, des travaux récents aux États-Unis suggèrent que les personnes très fortunées ont tendance à évaluer leur degré de
satisfaction dans la vie à un niveau plus élevé que les personnes aux ressources moyennes.
Alors, qui a raison ? Les cartes de vœux ou les corrélations statistiques ? Faut-il avoir de l’argent pour être heureux ? Pour moi qui étudie les interactions entre le comportement humain et les questions de développement durable, cette question est lourde de sens. La volonté d’assurer la croissance matérielle est profondément ancrée dans les sociétés industrialisées. De nombreuses personnes en sont venues à se résigner aux graves conséquences environnementales de notre mode de vie consumériste, y compris le changement climatique, plutôt que de prendre des mesures susceptibles de remettre en cause le fonctionnement actuel de l’économie. La civilisation industrielle menace aujourd’hui l’avenir de toute vie complexe sur
Terre. Sommes-nous sur cette voie autodestructrice justement parce que le bonheur de l’homme dépend de son enrichissement ?
UN LIEN PLUS COMPLEXE QU’IL N’Y PARAÎT
Pour mieux comprendre cette question, je me suis associé à une anthropologue, Viki Reyes-García, de l’institut des Sciences et technologies environnementales de l’université autonome de Barcelone. Jusqu’à présent, la plupart des travaux sur le bonheur ont porté sur des sociétés occidentales, qui ne sont pas représentatives de l’ensemble de l’humanité. Nous voulions évaluer le bonheur des personnes qui ont moins besoin d’argent.
Viki Reyes-García préparait une grande équipe pour entreprendre une enquête sans précédent sur les sociétés de petite taille, afn de
comprendre les impacts du changement climatique sur des individus vivant dans divers contextes sur cinq continents. De nombreuses personnes dans ces groupes s’identifent comme autochtones et toutes dépendent principalement de leurs écosystèmes locaux pour leur subsistance, n’utilisant que très peu ou pas du tout d’argent au quotidien. Notre objectif était de poser à près de 3 000 participants la question suivante : « À quel point êtes-vous satisfait de votre vie, sur une échelle de 0 à 10 ? » En posant la même question que celle de nombreuses autres enquêtes mondiales, nous allions être en mesure de faire une comparaison directe avec les sociétés industrialisées.
Il n’a pas été facile d’aller à la rencontre de ces communautés, car elles sont toutes très isolées. Certaines se trouvent dans les jungles d’Amérique
Même si elles ne disposent que de quelques dollars par jour, de nombreuses personnes habitant dans des régions reculées du monde au sein de communautés autochtones, se déclarent parfaitement heureuses...
du Sud, d’autres dans les prairies arides d’Afrique ou encore dans les régions montagneuses d’Asie du Sud. Nous avons traduit les enquêtes dans les langues locales et les avons menées dans plus de cent villages par le biais d’entretiens en tête à tête, d’une durée d’environ une heure, avec des habitants tirés au sort. La plupart des personnes interrogées n’ayant pas de revenu
régulier, nous avons estimé les gains moyens à partir de la valeur des biens qu’elles avaient achetés, et non fabriqués elles-mêmes. Pour la plupart des communautés, cela correspondait à quelques dollars par personne et par jour.
L’enquête a montré que, loin d’être misérables, les membres de ces petites communautés se déclarent tout aussi satisfaits que les habitants
de régions industrialisées, bien qu’ils ne possèdent que très peu d’argent. Malgré d’importantes variations entre les individus interrogés, certaines communautés rapportent des niveaux de satisfaction très élevés (avec une note dépassant 8 sur 10), supérieurs à la moyenne nationale de nombreux pays riches. Notre principale conclusion est que, même si elles ne disposent que de quelques dollars par jour, nombre de ces personnes sont très heureuses, selon leurs propres estimations.
Comment concilier ce résultat avec ceux de nombreuses autres études qui ont montré de manière persistante que les personnes plus aisées ont tendance à se déclarer plus heureuses que celles qui ont moins d’argent ? Les habitants des pays riches jouissent aujourd’hui d’un niveau d’abondance matérielle plus élevé que quiconque dans l’histoire. Comment se fait-il alors que les membres de certaines de ces petites communautés se déclarent davantage satisfaits, dans l’ensemble ?
Tout d’abord, nos résultats soulignent le danger d’accorder trop
Ce graphique montre comment évolue la satisfaction dans la vie en fonction du revenu par habitant, d’une part dans les sociétés de petite taille des peuples autochtones et des communautés locales qui gagnent très peu (en orange) et, d’autre part, dans les sociétés de la taille de nations, aux revenus environ 100 fois plus élevés (en bleu pâle ou bleu foncé, selon deux enquêtes distinctes WVS et Gallup).
Il apparaît clairement que les sociétés à revenus très modestes ne sont pas plus malheureuses que les autres, voire le sont moins.
d’importance à une corrélation, telle que celle trouvée entre l’argent et le bonheur. L’argent est un indicateur facile à quantifer, il est donc compréhensible qu’il soit fréquemment étudié, mais de nombreux autres facteurs jouent sur le niveau de satisfaction dans la vie. D’ailleurs, nous avons également trouvé des corrélations signifcatives entre la satisfaction et les ressources des individus dans les sociétés de petites tailles que nous avons visitées, mais il s’agissait d’un effet extrêmement faible, comparé à d’autres composantes de ces communautés. Et comme le montre le paradoxe d’Easterlin [du nom de l’économiste qui l’a mis en évidence en 1974, ndlr], l’augmentation de la richesse d’une société au fl du temps n’entraîne pas systématiquement une augmentation du degré de satisfaction au sein de cette communauté. De toute évidence, ces autres facteurs ont une importance cruciale. Des travaux antérieurs ont surtout mis en avant le rôle des relations sociales à cet égard. En tant qu’animaux intrinsèquement sociaux, les
Sociétés de petite taille
êtres humains sont très attachés à la sécurité de leur position au sein de leur groupe et au soutien des autres membres. Ces éléments proviennent principalement de la force des relations interpersonnelles et de l’évaluation de son statut. Mais le nombre et la qualité des relations ne vont pas nécessairement de pair avec l’abondance de biens. De plus, si les communautés étudiées ont peu d’argent, cela ne veut pas dire qu’elles ne disposent pas des biens de première nécessité, et la plupart de leurs membres passent leurs journées en contact étroit avec la nature, ce qui, d’après de nombreuses études, est bénéfque pour le bien-être.
En ce qui concerne le rapport mondial sur le bonheur, le choix de la question posée par l’enquête pourrait être la raison pour laquelle les pays riches fgurent en tête de liste. À la différence de notre approche, qui demandait aux gens de quantifer leur satisfaction globale dans la
Nations
Nations
Pourvoir à nos besoins fondamentaux de manière à mener une existence heureuse ou satisfaisante nécessite beaucoup moins de richesses matérielles que les sociétés industrialisées ne cherchent à en produire aujourd’hui.
vie, le rapport utilise « l’échelle de Cantril ». Les personnes interrogées imaginent une échelle avec leur vie idéale à l’extrémité et décident ensuite où elles s’y positionneraient actuellement. Des travaux récents ont montré que cet outil a tendance à inciter les gens à se focaliser sur leur revenu en comparant ce qu’elles gagnent avec ce que touchent les autres, plutôt que sur la question fondamentale de leur satisfaction (ce que nous et d’autres groupes de recherche avons plus attentivement examiné). Par conséquent, le rapport mondial sur le bonheur nous renseigne peut-être davantage sur le degré de satisfaction des individus à l’égard de leur revenu que sur leur satisfaction à l’égard de la vie en général. Un autre facteur à prendre en compte – bien qu’il s’accompagne de nuances supplémentaires – est la diminution du bien-être induite par la comparaison sociale dans les communautés à fortes inégalités. En général, les groupes que nous avons étudiés présentent moins d’inégalités fnancières que de nombreuses nations riches et industrialisées. Qu’est-ce que cela signife pour ceux d’entre nous qui vivent dans les pays industrialisés ? Pour la plupart
d’entre nous, l’argent est nécessaire pour répondre à nos besoins fondamentaux, ce qui est évidemment déterminant pour se sentir bien. De nombreux pays à faible revenu souffrent de corruption généralisée et de fortes inégalités, avec un grand nombre de personnes vivant dans des environnements urbains de faible qualité où l’accès à des équipements de base tels que l’eau potable, les égouts et l’éclairage est rare. Dans une société monétisée, l’argent est essentiel, et en avoir davantage est généralement utile.
REPENSER LE BONHEUR DANS LES SOCIÉTÉS INDUSTRIALISÉES
Nos résultats soulignent que pourvoir à ses besoins fondamentaux – de manière que l’homme puisse mener une existence heureuse ou satisfaisante – nécessite beaucoup moins de richesses matérielles que les nations industrialisées ne cherchent à en produire aujourd’hui. C’est une bonne nouvelle pour notre planète. Comme le laisse penser une analyse publiée l’année dernière, il est possible pour tous les pays de combler leurs besoins fondamentaux, y compris ceux liés à l’éducation, aux soins de santé et à la
mobilité, tout en atteignant les objectifs de stabilisation du climat. Mon travail avec Viki ReyesGarcía et nos collègues suggère que de nombreux pays et communautés pourraient s’inspirer d’éléments des petites sociétés pour améliorer les aspects défcients ou manquants des leurs. L’importance donnée à l’individu par les nations occidentales, le fait de considérer comme tout à fait moral d’accumuler des biens matériels pour son propre intérêt, et la déconnexion croissante aux autres à mesure que les gens passent plus de temps dans les mondes virtuels sont autant de facteurs qui peuvent nuire au bonheur. Il se peut qu’à ce stade de l’histoire, le moyen le plus sûr d’améliorer la satisfaction à l’égard de la vie dans les pays riches soit d’oublier la croissance économique et de se concentrer sur le développement d’une humanité partagée. Ce changement pourrait également être la clé pour garantir l’avenir d’une vie à la fois belle et complexe sur Terre. £
Bibliographie
E. Galbraith et al., High life satisfaction reported among small-scale societies with low incomes, PNAS, 2024
Sciences Humaines écrit un nouveau chapitre de son histoire… Découvrez un journal plus beau, plus surprenant, plus riche de récits, de portraits et de savoirs.
N° 374 - DÉCEMBRE 2024 JANVIER 2025 CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
SOMMAIRE
p. 36
Frère, sœur… et rival
p. 46 Interview
« On peut se libérer de sa fratrie »
Un frère, une sœur, c’est dès le début de la vie la présence d’un ou d’une autre qui prend une partie du temps et de l’attention des parents. Que l’on soit le premier, le deuxième ou quel que soit son rang, il faut partager. Et les partages ne sont jamais absolument équitables. Ce que nous apprennent les psychologues spécialistes des fratries, c’est que, d’une façon ou d’une autre, nous ne pouvons nous empêcher de jauger, de comparer et de compter les avantages dont chacun a bénéficié. Alors, face à cette situation, certes bizarre et peu confortable, deux clés vous sont o ertes. La première ouvre la porte de l’indépendance, de la libération des rancœurs anciennes nées de ces décomptes de l’a ect. Elle s’obtient au prix d’un travail personnel, parfois accompagné d’un thérapeute. La seconde consiste à être attentifs, en tant que parents, à ce qui se passe entre nos enfants. Car derrière une chamaillerie ou une dispute peut se nicher le début d’une relation asymétrique et génératrice de frustration. Et comme vous le découvrirez dans ces pages, détecter et agir à temps permet d’éviter que ces graines de discorde ne viennent empoisonner les relations futures. Se libérer tout en veillant à l’épanouissement des plus jeunes, voilà un défi qui en vaut la peine !
Sébastien Bohler
Dès le plus jeune âge, une forme de compétition s’instaure entre enfants d’une même fratrie. Héritage biologique de notre évolution, cette rivalité peut durer des années. Les parents disposent de plusieurs leviers pour en limiter l’impact.
Par Bruno Humbeeck, psychopédagogue, docteur en sciences de l’éducation, chargé d’enseignement à l’université de Mons, en Belgique, et responsable du Centre de ressource éducative pour l’action sociale (Creas).
EN BREF
£ Taquineries, chamailleries et disputes sont le lot quotidien des familles.
£ Ces comportements sont l’expression d’une compétition qui plonge ses racines dans le passé lointain de notre espèce.
£ Bien encadrés, ils prennent la forme d’un jeu et de tentatives de socialisation. Dans le cas contraire, ils génèrent jalousies, rancœurs tenaces et forment le terreau de futurs conflits.
£ Pour éviter d’en arriver là, les parents doivent être vigilants et aider leurs enfants à construire une fraternité qui n’a rien d’inné.
Mes enfants n’arrêtent pas de se disputer… Les deux filles se chamaillent sans cesse… Le petit taquine continuellement le plus grand… Quand ce n’est pas le plus grand qui, pour un oui ou pour un non, entre en conflit avec son petit frère… Comment réagir en tant que parent ? Peut-on laisser faire en espérant qu’ils fniront à la longue par apprendre à s’entendre ? Est-il possible, au contraire, de transformer la taquinerie, la chamaillerie ou les disputes entre enfants en opportunités éducatives ?
Pour savoir quelle attitude tenir, il faut savoir que la rivalité entre frères et sœurs s’appuie sur un socle biologique. Être préféré par rapport aux autres, c’est potentiellement jouir de certains avantages, notamment pour la protection des parents en cas de danger ou l’accès à la nourriture. Pendant des centaines de milliers d’années, les humains ont vécu dans
des sociétés où les ressources n’étaient pas illimitées, où les dangers étaient nombreux et où celui qui bénéfciait des faveurs parentales avait logiquement plus de chances de survie que les autres. Cela s’observe aussi chez de nombreuses espèces de mammifères, où l’investissement parental (qu’il s’agisse des soins, de la protection, de l’allaitement ou de la nourriture) peut être inégal, et parfois se porter sur le rejeton le plus résistant (c’est encore plus vrai parmi les nichées d’oiseaux). Ainsi, le zoologue américain Douglas Mock, de l’université de l’Oklahoma, a largement détaillé les espèces d’animaux où les frères et sœurs d’une même portée sont en compétition pour accéder à la nourriture prodiguée par leurs géniteurs, du fait que leur survie en dépend. Les éthologues parlent dans certains
La taquinerie se situe à mi-chemin entre la conduite de jeu et l’agressivité territoriale, entre le ludique et l’invasif.
Pour distinguer la taquinerie ludique de la provocation agressive, deux formules simples peuvent servir d’aide-mémoire :
Taquinerie + Consentement explicite + Plaisir partagé = Taquinerie ludique
Taquinerie – (Plaisir partagé + Consentement) = Provocation agressive
Comment déchi rer ces formules ? Les comportements taquins, quand ils sont accompagnés de consentement explicite de la part de l’autre et qu’ils débouchent sur un plaisir partagé, relèvent de la taquinerie ludique. Dans ce cas de figure, ils sont ino ensifs, et même encouragés pour le développement des relations entre enfants.
Les comportements taquins, mais non consentis et sans plaisir partagé, relèvent de la provocation agressive et doivent être stoppés par les parents.
LES CHOSES À DIRE DANS CE CAS :
– Ta sœur ou ton frère n’a pas envie de jouer.
– Si celui que tu taquines n’est pas d’accord, tu dois le (la) laisser tranquille.
– Tu ne peux pas forcer ton frère (ou ta sœur) à jouer s’il (si elle) n’en a pas envie.
– Ne t’inquiète pas, il (elle) t’a vu(e), mais, pour le moment, il (elle) n’a pas envie de jouer.
– Ne t’inquiète pas, on a vu que tu étais là et dès qu’on aura le temps, on viendra jouer avec toi, mais pour le moment ce n’est pas le cas.
LES CHOSES À NE PAS DIRE :
– Arrête d’embêter ton frère ou ta sœur (cette injonction ne permet pas à l’enfant d’apprendre que la participation à un jeu interdit la contrainte. Le plus souvent, l’enfant répondra : « Je ne l’embête pas, je joue ! », ce qui montre qu’il n’a pas intégré la notion de partage librement consenti).
– Tu es vraiment un casse-pieds.
– (À la cible des taquineries) Laisse-le (la) faire. C’est juste une taquinerie.
cas de « fratricide adaptatif » pour désigner les situations où un frère en élimine un autre pour s’approprier les ressources disponibles et augmenter ses chances de survie. L’éthologue Sofa Wahaj, de l’université de Californie à Berkeley, a ainsi pu montrer que c’est notamment le cas chez de nombreuses espèces d’oiseaux ou chez les hyènes tachetées lorsque les sources d’alimentation sont limitées.
Les primates ne sont pas en reste : ainsi, la biologiste Axelle Delaunay, de l’institut des sciences de l’évolution de Montpellier, a pu montrer que chez les babouins chacma, la naissance d’un petit frère ou d’une petite sœur crée un stress aigu chez le petit singe, qui cherche constamment à interrompre les interactions de sa mère avec ce nouveau-né, afn de conserver l’attention de celle-ci, fût-ce au prix d’un danger pour le bébé. Nulle surprise si le frère ou la sœur n’est pas spontanément et inconditionnellement un allié, puisqu’il représente aussi potentiellement un rival, voire un concurrent.
Évidemment, l’espèce humaine est en partie héritière de ces processus de sélection. Les premières civilisations humaines comptent, parmi leurs récits fondateurs, de telles histoires de fratricides sur fond de compétition pour la préférence du père (voire de Dieu), une des plus connues étant le meurtre d’Abel par son frère, Caïn, dans la Bible. Et plus près de nous, dans de nombreuses sociétés, le patrimoine familial est transmis en priorité à l’aîné afn de ne pas éparpiller les avoirs de la famille (au sein de la noblesse, cela a donné lieu à la règle de la primogéniture masculine au Moyen Âge). Au point que certains chercheurs comme Frank Sulloway, de l’université de Californie à Berkeley, montrent les
Pour y voir plus clair, voici un questionnaire de type « autoréflexif ». Il se compose d’un ensemble de questions que le parent peut se poser à lui-même pour savoir s’il fait bien la di érence entre une taquinerie ludique ou une agression, afin d’agir en conséquence.
COMPOSANTE LUDIQUE DES COMPORTEMENTS DE TAQUINERIE
Chez l’enfant taquineur
Très présente
INDICATEURS DE CONSENTEMENT
Complètement absente
Assentiment explicitement donné par les deux enfants
Chez l’enfant taquiné
Très présente
Tendance de l’un des enfants à ne pas tenir compte des refus clairement exprimés
Rapport de pouvoir équilibré
INDICATEURS DE PLAISIR PARTAGÉ
Rires équitablement répartis
Tendance mutuelle à établir la relation
Souhait partagé de poursuivre l’activité ludique commune
différentes stratégies employées par les individus pour mieux tirer leur épingle du jeu : l’aîné, plus grand et fort physiquement dans les premières années, assoira ainsi plus souvent son pouvoir par la domination physique, privant les plus petits de leur ration de nourriture (ce que l’on voit aussi parmi les fratries de veaux, de chiots et même de jeunes phoques, où le plus fort physiquement bouscule les autres pour accéder à la mamelle), alors que le plus petit développe des stratégies d’apitoiement des parents ou d’intelligence sociale pour former des alliances avec les autres…
AVEC QUI IL FAUT COHABITER
Mais les liens affectifs et la capacité de coopération instaurent souvent une complicité et un attachement puissants entre frères et sœurs. De sorte que la rivalité biologiquement façonnée par l’évolution y coexiste avec le sentiment d’attachement fraternel. Il en résulte aussi que ce dernier ne s’imposera pas toujours de soi et devra être encouragé et guidé par des parents attentifs. La famille, premier espace naturel de socialisation de l’enfant, devra nécessairement par l’éducation s’efforcer de maîtriser le substrat biologique des
Complètement absente
taquineries, des chamailleries et des disputes pour que l’enfant y prenne ses premières leçons pour apprendre à vivre en société.
La question fondamentale qui se pose dans la fratrie est celle de la cohabitation avec les autres. En ce sens, la présence des frères et des sœurs est une occasion pour apprendre à vivre ensemble où chaque enfant apprend à socialiser ses comportements d’agressivité hiérarchique, ses conduites d’opposition implicite et ses attitudes de rivalité explicite. Avoir un frère ou une sœur, c’est une chance, notamment parce que cela permet à l’enfant de concevoir d’emblée que le monde se partage et que la fraternité se décline d’abord et avant tout dans une fratrie où chacun doit à la fois veiller à se faire une place suffsante pour se développer et apprendre à laisser à ses semblables la place qui leur est également nécessaire pour grandir. Pour cela, il faut commencer par analyser les formes que peut prendre la rivalité. Le plus souvent, on peut opérer une distinction entre les taquineries, les chamailleries et les disputes. Toutes trois s’appuient sur des fonctions biologiques différentes à l’origine et refètent des enjeux tout aussi distincts. Repérer ceux-ci permet de se donner les moyens d’agir sur les causes véritables de ces trois manières d’entrer en confit dans une fratrie.
Ces petites formules simplifiées doivent vous aider à repérer les ingrédients qui créent le terreau de nombreuses situations de chamaillerie.
Jalousie refoulée
+ Envie inexprimée
= Ressentiment
→ Chamaillerie
Exemple : J’ai le sentiment d’être moins aimé(e) de mes parents, et j’aimerais avoir une chambre aussi grande que mon frère. Je n’ose pas le dire et j’éprouve du ressentiment à son égard.
Sentiment d’e raction de l’espace personnel = Sentiment d’insécurité
→ Chamaillerie
Exemple : Ma grande sœur prend sans arrêt mes a aires sans me demander et vient fouiller dans ma chambre. Je me sens menacé(e).
La taquinerie, tout d’abord, est en quelque sorte l’art de la guéguerre entre frères et sœurs. Plutôt ludique, elle s’observe aussi chez nos cousins les grands singes hominidés comme le chimpanzé, le bonobo, le gorille ou l’orang-outang, et existe probablement depuis 13 millions d’années environ, selon les récentes études d’Isabelle Laumer et ses collègues, de l’institut Max-Planck du comportement animal. Elle prend la forme d’actes de légère provocation, de houspillage… Chez les jeunes primates, ces comportements ont probablement une fonction évolutive, en permettant au singe de tester les frontières sociales dans son groupe, de voir jusqu’où il peut aller, et de mieux cerner les rapports de domination entre les différents membres de la communauté. Le tout dans un contexte relationnel qui, parce qu’il est suffsamment sécurisant pour se révéler ludique, limite les risques de passage à l’acte violent
LE TRIO « TAQUINERIE-CHAMAILLERIEDISPUTE »
Enracinée dans un passé très ancien, cette pratique semble clairement s’être transmise jusqu’aux jeunes humains, au point de s’inscrire dans le répertoire des conduites des enfants. Faire semblant de donner un objet puis le retirer, donner un coup « pour jouer », faire des grimaces, faire irruption dans l’espace personnel de l’autre en y agissant de façon incongrue… De tels comportements s’observent aussi bien chez les petits singes que chez les petits humains. Ils se manifestent dans les relations entre enfants, mais
Blessure de rang + Envie ou jalousie = Jalousie douloureuse
→ Chamaillerie
Exemple : Je suis l’aîné(e) et on a donné un cadeau plus important à mon cadet (ma cadette). En plus, j’ai l’impression qu’on l’aime plus que moi. Je sou re et je me compare, à mon désavantage.
Blessure de prestige + Déficit de reconnaissance
= Mésestime de soi
→ Chamaillerie
Exemple : On parle toujours de mon frère comme du plus intelligent, de celui qui réussit le mieux. Je me demande si je ne suis pas nul(le).
Mauvaise humeur + Stimulations excessives, insu santes ou inappropriées
= Agressivité latente
→ Chamaillerie
Exemple : J’ai des problèmes à l’école, et on exige toujours plus de moi, sans comprendre mes problèmes.
La fraternité ne va pas de soi, elle doit
être encouragée et guidée par des parents attentifs.
aussi dans celles qui lient le petit à un adulte, pour autant que celui-ci soit un proche. La taquinerie ludique doit en effet répondre à un cahier des charges complet qui suppose qu’elle ne se produise que dans le cadre de relations proches, qu’elle s’écarte des normes des comportements attendus, qu’elle permette d’anticiper la réponse de l’autre, et surtout qu’elle se déroule dans un cadre d’interactions mutuellement vécues comme agréables. Le lien entre frères et sœurs remplit toutes ces conditions : quand un enfant prend sa petite auto à son jeune frère, il s’agit d’une relation familière, qui brise une norme (respecter la tranquillité et la propriété d’autrui), dont l’issue est prévisible (l’autre va riposter) et qui doit permettre de s’amuser si les choses ne s’enveniment pas.
Et c’est là sans doute que chez l’être humain, qui a fait du consentement un socle majeur de la construction de ses relations, la taquinerie ludique est une très belle occasion d’apprendre aux enfants que le consentement de chacun est crucial et non négociable. Car la taquinerie se situe à mi-chemin entre la conduite de jeu et l’agressivité territoriale, entre le ludique et l’invasif. Un enfant qui taquine peut être attendrissant, mais aussi agaçant dès lors qu’il ne comprend pas que pour jouer, il faut s’assurer que l’autre soit complètement d’accord pour le faire.
L’APPRENTISSAGE DU CONSENTEMENT
Une taquinerie partagée, c’est un jeu. Une taquinerie imposée, c’est une sorte de provocation agressive. Quand il s’agit de plaisir partagé, il faut donc toujours veiller à recueillir le consentement explicite de celui que l’on implique dans le jeu. Et à cela, c’est aux parents d’y veiller. Sur ce plan, il n’est jamais trop tôt pour apprendre à un enfant que pour ce qui relève du consentement au plaisir partagé, c’est oui ou c’est non. Il n’y a pas d’entre-deux, pas de zone grise.
De ce point de vue, une vigilance particulière doit être exercée par les éducateurs. On ne se méfe pas des taquineries. Le terme même sousentend en effet un petit côté ludique qui laisse penser qu’il est question de s’amuser à contrarier l’autre sans y mettre la moindre intention méchante. Taquiner, on suppose que c’est vouloir embêter par jeu, pour des broutilles, un peu comme le font les chiots dans une nichée quand ils se mordillent mutuellement sans que jamais il ne soit question de mordre qui que ce soit. Mais la répétition du désagrément peut, si elle n’est pas partagée et causée toujours par le même enfant, ressembler non pas à une escarmouche frontale, mais à une guéguerre d’usure sous couvert d’un jeu. Et il y a toujours un mince interstice où peut se glisser une forme de perversion, dans le fait de contrarier l’autre par une sorte de jeu imposé qui ne lui laisse pas véritablement le choix. D’une certaine manière, c’est une façon d’obliger l’autre à accepter de se laisser embêter en exigeant de lui qu’il participe à ce qui est présenté comme un amusement auquel on ne se préoccupe pas de vérifer s’il y prend du plaisir.
En cela, la taquinerie est un jeu un peu tordu dans sa nature. Ces comportements taquins passent le plus souvent à travers le fltre de l’intervention éducative parce que, somme toute, tout cela n’a pas l’air bien méchant et se réalise dans un climat qui apparemment ne contient aucun indice de véritable hostilité. Mais soyons honnêtes, ce n’est pas une façon agréable de
1 QUI EST CONCERNÉ PAR LA CHAMAILLERIE ?
RÉPONSE :
2 CAUSES POSSIBLES DE CHAMAILLERIE
Jalousie
Envie
Répartition des territoires
Rang dans la fratrie
Prestige comparé
Mauvaise humeur exposée à des stimulations excessives, insu santes ou inappropriées
CE QU’IL VAUT MIEUX DIRE POUR GÉRER UNE CHAMAILLERIE :
£ Je vois que tu es jaloux (se) et je devine que ce n’est pas confortable à vivre. Si tu veux, cherchons ensemble comment on peut rendre tout cela plus supportable pour toi.
£ Je comprends que tu envies ton frère (ta sœur) de recevoir des cadeaux le jour de son anniversaire, mais ton tour viendra et tu seras dans sa position le jour de ton anniversaire à toi.
£ Je comprends que tu vives un peu di cilement de voir ton petit frère triompher, mais tu auras, toi aussi, l’occasion d’éprouver de la satisfaction quand, dans ton domaine de prédilection, tu obtiendras à ton tour des succès.
£ Chacun(e) doit chercher à être bon(ne) dans son domaine et ces di érents domaines de réalisation de soi ont tous un prestige équivalent.
£ Laisse ton frère (ta sœur) tranquille. Tu vois bien qu’il (elle) n’est pas d’humeur.
£ J’ai l’impression que ce jeu met ta sœur (ton frère) de mauvaise humeur. Je vous suggère de changer d’activité.
CE QU’IL FAUT ÉVITER DE DIRE POUR GÉRER UNE CHAMAILLERIE :
£ Tu n’as pas à être jaloux (se) de ton frère ou de ta sœur, ce n’est pas beau.
£ Tu n’as pas à éprouver de l’envie pour ton frère (ta sœur). Tu dois être content(e) pour lui (elle).
£ Ce que ton petit frère (ta petite sœur) vient de faire est exceptionnel, tu dois t’associer sans réserve à nos applaudissements.
£ C’est normal que l’on soit davantage fier des résultats scolaires de ton frère (ta sœur) que de tes prestations en football.
£ Tu n’as pas à être de mauvaise humeur !
FRÈRE, SŒUR ET RIVAL
câliner et pas toujours non plus une manière gentille d’embêter. C’est pour cela que Victor Hugo considérait la taquinerie comme la « méchanceté des bons ». Ce magnifque oxymore explique bien le côté ambigu de cette conduite et son aspect un peu paradoxal de jeu qui s’impose, d’un amusement qui oblige.
C’est cette double face, résolument affective mais souvent invasive, de la taquinerie qui explique qu’il ne faut pas la pourchasser avec agressivité ni l’évacuer avec brutalité et sans ménagement, en stigmatisant la faute de celui qui s’est montré taquin, mais qu’il vaut mieux l’éteindre en douceur et néanmoins avec fermeté, en relevant l’obligation que l’on doit toujours se donner dans un jeu de tenir compte du point de vue de l’autre et de s’assurer de sa volonté de jouer.
Concrètement, à un enfant qui ne perçoit pas les limites de ses conduites de taquinerie, il faut pouvoir opposer, en tant qu’adulte, une réponse douce (on est effectivement dans le cadre d’une relation affective de proximité qui, même si elle est invasive, rend toute forme de brutalité incongrue), mais ferme (on ne transige pas avec l’idée de consentement et on n’impose pas le plaisir prétendument partagé à un autre sans avoir recueilli son consentement explicite).
Dialogue + Agressivité hiérarchique verbale implicite = Discussion
Discussion + Agressivité hiérarchique verbale explicite = Dispute
Dispute + Agressivité hiérarchique physique = Bagarre
Cette manière de procéder en douceur, mais avec fermeté, suppose de vérifer la présence d’un véritable consentement chez tous les enfants concernés par la taquinerie et d’un plaisir réellement partagé par tous.
LA CHAMAILLERIE : UN CONFLIT LARVÉ
La taquinerie n’est qu’un des trois visages de la rivalité qui peut naître entre frères et sœurs. Le second est la chamaillerie. Et cette fois, il n’est plus question d’une guéguerre d’usure entre enfants, mais d’un arrière-fond belliqueux permanent qui crée entre eux un climat de confit larvé.
Si les taquineries usent, les chamailleries épuisent. Elles portent généralement sur des futilités, mais traduisent un contexte général d’hostilité provoqué par des causes plus profondes qui tournent autour de la jalousie, de l’envie, de l’agressivité territoriale ou de la lutte pour le prestige.
Ces causes sous-jacentes sont biologiquement fondées : qui va avoir l’accès privilégié aux ressources vitales, à la propriété, au territoire ?
Ces enjeux sont essentiels pour de nombreux animaux sur des périodes très étendues. Mais dans les familles humaines, le confit va être plus ou moins exacerbé par les circonstances
liées au contexte éducatif et socioculturel. Il est important pour le parent d’identifer ce cadre s’il veut éviter de perdre son temps et son énergie à tenter de régler chaque chamaillerie à partir des motifs superfciels qui lui servent de prétexte. Agir en profondeur sur les véritables moteurs des conduites de chamaillerie suppose au contraire de s’attaquer à l’arrière-plan responsable de ce climat hostile.
Celui-ci peut prendre de multiples formes, comme la jalousie… Bien plus qu’un vilain défaut, ce sentiment est une réaction d’un enfant face à la préférence de ses parents envers un de ses frères et sœurs. Une réaction biologique de base, qui est en réalité une demande d’amour. L’envie a aussi des fondements très naturels, proches de ceux du mimétisme : sous l’effet des neurones miroirs, l’enfant désire la même chose que son frère ou sa sœur pour vivre les mêmes émotions positives qu’eux. C’est pourquoi la répartition déséquilibrée des territoires (qui a la plus grande chambre), le rang dans la fratrie (l’aîné hérite souvent de responsabilités supérieures), le prestige social comparé (quel enfant jouit de l’estime des parents ?) induisent une tendance naturelle à la chamaillerie parce qu’il est question de défendre un territoire ou un rang, de manifester sa domination ou de préserver un espace sur lequel on revendique de pouvoir être tenu à l’abri de toute intrusion.
Agir sur l’arrière-fond belliqueux des chamailleries donne incontestablement des résultats plus effcaces et évidemment plus durables que l’action éducative spontanée que l’on peut avoir en s’efforçant de gérer chaque chamaillerie une à une en la déconnectant alors de sa cause profonde. Pour cela, une approche effcace consiste à mettre au jour les motifs de jalousie qui naissent d’une répartition des territoires vécue comme déséquilibrée, ou de marques de reconnaissance données à un enfant et qui peuvent être perçues comme un manque de considération pour le rang des autres. Des phrases comme « Je sais bien que tu es l’aînée et que ce n’est pas toujours facile… », ou « Je comprends que tu puisses avoir le sentiment que ton territoire est plus restreint que celui de ton frère… », ou encore « Cela doit être épuisant de vous comparer l’un à l’autre alors que vos qualités sont différentes et que c’est justement dans ces différences que l’on vous apprécie autant l’un et l’autre », aident ainsi à contextualiser la chamaillerie. En mettant au jour explicitement leur cause plus profonde, elles en diminuent la raison d’être.
Reste le troisième étage de la rivalité, celui des disputes. Les discussions, même animées, sont le lot de toute relation, mais quand elles tournent trop souvent à la dispute, c’est que l’agressivité a pris le pas sur le reste. Cette fois, la guerre verbale est offciellement déclarée, et la possibilité d’en venir aux mains se profle.
1 QUI EST CONCERNÉ PAR LA DISCUSSION OU LA DISPUTE ? RÉPONSE :
2 INDICES D’AGRESSIVITÉ
Le point de vue de chacun(e) est respecté sans que l’on cherche à le modifier
L’opinion/la réflexion de chacun(e) est respectée sans que l’on cherche à la réfuter
L’émotion/le ressenti de chacun(e) est respecté(e) sans que l’on cherche à la ou le contester dans sa légitimité et/ou dans son intensité
Oui Non Indéterminé
CE QU’IL VAUT MIEUX DIRE POUR GÉRER UNE DISPUTE :
£ Je ne veux pas qu’on se dispute.
£ Je veux qu’on arrête de discuter et que l’on respecte le point de vue, l’opinion ou la réflexion de chacun(e).
£ Une émotion, cela ne se discute pas.
£ On va partir de ce sur quoi tout le monde est d’accord pour essayer d’arriver ensemble à une position qui parvient à concilier tous les points de vue (rôle de médiateur).
£ Chacun(e) a le droit de s’exprimer et tout le monde a un pouvoir d’expression égal dans la discussion (rôle de régulateur).
£ Vous pouvez discuter, mais chaque fois que j’estime que quelqu’un va trop loin dans ce qu’il (elle) dit ou dans ce qu’il (elle) fait, j’interviendrai pour fixer les limites (rôle de doseur).
CE QU’IL FAUT ÉVITER DE DIRE POUR GÉRER UNE DISCUSSION OU UNE DISPUTE :
£ C’est lui (elle) qui a raison. C’est toi qui as tort.
£ Cela ne sert à rien de discuter.
£ Entre vous, le dialogue est impossible. Alors, taisez-vous.
£ Dans une discussion, tout est permis. Si tu as des convictions, tu dois te battre jusqu’au bout pour que l’autre finisse par les partager de gré ou de force.
Au stade de la discussion, on peut voir une forme essentiellement verbale d’agressivité hiérarchique. Les membres de la fratrie s’affrontent à coups d’arguments : ces jeux de pouvoir dérivent de la tendance naturelle de l’être humain à s’engager avec ses semblables dans des luttes qui entretiennent les rapports de domination, fgent momentanément les statuts des uns et des autres, et entérinent l’idée que l’enjeu d’une interaction est de prendre le pouvoir sur son vis-à-vis, de manifester sa puissance ou d’établir son autorité.
L’objectif essentiel d’une discussion est, dans un tel cadre, de prendre le pas sur l’autre, de sortir vainqueur d’une joute verbale dans laquelle il serait essentiellement question de convaincre son interlocuteur, de rogner en partie ou totalement ses convictions et d’avoir le plus possible raison contre lui. Dans l’idéal, si la discussion accouche d’un vainqueur, le vaincu en serait réduit à devoir reconnaître ses torts.
LES DISPUTES, UNE « AGRESSIVITÉ HIÉRARCHIQUE »
Le débat, qu’il soit ou non politique, constitue une mise en scène publique de la discussion au terme de laquelle, puisqu’elle se réalise en public – et les parents forment de ce point de vue pour les enfants un public de choix –, il sera essentiellement question de chercher l’approbation des
spectateurs de façon à adouber le statut de dominant de celui qui l’a emporté et de confrmer ainsi à la vue de tous le statut de dominé de celui qui a été défait lors de la joute verbale. C’est pour cela que les enfants lorsqu’ils discutent, et plus encore lorsque leurs échanges dégénèrent en dispute, viennent si souvent chercher leurs parents en espérant bénéfcier de leur approbation et donc de leur soutien dans la lutte de pouvoir qu’ils mènent au sein de la fratrie. Les « Maman, il m’a dit cela ! » et autres « Papa, elle m’a fait ceci ! » ne visent pas autre chose que d’inviter le parent à adouber un vainqueur en prenant résolument son parti.
Être déclaré vainqueur d’une lutte rituelle, gagner du terrain sur le territoire de pensée de l’autre, convaincre, conquérir, l’emporter, gagner ou perdre la face, voilà bien un ensemble de termes qui indiquent qu’avec la discussion on se retrouve clairement face à une conduite dont les ressorts reposent essentiellement sur l’agressivité hiérarchique. On est bien loin du dialogue qui suppose le croisement de deux raisons. Il s’agit ici de la confrontation indirecte de deux positions, voire, si la discussion tourne en dispute, de leur affrontement direct.
Comment faire face à ces situations lorsqu’on est un parent ? La première stratégie consiste à ne pas autoriser cette agressivité en exigeant le
Les « Maman, il m’a dit cela ! » et autres « Papa, elle m’a fait ceci ! » ne visent pas autre chose que d’inviter le parent à adouber un vainqueur en prenant résolument
respect d’opinions, de sentiments, de réfexions ou de points de vue amenés à coexister sans que l’un prenne le pas sur l’autre. Une seconde stratégie, qui demande plus d’énergie et de doigté, consiste à agir sur l’objet précis de la discussion ou de la dispute en levant les malentendus, en encourageant une écoute respectueuse et bienveillante, et en jouant un rôle de médiateur dès lors que l’enjeu est de faciliter un accord entre les enfants, de régulateur quand il s’agit de moduler les jeux de pouvoir au sein de l’interaction, ou de doseur lorsqu’il est question de tempérer les excès des uns ou des autres.
QUELLE MARGE DE MANŒUVRE
POUR LES PARENTS ?
Quelle forme une telle intervention peut-elle prendre dans un cas concret ? Imaginons deux enfants qui discutent à l’arrière de la voiture à propos du choix du dessin animé qu’ils ont l’intention de regarder ensemble sur le seul écran à leur disposition. La discussion, qui porte dans un premier temps sur la qualité de ce que chacun souhaite regarder, vire rapidement à la dispute et tourne même en une bagarre, qui impose l’intervention de l’adulte.
Celui-ci peut alors être tenté d’adopter la stratégie 1 en interdisant purement et simplement la dispute par un « Puisque c’est comme
cela, personne ne joue ! » impératif, qui présente l’avantage de mettre fn immédiatement aux hostilités et sanctionne les deux enfants, sans toutefois leur apprendre quoi que ce soit dans l’art de dialoguer et de trouver à s’entendre.
L’adulte peut également, s’il en prend le temps et veut s’en donner les moyens (ce qui lui imposera éventuellement de garer son véhicule pour ne pas se laisser distraire de sa conduite), s’engager dans les voies de la stratégie 2. Il s’attachera alors à faire en sorte que chacun écoute le point de vue de l’autre en acceptant qu’il soit différent du sien (« Ton frère préfère un autre dessin animé et c’est son droit. ») – c’est ce que l’on appelle le rôle « modérateur » du parent –, en évitant que ce soit toujours l’aîné ou, au contraire, le cadet qui l’emporte à chaque fois (« Ce n’est pas parce que tu es l’aînée que l’on doit faire comme tu le veux. » ou « Ce n’est pas parce que tu es le plus petit que l’on doit céder à tous tes caprices. ») – c’est alors le rôle de modulateur de l’adulte qu’il joue –, ou en mettant en place un système d’alternance qui évite que ce soit toujours le même qui choisisse le dessin animé à regarder (« Pour ce trajet-ci, c’est ta sœur qui choisit. Pour le suivant, ce sera toi. »), en exerçant alors une fonction de doseur dans les jeux de pouvoir entre enfants.
SUR LA VOIE DE LA COHABITATION
Bibliographie
I. B. Laumer et al., Spontaneous playful teasing in four great ape species, Proceedings of the Royal Society B Biological Science, 2024
S. Angel, Des frères et des sœurs : les liens complexes de la fraternité, Robert La ont, 1996
E. Widmer, Les Relations fraternelles des adolescents, PUF, 1999
Finalement, que faire des rivalités entre frères et sœurs quand on est parent ? Que ce soit la taquinerie, les chamailleries ou les disputes, chacun de ces comportements peut être l’occasion d’un apprentissage. Pour la taquinerie, c’est la question du consentement clairement exprimé qui est en jeu. Les parents peuvent être les vecteurs de cet apprentissage. En ce qui concerne les chamailleries, l’enjeu sera de traiter les problèmes de fond – notamment en s’interrogeant sur l’origine des jalousies – et non de régler les situations en surface. Quant aux disputes, c’est l’étape ultime qui doit obliger à dialoguer sans agressivité en respectant la manière de penser de l’autre. Voilà trois belles occasions éducatives dont l’adulte pourra se saisir pour que les rivalités dans la fratrie deviennent la source de véritables leçons de fraternité. À condition que ces situations confictuelles ne provoquent pas de sa part une réaction de démission. Le danger, pour les parents, serait de considérer que tout cela n’est qu’un remue-ménage qui ne les concerne pas, auquel ils ne veulent pas se mêler de crainte de s’embourber dans des confits d’enfants sans intérêt. Ils commettraient alors une grave erreur, dont les conséquences pourraient accompagner les enfants dans leur vie d’adulte. £
Par Aglaé Navarre, Cyril Thomas et André Didierjean.
Face aux « fake news » qui pullulent sur le web, nous croyons le plus souvent pouvoir démêler le vrai du faux. Problème : des jours ou des semaines plus tard, nous avons mémorisé l’information, quelle que soit sa véracité. Et elle pourrait même influer sur nos comportements…
«ÀSpringfield [aux États-Unis], les migrants mangent les chiens et les chats des habitants ! » Cette fake news, lancée par Donald Trump lors de son débat télévisé contre la candidate démocrate Kamala Harris, vous a peut-être fait sourire tellement elle est absurde… Pourtant, de récentes études scientifques ont montré que, même si vous savez pertinemment qu’il s’agit d’une fausse information, le seul fait d’y avoir été exposé pourrait avoir des conséquences sur votre mémoire et vos comportements. De nos jours, que l’on soit ou non accro aux réseaux sociaux, une part importante des informations qui nous parviennent sont issues de sources peu fables. En démocratisant la parole, les réseaux font de chaque utilisateur une source potentielle de données. Cette abondance crée un environnement où les faits avérés se mêlent aux faux. Une des questions qui se posent est
évidemment le crédit que nous pouvons apporter à ces différentes allégations. Mais il en est une autre, tout aussi préoccupante : quelle trace laissent-elles sur notre mémoire ? Se pourrait-il que, même en ayant identifé une source comme farfelue ou mensongère, l’information correspondante s’y imprime et que, des jours ou des semaines plus tard, une fois qu’on a oublié sa provenance, elle soit classée parmi les faits réels ? Pour répondre à ces questions, des chercheurs étudient depuis plusieurs années l’impact des fake news sur notre mémoire.
INFO GROTESQUE ? ON Y ADHÈRE PARFOIS !
Ainsi, en 2018, le psychologue Robert Nash, de l’université de Birmingham en Angleterre, et ses collègues mènent une expérience sur les conséquences d’informations manifestement fausses. À la moitié de leurs participants, ils montrent
de véritables photographies d’événements ayant suscité l’intérêt médiatique à Londres. À l’autre moitié, ils présentent des images de ces mêmes situations, mais truquées. Par exemple, des pancartes anti-Jeux olympiques et des policiers sont ajoutés à une photographie du relais de la famme olympique, prise lors des JO de Londres, en 2012, et le visage d’un athlète sur l’image est transformé de manière qu’il paraisse effrayé. Pour certains des volontaires de cette étude, les modifcations restent de l’ordre du plausible ; mais pour d’autres, elles le sont beaucoup moins : le truquage est réalisé de façon grossière, avec des erreurs évidentes telles que des proportions étranges (une moto bien
trop grande par rapport à son conducteur), des couleurs atypiques ou encore des éléments anormaux comme un vélo auquel il manque une roue. Les résultats font tout d’abord apparaître que l’exposition à des fake news altère bien la mémoire des événements. En effet, interrogés immédiatement après l’expérience sur leur souvenir du relais de la famme, les participants exposés à la photo truquée (que ce soit de manière subtile ou grossière) se rappellent la présence d’un nombre important de manifestants hostiles parmi les spectateurs. Ce qui n’est pas observé chez les participants ayant vu la photographie authentique. Plus étonnant encore : la proportion de faux souvenirs
Pensez-vous vraiment que les migrants mangent les chats ? Probablement pas, mais cette fake news de Donald Trump s’imprimera peut-être dans votre mémoire…
de l’événement est la même, que le trucage soit crédible ou non. Ainsi, on peut savoir à un moment donné qu’une information est fausse, mais se la rappeler par la suite comme si elle était vraie…
Pour comprendre l’infuence des fake news sur la mémoire, il faut analyser les mécanismes cognitifs responsables des faux souvenirs. Une des conceptions largement acceptées par les scientifques pour expliquer leur émergence est la « théorie du contrôle de la source ». Elle suggère que les connaissances mémorisées sont parfois stockées sans leur contexte d’origine. Par exemple, si vous apprenez quelque chose de nouveau à partir d’un post sur X (ex-Twitter), vous vous rappellerez quelques jours plus tard l’information contenue dans le post, mais pas forcément d’où elle provient. On retient le message, pas la source. Le problème, c’est que si vous oubliez d’où vous tenez l’information, vous risquez de l’associer à une source plus crédible que celle dont elle provient réellement. Par exemple, votre propre vécu ou celui de vos proches en qui vous avez confance. Cette confusion de la source serait l’une des principales causes de faux souvenirs. Comment se prémunir de ce phénomène ? On pourrait être tenté de répondre : en disposant de bonnes connaissances sur le sujet concerné. Par exemple, si je suis médecin, je devrais être moins enclin que d’autres individus à croire n’importe quelle information trouvée sur les réseaux sociaux concernant la dangerosité des vaccins… Cela peut sembler en effet logique à première vue. Sauf que dans les faits, cette expertise ne fonctionne pas forcément pour les faux souvenirs. Ainsi, en 2017, Anthony O’Connell, de l’université de Cork, en Irlande, et Ciara Greene, de l’université de Dublin, ont réalisé une expérience dans laquelle ils demandaient à des volontaires d’indiquer leur degré d’intérêt pour différents domaines tels que le football, la politique ou encore la musique. Immédiatement après, les chercheurs les ont exposés à de fausses informations sur ces thèmes, puis ont testé leur mémoire au bout de quelques jours. Le résultat est surprenant : plus les personnes déclaraient s’intéresser à un sujet et s’y connaître, plus elles étaient susceptibles de développer de faux souvenirs après l’exposition à des fake news relatives à ce domaine. De plus, l’environnement digital dans lequel nous évoluons renforce cette vulnérabilité : en effet, les algorithmes des réseaux sociaux sont conçus pour nous proposer des contenus dans les domaines qui nous importent le plus. Par conséquent, les informations erronées auxquelles nous
sommes exposés concernent souvent des thèmes dont nous sommes familiers et pour lesquels nous possédons beaucoup de connaissances.
EN BREF
£ Plusieurs études révèlent que les fake news modifient nos souvenirs et pourraient influencer nos actes. Par exemple, certaines personnes refusent la vaccination, car, au fil du temps, elles se souviennent d’informations qu’elles avaient d’abord jugées peu crédibles, mais qu’elles croient désormais vraies…
£ Après avoir vu une fake news, notre cerveau en retient le contenu, mais pas toujours la source, ce qui rend di cile l’analyse critique.
£ Pour se prémunir de tels faux souvenirs, une solution est le fact-checking, qui consiste à vérifier la véracité des informations.
TOMBENT DANS LE PANNEAU
Une première explication à cet effet paradoxal est en lien avec la théorie du contrôle de la source. Plus une personne possède de données en mémoire sur un même sujet, plus elle risque de confondre leurs différentes sources lorsqu’elle essaie de se les remémorer. D’autre part, lorsque quelqu’un se considère comme expert sur une question, il lui est assez désagréable de s’avouer qu’il ne connaît pas un fait potentiellement marquant ayant eu lieu dans ce domaine. Ainsi, la crainte de paraître ignorant l’amène sans doute à accepter plus facilement les fausses informations qui lui sont présentées comme étant vraies, puis à développer de faux souvenirs.
D’autres facteurs que le niveau de connaissances ou d’expertise semblent accentuer le phénomène de faux souvenirs. C’est notamment le cas de l’appartenance idéologique. En 2019, Gillian Murphy, de l’université de Cork, en Irlande, et ses collègues ont étudié cet aspect en tirant parti d’un événement qui a profondément divisé l’opinion publique en Irlande en 2018 :
les réseaux sociaux et la démocratisation de la parole, une part importante des informations qui nous parviennent proviennent de sources peu fiables, d’où le risque de créer des souvenirs
de données fausses.
le référendum sur l’abrogation de l’amendement constitutionnel interdisant l’avortement. Ce débat a opposé deux camps, les partisans et les opposants du droit à l’avortement.
Une semaine avant le vote, les chercheuses ont diffusé un questionnaire en ligne dans lequel des volontaires devaient communiquer leur intention de vote – pour ou contre l’abrogation –, avant d’être confrontés à l’évocation d’une série d’événements ayant eu lieu pendant la campagne précédant le vote. Certains de ces événements s’étaient vraiment produits, d’autres étaient créés de toutes pièces pour l’occasion. À noter qu’aucun ne concernait la question de l’avortement (afn d’éviter tout effet de l’expérience scientifque sur le vote à venir) ; ils portaient essentiellement sur les actions, positives ou négatives, des hommes politiques impliqués dans la campagne de chacun des camps. Après avoir lu les récits (qu’ils soient réels ou inventés), les participants devaient choisir l’une des options suivantes : « Je me souviens d’avoir vu cela » ; « Je ne me remémore pas avoir vu cela, mais je me rappelle que cela s’est produit » ; « Je n’en ai aucun souvenir » ; ou « J’ai un souvenir différent de la façon dont cela s’est passé ». Seules les deux premières réponses signaient la présence d’un faux souvenir quand l’événement était fctif.
Les résultats ont montré qu’en moyenne 36 % des sujets déclaraient se rappeler de fausses situations. De façon spectaculaire, ce taux atteignait près de 50 % lorsque le faux événement incriminait le camp adverse ou valorisait leur propre position idéologique. Une autre étude, menée par les mêmes chercheuses lors du débat « pour ou contre le Brexit », au Royaume-Uni en 2021, a abouti aux mêmes conclusions, confrmant l’effet des convictions idéologiques sur la tendance à créer de faux souvenirs. Ainsi, notre mémoire est d’autant plus susceptible d’être infuencée par des fake news que ces dernières vont dans le sens de nos croyances…
QUELLES CONSÉQUENCES
SUR NOS COMPORTEMENTS ?
Biographie
Aglaé Navarre est postdoctorante à l’université de FrancheComté, à Besançon.
Cyril Thomas est maître de conférences à l’université de FrancheComté.
André Didierjean est professeur des universités en psychologie à l’université de Franche-Comté.
Si les fake news contaminent notre mémoire, qu’en est-il de leur impact sur nos comportements du quotidien ? Sur ce point, les recherches de ces dernières années ne brossent pas un tableau très encourageant. En 2005, la chercheuse américaine en sciences cognitives Elizabeth Loftus et son équipe ont découvert que l’implantation d’un faux souvenir chez un individu pouvait infuencer ses actes. Dans une de ces expériences, les chercheurs faisaient croire à une personne qu’elle avait été malade quand elle était enfant après avoir ingéré un aliment périmé. Une fois vérifé que cette information était devenue un faux souvenir chez cette personne (elle se rappelait que cela lui était arrivé dans son enfance), ils ont constaté que celle-ci réduisait ensuite sa consommation de ce produit…
Dans le monde réel, il existe plusieurs exemples probants où la désinformation a contribué à des changements de comportements en ayant créé des faux souvenirs. Ainsi, certaines personnes ont mémorisé les allégations erronées qui ont affrmé que le vaccin ROR (rougeole, oreillons, rubéole) causait l’autisme, ce qui a provoqué une chute des vaccinations. En 2021, pendant la crise du Covid-19, Ciara Greene et Gillian Murphy ont également mené une étude en laboratoire pour évaluer l’infuence des faux souvenirs engendrés par les fake news sur nos comportements. En effet, dans le contexte de la pandémie, de nombreuses informations erronnées ont circulé, suscitant des craintes quant à une possible baisse de l’adhésion de la population à la vaccination. Dans leur expérience, les chercheuses ont exposé des volontaires à des affrmations vraies et fausses sur le coronavirus. Pour des raisons éthiques, les données truquées étaient suffsamment insignifantes pour ne pas interférer avec les campagnes de vaccination.
Bibliographie
J. Carey et al., The ephemeral e ects of factchecks on COVID-19 misperceptions in the United States, Great Britain and Canada, Nature Human Behaviour, 2022.
C. M. Greene et G. Murphy, Quantifying the e ects of fake news on behaviour : Evidence from a study of COVID-19 misinformation, Journal of Experimental Psychology : Applied, 2021.
C. Greene et al., Misremembering Brexit : Partisan bias and individual predictors of false memories for fake news stories among Brexit voters, Memory, 2020
G. Murphy et al., False memories for fake news during Ireland’s abortion referendum, Psychological Science, 2019. Pour lutter contre les fake news, certains médias, comme Le Monde, ont créé des rubriques de fact-checking afin de vérifier les faits et leurs sources.
Par exemple, l’une d’elles déclarait : « Une étude de l’University College of London a montré que boire plus de trois tasses de café par jour réduit les symptômes graves du coronavirus. Les chercheurs continuent d’explorer les liens entre la caféine et le système immunitaire. » Après avoir lu ces déclarations (vraies et fausses), les participants devaient indiquer s’ils se souvenaient de ces événements, puis répondre à des questions sur leurs intentions de modifer leur comportement en accord, ou pas, avec les recommandations lues – par exemple, augmenter leur consommation de café. Les résultats ont montré, comme prévu, que certaines personnes ont développé de faux souvenirs, croyant à tort avoir déjà entendu les informations inventées. De plus, nombre de ces dernières ont déclaré qu’elles allaient adopter de nouveaux comportements – et donc boire davantage de café ! Même s’il ne s’agit que d’intentions, ces résultats révèlent que les fake news pourraient modifer nos comportements quotidiens en engendrant de faux souvenirs.
PEUT-ON LIMITER L’INFLUENCE
DES « FAKE NEWS » ?
Que faire, dans ce contexte, pour éviter d’être les victimes des fake news ? De nombreuses études se sont penchées sur cette question importante, avec des résultats contrastés… La méthode la plus couramment utilisée est le fact-checking, soit en français « vérifcation des faits », qui consiste à apporter des arguments sourcés pour corriger les fausses informations. Ainsi, la plupart des grands médias français se sont dotés de rubriques de fact-checking – par exemple, « Desintox » dans Libération ou « Les décodeurs » dans Le Monde.
En 2022, John Carey, du Dartmouth College, aux États-Unis, et ses collègues ont examiné l’effcacité de cette approche pour contrer l’adhésion aux fausses affrmations sur le Covid-19. Dans un premier temps, les chercheurs ont évalué le degré d’acceptation non seulement de vraies informations sur la pandémie – comme « le Covid se propage dans l’air » –, mais aussi de fausses – telles que « l’hydroxychloroquine peut guérir le virus » ou encore « le Covid-19 serait une arme biologique chinoise ». Dans un second temps, seule la moitié des participants lisaient des articles qui démentaient les données erronées en s’appuyant sur des travaux scientifques – c’était le groupe du fact-cheking. Résultat : à court terme, les chercheurs observent bien une réduction de l’adhésion aux fake news dans le groupe de personnes occupées à faire du fact-checking. Mais ce bénéfce ne dure pas longtemps. Quand on teste de nouveau les participants quelques semaines plus tard, leur adhésion aux fausses informations devient semblable à celle du groupe de volontaires n’ayant pas eu accès aux données scientifques. Ainsi, lorsque nous nous remémorons une donnée, soyons particulièrement circonspects vis-à-vis de ce souvenir quand nous n’arrivons plus à en identifer la source. Prendre le temps de retrouver la façon dont on l’a reçue et la personne de qui on la tient procède certainement d’une bonne hygiène informationnelle pour lutter contre les fake memories… Et quand on a une certaine connaissance d’un domaine, rappelons-nous toujours que, paradoxalement, cela peut constituer plus un point de vulnérabilité qu’un rempart contre cet effet particulièrement insidieux. £
L’insomnie est un trouble sociétal. Elle touche les personnes en situation de mal logement, les familles que l’on expulse à répétition sans solutions alternatives, dont le sommeil est empreint de doutes, d’angoisses et dont la vie est faite d’errance.
INTERVIEW
PROFESSEUR DE PSYCHOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT DE L’ENFANT ET DE L’ADOLESCENT
La série coréenne phénomène, qui met en scène un jeu dont les perdants sont froidement abattus, revient le 26 décembre avec une saison 2. Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement de l’enfant et de l’adolescent, décrypte les ressorts neuropsychologiques de sa mise en scène et les raisons de son succès auprès d’un jeune public.
Squid Game comporte un avertissement pour les moins de 16 ans. Cette restriction vous paraît-elle appropriée ? Vu le degré et la récurrence de la violence présentée, je pense que oui. Des centaines de joueurs sont abattus par un robot, tués à bout portant par des gardes ou précipités dans le vide, sans parler des cadavres ouverts sur une table d’opération de fortune. Le dispositif installé dans la première saison est repris avec des fcelles similaires dans la saison 2. Pour autant, d’autres fctions formellement comparables ne sont pas interdites aux jeunes. Ce qui fait la différence de Squid Game avec celles-ci tient dans l’idéologie que la série véhicule : les personnages, criblés de dettes, pensent n’avoir d’autre solution que de participer à ce « jeu » sadique à 30 millions d’euros où les perdants doivent mourir. Cela décrit une société ultracompétitive qui a basculé : le ratio coût/bénéfce, qui guide nos choix en situations complexes, est devenu permanent et si ultime que l’on accepte de jouer sa vie pour de l’argent. À 16 ans, on peut commencer à réféchir à ce type de critique de la société et voir ce genre d’images. Il est important de ne pas céder à la tentation de vouloir interdire toute violence aux moins de 18 ans, et ainsi de conserver une gradation (à 10, 13 et 16 ans) afn d’exposer progressivement enfants et adolescents à une violence à laquelle ils assisteront hélas tôt ou tard, en regardant les informations, dans les transports en commun, à l’école, et parfois même dans leur propre foyer.
Le film Le Prix du danger (1983) avait déjà mis en scène un homme jouant sa vie pour de l’argent. Est-ce l’aspect massif de Squid – avec ses 456 joueurs – qui provoque un e et choc ?
Probablement, mais ce qui est frappant et crée un certain malaise, c’est l’esthétique rose bonbon des décors et le recours à des jeux enfantins, qu’il s’agisse de « 1, 2, 3, soleil ! » ou du jeu de billes, pour éliminer les
participants. C’est pour cela que la série est subversive : elle détourne l’univers supposément rassurant de l’enfance en une situation ultramenaçante où les êtres humains, en état de stress permanent, ne sont que des pions en sursis. Le paradoxe fonctionne à plein : dans ces espaces de jeu monumentaux, où ils se sentent tout petits, comme des enfants, la violence paraît irréelle, comme dans Fortnite et autres jeux vidéo, avec leur fameux mode « battle royal » où « il ne doit en rester qu’un ». Cela contraste avec les scènes de la vie quotidienne des personnages en dehors du jeu : tout y est gris et déprimant, et la
sorcière anthropophage. Et que dire de la célèbre saga des Atrides, d’Agamemnon à Oreste en passant par Iphigénie et Hélène de Troie, qui fourmille de meurtres, d’enlèvements, de viols et même de cannibalisme ! Mais la forme des récits est importante : les images ont toujours un effet plus percutant. On peut plus facilement se distancier d’un texte et réguler les émotions qu’il induit. Même si Squid Game ressemble à un conte macabre, proche de la tragédie grecque, il me semble plus risqué d’y exposer un jeune public. D’autant que la série offre une certaine esthétisation de la violence, en partie grâce à des décors
violence qui s’y exerce semble moins acceptable sans couleurs pastel. Cela me fait penser à Charlie et la chocolaterie, univers apparemment doux et sucré où il se passe en fait des choses horribles…
… que l’on fait lire – et voir –à nos enfants ! Alors pourquoi la série coréenne est-elle tant décriée ?
C’est vrai que les contes, la mythologie grecque et les tragédies qu’on étudie au lycée laissent songeur. Pensez à Hansel et Gretel, abandonnés par leurs parents et aux prises avec une
inouïs comme l’escalier impossible emprunté à Maurits Cornelis Escher.
Des enfants de 10 ans avaient reproduit les jeux de la saison 1 dans la cour de récré, parfois en frappant les perdants… Que faire si un enfant a vu la série malgré la restriction aux plus de 16 ans ? Il faut qu’il puisse en parler avec ses parents ou, vu qu’il leur a potentiellement désobéi, avec d’autres fgures référentes. Il doit se sentir en confance pour leur dire s’il a été exposé à des scènes qu’il aurait
« SQUID GAME » : LA VIOLENCE ROSE BONBON EST DE RETOUR !
préféré ne pas voir et, éventuellement, ce qu’il a ressenti. Sur Netfix, le contenu n’est pas accessible depuis un profl « jeunesse », il est donc possible d’y exercer un contrôle parental. Mais si un enfant utilise le compte de ses parents, l’esthétique colorée et géométrique du visuel et de la bande-annonce peut bien sûr l’attirer, en plus de l’effet séduisant de l’interdit. Netfix, Youtube ou TikTok, où circulent des extraits de la série, ont la responsabilité de s’assurer de l’âge des internautes. L’analyse de nos comportements, grâce aux horaires de visionnage, permet sans doute de déduire qui est connecté au terminal. Les plateformes devraient aller encore plus loin et mettre en place des dispositifs de vérifcation fable de l’âge des utilisateurs pour protéger le jeune public.
Pourquoi un enfant de 10 ans régule-t-il moins bien les émotions liées à des images violentes qu’un ado de 16 ans, lui-même moins bien armé qu’un adulte ?
Le cerveau est plus ou moins effcace pour gérer les émotions, selon sa phase de développement. Chez un enfant de 10 ans, la vulnérabilité cérébrale vis-à-vis des images de violence (réelles ou fctionnelles), vient surtout du fait qu’il n’y a, en général, pas encore été exposé. À l’adolescence, la vulnérabilité est plutôt due au pic d’activité de la plasticité cérébrale : le remodelage des connexions neuronales, en fonction des expériences vécues et de nos apprentissages, est en effet à son comble. Des émotions fortes, positives comme négatives, peuvent alors avoir beaucoup plus d’impact que chez un adulte. Enfn, les mécanismes cognitifs de régulation des émotions ne sont pas encore optimaux dans le cerveau des ados. Je parle ici de l’habituation, qui fait que plus une même situation se répète, moins le cerveau y réagira fortement du point de vue émotionnel. Même constat au sujet de la réévaluation cognitive, qui permet d’acquérir progressivement avec
Comme des adolescents, les personnages de la série sont extraits de leur milieu et doivent recréer des liens avec leurs semblables, en formant des hiérarchies, pour pouvoir survivre…
l’âge une meilleure distanciation par rapport à ce que nous ressentons.
Certains détracteurs, notamment vis-à-vis de jeux vidéo très durs, prétendent que l’exposition à des images violentes provoque une désensibilisation. Ont-ils raison ?
Les études dont on dispose indiquent plutôt que ce n’est pas le cas, et qu’il ne se produit ni désensibilisation ni perte d’empathie. Nous parlons ici de l’activation des régions du cerveau impliquées dans la douleur qui se déclenche chez tout individu ordinaire quand il voit autrui souffrir. Par exemple, aucune différence d’activation cérébrale de ce type n’a pu être démontrée chez des gameurs adeptes de jeux vidéo violents, du type GTA. Bien sûr, ces jeux étant interdits aux moins de 18 ans, l’étude a été réalisée sur des adultes, mais le phénomène de désensibilisation semble peu probable également chez les mineurs. Par ailleurs, les corrélations entre les violences commises dans la vie réelle et le visionnage de programmes violents restent faibles dans la littérature scientifque et ne montrent pas de lien de causalité. À l’inverse, je doute qu’on puisse un jour démontrer une
fonction cathartique des images permettant à un individu de se libérer de ses pulsions violentes. Dans cette optique, je conseillerais plutôt la pratique de certains sports, comme les arts martiaux, où l’on développe une grande maîtrise de soi via de précieux mécanismes d’autorégulation de nos comportements et de nos émotions.
Au début de la série, les participants forment des groupes, avant même de devoir jouer en équipes. S’ensuivent trahisons et discriminations envers les individus jugés faibles. Pourquoi ces thèmes universels touchent-ils particulièrement les ados ?
Cela répond à un besoin physiologique qui touche tout être humain dès la naissance : créer des liens sociaux dits « d’attachement » avec des personnes qui peuvent répondre à ses besoins physiologiques, de nourriture en particulier, mais aussi lui garantir soutient et protection. C’est d’abord la famille qui remplit ce rôle. Puis à l’adolescence, il faut sortir de ce cercle pour construire de nouveaux liens, aussi forts et fables. C’est pratiquement une question de survie. Or la situation où sont plongés les joueurs en est une excellente allégorie : si vous
n’intégrez pas un groupe, ou si le seul groupe qui vous accepte est faible, vous mourrez pour de bon ! Comme des adolescents, ces gens sont extraits de leur milieu et doivent soudainement recréer des liens sociaux au sein d’une mini-société où ils sont enfermés. Il s’y recrée immédiatement une hiérarchie sociale, malgré l’apparence d’égalité des chances symbolisée par les uniformes.
Les uniformes fuchsia des gardes, les survêtements verts des joueurs, les numéros qu’on leur attribue… Cette déshumanisation n’a-t-elle pas paradoxalement quelque chose de rassurant ?
Oui, car, contrairement à la vie quotidienne où les protagonistes n’ont plus de valeur, chacun a sa place dans le jeu et sait quel est son rôle. Surtout, cet imaginaire me semble en partie inspiré de la célèbre et controversée expérience de psychologie sociale menée en 1971 par Philip Zimbardo à l’université Stanford, aux États-Unis. Il avait réparti de façon aléatoire une vingtaine d’étudiants en deux groupes, des prisonniers et leurs gardiens. Le contexte avait suff, selon lui, à faire émerger chez ces étudiants des comportements similaires à ceux de véritables gardiens et prisonniers. Squid Game propose un décorum aussi simple et fait émerger des comportements déviants tels que décrits dans l’expérience de Stanford. Ainsi, Sang-woo (le nº 218 dans la saison 1), qui aide spontanément Ali quand ils sont en ville, adopte un tout autre comportement dans l’arène du jeu…
Le registre enfantin n’est pas seul à l’œuvre pour créer le puissant e et d’attraction et de répulsion de la série. Pourquoi s’y joue-t-il quelque chose de si dérangeant ?
Parce qu’elle détourne la seule situation de la vie dans laquelle l’échec n’a pas de conséquence négative et peut être répété à l’infni : le jeu. En inversant son essence même, Squid Game
a trouvé un procédé génial de transgression. Non seulement chaque action a des conséquences dans la vie réelle (comme tout « jeu » d’argent, qui du coup n’en est plus un…), mais en plus ces conséquences sont défnitives puisque la sanction est la mort.
Reste que la plupart de nos jeux, du Monopoly à « KohLanta », en passant par « Le maillon faible », consistent eux aussi à éliminer les autres pour gagner. Pourquoi proposer cela à nos enfants ?
Le jeu s’est en effet traditionnellement défni dans cette approche de compétition. Permet-il pour autant de développer des compétences pour le monde qui attend les futures générations ? Les crises actuelles, climatique et énergétique, et l’essor de l’intelligence artifcielle qui nous remplace de plus en plus dans des tâches de cognition, me font penser que non. Et qu’il n’a jamais été aussi important de développer nos compétences psychosociales et notre empathie – bref, ce qui fait de nous des êtres humains –pour collaborer et coopérer. Ces qualités semblent plus largement mises en scène dans la saison 2 de la série. Dans nos sociétés aussi, les jeux collaboratifs, à commencer par les escape games, ont le vent en poupe. Et l’on sait à présent grâce à des expériences de psychologie sur les bébés, notamment celles de Karen Wynn, que ces compétences émergent justement au plus jeune âge, probablement dès les premiers mois de la vie, et non à la suite de l’intégration des codes sociaux.
Altruiste, le nº 456 ne se débrouille pas si mal dans ce jeu cruel, malgré sa naïveté presque enfantine au départ… La génération Z, qui plébiscite la série, n’y trouve-t-elle pas une certaine morale qui condamne la génération de ses parents, complices de l’état du monde ? C’est possible. Comme un récit d’apprentissage, la série montre aussi
que si on ne prend pas en compte les conséquences de ses actes, on refait systématiquement de mauvais choix. C’est le cas du nº 456, qui au début de la série enchaîne les prises de risques inconsidérées dans des jeux de hasard et continue d’espérer « se refaire », bien que tombant de plus en plus bas… Mais au fl des épisodes et des saisons, il devient plus mature et apprend de ses erreurs.
Dans la saison 2, il veut même sauver d’autres joueurs… Vont-ils lui faire confance ? Et parvenir à coopérer pour gagner ? Le teaser montre des situations qui font penser au dilemme du prisonnier. Celui-ci met en scène les avantages et les inconvénients des comportements de trahison et de coopération. Les auteurs ont donc l’air d’avoir encore largement puisé dans la littérature scientifque en psychologie sociale, une vraie manne pour tout scénariste… £ Propos recueillis par Charline Zeitoun
G. Borst, « Vice Versa 2 » : Anxiété prend les commandes, Cerveau & Psycho nº 171, octobre 2024, pp. 60-66.
G. Borst et M. Cassotti, C’est (pas) moi, c’est mon cerveau !, Nathan, 2022. A. de Lastic, avec l’expertise de G. Borst, Dans la tête de mon ado, Vents d’Ouest, 2022
Directeur de recherche à l’Inserm, au Centre de recherche en neurosciences de Lyon.
Einstein a bâti ses plus célèbres théories grâce à une démarche intellectuelle appelée « expérience de pensée ». Correctement guidés, les élèves peuvent apprendre à réfléchir de la même manière grâce à une partie de leur cerveau en plein développement.
Si vous êtes parent, peut-être avez-vous pu observer une transition assez fascinante dans la vie d’un petit enfant : cette période assez brève avant même l’entrée à l’école, où il cesse progressivement de se parler à voix haute quand il joue, en continuant quelque temps de bouger les lèvres mais sans émettre aucun son. C’est le moment, déjà identifé il y a presque un siècle par le pédopsychologue soviétique Lev Vygotski (1896-1934), où la parole commence à s’internaliser et à devenir silencieuse. L’enfant apprend à penser sans parler, comme si son cerveau fnissait par saisir l’inutilité de mettre en action tous les muscles de la bouche pour émettre un son qu’il entend très bien
dans sa tête. Au fl des années, ce principe d’économie fnit par gagner toutes les formes de production pour lui permettre d’agir mentalement plutôt qu’avec ses muscles, jusqu’à pouvoir envisager les conséquences de ses actions sans avoir à les réaliser physiquement. Il est alors capable de mener des « expériences de pensée » pour imaginer ce qui se passerait s’il faisait ceci ou cela (par exemple, pour comprendre que ce n’est pas une bonne idée de laisser indéfniment couler l’eau de son bain).
Mais on ne peut pas effectuer de telles simulations mentales sans s’appuyer sur son vécu personnel. Les neurosciences cognitives ont montré que cette capacité à élaborer des scénarios
possibles dépend de régions cérébrales – dans la partie médiane du lobe temporal – qui servent également à se remémorer les expériences passées. On ne construit donc pas l’avenir à partir de rien, mais à partir des briques de son propre passé qui constituent la mémoire dite « épisodique » (celle des épisodes antérieurs de notre propre vie). Si vous pouvez vous représenter ce qui se passerait si vous laissiez couler l’eau du bain trop longtemps, c’est parce que vous avez déjà regardé des baignoires ou d’autres récipients en train de se remplir. La conséquence logique, c’est que tout ce que nous pouvons imaginer est contraint par ce que nous avons déjà observé, et donc par l’expérience que nous avons
de la façon dont les choses évoluent, se déforment, réagissent, etc.
LE ROI DES EXPÉRIENCES DE PENSÉE
Mais il ne sufft pas d’avoir les bonnes briques, car encore faut-il savoir les manipuler pour les assembler de façon cohérente, et évaluer la vraisemblance et l’intérêt du scénario qu’on vient de forger. Se livrer à une expérience de pensée, ce n’est pas juste se perdre en rêveries, comme tout enfant sait le faire. Il faut être capable de « penser à propos de ce qu’on pense », ce qui est la base de la métacognition. Des études récentes suggèrent que les régions impliquées dans ces facultés métacognitives se situent tout à l’avant du lobe frontal du cerveau, dans le pôle frontal et le cortex préfrontal antérieur. Sachant que ces deux zones sont parmi celles qui distinguent le plus un humain d’un singe, et un adulte d’un jeune enfant (n’y voyez aucun parallèle maladroit), on serait tenté d’utiliser le temps d’école pour habituer les élèves à pratiquer des expériences de pensée, afn de stimuler le développement de ces régions si caractéristiques de notre humanité.
Les expériences de pensée sont l’une des formes les plus abouties de l’intelligence humaine. Les encourager chez les élèves, c’est développer leurs capacités de réflexion au sens large.
Car ces Gedankenexperimente – le terme allemand inauguré par le physicien Ernst Mach (1838-1916), qui les a théorisées – sont l’une des formes les plus abouties de l’intelligence humaine ; les encourager chez les élèves, c’est donc développer leurs capacités de réfexion. Peut-on leur laisser le temps de rediriger régulièrement leur attention sur leur monde intérieur, pour expérimenter mentalement « ce qui se passerait si » ? À titre d’exemple, l’un des plus grands penseurs de notre temps – Albert Einstein – en faisait un usage courant pour se représenter dans des ascenseurs en chute libre ou dans des trains à observer des rayons de lumière… En
classe, on peut facilement concevoir des expériences de pensée non seulement en physique, mais aussi en mathématiques (« Que se passerait-il si on déplaçait progressivement sans la tourner cette droite en l’éloignant de l’angle du triangle ? » – pour saisir le sens du théorème de Thalès), ou bien en français (« Quel sentiment éprouveriez-vous si, en lisant ce texte, vous imaginiez que c’est vous qui êtes en train de raconter ce qui vous est arrivé ? »). À force de s’entraîner à élaborer des scénarios alternatifs et à changer de perspective, l’élève apprend à faire évoluer son rapport au monde et aux autres, jusqu’à développer ses compétences psychosociales : car se voir à
PENSEZ COMME EINSTEIN GRÂCE AUX « GEDANKENEXPERIMENTEN »
la place de cet élève qui subit le harcèlement des autres dans une classe, et prendre conscience de comportements à changer, c’est une expérience de pensée.
ET 1 KILO DE PLOMB
Mais si les Gedankenexperimente doivent être encouragées, elles doivent aussi être guidées par un enseignant compétent. Car une expérience de pensée peut aussi amener à des conclusions fausses : par exemple, je peux me représenter lâchant dans le vide 1 kilo de plumes et 1 kilo de plomb simultanément et voir, mentalement, le kilo de plomb toucher le sol en premier. Et je peux aussi voir mentalement le Soleil tourner autour de la Terre, ou même la Terre plate depuis le hublot de mon vaisseau spatial. C’est la limite des expériences de pensée : comme elles ne sont que virtuelles, elles ne se confrontent pas à la réalité du monde. Il est donc important que celle-ci soit rappelée par une personne capable de questionner la validité de l’expérience… ce qui ne fait que renforcer l’effcacité pédagogique de l’exercice, car l’élève est alors encouragé à questionner l’objet qu’il manipule mentalement et à s’y intéresser davantage. À propos de l’expérience de pensée sur le kilo de plumes et le kilo de plomb, l’enseignant devra expliquer à l’élève que, dans le vide, il n’y a pas de frottement de l’air et que donc les plumes ne sont pas ralenties par ce dernier et tomberont aussi vite que le plomb, soumises comme lui à la seule gravité. Devant ce nouvel argument, l’élève va forcément réféchir à ce qui distingue les plumes du plomb, à savoir leur prise sur l’air (c’est d’ailleurs pourquoi elles ont évolué chez les oiseaux).
C’est justement l’une des vertus essentielles des expériences de pensée : elles nous poussent à nous connecter à des concepts et des idées en y faisant pleinement attention, sans quoi la représentation mentale n’est pas suffsamment stable et détaillée pour faire une quelconque expérience. Le temps de
Se voir à la place d’un élève qui subit le harcèlement de ses camarades, et prendre conscience des comportements qu’il faudrait changer… c’est une expérience de pensée.
celle-ci, ce que nous manipulons mentalement est au centre de notre esprit, et nous nous y intéressons totalement.
L’ÉTAPE CRUCIALE :
STABILISER SON ATTENTION
Tous les élèves sont-ils égaux dans ce type d’exercice ? Évidemment non, puisqu’il engage des régions du cortex dont l’effcacité varie d’un individu à l’autre, notamment en raison de différences de maturation cérébrale. Un jeune ayant une attention très instable saura moins bien ou moins longtemps qu’un autre manipuler mentalement un objet, mais qu’il s’y essaye tout de même : quel meilleur exercice pour apprendre à se concentrer ? Les personnes qu’on dit « aphantasiques », qui ne peuvent pas élaborer d’images mentales, auront aussi plus de diffculté, sauf s’ils savent adapter l’exercice à des modalités sensorielles qu’ils simulent plus facilement que la vision, en faisant appel au toucher, à l’espace, à des sons… Nous disposons tous d’un petit casque de réalité virtuelle intégré directement dans notre cerveau. Pourquoi ne pas enseigner aux enfants comment s’en servir pour apprendre et comprendre ? Et prendre le temps de se déconnecter des écrans ne sera pas de trop pour continuer de produire par nous-mêmes ces indispensables images intérieures. £
Bibliographie
K. Miyamoto et al., Imagining the future self through thought experiments, Trends in Cognitive Sciences, 2023
D. L. Schacter et al., The future of memory : Remembering, imagining, and the brain, Neuron, 2012.
L. S. Vygotski, The Collected Works of Vygotski, Plenum Press, 1987
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Le gyrus supramarginal, situé un peu au-dessus de la tempe, serait nécessaire pour jouer aux échecs. Quand on perturbe son activité au moyen d’électrodes, un joueur chevronné ne sait même plus si un coup est autorisé ou non.
Où ai-je entendu dire que les migrants mangeaient les chats ? Notre mémoire retient la fake news, mais pas sa source ! Ce qui entraîne la formation de faux souvenirs, considérés ensuite comme véridiques !
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