Cerveau & Psycho n°105 - décembre 2018

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Cerveau & Psycho

N° 105 Décembre 2018

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PEUT-ON ÉPROUVER DE LA HONTE SANS AVOIR RIEN FAIT DE MAL ?

AUTISME LE CHOC DES DÉCOUVERTES Interview EN NEUROSCIENCES « Ce qui va

ESTIME DE SOI QUAND VOTRE MIROIR VOUS VEUT DU BIEN

NEUROÉDUCATION

LES MÉTHODES QUI PRÉPARENT L’ENFANT À RÉUSSIR ÉMOTIONS NE LES CONFIONS PAS À DES OBJETS (MÊME CONNECTÉS) D : 10 €, BEL : 8,5 €, CAN : 11,99 CAD, DOM/S : 8,5 €, LUX : 8,5 €, MAR : 90 MAD, TOM : 1 170 XPF, PORT. CONT. : 8,5 €, TUN : 7,8 TND, CH : 15 CHF

changer dans les prises en charge des personnes autistes » page 60


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N° 105

NOS CONTRIBUTEURS

ÉDITORIAL

p. 42-58

SÉBASTIEN BOHLER

Thomas Bourgeron

Directeur du laboratoire de génétique humaine et fonctions cognitives, de l’université Paris-Diderot, du CNRS et de l’institut Pasteur, à Paris, il porte aussi la chaire de recherche sur l’autisme et le cerveau social de la fondation Bettencourt-Schueller.

p. 60-65

Amaria Baghdadli

Professeure des universités à la faculté de médecine de Montpellier, praticienne hospitalière au CHU de Montpellier et chercheuse au Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations de Paris, Amaria Baghdadli aide de nombreux enfants autistes.

p. 68-73

Stéphane Amato

Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, chercheur à l’Imsic de Toulon, Stéphane Amato analyse notre rapport avec les interfaces numériques de nouvelle génération qui prétendent déchiffrer nos états mentaux et émotionnels.

p. 82-84

Jean-Philippe Lachaux

Directeur de recherche à l’Inserm, au Centre de recherches en neurosciences de Lyon, Jean-Philippe Lachaux explore les mécanismes cérébraux de l’attention et de l’apprentissage, en laboratoire et en situation dans des classes pilotes de la région lyonnaise.

Rédacteur en chef

Objet de mon désir

U

n objet, on en fait ce que l’on veut. Un objet n’a pas de droits. Il n’a pas de volonté, pas de liberté, il ne souffre pas. Il est soumis à nos désirs. On le possède. On l’utilise pour son confort, pour sa commodité, pour son plaisir. Il ne dit pas non. S’il résiste, on le brise. Et on le remplace. Qui songerait, ayant lu cela, à considérer les femmes comme des objets ? C’est pourtant ce que tend à faire le cerveau des hommes. Les terribles preuves accumulées par le neuroscientifique Philippe Bernard et décrites en page 76 montrent comment se déroule ce processus. L’encéphale du mâle voit le corps comme un assemblage de pièces détachées. On détaille la poitrine, les fesses, les hanches. Un basculement vers le corps qui évacue en un claquement de doigts l’esprit et le sujet. Dans le monde, les droits des femmes sont rognés comme si elles devaient, justement, rester cantonnées à un rôle d’objet. Funeste penchant de notre cerveau, qu’il nous faut surmonter par un effort de notre conscience pour se rappeler qu’il y a toujours, derrière le corps objet, un sujet à part entière. Et il y aura du travail, car de premiers résultats suggèrent que les femmes font de même avec les hommes… Mais notre cerveau n’est-il pas, lui aussi, un objet ? L’étonnante théorie dévoilée en page 16 explique que le fonctionnement des neurones serait peutêtre mécanique, et non électrique. Comme si nous pensions avec des ondes de compression de fluide dans des pistons. Et que nous apprennent les dernières découvertes sur l’autisme ? Que pour ces patients, la principale difficulté est d’attribuer une subjectivité aux autres. La capacité à simuler en miroir, à l’intérieur de soi, les pensées et intentions d’autrui serait altérée. Le sujet, encore une fois, disparaîtrait derrière l’objet. Pour tout le monde, réaccéder à l’intersubjectivité du monde est l’enjeu majeur. £

N° 105 - Décembre 2018


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SOMMAIRE

p. 41-67

Dossier

N° 105 DÉCEMBRE 2018

p. 14

p. 16

p. 26

p. 34

p. 41

AUTISME LE CHOC DES

p. 6-38

DÉCOUVERTES p. 6 ACTUALITÉS Vous faites meilleure impression que vous ne le croyez Ce qui nous rend libres Les nourritures antidéprime La crèche, mieux que la nounou ? Enfants : l’onde cérébrale de la violence Donner à un SDF ou à une association ? Surcharge mentale à l’hypermarché Les neurones du temps qui passe p. 14 NEUROSCIENCES

La procrastination, un défaut cérébral Découverte des neurones qui nous font tout repousser au lendemain. Sébastien Bohler

p. 26 CAS CLINIQUE LAURENT COHEN

L’homme qui ne reconnaissait plus personne

Tous les matins, il se réveille dans le lit d’une belle inconnue. C’est sa femme, mais pourquoi ne reconnaît-il plus son visage ? p. 32 INFOGRAPHIE

8 000 ans de neurosciences

Des trépanations du néolithique à l’IRM par tenseur de diffusion. p. 34 GRANDES EXPÉRIENCES

L’incroyable théorie DE NEUROSCIENCES du neurone mécanique Neuroleptiques : Et si le signal nerveux n’était pas porté le radeau par de l’électricité, mais par des ondes des psychoses de déformation des membranes des neurones ? Douglas Fox

p. 42 P SYCHIATRIE

RECONNAÎTRE L’AUTISME Un continuum de troubles mentaux.

Anna von Hopffgarten et Anke Heinzelmann

p. 16 N EUROSCIENCES

DÉCOUVERTES EN NEUROSCIENCES

En 1951, Henri Laborit invente les neuroleptiques. Plus rien ne sera jamais pareil en psychiatrie. Laura Poupon-Béjuit

Richard Delorme, Frédérique Amsellem et Thomas Bourgeron

p. 48 N EUROSCIENCES

UNE MALADIE GÉNÉTIQUE ?

Les gènes expliquent 80 % du tableau clinique. Claire Leblond, Richard Delorme et Thomas Bourgeron

p. 54 N EUROBIOLOGIE

DANS LE CERVEAU DES AUTISTES

À la base, une perturbation des synapses… Guillaume Dumas, Roberto Toro, Thomas Bourgeron et Richard Delorme

p. 60 I NTERVIEW

LES PRISES EN CHARGE PROGRESSENT Amaria Baghdadli

p. 66 E NDOCRINOLOGIE

LE RÔLE DE L’ENVIRONNEMENT Les pesticides et perturbateurs endocriniens aggravent le risque d’autisme. Barbara Demeneix

En couverture : © Master1305 /shutterstock.com

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5

p. 94

p. 68

p. 74

p. 82

p. 88 p. 92

p. 68-75

p. 76-91

ÉCLAIRAGES

VIE QUOTIDIENNE LIVRES

p. 68 R ETOUR SUR L’ACTUALITÉ

p. 76 N EUROSCIENCES

sur le marché. Ils ont décrypté une chose : notre crédulité.

Des expériences donnent le frisson : le cerveau masculin traiterait le corps des femmes comme une chose.

p. 92-98

Décodage émotionnel : Le cerveau voit-il arnaque ou cauchemar ? les femmes comme Les gadgets qui prétendent des objets ? décrypter vos émotions déferlent Stéphane Amato

p. 74 PSYCHO CITOYENNE

CORALIE CHEVALLIER ET NICOLAS BAUMARD

Des plaques vertes pour sauver la planète  Au Royaume-Uni, les plaques vertes sur les voitures à faible émission de CO2 pourraient inverser les courbes de la pollution.

Sara Mohammad Abdellatif

p. 82 L ’ÉCOLE DES CERVEAUX

Éduquer la métacognition, clé du succès pour les enfants Comment développer les capacités de planification, de persévérance ou de flexibilité mentale des petits. Jean-Philippe Lachaux

p. 86 LA QUESTION DU MOIS

Le manque de sommeil fait-il grossir ? Manfred Hallschmid

p. 88 L ES CLÉS DU COMPORTEMENT NICOLAS GUÉGUEN

Mon psy le miroir

Dépression, faible estime de soi, image négative de son corps : si votre meilleur thérapeute était... votre miroir ?

N° 105 - Décembre 2018

p. 92 S ÉLECTION DE LIVRES Apprendre ! Le Temps psychologique en questions Le Mensonge dans le couple La Peur d’avoir peur Tout ce que la science sait de la religion Pourquoi la torture ne marche pas p. 94 N EUROSCIENCES ET LITTÉRATURE SEBASTIAN DIEGUEZ

Annie Ernaux La honte des innocents

On a parfois honte sans avoir rien fait de mal. Simplement par peur de ne pas être accepté socialement. En avoir conscience aide à s’en libérer.


DÉCOUVERTES

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p. 14 La procrastination, un défaut cérébral p. 16 L’incroyable théorie du neurone mécanique p.26 L’homme qui ne reconnaissait plus personne

Actualités Par la rédaction PSYCHOLOGIE

Vous faites meilleure impression que vous ne le croyez Vous avez peur qu’on vous trouve maladroit et sans intérêt ? Détrompez-vous : la plupart du temps, l’image que les autres ont de nous est meilleure que notre propre opinion. E . J. Boothby et al., The liking gap in conversations : do people like us more than we think ?, Psychological Science, 5 septembre 2018.

© Dragon Images / shutterstock.com

S

ouvenez-vous de cette conversation, lors de votre dernière soirée ou de ce rendez-vous professionnel : vous avez eu l’impression de parler trop, ou pas assez, trop fort ou trop confusément. Quelle idée, aussi, de faire tant de blagues pour dissimuler votre malaise ; à tous les coups les autres l’ont vu. Tantôt trop distant, tantôt trop familier, vous avez fait une impression désastreuse. Du moins en êtes-vous persuadé. Mais vous vous faites probablement trop de mouron : des études menées par Erica Boothby, de l’université Cornell, et ses collègues montrent que les autres nous apprécient en réalité bien plus que nous ne le croyons. Dans une série d’expériences, les psychologues ont étudié diverses interactions quotidiennes – des conversations plus ou moins longues entre des personnes se rencontrant pour la première fois ou des ateliers pour apprendre à « discuter avec des inconnus ». Après ces interactions, chaque participant remplissait un

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p. 32 8 000 ans de neurosciences p. 34 Neuroleptiques : le radeau des psychoses

NEUROLOGIE RETROUVEZ LA PAGE FACEBOOK DE CERVEAU & PSYCHO

Ce qui nous rend libres

questionnaire évaluant deux aspects : avait-il apprécié son interlocuteur ? S’était-il senti apprécié en retour ? Les analyses ont révélé qu’en moyenne, nous sous-estimons la qualité de la première impression que nous produisons. Et même celle des suivantes : l’une des expériences, menée avec des étudiants qui vivaient dans la même résidence universitaire, a montré qu’eux aussi se croient moins appréciés de leurs camarades qu’ils ne le sont réellement. Une erreur d’évaluation qui dépend en grande partie de notre timidité. D’où vient cet aveuglement ? Non pas d’une impassibilité des interlocuteurs, selon une expérience complémentaire : en regardant les vidéos des conversations, les chercheurs ont été capables de prédire à quel point chaque participant appréciait son partenaire, preuve que son intérêt était visible. Le problème viendrait plutôt du fait que nous serions si concentrés sur nous-mêmes que nous ne discernerions pas les signaux que les autres nous envoient. Le petit monologue intérieur par lequel nous nous jugeons en permanence n’est pas totalement inutile, car il nous permet d’améliorer notre communication au fil du temps. Reste qu’il vaut mieux se méfier de sa tendance à se sous-estimer : se croire systématiquement mal aimé peut aussi empêcher d’aller vers les autres. £ Guillaume Jacquemont

N° 105 - Décembre 2018

S

© Mopic / shuttestock.com

. R. Darby et al., PNAS, édition R avancée du 1er octobre 2018.

ommes-nous libres ou non ? Vaste question. En tout cas, si nous avons le sentiment de l’être, c’est grâce à deux réseaux de neurones récemment identifiés. L’un nous confère la volonté d’agir, le second nous donne le sentiment d’être les auteurs de nos actes. Car il arrive que ces deux capacités soient amputées. Certains patients, victimes de lésions cérébrales, deviennent incapables de vouloir quoi que ce soit. On dit qu’ils sont atteints de mutisme akinétique : livrés à eux-mêmes, ils ne veulent rien, n’entreprennent rien, et ne peuvent initier un mouvement. Leur volonté est annihilée. Les chercheurs de l’université de Nashville, Boston et Turku, en Finlande, ont collecté les données d’imagerie cérébrale de 28 de tels patients, et ont constaté qu’elles se trouvaient toutes sur un même réseau de neurones, centré sur une zone appelée cortex cingulaire antérieur. LA VOLONTÉ ET L’AGENTIVITÉ, DEUX PILIERS DU LIBRE ARBITRE D’autres patients présentent le profil inverse : ils font des mouvements mais ne savent pas que ce sont les leurs. Ce trouble appelé « membre étranger » empêche les personnes de faire le lien entre un acte et leur intention… Cette fois, en recueillant des données d’imagerie cérébrale sur 50 patients, les neuroscientifiques les ont toutes localisées sur un réseau centré autour d’une autre région, appelée précunéus. Qui eût pensé que la liberté tienne à si peu de chose ? £ Sébastien Bohler


DÉCOUVERTES F ocus

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SÉBASTIEN BOHLER Docteur en neurobiologie, rédacteur en chef de Cerveau & Psycho.

COMPORTEMENTS

La procrastination, un défaut cérébral

P

rocrastiner est un terme à la mode. On procrastine pour les factures à régler, pour les révisions de fin de trimestre, pour la poubelle qu’il faudrait vider mais qu’on ne veut pas descendre… Pour les ponts qu’il faudrait entretenir, aussi (dur, dur, le récent rapport du ministère de la Transition écologique, montrant que 12 000 ponts en France menacent de s’écrouler parce qu’on a retardé le moment des réparations). Et puis évidemment, pour le climat, on procrastine depuis quarante ans… TROP ATTENDRE PEUT AVOIR DE GRAVES CONSÉQUENCES Il y a des cas où cela prête à rire. D’autres, beaucoup moins. Comme celui de cette quadragénaire qui a remarqué un grain de beauté un peu plus gros que de coutume sur son épaule. Elle a reporté durant un an le moment d’aller consulter un dermatologue. « Pas le temps, trop d’occupations, enquiquinant à faire. » À l’arrivée, elle est tombée des nues. « Le pronostic est plutôt défavorable. Vous seriez venue au début, cela aurait été différent. On aurait pu

traiter en amont, les chances auraient été meilleures… » Cras signifie demain en latin. Et pro, pour. Pro-cras- c’est pour demain. Mais pourquoi donc 20 % de la population, selon les chiffres disponibles aux États-Unis, reportet-elle souvent les tâches ennuyeuses au lendemain, comme si les tâches en question avaient alors la vertu de disparaître ou de devenir moins ennuyeuses (en réalité, c’est plutôt le contraire) ? Pour le savoir, 3 chercheurs de l’université de Chongqing, en Chine, ont placé 132 personnes dans une IRM et ont observé le fonctionnement de leur cerveau. Parallèlement, ils leur ont fait passer des questionnaires psychologiques de procrastination pour évaluer leur tendance à tout différer. Le résultat de cette étude est fort instructif : les procrastinateurs ont certaines régions cérébrales hyperactives, comme le cortex parahippocampal et le cortex préfrontal ventromédian. Ces deux régions font partie d’un réseau de vagabondage mental : quand il faut commencer les révisions, régler la facture ou descendre la poubelle, ces centres

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commencent à divaguer, à penser à autre chose. Et, disons-le, à envisager surtout ce qu’il y aurait de désagréable à accomplir ces tâches… Par ailleurs, dans le cerveau des procrastinateurs, une autre zone est faiblarde : le cortex préfrontal antérieur. Pas de chance. C’est cette zone qui bloque l’activité des zones de vagabondage et qui permet de rester focalisé. Comme on le voit chez les personnes qui se mettent au travail à l’avance pour ne pas être prises de court au moment de l’examen, ou de l’échéance fiscale. Chez elles, l’activité du cortex préfrontal antérieur est élevée et elle bloque celle des zones de vagabondage. UN CENTRE CÉRÉBRAL QUI ENFERME DANS LE PRÉSENT Le problème, c’est que lorsque l’esprit se détache du but fixé et commence à vagabonder, il est vulnérable aux influences d’une zone cérébrale appelée amygdale, laquelle se montre très sensible à tout ce qui est inconfortable ou déplaisant. Ce circuit ne se projette pas dans le temps, il cherche à minimiser son désagrément et son inconfort par des mesures

W. Zhang et al., Identifying the neural substrates of procrastination : a resting-state fMRI study, Scientific Reports, 6:33203 | DOI: 10.1038/srep33203.

Pourquoi remettons-nous parfois les choses à demain ? La cause vient d’être découverte dans notre cerveau. Et livre de nouvelles pistes thérapeutiques !


TEST 1. Je me surprends souvent à faire des choses que j’avais prévu de faire plusieurs jours avant.

❏ 0 - Absolument pas ❏ 1 - Un peu ❏ 2 - Moyennement ❏ 3 - Beaucoup ❏ 4 - Totalement

2. Quand j’ai terminé un livre emprunté

à la bibliothèque, je le rends tout de suite, quelle que soit la date limite.

© Pranch/Shutterstock.com

immédiates et instantanées. Le procrastinateur est alors pris dans l’instant, littéralement enfermé par son amygdale et il fait alors tout ce qu’il peut pour aller mieux maintenant. Le désagrément se trouve déplacé dans le futur, perçu comme inoffensif, car inaccessible à l’amygdale. PROCRASTINATEURS D’ÉTAT Pour surmonter ce dysfonctionnement, que faire ? Les auteurs de l’étude suggèrent la mise en place de méthodes « d’entraînement cognitif » pour exploiter la plasticité du cortex préfrontal. Autrement dit, le reconnecter mentalement au cerveau vagabond et à l’amygdale. L’enjeu est de taille. Pour reprendre le simple exemple des ponts français, l’attitude consistant à attendre que les premières dégradations apparaissent sur les ouvrages d’art, avant d’entamer des réparations, coûte à la fin trois fois plus cher qu’un entretien régulier. C’est pourtant la première solution qui est favorisée par les pouvoirs publics depuis des années. Un exemple de procrastination d’État qui coûte environ 2 milliards d’euros par an à la collectivité. Et encore, c’est quand le pont ne s’écroule pas, comme à Gênes. Alors, faudra-t-il en venir à l’autre méthode de « rééducation » préconisée par les chercheurs chinois ? Il s’agirait, pour reprendre leurs termes, d’envoyer des ondes magnétiques ou des courants électriques dans le cortex préfrontal des responsables afin de le « fortifier ». Je ne sais pas ce que vous en pensez. Je propose d’attendre pour prendre une décision. £

❏ 0 - Absolument pas ❏ 1 - Un peu ❏ 2 - Moyennement ❏ 3 - Beaucoup ❏ 4 - Totalement

3. A u moment de se lever le matin, je quitte le plus souvent le lit sans attendre.

❏ 0 - Absolument pas ❏ 1 - Un peu ❏ 2 - Moyennement ❏ 3 - Beaucoup ❏ 4 - Totalement

4. U ne lettre peut rester posée pendant des jours après que je l’ai écrite, avant que je ne la poste.

❏ 0 - Absolument pas ❏ 1 - Un peu ❏ 2 - Moyennement ❏ 3 - Beaucoup ❏ 4 - Totalement

5. Q uand je me prépare à sortir, je me

retrouve rarement avec quelque chose à faire en dernière minute.

❏ 0 - Absolument pas ❏ 1 - Un peu ❏ 2 - Moyennement ❏ 3 - Beaucoup ❏ 4 - Totalement

6. Q uand j’ai rendez-vous,

je préfère partir en avance

❏ 0 - Absolument pas ❏ 1 - Un peu ❏ 2 - Moyennement ❏ 3 - Beaucoup ❏ 4 - Totalement

7. J ’ai souvent fini de faire

les choses plus tôt que nécessaire.

❏ 0 - Absolument pas ❏ 1 - Un peu ❏ 2 - Moyennement ❏ 3 - Beaucoup ❏ 4 - Totalement

8. J ’ai souvent l’impression de me retrouver à faire des cadeaux de Noël ou d’anniversaire à la dernière minute.

❏ 0 - Absolument pas ❏ 1 - Un peu ❏ 2 - Moyennement ❏ 3 - Beaucoup ❏ 4 - Totalement

9. E n général, je termine dans la journée ce que j’avais prévu de faire.

❏ 0 - Absolument pas ❏ 1 - Un peu ❏ 2 - Moyennement ❏ 3 - Beaucoup ❏ 4 - Totalement

10. J e n’arrête pas de dire « Je le ferai demain » ❏ 0 - Absolument pas ❏ 1 - Un peu ❏ 2 - Moyennement ❏ 3 - Beaucoup ❏ 4 - Totalement

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Êtes-vous procrastinateur ?

En quoi les phrases ci-contre vous décrivent-elles ? Additionnez vos scores des questions 1, 4, 5, 8 et 10, et retranchez les scores des questions 2, 3, 6, 7 et 9. RÉSULTAT : Entre – 20 et – 11 : Vous n’êtes absolument pas procrastinateur. Votre devise : le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt ! Quand vous êtes focalisé sur un travail et une échéance, vous faites le nécessaire pour ne pas être pris de court. Les tâches rébarbatives ne vous effraient pas, et vous savez que plus vite vous en aurez fini, mieux cela vaudra. Votre sens de l’anticipation, de l’organisation et des responsabilités vous mettra à l’abri de bien des déconvenues. Entre – 10 et – 1 : Vous êtes organisé et prévoyant, mais avec de temps en temps une petite réticence pour les besognes ennuyeuses. L’aspirateur à passer ? Un coup de peinture à donner aux volets ? Ce n’est pas urgent. Vous préférez jouer à votre jeu vidéo préféré. En revanche, s’il y a un devoir ou un projet important à rendre, vous serez vigilant. Question de priorités. Entre 0 et 10 : Vous avez une tendance à repousser les échéances. L’idée de vous atteler à vos révisions, ou de vous coltiner toutes les factures en attente vous fait mal rien que d’y penser. Vous attendez souvent plusieurs jours avant de vous y mettre, car le simple fait de penser à autre chose ou de vous distraire avec vos amis vous réconforte et permet d’oublier temporairement. Parfois, vous vous réveillez à temps, juste assez tôt pour éviter la catastrophe. Mais il vous arrive d’être sur le fil. Réfléchissez sérieusement à la façon d’améliorer les choses. Souvent, à ce stade, se rendre compte que le travail est moins terrible dès qu’on l’a commencé peut être salutaire. Entre 11 et 20 : Vous êtes procrastinateur avéré. Cette faiblesse vous empoisonne la vie. Dès qu’une tâche pénible s’annonce, vous sautez sur la moindre occasion pour faire autre chose. Un ami passe et vous propose une partie de foot ? Ça ne se refuse pas ! Une émission de divertissement passe à la télé ? Ce serait dommage de la rater. À l’arrivée, rien n’est fait. Vous vous mettez en danger dans vos études ou au travail, et votre maison est dans un état calamiteux. Quant à vos proches, ils en ont souvent assez d’attendre de passer derrière vous pour que les choses soient faites. Une psychothérapie peut être utile.

Questionnaire adapté de l’échelle de procrastination de Lay, 1986. N° 104 - Novembre 2018


© Owen Gildersleeve

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N° 105 - Décembre 2018


DÉCOUVERTES N eurosciences

L’incroyable théorie du

neurone mécanique Par Douglas Fox, journaliste scientifique à San Francisco.

Après avoir revisité des expériences vieilles d’une cinquantaine d’années, des physiciens affirment que les cellules nerveuses communiquent grâce à des signaux mécaniques, et non électriques.

C

heveux châtains et ongles vernis, la jeune femme est allongée sur un brancard de l’hôpital de Copenhague. Son bras gauche est perclus d’électrodes. Des « pop » retentissent, secs et réguliers – ceux d’une décharge électrique. Chaque fois, les doigts de la jeune femme se contractent. Ce n’est que le début de l’expérience. Au total, elle recevra des centaines de chocs électriques. Cette volontaire a « loué » son bras pour quelque 1 000 couronnes danoises, soit l’équivalent de 134 euros. Le physicien Thomas Heimburg est assis sur un tabouret, un peu à l’écart pour éviter un éventuel mouvement désordonné. Il esquisse sur son iPad les détails d’une expérience délicate, dont il attend beaucoup. Les médecins ont anesthésié le bras de la jeune femme avec de la lidocaïne, lui injectant une dose suffisante pour endormir un membre avant une opération chirurgicale. Cela a eu pour effet de rendre les nerfs insensibles aux

EN BREF ££Depuis le milieu du xxe siècle, on considère classiquement que les signaux nerveux se propagent sous la forme d’ondes électriques. ££Mais certains physiciens affirment qu’il s’agit en réalité d’ondes mécaniques, comme le son, qui se propagent le long des fibres neuronales. ££S’ils ont raison, cela pourrait révolutionner notre compréhension du fonctionnement cérébral.

N° 105 - Décembre 2018

impulsions. Alors les assistants ont graduellement augmenté l’intensité du courant. Et là, ce sont 40 milliampères, près de dix fois l’intensité de départ, qui sont envoyés. L’équivalent de l’alimentation d’une ampoule de 5 watts. Pop – nouveau choc. Le bras de la jeune femme se contracte tel un serpent à l’agonie. L’attention de Thomas Heimburg se concentre sur l’écran de contrôle fixé au mur. La courbe qui mesure le signal électrique traversant le muscle et le nerf du bras forme soudain un large pic : les chocs de plus en plus puissants ont fini par prendre le pas sur l’anesthésique ! Le nerf s’allume désormais tout aussi intensément qu’avant. Heimburg est satisfait. « Les résultats consignés dans les revues sont en complète contradiction avec ces observations », confie-t-il calmement. Le scientifique, qui exerce à l’institut Niels Bohr de Copenhague, espère bien mettre à mal la théorie dominante. Cette expérience, dont j’ai été témoin en 2011, visait à percer l’un des mystères les plus entêtants du monde médical. Les médecins pratiquent l’anesthésie générale depuis plus de 170 ans maintenant. Ils ont découvert des dizaines de molécules qui, administrées à des doses de plus en plus élevées, éteignent les

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© frankie’s / shutterstock.com

L’homme qui ne reconnaissait plus personne

N° 105 - Décembre 2018


DÉCOUVERTES C as clinique

LAURENT COHEN Professeur de neurologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.

Un matin, monsieur P. se réveille et croit dormir à côté d’une belle inconnue, alors qu’il vient juste de se marier. Tout irait bien pour lui s’il n’était pas atteint de prosopagnosie : il ne reconnaît plus aucun visage, ni le sien ni ceux de sa femme et de ses enfants. Que lui est-il arrivé ?

EN BREF ££Monsieur P. n’arrive plus à identifier les visages, même ceux de sa femme et de ses enfants. ££Il est atteint de prosopagnosie, un trouble de l’identification des visages. ££Après une hémorragie cérébrale, une région particulière de son cerveau, spécialisée dans la reconnaissance des visages, a été lésée. ££Des personnes naissent avec la même anomalie ; ce sont des prosopagnosiques « de développement » qui ne reconnaîtront jamais un visage de leur vie…

N° 105 - Décembre 2018

M

arié depuis peu, monsieur P., âgé de 25 ans, voit chaque matin et chaque soir, avant et après son travail, le visage d’une belle inconnue… qui est pourtant son épouse. Voilà le désarroi de ce jeune homme qui, il y a une vingtaine d’années, est venu me consulter pour me raconter cette histoire. Victime, quelques mois après son mariage, d’une hémorragie cérébrale, monsieur P. m’a alors expliqué que son champ visuel était rétréci du côté gauche, et surtout, qu’il était maintenant incapable de reconnaître un visage familier. Tout récemment, monsieur P. est revenu me voir : il est désormais père de deux enfants. Il participe à l’entraînement de football du club où joue son fils de 11 ans, et est content que ce dernier soit gardien de but : cela lui permet de le reconnaître. Sinon, en effet, comment identifier un gamin en maillot parmi d’autres portant la même tenue quand les visages ne disent plus rien ? Ainsi, 20 ans se sont écoulés et le handicap de monsieur P. n’a pas évolué le moins du monde. Comme tout en neuropsychologie, ce trouble

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DÉCOUVERTES L ’infographie

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8 000 ans de neurosciences Notre cerveau fascine chercheurs et philosophes depuis des millénaires. Ce n’est que récemment qu’on a commencé à l’observer fonctionner, grâce à l’imagerie cérébrale, la radioactivité et l’informatique…

Aires de Broca et Wernicke 1862-1874

Paul Broca et Carl Wernicke découvrent les deux principales aires du langage.

Texte : Anna von Hopffgarten / Illustration : Anke Heinzelmann

– 170 Pour le médecin grec Galien, un gaz logé dans les ventricules cérébraux véhicule nos sentiments. Cette conception durera 1 000 ans.

1800 L’anatomiste allemand Franz Joseph Gall crée la phrénologie, qui relie des aptitudes mentales avec des zones du cortex.

René Descartes Trépanation Néolithique Lors des premières trépanations, on retirait au silex un morceau de boîte crânienne…

– 6000

1649 René Descartes décrit le cerveau comme une machine complexe qui gouverne les réflexes et les fonctions végétatives. Les émotions, perceptions et actes volontaires seraient liés à une âme immatérielle.

Galien de Pergame

– 1000

0

– 400 Hippocrate loge l’expérience et l’intelligence dans le cerveau.

. . . 1500

1600

1791 En faisant bouger des pattes de grenouille avec de l’électricité, l’Italien Luigi Galvani découvre l’origine de l’activité nerveuse.

Neurone central : Juan Gaertner/Shutterstock.com ; Néolithique : Wikimedia.com ; -400 : in de Lint, J.G.: Atlas van de geschiedenis der geneeskunde, 1925 / domaine public ; -170 : Vigneron, P.R., 1865 / domaine public; 1543: Vesalius, A.: De humani corporis fabrica / domaine public ; 1649: Frans Hals / domaine public; 1791: Galvani, L.: De viribus electricitatis in motu musculari / domaine public; 1800: Bilz, E.: Das neue Naturheilverfahren, 1894 / domaine public ; 1848: domaine public ; 1862-1874: Gehirn und Geist; 1873: Golgi, C. / domaine public ; 1906: in Cajal, S.R.: Histologie du Systeme Nerveux de l‘Homme et des Vertébrés, 1911 / domaine public ; 1909: Brodmann, K. / domaine public  / Cesvima/Wikimedia Commons.

Hippocrate de Kos

Dessin de l’hippocampe par Cajal

« Tête phrénologique » de Franz Joseph Gall

1700

1906 Santiago Ramón y Cajal décrit la communication des cellules nerveuses et reçoit le prix Nobel.

1800

1873 Camillo Golgi invente la coloration au nitrate d’argent qui permet d’observer les cellules nerveuses au microscope, ce qui lui vaut le prix Nobel en 1906.

Cellules de l’hippocampe colorées au nitrate d’argent L’expérience de Galvani Corporis fabrica 1543 L’anatomiste Andreas Vesalius publie un traité contenant des planches détaillées du cerveau. Il rompt ainsi avec la théorie des ventricules de Galien.

Le crâne de Phineas Gage, traversé par une barre à mine

1848 Un ouvrier, Phineas Gage, a le cerveau traversé par une barre à mine. Il survit mais change de personnalité, devenant impulsif et agressif. Une première indication sur la fonction du cortex frontal… N° 105 - Décembre 2018

1900

1909 Le neurologue allemand Korbinian Brodmann divise le cortex en 52 aires. Son découpage, complété d’études fonctionnelles, reste utilisé de nos jours. Aires de Brodmann


Avant bras

Bras

Tête Tronc Jambe

Main Doigt

Pied

Orteil Oeil Nez Lèvres

1914 Henry Dale et Otto Loewi découvrent l’acétylcholine et décrivent la première transmission d’un influx nerveux. D’où leur prix Nobel, en 1936.

Tracé d’EEG 1924 L’Allemand Hans Berger réalise le premier électro­ encéphalogramme sur un être humain.

1910

1920

La pneumencéphalograhie 1919 Walter Dandy met au point la pneumencéphalographie : le liquide céphalorachidien est remplacé par de l’air, ce qui fait apparaître la structure du cerveau en radiographie.

1927 Le neurologue portugais Egas Moniz visualise les vaisseaux sanguins du cerveau par angiographie.

Parties génitales

Cortex cérébral

Dents, Gencives, Mâchoire Langue Gorge Viscères

Homunculus cortical

1934 Egas Moniz pratique la première lobotomie sur des malades mentaux en sectionnant des fibres nerveuses dans le cortex frontal. La méthode sera abandonnée à cause de terribles effets secondaires.

1975 Invention de la tomographie par émission de positons (TEP).

1950

1960

1953 Henry Gustav Molaison (le patient « H. M. »), doit se faire retirer une partie des lobes temporaux, dont l’hippocampe, pour soigner son épilepsie. Il ne mémorise alors plus rien, ce qui établit le rôle de l’hippocampe dans la formation des souvenirs.

Le patient Henry Gustav Molaison 1968 David Cohen mesure l’activité du cerveau par magnétoencéphalographie. Magnétoencéphalographe

1992 Débuts de l’IRM fonctionnelle, qui mesure le signal (BOLD) d’oxygénation du sang.

1997 Grâce à un implant cérébral, le tétraplégique Johnny Ray peut déplacer un curseur sur un écran. 2013 Le projet Human Brain réunit 500 chercheurs de plus de 20 pays, pour créer une simulation numérique complète du cerveau humain.

Le principe de la TMS 1985 Anthony Barker invente la stimulation magnétique transcrânienne.

Lobotomie

1940

IRM fonctionnelle

1973 Invention de l’IRM et de l’imagerie par ordinateur.

Appareil à IRM

1930

33 1914: NEUROtiker / domaine public ; 1919: Dandy, W.E. : Roentgenography of the brain (...) / domaine public ; 1924: Hans Berger / public domain; 1934: George Washington University;1953: Suzanne Corkin, MIT; 1957: Gehirn und Geist / Meganim; 1968: NIMH Image Library ; 1973: Kasuga Huang / CC-BY-SA-3.0 (http://creativecommons.org/ licenses/by-sa/3.0/legalcode) ; 1985: Eric Wassermann / NIH ; 1991: in Gross, L.: Evolution of Neonatal Imitation. In: PLoS Biology 4, e311, 2006; 1992: M.R.W.HH / domaine public ; 1994: Laboratory of Neuro Imaging and Martinos Center for Biomedical Imaging, Consortium of the Human Connectome Project (www.humanconnectome project.org); 2005: Blue Brain Project, EPFL.

Index

Structure de l’acétylcholine

1957 Wilder Penfield et Theodore Rasmussen représentent les différentes parties du corps sur le cortex cérébral, une représentation baptisée homunculus.

1970

1980

1990

2000

1973 Découverte de la potentiation à long terme des synapses, mécanisme clé de l’apprentissage. 1981 Roger Wolcott Sperry reçoit le prix Nobel pour ses expériences sur les « cerveaux séparés », révélant la fonction des deux hémisphères cérébraux. 1991 Découverte des neurones miroirs.

Un singe imite un expérimentateur N° 105 - Décembre 2018

2010

1994 L’imagerie par tenseur de diffusion révèle les fibres nerveuses du cerveau. 2005 Début du projet Blue Brain, qui vise à simuler les bases de la conscience par ordinateur.

Supercalculateur du projet Blue Brain


© Illustrations de Lison Bernet

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DÉCOUVERTES G randes expériences de neurosciences

LAURA POUPON-BÉJUIT Chercheuse associée au département de santé de l’University College de Londres.

Neuroleptiques : le radeau des psychoses

En 1951, la psychiatrie bascule dans une nouvelle ère. Un homme a découvert une molécule qui fait reculer les idées délirantes, les hallucinations et la confusion mentale des psychotiques. Rien ne sera plus comme avant.

L

orsqu’un patient schizophrène se présente aujourd’hui chez son médecin ou dans un établissement psychiatrique, on lui prescrit souvent une classe de médicaments appelés antipsychotiques, ou neuroleptiques. Ces molécules, en agissant sur le système nerveux, réduisent ses hallucinations, apaisent ses idées délirantes tout en atténuant l’agitation et la désorganisation, mais sans le rendre apathique ni coupé du monde extérieur. Pareille chose eût été impossible soixante ans plus tôt. Il y a un peu plus d’un demi-siècle, les patients n’avaient pas la possibilité de bénéficier d’un tel traitement. Un patient schizophrène avait toutes les chances de passer des années dans un hôpital psychiatrique, dans une

EN BREF ££Jusqu’en 1950, on traitait les psychoses par électrochocs, camisole de force ou lobotomie. ££Un médicament a tout changé en 1951 : la chlorpromazine. C’est le premier des neuroleptiques, utilisés partout dans le monde. ££Ces molécules bloquent des récepteurs neuronaux hyperactifs chez les malades. ££Mais elles ont encore des effets secondaires et il faudrait impulser un nouveau mouvement comparable à celui de 1950.

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camisole ou en grande partie privé de liberté, incapable de mener une vie normale dans la société. Que s’est-il passé entre ces deux époques ? Pour retracer le fil de cette histoire, il faut remonter en 1914, quand un médecin colonial transporte des caisses de médicaments et de vaccins à travers la jungle du Tonkin. Sa femme l’accompagne et l’aide dans cette entreprise. Enceinte, épuisée, elle finit par être admise à l’hôpital de Hanoï où elle donne le jour à un petit garçon. Son prénom est Henri. Son nom, Laborit. UNE EXISTENCE ÉCARTELÉE Commence, pour le petit Henri Laborit, une existence faite de tiraillements et d’oppositions irréconciliables. Son père, retenu en Orient, ne le voit pas pendant cinq ans. Puis, à peine revenu, il doit repartir en Guyane et y meurt du tétanos... L’enfant accompagnera, avec sa mère, la dépouille du défunt sur une pirogue descendant le fleuve Maroni. Mais le souvenir du père perdure dans la famille, et est même érigé en mythe. Au point que le jeune Henri,

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Dossier

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RECONNAÎTRE

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L’AUTISME

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À 3 ans, une petite fille ne parle pas, ne vous regarde pas et n’attire jamais votre attention. Peut-être est-elle « autiste », comme 700 000 personnes en France. Qu’est-ce que cela signifie ?

Par Richard Delorme, Frédérique Amsellem et Thomas Bourgeron.

EN BREF ££Le trouble du spectre autistique représente un réel problème de santé publique, 1 à 2 % de la population étant atteinte. ££Chaque personne autiste, enfant ou adulte, est unique : outre un déficit de communication sociale et des comportements stéréotypés, elle présente parfois divers troubles associés, comme un retard mental ou une épilepsie. ££Il est important de dépister au plus tôt l’autisme pour limiter les handicaps du sujet.

M

ême si vous n’êtes pas parent, enseignant ou éducateur, et directement concerné, peut-être connaissez-vous un proche dont l’enfant vient d’être diagnostiqué pour un trouble autistique. Pourtant, malgré le problème de santé publique qu’elle représente et toute l’attention qu’elle suscite, cette pathologie est aujourd’hui encore mal comprise. Que représente-t-elle exactement ? Estelle plus fréquente qu’il y a quelques années ? La première définition de l’autisme remonte à 1943 : Leo Kanner (1894-1981), pédopsychiatre autrichien exilé aux ÉtatsUnis vingt ans auparavant, publie alors un article scientifique – « Austistic disturbance of affective contact », dans le journal Nervous Child – dans lequel il regroupe différents troubles sous un seul terme : l’autisme infantile. En observant onze enfants qu’il côtoie depuis 1938, le psychiatre comprend que les différents troubles de l’intelligence, comme un déficit intellectuel, et du comportement, comme des gestes répétitifs, que présentent ses jeunes patients sont les symptômes d’une même maladie. Quelques mois après, en 1944, son compatriote resté étudier sur le Vieux Continent, Hans Asperger (1906-1980), propose lui aussi une définition de l’autisme précoce. Travaillant auprès des enfants depuis 1926, le psychiatre compte parmi

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DOSSIER A UTISME : LE CHOC DES DÉCOUVERTES EN NEUROSCIENCES

UNE MALADIE

GÉNÉTIQUE ?

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Les troubles du spectre autistique sont en grande partie génétiques. Reste à expliquer la contribution de chaque gène muté aux différents symptômes. Et ce n’est pas simple ! Par Claire Leblond, Richard Delorme et Thomas Bourgeron.

EN BREF ££Depuis que les techniques de génétique le permettent, on a identifié des centaines de gènes associés à l’autisme. ££De sorte que le trouble est en grande partie génétique : quand une personne porte une ou plusieurs de ces mutations, elle a des risques plus ou moins élevés d’être autiste.

© Yurchanka Siarhe / shutterstock.com

££L’analyse de ces gènes permet de mieux comprendre l’autisme, notamment les mécanismes en cause : par exemple, un défaut de transmission de l’information entre neurones.

Q

uand on parle d’autisme aujourd’hui, ce terme recouvre une diversité très disparate de cas particuliers où chaque personne concernée présente des difficultés distinctes. Toutefois, les troubles du spectre autistique (TSA), qui concernent 1 à 2 % de la population générale, se caractérisent par deux types de symptômes, plus ou moins intenses chez les patients : un déficit de communication sociale, et des comportements répétitifs et stéréotypés associés à des intérêts restreints. Ces symptômes, qui apparaissent en général avant l’âge de 3 ans, sont souvent associés à d’autres pathologies, comme une déficience intellectuelle, des troubles de l’attention avec hyperactivité, une épilepsie, des difficultés de sommeil… Quelles sont les causes de tous ces troubles liés à l’autisme ? Ces derniers reposent-ils sur des anomalies biologiques communes ? LA NOUVELLE ÈRE DE L’AUTISME On a longtemps soupçonné une part génétique dans l’apparition de l’autisme sans que les recherches n’en déterminent vraiment l’importance. Mais depuis les années 1970, les nombreuses études menées au sein des familles, notamment

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sur des paires de jumeaux, ont montré que des facteurs génétiques sont bien impliqués : l’autisme est surtout dû à la présence de gènes mutés chez les personnes concernées. Ce qui ne signifie pas que l’autisme est « héréditaire » à coup sûr, mais qu’il existe des variations de gènes – ou mutations – qui suffisent à provoquer la maladie. Par exemple, des parents peuvent chacun avoir dans leurs gènes quelques variations associées au trouble autistique, sans être atteints ; mais l’un de leurs enfants, s’il « hérite » de toutes ces mutations des deux parents, a alors un risque élevé d’être autiste. Aujourd’hui, le changement majeur dans notre vision de l’autisme vient de ces découvertes génétiques : elles montrent que les origines de l’autisme sont biologiques. En 2016, une méta-analyse de 13 études scientifiques portant sur des jumeaux a révélé que si un enfant est atteint d’autisme, sa sœur ou son frère jumeau a environ 98 % de risques de l’être aussi s’ils sont « monozygotes » – portant exactement les mêmes gènes –, et entre 53 et 67 % s’ils sont « dizygotes » – c’est-à-dire ayant un génome différent, comme de simples frères et sœurs. Ce qui prouve bien que les gènes expliquent en grande partie l’apparition du trouble, mais que d’autres facteurs peuvent intervenir. L’« héritabilité génétique » désigne la part des gènes dans l’apparition de la maladie. Cette part, calculée lors de cette méta-analyse, serait comprise entre 64 et 91 %. De façon complémentaire, l’influence des facteurs non génétiques, environnementaux notamment, serait comprise entre 7 et 35 %. De plus, cette vaste étude a montré qu’une part importante des gènes impliqués dans l’autisme est commune à d’autres pathologies, par exemple les troubles de l’attention avec


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DOSSIER A UTISME : LE CHOC DES DÉCOUVERTES EN NEUROSCIENCES

DANS

LE CERVEAU DES AUTISTES N° 105 - Décembre 2018


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Les personnes autistes ont-elles un cerveau différent, qui expliquerait leurs symptômes ? Pour essayer de le déterminer, les chercheurs mettent en commun des milliers de données de neuro-imagerie. Et font intervenir l’intelligence artificielle. Par Guillaume Dumas, Roberto Toro, Thomas Bourgeron, chercheurs à l’institut Pasteur, et Richard Delorme, chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital Robert-Debré, à Paris.

EN BREF ££Les recherches en génétique ont identifié des gènes mutés chez les autistes qui contribuent à la communication entre neurones. ££D’où l’idée que des différences cérébrales expliqueraient certains symptômes autistiques. ££En mettant en commun leurs données de neuro-imagerie, les chercheurs tentent de déterminer ces particularités afin de mieux prédire le diagnostic.

© Artem Oleshko / shutterstock.com

££Les patients et leur famille attendent ces résultats avec l’espoir de mieux comprendre le trouble pour mieux le traiter.

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D

ans son dernier livre Nos intelligences multiples – Le bonheur d’être différent, le philosophe Josef Schovanec, autiste Asperger, interroge de nouveau sur les normes et les différences des êtres humains. Mais le cerveau des personnes autistes est-il différent, ce qui expliquerait certains symptômes ? Ce sont les recherches en génétique qui éclairent sur la question. Car l’autisme est en grande partie d’origine génétique. Ce qui ne signifie pas qu’il soit forcément transmis par les parents, mais qu’il existe des mutations de gènes qui suffisent à provoquer la pathologie. Et celles identifiées à ce jour jouent un rôle dans la communication cérébrale, notamment en perturbant la transmission des informations entre neurones au niveau de leur point de contact : la synapse. La question qui anime le monde de la recherche est de savoir quel est le lien entre ces fonctions cérébrales perturbées et l’autisme. Les gènes mutés affectent-ils les mêmes régions du cerveau ? Contribuent-ils aux mêmes fonctions cognitives ? Notre cerveau est « plastique », même à l’âge adulte, c’est-à-dire que des synapses disparaissent, d’autres apparaissent, et d’autres encore s’affaiblissent ou se renforcent. Et ce, en fonction des transmissions d’information entre neurones.


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INTERVIEW

AMARIA BAGHDADLI

PRATICIENNE HOSPITALIÈRE ET PÉDOPSYCHIATRE AU CENTRE DE RESSOURCE AUTISME DU CHU DE MONTPELLIER, ENSEIGNANTE ET CHERCHEUSE AU CENTRE DE RECHERCHE EN ÉPIDÉMIOLOGIE ET SANTÉ DES POPULATIONS (CESP-INSERM), À PARIS.

LES

PRISES EN CHARGE Aujourd’hui en France, diagnostique-t-on mieux qu’il y a dix ans un trouble du spectre autistique ? Oui, pour deux raisons essentielles. D’abord, car la société est bien mieux informée du trouble et de ses caractéristiques, ce qui améliore le repérage. C’est notamment le cas des acteurs de l’enfance  : parents, médecins, pédiatres, personnels des crèches, des écoles et des PMI (les centres de protection maternelle et infantile). Ensuite, parce que des recommandations

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© Jean-Baptiste Mariou

PROGRESSENT


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de bonnes pratiques professionnelles de la Haute Autorité de santé (HAS), disponibles depuis 2005 et réactualisées en 2018, clarifient le parcours du diagnostic (voir l’article page 42), en insistant aujourd’hui sur l’implication des médecins généralistes qui devraient dépister les enfants ayant un développement inhabituel, puis prescrire les premiers bilans et rééducations, et orienter les jeunes vers des équipes spécialisées, le plus souvent à l’hôpital. Mais une difficulté persiste : les médecins ne sont pas encore suffisamment formés pour ce dépistage. D’autant qu’aucun marqueur biologique, que l’on trouverait par exemple avec une prise de sang ou une IRM, ne facilite le diagnostic médical. Vers quel âge les enfants sont-ils détectés ? En moyenne, le diagnostic est posé autour de 3 ou 4 ans. Ce qui est souvent un reproche que l’on nous fait, à nous pédopsychiatres ou spécialistes de l’autisme. En effet, en théorie, cela pourrait être plus tôt, vers l’âge de 2 ans, mais en pratique, avant l’âge de 4 ou 5 ans, certaines formes cliniques du trouble ressemblent beaucoup à d’autres maladies du développement, comme une déficience mentale, un trouble du langage aussi appelé dysphasie ou un déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité. Pourtant, on repère vite qu’il s’agit bien d’anomalies du développement, par exemple, car le petit ne parle et ne communique que rarement, par le regard ou les gestes, ou car il présente un retard de son éveil cognitif (souvent les prémices d’un retard mental). De ce fait, c’est davantage l’évolution des symptômes du trouble autistique qui, au quotidien, permet d’établir un diagnostic précis. Ce qui est d’autant plus vrai pour les enfants qui ne souffrent pas de déficit intellectuel. Les études scientifiques révèlent aujourd’hui que les troubles autistiques sont à 80 % d’origine génétique. Qu’est-ce que cela va changer pour le dépistage ?

La pollution et la mauvaise alimentation influent probablement sur l’apparition de l’autisme et sur sa gravité. Effectivement, l’autisme est fortement influencé par des facteurs de vulnérabilité génétique – on parle d’héritabilité génétique. Toutefois, si les études ont mis en évidence l’implication de plusieurs centaines de gènes, chacun d’eux n’est présent que dans une faible proportion des individus diagnostiqués. De plus, les scientifiques s’accordent aujourd’hui sur le fait que ces facteurs génétiques interagissent avec des facteurs environnementaux, via des mécanismes dits épigénétiques (l’environnement modifie l’expression des gènes en changeant la structure de l’ADN), qui ne sont pas encore identifiés dans le cas de l’autisme. Donc les contaminants environnementaux, comme les pesticides et la pollution, et les habitudes de vie, notamment l’alimentation, interviennent très probablement sur l’apparition de l’autisme et sur sa forme clinique, c’est-à-dire sa gravité. Et l’interaction des gènes et de l’environnement est forcément dynamique, car son effet sur le développement dépend de la période durant laquelle elle intervient. Avec des épidémiologistes et de nombreux autres chercheurs issus de tous domaines, nous avons lancé la première grande étude pros-

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pective en France avec la cohorte Elena, qui regroupe 750 enfants autistes que nous suivons depuis leur petite enfance. L’objectif : décrire les évolutions des troubles autistiques et comprendre les facteurs de ces évolutions. Par exemple, aux États-Unis, plusieurs études épidémiologiques ont montré que le statut social influe sur le risque d’autisme : ce sont les catégories les plus favorisées qui sont les plus à risque, alors qu’en France, c’est l’inverse… Mais on ignore pourquoi. De même, aux ÉtatsUnis, plusieurs travaux ont révélé un lien entre la pollution atmosphérique et l’autisme ; en France, aucune étude n’existe, mais celles réalisées en Espagne ou en Italie n’ont mis en évidence aucune corrélation entre ces deux facteurs. On manque donc de données, ou peutêtre les composés chimiques polluant l’atmosphère en Europe et aux États-Unis ne sont-ils pas les mêmes… Avec cette nouvelle étude, nous étudions les aspects à la fois génétiques et épigénétiques, liés à l’environnement. Par exemple, à partir du lieu de résidence des familles, plus ou moins éloigné des champs et zones d’épandage des pesticides, et de nombreux outils


DOSSIER A UTISME : LE CHOC DES DÉCOUVERTES EN NEUROSCIENCES

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LE RÔLE DE L’ENVIRONNEMENT Les preuves scientifiques s’accumulent : des facteurs environnementaux, comme certains pesticides, augmentent le risque d’apparition de l’autisme. Reste à expliquer leur action et leur interaction avec les gènes mutés liés à l’autisme. Par Barbara Demeneix, biologiste et professeure au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris.

otre environnement pollue de plus en plus notre organisme, avec des conséquences sur notre santé. L’autisme fait-il partie des maladies aggravées par des substances chimiques qui interfèrent avec les molécules naturelles de notre corps ? En 2018, Jon Baio, du Centre américain des maladies développementales, et ses collègues ont réévalué la prévalence de l’autisme aux États-Unis à 1 naissance sur 59, ce qui représente une augmentation de 20 % par rapport au chiffre précédent remontant à 2016. Dans certains États, comme le New Jersey, où les méthodes de diagnostic sont particulièrement efficaces, 1 enfant sur 34 est

L’ACTION DES HORMONES EST MODIFIÉE Aujourd’hui, chaque nourrisson qui vient au monde a été contaminé par une centaine de produits chimiques distincts. Sans que cela prouve l’existence d’un lien de cause à effet entre les molécules de l’environnement et les cas d’autisme, on a identifié de manière solide au moins un intermédiaire biologique possible entre ces deux paramètres : les hormones thyroïdiennes. L’action in utero de ces dernières est perturbée par des produits chimiques de synthèse aussi nommés perturbateurs endocriniens, car ils modifient l’action des hormones (des molécules endocrines). En 2017, nous avons ainsi montré que plus de deux tiers des contaminants communs présents dans l’organisme d’une femme enceinte modifient

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diagnostiqué comme autiste. Et plus de 56 % des personnes concernées ont un quotient intellectuel inférieur à 85, la limite de la déficience intellectuelle. Or, en si peu d’années, ni les méthodes de diagnostic ni le génome humain n’ont changé. Il doit donc y avoir une autre raison, probablement liée à notre environnement.


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dans le liquide amniotique des femmes enceintes, altère le nombre et la taille des neurones et cellules gliales, ainsi que le comportement des têtards. Ce qui est valable chez le têtard l’est probablement chez l’être humain sachant qu’on relève la présence de perturbateurs thyroïdiens dans le liquide amniotique des femmes enceintes. Malheureusement, ces perturbateurs sont partout : ce sont les pesticides, les produits que l’on appelle retardateurs de flamme et que l’on retrouve dans les textiles et les meubles, et les phtalates, utilisés dans la fabrication des matières plastiques, qui modifient l’action non seulement des hormones thyroïdiennes mais aussi d’autres hormones essentielles au développement cérébral. Pour autant, quel est le lien avec l’autisme ? Différentes études épidémiologiques ont montré que des enfants exposés pendant la grossesse, in utero, à certains pesticides, comme le chlorpyrifos, ou certains phtalates, ont plus de risques d’être autistes. De même pour un enfant dont la mère manque d’hormones thyroïdiennes ou d’iode, l’élément indispensable à la synthèse des hormones thyroïdiennes.

Des études scientifiques ont montré que des enfants exposés in utero à certains pesticides ont plus de risques de souffrir d’autisme.

la « signalisation » (ou l’activité biologique) thyroïdienne. Or les hormones thyroïdiennes sont essentielles au développement du cerveau, à n’importe quelle période de la vie, mais plus particulièrement au moment de sa maturation, avant et après la naissance : ces hormones participent à la prolifération et la migration des cellules souches neuronales, puis à leur différenciation en neurones et autres cellules cérébrales dites gliales ; elles interviennent même lors de la formation des synapses, les zones de communication entre neurones, et donc dans la plasticité cérébrale (la réorganisation des synapses). Pour tester les effets des perturbateurs endocriniens, nous utilisons des embryons de xénope, des têtards qui possèdent exactement les mêmes hormones thyroïdiennes que les nôtres. Nous avons récemment montré qu’un mélange de quinze substances classiques, dont plusieurs perturbateurs des hormones thyroïdiennes présents

DES MILLIERS DE PRODUITS CHIMIQUES POTENTIELLEMENT DANGEREUX En outre, dans ce genre d’études, on ne mesure dans le corps des mères qu’une poignée de substances chimiques, principalement pour des raisons de coûts. Or, aujourd’hui, il existe plus de 120 000 molécules sur la liste de la réglementation Reach (régulation, évaluation et autorisation des produits chimiques), qui évalue le risque pour la santé et l’environnement des substances. Et cette liste n’inclut ni les pesticides ni les biocides, comme les fongicides ou les herbicides qui agissent contre les champignons et mauvaises herbes. Or l’Efsa, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, a révélé que sur les 287 pesticides présents sur le marché, 101 affectent la signalisation thyroïdienne. Et un rapport de l’Organisation des Nations unies a montré que la production de substances chimiques a été multipliée par 300, en quantité, en 50 ans. Par conséquent, peut-être vivons-nous le scénario d’un crime « parfait » : une contamination chimique en constante augmentation qui, de manière sournoise, favorise l’apparition de maladies neurodéveloppementales comme l’autisme. Les résultats scientifiques ne cessent de tomber en ce moment, et d’autres preuves sont encore nécessaires, mais aujourd’hui il est difficile de nier l’influence des polluants environnementaux sur le risque de souffrir de ce genre de maladies. £

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Bibliographie J. Baio et al., Prevalence of autism spectrum disorder among children aged 8 years – Autism and developmental disabilities monitoring network, 11 sites, united states, 2014, MMWR Surveill. Summ., vol. 67, pp. 1-23, 2018. B. B. Mughal et al., Thyroid-disrupting chemicals and brain development : an update, Endocr. Connect., vol. 7, pp. R160-R186, 2018. B. Demeneix, Cocktail toxique. Comment les perturbateurs endocriniens empoisonnent nos cerveaux, Odile Jacob, 2017. J. B. Fini et al., Human amniotic fluid contaminants alter thyroid hormone signalling and early brain development in Xenopus embryos, Sci. Rep., vol. 7, p. 43786, 2017. J. F. Shelton et al., Tipping the balance of autism risk : Potential mechanisms linking pesticides and autism, Environ. Health Perspect., vol. 120, pp. 944-951, 2012. G. C. Roman, Autism : Transient in utero hypothyroxinemia related to maternal flavonoid ingestion during pregnancy and to other environmental antithyroid agents, J. Neurol. Sci., vol. 262, pp. 15-26, 2007.


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ÉCLAIRAGES p. 68 Décodage émotionnel : arnaque ou cauchemar ? p. 74 Des plaques vertes pour sauver la planète

Retour sur l’actualité

18 SEPTEMBRE 2018 La montre connectée

d’Apple détecte vos paramètres physiologiques…

STÉPHANE AMATO

Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, chercheur au laboratoire Imsic, à Toulon.

Décodage émotionnel : arnaque ou cauchemar ? De plus en plus d’appareils connectés proposent de décoder nos émotions sur nos visages ou dans notre voix. Pur charlatanisme, ou pente glissante vers une commercialisation de l’affect ? N° 105 - Décembre 2018

E

n Chine, on ne badine pas avec l’éducation. Voici quelques mois, un des lycées de la ville de Hangzhou s’équipait d’un nouveau dispositif composé de caméras couplées à diverses technologies de reconnaissance faciale dans deux de ses classes. Objectif affiché : analyser le niveau de concentration et l’état émotionnel de chaque élève à partir de ses expressions faciales. Et si un élève présente une expression inappropriée, l’enseignant est immédiatement averti. Pour le principal du lycée, « grâce à ce système, on peut voir quels élèves sont concentrés, et lesquels ont l’esprit qui vagabonde ». Et les données sont transmises à l’équipe pédagogique censée pouvoir optimiser l’enseignement. Délire ou cauchemar ? La Chine semble engagée sur la voie de la surveillance émotionnelle, de diverses façons. Dans un nombre croissant d’entreprises, mais aussi dans l’armée ou dans le secteur de l’aéronautique, des employés sont déjà pourvus de casques – ou de casquettes – munies de capteurs destinés à enregistrer leurs ondes cérébrales. Le but affiché :


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L’ACTUALITÉ

LA SCIENCE

L’AVENIR

Récemment, une déferlante technologique a envahi le marché du numérique. De nouveaux gadgets proposent de décoder nos propres émotions. Les uns captent nos battements cardiaques, d’autres analysent notre voix, voire l’activité de notre cerveau. Le tout, pour mieux analyser nos ressentis et réagir de manière appropriée.

Dans les faits, ces appareils n’interprètent rien de fiable. Ils se révèlent incapables de mettre en rapport les paramètres physiologiques avec une situation précise qui a déclenché l’émotion, ils confondent différents ressentis et reposent parfois sur de fausses hypothèses à propos du fonctionnement du cerveau humain.

Efficaces ou pas, ces objets récoltent une masse de données personnelles sur leur utilisateur, qui peuvent être exploitées à des fins commerciales. Et à terme, si leurs performances s’amélioraient, ils pourraient servir à surveiller les émotions des citoyens, comme c’est déjà le cas en Chine dans l’armée ou dans certaines écoles.

© CNET France

détecter, en temps réel, un travailleur qui présenterait une variation émotionnelle brutale, ou bien repérer, pêle-mêle, stress, colère, fatigue, anxiété… Les promoteurs de ces équipements, comme dans l’entreprise Hangzhou Zhongheng Electric, expliquent sagement que l’objectif est de délester momentanément les individus dépassés car présentant des pics de surcharge de travail. Noble intention… Bizarrement, certains managers se déclarent surpris de la réticence des ouvriers, qui disent craindre que leurs patrons puissent lire dans leurs pensées. UN PARFUM D’ARNAQUE En fait, nul besoin d’aller jusqu’en Chine pour entendre parler du décodage émotionnel. La société nantaise Neurokiff propose un appareillage de type « casque neuronal » permettant de capter en direct quatre états émotionnels : excitation, méditation, ennui et frustration. Certes, l’usage est plus réjouissant car cette détection est réalisée dans le contexte spécifique de la dégustation de grands vins et plats gastronomiques. L’exploit de Neurokiff ? Étiqueter goûts et préférences, de façon qualitative autant que quantitative. « Installés autour du Neurokiff, quatre convives sont équipés d’un casque neuronal permettant de capter en temps réel les

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activités cérébrales et d’interpréter ces dernières en émotions du type “j’aime/j’aime pas”. Les émotions sont représentées visuellement via une interface graphique dédiée sur tablettes mobiles. » La petite histoire raconte que, lors d’une démonstration, Axelle Lemaire, alors secrétaire d’État au numérique, aurait affiché un « électroencéphalogramme plat » lors de la dégustation d’un plat pourtant préparé par le chef étoilé Éric Guérin. Ce fait inconvenant fut expliqué a posteriori par le fait que la mise en bouche contenait du thon, un poisson qui ne serait pas du goût de l’ex-secrétaire d’État… Heureusement, juste après, un signal intense fut recueilli lorsqu’elle dégusta un mets à base de fourme d’Ambert, de chocolat blanc et de truffe, suivi d’un macaron à la fraise et à la cacahuète. Ouf ! Tout s’explique… Ces quelques exemples sont loin d’être exhaustifs devant la masse considérable de dispositifs qu’on nous dit capables de décrypter ou d’induire certains états émotionnels. Prenez la souris d’ordinateur Mionix Naos QG. Grâce à son boîtier équipé d’un capteur de fréquence cardiaque et d’un capteur d’activité électrodermale, elle est censée permettre aux forcenés de jeux vidéo de suivre en direct leurs émotions afin de mieux les gérer durant des parties qui réclament


VIE QUOTIDIENNE

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p. 82 Éduquer la métacognition p. 86 Le manque de sommeil fait-il grossir ? p. 88 Mon psy le miroir

La femme est-elle un objet pour notre cerveau ? Par Sara Mohammad Abdellatif, neurobiologiste et journaliste scientifique.

O

Une posture sexuellement suggestive, et notre cerveau prend la personne en face de nous pour un objet : c’est l’étonnante conclusion – controversée – d’une équipe de neuroscientifiques bruxellois.

n a coutume de dire que « l’habit ne fait pas le moine », mais n’en déplaise à la sagesse populaire, les apparences influent bel et bien sur nos jugements. Et les choix vestimentaires, tout particulièrement. Ainsi, en 2015, le psychologue Ben Fletcher, de l’université d’Hertfordshire, au Royaume-Uni, a démontré dans une étude qu’il suffit qu’une femme manager mette une jupe un peu plus courte et détache son dernier bouton de chemisier pour qu’elle soit jugée moins compétente. Comment donc la simple vue d’un petit bout de chair dénudé peut-elle conduire notre cerveau à réviser son jugement ? En 2008, Philippe Bernard commence son doctorat de psychologie à l’université libre de Bruxelles. À cette époque, la façon dont l’habillement perturbe le jugement d’autrui est encore mal comprise. Les études qui s’y sont intéressées commencent à peine à démontrer que la

EN BREF ££Pour identifier l’image d’une personne, le cerveau se fonde habituellement sur la disposition relative des différentes parties du corps. ££La « sexualisation » – une tenue légère et une pose suggestive – le rendrait insensible à cette configuration d’ensemble. ££Le cerveau se mettrait à détailler les différentes parties de la personne indépendamment les unes des autres, comme il le fait pour des objets.

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sexualisation des individus, en particulier des femmes, provoque une forme de « déshumanisation » : les hommes les considéreraient davantage comme des objets sexuels, seulement aptes à satisfaire leurs désirs. C’est alors que Bernard a eu une intuition : le pouvoir déformant de l’apparence est peut-être lié aux mécanismes cérébraux de la reconnaissance visuelle. Une tenue ou une pose suggestive pourrait exercer une influence directe sur les processus neuronaux grâce auxquels nous « lisons » les images, nous conduisant à classer directement la personne dans une catégorie particulière. LE CERVEAU EXCITÉ PERD SES REPÈRES Pour vérifier son hypothèse, le chercheur a élaboré une expérience avec des collègues. Une vingtaine de volontaires devaient regarder des photographies de représentants des deux sexes habillés de façon classique (en jeans et t-shirt) ou


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VIE QUOTIDIENNE L’école des cerveaux

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JEAN-PHILIPPE LACHAUX

Directeur de recherche à l’Inserm, au Centre de recherche en neurosciences de Lyon.

ÉDUQUER LA MÉTACOGNITION,

LA CLÉ DU SUCCÈS POUR LES ENFANTS !

D

ans le cerveau, les fonctions exécutives désignent un ensemble de processus permettant d’éviter que notre comportement ne soit une simple succession de réactions réflexes à notre environnement. Les fonctions exécutives permettent de se fixer un but et de l’atteindre en ayant envisagé une suite d’étapes ; de réfléchir à la meilleure manière de manipuler une machine à laver dans des escaliers sans se blesser, ou encore de rester concentré jusqu’au bout d’une explication compliquée dans une salle de classe agitée. Elles constituent le fondement de ce qu’on appelle couramment le contrôle de

soi – le contrôle de ses gestes, de ses émotions et plus généralement de sa propre vie mentale – et elles impliquent majoritairement le cortex préfrontal, manifestement plus développé chez l’homme que chez le cochon d’Inde. LA MÉTACOGNITION, PREMIER FACTEUR DE SUCCÈS Sachant cela, on ne sera pas étonné d’apprendre que l’efficacité des fonctions exécutives d’un enfant prédit mieux encore que son QI ou le statut socioéconomique de sa famille, quelles seront sa réussite professionnelle, sa santé et sa qualité de vie une fois adulte. Elles

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constituent donc naturellement une piste privilégiée pour quiconque veut développer son potentiel d’être humain, et tout système éducatif devrait à l’évidence compter le développement des fonctions exécutives de l’enfant parmi ses objectifs principaux ; ce qui amène immédiatement la question suivante : comment améliorer les fonctions exécutives des élèves ? Adele Diamond, professeure de neurosciences cognitives du développement à l’université de Vancouver, a consacré l’essentiel de sa carrière à explorer cette question et elle a récemment publié avec sa collègue Daphné Ling une revue qui

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Savoir se fixer un but, planifier les étapes pour y arriver, prendre conscience de ses propres pensées et émotions, tout cela s’entraîne par des méthodes aujourd’hui validées.


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dresse une liste assez exhaustive des différentes voies déjà explorées pour améliorer les fonctions exécutives des enfants et testées scientifiquement. On découvre une très grande variété d’interventions, allant de la pratique des arts martiaux à la course à pied, en passant par le théâtre, la méditation ou les jeux vidéo. L’idée derrière tout cela est celle de la contagion : une activité qui sollicite les fonctions exécutives (le théâtre apprend à mémoriser, à planifier ses actions, à s’adapter à l’environnement ; les arts martiaux apprennent le contrôle et l’inhibition) devrait logiquement les renforcer de façon générale, de sorte qu’elles seront plus facilement mobilisables dans d’autres contextes comme à l’école, par exemple. Cela est-il le cas ? En réalité, les choses ne sont peutêtre pas aussi simples, sans quoi l’enseignement traditionnel devrait suffire largement, puisque les activités qu’il propose sollicitent pour la plupart ces fonctions, et à raison de plusieurs heures par jour. Il manque donc un ou plusieurs ingrédients essentiels, que Diamond et Ling ont tenté d’identifier. CAPITAL : APPRENDRE À VERBALISER SES ACTIONS MENTALES Elles rappellent d’abord, au risque du truisme, qu’un entraînement des fonctions exécutives n’est efficace que si la personne qui dispense et supervise cet entraînement l’a bien compris et intégré, qu’elle soit convaincue de son efficacité et soit en outre capable de communiquer un certain enthousiasme : la récitation scrupuleuse et sans âme d’un manuel ne semble pas produire de résultats très probants. Attention donc à ne pas imposer aux enseignants un programme venu « d’en haut » avec un mode d’emploi truffé d’injonctions : mieux vaut se limiter dans un premier temps à quelques formateurs motivés et ouverts à la remise en question de leurs pratiques pédagogiques, en misant sur le temps

Sur le Web

Le théâtre, le sport, le bricolage, tout est occasion d’exercer sa métacognition. Mais pour qu’elle se transfère à l’école, il faut une méthode. long et sur un effet boule de neige pour une « contamination par l’exemple ». D’autres critères émergent des quatrevingt-quatre études sur lesquelles s’appuient Ling et Diamond. Notamment, il faut accepter que l’intervention prenne du temps au quotidien, et qu’elle imprègne tout l’enseignement. Les compétences exécutives ne s’apprennent pas d’un seul coup, comme on apprend que le verbe finir est du deuxième groupe. Il n’existe pas de potion magique pour développer ses fonctions exécutives, pas plus que pour apprendre à jouer du violon : il s’agit d’un projet global, au long cours. Diamond et Ling citent plusieurs exemples de programmes qui n’ont pas donné de résultats probants tant qu’ils étaient enseignés « à part », même à raison de une heure chaque jour. À chaque fois, ce n’est que lorsque les pratiques

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L’outil en ligne recommandé par Adele Diamond et Daphné Ling, pour les enseignants et pédagogues : https ://toolsofthemind. org

enseignées dans ces programmes ont commencé à être utilisées régulièrement, tout au long de la journée et de la semaine, que les élèves ont réellement progressé. Le principal exemple cité est un programme inspiré des travaux du psychologue russe Lev Vygotsky et appelé « Tools of the Mind » qu’Adele Diamond a été amenée à tester elle-même : ce programme insiste particulièrement sur le rôle fondamental de l’intention de l’enfant, et l’incite à verbaliser ce qu’il s’apprête à faire avant d’aborder une activité, ce qui se prête bien à une pratique récurrente tout au long de la journée. Par exemple, en situation de classe, lorsque l’enfant s’apprête à réaliser une opération mentale, il s’agira de l’amener à expliciter son intention (j’essaie de multiplier 12 par 4), puis à prendre conscience des étapes de son raisonnement (je multiplie d’abord 2 par 4, je mémorise le résultat, puis je multiplie 10 par 4, et je l’ajoute aux résultats suivants). Les fonctions exécutives s’apprennent au fil du temps, par la répétition de situations qui leur posent un léger défi, pas trop élevé. On retrouve le concept cher aux pédagogues de « zone proximale de développement » : demander à l’enfant toujours un petit plus que ce qu’il sait faire. Les observations de Diamond et Ling indiquent également qu’il serait


VIE QUOTIDIENNE L a question du mois

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NEUROBIOLOGIE

Le manque de sommeil fait-il grossir ?

LA RÉPONSE DE

MANFRED HALLSCHMID

L

Professeur de neurobiologie comportementale à l’Institut de psychologie médicale et de neurobiologie du comportement, à l’université de Tübingen, en Allemagne.

e poète allemand Heinrich Heine parlait du sommeil comme de l’invention la plus dévoreuse de temps. En revanche, il ne se posait pas la question de savoir si le manque de sommeil ne conduisait pas à dévorer d’autres nourritures… Or c’est ce que bien des gens croient avoir noté chez eux : après une nuit trop courte, voire une nuit blanche, se déclarent d’impérieuses fringales. Est-ce vrai ? Au cours des deux dernières décennies, les scientifiques ont essayé de savoir à quel point des temps de sommeil réduits favorisent ou non la prise de poids, en aiguisant notre appétit. Et ce sont tout d’abord des études épidémiologiques qui ont livré les premiers indices suggérant que le sommeil influence non seulement la forme mentale, mais aussi le poids corporel. Un grand nombre de ces études révèlent en effet que le temps

de sommeil moyen dans les pays industrialisés a diminué de une à deux heures depuis le milieu du siècle passé. Dans le même temps, les chercheurs ont observé une « épidémie d’adiposité » : de plus en plus de personnes étaient en surpoids, voire en situation d’obésité pathologique. Les deux évolutions étaient corrélées. Cela signifiait-il que dormir moins augmentait les chances d’être obèse ?

Après une nuit trop courte, votre leptine chute de 20 % et votre ghréline augmente de 30 %. Bilan : vous avez doublement faim ! N° 105 - Décembre 2018


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6 KG

EN PLUS LORSQU’ON DORT MOINS DE 5 HEURES par nuit, en moyenne, par rapport à une personne dormant entre 6 et 7 heures par nuit. Source : K. G. Hariston et al., Sleep, vol. 33, pp. 289-295, 2010.

© Olena Yakobchuk/Shutterstock.com

Afin de mettre au jour des causes permettant d’expliquer un tel lien, les chronobiologistes Karen Spiegel et Eve van Cauter, de l’université de Chicago, ont mené, au tournant du millénaire, une expérience toute nouvelle : de jeunes participants en bonne santé devaient passer successivement une nuit de quatre heures puis une nuit de dix heures. Après leur première nuit, courte, le taux d’hormone des tissus adipeux dans leur sang, la leptine, avait chuté de 20 %, tandis que leur concentration de ghréline – une hormone gastrique – avait grimpé de 30 %. Que faut-il en tirer ? Une conclusion relativement simple : alors que la leptine diminue la sensation de faim (on dit que c’est une hormone anorexigène), la ghréline stimule l’appétit (effet orexigène). Avec des conséquences immédiatement visibles : les participants ont une forte attirance pour des aliments à haute teneur en hydrates de carbones. FATIGUÉ, NOTRE CERVEAU FABRIQUE SON PROPRE CANNABIS En 2016, l’endocrinologue Erin Hanlon et son équipe de l’université de Chicago ont découvert un autre facteur susceptible de provoquer une hausse d’appétit consécutive à un manque de sommeil. Dans leur étude, des volontaires devaient dans un premier temps passer une nuit aussi longue qu’ils le désiraient, puis s’imposer une nuit clairement trop courte. Cette fois, après avoir dormi insuffisamment, on trouva dans leur sang un excès d’endocannabinoïdes, et l’on observa qu’ils avaient toutes les peines du monde à se retenir

Bibliographie E. C. Hanlon et al., Sleep restriction enhances the daily rhythm of circulating levels of endocannabionoid 2-arachidonoylglycerol, Sleep, vol. 39, pp. 653-664, 2016. A. V. Nedeltcheva et al., Insufficient sleep undermines dietary efforts to reduce adiposity, Annals of Internal Medicine, vol. 153, pp. 435-441, 2010. K. Spiegel et al., Brief communication : Sleep curtailment in healthy young men is associated with decreased leptin levels, elevated ghrelin levels, and increased hunger and appetite, Annals of Internal Medicine, vol. 141, pp. 846-850, 2004.

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de grignoter des chips ou des gâteaux mis à leur disposition. Là aussi, les chercheurs identifièrent un lien intéressant, car les analogues du cannabis produits par notre corps font partie du système de récompense de notre cerveau qui nous pousse à absorber des nourritures caloriques. Au-delà de ces mécanismes motivationnels biochimiques, Sebastian Schmid et ses collègues de l’université de Lübeck, en Allemagne, ont découvert autre chose encore : après avoir limité le sommeil de leurs volontaires à quatre heures par nuit pendant deux jours, ils ont observé que leur activité physique diminuait de 13 %. Or, une diminution de l’activité physique conduit habituellement à une prise de poids. Voyons le bon côté des choses : lorsqu’on veut perdre des kilos, il peut être très utile de veiller à s’accorder de confortables nuits de sommeil. Toujours à l’université de Chicago, l’endocrinologue Arlet Nedeltcheva et ses collègues ont découvert que des personnes en supoids qui ne dormaient que cinq heures par nuit au long d’un programme d’amaigrissement de deux mois perdaient deux fois moins de masse grasse que des personnes dormant plus de sept heures par nuit. Et elles perdaient plus de masse musculaire ! En revanche, ce qu’on ne sait toujours pas, c’est ce qui se passe exactement au niveau biochimique et métabolique chez les personnes qui conservent un bon poids d’équilibre tout en dormant peu. Dans ce domaine, les chercheurs ont faim de découvertes, et par chance ils ont probablement de belles nuits blanches devant eux. £


VIE QUOTIDIENNE L es clés du comportement

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NICOLAS GUÉGUEN Directeur du Laboratoire d’ergonomie des systèmes, traitement de l’information et comportement (LESTIC) à Vannes.

Mon psy le miroir Surpoids, insatisfaction corporelle, estime de soi en berne : si votre meilleur psy était… votre miroir ?

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«

iroir magique au mur, qui a beauté parfaite et pure ? » La scène où la belle-mère de Blanche-Neige interroge son miroir est peut-être l’une des plus célèbres du cinéma d’animation. La cruelle marâtre est loin d’être la seule à s’inquiéter régulièrement de son apparence : selon un sondage Today/aol réalisé en 2014, les femmes passent en moyenne 55 minutes par jour devant la glace – soit l’équivalent de deux ans sur la durée d’une vie ! Les hommes se contentent quant à eux de 39 minutes par jour, ce qui n’est pas négligeable non plus. LE SYNDROME DE BLANCHE-NEIGE Les regards que nous nous jetons à nousmêmes ne se cantonnent pas à la salle de bain : dans le rétroviseur de la voiture, dans une vitrine de magasin, dans une cabine d’essayage… les occasions de s’observer sont légion. Une expérience menée dans mon laboratoire a révélé à quel point chacun d’entre nous recherche la présence d’un miroir, au moindre doute sur son apparence. Nous avons demandé à deux jeunes filles de discuter à côté d’un magasin de parfums et de produits de beauté dont la devanture était ornée de deux grandes glaces. Lorsqu’une autre

EN BREF ££Quand on n’aime pas son corps, s’observer dans un miroir sous la supervision d’un thérapeute améliore l’humeur et l’image de soi. ££En nous forçant à porter notre attention sur nous-mêmes, les miroirs nous poussent aussi à adopter des habitudes de vie plus saines. ££Mais ils ont également des effets pervers, aggravant certains comportements addictifs, car nous n’aimons pas toujours avoir une conscience trop aiguë de nous-mêmes.

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femme passait à proximité, elles devaient lancer bien fort une phrase portant tantôt sur l’apparence (« Il est beau, ton haut »), tantôt sur un autre sujet (« Elle arrive à quelle heure, Marie ? »). Résultat : 51 % des passantes se sont regardées dans un des miroirs dans le premier cas (« Et mon haut à moi, comment est-il ? », a-t-on tendance à se demander), contre 11 % dans le second. Ces petits coups d’œil réguliers dans la glace font, en réalité, bien plus que nous rassurer : ils forgent nos goûts et nos préférences. Selon des résultats obtenus par Théodore Mita, de l’université du Wisconsin, à Milwaukee, et ses collègues, nous préférerions les photographies « inversées » de nous-mêmes, correspondant à l’image que nous voyons dans le miroir. Nos amis ou partenaires amoureux, quant à eux, apprécient davantage les photographies non inversées de notre personne. Rien d’étonnant à cela : chacun a tendance à aimer ce qui lui est familier… Mais la capacité des miroirs à modifier nos préférences va bien au-delà de cette question de symétrie. Face à tous les complexes physiques que nous sommes si prompts à nous inventer, ils permettent de retrouver une perception plus réaliste et plus bienveillante de notre propre


© Charlotte-Martin/www.c-est-a-dire.fr

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LIVRES

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p. 92 Sélection de livres p. 94 Annie Ernaux : La honte des innocents

SÉLECTION

A N A LY S E Par Nicolas Gauvrit

PSYCHOLOGIE Le Mensonge dans le couple de L isa Letessier Odile Jacob

NEUROSCIENCES A pprendre ! de S tanislas Dehaene O dile Jacob

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es élèves français vont mal : depuis vingt ans, la place de notre pays dans les évaluations internationales accuse un recul permanent, que ce soit en mathématiques, en sciences ou en lecture. Nous ne connaissons certes pas les causes de cette dégringolade, mais nous pourrions détenir une clé, grâce aux sciences cognitives, pour optimiser l’enseignement et inverser la tendance. C’est ce que nous explique ici Stanislas Dehaene, qui préside le Conseil scientifique de l’Éducation nationale. L’art d’apprendre n’est pas l’apanage de l’humain, mais nous sommes les seuls à l’avoir poussé aussi loin. Notre machine cérébrale semble parfaitement calibrée pour cela : elle excelle à emmagasiner des informations, à forger des concepts et à tirer des lois de nos observations. Les mécanismes en sont de mieux en mieux connus et si l’intelligence artificielle enchaîne les prouesses, ses exploits font encore pâle figure face à ceux de notre cerveau. L’humain dépasse l’ordinateur sur deux plans fondamentaux : l’inné et l’acquis. L’inné, parce que nous ne naissons pas vierges de tout savoir, mais préparés d’emblée à la découverte du monde par un câblage neuronal ajusté. L’acquis, parce que diverses facultés cognitives nous permettent de tirer parti de nos expériences avec une efficacité extraordinaire. L’auteur décrit ainsi ce qu’il appelle les quatre piliers de l’apprentissage : l’attention, que nous dirigeons vers les informations les plus pertinentes ; l’engagement actif, un accélérateur d’apprentissage ; la capacité à analyser ses erreurs, qui rend celles-ci profitables ; la consolidation des souvenirs, enfin, qui automatise les savoir-faire. C’est en renforçant ces quatre piliers et en s’appuyant davantage sur eux que Dehaene propose d’améliorer l’enseignement. « Des idées très simples, sur le jeu, le plaisir, la curiosité, la socialisation, la concentration ou encore le sommeil, peuvent augmenter encore ce qui est déjà le plus grand talent de notre cerveau : apprendre », explique-t-il. Dans ce plaidoyer limpide et rigoureux pour une école mieux adaptée et plus proche des besoins des élèves, il n’oublie donc pas de donner des pistes concrètes. Nicolas Gauvrit est psychologue du développement et chercheur en sciences cognitives à l’École pratique des hautes études, à Paris.

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COGNITION Le Temps psychologique en questions de S imon Grondin Hermann

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elon un proverbe anglais, une bouilloire que l’on surveille ne bout jamais. C’est que, plus nous attendons un événement, plus il nous semble long à venir ! Cet ouvrage du psychologue Simon Grondin nous explique les mécanismes de la perception du temps. Son ton assez universitaire le destine plutôt aux professionnels, mais de branches variées : ceux qui étudient le temps psychologique, bien sûr, mais aussi ceux qui travaillent dans le domaine du soin mental. La perception du temps est en effet distordue dans bien des maladies, comme la schizophrénie, la dépression ou l’autisme.

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ans un couple, la découverte d’un mensonge important – par exemple à propos d’une aventure extraconjugale – entraîne souvent une perte de confiance irrémédiable. Psychologue clinicienne, Lisa Letessier propose une démarche pas à pas pour surmonter cette épreuve : d’abord en analysant son propre rapport au mensonge, puis en cherchant à comprendre ce qu’il s’est passé, et enfin en essayant de le dépasser – par la séparation ou le pardon. Mélangeant données scientifiques, témoignages et exercices pratiques, son ouvrage sera d’une grande aide pour tous ceux qui se sont un jour sentis trahis par leur partenaire.


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COUP DE CŒUR Par Christophe André

RELIGION Tout ce que la science sait de la religion de D aniel Baril Hermann / PUL

PSYCHOTHÉRAPIE La Peur d’avoir peur de A . Marchand, A. Letarte, A. Seidah Le livre de poche

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œur qui s’emballe, palpitations, impression d’étouffer… C’est la crise de panique. Elle est si oppressante que de nombreuses personnes touchées finissent par éviter toutes sortes de situations par peur d’en être victimes. Ces personnes trouveront dans ce livre d’autotraitement, écrit par trois psychologues spécialistes des troubles anxieux, tous les outils nécessaires pour reprendre le contrôle. Limpide, très complet, il commence par disséquer les mécanismes physiologiques et psychologiques des crises de panique, avant de proposer divers outils pour s’autoévaluer et de multiples exercices pour endiguer la peur.

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es religions sont-elles en progression ou en déclin ? La religiosité influe-t-elle sur le bienêtre, la morale, la violence ? Que penser des expériences de mort imminente ? Dans cet ouvrage passionnant, le journaliste et anthropologue Daniel Baril convoque la sociologie, la psychologie et les neurosciences pour explorer ces questions. L’auteur brille autant par la richesse de sa documentation que par son sens aigu de la synthèse et de la nuance. Il en faut pour s’attaquer à un phénomène si complexe, qui trahit tant de paradoxes de l’esprit humain : « 30 % des Américains sans religion croient probable ou certaine l’existence des anges », apprend-on par exemple…

SCIENCE ET SOCIÉTÉ P ourquoi la torture ne marche pas de S hane O’Mara Markus Haller

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L

’usage barbare de faire bâtonner les hommes prévenus d’avoir des secrets importants à révéler doit être aboli. Il a été reconnu de tout temps que cette manière d’interroger en mettant à la torture ne produit aucun bien. Les malheureux disent tout ce qui leur vient à la tête et tout ce qu’ils croient qu’on désire savoir. » C’est ce que Bonaparte écrivait en 1798, dans une lettre à son chef d’état-major. Et c’est aussi ce que rappelle deux siècles plus tard, preuves à l’appui, le livre du neuroscientifique irlandais Shane O’Mara. La torture ne marche pas, ce sont les policiers et militaires expérimentés eux-mêmes qui l’avouent avec le recul. Leurs témoignages, nombreux dans le livre, en représentent une des parties les plus passionnantes, et peuvent se résumer ainsi : « La torture, c’est pour les amateurs, et l’interrogatoire, c’est pour les professionnels. » Le stress associé à cette épreuve désorganise en effet totalement le fonctionnement cérébral, provoquant amnésies et faux souvenirs, et poussant à dire tout ce que souhaitent les tortionnaires. Il n’existe bien sûr pas d’études expérimentales conduites en ce domaine, mais le livre rassemble toutes les données montrant comment le cerveau réagit à la peur ou la souffrance extrême, et les extrapole à la torture. Il aborde surtout la légitime question des informations à obtenir, en situation de guerre ou de terrorisme, pour sauver des vies, et rappelle que dans ce cas, un interrogatoire bien conduit, selon des règles psychologiques connues, est le plus souvent efficace. Les compétences requises sont à peu près celles d’un psychologue clinicien : empathie, maîtrise de ses impulsions, curiosité pour autrui… Le problème est que la plupart des militaires et policiers chargés de ces questions connaissent trop peu ces techniques : aux États-Unis, ils ne reçoivent qu’une quinzaine d’heures de formation spécifique. Il y a beaucoup de raisons pour lesquelles la torture est encore utilisée (punir, intimider, obtenir des aveux forcés…). Mais si sa justification est l’obtention d’informations fiables, par exemple de la part de terroristes, alors la messe est dite : elle est non seulement moralement critiquable, mais aussi parfaitement inutile. Christophe André est médecin psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris.

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LIVRES N eurosciences et littérature

SEBASTIAN DIEGUEZ Chercheur en neurosciences au Laboratoire de sciences cognitives et neurologiques de l’université de Fribourg, en Suisse.

Annie Ernaux

La honte des innocents «

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u n’as pas honte ? » Pris les doigts dans le pot de confiture, le petit enfant est immédiatement exhorté à éprouver ce sentiment pénible, qui le fait rougir, baisser la tête et bredouiller. Oui, il devrait avoir honte, puisqu’il a désobéi ; et cela devrait en théorie le dissuader de traîner trop près de l’armoire à confiseries… Hélas, avec la honte, rien n’est si simple. Si seuls les enfants désobéissants expérimentaient cette émotion négative, elle ne serait pas un problème existentiel qui hante les penseurs depuis l’Antiquité. Pourquoi a-t-on parfois honte quand on n’a rien fait de mal ? Cette tourmente de l’esprit, capable de nous torturer jusqu’à l’agonie, l’écrivaine Annie Ernaux l’a subie toute sa vie et en a fait la matière principale de son œuvre. En publiant en 1997 La Honte, elle choisit pour la première fois d’explorer

L’écrivaine Annie Ernaux a éprouvé un sentiment de honte toute sa vie, alors que sa seule « faute » était d’être issue d’un milieu social modeste. Pourquoi a-t-on parfois honte sans avoir rien fait de mal ?

EN BREF ££Dans son récit La Honte, Annie Ernaux s’interroge sur l’origine de sa honte persistante, en reconstituant le cadre de vie de son enfance. ££De fait, la psychologie révèle que ce sentiment est intimement lié au regard des autres et aux normes sociales, plutôt qu’aux fautes commises. ££Il nous sert en quelque sorte à évaluer notre image publique, afin de limiter les risques d’exclusion de la communauté.

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de front son origine, et de s’exposer ainsi plus que jamais auparavant. Elle a longtemps retardé ce moment, comme si la honte, plus que toute autre expérience, nous imposait le silence. Mais sa démarche est de dire toute la vérité sur sa vie, dans une approche qu’elle qualifie souvent d’ethnographique, et dont sa fameuse « écriture plate » – sèche, directe, objective – est la signature. L’ENTRÉE DANS LA HONTE « Mon père a voulu tuer ma mère un dimanche de juin, au début de l’après-midi. » Ainsi commence ce récit de la honte, par la description rapide d’une scène qui a eu lieu le dimanche 15 juin 1952, lorsque l’écrivaine avait 12 ans. Comme un sparadrap qu’on arrache d’un coup sec, Annie Ernaux rapporte d’emblée la dispute entre ses parents. L’appel au secours de sa mère

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À retrouver dans ce numéro

p. 86

GHRÉLINE

Cette hormone de l’appétit augmente de 30 % dans le sang lorsqu’on ne dort que 4 heures. Elle pousse alors à se jeter sur des nourritures grasses et sucrées. Passer sa soirée devant un écran est un bon moyen de prendre du poids… p. 76

SCRAMBLING

Cette technique consiste à découper l’image d’un corps de femme en parties, et à les mélanger. On constate alors que le cerveau des hommes les « voit » de la même façon que l’image globale. Signe qu’un corps dénudé n’est pour lui que la somme de ses parties. p. 16

p. 74

IGNORANCE PLURALISTE

Quand personne n’a compris la question mais que nul n’ose le dire, chacun croit que les autres ont tout saisi et se dit : je suis un imbécile. Briser ce malentendu libère souvent des mouvements de masse. Comme dans le mouvement MeToo et la libération de la parole des victimes, mais aussi lorsqu’on hésite à acheter un véhicule propre parce qu’on croit être le seul volontaire.

NEURONE MÉCANIQUE

Nos neurones pourraient dialoguer par des ondes se propageant le long de leurs membranes faites de lipides. Au passage de l’onde, les lipides se cristallisent, puis redeviennent mous.

p. 48

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p. 82

gènes ont déjà été identifiés dans l’autisme. Ils contribuent notamment à la formation des synapses. Plus ils accumulent de mutations, plus le risque de développer le trouble augmente. p. 88

FOOTING MALIN

La capacité à se fixer des objectifs à long terme fait partie de la métacognition, une capacité qu’il faut développer chez les enfants pour les aider à réussir. La course à pied peut y aider : lorsqu’on est épuisé, se rappeler l’objectif final aide à recalibrer ses efforts. Un principe que l’on peut appliquer ensuite à l’école.

MAYONNAISE

Pour limiter la consommation de mayonnaise dans les restaurants universitaires, des psychologues bretons ont installé un miroir devant les distributeurs. Les étudiants ont pris davantage conscience des rations excessives qu’ils se servaient, et les ont réduites de plus de 50 %.

p. 68

CONCENTRÉ

En Chine, un écolier qui ne se concentre pas assez est détecté par une caméra reliée à une intelligence artificielle qui analyse les émotions sur son visage. La machine lui interdit de rêvasser.

Imprimé en France – Roto Aisne (02) – Dépôt légal décembre 2018 – N° d’édition M0760105-01 – Commission paritaire : 0723 K 83412 – Distribution Presstalis – ISSN 1639-6936 – N° d’imprimeur 18/10/0038 – Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot


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