Pour la Science n°494 - décembre 2018

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PHYSIQUE CHALEUR : LA LOI DE FOURIER MISE EN DÉFAUT PRÉHISTOIRE LE VRAI RÉGIME PALÉO N’ÉTAIT PAS CE QUE L’ON CROIT

ET SOMMEIL

Comment dormir renforce les souvenirs

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PLANÉTOLOGIE INSIGHT, UN SISMOMÈTRE SUR MARS

M 02687 - 494 - F: 6,90 E - RD

POUR LA SCIENCE

Édition française de Scientific American

DÉCEMBRE 2018

N° 494

MÉMOIRE



É DITO

www.pourlascience.fr 170 bis boulevard du Montparnasse – 75014 Paris Tél. 01 55 42 84 00

MAURICE MASHAAL Rédacteur en chef

Groupe POUR LA SCIENCE Directrice des rédactions : Cécile Lestienne POUR LA SCIENCE Rédacteur en chef : Maurice Mashaal Rédactrice en chef adjointe : Marie-Neige Cordonnier Rédacteurs : François Savatier, Sean Bailly Community manager : Jonathan Morin HORS-SÉRIE POUR LA SCIENCE Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin Développement numérique : Philippe Ribeau-Gésippe Conception graphique : William Londiche Directrice artistique : Céline Lapert Maquette : Pauline Bilbault, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy Réviseuse : Anne-Rozenn Jouble Marketing & diffusion : Arthur Peys Direction du personnel : Olivia Le Prévost Direction financière : Cécile André Fabrication : Marianne Sigogne et Olivier Lacam Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot Anciens directeurs de la rédaction : Françoise Pétry et Philippe Boulanger Conseiller scientifique : Hervé This Ont également participé à ce numéro : Vincent Balter, Sébastien Charnoz, Chantal Ducoux, Timo Fleig, Antoine Kouchner, Fabienne Lemarchand, Lydie Morel, Romain Tavernier, Benoît Valiron, Véronique Van Elewyck PRESSE ET COMMUNICATION Susan Mackie susan.mackie@pourlascience.fr • Tél. 01 55 42 85 05 PUBLICITÉ France stephanie.jullien@pourlascience.fr ABONNEMENTS Abonnement en ligne : https://boutique.pourlascience.fr Courriel : pourlascience@abopress.fr Tél. : 03 67 07 98 17 Adresse postale : Service des abonnements – Pour la Science, 19 rue de l’Industrie, BP 90053, 67402 Illkirch Cedex Tarifs d’abonnement 1 an (12 numéros) France métropolitaine : 59 euros – Europe : 71 euros Reste du monde : 85,25 euros DIFFUSION Contact kiosques : À Juste Titres ; Stéphanie Troyard Tél. 04 88 15 12 48 Information/modification de service/réassort : www.direct-editeurs.fr SCIENTIFIC AMERICAN Editor in chief : Mariette DiChristina President : Dean Sanderson Executive Vice President : Michael Florek

Toutes demandes d’autorisation de reproduire, pour le public français ou francophone, les textes, les photos, les dessins ou les documents contenus dans la revue « Pour la Science », dans la revue « Scientific American », dans les livres édités par « Pour la Science » doivent être adressées par écrit à « Pour la Science S.A.R.L. », 162 rue du Faubourg Saint-Denis, 75010 Paris. © Pour la Science S.A.R.L. Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et de représentation réservés pour tous les pays. La marque et le nom commercial « Scientific American » sont la propriété de Scientific American, Inc. Licence accordée à « Pour la Science S.A.R.L. ». En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement la présente revue sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit de copie (20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris).

Origine du papier : Autriche Taux de fibres recyclées : 30 % « Eutrophisation » ou « Impact sur l’eau » : Ptot 0,007 kg/tonne

BIEN DORMIR POUR BIEN SE SOUVENIR

P

ourquoi dormons-nous ? La question est élémentaire. Pas la réponse ! L’une des approches possibles pour y voir plus clair consiste à étudier les conséquences d’un manque de sommeil. C’est ce que font Eva-Maria et David Elmenhorst. Dans ce numéro, les deux chercheurs allemands décrivent notamment des expériences où l’on évalue les performances cognitives de participants après de trop courtes nuits (voir pages 36 à 43). Ces travaux montrent clairement que le manque de sommeil – cinq heures par nuit au lieu de sept, typiquement – a des effets délétères sur les performances, en termes de mémoire par exemple. D’autres recherches ont par ailleurs montré qu’un sommeil insuffisant a des impacts négatifs sur la santé. Et, cumulées à l’échelle d’un pays, les conséquences en termes économiques seraient considérables : une équipe australienne a récemment estimé à plus de 100 milliards d’euros par an le coût économique induit par le manque de sommeil dans un pays tel que la France ! Si mal dormir nuit à la mémoire, a contrario un bon sommeil aide à bien fixer les souvenirs. Mais il y a mieux encore. Des expériences décrites par les neuroscientifiques Ken Paller et Delphine Oudiette, où l’on fait entendre des sons ou sentir des odeurs aux participants pendant certaines phases de leur sommeil, montrent que l’on peut de cette façon renforcer la mémorisation de souvenirs (voir pages 28 à 35). Ces recherches éclairent en partie les rouages de la mémoire. Elles laissent aussi entrevoir des pistes pour améliorer nos apprentissages. Mais sans doute pas au point d’apprendre une langue étrangère ou la théorie de l’évolution en dormant pendant qu’un cours est audiodiffusé : ce scénario de rêve (éveillé…) reste de la science-fiction ! n

POUR LA SCIENCE N° 494 / Décembre 2018 /

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s OMMAIRE N° 494 /

Décembre 2018

ACTUALITÉS

GRANDS FORMATS

P. 6

ÉCHOS DES LABOS • Peser la Terre grâce aux neutrinos atmosphériques • Bio : une influence sur les risques de cancers ? • Comment l’éléphant régule sa température • Du gaz au plus près du trou noir • Une origine auto-immune pour la narcolepsie • Une exolune confirmée grâce à Hubble ? • Les archées d’Asgård : sur la piste de l’origine des eucaryotes • Le vortex qui fait voler les graines de pissenlit

P. 18

LES LIVRES DU MOIS

P. 22

AGENDA

P. 24

P. 44

P. 58

« INSIGHT DÉTECTERA DES SÉISMES SUR MARS, UNE PREMIÈRE ! »

DES FLUX DE CHALEUR QUI ÉCHAPPENT À FOURIER

PLANÉTOLOGIE

PHYSIQUE

Entretien avec Philippe Lognonné

O. Bourgeois, D. Tainoff, N. Mingo, B. Vermeersch et J.-L. Barrat

Sur Terre, l’étude des ondes sismiques a permis de mieux comprendre la structure de la planète. La mission InSight emporte un sismomètre sur Mars, de quoi sonder les entrailles de la planète rouge.

À quelle loi la propagation de la chaleur obéit-elle ? Celle formulée par Joseph Fourier il y a plus de deux cents ans se révèle inadaptée à l’échelle nanométrique, dont dépendent nombre de technologies modernes.

P. 48

P. 66

LE VRAI RÉGIME PALÉO

MYCORHIZE, LA SYMBIOSE QUI A FAIT LA VIE TERRESTRE

HOMO SAPIENS INFORMATICUS

L’idée plus forte que le savoir-faire Gilles Dowek

P. 26

CABINET DE CURIOSITÉS SOCIOLOGIQUES

Inégalités invisibles et multiples Gérald Bronner LETTRE D’INFORMATION

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4 / POUR LA SCIENCE N° 494 / Décembre 2018

PLANÉTOLOGIE INSIGHT, UN SISMOMÈTRE SUR MARS

M 02687 - 494 - F: 6,90 E - RD

POUR LA SCIENCE

PRÉHISTOIRE LE VRAI RÉGIME PALÉO N’ÉTAIT PAS CE QUE L’ON CROIT

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Peter S. Ungar Édition française de Scientific American

PHYSIQUE CHALEUR : LA LOI DE FOURIER MISE EN DÉFAUT BEL : 7,6 € - CAN : 11,6 CAD - DOM/S : 7,7 € - Réunion/A : 9,9 € - ESP : 7,6 € - GR : 7,6 € - ITA : 7,6 € - LUX : 7,6 € - MAR : 64 MAD - TOM : 1 040 XPF - PORT. CONT. : 7,6 € - CH : 12,7 CHF - TUN/S : 9,1 TND

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PALÉONTOLOGIE HUMAINE

DÉCEMBRE 2018

N° 494

MÉMOIRE

ET SOMMEIL Comment dormir renforce les souvenirs

En couverture : © Shutterstock.com/KENG MERRY Paper Art Les portraits des contributeurs sont de Seb Jarnot Ce numéro comporte un encart des éditions Belin sur une sélection d’abonnés France Métropolitaine.

Que mangeaient nos ancêtres il y a plusieurs dizaines de milliers d’années ? L’examen des traces microscopiques d’usure à la surface des dents fossiles apporte des réponses qui bousculent les idées reçues.

BOTANIQUE

Marc-André Selosse

Des champignons aident les plantes en les nourrissant et en les protégeant, en échange de produits de leur photosynthèse. Cette symbiose est à l’origine des écosystèmes terrestres actuels.


RENDEZ-VOUS

P. 80

LOGIQUE & CALCUL

NEUROSCIENCES

P. 74

MÉMOIRE ET SOMMEIL

HISTOIRE DES SCIENCES

DU TABAC POUR RÉANIMER LES MORTS

Anton Serdeczny

Au xviiie siècle, les savants recommandaient de réanimer les noyés en leur insufflant de la fumée de tabac… par l’anus ! En remontant la piste de cette étrange pratique, on aboutit à une conclusion étonnante : elle proviendrait d’une danse comique ancienne jouée lors du carnaval…

FAUT-IL ADOPTER L’AVIS DE SES VOISINS ?

Jean-Paul Delahaye

La modélisation de réseaux d’individus dont l’opinion se conforme à celle de la majorité de leurs relations montre des évolutions parfois inattendues où, par exemple, le réseau se met à osciller entre deux états contradictoires.

P. 86

ART & SCIENCE

L’araignée, un guide pour l’humanité Loïc Mangin

P. 28

COMMENT DORMIR RENFORCE LES SOUVENIRS

P. 88

IDÉES DE PHYSIQUE

Ken A. Paller et Delphine Oudiette

Quand les verres chantent

Apprendre en dormant ? Nous le faisons tous lorsque nos souvenirs refont surface au plus profond de notre sommeil, s’ancrant ainsi dans notre mémoire. En explorant les rouages de ce mécanisme, des neuroscientifiques laissent entrevoir des pistes pour améliorer cet apprentissage.

P. 92

Jean-Michel Courty et Édouard Kierlik

CHRONIQUES DE L’ÉVOLUTION

P. 36

Comment le blé est devenu tendre

David Elmenhorst et Eva-Maria Elmenhorst

P. 96

UN INQUIÉTANT MANQUE DE SOMMEIL

Hervé Le Guyader

À l’heure où nous dormons de moins en moins, quels sont les effets du manque de sommeil sur nos capacités cognitives ? Récemment, des laboratoires ont repéré les changements délétères qui se jouent dans nos cerveaux. Plus que jamais, il est temps de prendre son sommeil au sérieux.

Fromages et vins en quête d’accord

SCIENCE & GASTRONOMIE

Hervé This

P. 98

À PICORER

POUR LA SCIENCE N° 494 / Décembre 2018 /

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ÉCHOS DES LABOS

GÉOPHYSIQUE

P. 6 Échos des labos P. 18 Livres du mois P. 22 Agenda P. 24 Homo sapiens informaticus P. 26 Cabinet de curiosités sociologiques

ESTIMER LA MASSE DE LA TERRE AVEC LES NEUTRINOS ATMOSPHÉRIQUES

Des physiciens espagnols ont montré qu’il est possible de sonder la structure interne de la Terre au moyen des neutrinos produits dans l’atmosphère.

L

es ondes sismiques ont été jusqu’ici le principal outil des géophysiciens pour étudier la structure interne de la Terre. Notamment, la vitesse de propagation de ces ondes dépend de la densité des matériaux qu’ils traversent. Les données sismiques permettent par exemple de déterminer la taille du noyau, du manteau et de la croûte terrestres. Andrea Donini et ses collègues, de l’université de Valence, en Espagne, ont expérimenté une autre méthode, fondée sur les neutrinos – particules qui interagissent très peu avec la matière –, pour 6 / POUR LA SCIENCE N° 494 / Décembre 2018

sonder l’intérieur de la planète. En exploitant les données de l’expérience IceCube, installée au pôle Sud et principalement dédiée à l’étude du ciel au moyen des neutrinos, les chercheurs ont fait la démonstration que cette méthode sera, d’ici à une dizaine d’années, en mesure d’estimer certaines caractéristiques de la Terre. L’idée d’utiliser des neutrinos pour sonder l’intérieur de la Terre avait été proposée dès les années 1970. Il existe plusieurs façons d’exploiter à cette fin les neutrinos, selon leur origine. Dans les années 1980, les physiciens Sheldon Glashow, Lawrence Krauss et David

Schramm avaient proposé de détecter les neutrinos de faible énergie émis par la radioactivité naturelle du manteau et de la croûte terrestre. L’idée a été mise en application ces dernières années par les expériences Borexino, en Italie, et KamLAND, au Japon. En 2008, Concha González-García, de l’université de Barcelone, et ses collègues ont proposé d’utiliser d’autres neutrinos : ceux produits par les rayons cosmiques qui bombardent en permanence la haute atmosphère terrestre. Lorsqu’une de ces particules de très haute énergie percute une molécule de l’atmosphère, de nombreuses particules sont produites, dont des neutrinos dits atmosphériques. Ceux qui se dirigent vers le sol pénètrent dans la planète et, le plus souvent, la traversent. Les détecteurs de l’expérience IceCube captent

© Observatoire des neutrinos IceCube

Sous l’infrastructure de surface, les détecteurs de l’expérience IceCube plongent à plus de un kilomètre dans la glace du pôle Sud. Ils ne captent pas directement les neutrinos, mais la lumière produite par le passage de particules chargées, elles-mêmes émises lorsqu’un neutrino interagit avec la matière.


NUTRITION-SANTÉ

une infime fraction de ces neutrinos, dont les physiciens sont capables d’estimer l’énergie et la direction d’origine. Or de ces grandeurs dépend ce qui advient à un neutrino produit dans l’atmo­ sphère. En effet, la probabilité d’inter­action d’un neutrino avec la matière, très faible en général, dépend de son énergie. Par exemple, les neutrinos de très haute énergie ont une plus grande chance d’inter­agir, donc d’être arrêtés quelque part dans le manteau terrestre. Le flux des neutrinos d’énergie supérieure à 10 000 gigaélectronvolts s’en trouve sensiblement réduit. À l’inverse, pour des neutrinos de plus basse énergie, de moins de 1 000 gigaélectronvolts, le flux n’est pas perturbé. Il faut ensuite considérer la géométrie et la composition de la Terre. Un neutrino formé exactement à l’antipode d’IceCube aurait un parcours particulièrement long dans le globe et traverserait aussi le noyau très dense, et aurait donc plus de chances d’être absorbé qu’un neutrino arrivant en biais, dont le trajet au sein de la Terre est plus court et ne passe pas nécessairement par le noyau. À partir des données enregistrées par IceCube entre 2011 et 2012, les trois chercheurs ont déterminé le flux de neutrinos détectés en fonction de leur énergie et de l’angle d’incidence. Grâce à ces mesures et en se fondant sur un modèle simplifié de la structure de la Terre, qui représente celle-ci comme un oignon à cinq couches, chacune de densité constante, ils ont estimé la densité de chaque couche. Cela leur a permis de calculer la masse de la Terre (6,0 × 1024 kilogrammes), celle du noyau ou le moment d’inertie de la planète. Les résultats sont en accord avec les valeurs établies par d’autres méthodes, si ce n’est que les incertitudes des mesures par cette nouvelle approche sont encore très grandes (supérieures à 20 %). Andrea Donini et ses collègues ont ainsi fait la démonstration du bien-fondé de cette méthode pour étudier l’intérieur de la Terre. Ils espèrent déterminer par exemple la position de la frontière entre le noyau et le manteau. Pour réduire les incertitudes sur les mesures, il sera néanmoins indispensable d’accumuler bien plus de données, l’équivalent de 10 à 15 ans de relevés sur IceCube et sur le projet en cours de construction en mer Méditerranée, KM3NeT. SEAN BAILLY A. Donini et al., Nature Physics, en ligne le 5 novembre 2018

Bio : une influence sur les risques de cancers ? Les aliments issus de l’agriculture biologique seraient meilleurs pour la santé. Mais les données requises pour étayer scientifiquement cette affirmation sont encore peu nombreuses. Une étude récente en apporte. Julia Baudry, qui y a participé, nous explique les difficultés et les premiers résultats obtenus. Propos recueillis par SEAN BAILLY JULIA BAUDRY est épidémiologiste à l’université Paris 13.

Le lien entre la consommation d’aliments bio et cancer a-t-il déjà été étudié ? Concernant le lien direct entre cancer et consommation de produits bio, il n’existait qu’une étude d’une équipe anglaise, menée en 2014 auprès de 600 000 femmes sur une durée de 9 ans, donc de grande puissance statistique. Cette étude n’a pas noté d’association significative entre la consommation d’aliments bio et le risque de cancer, tous types confondus. Néanmoins, elle a rapporté une diminution du risque de lymphome non hodgkinien chez les femmes déclarant consommer plus fréquemment du bio. Qu’en est-il de votre étude ? Notre analyse a porté sur un échantillon d’environ 70 000 personnes (78 % de femmes, âge moyen 44 ans) de la cohorte française NutriNet-Santé sur une durée d’environ 4,5 ans. Nous avons utilisé une mesure de la consommation de produits bio plus fine que l’étude anglaise, bien que non quantitative. Les participants renseignaient l’étude via un questionnaire de fréquence de consommation (« jamais », « de temps en temps », « la plupart du temps ») pour 16 groupes alimentaires (fruits, légumes, produits à base de soja, etc.). Nous avons ensuite divisé la population en 4 groupes de taille égale selon leur consommation de produits bio. L’une des difficultés d’une telle étude est que ceux qui mangent des produits bio ont souvent des comportements plus sains, sont plus éduqués, fument moins et ont en moyenne un régime alimentaire plus équilibré que les autres. Lors de nos analyses, nous avons pris en compte ces facteurs dits de confusion, qui tendent à brouiller les résultats. Pour ce faire, nous avons utilisé des modèles statistiques spécifiques qui réduisent au maximum

tous ces biais, par divers ajustements. Nous avons ainsi comparé les risques d’apparition de cancers chez les petits consommateurs de bio et les gros, toutes choses étant égales par ailleurs. Quels sont vos résultats ? Nous avons constaté que les individus déclarant consommer le plus souvent des aliments bio présentaient un risque inférieur de 25 % de développer un cancer par rapport aux non-consommateurs ou aux consommateurs épisodiques de produits bio. Cette association était particulièrement forte pour le cancer du sein postménopause, avec une réduction du risque de 34 %, et le lymphome non hodgkinien, avec une réduction de 75 %. Que peut-on en conclure ? Nous avons envisagé plusieurs hypothèses pour expliquer ces résultats. La principale résiderait dans le fait que les produits bio présentent bien moins de résidus de pesticides de synthèse que leurs homologues de l’agriculture classique. Bien que divers indices soutiennent cette piste, nous ne démontrons pas ce lien dans notre étude. Il est important de souligner que celle-ci est observationnelle et que, malgré ces premiers résultats importants, il faut être prudent quant à leurs interprétations et leurs implications. Nous n’avons pas démontré un lien de cause à effet, mais seulement constaté une association entre consommation d’aliments bio et un risque réduit de cancer. En outre, il n’existe que deux études sur le sujet, en comptant la nôtre, ce qui est très peu. D’autres travaux épidémiologiques réalisés sur d’autres populations sont nécessaires. C’est sur la base de la convergence des résultats d’études observationnelles couplées à des approches expérimentales qu’il sera possible de tendre vers la causalité et d’émettre des recommandations. J. Baudry et al., JAMA Internal Medicine, en ligne le 22 octobre 2018

POUR LA SCIENCE N° 494 / Décembre 2018 /

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HOMO SAPIENS INFORMATICUS

LA CHRONIQUE DE

L’IDÉE PLUS FORTE QUE LE SAVOIR-FAIRE En informatique, l’idée prend le pas sur l’effort de réalisation. Un principe que l’on retrouve dans l’art contemporain. Lors d’une vente aux enchères, cette œuvre de Banksy s’est autodétruite. Son intérêt réside plus dans l’idée de la performance que dans la technique de sa réalisation.

L

es détracteurs de l’art contemporain insistent souvent sur le fait qu’une installation ou une performance demandent souvent à l’artiste peu d’effort, d’habileté ou de talent. En revanche, il faut des milliers d’heures de travail, et peut-être aussi un talent inné, pour manier un pinceau avec l’habileté de, par exemple, William Bouguereau, un peintre emblématique de « l’art académique » du milieu du xixe siècle. Mais aucun travail ni aucun talent, si ce n’est celui de la provocation, ne sont nécessaires pour exposer un urinoir dans une galerie, tel Marcel Duchamp, pour dormir au sommet de la Tour Eiffel, telle Sophie Calle, ou pour déchiqueter une toile au cours d’une vente aux enchères, tel Banksy. Certains revendiquent même cette facilité, comme Andy Warhol, qui déclarait qu’il copiait des objets ordinaires parce que c’était « plus facile à faire ». Même si ce discours est, bien entendu, caricatural, il y a sans doute quelque chose de vrai dans le fait que l’art contemporain valorise moins l’effort ou le travail que, par exemple, l’art académique. 24 / POUR LA SCIENCE N° 494 / Décembre 2018

En cela, les arts plastiques ont connu une évolution comparable à celle des techniques. Il est aujourd’hui possible de refaire en quelques minutes, avec un logiciel de calcul formel, les calculs du mouvement de la Lune, qui avaient demandé en leur temps des années à l’astronome Charles-Eugène Delaunay. De même, les calculatrices ont rendu vaines les longues

Il est aujourd’hui possible de refaire en quelques minutes un calcul qui prenait des années heures que nous avons passées à apprendre à faire des multiplications et des divisions. Quand nous connaissions, jadis, un algorithme pour résoudre un problème – tel multiplier ou diviser deux nombres –, nous devions encore faire preuve d’une certaine habileté pour l’exécuter, et l’acquisition de

cette habileté nous demandait des heures de travail. Désormais, une fois l’algorithme exprimé dans un langage de programmation, il ne nous demande aucune habileté, ni aucun travail, pour être exécuté, car une machine peut le faire pour nous. Comme l’art contemporain, la technique contemporaine valorise l’idée davantage que l’effort. Cette transformation ne semble cependant pas atteindre tous les arts de la même façon. Les musiciens, par exemple, qui passent des milliers d’heures à apprendre à jouer d’un instrument, semblent valoriser l’habileté et le travail que son acquisition demande, davantage que les plasticiens. Et il n’y a que quelques œuvres, comme 4’33’’ de John Cage, ou celles écrites pour des instruments électroniques, qui peuvent se passer d’instrumentistes. En théorie pourtant, un morceau de musique est similaire à un algorithme : une fois exprimé dans le langage des partitions, il ne devrait demander aucune habileté ni aucun travail pour être exécuté. Mais si nous laissons, aujourd’hui, une machine le faire à la place des instrumentistes, nous obtenons une interprétation sans intérêt, qui ressemble au son d’une boîte à musique. Interpréter une partition ne consiste pas, en effet, à jouer chaque note l’une après l’autre, de même que lire un texte ne consiste pas à lire chaque mot l’un après l’autre : il faut aussi y ajouter une expression. De plus, l’interprétation d’une œuvre n’est pas unique, ce qui montre que tout n’est pas écrit dans la partition. Mais, à supposer que nous comprenions mieux ce qu’est cette notion d’interprétation, et que nous améliorions le langage des partitions de façon à l’y ajouter, nous pourrions alors remplacer les instrumentistes par des machines, et la musique deviendrait un art de la composition. Même si cette perspective reste lointaine, elle suggère que la musique, tout comme les arts plastiques, pourrait un jour moins valoriser l’habileté, le travail et l’effort. GILLES DOWEK est chercheur à l’Inria et membre du conseil scientifique de la Société informatique de France.

© Getty Images/Tristan Fewings / Intermittent

GILLES DOWEK


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CABINET DE CURIOSITÉS SOCIOLOGIQUES

LA CHRONIQUE DE

GÉRALD BRONNER

INÉGALITÉS INVISIBLES ET MULTIPLES Les chances de réussir dans la vie sont biaisées par de nombreuses inégalités à la naissance, qui ne sont pas forcément liées aux conditions socio-économiques.

A

lexis de Tocqueville fut l’un des observateurs les plus brillants des phénomènes démocratiques naissants. Il avait compris combien, dans ces systèmes politiques, la passion de l’égalité allait devenir fondamentale. « Quand l’inégalité est la loi commune d’une société, explique-t-il, les plus fortes inégalités ne frappent point l’œil ; quand tout est à peu près de niveau, les moindres le blessent […]. C’est à ces causes qu’il faut attribuer la mélancolie singulière que les habitants des sociétés démocratiques font souvent voir au sein de leur abondance. » Ce que Tocqueville ne pouvait prévoir, c’est que toutes sortes d’inégalités demeureraient invisibles et seraient débusquées, parfois un peu par hasard, par des chercheurs se posant des questions exotiques. Ainsi, la première lettre de votre nom de famille a-t-elle une influence sur vos chances de réussite ? Dans certains domaines, il semblerait que oui : vous aurez plus de chances de 26 / POUR LA SCIENCE N° 494 / Décembre 2018

devenir professeur en chaire ou même lauréat du prix Nobel si votre nom commence par la lettre A que s’il commence par la lettre Z. Pourquoi ? Parce que souvent, expliquaient Liran Einav et Leeat Yariv, les deux économistes ayant publié en 2006 cette étude, les auteurs d’un article, qui peuvent être nombreux, sont en général classés par

La première lettre du nom de famille influe sur les chances d’obtenir un poste de professeur ordre alphabétique. Dans ces conditions, les premiers sont toujours mieux mémorisés, ne serait-ce que parce que les autres peuvent tout simplement disparaître de la liste. En effet, dans les citations d’articles, il est fréquent de ne faire apparaître que le premier auteur, les suivants

étant englobés par « et al. ». L’ordre alphabétique, les règles de citations et les faibles capacités de mémorisation de notre cerveau s’allient ici pour produire une forme d’inégalité que nul ne songe à combattre. Toutes sortes d’autres curiosités inégalitaires ont été révélées notamment par la chronopsychologie, science qui mesure l’influence de la date de naissance sur la façon de se comporter, de faire des choix ou même de réussir. Par exemple, ceux qui sont nés entre septembre et novembre ont deux fois plus de chances de devenir footballeurs professionnels que ceux nés entre juin et août ! Et cela est vrai pour le baseball aux États-Unis, pour le cricket en Grande-Bretagne ou encore pour le hockey sur glace au Canada. L’alignement des astres au moment de la naissance n’a rien à voir avec ce fait. Comme l’a montré en 1994 Ad Dudink, psychologue de l’université d’Amsterdam, nombre de recrutements de joueurs professionnels réclament que les jeunes postulants aient dix-sept ans révolus au début de la saison sportive, qui commence en août. Ceux nés entre septembre et novembre ont donc dix mois de plus que ceux nés entre juin et août, ce qui, à cet âge, constitue un net avantage en termes de force, de rapidité ou même d’endurance : ils sont donc en moyenne plus facilement recrutés. Autre exemple : Douglas Almond et Bhashkar Mazumder, de l’université Columbia, ont pointé en 2008 que les jeûnes religieux observés par des femmes enceintes augmentent les risques de déficience visuelle, auditive et cognitive des enfants à naître. Selon l’endroit et le moment de votre naissance, l’arbitraire de votre nom et de mille autres facteurs, votre réussite dans la vie ne sera pas, en toute probabilité, la même. Mais cette inégalité prend parfois des formes insoupçonnées qui voient le calendrier social et la réalité biologique s’entremêler pour piper les dés de la redistribution sociale des chances. GÉRALD BRONNER est professeur

de sociologie à l’université Paris-Diderot.


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NEUROSCIENCES

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L’ESSENTIEL > On a longtemps pensé que durant le sommeil, le cerveau était éteint et incapable d’apprendre. > Mais ces dernières décennies, on s’est aperçu qu’il reste actif lorsque l’on dort et que des souvenirs récents sont réactivés. > En contrôlant cette réactivation de la mémoire,

LES AUTEURS des neuroscientifiques ont montré que l’apprentissage est meilleur quand les souvenirs sont réactivés durant une phase précise du sommeil profond. > Leur méthode pourrait aider à réduire les dépendances et accélérer le rétablissement après un accident vasculaire cérébral.

KEN A. PALLER professeur de psychologie et directeur du programme de neurosciences cognitives de l’université Northwestern, aux États-Unis

DELPHINE OUDIETTE chargée de recherche à l’Inserm, à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, à Paris

Comment dormir renforce les souvenirs

Hannah Whitaker

Apprendre en dormant ? Nous le faisons tous lorsque nos souvenirs refont surface au plus profond de notre sommeil, s’ancrant ainsi dans notre mémoire. En explorant les rouages de ce mécanisme, des neuroscientifiques laissent entrevoir des pistes pour améliorer cet apprentissage.

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NEUROSCIENCES

L’ESSENTIEL > Lorsque nous restons trop longtemps éveillés, une substance nommée adénosine s’accumule dans notre cerveau. > Cette molécule crée un besoin de dormir, mais altère aussi les rythmes circadiens. Après quelques nuits trop courtes, nos capacités cognitives s’effondrent.

LES AUTEURS > Environ un tiers des personnes résistent très bien au manque de sommeil, leur cerveau étant probablement moins sensible – pour des raisons génétiques – aux effets de l’adénosine. Mais un autre tiers subit des effets handicapants.

DAVID ELMENHORST chercheur à l’Institut de médecine et neurosciences du centre de recherche de Jülich, en Allemagne

EVA-MARIA ELMENHORST responsable des études sur le sommeil au Centre allemand pour l’aéronautique et l’astronautique, à Cologne

Un inquiétant manque de sommeil

I

l est encore tôt quand nous arrivons au laboratoire sur le sommeil du Centre allemand pour l’aéronautique et l’astronautique, à Cologne. Au-dehors, les premiers rayons de l’aube pointent tout juste. Lorsque nous pénétrons à l’intérieur des locaux, la luminosité est à peine plus élevée : seulement de 100 lux, pas franchement de quoi combattre la somnolence. Nous allons dans quelques instants réveiller nos patients, et relever les enregistrements de leur activité cérébrale réalisés durant la nuit. L’une d’entre eux, Sarah, n’a eu le droit de dormir que cinq heures au cours des cinq dernières nuits. Rien d’étonnant si elle est 36 / POUR LA SCIENCE N° 494 / Décembre 2018

fatiguée et peu loquace. Avant qu’elle se lève pour de bon, il lui reste à subir une prise de sang. Puis, en guise de petit-déjeuner, elle aura droit aujourd’hui à une solution sucrée. C’est alors qu’elle nous décrit les sensations qu’elle a éprouvées pendant son sommeil. « Après mes quatre premières nuits courtes, je me suis endormie très vite le cinquième soir, confie-t-elle. Mais ensuite, entre le moment où j’ai fermé les yeux et celui où je me suis réveillée, je ne me rappelle plus rien. Je ne pense pas m’être réveillée une seule fois. » Cette étudiante participe à une étude sur le sommeil que nous menons dans notre laboratoire. En collaboration avec le centre de >

© ALMAGAMI / shutterstock.com

À l’heure où nous dormons de moins en moins, quels sont les effets du manque de sommeil sur nos capacités cognitives ? Récemment, des laboratoires ont repéré les changements délétères qui se jouent dans nos cerveaux. Plus que jamais, il est temps de prendre son sommeil au sérieux.


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ENTRETIEN

PHILIPPE LOGNONNÉ est professeur de géophysique et planétologie à l’université Paris-Diderot et à l’Institut universitaire de France. Il dirige l’équipe Planétologie et sciences spatiales à l’Institut de physique du globe de Paris. Il est le responsable scientifique du sismomètre de la mission InSight.

Sur Terre, l’étude des ondes sismiques a permis de mieux comprendre la structure de la planète. La mission InSight emporte un sismomètre sur Mars, de quoi sonder les entrailles de la planète rouge.

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© IPGP/Philippe Labrot

InSight détectera des séismes sur Mars, une première !


La mission InSight est un grand projet de mesures géophysiques de Mars. Quels sont ses objectifs ? Étudier la structure interne de Mars. De nombreuses questions de géophysique martienne n’ont pour l’instant pas de réponse : la planète possède-t-elle un noyau liquide ? Quelle est la taille de ce noyau ?Quelle est la composition du manteau ? Etc. Pour y répondre, l’idée est simple, mettre en œuvre sur Mars les mêmes outils qui ont permis de déterminer la structure interne de la Terre : en l’occurrence, utiliser des sismomètres pour analyser les ondes sismiques qui se propagent dans la roche de la planète. Sur Terre, l’idée de séismes est fortement associée à celle de plaques tectoniques, qui sont absentes sur Mars. Quelles sont les sources de séismes sur la planète rouge ? La tectonique, ce n’est pas uniquement la tectonique des plaques. Il existe d’autres phénomènes qui peuvent faire bouger la croûte d’une planète. Par exemple, les planètes, comme la Terre ou Mars, ont accumulé beaucoup d’énergie sous forme de chaleur lors de leur formation. Cette énergie provient de la collision des roches qui se sont agglomérées pour former les planètes et aussi de la présence d’éléments radioactifs. Ces planètes se sont ensuite progressivement refroidies et contractées : leur volume diminue du fait d’effets thermoélastiques. Les tensions mécaniques, que cette contraction suscite notamment dans la lithosphère (la croûte et la partie supérieure du manteau), produisent des ruptures, des failles, qui s’accompagnent de séismes. Sur Terre, certains séismes intraplaques, par exemple dans les plaques océaniques, sont le résultat de ce refroidissement. Sur la Lune, pendant sept ans, on a observé environ un séisme par an de magnitude supérieure à 5 sur l’échelle de Richter dû à cet effet. On s’attend donc à voir le même phénomène sur Mars. Alors certes, on ne s’attend pas à voir des séismes de magnitude 7, ou plus, mais on pourrait néanmoins enregistrer des séismes de magnitude 5,5. Existe-t-il d’autres sources potentielles de séismes sur Mars ? Oui, deux principalement. D’abord, la présence d’une atmosphère turbulente sur Mars avec du vent, mais aussi des tourbillons de poussière (ou dust devils en anglais), provoque aussi des signaux sismiques. Ensuite, il faut également considérer les impacts de météorites. Enfin, plus spéculatif, on ne sait pas si Mars a encore une activité volcanique. Des points chauds ou des zones très actives seraient une source potentielle de tectonique. La mission

InSight n’a pas été conçue spécifiquement pour chercher du volcanisme mais si on détecte beaucoup de séismes dans une région de Mars, la meilleure explication sera l’activité volcanique. Ce serait une petite surprise, mais cette hypothèse n’est pas complètement irréaliste. Certains grands volcans martiens ont des caldeiras qui étaient actives il y a 50 à 100 millions d’années. Auprès de certains volcans, des coulées de lave datent de seulement 2 à 3 millions d’années. Ce qui est très peu à l’échelle géologique. Mais l’idée d’envoyer des sismomètres sur Mars est-elle nouvelle ? Non, elle est ancienne. Pour donner une idée, le vol de Spoutnik 1 date de 1957 et, dès 1959, le géophysicien américain Frank Press proposait de réaliser des mesures de sismicité sur la Lune, Mars, etc. En 1962, trois sondes du programme américain Ranger devaient transporter des sismomètres sur la Lune. Mais ces missions se sont toutes soldées par des échecs. Il faut dire qu’à cette époque, on tâtonnait avec la maîtrise des techniques pour la conquête spatiale. Par la suite, plusieurs dispositifs de mesure d’activité sismique ont été envoyés sur la Lune (le premier ayant été déployé par les astronautes de la mission Apollo 12, en 1969). Pour Mars, il a fallu attendre les deux sondes Viking, qui sont arrivées sur la planète en 1976. Chaque atterrisseur transportait un sismomètre, des capteurs d’ailleurs plutôt bons au vu des techniques de l’époque. Mais les chercheurs se sont aperçus que, le jour, les instruments mesuraient surtout l’activité du vent. Et la nuit, lorsque les perturbations atmosphériques étaient moindres, leur sensibilité était insuffisante pour détecter des séismes. Malgré ce résultat négatif, les géophysiciens ont vu dans ce premier essai martien un signe encourageant. En améliorant la sensibilité de l’instrument et en développant des techniques pour l’isoler du vent, il devait être possible d’explorer la structure interne de la planète rouge. Quand avez-vous commencé à travailler sur ces projets de géophysique martienne ? Après Viking, des chercheurs à l’institut de physique du globe de Paris, et des collègues soviétiques ont commencé à réfléchir à un nouveau projet de géophysique martienne. Celui-ci est devenu la mission Mars 96. J’ai participé à ce projet grâce à un concours de circonstances. Ma directrice de thèse, Barbara Romanowicz, quittait l’Institut de physique du globe pour prendre de nouvelles fonctions à l’université de Californie à Berkeley. À son départ, je l’ai alors remplacée sur le projet Mars 96. >

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PALÉONTOLOGIE HUMAINE

Que mangeaient nos ancêtres il y a plusieurs dizaines de milliers d’années ? L’examen des traces microscopiques d’usure à la surface des dents fossiles apporte des réponses qui bousculent les idées reçues.

Le vrai régime paléo 48 / POUR LA SCIENCE N° 494 / Décembre 2018


L’AUTEUR

PETER S. UNGAR paléontologue à l’université d’Arkansas, aux États-Unis. Son livre le plus récent : Evolution’s Bite (Princeton University Press, 2017)

L’ESSENTIEL

> L’analyse des traces microscopiques d’usure que portent les dents

fossiles permet d’obtenir des informations sur ce que nos ancêtres mangeaient réellement. > La comparaison des régimes avec les données paléo-environnementales apporte de nouveaux éléments sur le rôle qu’ont joué les fluctuations climatiques dans l’évolution humaine.

© Jon Foster

> Les paléontologues ont longtemps pensé que la taille et la forme des dents des animaux dictaient leur régime alimentaire. Mais la disponibilité des aliments, qui change au fil des saisons et à de grandes échelles de temps, se révèle être un facteur plus important.

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PHYSIQUE

L’ESSENTIEL > Il y a environ deux cents ans, Joseph Fourier a énoncé une relation entre le flux de chaleur au sein d’un matériau et le gradient de température qui y règne. > Cette loi de Fourier est valable dans la plupart des matériaux et à l’échelle macroscopique. Mais les déviations à la loi

de Fourier deviennent notables à l’échelle nanométrique, qui concerne de nombreux développements technologiques. > À cette échelle, une description plus fine de la propagation de la chaleur, qui tient compte de la physique des phonons (quanta de vibration), s’impose.

Des flux de chaleur qui échappent à Fourier

L

e 21 mars 2018, on célébrait le 250e anniversaire de la naissance du mathématicien et physicien français Joseph Fourier (voir la photographie page 60). Les scientifiques associent généralement son nom à une certaine transformation mathématique, la « transformation de Fourier », que l’on peut appliquer à n’importe quelle fonction ou presque et qui s’est révélée indispensable dans maints domaines des sciences et des techniques. De même, on associe le nom de Fourier aux séries (sommes d’une infinité de termes) de fonctions sinusoïdales, séries qui permettent de représenter toute fonction périodique suffisamment régulière et qui sont elles aussi très utiles. Il faut cependant rappeler que les travaux mathématiques qui ont fait la renommée de

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Fourier ont été effectués dans le cadre de ses recherches sur un problème physique, celui de la propagation (ou diffusion) de la chaleur, recherches dont les résultats ont été rassemblés dans sa Théorie analytique de la chaleur publiée en 1822. En fait, le nom de Fourier est d’abord attaché à une « loi » physique que ce scientifique a proposée pour rendre compte de l’écoulement du « calorique », terme qui désignait à l’époque un fluide hypothétique dont la chaleur était la manifestation extérieure. La nature exacte de ce fluide était à l’époque fortement débattue (la chaleur était-elle un fluide réel, comme beaucoup le pensaient, ou seulement un effet des mouvements des constituants microscopiques de la matière ?). Sans prendre parti sur cette question difficile, Fourier proposa de décrire l’écoulement (ou la propagation) du calorique par une équation >

© NASA/JPL

À quelle loi la propagation de la chaleur obéit-elle ? Celle formulée par Joseph Fourier il y a plus de deux cents ans se révèle inadaptée à l’échelle nanométrique. De fait, nombre d’avancées technologiques exigent aujourd’hui une compréhension plus fine du transport microscopique de la chaleur.


LES AUTEURS OLIVIER BOURGEOIS directeur de recherche à l’institut Néel du CNRS à Grenoble

DIMITRI TAINOFF enseignant-chercheur à l’université Grenoble Alpes, membre de l’institut Néel

NATALIO MINGO et BJORN VERMEERSCH chercheurs au Laboratoire d’innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux (Liten), au CEA à Grenoble

JEAN-LOUIS BARRAT professeur de physique à l’université Grenoble Alpes et membre du Laboratoire interdisciplinaire de physique (LIPhy)

Les aérogels de silice sont des matériaux très légers qui ont de remarquables performances en termes d’isolation thermique. Cette résistance à la conduction de la chaleur est due à la structure nanométrique du matériau. À cette échelle, la loi de Fourier ne décrit plus correctement le transport de la chaleur.

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BOTANIQUE

Ces amanites tue-mouches et des espèces voisines font pousser dans les sous-bois des organes producteurs de spores. Ce sont des champignons ectomycorhiziens qui vivent en symbiose avec des plantes.

Mycorhize, la symbiose qui a fait la vie terrestre 66 / POUR LA SCIENCE N° 494 / Décembre 2018


L’ESSENTIEL > Depuis plus de 400 millions d’années, les plantes et les champignons se rendent des services mutuels cruciaux. > 5 % des espèces de plantes s’associent à des champignons ectomycorhiziens, qui entourent leurs racines d’un manchon. > 80 % des espèces de plantes s’associent à des champignons

L’AUTEUR gloméromycètes, qui entrent dans les cellules racinaires et y forment des arbuscules. > Les gloméromycètes ont rendu possible la sortie des eaux des algues, il y a environ 450 millions d’années, en les aidant à exploiter le sol. > L’agriculture remplace par des engrais les apports habituels des champignons.

MARC-ANDRÉ SELOSSE mycologue et botaniste, professeur au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris

A

u temps des colonies, les Européens ont tenté de faire pousser en Amérique du Sud et en Afrique des pins pour en faire des mâts de bateaux. Mais les semis échouaient : les plantules végétaient puis mouraient, ou survivaient sans croître… Vigoureux dans l’hémisphère Nord, les pins semblaient incapables de se nourrir sous les tropiques. Puis on découvrit qu’importer du sol européen restaurait la croissance normale des jeunes arbres : sans le savoir, on venait d’introduire les champignons européens sous les tropiques ! La survie de la plupart des plantes dépend en effet des champignons, au point que les pins, accompagnés de leurs champignons, sont devenus aujourd’hui envahissants sous les tropiques. Cette association à bénéfices mutuels entre végétaux et champignons est ancienne : elle date de plus de 400 millions d’années. Très actives, les recherches génétiques et paléontologiques permettent désormais de retracer l’évolution de cette symbiose. Tout a commencé au Précambrien (avant 541 millions d’années) dans de minces communautés de microbes vivant à la surface des roches. Au sein de ces biofilms attestés par des microfossiles, certaines microalgues et bactéries étaient photosynthétiques tandis que d’autres se nourrissaient des premières. Ces biofilms se développaient à l’interface de l’air et du sol, et

accédaient d’un côté aux ressources minérales et de l’autre aux gaz et à la lumière. La biomasse ainsi formée restait toutefois très limitée. Puis, à l’Ordovicien (485 à 443 millions d’années), de grandes algues sont sorties des eaux. Submergée, une algue trouve dans l’eau à la fois la lumière, les gaz (notamment le dioxyde de carbone, ou CO2) et les sels minéraux (nitrate, phosphate, etc.) nécessaires à son alimentation. Elle n’a donc pas de racines, même si elle peut s’accrocher à un rocher. En revanche, survivre à terre signifie s’adapter à un milieu où les ressources sont compartimentées : les gaz et la lumière sont dans l’air ; l’eau et les minéraux sont dans le sol et, de surcroît, le plus souvent peu abondants. On sait que les algues qui ont réussi cette adaptation sont sorties des eaux douces, car leurs plus proches parents actuels – les characées (une famille d’algues vertes) ou les spirogyres (des algues vertes filamenteuses) – y vivent toujours. Pour donner un âge à cette adaptation, l’équipe de Philip Donoghue, de l’université de Bristol, en Grande-Bretagne, a compté en 2018 les mutations accumulées au cours du temps dans ces différentes lignées, depuis leur ancêtre commun. Cette méthode, dite de l’horloge moléculaire, a daté la divergence entre les algues et les plantes terrestres à quelque 500 millions d’années. Une fois à terre, les premières plantes ont produit bien plus de biomasse en exploitant les >

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Sans les champignons, les plantes que nous connaissons n’existeraient pas ! Des champignons aident les plantes en les nourrissant et en les protégeant, en échange de produits de leur photosynthèse. Cette symbiose plante-champignon est à l’origine des écosystèmes terrestres actuels.

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HISTOIRE DES SCIENCES

L’ESSENTIEL > La réanimation médicale ne se développa qu’au xviiie siècle. Auparavant, rien ou presque n’était entrepris pour les personnes mortes subitement. > Les premières pratiques prirent des formes étranges : la plus importante consistait à souffler de la fumée de tabac dans les intestins d’un noyé.

L’AUTEUR > Cette pratique a la particularité d’être une réélaboration involontaire d’un ancien geste du carnaval. Ou comment l’innovation prend parfois de bien étranges chemins.

ANTON SERDECZNY docteur en histoire à l’EPHE et ATER à l’université d’Aix-Marseille

Du tabac pour réanimer les morts Au xviiie siècle, les savants recommandaient de réanimer les noyés en leur insufflant de la fumée de tabac… par l’anus ! En remontant la piste de cette étrange pratique, on aboutit à une conclusion étonnante : elle proviendrait d’une danse comique ancienne jouée lors du carnaval…

P

assy, près de Paris, dans les années 1740. Un chirurgien attend dans une navette fluviale que son bateau soit rempli pour traverser la Seine. Une autre embarcation aborde près de lui, déposant ses passagers. L’un d’eux attire son attention : il clame avoir perdu sa femme dans la traversée. Seul un jeune enfant lui répond : elle est tombée à l’eau sans que personne d’autre que lui ne s’en aperçoive. Guidé par le bambin, le mari retrouve sa femme et la repêche. Elle a l’apparence de la mort. Les gens s’attroupent, le mari pleure. La pipe à la bouche, un soldat de passage s’enquiert du fait, et dit au mari de sécher ses larmes : avant peu sa femme serait vivante. Il donne sa pipe au mari, lui ordonne d’en introduire le tuyau dans l’anus de 74 / POUR LA SCIENCE N° 494 / Décembre 2018

sa femme et d’y souffler la fumée de toutes ses forces. À la cinquième bouffée, on entend dans le ventre d’icelle un grondement considérable, elle rend un peu d’eau et revient à elle. Loin de relever du registre burlesque, ce récit d’époque, qu’illustre la gravure ci-contre, provient de la littérature médicale. De fait, à partir de 1730, la pratique de réanimation la plus recommandée consistait bien à introduire de la fumée de tabac dans les intestins du noyé. Avant cela, rien ou presque n’était entrepris pour redonner la vie à ceux qui semblaient l’avoir perdue : quelques mentions éparses dans la littérature médicale, quelques pratiques locales certainement, mais sans cohérence ni efforts soutenus. En revanche, lorsque la réanimation des noyés retint l’attention du monde lettré (à l’époque, les noyés étaient nombreux, car peu de

« La manière la plus efficace de sauver un noyé » : souffler de la fumée de tabac dans l’anus. C’est du moins ce que l’on croyait au xviiie siècle…

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© Houghton Library – Harvard University

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LOGIQUE & CALCUL

P. 80 P. 86 P. 88 P. 92 P. 96 P. 98

Logique & calcul Art et science Idées de physique Chroniques de l’évolution Science & gastronomie À picorer

L’AUTEUR

JEAN-PAUL DELAHAYE professeur émérite à l’université de Lille et chercheur au Centre de recherche en informatique, signal et automatique de Lille (Cristal)

Jean-Paul Delahaye a récemment publié : Les Mathématiciens se plient au jeu, une sélection de ses chroniques parues dans Pour la Science (Belin, 2017).

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D

FAUT-IL ADOPTER L’AVIS DE SES VOISINS ? La modélisation de réseaux d’individus dont l’opinion se conforme à celle de la majorité de leurs relations montre des évolutions parfois inattendues où, par exemple, le réseau se met à osciller entre deux états contradictoires.

ans une communauté ayant une décision à prendre, par exemple quant à la construction d’un pont, un vote doit avoir lieu. Les électeurs sont conciliants : chacun a un avis, OUI ou NON, mais il est prêt à y renoncer si, parmi ses connaissances, plus de la moitié des avis sont contraires au sien. Pendant plusieurs jours, après un tour initial, chacun des électeurs consulte toutes ses connaissances et change d’avis le lendemain sur la construction du pont pour s’ajuster à l’avis majoritaire de ses connaissances consultées la veille. En cas d’égalité entre les pour et les contre parmi ses voisins, l’électeur garde le même avis pour le lendemain. Que va-t-il se passer ? Ce problème en apparence élémentaire des « dynamiques majoritaires » agite les mathématiciens depuis bientôt 40 ans. Ils en ont découvert une multitude de propriétés inattendues. Le premier résultat important à son sujet a été démontré en 1980 par mon ami Eric Goles, alors doctorant à l’université de Grenoble et aujourd’hui à l’université Adolfo Ibáñez, à Santiago du Chili, et Jorge Olivos, de l’université du Chili : cette dynamique conduit soit à une stabilisation des opinions des électeurs, soit à une oscillation des opinions entre deux configurations C et C’ : la configuration C donne le lendemain C’ et C’ donne le lendemain C. Aucune autre situation (oscillation entre trois états ou plus, désordre prolongé…) n’est possible. La modélisation du problème se fait avec un graphe dont les nœuds sont les membres de la

communauté concernée, et dont les arêtes (non orientées) indiquent qui se connaît : on place une arête entre A et B si A et B se connaissent et donc s’influencent peut-être d’un jour à l’autre. Le « théorème de la période 1 ou 2 » de Goles et Olivos stipule que, quelle que soit la répartition initiale des avis sur le graphe, l’application de la dynamique majoritaire conduit, en un nombre fini d’étapes, à une stabilisation complète des avis, ou à une double configuration des avis, chacune produisant l’autre. Comme on le voit dans l’encadré ci-contre, si l’on part d’une configuration où le OUI l’emporte, le système se stabilise dans certains cas comme on l’attend en adoptant une configuration où le OUI reste majoritaire. Parfois cependant, la stabilisation se produit en adoptant une configuration où le NON l’emporte. Une troisième possibilité est prévue par le théorème de Goles et Olivos : le système se met à osciller entre deux états E et F. Il se peut même (voir l’encadré 1, A3 et B3) que pour E le OUI soit majoritaire et que pour F le NON soit majoritaire. L’application de la dynamique majoritaire n’est donc pas le meilleur moyen d’arriver à un accord unanime, ou même seulement à un choix satisfaisant. Cependant, ce type d’évolution d’un graphe est très naturel et se rencontre dans plusieurs domaines scientifiques : réseaux d’automates finis, systèmes de votes, immunologie, interactions de cellules, réseaux de neurones, reconnaissance de formes, thermodynamique, etc. Le livre d’Eric Goles et Servet Martínez, Neural and Automata Networks – Dynamical Behavior and Applications >


1

LE THÉORÈME DE LA PÉRIODE 1 OU 2

A

dopter l’avis majoritaire (« oui » ou « non ») de ses voisins pour les nœuds d’un graphe définit un mode d’évolution des opinions. Selon le graphe et selon l’état des opinions de chaque nœud, cette évolution dure plus ou moins longtemps avant soit de se stabiliser, soit d’osciller entre deux configurations. MÊME MAJORITÉ OUI : NON :

Les dessins A1 et B1 illustrent le cas où la dynamique majoritaire conduit à un état stable avec la même majorité qu’au départ. Dans les dessins A2 et B2, le graphe d’opinions se stabilise dans une configuration dont la majorité est inverse de celle de départ. Les dessins A3 et B3 montrent la troisième possibilité : MAJORITÉ INVERSE

A1

le graphe finit par osciller entre deux configurations. Le théorème de Goles et Olivos, ou théorème de la période 1 ou 2, indique que des cycles entre plus de deux états sont impossibles : une dynamique majoritaire sur un graphe conduit soit à une stabilisation, soit à un cycle binaire.

MAJORITÉ OSCILLANTE

A2

A3

B2

B1 B3

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ART & SCIENCE

L’AUTEUR

LOÏC MANGIN

rédacteur en chef adjoint à Pour la Science

L’ARAIGNÉE, UN GUIDE POUR L’HUMANITÉ Au palais de Tokyo, à Paris, Tomás Saraceno installe ses œuvres, qui, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, entre art, science et architecture, nous obligent à repenser nos liens avec le monde. Les araignées y ont la part belle !

a Maman de Louise Bourgeois, l’Araignée Rouge d’Alexander Calder, La Princesse conçue par François Delarozière… En art (comme en sciencefiction d’ailleurs), les araignées ont la fâcheuse tendance à être monumentales : chacune des œuvres citées ci-dessus fait plus de 10 mètres ! Ce n’est pas le cas avec l’artiste argentin Tomás Saraceno, à qui le palais de Tokyo, à Paris, offre carte blanche. Ses araignées sont d’une taille de l’ordre du centimètre. Et pour cause, ce sont des vraies ! 86 / POUR LA SCIENCE N° 494 / Décembre 2018

Une toile d’araignée ? Plutôt une extension de l’appareil sensoriel de l’animal, par laquelle son univers s’agrandit !

changements de température, le flux des visiteurs et leur respiration. Un dernier ? Le film Living at the Bottom of the Ocean of Air montre une argyronète Argyroneta aquatica, une araignée qui vit sous l’eau, respirant grâce à une bulle d’air enveloppant son abdomen. Pourquoi tant d’araignées ? Selon Tomás Saraceno, leurs toiles constituent certes leur habitat mais plus encore le prolongement de leur corps et particulièrement de leur appareil sensoriel. Les fils de soie deviennent ainsi pour l’arthropode des oreilles, des yeux… De même, l’art doit augmenter notre attention à ce qui se passe autour de nous, dans le monde en pleine

© Photography Studio Tomás Saraceno, 2018

L

Parmi les œuvres que propose l’exposition « On Air » (plus d’une quinzaine), les arachnides occupent une place de choix. Ainsi, Event Horizon donne à entendre les vibrations émises par Holocnemus pluchei, une araignée hôte des sous-sols du palais de Tokyo, à la toile de laquelle sont transmis, en direct, les signaux captés par l’antenne Virgo de l’observatoire gravitationnel européen. Cet animal très sensible serait-il capable de détecter les ondes gravitationnelles ? C’est le pari de l’artiste. Webs of at-tent(s)ion rassemble, dans une grande salle obscure, 76 toiles d’araignées (voir la photographie cicontre) de diverses espèces. Certaines sont reliées à des microphones qui amplifient et rendent audibles les vibrations qui les parcourent. Dans Sounding the Air, cinq filaments de soie d’araignée flottent et résonnent dans l’air en fonction des mouvements invisibles de l’air provoqués par les


mutation et confronté aux défis du réchauffement climatique, de la sixième extinction de masse, de la pollution croissante. Ainsi, l’argyronète nous invite à nous adapter à de nouveaux environnements. Il s’agit de s’intéresser à l’infime, à ce que l’on néglige le plus souvent, et donc à ces petites araignées, mais aussi, au travers d’autres œuvres, aux poussières, aux particules cosmiques, aux fréquences radio… L’objectif est de mieux saisir et comprendre le monde, l’habiter et en fin de compte le préserver. Pour développer ses créations, Tomás Saraceno s’entoure de biologistes, d’astrophysiciens, de philosophes, d’éthologues,

de sociologues… exerçant dans des institutions prestigieuses. Ensemble, ils mènent des projets à la frontière de la science et de l’art. Ainsi, le film The Politics of Solar Rhythms (Cosmic Levitation), réalisé en collaboration avec l’équipe de Heinrich Jaeger, de l’université de Chicago, montre des particules de poussières s’agrégeant sous l’effet de vibrations. Autre exemple. Dans l’une des vitrines de l’exposition, on découvre Aerocene Float Predictor (« prédicteur de vol aérocène »), un outil permettant de planifier un voyage dans les airs avec la seule force du vent, sans hélium ni hydrogène ou batterie électrique.

Sans qu’il y soit fait référence, les araignées qui pratiquent le ballooning ont déjà inventé leur propre aérocène : en laissant au vent un fil de soie, elles sont emportées sur parfois plusieurs centaines de kilomètres de distance. Pour voir le monde différemment, les araignées ont tant de choses à nous apprendre ! Carte blanche à Tomás Saraceno, « On Air », palais de Tokyo, Paris, jusqu’au 6 janvier 2019. www.palaisdetokyo.com/fr/evenement/air

L’auteur a récemment publié : Pollock, Turner, Van Gogh, Vermeer et la science... (Belin, 2018).

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IDÉES DE PHYSIQUE

LES AUTEURS

JEAN-MICHEL COURTY et ÉDOUARD KIERLIK

professeurs de physique à Sorbonne Université, à Paris

QUAND LES VERRES CHANTENT En frottant avec le doigt le bord d’un verre, on fait vibrer ses parois. Cela produit un son très pur, que les musiciens peuvent exploiter.

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Pour comprendre comment le verre vibre, effectuons une première expérience : frottons un verre en cristal avec un doigt ou tapotons-le avec une petite cuillère. Nous obtenons des notes qui, à l’oreille, ont la même hauteur. DES FLEXIONS DE LA PAROI Qu’est-ce que cela indique ? La petite cuillère frappe perpendiculairement au bord du verre (selon le diamètre passant par le point d’impact) tandis que le doigt frotte longitudinalement (selon le périmètre). Les mêmes notes étant produites, il faut en conclure que le verre vibre selon ces deux directions à la fois (voir l’encadré page ci-contre). D’ailleurs, en posant le doigt, même légèrement, sur le verre qui chante, le son s’assourdit très rapidement quel que soit l’endroit où l’on a posé le doigt. Cela signifie qu’il n’existe pas sur le bord du verre un nœud de vibration, c’està-dire une zone exempte de mouvement : s’il y en avait une, y déposer le doigt n’affecterait pas la vibration.

Deux instruments à base de verres : l’harmonica de verre de Benjamin Franklin (à gauche), et un ensemble de verres de diverses tailles plus ou moins remplis.

Réalisons une seconde expérience avec une grande tasse munie d’une anse. Plaçons-la devant nous de telle sorte que l’anse soit située à l’opposé de notre position et appelons « Nord » (N) la direction qu’elle indique. Tapotons alors la tasse avec la cuillère dans les directions N, O, S ou E (voir l’encadré page 90). Nous obtenons une même note, ce qui suggère que ces quatre points cardinaux vibrent de façon identique. Recommençons en frappant cette fois aux points NE, SE, SO ou NO. On produit une autre note, plus aiguë que la précédente ! Et si nous frappons la tasse à tout

© Dessins de Bruno Vacaro

Q

ui n’a pas, lors d’une soirée, fait chanter des verres de cristal en frottant un doigt mouillé sur leurs bords supérieurs ? Le son obtenu, aérien et délicat, a d’incontestables qualités musicales. Des amateurs ont d’ailleurs depuis longtemps fabriqué des instruments à partir de séries de verres ou de bols, et des compositeurs écrit des partitions pour ces « harmonicas de verre ». Mais qui dit son pense onde acoustique et vibrations. Qu’est-ce qui vibre ici et sur quoi peut-on agir pour produire des notes de la hauteur voulue ? Ouvrons nos buffets et partons à la découverte de la physique du chant des verres. Précisons d’abord qu’un verre n’est pas un tuyau de flûte de pan : le son émis ne résulte pas de la vibration de la colonne d’air qu’il contient, mais de la vibration de ses parois. Celles-ci agissent sur l’air environnant comme des membranes de haut-parleur ou des lames vibrantes.


FLEXIONS ELLIPTIQUES

Q

uand un verre circulaire est frotté du doigt ou frappé avec une cuillère, il vibre et son bord se déforme périodiquement en gardant un périmètre constant. Le cycle de vibration est ici montré à quatre instants successifs. Le bord se déforme de façon elliptique selon deux axes perpendiculaires, et l’on voit qu’aux vibrations radiales s’ajoutent des vibrations longitudinales (visibles aux points séparant les arcs bleus et rouges). a

b

c

d

Mouvement radial Mouvement longitudinal

autre endroit, nous entendons une superposition de ces deux notes. Cela montre que la tasse peut vibrer de deux façons différentes – on parle de deux « modes de vibration ». Les nœuds de vibration radiale (points où l’amplitude de vibration est nulle) de l’un des modes sont les ventres de vibration radiale (points où l’amplitude est maximale) de l’autre mode. En frappant au point N, on excite le ventre radial du mode 1, mais comme il s’agit du nœud radial du mode 2, ce dernier n’est pas excité. La situation est inverse si c’est le point NE qui est frappé.

Ces expériences ne nous disent évidemment pas tout. D’autres propriétés sont à remarquer. D’abord, les modes de vibration du verre ou de la tasse correspondent à des déformations en flexion et non en compression. Autrement dit, vu de dessus, le bord circulaire du verre se déforme à périmètre constant. Ensuite, pour un mode donné, la déformation du cercle compatible avec nos observations est une ellipse, dont l’un des deux axes passe par le point d’impact de la cuillère ; le petit axe et le grand axe de l’ellipse alternent au cours de la vibration.

Enfin, toutes les sections transversales du verre se déforment de la même façon, mais pas forcément avec la même amplitude : la hauteur du verre a donc ici très peu d’effet sur la note produite. Ces éléments permettent d’élucider deux de nos observations. D’une part, à cause de la conservation du périmètre, on comprend pourquoi les nœuds de vibration radiale vibrent longitudinalement, en > Les auteurs ont récemment publié : En avant la physique !, une sélection de leurs chroniques (Belin, 2017).

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CHRONIQUES DE L’ÉVOLUTION

L’AUTEUR

HERVÉ LE GUYADER

professeur émérite de biologie évolutive à Sorbonne Université, à Paris

COMMENT LE BLÉ EST DEVENU TENDRE Le récent séquençage du génome du blé tendre a révélé comment une succession d’hybridations a réuni dans un même noyau trois génomes qui, à présent, dialoguent ensemble.

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tantôt d’une allopolyploïdisation – la réunion de génomes différents par hybridation. Depuis longtemps, les généticiens se doutent que ce phénomène est courant dans le règne végétal. Ils ont d’ailleurs décrit plusieurs « séries polyploïdes » comme celle des chrysanthèmes sauvages de Chine (genre Chrysanthemum) : dotés de N = 9 chromosomes de base, ces chrysanthèmes existent en effet aussi sous des formes diploïdes (avec 2N = 18 chromosomes), tétraploïdes (avec 4N = 36 chromosomes) et même hexaploïdes (avec 6N = 54 chromosomes). UNE MUTATION QUI FAVORISE LA SPÉCIATION En particulier, les généticiens ont vite compris qu’une diploïdisation favorise une spéciation. Imaginons une plante diploïde (à 2N chromosomes) dont une variante tétraploïde (à 4N chromosomes) serait apparue. La méiose – la

Blé (genre Triticum) Blé dur : 90 à 160 cm de long, tétraploïde Blé tendre : 60 à 100 cm de long, hexaploïde (ce bouquet est un mélange des deux espèces)

© Getty Images/Avalon_Studio

A

vec son génome colossal – 14,5 milliards de paires de bases, soit près de cinq fois plus que le génome humain –, le blé tendre (Triticum aestivum) ou froment, qui fournit la farine du pain blanc, a longtemps constitué un casse-tête pour les généticiens. Mais, en juillet dernier, un consortium international a enfin entièrement séquencé cet imposant génome après treize ans d’un minutieux travail. Ce séquençage a non seulement confirmé les curieux méandres de son histoire évolutive, mais aussi les rouages intimes du principal moteur de cette histoire, la polyploïdisation. La polyploïdisation – l’augmentation du nombre de lots de chromosomes – semble être la source majeure de l’innovation génétique chez les plantes à fleurs. Il s’agit tantôt d’une autopolyploïdisation – la multiplication d’un même génome –,

Plus de 90 % du blé cultivé dans le monde est du blé tendre (Triticum aestivum), utilisé principalement pour faire du pain et de la pâtisserie.


3

EN CHIFFRES

14,5 milliards

C’est le nombre d’espèces hexaploïdes de blé. Le genre Triticum compte en outre 2 espèces diploïdes et 4 tétraploïdes. L’égilope faux-épeautre (genre Aegilops) compte quant à lui 10 espèces diploïdes, 10 tétraploïdes et 4 hexaploïdes.

Un épi est constitué de plusieurs épillets, chacun renfermant de 2 à 4 fleurs pour le blé tendre et de 3 à 5 pour le blé dur.

Si le blé dur (Triticum turgidum), utilisé pour produire les pâtes, est la seconde espèce de blé cultivée, sa production n’excède pas 8 % de la production totale de blé.

double division cellulaire qui conduit à la formation des cellules sexuelles (chez les plantes, ces cellules sont le noyau gamétique du grain de pollen et l’oosphère de l’ovule) – divise par 2 le nombre de chromosomes que contiennent les cellules produites. La plante diploïde donnera donc, après la méiose, des cellules sexuelles à N chromosomes, tandis que la plante tétraploïde donnera des cellules sexuelles à 2N chromosomes. Et par conséquent, une pollinisation croisée de ces deux plantes conduira à des cellules à N + 2N = 3N chromosomes. Or, dans ce cas, si les plantes obtenues sont viables, elles seront stériles, car avec un nombre impair de chromosomes, la méiose ne peut se réaliser correctement. Cette stérilité établit une barrière de fécondation entre les plantes di- et tétraploïdes, ce qui favorise l’apparition d’une nouvelle espèce. Actuellement, on estime que la polyploïdisation est ainsi à

l’origine de plus de 80 % des spéciations chez les plantes à fleurs. Un tel phénomène génétique pose un vrai casse-tête lors du séquençage des génomes entiers de plantes. En effet, un génome est séquencé par fragments que l’on raboute ensuite pour reconstituer les chromosomes, comme un gigantesque puzzle. Mais si ce génome est constitué de plusieurs copies des mêmes chromosomes, on se retrouve avec plusieurs séquences d’ADN (codantes ou non) quasi identiques, ce qui complique singulièrement l’assemblage, comme si le puzzle comportait plusieurs pièces terriblement ressemblantes. C’est ainsi que, pour le premier séquençage complet d’un génome végétal, publié en 2000, le choix s’est porté sur l’arabette des dames (Arabidopsis thaliana), au génome si compact qu’il semblait ne pas pouvoir résulter d’une polyploïdisation. Erreur ! Le difficile décodage de ce génome révéla l’existence d’une diploïdisation ancestrale. SUR LA PISTE DES 42 CHROMOSOMES DU BLÉ TENDRE On comprend pourquoi, malgré les évidentes applications potentielles en agronomie, le blé tendre a longtemps été laissé de côté : hexaploïde, il résulte de plusieurs polyploïdisations successives

Le génome du blé tendre (Triticum aestivum) compte 14,5 milliards de paires de bases, plus de 100 000 gènes et plus de 300 000 pseudogènes, soit près de 5 fois plus que le génome humain (3,3 milliards de paires de bases, environ 22 000 gènes et 10 000 pseudogènes).

224

C’est le nombre maximal de chromosomes que l’on a obtenus artificiellement en laboratoire à partir de fraisiers (genre Fragaria). Le nombre de chromosomes de base des fraisiers est 7, mais il existe aussi des variétés avec de 2 à 10 fois ce nombre de chromosomes. Et, en laboratoire, on a encore produit des polyploïdies avec 11, 12, 13, 14, 15, 18 et 32 fois ce nombre, soit 224 chromosomes.

entre des plantes des genres Aegilops et Triticum. Vu la difficulté de la tâche, un consortium international (International Wheat Genome Sequencing Consortium), rassemblant 2 400 chercheurs et agronomes de 68 pays différents, a été créé en 2005, dont, en France, le Genoscope d’Évry, alors dirigé par Jean Weissenbach, et une équipe de l’Inra de ClermontFerrand, alors dirigée par Catherine Feuillet. Le consortium a ainsi établi les cartes physiques des 21 chromosomes de base du blé tendre en 2015 et un assemblage des séquences en 2016. Et enfin, en juillet 2018, il a publié la description fine du génome, avec définition et annotation des gènes, des séquences régulatrices, des transposons (des séquences mobiles dans le génome)… L’histoire évolutive du blé tendre, cernée depuis deux décennies par les généticiens, se trouve confirmée et décrite avec précision. Le génome de l’organisme hexaploïde est formé de 42 chromosomes, avec comme nombre de base N = 7, et est le résultat de la réunion de trois génomes diploïdes de 2N = 14 chromosomes qui coexistent donc dans le noyau d’une cellule de blé tendre. Le génome du blé tendre a ainsi pour formule AABBDD, où chaque lettre représente 7 chromosomes. Le génome A caractérise le blé (genre Triticum), le >

POUR LA SCIENCE N° 494 / Décembre 2018 /

93


SCIENCE & GASTRONOMIE

HERVÉ THIS

physicochimiste, directeur du Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inra, à Paris

L

FROMAGES ET VINS EN QUÊTE D’ACCORD Existe-t-il des appariements heureux ? Quelles qualités du vin un fromage magnifie-t-il ? Une étude statistique a été menée récemment pour tenter de répondre à ces questions.

a culture gourmande s’interroge sur les effets du fromage sur le goût du vin et réciproquement. On dit quelquefois qu’il faut un vin du même terroir que le fromage, mais l’art culinaire est d’abord art et, pour un artiste, les règles sont à abattre. Pas de loi, donc, mais un goût formé par notre culture. Nonobstant, il existe quelques bases physiologiques. Par exemple, les protéines apportées par certains mets forment des complexes avec les tanins d’un vin astringent et évitent que ces tanins se lient aux protéines salivaires pour y engendrer une sensation désagréable. Comment en savoir davantage ? En utilisant la « dominance temporelle des sensations », cette méthode d’analyse gustative développée par Pascal Schlich et ses collègues au Centre des sciences du goût et de l’alimentation, à Dijon. La technique fait appel à un ordinateur, où s’affiche une liste de descripteurs, avec la possibilité pour les jurés qui réalisent les dégustations de désigner à chaque instant la sensation la plus importante. Des analyses statistiques, à partir d’un nombre suffisant d’enregistrements, permettent d’obtenir des lois d’appréciation des mets… ou, en l’occurrence, d’association de mets, car la technique a été utilisée pour explorer les appariements de fromage et de vin. Ainsi, les chercheurs ont étudié les associations de quatre vins (pacherenc, sancerre, bourgogne rouge, madiran rouge) avec quatre fromages (comté, crottin de Chavignol, époisses, roquefort). Les jurés étaient 13 hommes et 18 femmes qui avaient déjà participé à de tels tests. Évidemment, les lumières, températures, tailles des portions et autres 96 / POUR LA SCIENCE N° 494 / Décembre 2018

Les associations entre vins et fromages relèvent en grande partie d’un goût façonné par la culture. L’étude objective de ces appariements n’en est qu’à ses débuts.

paramètres de dégustation étaient précisément fixés, car le fromage et le goût du vin peuvent évoluer rapidement. Les descripteurs étaient amer, acide, doux, astringent, alcoolique, boisé, floral, grillé, miel, fruits jaunes, citrique, épicé, fruits rouges, végétal. Il y a eu plusieurs séquences de dégustation : une évaluation du vin seul, une évaluation après une deuxième gorgée et une dégustation après une troisième gorgée. Puis, lors d’une autre séquence : une évaluation après une première gorgée, après la mise en bouche de fromage, après l’absorption d’une gorgée de vin, puis la répétition de l’enchaînement fromage-vin. On demandait également aux jurés d’indiquer, à l’aide d’un curseur sur un segment, combien ils appréciaient ce qu’ils buvaient. Il est ainsi apparu que les associations avec certains fromages favorisaient la durée de sensation de douceur du vin, ou, au contraire, d’acidité. Plus en détail, parmi bien des informations recueillies, le comté associé au pacherenc augmente la sensation d’alcool, le roquefort allonge la sensation d’amertume, l’époisses fait ressortir la sensation citrique. L’influence la plus nette d’un fromage sur le vin était avec le madiran, pour lequel l’astringence et l’acidité étaient réduites, tandis que la sensation de fruits rouges était allongée.

Les préférences, dans les cas étudiés, sont caractérisées par des durées réduites d’astringence ou d’amertume, perçues avec l’acidité comme négatives par les jurés. Bonne nouvelle, aucun des quatre fromages utilisés pour l’étude n’amoindrissait l’intérêt du vin !

LA RECETTE 1 Faire bouillir 20 centilitres de gewurtztraminer afin d’évaporer l’alcool. 2 Poursuivre le chauffage, plus doux, après avoir ajouté trois crottins de Chavignol. 3 Poser la casserole sur des glaçons et fouetter jusqu’à ce que l’on obtienne une consistance de crème fouettée (un « crottin de Chavignol Chantilly »). Conserver au réfrigérateur. 4 Dans une autre casserole, cuire des échalotes entières à feu doux, avec de l’eau et abondance de glucose, jusqu’à ce que les échalotes soient fondantes ; les réserver pour une autre préparation. 5 Poursuivre la cuisson du liquide jusqu’à ce que les bulles prennent une légère couleur blonde (« péligot de glucose »), comme pour la cuisson du sucre. 6 Avec de très minces lamelles de pain bien grillé, servir le crottin de Chavignol Chantilly et le péligot de glucose, accompagné d’un verre du gewurtztraminer qui a servi pour la recette.

© Shutterstock.com/atm2003

L’AUTEUR


À

P. 58

PICORER P. 66

Retrouvez tous nos articles sur www.pourlascience.fr

90 %

des plantes vivent en symbiose avec des champignons. Les racines colonisées forment un organe mixte que l’on nomme mycorhize, du grec myco (champignon) et rhize (racine). P. 26

S

10–15 JOULE

i l’on améliorait l’efficacité thermique des nouvelles mémoires à changement de phase (mémoires PCM) pour le stockage des données, l’énergie requise pour changer la valeur d’un bit baisserait fortement : elle serait inférieure à 1 femtojoule (10–15 joule). C’est 1 000 à 10 000 fois moins que les énergies de commutation d’un bit dans les mémoires actuelles.

Vous aurez plus de chances de devenir professeur en chaire ou même lauréat du prix Nobel si votre nom commence par la lettre A que s’il GÉRALD BRONNER commence par la lettre Z professeur de sociologie à l’université Paris-Diderot

P. 7

25 %

individus déclarant Lduesconsommer la plupart temps des aliments bio présenteraient, par rapport aux non-consommateurs ou aux consommateurs épisodiques, un risque inférieur de 25 % de développer un cancer.

P. 74

C

P. 92

L

POLYPLOÏDISATION

a polyploïdisation – l’augmentation du nombre de lots de chromosomes – semble la source majeure de l’innovation génétique chez les plantes à fleurs. Certaines produisent même des séries polyploïdes, comme les chrysanthèmes sauvages de Chine : dotés de 9 chromosomes, ils existent aussi sous forme diploïde (18 chromosomes), tétraploïde (36), voire hexaploïde (54).

JEAN CORNECUL

e paysan malicieux d’un conte populaire en Europe au xviiie siècle trompe un riche adversaire, notamment en lui vendant une corne qui aurait le pouvoir de ressusciter les morts… par insufflation anale. Une méthode que les médecins prônaient réellement à l’époque pour réanimer les noyés.

P. 44

MARS

n pense qu’entre 5 et 20 mètres O sous la surface de Mars, il pourrait y avoir des habitats compatibles avec la survie de bactéries. Par conséquent, pour ne pas risquer de contaminer l’environnement martien, la mission InSight, censée se poser sur la planète rouge le 26 novembre, ne forera pas au-delà de 5 mètres de profondeur.

Imprimé en France – Maury Imprimeur S.A. Malesherbes – Dépôt légal 5636 – Décembre 2018 – N° d’édition M0770494-01 – Commission paritaire n° 0922 K 82079 – Distribution : Presstalis – ISSN 0 153-4092 – N° d’imprimeur 231692 – Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot.


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