Cerveau & Psycho n° 96 - février 2018 - extraits

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Cerveau & Psycho

N° 96 Février 2018

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COMMENT MANAGER DE MANIÈRE PLUS RATIONNELLE ?

RECONNAÎTRE

UN VISAGE ENTRE MILLE L’incroyable pouvoir du cerveau physionomiste NÉGOCIATION E-MAIL OU TÉLÉPHONE ?

AUTISME SI LE COUPABLE ÉTAIT L’INTESTIN ? INTELLIGENCE ARTIFICIELLE L’ARNAQUE DU ROBOT CITOYEN ÉLÈVES COMMENT LEUR DONNER LE GOÛT DE L’EFFORT D : 10 €, BEL : 8,5 €, CAN : 11,99 CAD, DOM/S : 8,5 €, LUX : 8,5 €, MAR : 90 MAD, TOM : 1 170 XPF, PORT. CONT. : 8,5 €, TUN : 7,8 TND, CH : 15 CHF


mathieu la tête au carré vidard 14:05 - 15:00 RCS Radio France : 326-094-471 00017 - Crédit photo : Christophe Abramowitz / RF

Dans l’ êt de la science


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N° 96

NOS CONTRIBUTEURS

ÉDITORIAL

p. 14-20

SÉBASTIEN BOHLER

Charles Limoli

Neuroscientifique et radiobiologiste à la faculté de médecine de l’université de Californie à Irvine, aux États-Unis, Charles Limoli étudie l’impact des radiations cosmiques sur le cerveau. Selon lui, le cerveau humain serait dévasté par un séjour prolongé dans l’espace.

p. 28-35

Valérie Daugé

Rédacteur en chef

Nous ne sommes pas des pingouins

Directrice de recherche à l’institut Micalis du centre Inra de Jouy-en-Josas, Valérie Daugé mène des recherches sur le microbiote et sur la façon dont celui-ci peut influencer diverses pathologies mentales, comme l’autisme.

p. 44-51

Anna Bobak

Psychologue cognitiviste à l’université de Stirling, en Angleterre, Anna Bobak étudie les personnes douées d’un exceptionnel talent de reconnaissance des visages, les superphysionomistes. Son équipe collabore avec la police pour l’identification des criminels.

p. 70-75

Ines Vogel

Psychologue de la communication et des médias, Ines Vogel analyse l’évolution des pratiques télévisuelles et l’intérêt croissant pour les séries télévisées mettant en scène des protagonistes amoraux… et l’attrait qu’ils exercent sur nous !

V

otre visage, comme celui de 7 milliards de personnes, est unique. Incroyable, quand on y pense. Car on peut maintenant vous le dire, ce n’était pas gagné au départ. Je veux dire, si nous avions été des pingouins, par exemple, nous aurions dû faire face du matin au soir, au travail ou en famille, devant notre écran de télévision ou sur Facebook, à des millions de visages pratiquement identiques. En 2014, des chercheurs de l’université de Berkeley, en Californie, ont comparé la diversité des visages humains avec ceux de pingouins. Eh bien, croyez-moi si vous voulez, c’est dur d’être un pingouin. Les pauvres sont obligés de se reconnaître au cri, à l’odeur, à la démarche. Chez eux, Facebook aurait été un échec total. Ils ont tous la même tête. Mais nous ne sommes pas des pingouins, et voici environ 300 000 ans, chez les premiers Homo sapiens, certains gènes qui codent les traits du visage (des séquences d’ADN déterminent la largeur du nez, d’autres l’écartement entre les yeux, et ainsi de suite) ont muté à un rythme élevé, générant des variantes extrêmement nombreuses et des visages fort différents les uns des autres. Non seulement ces gènes se sont diversifiés, mais ils se sont découplés les uns des autres, multipliant les combinaisons possibles. Cette hausse de diversité faciale a permis à chaque individu de reconnaître très précisément ses partenaires et de développer une vie sociale très complexe. Un avantage qui semble avoir été si déterminant que notre cerveau a évolué en parallèle, développant des structures de neurones capables de faire la différence. C’est sans doute un trait unique de notre espèce, et ce sont ces structures très particulières que nous vous dévoilons dans le dossier central de ce numéro. £

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SOMMAIRE N° 96 FÉVRIER 2018

p. 14

p. 22

p. 28

p. 43-59

Dossier

p. 36

p. 6-40

DÉCOUVERTES p. 6 ACTUALITÉS Enfant stressé… ado incontrôlable ! La musique améliore l’écoute du langage Alzheimer : bloquer les pores toxiques ? Un sommeil agité lié à Parkinson  Allô bébé ? Ici le cerveau de maman ! D’où vient la beauté de la poésie ? Que signifient les oublis matinaux ? Ce que vos cauchemars disent de vous p. 12 FOCUS

L’efficacité des livres thérapeutiques enfin prouvée Contre le stress, la dépression, le burn-out… Guillaume Jacquemont

p. 14 N EUROSCIENCES

Nos neurones n’iront pas dans l’espace

Les rayons cosmiques détruisent le cerveau. Charles Limoli

p. 43

p. 22 C AS CLINIQUE

RECONNAÎTRE

Une maladie auto-immune attaquait ses récepteurs neuronaux.

ENTRE MILLE

L’ado dont le cerveau s’autodétruisait Francesco Cro

p. 28 N EUROBIOLOGIE

Bien dans son ventre, bien dans sa tête

Notre microbiote influe sur notre cerveau, au point d’entraîner des maladies mentales. Valérie Daugé, Mathilde Jaglin, Laurent Naudon et Sylvie Rabot

p. 36 GRANDES EXPÉRIENCES DE PSYCHOLOGIE

UN VISAGE p. 44 P SYCHOLOGIE

LES SUPERPHYSIONOMISTES

Ils n’oublient jamais un visage. Même des années après, et même après l’avoir vu une seule fois. La police les emploie, les scientifiques les étudient – sous tous les angles. Meike Ramon et Anna Bobak

p. 52 N EUROSCIENCES DANIELA OVADIA

Qui est prêt à jouer avec l’argent public ? Comment la théorie des jeux a changé notre compréhension de la politique et de l’économie.

NÉS POUR SE RECONNAÎTRE

Les neuroscientifiques ont découvert que notre cerveau recrée une copie neuronale de chaque visage que nous rencontrons. Sabrina Schröder

p. 57 N EUROSCIENCES

LA DÉCOUVERTE DU CODE DES VISAGES Des neurones spéciaux captent des détails du nez ou de la bouche, les codent électriquement, et construisent un faciès. Knvul Sheikh

En couverture : © Shutterstock.com/Franzi

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p. 60

p. 66

p. 70

p. 76

p. 94

p. 86

p. 88 p. 92

p. 60-77

p. 78-91

ÉCLAIRAGES

VIE QUOTIDIENNE LIVRES

p. 60 R ETOUR SUR L’ACTUALITÉ

p. 78 P SYCHOLOGIE COGNITIVE

L’incroyable décision de l’Arabie saoudite d’accorder la citoyenneté à une machine.

Comment choisir le mode de communication adéquat.

Le robot citoyen

p. 92-98

E-mail ou téléphone ?

Sébastien Bohler

Christoph Laubert et Ingmar Geiger

p. 66 À MÉDITER

p. 84 L’ÉCOLE DES CERVEAUX

CHRISTOPHE ANDRÉ

OLIVIER HOUDÉ

Sous l’emprise des émotions collectives

Donner aux élèves le goût de l’effort

p. 68 I NFOGRAPHIE

Olivier Houdé

Quand l’affect devient une arme politique.

Tribunal sous influence p. 70 P SYCHOLOGIE

Mon voisin le tueur

Les héros psychopathes à la télévision plaisent de plus en plus… Ines Vogel et Uli Gleich

p. 76 PSYCHO CITOYENNE

Donner de l’argent aux pauvres, une idée payante La meilleure aide sociale est financière. Coralie Chevallier et Nicolas Baumard

Le sens de l’effort est inné. À l’école de mettre en place des méthodes pour le cultiver. p. 86 Q UESTION DU MOIS Oriana Aragón

p. 88 L ES CLÉS DU COMPORTEMENT NICOLAS GUÉGUEN

Comment manager de manière plus rationnelle ?

En commençant par repérer les principaux biais cognitifs et affectifs qui nous font faire n’importe quoi.

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p. 92 L IVRES Vous êtes votre meilleur psy ! La Motivation Ma mémoire et les autres Défiez votre cerveau ! L’Hypnose Homo Deus p. 94 N EUROSCIENCES ET LITTÉRATURE SEBASTIAN DIEGUEZ

L’Attrape-cœurs : pérégrinations d’un cerveau adolescent

Le roman culte de J. D. Salinger évoquait dès 1951 les caractéristiques de la cognition des jeunes, que les neuroscientifiques placent aujourd’hui sous la loupe des scanners.


DÉCOUVERTES

6

p. 12 L’efficacité des livres thérapeutiques enfin prouvée p. 14 Nos neurones n’iront pas dans l’espace p. 22 L’ado dont le cerveau s’autodétruisait

Actualités Par la rédaction NEUROSCIENCES

Enfant stressé, ado incontrôlable !

Stressé très jeune, le cerveau de l’enfant perd sa capacité à anticiper les conséquences de ses actes. Il développe alors des troubles du comportement comme l’agressivité, l’impulsivité ou la provocation. R .M. Birn et al., Early childhood stress exposure, reward pathways, and adult decision making, PNAS, édition en ligne du 4 décembre 2017.

A © Ollyy / shutterstock.com

gressivité, impulsivité, difficulté à prendre de bonnes décisions, consommation de drogues : les troubles du comportement à l’âge adulte sont souvent la conséquence d’une enfance difficile, marquée par un stress chronique dans l’environnement familial. Récemment, une étude d’imagerie cérébrale a montré que le stress des premières années perturbe le système de récompense, un ensemble de structures cérébrales permettant de voir venir les conséquences positives ou négatives de nos actes. INCAPABLES D’ANTICIPER UNE RÉCOMPENSE FUTURE Dans cette étude, des chercheurs de l’université du Wisconsin à Madison ont mesuré le niveau de stress vécu par des enfants de 10 ans, dont certains avaient été exposés à une adversité chronique à cause d’un climat délétère dans leur famille, de problèmes d’alcoolisme des parents, de

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p. 28 Bien dans son ventre, bien dans sa tête p. 36 Qui veut jouer avec l’argent public ?

NEUROSCIENCES RETROUVEZ LA PAGE FACEBOOK DE CERVEAU & PSYCHO

La musique améliore l’écoute du langage . Du et R. Zatorre, PNAS, édition Y en ligne du 4 décembre 2017.

s’activaient moins lorsque les jeunes étaient exposés à des indices annonciateurs d’une perte financière future : ils avaient du mal à anticiper les problèmes. D’autres parties du circuit restaient amorphes face à des signaux indiquant un gain potentiel : cette fois, c’est la capacité à sélectionner des comportements profitables qui serait amoindrie. CAPACITÉ DE DÉCISION ALTÉRÉE Dans l’ensemble, la perturbation de ces réseaux neuronaux met à mal la capacité de prise de décision. Ayant des difficultés à ajuster leur comportement en fonction des retours futurs, les sujets de ces expériences se montraient logiquement plus impulsifs : dans des tests de prise de décision, ils ne prenaient pas le temps de réfléchir et donnaient leurs réponses de manière précipitée. Comment le stress perturbe-t-il la mise en place de ces circuits de la prise de décision ? On sait qu’il provoque la libération de certaines hormones dont le cortisol, qui peut avoir une action toxique sur les neurones, en réduisant le nombre de leurs connexions. Le cerveau des enfants est fragile et sa croissance se poursuit durant de longues années. Plutôt que de leur mettre la pression pour qu’ils réussissent, il est plus important de les sécuriser, car leur capacité de prise de décision en tant qu’adultes en dépendra. £ Sébastien Bohler

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J

ouer d’un instrument apporte en soi une joie immense, mais pourrait aussi améliorer notre compréhension du langage. Robert Zatorre et ses collègues de l’université de Montréal ont placé des volontaires musiciens et non musiciens dans une IRM pendant qu’on leur faisait écouter des suites de syllabes progressivement noyées dans un bruit de fond, comme dans un cocktail bruyant. Ils ont constaté que les musiciens distinguaient mieux les syllabes que les non musiciens, même quand le brouhaha devenait insupportable. Comment le cerveau réalise-t-il cette prouesse ? D’abord, il entend mieux, au sens propre : le cortex auditif continue de coder les phonèmes dans un environnement brouillé. Ensuite, l’aire de Broca, dédiée à la parole, s’active plus fort. Pourquoi ? Lorsque nous écoutons notre interlocuteur, notre aire du langage participe aussi, comme si nous parlions nous-mêmes. Cela nous permet de deviner les sons qui vont suivre, car nous disposons de séquences motrices automatiques habituées à prononcer, par exemple, « -dable » après « formi- ». Mais pour que cela fonctionne, il faut que l’aire de Broca transmette de telles prédictions au cortex auditif. Et c’est le troisième effet observé chez les musiciens : la connexion entre les régions auditives et motrices est renforcée. Finalement, langage et musique sont liés. Baudelaire ne décrivait-il pas la poésie comme « de la musique avant toute chose » ? £ S. B.

© Alpa Prod/Shutterstock.com

violences domestiques, voire d’une situation de précarité ou de harcèlement à l’école. Dix ans plus tard, les chercheurs ont réalisé des IRM de ces mêmes personnes, devenues adultes. C’est à ce moment-là qu’ils ont constaté des altérations du système de récompense de leur cerveau. C’est en étudiant la réaction de ces jeunes à des gains ou des pertes d’argent qui leur étaient annoncées via un écran d’ordinateur, que les neuroscientifiques ont découvert le pot aux roses. Avant chaque gain ou perte financière, on leur présentait en effet des images qui jouaient le rôle d’indices permettant de prédire si un gain ou une perte allait intervenir. On sait que dans de pareilles conditions, des zones bien précises du cerveau s’allument dès la présentation des indices visuels annonçant le résultat final. Ce circuit d’aires cérébrales aide à anticiper les conséquences futures d’une situation, à évaluer les gratifications ou les difficultés à venir. Il intervient dans l’ajustement de nos comportements : lorsque nous nous mettons en colère contre quelqu’un et l’agressons verbalement, puis constatons que nos relations sont dégradées et que cela entraîne toutes sortes de désavantages, nous apprenons à nous maîtriser. Or, ce circuit d’anticipation était perturbé chez les jeunes exposés à un stress important pendant l’enfance. Certaines parties du circuit


DÉCOUVERTES A ctualités

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NEUROBIOLOGIE

Alzheimer : bloquer les pores toxiques ? . Martinez Hernandez et al., EMBO molecular A medicine, le 5 décembre 2017.

na Martinez Hernandez, du Centre des maladies neurodégénératives, à Göttingen, en Allemagne, et ses collègues ont peut-être trouvé une nouvelle molécule qui ralentirait l’évolution de la maladie d’Alzheimer, avant les premiers symptômes ou une fois la pathologie déclenchée. Il s’agit de anle138b, un bloquant des canaux ioniques. Des pores ioniques, il y en a partout, notamment dans la membrane des neurones (voir l’image ci-dessus). Les flux d’ions à travers ces canaux permettent entre autres la propagation des messages nerveux électriques. Mais dans le cas de la maladie d’Alzheimer, les lésions de la pathologie – des agrégats de protéines bêta-amyloïdes et de protéines tau – provoquent une diminution des connexions entre neurones et leur mort par de multiples mécanismes. L’un d’eux est justement l’apparition de pores dans les membranes : en effet, les peptides bêta-amyloïdes « libres » forment des canaux qui laissent alors entrer massivement des ions calcium dans la cellule. Ce flux d’ions bloque en particulier les mécanismes de plasticité cellulaire et d’apprentissage et provoque la mort cellulaire.

Que signifient les oublis matinaux ?

Q

ue devais-je faire d’important aujourd’hui ? Où ai-je laissé mes clés de voiture ? Au saut du lit, on a parfois des trous de mémoire. Le coupable serait un problème de synchronisation cérébrale : des chercheurs américains et norvégiens ont découvert que la mémorisation de faits récents dépend de la synchronisation de deux types

Alors, que fait anle138b ? Elle diminue l’agrégation des protéines bêta-amyloïdes et bloque les pores amyloïdes. Chez des souris dont ils ont modifié les gènes pour qu’elles développent les lésions et les symptômes de la maladie d’Alzheimer, les chercheurs ont montré que l’administration orale de cette molécule, avant ou après l’apparition des symptômes, rétablissait la communication entre neurones ainsi que les aptitudes mnésiques des rongeurs. Après quatre mois de traitement, c’est notamment la plasticité dans l’hippocampe (le centre de la mémoire) qui était rétablie. Et les rongeurs traités présentaient moins de flux d’ions calcium toxique. Par conséquent, l’entrée massive de calcium dans les neurones, liée à l’apparition de pores de bêta-amyloïdes, provoque bien le dysfonctionnement des neurones et les troubles mnésiques associés à la maladie d’Alzheimer (en tout cas chez les souris). Et anle138b interrompt ce flux d’ions toxique. Une nouvelle voie thérapeutique vient d’être découverte : les tests de toxicité sont d’ores et déjà lancés chez l’homme. £ Bénédicte Salthun-Lassalle

d’ondes pendant le sommeil : les premières pulsent à un rythme lent de 1 oscillation par seconde ; les secondes sont 10 fois plus rapides et sont appelées fuseaux. Pendant la nuit, l’amplitude des fuseaux enfle et reflue au rythme des ondes lentes. Mais chez certains sujets âgés, ce flux et ce reflux ne sont plus « calés » sur les ondes lentes. La faute à une perte de matière grise dans les zones frontales. Une parade : renforcer artificiellement la synchronisation par stimulation sonore ou magnétique du cerveau. £ S. B.

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11 %

de risque de maladie d’Alzheimer en moins par année d’étude. Faire travailler son cerveau ralentit le déclin lié à l’âge des aptitudes cognitives. Source : S. Larsson et al., BMJ, 7 décembre 2017.

© Katerina Kon/Shutterstock.com

A


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NEUROBIOLOGIE

Allô bébé ? Ici le cerveau de maman !

Un sommeil agité lié à Parkinson M. G. Stokholm et al., Lancet Neurology, vol. 16, pp. 789-796, 2017.

V

ous voulez rendre votre bébé plus réceptif ? Simple : regardez-le dans les yeux. Une étude menée par l’équipe de Sam Wass, de l’université de l’Est de Londres, montre que vous influencerez alors son activité cérébrale d’une façon propice à la communication. Dans l’expérience, un adulte chantait des comptines à un bébé, tous deux coiffés d’un casque d’électroencéphalographie. Quand ils se regardaient, leurs ondes cérébrales tendaient à se synchroniser et plus cette synchronisation était forte, plus le bébé babillait en direction du chanteur. De précédents travaux avaient déjà montré qu’entre adultes, la force de la synchronisation cérébrale prédit l’efficacité d’une communication. « Nous n’avons pas découvert la télépathie pour autant ! », tient quand même à préciser Sam Wass. £ Guillaume Jacquemont

Quand l’instinct dit : « Danger ! »

© Poosan/Shutterstock.com

E

n un clin d’œil, nous reconnaissons une personne au milieu d’autres. Comme nous percevons instinctivement la « dangerosité » d’une bande que nous croisons en pleine nuit sous un pont… C’est ce qu’ont montré Nicholas Alt, de l’université de Californie, et ses collègues en présentant des centaines d’images de centaines d’individus à plus de quatre-ving-dix personnes. Ainsi, en 500 millisecondes, les sujets déterminent correctement la proportion d’hommes et de femmes dans le rassemblement. Et ils jugent le groupe d’autant plus menaçant qu’il contient d’hommes (ce qui est un réflexe souvent justifié). Donc non seulement nous évaluons rapidement une personne, mais nous identifions aussi vite des individus dans un groupe. Ce qui a dû être utile à notre survie. £ B. S.-L.

V

otre conjoint bouge dans tous les sens en dormant, se lève, voire frappe dans le vide ? Il souffre peut-être de troubles du comportement en sommeil paradoxal, une forme de « mise en acte des rêves ». Ce qui n’est pas toujours anodin : des études récentes ont montré que des individus diagnostiqués pour ce genre de troubles ont 41 % de risque en plus de développer la maladie de Parkinson après cinq ans, et 91 % à 14 ans. Mais quel est le lien entre ces deux pathologies ? Nicola Pavese, du département de médecine nucléaire au Danemark, et ses collègues ont mis en évidence un facteur probable : l’inflammation. La maladie de Parkinson est liée à l’accumulation d’agrégats de protéines appelées alpha-synucléines dans les neurones dopaminergiques et les cellules gliales de la substance noire, une région profonde du cerveau. Aucun traitement n’existe à ce jour. L’objectif des chercheurs est de détecter des patients potentiels bien avant les premiers signes de la maladie pour espérer ralentir la mort neuronale et donc l’évolution de la pathologie. Comment ? Justement en jouant sur la neuroinflammation, provoquée par une

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activation des cellules dites microgliales, censées protéger le cerveau. Mais plusieurs études suggèrent qu’une inflammation excessive pourrait aussi causer la mort des neurones. Les chercheurs ont donc recruté 20 patients souffrant de troubles du sommeil paradoxal et 19 sujets non atteints et leur ont fait passer deux types d’examens par PET scan pour mesurer l’activation de la microglie et le fonctionnement des neurones dopaminergiques. Résultat : les patients au sommeil agité présentaient une inflammation bien plus importante de la substance noire que les sujets sains. En outre, chez la majorité des patients, la libération de dopamine diminuait dans le striatum, la zone de projection des neurones dopaminergiques, avec une baisse de près de 25 % comparée aux personnes saines. C’est la première fois que l’on associe une inflammation microgliale dans la substance noire de patients atteints de troubles du sommeil paradoxal à une réduction de l’efficacité des neurones dopaminergiques. Ce qui renforce l’idée que cette pathologie du sommeil serait un signe avant-coureur de maladie de Parkinson. £ B. S.-L.


DÉCOUVERTES A ctualités

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PSYCHOLOGIE

D’où vient la beauté de la poésie ? . M. Belfi et al., Individual ratings A of vividness predict aesthetic appeal in poetry, Psychology of Aesthetics, Creativity, and the Arts, 30 novembre 2017.

e violon frémit comme un cœur qu’on afflige, / Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir ! / Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ; / Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige. Peut-être trouvez-vous que ces vers de Baudelaire comptent parmi les plus beaux de la poésie française ? Ou bien sont-ils à des kilomètres de votre anthologie personnelle ? Dans ce cas, pourquoi avons-nous un jugement si différent ? Amy Belfi, de l’université de New York, et ses collègues se sont intéressés à ce qui, dans la réaction intime de chacun, détermine son « attirance esthétique » pour une œuvre. Les chercheurs ont fait évaluer la beauté de dizaines de poèmes à plus de 400 participants, tout en leur demandant d’estimer des paramètres comme la vivacité des images mentales évoquées ou l’intensité de leur réaction émotionnelle sur une échelle de 0 à 100. Les résultats ont confirmé que les différents poèmes étaient loin de faire l’unanimité. Ils ont aussi montré qu’ils évoquaient des images d’une intensité très variable chez les participants,

8,4 % des étudiants allemands rempliraient les critères diagnostics d’addiction à Facebook. Source : BrailovskaIa et Margraf, Plos ONE, 12(12) : e0189719 14/12/2017.

probablement parce que ceux-ci n’avaient ni les mêmes capacités d’imagerie mentale, ni le même vécu – les mots ramenant des souvenirs plus ou moins vivaces à l’esprit de chacun. Quelle qu’en soit l’origine, c’était ce paramètre qui conditionnait le plus le jugement esthétique. Plusieurs facteurs expliqueraient ce pouvoir de l’imagerie mentale. D’abord, nous intégrons probablement mieux le sens d’un poème quand il évoque des images en nous. Ensuite, notre attention et nos émotions seraient d’autant plus stimulées que nous visualisons des scènes riches et intenses. Bien sûr, tous les poèmes n’ont pas la même puissance figurative et c’est sans doute en partie ce qui explique pourquoi seuls certains passent à la postérité. Les chercheurs ont par ailleurs observé que chez un individu donné, le jugement esthétique varie : nous trouvons ainsi une poésie d’autant plus belle que nous sommes de bonne humeur ! £ G. J.

Stress et grossesse : effets sur le bébé

L

e stress pendant la grossesse réduit-il la taille des bébés ? Tout dépend du moment où la mère a été stressée, ont découvert Andreas Berghänel, de l’université du Nouveau-Mexique, et ses collègues. En analysant 719 études sur ce sujet, ils ont constaté qu’en fin de gestation, le corps des mères stressées investit moins d’énergie

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pour le fœtus, d’où une croissance plus lente de ce dernier. Mais une fois que les enfants ne dépendent plus de leur mère, ils reprennent en général un développement normal. Par contre, du stress en début de gestation provoquerait une reprogrammation complète du fœtus qui doit faire face à des conditions difficiles. Il se développe alors plus vite, in utero et jusqu’au sevrage, de sorte qu’il est souvent plus grand et plus « mature » que ses congénères du même âge. C’est une forme de « plasticité » de la croissance. £ B. S.-L.

© Matt Gibson/Shutetrstock.com

L


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Un magazine édité par POUR

PSYCHOLOGIE

Ce que vos cauchemars disent de vous N. Weinstein et al., Linking psychological need experiences to daily and recurring dreams, Motivation and Emotion, 30 novembre 2017.

LA SCIENCE 170 bis boulevard du Montparnasse 75014 Paris

Directrice des rédactions : Cécile Lestienne Cerveau & Psycho Rédacteur en chef : Sébastien Bohler Rédactrice en chef adjointe : Bénédicte Salthun-Lassalle Rédacteur : Guillaume Jacquemont Conception graphique : William Londiche Directrice artistique : Céline Lapert Maquette : Pauline Bilbault, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy, Marie Marty (stagiaire) Réviseuse : Anne-Rozenn Jouble Développement numérique : Philippe Ribeau-Gésippe Marketing et diffusion : Laurence Hay et Arthur Peys Direction financière et du personnel : Marc Laumet Fabrication : Marianne Sigogne, Olivier Lacam Presse et communication : Susan Mackie Directrice de la publication et gérante : Sylvie Marcé Ont également participé à ce numéro : Maud Brugière, Sophie Lem, Séverine Lemaire-Duparcq Anciens directeurs de la rédaction : Françoise Pétry et Philippe Boulanger

© Sergey Mironov/Shutterstock.com

S

i vous avez l’impression que dans les trois quarts de vos rêves, vous tombez d’une falaise ou vous êtes agressé dans la rue, prenez le temps de vérifier la fréquence de ces cauchemars : les émotions violentes qui y sont associées font qu’on la surestime souvent. Mais s’ils sont en effet récurrents chez vous, c’est peut-être le signe que vos besoins psychologiques fondamentaux ne sont pas satisfaits, suggère une étude menée par Netta Weinstein, de l’université de Cardiff, et ses collègues. Selon la théorie dite de l’autodétermination, ces besoins sont au nombre de trois : l’autonomie, le sentiment de compétence et les bonnes relations avec autrui. De nombreux travaux ont montré qu’ils sont essentiels à notre bien-être. Pour déterminer si nos cauchemars sont liés à ces facteurs, les chercheurs ont interrogé plusieurs centaines de participants sur le contenu et la tonalité émotionnelle de leurs rêves. En parallèle, ils leur ont

Presse et communication Susan Mackie susan.mackie@pourlascience.fr – Tel. : 01 55 42 85 05 Publicité France stephanie.jullien@pourlascience.fr

demandé d’indiquer leur degré d’accord avec une série d’affirmations du type : « J’ai le sentiment que les gens qui sont importants pour moi sont froids et distants à mon égard. » Ils ont alors constaté que moins les besoins psychologiques fondamentaux des participants étaient satisfaits, plus ces derniers faisaient de cauchemars (notamment des histoires typiques d’agression ou de chute) et plus leurs songes étaient emplis d’émotions négatives. La façon exacte dont les frustrations influent sur nos scénarios nocturnes reste à préciser et ces résultats ne mettront pas un point final aux débats sur l’interprétation des rêves, intenses depuis Freud. Mais ils s’opposent en tout cas à des théories comme celle d’Allan Hobson, de l’université Harvard, pour qui l’activité onirique n’est qu’un bruit de fond du cerveau endormi. Si leur message est encore flou, peut-être les rêves ont-ils bien quelque chose à nous dire sur notre état psychologique… £ G. J.

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Espace abonnements  http://boutique.cerveauetpsycho.fr Adresse e-mail : cerveauetpsycho@abopress.fr Téléphone : 03 67 07 98 17 Adresse postale : Cerveau & Psycho - Service des abonnements 19, rue de l’Industrie - BP 90053 - 67402 Illkirch Cedex Diffusion de Cerveau & Psycho  Contact kiosques : À juste titres ; Manon Castel Tel : 04 88 15 12 48 Information/modification de service/réassort : www.direct-editeurs.fr Abonnement France Métropolitaine : 1 an - 11 numéros - 54 e (TVA 2,10 %) Europe : 67,75 e ; reste du monde : 81,50 e Toutes les demandes d’autorisation de reproduire, pour le public français ou francophone, les textes, les photos, les dessins ou les documents contenus dans la revue Cerveau & Psycho doivent être adressées par écrit à « Pour la Science S.A.R.L. », 162, rue du Faubourg Saint-Denis, 75010 Paris. © Pour la Science S.A.R.L. Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et de représentation réservés pour tous les pays. Certains articles de ce numéro sont publiés en accord avec la revue Spektrum der Wissenschaft (© Spektrum der Wissenschaft Verlagsgesellschaft, mbHD-69126, Heidelberg). En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement la présente revue sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit de copie (20, rue des GrandsAugustins - 75006 Paris). Origine du papier : Finlande Taux de fibres recyclées : 0 % « Eutrophisation » ou « Impact sur l’eau » : Ptot 0,005 kg/tonne La pâte à papier utilisée pour la fabrication du papier de cet ouvrage provient de forêts certifiées et gérées durablement.


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Nos neurones n’iront pas dans l’espace N° 96 - Février 2018


DÉCOUVERTES N eurobiologie

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Par Charles Limoli, neuroscientifique et radiobiologiste à la faculté de médecine de l’université de Californie à Irvine, aux États-Unis.

Notre cerveau est très vulnérable au rayonnement cosmique, qui détruit les connexions entre neurones et perturberait notre curiosité et notre réflexion. Notre rêve de nous envoler vers d’autres systèmes solaires pourrait bien s’effondrer.

Contrairement aux apparences, ceci n’est pas un réseau de neurones… c’est une représentation des galaxies de l’Univers par simulation des matières noire et ordinaire. Un endroit probablement toxique pour nos neurones.

epuis des millénaires, les hommes regardent le ciel et rêvent de voyager vers les étoiles. Maintenant que certains ont marché sur la Lune et vécu parfois plusieurs mois en orbite dans la Station spatiale internationale, il semble inévitable que nous tentions d’aller plus loin : Mars, le reste du Système solaire, voire au-delà. Pourtant, nous savons que l’espace est un milieu hostile. Chaque fois que des astronautes quittent la Terre, ils sont confrontés à un froid extrême, à l’absence d’atmosphère, à la microgravité et à l’exposition au rayonnement cosmique. Jusqu’à présent, on a cru pouvoir surmonter ces obstacles : ce sont surtout des problèmes que les ingénieurs font leur possible pour régler et des risques que les courageux voyageurs spatiaux acceptent de prendre. Mais plusieurs équipes de recherche ont montré récemment que les radiations dans l’espace seraient plus nocives que nous ne le pensions, en particulier pour le cerveau, un organe fragile. Les chercheurs suspectaient depuis des décennies un tel impact, mais ce n’est que depuis peu que nous avons des indices concrets donnant toute la mesure des effets des rayons cosmiques sur le cerveau. En soumettant des souris à un rayonnement comparable à celui auquel s’exposent les astronautes dans l’espace, mes collègues et moi avons observé des troubles cognitifs importants et durables, qui affecteraient probablement les êtres humains et compromettraient le succès des missions spatiales. Si les astronautes de la Station spatiale internationale, qui se trouve sur une orbite relativement basse (à environ

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EN BREF ££Des recherches récentes montrent que les rayons cosmiques sont extrêmement nocifs pour le cerveau. ££Des souris exposées à un flux de particules chargées présentent des troubles comportementaux et des lésions neuronales. ££Des blindages renforcés pour les vaisseaux, des combinaisons spatiales plus performantes et des médicaments pour protéger le cerveau seraient nécessaires. Mais à ce jour, on ne sait pas les fabriquer.

© Springel et al. (2005)

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L’ado dont le cerveau s’autodétruisait EN BREF ££Convulsions, mutisme, instabilité émotionnelle… Norman présente des symptômes qu’aucun test classique ne parvient à expliquer.

© Stefano Fabbri

££Les médecins tranchent après un mois d’enquête : son système immunitaire attaque ses récepteurs NMDA, essentiels au bon fonctionnement des neurones. ££Ce diagnostic permet de lui administrer un traitement adéquat, qui conduit à son rétablissement.

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DÉCOUVERTES C as clinique

Par Francesco Cro, psychiatre à Viterbe, enseignant en psychiatrie à la Faculté de médecine La Sapienza, à Rome.

À 16 ans, Norman, pris de convulsions, devient agressif et délirant. Son système immunitaire est en train de détruire les molécules qui transmettent l’information nerveuse dans son cerveau…

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orman, un adolescent de 16 ans, était encore en parfaite santé quatre jours avant son hospitalisation. Mais lorsqu’il arrive au service du docteur Meredith Chapman, de l’hôpital pour enfants d’Aurora, dans le Colorado, il est terrassé par des attaques d’épilepsie, caractérisées par une rigidité de tout le corps suivie de convulsions. Brûlant de fièvre, il peine à parler et cherche ses mots. Son visage est parfois déformé par une grimace asymétrique, avec un spasme du côté droit et des mouvements de mastication. Il se plaint en outre de céphalées, ainsi que d’une perte de sensibilité au bras droit et d’un malaise général. En dehors de cela, il est éveillé et lucide, et ne présente pas d’altérations sensorielles ni de la conscience.

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Bien dans son ventre, bien dans sa tête

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DÉCOUVERTES N eurobiologie

Par Valérie Daugé, Mathilde Jaglin, Laurent Naudon et Sylvie Rabot, respectivement directrice de recherche, doctorante et chargés de recherche à l’institut Micalis, au centre Inra de Jouy-en-Josas.

L’implication des bactéries intestinales dans certaines maladies mentales (autisme, dépression…) fait de moins en moins de doute. Alors pourrait-on soigner ces maladies par le ventre plutôt que par le cerveau ?

© Shutterstock.com/Macrovector/Pour la Science

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ous ne sommes pas seuls… dans notre corps. Des milliards de bactéries, totalement inoffensives, et même bonnes pour notre santé, vivent en symbiose avec nous, notamment dans nos intestins. Elles y constituent notre « microbiote » intestinal – ou flore intestinale. Et elles modifient notre comportement. La preuve : l’utilisation d’antibiotiques (des molécules qui détruisent les bactéries) ou de prébiotiques (des composés qui stimulent l’activité ou la croissance des bactéries intestinales, voir l’encadré page 30) diminue l’intensité de certains troubles neuropsychiatriques, comme l’autisme. Le microbiote influerait donc sur le cerveau ! L’un et l’autre seraient connectés. Ce lien s’observe-t-il même dans un organisme sain ? Joue-t-il un rôle dans d’autres maladies du système nerveux central ? Par quels mécanismes les bactéries intestinales agissent-elles à distance sur le cerveau ? Depuis quelques années, les éléments de réponse s’accumulent et établissent de façon claire la connexion entre cerveau et microbiote.

EN BREF ££Le microbiote intestinal, l’ensemble des bactéries non pathogènes de nos intestins, communique avec notre cerveau par les voies sanguine et nerveuse. Il influe ainsi sur notre comportement. ££Des déséquilibres du microbiote seraient en cause dans certaines maladies neurodéveloppementales et psychiatriques, comme l’autisme et la dépression. ££D’où des thérapies potentielles qui consisteraient à corriger ces déséquilibres, à l’aide de prébiotiques ou probiotiques par exemple.

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Un exemple ? L’encéphalopathie hépatique est une des maladies associées à des déséquilibres du microbiote, nommés dysbioses. Ce syndrome neuropsychiatrique se manifeste, entre autres, par de l’anxiété et des troubles de l’humeur et de la cognition. Il résulte principalement d’une insuffisance hépatique, mais se caractérise aussi par une composition particulière du microbiote intestinal. Ce dernier produit en quantité excessive certaines substances, tel l’ammoniaque, qui ne sont plus « détoxifiées » par le foie et s’accumulent de façon anormale dans la circulation sanguine et le cerveau. C’est bien la preuve d’une influence de la flore sur le cerveau. Et il y en a bien d’autres ! Plantons le décor. Notre tube digestif abrite une communauté microbienne qui compte près de cent mille milliards de bactéries (plus de 1,5 kilogrammes). Composé d’environ un millier d’espèces différentes, cette flore représente une diversité génétique énorme. On la considère aujourd’hui comme un véritable organe, situé à l’interface des aliments ingérés, qu’elle contribue à digérer, et de la muqueuse intestinale. Elle échange des signaux moléculaires avec cette dernière et communique ainsi avec tout l’organisme. Au cours des dix dernières années, le séquençage

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DÉCOUVERTES G randes expériences de psychologie

Qui est prêt à

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jouer avec l’argent public ? Par Daniela Ovadia, codirectrice du laboratoire Neurosciences et société de l’université de Pavie, en Italie, et journaliste scientifique.

La théorie des jeux explique les décisions que l’on prend dans différents contextes, de coopération ou de compétition. Pour mieux comprendre pourquoi l’homme n’est pas toujours égoïste.

© Stefano Fabbri

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’homme est égoïste. Ses décisions n’ont qu’un seul but : privilégier ses propres intérêts et augmenter son profit – aux dépens de ceux des autres. Ce serait le moteur du progrès et, en grande partie, celui du développement de notre espèce. C’est en tout cas ce que pensent les économistes de l’école néoclassique, qui repose sur le modèle de l’offre et de la demande. Pourtant, il existe de nombreux cas où cette théorie ne fonctionne pas : l’homme coopère parfois avec ses semblables pour atteindre un objectif commun, ou cède de façon altruiste une partie de ses biens pour aider un autre individu ou la collectivité. Alors comment expliquer des actes aussi inattendus, voire irrationnels ? Et quels modèles permettent de les étudier ? Ce sont les mathématiques économiques qui nous donnent des

EN BREF ££Pour comprendre pourquoi l’homme coopère parfois ou est altruiste, il y a la théorie des jeux, qui traduit le comportement humain en modèles mathématiques. ££Différents jeux, comme le dilemme du prisonnier ou le jeu du bien public, placent en situation des participants et évaluent les stratégies payantes ou perdantes. ££Ce qui aide à prédire le fonctionnement des hommes et des sociétés.

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réponses : la théorie des jeux fournit en effet un modèle théorique, vérifié expérimentalement, qui décrit les stratégies et les décisions que l’on peut prendre dans un contexte où la coopération, et non la compétition, prévaut entre individus. LA THÉORIE DES JEUX EXPLIQUE NOS CHOIX La théorie des jeux étudie les situations de conflit en envisageant deux hypothèses, la compétition et la coopération, de façon à comparer les résultats. Elle repose sur une idée simple : le comportement d’un « agent », d’un être humain en l’occurrence, peut être influencé « rétroactivement » par le comportement d’un autre agent. Autrement dit, chaque individu peut, en imaginant les stratégies que son concurrent pourrait mettre en œuvre et leurs résultats, changer sa propre stratégie pour optimiser ses gains. Une fois tous les scénarios possibles vérifiés, y compris de manière expérimentale, la théorie des jeux les traduit en formules mathématiques, comme pour les modèles économiques. Ce qui permet alors


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Dossier

LES SUPERPHYSIONOMISTES

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Repérer un visage instantanément dans une foule, après l’avoir vu une seule fois des années plus tôt : ce pouvoir est donné à de rares personnes, les « superphysionomistes ». Leurs services sont loués au prix fort par les polices de nombreux pays. Par Meike Ramon, neuroscientifique cognitiviste à l’université de Fribourg, en Suisse, et Anna Bobak, psychologue cognitiviste à l’université de Stirling, en Angleterre.

M

EN BREF ££Certaines personnes sont capables d’identifier un visage des années après une unique rencontre, malgré les changements liés à l’âge et aux variations de luminosité. ££Les causes cérébrales de ce talent hors norme restent méconnues, notamment parce que ces personnes ne forment pas un groupe homogène. ££Certains superphysionomistes mettent leurs compétences au service de la police pour identifier des criminels sur des enregistrements de vidéosurveillance. Leur pouvoir d’identification dépasse celui des meilleurs logiciels.

ais c’est le petit Paul… Comme il a grandi ! » Dans la queue du supermarché, un jeune trentenaire regarde, interloqué, cette vieille dame qui lui parle comme s’ils étaient de vieilles connaissances. « Vous ne me reconnaissez probablement pas, lui dit-elle, mais j’ai été votre professeure de natation au CE1. » Paul n’en revient pas. Il se souvient à peine de ce cycle de piscine qui avait duré quelques semaines, alors qu’il n’était âgé que de 7 ans. La plupart d’entre nous réagiraient sans doute de la même façon. À mesure que les gens prennent de l’âge, les traits de leur visage se modifient, certains se laissent pousser la barbe, d’autres changent de coiffure… Nous parvenons tout au plus à resituer les visages de nos proches ou des camarades d’école que nous avons longuement fréquentés. C’est autrement plus difficile avec des connaissances plus éphémères, et bien souvent nous échouons totalement à les reconnaître après un certain nombre d’années. Les superphysionomistes, eux, n’oublient jamais un visage rencontré ne fût-ce qu’une fois. Ils reconnaissent une personne des années plus tard, même après l’avoir vue seulement une ou deux fois très brièvement. La vendeuse dans la boutique de prêt-à-porter, le chauffeur de taxi, l’ami(e) de l’ami(e) croisé(e) au cours d’une fête… Ces superphysionomistes semblent avoir le don de traiter les visages inconnus avec la même efficacité que la plupart des gens avec leurs proches.

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© Shutterstock.com/Franzi

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DOSSIER R ECONNAÎTRE UN VISAGE ENTRE MILLE

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NÉS POUR

SE RECONNAÎTRE EN BREF ££En observant l’activité cérébrale d’une personne, les neuroscientifiques savent aujourd’hui deviner quelle partie du visage cette personne est en train de regarder. ££La cause : des zones adjacentes d’un visage activent des groupes de neurones voisins dans certaines régions du cortex cérébral.

© Shutterstock.com/Ollyy

££Les chercheurs désignent cette organisation anatomique sous le terme de « faciotope », ou carte faciale.

Comment faites-vous pour reconnaître instantanément des multitudes de visages différents ? Les neuroscientifiques ont découvert la réponse dans notre cerveau.

Nous sommes capables de distinguer des millions de visages au cours de notre vie. On a découvert que notre cerveau stocke ces faciès sous forme de cartes neuronales, véritables cartes d’identité de nos interlocuteurs. Par Sabrina Schröder, biologiste et journaliste scientifique.

A

ssis dans le bus, vous regardiez par la fenêtre, perdu dans vos pensées, quand quelque chose a attiré votre attention. Vous avez alors cherché des yeux ce qui vous avait alerté dans le car, pour en trouver la cause : un homme de stature moyenne, vêtu d’un long imperméable, plongé dans sa lecture. Difficile de

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distinguer clairement son visage, et ce n’est qu’au moment où il a relevé les yeux que vous avez été saisi d’un sentiment instinctif. Oui, vous aviez déjà vu cet homme. Sans savoir exactement où ni comment, mais c’est une certitude. Le trajet s’est poursuivi, et vous ne parveniez toujours pas à mettre un nom sur ce visage. Ce n’est que dix minutes plus tard, arrivé à destination, que la mémoire vous est revenue. Il s’agissait d’un collègue de travail d’une de vos amies rencontré lors d’une soirée. Il a fallu du temps à votre conscience pour exhumer ce souvenir, mais vous avez maintenant reconstitué une explication cohérente. Ce qui vous surprend le plus dans cet enchaînement d’événements, c’est le fait qu’instantanément, une sorte de témoin lumineux se soit allumé dans votre tête, de façon totalement involontaire. Brusquement, c’est comme si deux


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ÉCLAIRAGES p. 60 Le robot citoyen p. 66 À méditer p. 68 Tribunal sous influence p. 70 Mon voisin le tueur p. 76 Psycho citoyenne

Retour sur l’actualité

30 OCTOBRE 2017 Pour la première fois, un robot devient citoyen d’un pays.

SÉBASTIEN BOHLER Rédacteur en chef à Cerveau & Psycho.

Le robot citoyen

La préférence nationale à la saoudienne En accordant la citoyenneté à un robot, l’Arabie saoudite envoie un message sans ambiguïté à ses travailleurs étrangers : vous serez bientôt inutiles. N° 96 - Février 2018

E

n Arabie saoudite travaillent environ 9 millions d’immigrés, à qui n’est reconnu pratiquement aucun droit. Ouvriers du bâtiment, agents de nettoyage, femmes de chambre, aides à domicile, assistantes maternelles, ils sont les fourmis qui font fonctionner les grandes cités que sont Riyad ou Médine. Jamais aucun d’entre eux n’obtiendra la citoyenneté saoudienne. L’esclavage a été officiellement aboli en 1968, mais il se poursuit dans les faits, sous la forme d’emplois peu qualifiés occupés par des personnes en situation irrégulière, à la merci d’employeurs qui les paient une misère et leur confisquent dans bien des cas leurs passeports. Pourquoi dénoncer une fois de plus cette situation d’exploitation qui a déjà été pointée du doigt plus d’une fois par des organisations internationales comme Human Rights Watch ou Amnesty International ? Tout simplement parce que, le 30 octobre dernier, l’Arabie saoudite a nommé citoyen saoudien un robot. Une robote, plutôt, baptisée Sophia, créée par une société basée à Hong Kong et munie de logiciels de reconnaissance faciale et de mimiques du visage pour


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L’ACTUALITÉ

LA SCIENCE

L’AVENIR

Le 30 octobre 2017, l’Arabie saoudite accordait le statut de citoyen à un robot humanoïde capable de reconnaître les visages, d’exprimer des émotions et d’analyser les conversations grâce à des algorithmes opérés sur le cloud. Cet être cybernétique aurait, sur le papier, plus de droits que des millions de travailleurs étrangers dont le statut est depuis 2017 menacé par la loi.

À l’heure actuelle, les machines les plus perfectionnées restent dépourvues de conscience, d’émotions, tout comme de capacité à faire des choix libres. Leur accorder un statut de citoyen n’a guère de sens, si ce n’est dans le cadre d’une logique juridique et économique visant à faciliter leur emploi dans une économie de services en pleine expansion.

Au cours de l’histoire, les emplois les moins qualifiés ont toujours été les premières victimes de la mécanisation du travail. À l’heure où l’Arabie saoudite annonce sa volonté de refouler une partie de sa main-d’œuvre étrangère, cette situation fait réfléchir à un avenir où les robots pourraient remplacer les humains dans des secteurs toujours plus nombreux de l’économie.

exprimer une vaste palette d’émotions. Équipée en outre d’un module conversationnel qui lui permet d’analyser les propos de ses interlocuteurs et de leur répondre au moyen d’une voix de synthèse, Sophia est reliée au réseau du cloud où les extraits de ses conversations sont analysés et stockés afin d’enrichir sa capacité de réaction et d’interaction dans le futur. Ses premières apparitions dans les shows télévisés américains ont fait sensation (voir Sur le Web page 64). Sophia fera une parfaite hôtesse, ou un robot de compagnie pour personnes âgées et isolées. Surtout si le programme de transformation nationale annoncé par l’Arabie au mois de mars 2017, qui vise à l’expulsion massive de travailleurs étrangers (à peu près 30 % de la population), entre progressivement en vigueur. Les médias ont surtout réagi au fait que Sophia est une femme. Son visage en caoutchouc est d’ailleurs conçu sur le modèle de l’actrice

Sophia reconnaît des visages, exprime des émotions, a une voix humaine. Les emplois qu’elle pourra occuper seront nombreux. N° 96 - Février 2018

Audrey Hepburn. Un détail qui n’a pas manqué de susciter des salves de réactions inquiètes ou indignées dans les médias occidentaux et sur les réseaux sociaux : la machine à l’apparence féminine, de fait, aurait davantage de droits que les femmes saoudiennes, en atteste le fait qu’elle se promenait nu-tête et sans chaperon parmi les allées du salon... UN ROBOT EST-IL UN SUJET ? Mais au-delà de cette habituelle pomme de discorde, le fait qu’une telle machine se voie accorder un statut légal que 30 % de la population n’obtiendra jamais soulève des questionnements profonds et virulents. Un citoyen, par définition, doit être un sujet, et non un objet. Autrement dit, il doit ressentir des émotions (un critère dont témoigne l’élargissement de ce statut aux animaux), notamment la souffrance. Il doit en principe être doté d’une conscience. Et enfin, il est supposé autonome et libre. On voit mal, en effet, comment attribuer le statut de sujet à un être qui serait incapable de vouloir et de désirer par soimême, ou de faire des choix indépendants. Sur ces trois critères, d’un point de vue purement scientifique à l’heure où nous parlons, les robots ne sont pas des sujets. Il ne viendrait pas à l’idée de ceux qui les programment, ni des chercheurs spécialistes du cerveau, de prétendre


ÉCLAIRAGES I nfographie

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Tribunal sous influence

En règle générale, le déroulement d’un procès repose sur des preuves, des témoignages et le respect de la loi. Mais dans l’interprétation de ces derniers, juges, procureurs, témoins et avocats sont sujets à une multitude de biais psychologiques. Dont voici un rapide panorama. Texte : Liesa Klotzbücher/Illustration : Yousun Koh

1 Faux souvenirs

Notre mémoire ne nous livre pas une image totalement fidèle du passé. Nos souvenirs se laissent facilement modifier, voire créer de toutes pièces par des questions biaisées. Ce qui atténue la fiabilité des témoignages oculaires.

3

1 2

Reconnaissez-vous l’auteur des faits sans aucune ambiguïté ?

2 Effet de focalisation sur l’arme En situation de stress intense, notre perception se concentre totalement sur la source du danger, par exemple un pistolet. Dans les affaires mettant en jeu des armes à feu, les témoins ont souvent du mal à se rappeler précisément le visage de l’agresseur.

À ce moment-là, je me suis retrouvée face à cet homme avec une capuche, qui brandissait une arme devant moi…

Avocate Accusé

Témoin

3 L’occultation verbale Quand il nous est difficile de formuler quelque chose, mais que nous nous efforçons malgré tout de le faire, notre mémoire en pâtit. Dès que l’on demande à des témoins de décrire le visage d’un malfaiteur, ils ont ensuite plus de difficulté à l’identifier parmi une collection de photos, que d’autres témoins à qui aucune description verbale n’a été préalablement demandée.

4 La juge est jolie… J’imagine mal comment elle pourrait prononcer un mauvais verdict.

4 L’effet halo

En jugeant quelqu’un, nous commettons souvent l’erreur d’apprécier l’ensemble de sa personne à partir d’une de ses caractéristiques. Par exemple, nous avons tendance à trouver plus intelligentes et plus sociables les personnes physiquement attirantes.

Membre du public


7 5 Le procureur requiert trois ans d’emprisonnement. Peut-être ai-je été trop sévère dans mon appréciation de la situation…

5 Effet d’ancrage Lorsqu’on demande à une personne de produire un jugement chiffré, par exemple la durée d’une peine d’emprisonnement, on observe que sa réponse a tendance à se rapprocher de n’importe quel nombre précédemment rencontré. Dans des expériences de laboratoire, même des juristes expérimentés cèdent à ce biais et s’alignent sur la peine proposée par un procureur. Même des interjections partisanes (« Condamnez-le donc à cinq ans ! ») peuvent avoir une influence.

Le témoin décrit l’auteur des faits comme ayant les cheveux foncés. L’accusé est plutôt blond. Mais peut-être avait-il les cheveux sales ce jour-là ?

8

6 Effet de fatigue mentale Un juge fatigué ou qui a faim prononce en moyenne des sentences plus lourdes qu’un autre bien nourri et reposé. Les chances de l’accusé sont ainsi meilleures au petit matin ou après des pauses entre les audiences.

Ce personnage me semble à la fois négligent et antipathique. Je ne crois pas un mot de ce qu’il dit.

6

9 10

Que l’accusé n’espère pas m’embrouiller ! Je sais pertinemment qu’il ment. Il suffit de voir à quel point il est nerveux.

Jurée

Juge

Juré

7 Effet de persévération

Il est difficile de revenir sur l’impression générale que nous fait une personne ou une situation, même si de nouveaux faits ou révélations viennent contredire cette impression première. Procureur

8 Attribution de crédibilité Nous trouvons plus crédibles les personnes plus âgées, d’aspect soigné, d’apparence sympathique, et qui semblent partager les mêmes opinions que nous. À l’inverse, nous faisons moins confiance aux individus introvertis, peu sociables, timides ou peu expressifs sur le plan émotionnel. 9 Illusion de supériorité

Les individus sont généralement persuadés d’être meilleurs que la moyenne dans la plupart des domaines. Ils croient également pouvoir détecter facilement les mensonges – ce en quoi ils se trompent lourdement.

10 Erreur d’Othello

Lorsqu’un prévenu se montre nerveux lors d’un interrogatoire, l’accusateur y voit un signe suspect et augmente la pression au cours de l’audition. Ce qui rend le prévenu encore plus nerveux, et conforte l’accusateur dans son analyse. De telles réactions ne signifient pas obligatoirement qu’une personne déforme la vérité.

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ÉCLAIRAGES P sychologie

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Mon voisin le tueur Par Ines Vogel et Uli Gleich, chercheurs en psychologie de la communication et des médias à l’université de Coblence-Landau.

De plus en plus de séries télévisées mettent en scène des héros à la morale douteuse, voire de cruels meurtriers. Et on aime ça ! Reste à savoir pourquoi…

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u’ont en commun Commissaire Moulin, James Bond et Star Wars ? Il y est toujours question d’une opposition vieille comme le monde, entre d’une part les héros qui combattent pour faire respecter la loi et la justice, et d’autre part des malfaiteurs qu’il s’agit de neutraliser – ce qui ne manque jamais d’arriver à la fin. Les choses sont loin d’être aussi simples dans des séries plus récentes et très populaires comme Les Sopranos, Breaking Bad, House of Cards ou Dexter. La frontière entre le bien pur et le mal le plus obscur est beaucoup plus difficile à tracer. Les « héros », qu’il s’agisse de Tony Soprano, Walter White ou Dexter Morgan, évoluent tout simplement en dehors du cadre de la loi : ce sont des chefs mafieux, des dealers de drogue, des politiciens véreux ou des tueurs en série. L’immense succès des intrigues dont le rôle principal est joué par des personnages moralement ambivalents montre que les spectateurs trouvent ces figures au moins aussi attirantes et

EN BREF ££Dexter, Tony Soprano ou Frank Underwood ne s’encombrent pas de sentiments pour parvenir à leurs fins. Et ils plaisent souvent plus que les héros à la morale irréprochable. ££Nous tenterions de concilier notre attachement à ces héros avec nos normes éthiques, ce qui nous stimulerait. ££Voir un personnage transgresser les normes nous amène aussi à préciser nos propres standards moraux.

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Dexter est le prototype du héros ambivalent. Il se livre à des actes atroces pour punir des criminels étant passés à travers les mailles de la justice. Que penser de lui ? Ce dilemme est une clé du succès de la série.


© Getty Images/ BS Photo Archive/Contributeur

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VIE QUOTIDIENNE

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p. 84 Donner aux élèves le goût de l’effort p. 86 La question du mois p. 88 Comment manager de manière plus rationnelle ?

E-mail ou téléphone ? Par Christoph Laubert, chercheur en marketing à l’université libre de Berlin, et Ingmar Geiger, statisticien à l’université de Aalen, en Allemagne.

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Pour demander conseil à un collègue, exposer un différend ou négocier en affaires, vaut-il mieux envoyer un e-mail, décrocher son téléphone ou se voir en face-à-face ? De premières études livrent un guide des bonnes pratiques.

eut-être un jour déciderezvous de faire installer une nouvelle cuisine ultramoderne dans votre appartement. Étant donné que vous estimerez devoir investir une coquette somme, vous aurez la ferme intention de demander une ristourne à votre fournisseur et à l’installateur. Une fois que vous vous serez mis d’accord avec votre conjoint(e) sur le modèle de cuisine de vos rêves, lorsque vous aurez choisi un lave-vaisselle d’un très bon rapport énergétique et que le vendeur vous aura convaincu qu’il vous faut absolument un cuiseur à vapeur en prime, il ne restera plus qu’à régler la question du prix global. Vous commencerez à réfléchir au moyen le plus habile d’engager le dialogue. Et aboutirez probablement à un questionnement : dois-je avoir une conversation personnelle avec le vendeur, ou serait-il mieux de l’appeler au téléphone, voire de lui envoyer un e-mail ? Et vous ferez bien de vous interroger, car la façon d’établir le contact a son importance pour déterminer l’issue finale des tractations.

EN BREF ££La multiplicité des canaux de communication nous place face à un dilemme : lequel choisir, au travail et dans la vie privée ? ££Pour communiquer de nombreuses informations, les médias textuels comme le mail sont parfaits. Pour se mettre d’accord sur la façon d’interpréter les informations, mieux vaut opter pour le téléphone ou la rencontre. ££Le face-à-face, plus rapide, permet une meilleure intégration des informations. En général, on gagne à s’orienter vers le média que l’on préfère spontanément.

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La question du média à privilégier pour communiquer pointe le bout de son nez dans une multitude de situations, dès qu’il s’agit d’éclaircir des malentendus ou des incohérences, ou bien que l’on souhaite aboutir à un consensus, que ce soit dans la sphère privée, dans les rapports professionnels ou en politique. Or la réponse est loin d’être évidente, car chaque modalité possède ses atouts et faiblesses. Savoir laquelle utiliser nécessite de bien définir les caractéristiques de l’interaction envisagée, le but poursuivi, et aussi le type de support avec lequel on se sent soi-même le plus à l’aise. En négociation, par exemple, deux parties – au minimum – tentent de se mettre d’accord sur la façon dont elles pourraient exiger ou concéder des avantages, de façon à satisfaire leurs propres intérêts. Les chercheurs qui étudient ces situations établissent une distinction entre les styles de négociations dure et souple. Dans une négociation dure, plusieurs critères comptent : Un accord a-t-il pu être obtenu ? Quelle est la valeur économique représentée par cet accord – quel


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© sdecoret / shutterstock.com

acquièrent une compréhension commune des questions traitées. Cela n’implique pas nécessairement qu’ils soient d’accord sur tout, mais que l’un et l’autre comprennent de la même façon chaque information échangée, et notamment qu’ils veuillent signifier la même chose lorsqu’ils emploient un concept ou une formulation donnés. Pour revenir à l’exemple que nous citions au début de ce texte, que signifie dans le contrat le terme « heure de travail comptabilisée » ? S’agit-il ici de chaque heure passée par l’artisan dans votre maison à monter la cuisine en question, ou faut-il y inclure aussi le temps de déplacement, voire le travail de préparation qui peut être réalisé sur un autre site ? Ce type de détail doit impérativement être éclairci.

prix a été fixé pour un produit ou un service, quelles performances sont garanties, avec quel délai de paiement ? Ces critères peuvent être examinés du point de vue d’une seule partie ou depuis une perspective « aérienne » : les deux interlocuteurs ont-ils atteint une situation de gagnant-gagnant, ont-ils trouvé le point optimal de maximisation de leurs intérêts mutuels ? Le style de négociation souple, en revanche, inclut la satisfaction vis-à-vis du résultat mais aussi du processus de dialogue lui-même. Il prend en compte la possibilité d’une relation améliorée avec le partenaire, ou la recherche de loyauté dans les rapports (voir l’encadré page 80). Or, et c’est là que nous retombons sur notre préoccupation initiale, pour arriver à un bon équilibre des intérêts de chacun, il est indispensable que les deux parties échangent des informations, par exemple sur leurs préférences et leurs priorités. Pour être certain que ces dernières soient bien prises en compte par tout le monde, il est essentiel que les interlocuteurs

Vous aimeriez exprimer à votre supérieur un certain nombre de problèmes liés à l’organisation de votre service. La liste est longue. Un e-mail serait pratique. Mais ne risque-t-on pas le malentendu ?

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SE VOIR EN FACE-À-FACE : LES POUR ET LES CONTRE D’autres éléments font qu’une communication est réussie ou non. Notamment, l’efficacité avec laquelle elle se déroule, et le fait que le contenu des échanges soit fixé pour pouvoir être ensuite rappelé et utilisé. D’un côté, nous souhaitons pour la plupart éviter de consacrer trop de temps et d’énergie à ces échanges d’informations, et on préfère alors un rapide appel téléphonique à un rendezvous physique. Mais d’un autre côté, on peut éprouver le besoin que certaines choses soient documentées. C’est à ce niveau qu’interviennent les particularités liées aux différents canaux de communication disponibles. Leur variété n’a jamais été aussi grande qu’aujourd’hui. Pendant des siècles, les rencontres physiques ont été l’unique moyen d’échanger des informations ; à l’heure actuelle, la négociation et les entretiens se font en face-à-face, par téléphone, par vidéoconférence (par exemple par Skype), messagerie instantanée (WhatsApp, Facebook), SMS ou e-mail. Et ces médias se distinguent par bien des côtés. Tout d’abord, la rencontre personnelle garantit un retour rapide de l’interlocuteur pour chaque aspect abordé, et chaque prise de parole. Aussi bien sur un plan verbal que non verbal, puisque les mimiques et les attitudes d’une personne en disent souvent aussi long que ses déclarations explicites. Le désavantage, pour l’auditeur, vient du fait qu’il lui sera plus difficile de fixer ce qu’il a entendu sur un support et de le réutiliser plus tard. Et pour celui qui parle, il est plus difficile de contrôler le message émis – à la différence d’un e-mail que l’on peut relire ou donner à relire pour


VIE QUOTIDIENNE L es clés du comportement

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NICOLAS GUÉGUEN Directeur du Laboratoire d’ergonomie des systèmes, traitement de l’information et comportement (LESTIC) à Vannes.

Comment manager de manière plus rationnelle ?

I

Quand il s’agit de prendre des décisions, le cerveau du manager est sujet à mille biais irrationnels. Les débusquer est essentiel pour progresser.

l fait beau. C’est vendredi, vous n’avez plus que trois dossiers de candidats à examiner avant de partir en week-end. Vous ne le savez pas, mais vous êtes dans une situation idéale pour faire un mauvais choix et vous en mordre les doigts pendant des années. Vous retrouver avec un collaborateur sélectionné sur un coup de tête, sans prendre en compte toutes les informations importantes pour le poste, et devoir gérer ensuite les tensions dans votre équipe, sans même parler d’un éventuel licenciement. Quand on occupe une fonction de cadre, qu’on a la responsabilité de certaines décisions, on est généralement préparé à réfléchir et agir de façon rationnelle. Mais même le cerveau le plus aguerri est en fait un nid d’erreurs potentielles, car personne ne peut éviter d’être influencé par des facteurs dont nous n’avons pas idée, qu’ils soient extérieurs (le moment de la journée, la luminosité) ou intérieurs (nos émotions du

EN BREF ££Au travail, nous nous laissons influencer par de multiples éléments irrationnels. ££Le besoin d’avoir eu raison conduit par exemple à persévérer dans un projet qui sera presque à coup sûr un échec et la météo change les critères privilégiés lors d’un recrutement. ££Développer son intelligence émotionnelle protège de certains de ces biais.

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moment). Manager de façon sensée et avec succès commence par être au fait de ces biais cognitifs. Le premier d’entre eux consiste à surestimer l’influence des caractéristiques personnelles dans les événements négat ifs qui sur v ien nent. Revenons au cas où vous devez recruter un collaborateur : si la personne qui postule est au chômage, vous aurez tendance à l’attribuer intuitivement à un manque de compétences ou à un caractère problématique (par exemple instable ou apathique) plutôt qu’à des facteurs extérieurs, comme une conjoncture économique difficile ou une baisse d’activité de son ancienne entreprise. Un biais clairement établi par Pierre Chauvot, de l’université de Nanterre. En réponse à plusieurs centaines d’annonces correspondant à des postes de cadres commerciaux, il a expédié la même lettre de motivation, accompagnée d’un CV stipulant dans la moitié des cas que le candidat était en poste et dans l’autre moitié qu’il était


© Charlotte-Martin/www.c-est-a-dire.fr

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LIVRES

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p. 92 Sélection d’ouvrages p. 94 L’Attrape-cœurs : pérégrinations d’un cerveau adolescent

SÉLECTION

A N A LY S E

Par Jérôme Palazzolo

MÉMOIRE Ma mémoire et les autres ouvrage collectif Le Pommier

THÉRAPIE V ous êtes votre meilleur psy ! d’ Antoine Pelissolo F lammarion

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rès d’une personne sur cinq souffre ou a souffert de troubles psychiques. Il ne s’agit bien sûr pas toujours de pathologies sévères, mais tout de même de difficultés qui dégradent la qualité de vie : anxiété permanente, peur de conduire, insomnie, timidité excessive, addiction au jeu, mauvaise estime de soi… Souvent banalisés, ces troubles sont d’autant plus perturbants qu’ils ont tendance à s’installer dans la durée. Les 10 millions de Français concernés ne peuvent ou ne souhaitent pas tous consulter un spécialiste. Antoine Pelissolo, psychiatre et professeur de médecine, leur propose alors un livre d’autotraitement, précieux pour aller mieux – les recherches récentes démontrant de plus en plus l’efficacité de ce type d’ouvrage (voir l’article page 12). Dans un style accessible et bienveillant, l’auteur décrit une trentaine de ces difficultés psychologiques courantes. Pour chacune d’entre elles, il explique en quoi certaines attitudes ou réactions sont problématiques et quelle est leur gravité réelle : léger trouble gérable par soi-même ou pathologie nécessitant de consulter ? Ainsi, le trac est parfois relativement anodin, mais il peut aussi être le signe d’une phobie sociale. Surtout, l’auteur décrit comment affronter ces difficultés, grâce à des exercices faciles à pratiquer et qui ont fait leurs preuves. Quand l’estime de soi est défaillante, par exemple, il est utile de se fixer un objectif simple : identifier au quotidien des signes positifs témoignant de ses qualités. Antoine Pelissolo s’appuie sur les méthodes des thérapies cognitivocomportementales, qui comptent parmi les plus efficaces contre de nombreux troubles. Un des piliers de ces méthodes est la psychoéducation : celle-ci consiste à rendre le patient expert de sa maladie, afin qu’il soit décideur et actif tout au long de sa thérapie. Cet ouvrage y réussit pleinement, prodiguant avec clarté de multiples informations. Comme le dit l’auteur : « Un patient qui va mieux est un patient qui sait comment il fonctionne psychologiquement et émotionnellement, et qui sait comment il peut prévenir et faire face à ses vulnérabilités et à l’adversité, actuelles et futures. » Jérôme Palazzolo est psychiatre, psychothérapeute et professeur de psychologie clinique à l’université internationale Senghor.

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C PSYCHOLOGIE La Motivation ouvrage collectif Sciences Humaines

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omment motiver un enfant à l’école ? Et ses collaborateurs au travail ? Qu’est-ce qui nous pousse nous-mêmes à agir ? À ces questions, aucune réponse univoque : on recense pas moins de cent une théories de la motivation, apprend-on dans cet ouvrage, rédigé par un collectif de chercheurs et de journalistes. Il en ressort que nous sommes poussés par un entrelacs complexe de besoins physiologiques, sociaux, psychologiques… À travers un large passage en revue des théories sur le sujet et un certain nombre d’expériences édifiantes, les auteurs nous donnent toutes les clés pour nous y repérer. Et pour actionner les bons leviers.

’est une mutation fondamentale dans l’appréhension scientifique de la mémoire que décrit cet ouvrage collectif : « Il n’est plus pensable en effet d’étudier et de comprendre la mémoire, son évolution, ses transformations au cours de la vie, ses pathologies, sans prendre en compte les liens entre soi et l’autre. » Les auteurs balaient les découvertes qui ont forgé cette nouvelle conception et concluent par deux problématiques très actuelles : l’impact de l’« extériorisation » de nos mémoires sur des supports informatiques et la construction de la mémoire collective des attentats du 13 novembre 2015.


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COUP DE CŒUR Par Sébastien Bohler

SANTÉ L’Hypnose d’Antoine Bioy Puf

NEUROSCIENCES Défiez votre cerveau ! de J ack Guichard Larousse

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ans cet ouvrage, vous apprendrez à faire un trou dans votre main sans douleur, à raccommoder les deux morceaux d’un pont ou à deviner ce qu’a choisi un ami dans un jeu de cartes. Et chacune de ces expériences lèvera un coin du voile sur le fonctionnement de votre cerveau, comme nous l’explique le neurophysiologiste Jack Guichard, ancien directeur du palais de la Découverte – haut lieu parisien de la vulgarisation scientifique. Alternant illusions, jeux et tours de magie, il décrit ainsi les différentes modalités sensorielles et les grandes fonctions cognitives : mémoire, émotions, langage… Une introduction amusante sur le cerveau, pour tout public.

À

la fois phénomène de foire, outil thérapeutique et objet d’étude scientifique, l’hypnose alimente tous les fantasmes. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Ce petit condensé d’encyclopédie vous permettra d’y voir plus clair : définition, histoire, variantes, méthodes, utilisations médicales (par exemple contre la douleur), effets sur l’activité cérébrale, instituts de formation… Que vous soyez un simple curieux intrigué par l’état de conscience si particulier induit par l’hypnose ou un soignant désireux de découvrir cette méthode thérapeutique, vous devriez y trouver l’essentiel de ce que vous souhaitez savoir.

SCIENCE ET SOCIÉTÉ H omo Deus de Y uval Noah Harari A lbin Michel

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omo Deus fait partie de ces livres qu’il faudra rouvrir dans vingt ans en se posant une question : avait-il raison ? La futurologie est une science plus que douteuse, mais Yuval Noah Harari a l’intelligence de préciser que c’est en échafaudant des scénarios d’avenir qu’on se donne la chance de les faire mentir. Et entre nous, on espère que ce soit le cas. Car en dévorant ces quatre cents pages d’une saga balayant des siècles d’histoire passée pour se projeter dans l’avenir de nos sociétés, on a la désagréable impression que le chemin tracé par son auteur est en train de se réaliser et que ce n’est pas forcément une bonne nouvelle. Que nous dit en substance Harari ? Que l’humanité est passée par plusieurs stades. Le premier fut l’âge du sens. Pendant des millénaires, l’homme en butte aux famines et à la mort précoce s’est considéré comme le protagoniste d’un grand drame cosmique ourdi par des forces supérieures. Grain de sable dans cet édifice, il avait au moins la consolation de se dire que tout cela avait un sens et qu’il pouvait prétendre à des prolongations dans l’au-delà. Le deuxième âge fut celui du pouvoir. Avec l’essor des sciences, l’homme rationnel a compris qu’il n’y avait aucun sens dans la création, qu’il n’était le protagoniste de rien, et qu’il faisait face à un grand vide. Angoisse terrible, heureusement contrebalancée par le pouvoir matériel que conféraient les technologies. Notre espèce a alors, selon Harari, troqué du sens contre du pouvoir. La troisième étape est un bref tour de passe-passe pour récupérer un peu de sens en gardant le pouvoir, en plaçant sa foi non plus en Dieu, mais en l’homme. L’humanisme fut une parenthèse agréable mais de courte durée, car la prochaine étape sera la dissolution pure et simple de l’individu dans un grand tout technologique où, bardés de capteurs et d’algorithmes devinant nos moindres désirs, nous deviendrons des dieux sans limites mentales ni corporelles, totalement connectés et remplaçables pièce par pièce. Dit comme cela, cela semble un peu fou. Mais dans le style Harari, c’est fascinant. On se demande où est la faille. Il y en a, par ci, par là, mais l’ensemble reste formidablement stimulant. Et, comme on vous dit, reparlons-en dans vingt ans. Sébastien Bohler est rédacteur en chef de Cerveau&Psycho.

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LIVRES N eurosciences et littérature

SEBASTIAN DIEGUEZ Chercheur en neurosciences au Laboratoire de sciences cognitives et neurologiques de l’université de Fribourg, en Suisse.

L’attrape-cœurs Pérégrinations d’un cerveau adolescent

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u’elle évoque la nostalgie d’un âge d’or perdu ou un cauchemar à oublier au plus vite, l’adolescence ne laisse personne indifférent. C’est la période de la vie qui reste la plus solidement ancrée dans nos mémoires, celle dont nous jugeons les épisodes, les rencontres et les découvertes comme les plus décisives pour le reste de notre existence. Mais on parle également d’âge ingrat, de crise d’adolescence, de phase qui finira par passer, avec ses turbulences, ses risques, ses soubresauts… Pourquoi cette étape cruciale du développement suscite-t-elle des sentiments aussi contrastés ? Biologiquement, l’adolescence est définie comme la conséquence des bouleversements associés à la puberté ; psychologiquement, elle s’envisage comme l’achèvement de l’évolution cognitive au sortir de l’enfance ; socialement, on

Nulle œuvre n’a mieux saisi la richesse et l’ambivalence de l’adolescence que le roman de J. D. Salinger. Mais pourquoi notre cerveau nous pousse-t-il à des comportements si étranges pendant cette période ?

EN BREF ££Dans L’Attrape-cœurs, J. D. Salinger décrit trois jours d’errance d’un adolescent, qui boit, fume, traîne sans but, se bat, se met en danger… ££Ce comportement, typique de l’adolescence, s’expliquerait par la différence de maturité entre les centres cérébraux de la maîtrise de soi et des émotions. ££La plasticité cérébrale propre à cette époque rend les adolescents vulnérables, mais aussi très adaptables.

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la considère comme une somme d’épisodes conduisant à l’autonomie personnelle et l’entrée dans le monde adulte. Assailli de transformations corporelles et mentales, pris dans les rites de passage institués par la société, l’adolescent est un être complexe qui reste largement incompris. L’ADOLESCENT, ÉTERNEL INCOMPRIS À cet âge, on n’en a d’ailleurs que trop conscience. Il semble que l’adolescent soit à part, déjà loin des plus petits, mais défiant à l’égard des adultes qu’il est censé rejoindre… Un voyage initiatique, formateur, mais ô combien incertain, dont nulle œuvre littéraire plus que L’Attrapecœurs, de J. D. Salinger (nom de plume de l’écrivain américain Jerome David Salinger), n’a su capturer l’essence ambivalente, tout à la fois drôle, insouciante, touchante, irritante et douloureuse.

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Le saviez-vous ?

p. 6

TROUS DE MÉMOIRE

Dans la maladie d’Alzheimer, selon une récente théorie, les plaques amyloïdes formeraient de minuscules canaux dans les membranes des neurones, ouvrant le passage à des ions qui en déstabiliseraient l’équilibre biochimique. p. 84

BÉBÉ BAYÉSIEN

Les bébés font (involontairement ) des statistiques pour évaluer le coût d’un effort, en se fondant sur des associations passées entre leurs actes et les récompenses associées. Pour cela, leur cerveau met en oeuvre la loi de Bayes, un mathématicien anglais du xviiie siècle. p. 88

p. 44

PROSOPAGNOSIE

Certaines personnes, en raison de lésions cérébrales ou de mutations génétiques, ne reconnaissent pas les visages. Pour elles, tous les individus se ressemblent. Il leur faut jusqu’à 25 secondes pour savoir à qui elles ont affaire, et doivent se fier à la voix ou à des détails de la tenue vestimentaire de leurs interlocuteurs.

MÉTÉO TROMPEUSE

Recruter un candidat quand il fait beau n’est pas une bonne idée : on fait plus attention au fait qu’il fait du parachutisme et de la clarinette qu’à son niveau de qualification professionnelle.

p. 92

101

p. 28

C’est le nombre de théories de la motivation recensées par un ouvrage collectif sur ce sujet. Mieux vaut être motivé pour trouver la bonne. p. 86

PSYCHOBIOTIQUE

Contraction des termes psyché et probiotiques, les psychobiotiques sont des organismes vivants qui, une fois ingérés, améliorent les symptômes de patients souffrant d’une maladie psychiatrique, en produisant dans leur intestin des molécules capables d’interagir avec le cerveau. Ils soulageraient le stress et certains symptômes de l’autisme…

ÉMOTION DIMORPHE

Avoir envie de croquer un petit bébé ou un adorable chaton est une émotion dimorphe : ce type de ressenti est un mélange de deux états affectifs qui se contrebalancent. La pointe d’agressivité qui se manifeste serait un moyen de tempérer l’excès d’attendrissement qui nous submerge.

p. 52

FACIOTOPE

Dans notre cerveau, les neurones réagissant à la vue d’un nez, d’une bouche ou d’une oreille sont également disposés selon le plan d’ensemble d’un visage. On appelle ce plan faciotope.

Imprimé en France – Roto Aisne (02) – Dépôt légal février 2018 – N° d’édition M0760096-01 – Commission paritaire : 0718 K 83412 – Distribution Presstalis – ISSN 1639-6936 – N° d’imprimeur 17/12/0017 – Directrice de la publication et gérante : Sylvie Marcé


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