Cognition
Travail, école
POURQUOI NOTRE PENSÉE SE LAISSE DISTRAIRE
COMMENT REFOCALISER SES NEURONES
L’ATTENTION Retrouvez du temps de cerveau disponible
ÉDITO
L’ATTENTION, FACULTÉ CRUCIALE
L
Sébastien Bohler
Rédacteur en chef E-mail : sebastien.bohler@pourlascience.fr Twitter : @sebohler
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ire un texte de trente lignes comme celui-ci devrait vous prendre entre quarante et soixante secondes. Vous devriez y arriver sans difficulté. Mais combien de temps pourriez-vous rester concentré(e) si ce texte comportait plusieurs pages ? C’est la question cruciale dont dépend l’avenir de notre système culturel, productiviste et éducatif. Or les capacités d’attention soutenue des enfants ne semblent pas en progression, si l’on en croit les résultats des recherches exposées ici. Comme l’expliquent les auteurs de ce dossier spécial, la surcharge d’informations qui peuplent notre quotidien, depuis les publicités jusqu’aux alertes e-mails, aux SMS ou aux jeux vidéo, soumet notre système neuronal attentionnel à rude épreuve. L’attention est « capturée » par ces pièges, pour employer le terme du psychiatre Christophe André, elle se trouve modifiée dans sa structure par le rythme des médias, ce qu’analyse le chercheur Michel Desmurget. Impossible, dès lors, de piloter soi-même son attention puisqu’elle est activée artificiellement de l’extérieur. Les maladies de l’attention (la fameuse hyperactivité avec déficit attentionnel) pourraient résulter en partie de cet environnement qui impose un fonctionnement en multitâche inadapté à notre structure cérébrale. Comment éviter la baisse de QI et l’échec scolaire qui y sont statistiquement associés ? La création d’une hygiène attentionnelle (moins de stimuli, plus de conscience de l’instant) apparaît comme un enjeu de premier plan. Ce Thema en donne les grandes lignes. En quelques pages, il est vrai…
Thema / L’attention
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Pour la Science 170 bis boulevard du Montparnasse - 75014 Paris
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SOMMAIRE
P/4/L’ATTENTION PIÉGÉE CHRISTOPHE ANDRÉ
P/13/GUIDER L’ATTENTION JEAN-PHILIPPE LACHAUX
P/25/MÉDIAS MODERNES ET PASSIVITÉ ATTENTIONNELLE MICHEL DESMURGET
P/33/L’ORDINATEUR PORTABLE EN COURS, UNE SOURCE DE DISTRACTION CINDI MAY
P/4
P/38/LE DÉFI DE L’ATTENTION À L’ÉCOLE CLAIRE LECONTE-LAMBERT P/49/LES TROUBLES DE L’ATTENTION VANIA HERBILLON
P/25
P/59/TROUBLES DE L’ATTENTION : UN PROBLÈME CÉRÉBRAL SÉBASTIEN BOHLER
P/62/JE M’ENNUIE, EST-CE GRAVE ? GIOVANNI SABATO P/13
P/38
Thema / L’attention
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P/70/LE CERVEAU MÉDITATIF ANTOINE LUTZ
CHRISTOPHE ANDRÉ
Shutterstock.com/Allen.G
L’attention piégée
Smartphones, alertes e-mail, jeux vidéo, textos, panneaux publicitaires interactifs : la capture de l’attention est devenue un enjeu industriel. Comment y résister ?
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ous marchez dans la ville : régulièrement, votre attention est attirée par les panneaux publicitaires placés sur les murs, les abribus, ou les flancs des taxis, ou par les vitrines et les enseignes. Et puis, bien sûr, il y a aussi la musique de votre baladeur qui emplit vos oreilles, les appels et sms de vos amis sur votre portable. Ce sera dur de laisser votre esprit réfléchir dans la continuité, ou simplement de savourer cette belle journée d’automne… Vous voilà arrivé à votre travail. Vous allumez votre ordinateur, et commencez à rédiger un rapport ; mais il faut aussi répondre aux mails, en temps réel, car dès qu’un nouveau message arrive, un signal rouge vous incite à le consulter, et – on ne sait jamais – c’est peut-être urgent. Il faudra
aussi répondre aux appels téléphoniques, mais également entendre ceux de vos collègues, dans cet open space où vous travaillez. Là encore, ce ne sera pas facile d’approfondir une pensée. Vous aspirez à des moments calmes et sans interruptions incessantes, où vous pourriez vous détendre ou travailler de manière plus appropriée. Mais cela existet-il encore aujourd’hui ? Pourrez-vous lire cet article en entier sans être interrompu ? Attirer l’attention d’autrui pour en obtenir quelque chose, cela a toujours existé : les fleurs procèdent ainsi pour attirer les insectes, et chez beaucoup d’espèces animales, les mâles se parent de couleurs ou d’attributs spectaculaires pour retenir l’attention des femelles.
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Dès qu’il y a des interactions, il y a des tentatives d’influer sur l’attention. Le phénomène n’est donc pas nouveau, mais il semble que notre époque impose davantage de pressions sur l’attention que jadis, au point que certains parlent d’attaques attentionnelles ou de vols d’attention. Notre environnement quotidien a en effet beaucoup changé : il n’est plus composé uniquement d’éléments naturels, mais il est devenu artificiel, et donc soumis à des influences nouvelles, apparues depuis peu, et vis-à-vis desquelles notre cerveau n’a pas eu encore le temps de s’adapter.
Hyperconnexion En cause, d’abord, la société « matérialiste », où la surproduction de biens de consommation expose le citoyen – hier occidental et demain mondial – devenu par ailleurs consommateur, à la pléthore (d’aliments, d’objets). Dans ce monde de surproduction, il y a plus de produits à vendre que d’acheteurs, et une compétition féroce existe entre les firmes : il faut « accrocher l’œil » et surtout le cerveau du client potentiel, sans cesse et de façon efficace. Dès lors,
Guider l’attention Shutterstock.com/De Banana Republic images
JEAN-PHILIPPE LACHAUX
Comment fixons-nous notre attention sur un objet ou une tâche, et comment l’y maintenons-nous ? Les neurosciences révèlent peu à peu la façon dont le cerveau gère cette capacité cruciale.
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aire attention ? Chacun sait ce que cela veut dire. Et pourtant, dès que l’on cherche à savoir précisément ce qui se passe dans notre tête lorsque nous dirigeons notre attention sur un objet, un discours, une image ou une idée, la chose paraît moins aisée à expliquer. La difficulté vient peut-être du fait que nous sommes à la fois maîtres et esclaves de notre attention. Nous pouvons l’orienter et la focaliser, mais elle peut aussi nous échapper, être captée par des événements ou objets extérieurs. Dans le premier cas, les neuroscientifiques parlent de contrôle du « haut vers le bas », ou top down en anglais. L’individu fixe délibérément son attention sur une
devenue célèbre, le psychologue américain Daniel Simons a présenté à des sujets un petit film montrant des personnes en train de jouer au basket. Sans que les spectateurs n’en aient été avertis, une personne déguisée en gorille apparaît dans le film et traverse toute l’aire de jeu, s’arrête au milieu des joueurs et fait signe au spectateur, avant de disparaître de l’autre côté.
Le gorille invisible tâche, un objectif qu’il a lui-même défini. Dans le second cas, c’est l’environnement extérieur qui capte l’attention, et l’on parle de mécanisme allant du bas vers le haut, ou bottom up en anglais. Dans la pratique, ces deux modes se disputent le contrôle, le déplacement et le maintien de l’attention. Comprendre leurs rapports de force est essentiel pour mieux réagir quand notre attention nous fait défaut ou se focalise là où on ne le souhaite pas. Pour certains chercheurs, le monde visuel en dehors du champ de l’attention ne serait qu’un fatras de formes et de couleurs, qui n’attendent que l’attention pour s’assembler en objets. Dans une expérience
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Dans son expérience, D. Simons s’est aperçu que la plupart des spectateurs ne remarquent pas le gorille quand ils ont pour consigne de suivre attentivement le ballon et de compter le nombre de passes réalisées par les joueurs. Pourtant, comment ne pas voir cet animal poilu traverser le terrain ? C’est la question que se posent les spectateurs en revoyant le film, une fois prévenus du passage de l’intrus : comment ont-ils pu ne pas le remarquer ? Ce fait surprenant s’explique par le lien étroit qui existe entre attention, perception et mémoire. Il est courant de dire que le système visuel reçoit en permanence beaucoup plus
MICHEL DESMURGET
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Médias modernes et passivité attentionnelle
Le monde de l’image, envahi de séquences rapides et réalistes, habitue le cerveau à être stimulé de l’extérieur. Dès lors, l’individu perd sa capacité à fixer son attention de façon autonome.
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n 1964, le président américain Lyndon Johnson lança, dans son discours annuel sur l’état de l’Union, une guerre moins célèbre que celle qu’il était en train de mener au Vietnam, mais dont les objectifs résonnèrent comme un cri d’espérance. Il affirma : « Cette administration déclare aujourd’hui, ici et maintenant, une guerre inconditionnelle à la pauvreté. » L’éducation fut bien sûr placée au cœur de la bataille et nombre de programmes volontaristes furent lancés à destination des enfants les plus défavorisés dans les crèches, les écoles, ou directement les familles. C’est au cœur de ces actions que naquit la télévision. Lorsque Johnson initia sa guerre à la pauvreté, le petit écran achevait juste la
percée fulgurante qui lui avait permis, en dix ans, de s’installer dans près de 95 pour cent des foyers américains. Pour beaucoup de spécialistes, cette « nouvelle technologie » était porteuse de superbes promesses. Elle allait notamment permettre, disait-on, de réduire efficacement le poids des inégalités sociales. En effet, grâce à des contenus adaptés, il allait enfin être possible d’enrichir sensiblement l’environnement des enfants les plus pauvres en matière de langage, de culture et de savoir. Plusieurs programmes virent alors le jour, dont un se révéla particulièrement important : Sesame Street. Lancé en 1969 aux États-Unis, ce programme débarqua en France quelques années plus tard sous le
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nom de Bonjour Sésame (1974) puis 1, Rue Sésame (1978). L’objectif de cette émission éducative de 60 minutes était, au sens large, de préparer les enfants de trois à cinq ans à affronter le cours préparatoire. Pour ce faire, les producteurs de Sesame Street firent un pari osé. Avant d’enseigner quelque chose à l’enfant, se dirent-ils, il faut être capable d’accaparer, puis de maintenir son attention. Des recherches furent donc engagées afin de déterminer les formats audiovisuels les mieux adaptés à cet objectif. Trois points principaux furent identifiés : des séquences – histoires – courtes rapidement enchaînées ; un rythme narratif soutenu à l’intérieur de chaque séquence ; la présence à intervalles réguliers d’éléments sonores ou visuels saillants (nommés clinchers). Grâce à ces « recettes », il était désormais possible de river le jeune spectateur à l’écran en sidérant littéralement son attention.
L’habitude d’être stimulé de l’extérieur Même si aujourd’hui, ces manipulations ne semblent plus faire débat et sont largement utilisées dans les programmes
CINDI MAY
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L’ordinateur portable en cours, une source de distraction
Les étudiants équipés d’un ordinateur passent jusqu’à 40 % du temps en ligne pour des choses qui n’ont rien à voir avec le cours, et cela entraîne une baisse de leurs résultats scolaires.
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lors que les récents bacheliers préparent leur entrée à l’université cet automne, une chose est sûre de figurer en bonne place sur la liste de souhaits de la plupart d’entre eux : un ordinateur portable. Les ordinateurs portables sont omniprésents dans les campus universitaires et sont considérés par la majorité des étudiants comme un équipement incontournable, au même titre que les paquets de pâtes, les litres de café et les réveille-matin. Il ne fait guère de doute qu’un ordinateur portable personnel peut améliorer la vie à l’université en facilitant l’usage du matériel pédagogique en ligne, en ouvrant un accès aux sources de recherche, en permettant de rechercher un stage et même en
favorisant la communication avec les amis et les parents. De nombreux étudiants choisissent également d’emmener leur ordinateur portable en cours pour prendre des notes, regarder des présentations de cours en ligne et rechercher sur internet des documents en lien avec le cours. Cette pratique, cependant, est peut-être une erreur. De nouvelles recherches menées par Susan Ravizza, de l’Université d’état du Michigan, et ses collègues indiquent que les ordinateurs portables n’améliorent pas l’apprentissage en classe et qu’en fait, les étudiants feraient mieux de laisser leurs ordinateurs portables chez eux pendant les cours. Bien que l’utilisation de l’ordinateur pendant un cours puisse créer
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l’illusion d’un engagement plus riche avec le contenu du cours, elle se traduit plus souvent par une dispersion accrue sur les réseaux sociaux, les sites de vidéos, les messageries instantanées et d’autres contenus non académiques. Cette distraction auto-infligée n’est pas sans conséquences, car les élèves gaspillent jusqu’à un tiers du précieux – et coûteux – temps de classe, et plus ils sont en ligne, plus leurs notes ont tendance à en souffrir.
Une utilisation négativement corrélée aux notes Pour comprendre comment les étudiants utilisent les ordinateurs pendant les cours et l’impact sur l’apprentissage qui en résulte, les chercheurs ont demandé aux élèves de se connecter volontairement à un serveur proxy au début de chaque cours, en étant prévenus que leur usage d’internet (y compris les sites visités) serait enregistré. Les participants devaient être connectés pendant au moins la moitié des 15 séances de cours, mais ils n’étaient pas obliges d’utiliser internet une fois connectés au serveur. Les chercheurs ont pu suivre l’utilisation
Le défi de l’attention à l’école CLAIRE LECONTE-LAMBERT Shutterstock.com/antoniodiaz
Ne pas travailler pendant les vingt premières minutes de la journée, aménager un retour au calme avant d’aller en récréation, attirer l’attention des élèves sur les points importants… les enseignements de la psychologie de l’enfant imposent de revoir certaines pratiques à l’école.
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apter l’attention d’un enfant… Avec une belle histoire, c’est si facile ! Mais avec des lignes de chiffres et de tables de multiplication, c’est plus difficile ! Pourtant, le défi de l’école se noue en partie ici : comment gérer l’attention de l’enfant, comment la cultiver sans l’épuiser, en connaissant ses limites et en lui laissant le temps de se développer à son rythme ? Les connaissances scientifiques relatives à la capacité d’attention progressent : elles n’ont pas encore investi le champ scolaire, qui tarde à en accepter les conclusions. Pourtant, l’urgence existe bel et bien : les
Auparavant, il y a ce que nous avons tous connu : l’école, les heures de classe, les cours à répétition où il faut tout apprendre avec une attention fragile, une attention instable… Or il suffit qu’un défaut d’attention s’installe, pour que tout le cheminement scolaire d’un enfant soit menacé. Il est donc grand temps de mieux connaître l’attention pour savoir la stimuler au bon moment et de la bonne façon.
L’attention immature troubles de l’attention affectent de nombreux enfants, quoique l’on peine à faire la part des choses entre hyperactivité, troubles de l’attention, élève dissipé… Nous examinerons ici comment mesurer l’attention, comment éviter qu’elle se dégrade au cours de la journée et quels mots utiliser pour la stimuler chez l’enfant. Car sans attention, la pensée reste une ingrate jachère. L’attention est comme le cerveau : jeune et plastique dans les premières années, elle doit se construire pour atteindre son régime de fonctionnement optimal, vers la fin de l’adolescence.
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Où loge l’attention ? En 1973, le neuropsychologue soviétique Alexandre Luria révèle que ce sont les lobes frontaux qui détiennent la maîtrise de l’attention. Plus tard, on constatera que des personnes victimes de lésions des lobes frontaux, ou des animaux chez qui l’on a pratiqué de telles lésions, réussissent moins bien dans des tests mesurant l’attention. De tels tests consistent généralement à observer une collection d’objets similaires, au milieu desquels un ou plusieurs présentent un caractère distinctif. Par exemple, on montre à un sujet une collection de tortues au milieu desquelles un certain nombre de
Les troubles de l’attention VANIA HERBILLON
Difficultés de concentration, impulsivité, agitation : les troubles de l’attention touchent un enfant sur vingt. Les causes de ce mal sont mieux connues, des pratiques éducatives et des thérapies adaptées se montrent efficaces.
L’
attention étant une fonction cognitive indispensable à toute activité humaine, un trouble de l’attention chez l’enfant peut revêtir des conséquences diverses. Difficultés de comportement (agressivité, conflits), problèmes émotionnels (baisse de l’estime de soi, dépression), difficultés scolaires, troubles du langage, de la lecture, de l’écriture ou des compétences en mathématiques, agitation motrice excessive, etc. La liste est longue, et bien des enfants atteints d’un trouble de l’attention vont consulter l’orthophoniste, l’ergothérapeute, le psychiatre, sans que l’origine attentionnelle du problème ne soit identifiée. Ce diagnostic est pourtant crucial,
car le trouble de l’attention engendre par effet boule de neige échec scolaire, baisse de l’estime de soi, manque de motivation et difficultés relationnelles.
Une triade de symptômes Le « trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité », tel que le nomment les psychiatres, est une pathologie qui correspond à un dysfonctionnement chronique de l’attention et du système exécutif regroupant des fonctions prises en charge par la partie préfrontale du cerveau. Ce syndrome affecte cinq pour cent des enfants d’âge scolaire (plus souvent les garçons que les filles), trois pour cent
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environ des adolescents et un à deux pour cent des adultes. Une prédisposition génétique est suspectée puisque l’on retrouve fréquemment des antécédents familiaux au sein des fratries. Ce trouble se définit par une triade de symptômes : l’inattention, l’impulsivité et l’instabilité motrice. Chaque symptôme peut apparaître isolément ou associé aux autres. On distingue la forme mixte qui les associe tous les trois, la forme « inattention pure » (sans hyperactivité ni impulsivité) et la forme « hyperactivité-impulsivité pure » sans inattention. Le trouble déficitaire de l’attention, avec ou sans hyperactivité, s’exprime de façon intense et précoce (avant l’âge de sept ans), quel que soit le contexte ou l’environnement de l’enfant. Les symptômes correspondent principalement à un déficit des fonctions attentionnelles et exécutives, dont le contrôle repose surtout sur des réseaux reliant les régions préfrontales au striatum. Le trouble de l’attention avec hyperactivité semble être la conséquence d’une augmentation des transporteurs de la dopamine, un neurotransmetteur, dans le striatum.
SEBASTIEN BOHLER
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Troubles de l’attention : un problème cérébral
Une vaste étude sur le cerveau des personnes atteintes de trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité a révélé que quatre zones du cerveau sont plus petites que la moyenne chez les patients enfants, mais pas chez les adultes.
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our la première fois, une étude réalisée sur plus de 1700 personnes atteintes de trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) aux Etats-Unis a permis d’identifier de façon statistiquement fiable les différences dans leur cerveau, par comparaison à des sujets sains.
Des zones cérébrales plus petites L’étude, publiée dans la revue The Lancet Psychiatry a révélé que quatre zones du cerveau sont plus petites chez les patients enfants, mais non chez les adultes. Il s’agit
de régions impliquées dans la motivation et la recherche de plaisir (le noyau caudé et le noyau accumbens), mais aussi dans les émotions (l’amygdale) ou la mémoire (l’hippocampe). La plus petite taille de ces régions pendant l’enfance – mais non à l’âge adulte – laisse penser que le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité serait un trouble développemental, à savoir que le développement du cerveau serait décalé chez ces personnes, les zones en question atteignant leur maturité plus tard. Rien ne permet d’établir, d’après l’étude, que
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les médicaments souvent proposés dans le cadre de cette atteinte seraient la cause de cette taille inférieure.
Une motivation et des émotions différentes Que cela signifie-t-il pour les personnes concernées ? Un problèmes que rencontrent ces dernières est lié à la motivation. En effet, être capable de se concentrer longtemps implique de rester motivé, une capacité qui fait en grande partie intervenir la dopamine, une molécule au cœur de certaines régions identifiées par cette étude, comme le noyau caudé ou le noyau accumbens. La petite taille de ces régions pourrait expliquer les difficultés observées chez les patients. Un autre aspect important est celui des émotions : les patients ont souvent du mal à réguler leurs émotions dans les situations de frustration, ce qui pourrait s’expliquer par une maturation plus lente de leur amygdale, une zone du cerveau bien connue pour son rôle dans toute une série d’émotions. Il restera à savoir pourquoi les adultes hyperactifs continuent de rencontrer ces
Je m’ennuie, est-ce grave ? GIOVANNI SABATO
Hyperconnectés en permanence, nous avons du mal à supporter les moments d’ennui. Comment éviter de fuir sans cesse dans des distractions compulsives ? Pour y répondre, les psychologues dissèquent cette émotion si particulière. Et lui trouvent d’étonnants liens avec l’attention…
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n l’an 340 de notre ère, les habitants de Bénévent, dans le sud de l’Italie, érigèrent une statue en l’honneur du consul romain Tanonius Marcellinus. Son mérite ? Avoir libéré la population de l’ennui tenace qui l’accablait. Nous ignorons comment il a réussi cet exploit, mais l’épisode nous indique bien que le combat de l’humanité contre l’ennui n’est pas nouveau. Si les écrivains et les philosophes ont souvent évoqué cette émotion, les psychologues l’ont relativement peu étudiée. « En paraphrasant Augustin, nous pourrions dire
que tout le monde sait ce qu’est l’ennui, mais que nous avons du mal à en donner une définition précise », affirme Giuseppe Craparo, de l’université Kore, à Enna, en Sicile. Cet expert du sujet a publié en mai 2017 la version italienne d’une importante échelle de mesure de l’ennui, la Multidimensional State Boredom Scale (MSBS). « La recherche s’est toujours heurtée à cette difficulté », poursuit-il, avant de tenter tout de même une description : « Il s’agit d’un état émotionnel qui s’accompagne d’une sensation désagréable, d’une perception ralentie du temps, de difficultés
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à se concentrer et à trouver une satisfaction dans les activités entreprises. » Difficile en effet de nier le caractère désagréable de l’ennui. En 2015, Chantal Nederkoorn, psychologue à l’université de Maastricht, aux Pays-Bas, a même montré que lorsque aucune distraction n’est disponible, la plupart des gens sont prêts à se faire mal délibérément en s’administrant de légers électrochocs pour échapper à l’emprise de l’ennui. Bien sûr, quand ils ont le choix, ils préfèrent les stimuli agréables, comme la nourriture… Tout n’est pourtant pas à jeter dans l’ennui. Il se distingue notamment de la dépression et de l’apathie, même s’il cohabite souvent avec ces deux états. « L’apathie ne prépare pas à l’action, c’est un aplatissement émotionnel complet », précise Giuseppe Craparo. « L’apathique se retire de la réalité, il ne se croit pas capable d’endosser un rôle actif. Dans l’ennui, on retrouve au contraire une tension qui conduit à agir, pour le meilleur ou pour le pire. » Reste que la nature exacte de cette émotion désagréable a longtemps suscité le débat. Depuis près d’un siècle,
ANTOINE LUTZ
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Le cerveau mĂŠditatif
Les neurosciences mettent en évidence les changements cérébraux qui interviennent pendant la méditation, et qui favorisent la conscience, l’attention et la compassion.
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l y a encore quelques années, il aurait semblé étrange d’associer des termes tels que science et contemplation. C’est que depuis l’époque des Lumières, la science a été conçue séparément de la religion, et assignée à l’étude quantitative des lois de la matière. La religion ou la spiritualité ont été reléguées au domaine de la subjectivité et de l’expérience qualitative, choses non observables et non mesurables. Or voici que la science occidentale pose son regard sur ces phénomènes subjectifs, vécus de l’intérieur à la première personne, qui sont le propre des pratiques spirituelles, dont la méditation. Ce rapprochement remonte à la rencontre du neuroscientifique français
Francisco Varela avec le dalaï-lama, en 1983. Varela décida de créer un forum où le dalaïlama et d’autres méditants pourraient échanger leurs idées avec des scientifiques de renom… C’est ainsi qu’au mois d’avril 2012 s’est tenu à Denver, aux États-Unis, le premier symposium international consacré à l’étude des « sciences contemplatives ». Des centaines de neuroscientifiques, psychologues, cliniciens et méditants venus de laboratoires de recherche prestigieux y ont partagé les résultats les plus récents sur les mécanismes cognitifs et neuronaux sous-tendant les pratiques contemplatives, leurs effets sur la santé mentale et
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physique et les applications possibles pour l’éducation. Le terme de méditation recouvre une diversité d’entraînements mentaux allant des techniques tournées vers la relaxation jusqu’à des exercices visant à atteindre, par exemple un sentiment profond de bienêtre. Il s’agit d’une famille de méthodes complexes de régulation des émotions et de l’attention, mises en œuvre à des fins variées, dont la compréhension de la nature des phénomènes mentaux et l’équilibre des affects. Nous nous concentrerons ici sur les méthodes d’origine bouddhiste, qui sont pratiquées aujourd’hui dans un contexte traditionnel ou séculier. Que disent les textes bouddhistes ? D’abord, que la méditation doit viser à éliminer la souffrance d’origine mentale (ruminations, émotions négatives) ; que toute méthode efficace en ce sens doit introduire des changements dans les états émotionnels et cognitifs, notamment dans les habitudes centrées sur soi ; enfin, que ces changements prennent comme point de départ l’observation détaillée des états émotionnels et une compréhension des