54 ETATS, LE MAGAZINE DE L'AFRIQUE N°23 SPECIAL CÔTE D'IVOIRE

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N°23 sept / oct 2015 ÉDITION INTERNATIONALE

La France voulait à tout prix s’en débarrasser

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ÉDITION INTERNATIONALE : FRANCE 3,80 € - DOM 4,80 € - RÉUNION 4,80 € - GUYANE 4,80 € - BEL 4,00 € - MAROC 40 DH - ALGÉRIE : 394,3 DZA - TUN 6,8 DT - ZONE CFA 3100 - NIGER 3100 XAF - CAMEROUN 2700 XAF - SÉNÉGAL 2700 XAF - GAB 2700 XAF - CÔTE D’IVOIRE 2700 XAF - MALI 3100 CFA- ISSN 2258 - 0131


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Fatou Bensouda : la dépression........................................................................ 6 La CPI, ce bateau ivre sans capitaine............................................................. 10

Édito.............................................................................................................. 14 Introduction............................................................................................... 15 COVER / SPECIAL REPORT

Fanny Pigeaud : Côte d'Ivoire : le voile enfin levé !......................................... 16 Quand la Françafrique se fâche...................................................................... 20 2 décembre 2010, la Côte d'Ivoire bascule..................................................... 23 Laurent Gbagbo : dance with time.................................................................. 27 Patrick Baudoin : « le procès de Simone Gbagbo a été bâclé »..................... 30 Au temps d'Houphouët-Boigny........................................................................ 34 Alassane Ouattara : un homme révélé par la guerre...................................... 35 Crise ivoirienne : un cas d'école pour l'Union africaine................................... 38 Bouaké : derrière le brouillard......................................................................... 44 L'affaire Kieffer : crime d'État en Françafrique ............................................... 48 La Côte d'Ivoire : mandat de vérité pour Alassane Ouattara........................... 52

AFRICA INSIDE

Homosexualité et Afrique : une antinomie ?.................................................... 56

AFRICA OUTSIDE

Muhammad Tahir-Ul-Qadri : le remède anti-djihad.......................................... 62 Syriza, Podemos : peuvent-ils vraiment changer l'Europe ?........................... 66 Chine : haro sur les Ouïghours................................................................................70

ÉCONOMIE

Maroc Export : des visées internationales....................................................... 74

CULTURE

Bain culturel au pays des pharaons............................................................... 78 Congo Beauty.................................................................................................. 82 Carte................................................................................................................ 84 Données sur l’Afrique...................................................................................... 85 Abonnement.................................................................................................... 86

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LE MAGAZINE DE L’AFRIQUE / THE AFRICA MAGAZINE

SOMMAIRE

EN APARTÉ

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© ICC

par Priscilla WOLMER

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TOUTES CES ANNÉES À ARPENTER FIÈREMENT LES QUELQUES MARCHES DE SCHEVENINGEN CONDUISANT À L’ARC DE LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE. BLANCS, IMMACULÉS, VIERGES ET MASSIFS, TRANSPIRANTS DE PURETÉ, D’EFFICACITÉ ET D’INDÉPENDANCE, C'EST ICI, REHAUSSÉS D’ÉCLAT PAR LE TIMIDE SOLEIL DU NORD, QUE SE DRESSENT LES LOCAUX DE LA CPI, FIERTÉ D’UNE BANLIEUE EST PRESQUE OUBLIÉE. HÉLAS, EN ONZE ANS, LE TEMPS S’EST ASSOMBRI SUR LA « TOUR DE LA COUR ». TOUT AUTANT D’AILLEURS QUE LE MORAL DE FATOU BENSOUDA. MADAME LE PROCUREUR CONTINUERA-T-ELLE À S’AUTO-CHÂTIER JUSQU’EN 2021, FIN DE SON MANDAT ? ÉLÉMENTS DE RÉPONSE.

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Luis Moreno Ocampo et Fatou Bensouda à la belle époque. © ICC

Entre 2004 et 2012, aux côtés de Luis Moreno Ocampo, alors procureur adjoint en charges des poursuites, Fatou, la Gambienne, vit des temps de volupté calme où se jouent les riches accords d'un tempo justicier. Elle apprend sereinement les rouages de la justice internationale, avec la vedette des lieux, sans s’évanouir sous les odeurs fétides et puantes que libèrent les dossiers malsains... instruits par son mentor. Celle qui a, auparavant, en Gambie, enfilé les casquettes de procureur puis de ministre de la Justice se sent plutôt à son aise dans la peau d’une justicière. Un parcours professionnel somme toute logique rendant idoine le dépôt de sa candidature au poste de procureur général parmi celles de 51 autres ambitieux. Lors de la 10e assemblée des États parties, le 12 décembre 2011, à New York, son heure de gloire sonne enfin. Fatou Bensouda est élue, par consensus, nouveau procureur général de la prestigieuse Cour. Six mois plus tard, le 15 juin 2012, galvanisée par les nombreux articles de presse qui la placent dans le « top 10 » des femmes les plus influentes du monde, elle succède à Louis Moreno Ocampo dont le mandat vient de s’achever.

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Betwee n mingle 2004 and 20 d the ri 1 ch cho 2, alongside prosec rds of utor in a vigila Luis Moreno c was liv harge O nte tem of proc ing a li po. Th campo, fe ee ning th en dep e ropes of pleasant tr dings, Fatou uty anq , th of intern the pla ce, wit ational uility. She wa e Gambian h ou s unhealt ju hy files t fainting form stice, alongs calmly lear… inve ide the in Gam the feti stigate star of bia, do d odo d by he nn of Justi r mento rs released b ce felt m ed the caps o y r. She, w f prose tice. A lo ore at e ho p cuto as g the pos ical career pa e in the shoe r and then M rior inister s of a d t of chie th mak in efende f prose candid r of jus ates. cutor fr g her a suitab om am le cand ong 51 id other a ate to During mbitiou th s 12, 20 e tenth Asse 11 in m b ly of State New-Y Fatou B ork, he Parties e r ho on Dec Chief P nsouda was ember elected ur of glory rosecu finally , to through on Jun r o f th arrived e 15, 2 e presti c o n s . ensus, 012, g gious c press th the alva ou a in the w t placed her in nized by num rt. Six month new s o erous the “top articles later term ju rld, she succ 10” m eeded st ende Louis M ost influential in the d. wo oreno O campo men whose


DES DÉBUTS TÉMÉRAIRES Parée de ses plus beaux atours africains, Fatou Bensouda est encore loin de l’atonie du corps et de l’âme. Sur les conseils de son ombre, Luis Moreno Ocampo, qui garde la mainmise sur les affaires qu’il a initiées, elle part en guerre juridique contre les chefs d’États africains, suspectés en majorité d’être des criminels et des génocidaires. Soit, pour le respect des victimes, la justice reste primordiale, surtout lorsque celle du pays en question est défaillante. Pour autant, les criminels du monde se concentrent-ils tous en Afrique ? L’impéritie déjà partielle du procureur ne tardera pas à transformer les articles de presse des premières heures en véritables pamphlets. Quatre ans après son élection, à la lecture du 21e rapport du procureur de la CPI au Conseil de sécurité de l’ONU - en application de la résolution 1593 (2005) - le non-exaucement des désirs du début et le sentiment d’impuissance face à la faiblesse de l’institution qu’elle incarne pouvait se lire sur son visage. En effet, 22 affaires dans le contexte de 9 situations ont été ouvertes devant la Cour et toutes concernent des pays africains : République démocratique du Congo, Ouganda, République centrafricaine (I et II), Darfour, Soudan, Kenya, Libye, Côte d’Ivoire, Mali… et la Gambie alors ? Bizarrement, Madame le Procureur, pourtant Gambienne, n’a pas jugé utile d’ouvrir proprio motu une enquête contre ce criminel, traqueur d’homosexuels, Yahya Jammeh. « Ce fou de KanilaÏ », mystique pervers, « chaque année qui passe allonge la liste de ses victimes », regrette François Patuel, de l’ONG Amnesty International, qui demande à la communauté internationale de ne plus détourner les yeux. Que fait-elle de sa propre initiative ?

UN ENTRACTE FAIT DE COLÈRE Oui, face à une Cour impuissante, un Conseil de sécurité inactif et des États membres qui ne coopèrent pas, Fatou Bensouda fulmine. Sans police à la disposition de la Cour, coincée entre l’arbre et l’écorce, entre la justice et ses frères africains, la schizophrénie s’organise. Si abandonner les poursuites équivaut à une victoire pour la défense des 9 affaires africaines en cours et à une réparation sommaire avec ses frères d’Afrique, cela équivaut aussi à trahir ses confrères. Alors que faire ? « Fatou, c’est une amie. C’est une femme audacieuse, intègre et déterminée ; malgré la souffrance, la douleur, et les humiliations, notre procureur général donne tout pour la justice » dévoilera, en off, un membre de la Cour. Mais la colère, au vu des activités judiciaires récentes, en juin 2015 en Afrique du Sud, a laissé place au désespoir, à la léthargie et à la dépression. Finis les sourires de façade en public… En coulisse, certains racontent qu’outre voir tomber les pleurs de ses paupières lourdes de peine, il n’y a aucune certitude quant à l’accomplissement de son mandat… Six ans, c’est long et elle se sait foutue, une fois celui-ci terminé en 2021. Qui lui rafraîchira le front avec des palmes, quand elle souhaitera jouir d’une retraite paisible en Afrique, auprès de son mari Philippe et de ses deux enfants qu’elle a élevés comme s’ils étaient les siens ? Personne. L’Afrique l’a répudiée et le piège de Luis Moreno Ocampo s’est bien refermé sur Fatou l’Africaine. Celle qui pensait œuvrer pour le bien de l’Afrique a juste creusé sa tombe.

RECKLESS DEBUT Dressed in her African finery, Fatou Bensouda is still far from sluggish in body and mind. On the advice of her predecessor, Luis Moreno Ocampo, who keeps an eye on the work he initiated, she wages legal wars on heads of African states, the majority suspected of being criminals and of participating in genocide. So, out of respect for the victims, justice remains paramount even when justice of the country in question fails. However, are all the world’s criminals concentrated in Africa? The already partial incompetence of the prosecutor will not delay in transforming the press articles of the first hours into a real pamphlet. Four years after her election, at the reading of the twenty-first report of prosecutor of the ICC to the UN Security Council – pursuant to the resolution 1593 (2005) – the non-fulfillment of goals from the beginning and the feeling of helplessness in front of the weakness of an institution that she embodies can be seen on her face. Indeed, 22 cases in the context of 9 situations were opened before the court and all concerned African countries: the Democratic Republic of Congo, Uganda, the Central African Republic, Darfur, Sudan, Kenya, Libya, the Ivory Coast, Mali… and Gambia? Strangely, Madam Prosecutor, however Gambian, did not deem it useful to initiate "prorio-motu" proceedings against, Yahya Jammeh, this criminal, this homosexual hunter. He is "this crazy person from KanilaÏ" who with "every year that passes lengthens the list of his victims", regrets François Patuel, from NGO Amnesty International, who asks that the international community no longer avert its eyes. What is she doing of her own initiative?

AN INTERMISSION CREATES ANGER Yes, in front of a helpless court, an inactive Security Council and state members who do not cooperate, Fatou Bensouda, is ranting. Without police available to the court, squeezed between a rock and a hard place, between justice and her African brothers, schizophrenia is settling in. If abandoning proceedings equate a victory for the defense of nine on-going African cases and a basic repair with her African brothers, this would mean also betraying her colleagues. So what should she do? "Fatou is a friend. She is an audacious, honest and determined woman; despite suffering, pain and humiliations, our chief prosecutor does everything for justice" reveals a member of the court, off-camera. But the anger, in light of recent judicial activities in June of 2015 in South Africa, has given way to despair, lethargy and depression. She has finished with putting on a brave face in public… Behind the scenes, some say that in addition to seeing tears in her eyes, there is no certainty as to the fulfillment of her term… Another six years is long and she knows she is damned if she is to finish in 2021. Who will wipe the sweat from her brow, when she will be wishing to enjoy a peaceful retirement in Africa, near her husband Philippe and his two children who she raised as if they were her own? No one. Africa has renounced her and Luis Moreno Ocampo’s trap is securely closing in on Fatou the African. The one who is thinking about working toward the good of Africa has just dug her own grave. Translated by Rachel Wong 9


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LA CPI, CE BATEAU IVRE SANS CAPITAINE…

THE ICC, THE DRUNKEN BOAT WITHOUT A CAPTAIN…

par Hervé PUGI

by Hervé PUGI

La Cour pénale internationale (CPI), c’est un peu comme le Radeau de la Méduse. Ça flotte encore, ça tangue dangereusement et tout cela va assurément mal se terminer ! Il faut dire que les douze derniers mois auront vu la Cour se faire submerger par des vagues d’amertumes et de désillusions. Et ce n’est pas Madame le Procureur, Fatou Bensouda, qui nous contredira. Récit d’un naufrage annoncé.

The International Criminal Court (ICC) is a bit like the painting, The Raft of the Medusa. It continues to float, swaying dangerously, and surely this will end badly! It must be said that the last twelve months have seen the Court submerged by waves of bitterness and disillusion. And it is not Madam Prosecutor, Fatou Bensouda, who will contradict us. The story of a shipwreck.

Barack Obama qui se déhanche en compagnie d’Uhuru Kenyatta. La vidéo a fait le tour du monde. Un an auparavant, le président kényan voyait planer sur sa tête le spectre d’une inculpation pour crimes contre l’Humanité. Aujourd’hui, Kenyatta partage un instant de folie avec le président des États-Unis. Il danse et difficile de ne pas penser qu’il danse autour de la tombe, fraîchement creusée, d’une Cour pénale internationale qui file droit dans le trou, sans vraiment que personne n’ait besoin de l’y pousser. Car il y a de la lassitude chez Fatou Bensouda. Il y avait de la colère, il y a tout juste un an. Voilà qui est révélateur. En décembre 2014, se présentant à New York devant le Conseil de sécurité pour évoquer le Darfour, la Gambienne avait tonné : « si le Conseil de sécurité ne propose pas une approche spécifique, la CPI n’aura plus rien de significatif à lui présenter ». Las, l’année s’est largement écoulée et, le constat est là, la Cour a bu le calice jusqu’à la lie. Et la dernière rasade pourrait être celle de trop. Le 13 juin, Omar el-Béchir posait ses valises en Afrique du Sud. Du côté de La Haye, on avait rappelé à Pretoria ses responsabilités en affirmant qu’il n’y avait « aucune ambiguïté ni incertitude s’agissant de l’obligation qui est faite à la République d’Afrique du Sud d’arrêter Omar el-Béchir et de le remettre sans plus tarder ». Jacob Zuma, président sud-africain, ne l’entendait pas de cette oreille et adressait plus qu’un camouflet, un véritable bras d’honneur à la juridiction internationale. Il n’y eut alors rien de plus assourdissant que le silence des grands de ce monde, désintéressés.

Barack Obama sways in the company of Kenyatta. This video has made its way around the world. One year ago, the Kenyan president saw the threat of an indictment for crimes against humanity hanging over his head. Today, Kenyatta shares a moment of silliness with the president of the United States. He dances and it is difficult to not think that he is dancing around the freshly dug grave of the International Criminal Court, into which the ICC will fall directly, without the need for anyone to nudge it. There is weariness in Fatou Bensouda. There was anger just a year ago. This is revealing. In December 2014, during a presentation before the Security Council to raise the issue of Darfur in New York, the Gambian thundered: “if the Security Council does not propose a specific approach, the ICC will no longer have anything significant to present to it”. Alas, the year has largely passed by and we can see the Court has drank the cup dry. And that last gulp could just be one too many. On June 13, Omar al-Bashir unpacked his suitcases in South Africa. From The Hague camp, duties of Pretoria were recalled affirming that there was not “any ambiguity nor uncertainty in regards to the obligation of the Republic of South Africa to arrest Omar al-Bashir and hand him over without delay”. Jacob Zuma, the South African president, did not hear it that way and addressed it as more than a slap, giving the middle finger to international jurisdiction. There was then nothing more deafening than the silence of the great leaders of the world, disinterested.


Que pouvait-il arriver finalement de pire à Fatou Bensouda ? Quelle plus mauvaise publicité que de voir l’Afrique du Sud, exemple démocratique s’il en est sur le continent, dédaigner ainsi de telles sommations ? Le symbole est grand. L’Afrique, revancharde, a compris. Les 34 États africains signataires du Statut de Rome ont saisi que, sans son étroite collaboration, la Cour n’était finalement rien qu’une coquille vide. Elle qui ne poursuit finalement que ceux qu’on veut bien lui livrer, généralement des opposants. Le président du Soudan, lui, et ses trois mandats d’arrêt, eux, continuent de toiser de loin les gardiens de la prison de Scheveningen. Laurent Gbagbo n’a pas cette chance. L’ancien président de la Côte d’Ivoire, détenu dans une geôle néerlandaise, a pu « apprécier » l’efficacité du Bureau du Procureur lors de l’audience de confirmation des charges fin février 2013. L’accusation a été renvoyée à ses investigations par la Cour au regard de la faiblesse des éléments avancés. Et comment le nier ? Le procès Gbagbo ne peut pas être le triomphe de la Justice. Quand seul le vaincu comparaît dans le box des accusés, où est la justice ? La justice ne peut être partiale. De même que la vérité ne doit être partielle. Un siège est vide à La Haye. Pour qui est-il donc ? Il n’en va pas seulement du destin d’un homme mais bien de l’avenir de tout un pays en quête de réconciliation.

Poursuivi par la CPI, le président soudanais, Omar el-Béchir n'a pourtant aucun problème à voyager en Afrique. © Tana Forum

LA JUSTICE NE PEUT ÊTRE PARTIALE. DE MÊME QUE LA VÉRITÉ NE DOIT ÊTRE PARTIELLE.

How could it get any worse for Fatou Bensouda? Could there be any worse publicity then seeing South Africa, the democratic example if there ever was one on the continent, disregarding such warnings? This is a powerful sign. Vengeful Africa understood it. The 34 African state signatories to the Rome Statute have realized that, without its close collaboration, the Court ultimately was nothing more than an empty shell. It only follows through on what it wants to deliver, which are generally opposing views. The president of Sudan and his three arrest warrants continue to scornfully eye up the Scheveningen prison guards. Laurent Gbagbo does not have this luck. The former president of the Ivory Coast, detained in a Dutch jail, could "appreciate" the efficiency of the prosecutor’s office at the confirmation hearing at the end of February 2013. The accusation was referred to investigations by the Court considering the weakness of evidence put forward. And how can it be denied? The Gbagbo trial cannot be the triumph of justice. As only the defeated stands as accused, where is justice? Justice cannot be partial. Just like the truth cannot be partial. A seat is empty in The Hague. So who is it for? This is not just about the fate of a man but the future of an entire country in search of reconciliation. 11


C’est d’ailleurs sur cet écueil que s’est échoué ce bateau ivre qu’est la CPI sur le cas kényan. Nous y revoilà. Le 15 décembre 2010, Luis Moreno Ocampo, alors procureur, dévoile six noms impliqués dans les violences post-électorales en 2007 et 2008. Dans les « Ocampo six », les opposants Uhuru Kenyatta et William Ruto occupent alors une belle place. Courant 2013, les bourreaux soupçonnés obtiennent le satisfecit de la majorité de leurs victimes supposées et accèdent respectivement aux postes de président et vice-président de la République. Le vaincu devient vainqueur et, le 5 décembre 2014, la Cour abandonne « provisoirement », dixit Bensouda, les charges contre celui qui fait désormais l’unanimité. La récente visite du président Obama à Nairobi aura sûrement rendu ce provisoire… définitif.

L'innocenté Kenyatta repasse dans la cour des grands depuis sa danse avec le président des États-Unis. © ICC

It is also on this pitfall that this drunken boat that is the ICC is grounded on the Kenyan case. Here we go again. On December 15, 2010, Luis Moreno Ocampo, then an attorney, revealed six names implicated in the post-election violence of 2007 and 2008. In the “Ocampo six”, the opponents Uhuru Kenyatta and William Ruto were in a good place. In 2013, the suspected persecutors obtained a clean bill from the majority of their alleged victims and respectively accessed the posts of president and vice-president of the Republic. The loser became the winner and on December 5, 2014, the Court abandoned “tentatively”, according to Bensouda, the charges against the one which now has unanimous approval. The recent visit of Obama to Nairobi will surely have made what was tentative…definitive.

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Gbagbo et Kenyatta, disons-le, ne sont finalement que les deux faces d’une même pièce. Celle qui lie l’idéalisme du concept même d’une juridiction transnationale et le froid cynisme de ce que l’on nomme la Realpolitik. Péché originel. Un gouffre insondable que nul ne saurait combler. « Cet organe ne représente personne, c’est une institution politique », n’a d’ailleurs pas manqué d’hurler le, certes, très contestable Avigdor Lieberman, alors ministre israélien des Affaires étrangères. Le tout en promettant de demander à ses « amis (…) de cesser tout simplement de le financer ». Sur les 141 millions d’euros budgétés en 2015, si le plus gros contributeur est le Japon (20,4 M€), la grande majorité provient de l’Europe : Allemagne, France, Grande-Bretagne et Italie en

tête. Qui a déjà vu un État donner sans rien attendre en retour ? La question se pose. Israël et la Palestine, c’est donc le nouveau dossier soumis à Fatou Bensouda. Rien que ça ! Le Moyen-Orient est une poudrière qui menace d’exploser à la tête du monde entier. On ne touche pas impunément à Israël, c’est un fait. On ne plonge pas ses doigts dans le bouillonnement de cet Orient si compliqué sans se brûler. Aussi quand le Bureau du Procureur se propose de nous offrir sa vérité sur un conflit d’une rare complexité… Voilà qui laisse perplexe ! La Cour n’a pas été capable d’obtenir de la Côte d’Ivoire, pourtant docile et cliente, l’extradition de Simone Gbagbo ou d’empêcher (une certaine) Libye de juger Saïf al-Islam Khadafi, condamné à mort par visioconférence. Alors, négocier avec les Israéliens, collaborer avec le Hamas… Reste que, jurisprudence el-Béchir oblige, Benyamin Netanyahou devrait voir tomber sur son bureau quelques mandats d’arrêt. Du genre qui ne seront jamais appliqués. En voulant « se payer » un leader africain, quoi qu’on puisse en penser, pour faire plaisir à ses amis américains qui plus est, Luis Moreno Ocampo a ouvert la boîte de Pandore. Et ce qu’elle libère s’annonce dévastateur… pour la CPI elle-même. Honnie sur son propre continent et abandonnée par ceux qui ont instrumentalisé la Cour à des desseins politiques, Fatou Bensouda n’est aujourd’hui plus que le capitaine d’un navire à la dérive. Qu’on se le dise, la Cour pénale internationale n’arrivera jamais à bon port.

Avec Hillary Clinton dans l'ombre de Benyamin Netanyahou, la CPI n'est plus qu'un simple sigle pour l'État d'Israël. © PM of Israël

Gbagbo and Kenyatta, we have to say, are ultimately only two sides of the same coin. That which ties idealism of the concept of an international jurisdiction and the cold cynicism to what we call the Realpolitik. Original sin. A bottomless pit that no one would know how to fill. "This body represents no one; it’s a political institution", has not failed to be declared, certainly, by the highly questionable Avigdor Lieberman, then the Israeli minster of foreign affairs. All while promising to ask his "friends(…) to simply stop financing it". Of the 141 million euros budgeted for 2015, if the biggest contributor is Japan (20.4 million euros), the vast majority comes from Europe: Germany, France, Great

Britain and Italy. Who has ever seen a country give and expect nothing in return? The question has been raised. So Israel and Palestine, are the new project submitted to Fatou Bensouda. Only that! The Middle East is a powder keg that threatens to explode over the entire world. And no one can touch Israel with impunity, that’s a fact. You don’t stick your fingers into the boiling waters of the complicated East without burning yourself. And when the prosecutor’s office proposes to offer you its truth on a conflict of rare complexity … this is puzzling! The Court was not capable of obtaining the extradition of Simone Gbagbo, however docile she may be, or from preventing (a certain) Libya from judging Saïf al-Islam Gaddafi and condemning him to death via video-conference. So, in negotiating with Israelis or collaborating with Hamas, hopes are not particularly high. Still, if law obliges the al-Bashir case, Benyamin Netanyahou should see some arrest warrants fall on his desk. The kind that will never be applied. In wanting "to pay off" an African leader, whatever one may think, to make his American friends happy, Luis Moreno Ocampo has opened Pandora’s Box. And what it’s releasing looks devastating… for the ICC itself. Hated on his own continent and abandoned by those who have equipped the Court with political designs, today Fatou Bensouda is nothing more than the captain of a ship adrift. Spread the word, the International Criminal Court will never arrive at the right port. Translated by Rachel Wong 13


Le plus terrible est que le couple Gbagbo aurait pu être tué ce jour-là dans sa chambre à coucher sans que cela fasse vraiment scandale. Tous deux avaient été déjà si vilipendés que leur vie ne tenait plus qu’à un fil. Que reprochait-on à Gbagbo ? À la fois de ne pas respecter les règles du jeu démocratique et d’être un despote sanguinaire. Ce n’est pas tout à fait la même chose puisque personne ne peut imaginer un contentieux électoral dans une dictature ou encore moins un tyran proposant un recomptage des voix sous arbitrage international. Mais la bataille d’opinion gagnée, on ne pouvait lâcher prise si près du but, qui était de mettre un laquais au pouvoir. Et, disons-le tout net, les cris les plus haineux sont montés de Dakar, Yaoundé, Libreville, Bamako ou d’autres capitales francophones. Si nombre de ces adeptes du copier-coller démocratique pèchent surtout par candeur, la plupart sont des intellectuels stipendiés, habitués à manger dans la main de l’ambassadeur de France chez eux. Pourquoi nous, francophones, sommes-nous si accommodants avec Paris au point d’en vouloir aux rares politiques essayant de lui tenir tête ? La question intriguait, jusqu’à la fascination, le grand Mongo Beti. Il ne nous est même plus possible d’invoquer l’excuse de l’ignorance. On sait tout aujourd’hui de la Françafrique et le plus bel hommage à Verschave, c’est que le mot, nié ou moqué de son vivant par les médias mainstream, soit si vite passé dans le langage courant. Même l’Elysée en a pris acte, qui ne s’embarrasse plus de cachotteries. Sarkozy a ainsi livré Gbagbo à une justice internationale aux ordres qui ne sait quoi en faire. Fort bien. Quid, alors, de Compaoré, ce doux humaniste chassé, lui, par son peuple ? Eh bien, Hollande s’est vanté de l’avoir exfiltré à Abidjan… Coup de folie que cet aveu public ? Bien au contraire, un message sans équivoque aux présidents francophones : restez loyaux et le jour où tout vous semblera perdu, nous serons à vos côtés. Si ce n’est pas là un parrainage de type mafieux, c’est que les mots n’ont plus de sens. Une telle arrogance se nourrit aussi d’un profond sentiment d’invincibilité. Ou de supériorité raciale ? L’idée doit bien trotter dans le crâne de quelques crétins… La confusion est de toute façon à son comble. Ceux qui naguère niaient l’existence même de la Françafrique en décrivent aujourd’hui l’agonie avec force détails ou prétendent – ce qui est d’une renversante stupidité ! – que ce sont les Africains qui tiennent désormais la malheureuse Marianne à leur merci… En vérité, seule son emprise africaine permet encore à la France de justifier son siège au Conseil de sécurité. On l’a vu en Côte d’Ivoire, en Libye et au Mali, elle se sert de plus en plus souvent de ce dernier pour se lancer quasi sans bourse délier dans de prétentieuses expéditions néo-coloniales. En somme l’ONU, ce « machin » aux dires d’un certain de Gaulle, est devenue une efficace machine au service des intérêts français sur le continent. Ces mutations, loin d’être délibérées, ont été imposées à la Françafrique par le nouvel ordre mondial. Elle n’est pas pour autant sur le point de tomber comme un fruit mûr, elle est simplement plus vulnérable. Encore nous faut-il avoir envie de la combattre. Mais ça, c’est une autre histoire…

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April 2011. Tanks force open the doors of an African presidential palace and brutally extract the master of the grounds. The assailants were French military and the deposed head of state a francophone. This act, while in and of itself was a dramatic denial of sovereignty, fails to move many people. It’s the epilogue to a long hunt as evidenced through the off the record confidence of a former French minister to a journalist and purported friend: "We will have, sooner or later, this Gbagbo, He will end up lowering his guard". Our independences might be derisory and even laughable but an anecdote like that almost makes you forget the moral misery of States subservient to foreign countries and how easily willing they are to plunder their resources. It mainly gives an idea of abysmal contempt by French authorities for our leaders that transforms into a dull anger at the slightest hint of disobedience. The worst part is that Gbagbo couple could have been killed in their bedroom without causing any sort of scandal. The two were already so vilified that their lives were hanging by a thread. Of what was Gbagbo accused? Of not respecting the rules of the democratic game and at the same time of being a bloodthirsty tyrant. These are not exactly the same thing as no one can imagine electoral disputes within a dictatorship much less a tyrant proposing a vote recount mediated by international law. But the battle of opinion won, we cannot let go so close to the end, which consisted of putting into power a lackey. And let’s face it, the most heinous crimes are located in Dakar, Yaoundé, Libreville, Bamako or other francophone capitals. While many of these followers of copy and paste democracy offend above all by candor, most are hired intellectuals, used to eating from the hand of the ambassador of France at home. Why are we, francophones, so accommodating of Paris to the extent of blaming the few politicians who question the French capital? This question intrigued the great Mongo Beti to the point of fascination. The excuse of ignorance is not even possible anymore. Today we know everything about Françafrique and the most beautiful tribute to Verschave, is, in fact, it’s very name so often denied or ridiculed during in his lifetime by the mainstream media, was quickly integrated into everyday language. Even the Elysée took note and used the word openly. Thus Sarkozy delivered Gbagbo to a docile international justice indifferent about what to do with him. Very good. Then what about Compaoré, this sweet humanist hunted by his people? Well, Hollande boasted of having him exfiltrated to Abidjan… Was this public confession a moment of madness? On the contrary, it was an unequivocal message to the francophone presidents: remain loyal and when the day comes when you fear you are really in over your head, we will be right there at your side. If this is not a Mafia-esque sponsorship, it is because the words no longer hold meaning. Such arrogance has also fostered a deep sense of invincibility. Or of racial superiority? The idea must swirl around inside the heads of a few idiots… In any case, the confusion is at its peak. Those who once even denied the existence of Françafrique are describing today the agony with great detail or pretending – something that is really astounding in its stupidity! – that it is Africans who know hold the unfortunate Marianne at their mercy… In truth, only its African influence still allows France to justify its seat on the Security Council. We saw it in the Ivory Coast, Libya, and Mali, increasingly wielding this influence to set off on pretentious neo-colonial expeditions without spending a penny. In fact the UN, this “machin” in the words of a certain de Gaulle, has become an efficient machine serving French interests throughout the continent. These mutations, far from being deliberate, have been imposed on Françafrique by a new world order. Françafrique has not come to the point of dropping to the ground like an overripe fruit, it is simply more vulnerable. Still we have to want to fight it. But that, that is another story…

AUTEUR

Avril 2011. Des blindés forcent les portes d’un palais présidentiel africain et en extraient brutalement le maître des lieux. Les assaillants étant des militaires français et le chef d’État déchu un francophone. Cet acte, pourtant en lui-même un spectaculaire déni de souveraineté, n’émeut pas grand monde. C’est l’épilogue d’une longue traque ainsi qu’en témoigne la confidence off the record d’une ancienne ministre française à un journaliste supposé ami : « Nous l’aurons tôt ou tard, ce Gbagbo, il finira bien par baisser la garde… » Que nos indépendances soient dérisoires voire risibles, on le sait, mais une anecdote comme celle-là vous fait presque oublier la misère morale d’États inféodés à l’étranger et consentant si aisément au pillage de leurs ressources. Elle donne surtout une idée du mépris abyssal des autorités françaises envers nos dirigeants qui se transforme en une sourde colère au moindre soupçon d’indocilité.

Boubacar Boris DIOP

ÉDITO EDITORIAL


Quatre ans après les faits et, à la veille des élections présidentielles prévues en octobre 2015 – et ce quel que soit le bilan d'Alassane Ouattara – tout laisse à penser que Laurent Gbagbo a été spolié de sa victoire lors d’une gigantesque fraude électorale. Ignominieuse, cette crise politico-militaire, qui a secoué en 2010 et 2011 la Côte d’Ivoire (et par extension tout le reste de l’Afrique de l’Ouest), premier producteur mondial de cacao et ancien pilier de l’empire colonial français, appelle à la reconstitution. Une démarche utile pour les victimes de cette tragédie qui a occasionné des milliers de morts, côté Ouattara et côté Gbagbo. Une enquête nécessaire pour comprendre pourquoi la France, sous couvert de vouloir mettre un terme à un drame humanitaire et faire respecter l’État de droit s’est immiscée dans ce conflit. « L’opinion française ne s’interroge pas assez sur la raison pour laquelle il y a eu une cinquantaine d’interventions françaises dans l’ancien pré carré alors que les pays anglophones d’Afrique, malgré leurs crises et leurs problèmes, ont su imposer leur souveraineté et refusent les interventions extérieures », a souligné l’auteur Boubacar Boris Diop en 2014. Enquête.

"French military came to the gate, one of their tanks smashed through it with cannon fire. Next there was gunfire, and in the smoke I heard: we want Gbagbo! We want Gbagbo! (…) I got up: I am Gbagbo. They took me." Investigation for the dismantling of a judicial-political imbroglio nearing the end. Breathless, frazzled and exhausted by this outlandish situation, Laurent Gbagbo, given victor of the presidential election by the Constitutional Council, is sent to detention at the International Criminal Court in The Hague. For four years, this political-judicial plot in which the "international community" took sides with the liberal Alassane Ouattara continues and sends to the rest of the world inaccurate signals as to the reality of the political and social context at the time. In a rather banal way, in the collective unconscious, there is only the story of an African outgoing president and “sore loser” who faced another candidate during the second round of the presidential election and refused, at the announcement of the results, to leave office. To sum it up, it’s a conflict based on an election result that transformed into a bloody civil war between two interposed camps: the "pro-Gbagbo camp" and the "pro-Ouattara camp". This is the version we know, replicated and modeled by most French media until public opinion becomes saturated with it and believes it to be real: "Ouattara the honorable president and Gbagbo the criminal and genocidal loser". This scenario works as it arranges Françafrique successors and men of corrupt laws. However, some questions remain: who really won the elections and who is benefitting from the crime?

DIRECTRICE DE LA PUBLICATION, PUBLISHER

À bout de souffle, éreinté, exténué par cette situation rocambolesque, Laurent Gbgabo donné vainqueur des élections présidentielles par le Conseil constitutionnel est envoyé en détention à la Cour pénale internationale, à La Haye. Depuis quatre ans, ce complot politico-juridique où la « communauté internationale » prend parti pour le libéral Alassane Ouattara perdure et envoie au reste du monde des signaux inexacts quant à la réalité du contexte politique et social au moment des faits. De manière plutôt banale, dans l’inconscient collectif, il ne s’agit là que de l’histoire d’un président africain sortant et mauvais perdant refusant à l’annonce des résultats de quitter le pouvoir. Somme toute, un conflit autour d’un aboutissement électoral qui s’est transformé en une guerre civile sanglante avec deux camps interposés : le camp « pro-Gbagbo » et le camp « pro-Ouattara ». Voilà la version multipliée, répliquée et calquée par la plupart des médias français jusqu’à ce que l’opinion publique s’en imprègne et la conçoive comme véritable : Ouattara le président honorable et Gbagbo le criminel. Ce scénario fonctionne et arrange les tenants de la Françafrique. Toutefois, quelques questions subsistent : qui a réellement gagné les élections et à qui profite le crime ?

Priscilla WOLMER

« Des militaires français sont venus devant le portail, un de leurs chars l’a défoncé à coups de canon. Il y a eu ensuite des coups de feu, des rafales, et dans la fumée, j’ai entendu : on veut Gbagbo ! On veut Gbagbo ! (…) Je me suis levé : c’est moi Gbagbo. Ils m’ont saisi. » Enquête pour le démantèlement d’un imbroglio juridico-politique à la fin proche.

Four years after the fact, and on the eve of presidential elections in October 2015 – whatever Alassane Outtara's track record is – and everything suggests that Laurent Gbagbo was robbed of his victory through a gigantic electoral fraud. Ignominious, this political and military crisis which shook in 2010 and 2011 the Ivory Coast (and by extension all the rest of West Africa), the world’s leading producer of cacao and former pillar of the French colonial empire, calls for recovery. A recovery useful for the victims of this tragedy that left thousands dead on both the Ouattara and Gbagbo sides. A useful recovery to understand why France, under the guise of wanting to end a humanitarian drama and enforce the rule of law, interfered in this conflict. "French opinion does not wonder enough about the reason for which there have been around fifty French interventions in their former backyard while the Anglophone African countries, despite their crises and problems, knew how to impose their sovereignty and refused foreign interventions" highlighted author Boubacar Boris Diop in 2014. Investigation.

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© Michael Fleshman

par Sandra WOLMER

CÔTE D'IVOIRE : LE VOILE ENFIN LEVÉ ! « LAURENT GBAGBO, ACCROCHÉ AU POUVOIR JUSQU'AU BOUT, ENFIN ARRÊTÉ ». MAL EN PRIT À L’AGENCE FRANCE PRESSE D’AFFUBLER DE CE TITRE SA DÉPÊCHE DU 11 AVRIL 2011 POUR ÉVOQUER L’ARRESTATION DE L’EX-PRÉSIDENT IVOIRIEN. « ENFIN », CES CINQ PETITES LETTRES LÂCHÉES TEL UN OUF DE SOULAGEMENT AURONT SUFFI À PIQUER AU VIF LA CURIOSITÉ DE FANNY PIGEAUD. DANS SON NOUVEL OUVRAGE FRANCE-CÔTE D’IVOIRE : UNE HISTOIRE TRONQUÉE, LA JOURNALISTE RESTITUE SON TRAVAIL D’ENQUÊTE LONG DE DEUX ANS ET DEMI, LEQUEL DÉCRYPTE LES TENANTS ET ABOUTISSANTS DE LA CRISE IVOIRIENNE QUI AURA SECOUÉ CE PAYS DÈS LE DÉBUT DES ANNÉES 2000. DE QUOI APAISER LE GOÛT AMER QU’AURA LAISSÉ CHEZ CERTAINS LA DÉLIVRANCE D’UNE INFORMATION CLAIREMENT GALVAUDÉE. DE QUOI SATISFAIRE LA CURIOSITÉ DE TOUS CEUX À QUI TIENT À CŒUR LA COMPRÉHENSION DES ROUAGES DE CETTE PÉRIODE DE TROUBLES SUR LA BASE D’ÉLÉMENTS FIABLES. ZOOM SUR UN RÉÉQUILIBRAGE JOURNALISTIQUE SAVAMMENT OPÉRÉ.

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IVORY COAST: FINALLY THE VEIL IS LIFTED! "LAURENT GBAGBO, CLINGING TO POWER UNTIL THE VERY END, FINALLY ARRESTED". THE AGENCE FRANCE-PRESSE, MISSED A STEP IN TITLING ITS WIRE STORY ON APRIL 11TH 2011 MENTIONING THE ARREST OF THE IVORIAN EX-PRESIDENT. "FINALLY", THESE SEVEN LETTERS RELEASED AS A SIGH OF RELIEF WOULD HAVE SUFFICED TO PIQUE THE CURIOSITY OF FANNY PIGEAUD. IN HER NEW WORK FRANCE-CÔTE D’IVOIRE: UNE HISTOIRE TRONQUÉE, THE JOURNALIST RETURNS TO HER INVESTIGATIVE WORK OF TWO AND A HALF YEARS, IN WHICH SHE DECIPHERS THE INS AND OUTS OF THE IVORIAN CRISIS THAT SHOOK THE COUNTRY IN THE BEGINNING YEARS OF 2000. ENOUGH TO SOOTHE THE BITTER TASTE THAT WILL HAVE BEEN LEFT BEHIND FOR SOME AT THE PRIOR DELIVERANCE OF CLEARLY INADEQUATE INFORMATION. ENOUGH TO SATISFY THE CURIOSITY OF ALL THOSE WILLING TO UNDERSTAND THE WORKINGS OF THIS PERIOD OF UNREST ON THE BASIS OF RELIABLE INFORMATION. A CLOSER LOOK AT A CAREFULLY CRAFTED JOURNALISTIC REBALANCING.


54 ÉTATS : Après avoir abordé le cas camerounais*, vous avez décidé de vous pencher sur la crise ivoirienne : qu’est-ce qui vous a conduit à vous pencher sur ce dossier ? Fanny Pigeaud (F. P.) : Je me suis intéressée à la crise post-électorale de 2010/2011 qui a opposé Laurent Gbagbo, président sortant, à Alassane Ouattara, parce que j’avais l’impression, même si je ne connaissais alors pas bien l’histoire récente de la Côte d’Ivoire, que tout n’avait pas été dit sur ce sujet. J’avais été stupéfiée par les bombardements sur Abidjan décidés et exécutés par l’ONU et la France – un fait inédit ! – et je ne comprenais pas comment un contentieux électoral avait pu déboucher sur une telle opération. Rapidement, j’ai rencontré des interlocuteurs qui avaient des choses à dire sur la question. Grâce à eux, j’ai eu non seulement la confirmation que, en effet, tout n’avait pas été dit, mais aussi que l’histoire officielle ne correspondait pas à la réalité. 54 ÉTATS : Votre ouvrage s’intitule France-Côte d’Ivoire, une histoire tronquée, lequel pointe l’existence de vides, quels sont-ils ? F. P. : Dans ce livre, je reconstitue l’histoire récente de la Côte d’Ivoire depuis le début des années 1990 jusqu’à la fin de la crise post-électorale. Mon enquête m’a permis de voir que dès l’arrivée de Laurent Gbagbo à la présidence, en 2000, les médias occidentaux, notamment, ont relaté les événements de manière biaisée. Cela a été la même chose jusqu’à l’élection présidentielle de 2010 : les Occidentaux ont fait croire, par exemple, que ce scrutin s’était déroulé dans des conditions correctes, ce qui n’était pas le cas en réalité. Le véritable enjeu de la crise et de la guerre a été passé sous silence, alors qu’il était assez évident : les autorités françaises voulaient à tout prix se débarrasser de Gbagbo, qui gênait les intérêts français dans la région et dont la personnalité déplaisait aux officiels français. 54 ÉTATS : La presse française, dans sa grande majorité, a pris fait et cause pour Alassane Ouattara durant toute la crise. Peut-on parler d’un manque de discernement ou s’agit-il d’un manque d’indépendance vis-à-vis de l’Élysée ? F. P. : L’histoire montre qu’ils ont en effet, dans leur grande majorité, suivi le discours officiel de l’Élysée, du Quai d’Orsay, de l’armée française, du monde des affaires, qui penchaient pour Ouattara. Je donne dans le livre des pistes d’explications sur leur attitude. Il y a eu bien sûr des raisons politiques et économiques. Et il y a aussi eu, je crois, un aspect psychologique qu’il ne faut pas négliger : la société française conserve un regard profondément colonial sur les pays africains, partagé par la plupart des journalistes. Ces derniers, du coup, ne s’interrogent pas du tout, ou pas assez, sur ce à quoi ils assistent en Afrique.

54 ÉTATS: After taking on the Cameroonian project*, you decided to address the Ivorian case: what is it that attracted you to this? Fanny Pigeaud (F. P.): I was interested in the post-election crisis of 2010/2011 that pitted Laurent Gbagbo, the outgoing president, against Alassane Ouattara, because it seemed, even though at the time I didn’t know the recent history of the Ivory Coast, that not everything had been said about this subject. I was stupefied by the bombing on Abidjan decided and executed by the UN and France–an unprecedented event!–and I did not understand how electoral disputes could have led to such an operation. Shortly after this, I made contacts who had things to say on this issue. Thanks to them, I not only got the confirmation that, in fact, not everything had been said, but also that the official story did not correspond with the reality. 54 ÉTATS: Your work titled France-Côte d’Ivoire, une histoire tronquée, points to the existence of gaps in the story. What are these gaps? What hasn’t been revealed? F. P.: In this book, I reconstruct the recent history of the Ivory Coast from the beginning of the 1990s until the end of the post-election crisis. My investigation allowed me to see that since the arrival of Laurent Gbagbo to the presidency in 2000, western media, notably, covered the events in a biased way. It continued like this until the presidential election of 2010: the West made you believe, for example, that the election had been conducted fairly, which in reality was not the case. But the real issue of the crisis and the largely ignored war was pretty obvious: French authorities wanted to get rid of Gbagbo at all cost, as he was hindering French interests in the region and his personality displeased French officials. 54 ÉTATS: The vast majority of the French press, has spoken out for Alassane Ouattara throughout the crisis. Could we talk about the lack of discernment or is it about the lack of independence vis-à-vis the Élysée?

© World Economic Forum

F. P.: History shows that actually they have, for the most part, followed the official statements from the Élysée, the Quay of Orsay, the French army and the business world that leaned toward Ouattara. In the book I offer explanations for their attitude. There were of course political and economic reasons. And there also was, I believe, a psychological aspect that we cannot overlook: French society maintains a deeply colonial view of African countries, shared by most journalists. The latter, as a result of this, do not question at all, or enough, what they are watching unfold in Africa. 17


54 ÉTATS : Définiriez-vous Laurent Gbagbo comme la victime d’une Côte d’Ivoire instrumentalisée et celle-ci comme un pays condamné à l’ingérence française ? F. P. : Un ancien ambassadeur de France en Côte d’Ivoire, Gildas Le Lidec, a dit récemment dans une interview avec la documentariste Nicoletta Fagiolo que l’on n’avait « pas donné beaucoup de chances à Gbagbo ». La France officielle a en effet toujours lutté contre lui. Lui-même s’est laissé prendre dans le piège qui lui était tendu et il n’a pas permis à la Côte d’Ivoire de s’émanciper de la tutelle française. Mais la guerre qui a été menée contre lui et son pays va laisser des traces : une grande partie des Ivoiriens ne verront plus la France de la même manière. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’explique à la fin du livre que la France a eu une politique de courte vue qui risque de la conduire vers un sérieux échec en Afrique. 54 ÉTATS : Vous faites allusion aux « réseaux » dont Gbagbo n’aurait pas bénéficié : pouvez-vous préciser vos propos ? Quels ont été ces soutiens aux pires instants ? F. P. : Ouattara a bénéficié de nombreux appuis dans les milieux occidentaux : diplomatiques, financiers, médiatiques, politiques, etc. On ne s’est d’ailleurs pas assez intéressé à son parcours et à son impressionnant carnet d’adresses, qui compte entre autres le président français Nicolas Sarkozy et le milliardaire et spéculateur américain George Soros. À l’inverse, Gbagbo n’a pas développé un réseau important. Il était soutenu par de nombreux chefs d’États africains, mais qui n’avaient pas beaucoup d’envergure diplomatique et qui avaient peur de représailles venues de Paris. Les pressions de la France ont été en plus très fortes sur l’Union africaine, si bien que l’Afrique du Sud, principal allié de la Côte d’Ivoire sur le continent, a fini par renoncer à le soutenir.

© Michael Feleshman

54 ÉTATS: Would you define Laurent Gbagbo as the victim of an exploited Ivory Coast and the Ivory Coast as a country condemned to French interference? F. P.: A former French ambassador in the Ivory Coast, Gildas Le Lidec, recently said in an interview with the documentary maker Nicoletta Fagiolo that we had “not given Gbagbo enough of a chance”. Officially France has always fought against him. He himself was caught in the trap that held him and prevented the Ivory Coast from freeing itself from French rule. But the war that was led against him and his country will leave traces: many Ivorians will no longer look at France the same way again. It’s one of the reasons for which I explain at the end of the book that France has a shortsighted policy that risks driving it toward a serious failure in Africa. 54 ÉTATS: You make an allusion to « networks » to which Gbagbo would not have had access: can you clarify this? What were these supports? F. P.: Ouattara received widespread support from western diplomatic, financial, media, political, etc… circles. Scant regard has been given to his journey and impressive address book which contains among others former French president Nicolas Sarkozy and billionaire American investor George Soros. On the contrary, Gbagbo did not develop a major network. He was supported by numerous African heads of state, but they didn’t have much diplomatic scope and they were afraid of retaliation coming from Paris. In addition, French pressure was very heavy on the African Union, so much that South Africa, the Ivory Coast’s main ally on the continent, ended up renouncing their support.

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France Côte d'ivoire, une histoire tronquée Éditions Vents d'ailleurs par Fanny Pigeaud.

FANNY PIGEAUD JOURNALISTE DE TERRAIN, CORRESPONDANTE POUR DES MÉDIAS FRANÇAIS DANS PLUSIEURS PAYS AFRICAINS, REVIENT SUR L’HISTOIRE DE CETTE CRISE. À LA VEILLE D’UNE NOUVELLE ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE PRÉVUE EN OCTOBRE 2015, ELLE DÉROULE À NOUVEAU LES FAITS POUR DISTINGUER LE VRAI DU FAUX, DÉMONTE LE MÉCANISME QUI A MENÉ LA CÔTE D’IVOIRE VERS LA GUERRE ET APPORTE DES INFORMATIONS INÉDITES SUR LE RÔLE DE LA FRANCE. RIGOUREUSE ET DÉTAILLÉE, SON ENQUÊTE NOUS PLONGE AU CŒUR DES RELATIONS ENTRE LA FRANCE ET LA CÔTE D’IVOIRE. C’EST LE RÉCIT D’UNE HISTOIRE VIOLENTE, TRONQUÉE.

* Fanny Pigeaud est également l’auteur de Au Cameroun de Paul Biya, Karthala (2011)


54 ÉTATS : Votre sentiment au sujet d’éventuelles responsabilités de Gbagbo dans les violences meurtrières découlant de cette crise politique. En est-il l’instigateur ou serait-il la victime de son propre camp ?

54 ÉTATS: Tell us about your feelings on the subject of Gbagbo’s potential liabilities in deadly violence arising from this political crisis. Was he the instigator or the victim of his own camp?

F. P. : Il est évident qu’il y a eu des violences de part et d’autre. Dans le livre, j’en donne le déroulement. On peut voir que les violences ont commencé entre les deux tours de l’élection présidentielle, avec des attaques contre des forces de sécurité lancées par des membres de ce qu’on appellera plus tard le « commando invisible », combattant pour Ouattara. Les forces armées des Forces nouvelles, la rébellion « pro-Ouattara », ont aussi préparé la guerre avant même l’élection et mené des attaques dans l’ouest du pays dès le lendemain du second tour de la présidentielle. Les forces de sécurité se préparaient de leur côté à riposter. Et c’est ce qu’elles ont fait. On leur a attribué plusieurs événements violents et graves, mais ce que j’ai découvert montre que les accusations ne reposent pas sur des bases solides et qu’il y a eu beaucoup de manipulations.

F. P.: It is clear that there was violence on both sides. In the book, I give the sequence of events. We can see that the violence started between the two rounds of the presidential election, with attacks against the security forces launched by members of what we will later call the “invisible commando”, fighting for Ouattara. The armed forces of the New Forces, the pro-Ouattara rebellion, also prepared for war even before the election and led attacks in the west of the country from the day after the second round of the election. Security forces prepared from their side to fight back. And that’s what they did. We attributed several violent and serious events to them, but I discovered that the accusations do not rest on solid ground and there were a lot of manipulations.

54 ÉTATS : Quels sont les échos qui vous parviennent d’Abidjan et de toute la Côte d’Ivoire ? Le fait de voir un ancien président livré à la Cour pénale internationale et quelques criminels patentés occuper des responsabilités au sommet de l’État n’est-il pas une bombe à retardement ? Autrement dit : après Ouattara, retour au chaos ?

54 ÉTATS: What feedback are you getting from Abidjan and from all of the Ivory Coast? Seeing a former president taken to the International Criminal Court and some dangerous criminals assuming responsibilities at the highest levels of government, isn’t it just a time bomb? To put it another way: after Ouattara, will there be a return to chaos?

F. P. : La politique de la force employée par Paris et ses alliés a créé de manière évidente plusieurs bombes à retardement. Les dizaines de milliers d’armes qui circulent toujours, les anciens combattants « pro-Ouattara » qui s’estiment mal rétribués pour les services rendus, l’impunité dont jouissent les chefs de guerre « pro-Ouattara » qui ont commis des crimes graves – notamment dans l’ouest du pays où des centaines de personnes ont été tuées dans des conditions atroces –, les dizaines de milliers de personnes réfugiées dans les pays voisins depuis 2011, sont autant d’éléments qui pèsent sur le futur du pays. Il y a déjà de fortes tensions au sein du pouvoir pour la succession de Ouattara. C’est impossible de savoir de quoi sera fait l’avenir, mais il est évident qu’il y a de nombreuses raisons de s’inquiéter.

F. P.: The policy of the force used by Paris and its allies created several time bombs. The tens of thousands of weapons that are still circulating, the former “pro-Ouattara” fighters who consider themselves underpaid for their services, the impunity enjoyed by the “pro-Ouattara” war leaders who have committed serious crimes– notably in the west of the country where hundreds of people were killed under atrocious conditions, the tens of thousands of people who now find themselves refugees in neighboring countries since 2011, are all elements that weigh heavily on the future of the country. There are already strong tensions at the heart of power for Ouattara’s succession. It’s impossible to know what the future may hold, but it is clear that there are numerous reasons to worry.

54 ÉTATS : Au regard de vos recherches, comment envisagez-vous le prochain rendez-vous de Laurent Gbagbo avec ces accusateurs à La Haye ? Et surtout, en cas d’acquittement, quelle incidence cette libération pourrait-elle avoir sur la suite des événements en Côte d’Ivoire ?

54 ÉTATS: Regarding your research, how do you imagine Laurent Gbagbo’s next meeting with his accuser in The Hague? And above all, in the event of an acquittal, what impact could this liberation have on the aftermath of events in the Ivory Coast?

F. P. : Le procès de Gbagbo va vraisemblablement durer plusieurs années. Pour l’instant, tout semble indiquer que la Cour pénale internationale, comme les Nations unies, est un instrument politique aux mains de ceux qui la contrôlent : elle a pris plusieurs décisions pour le cas Gbagbo qui font douter de son impartialité. L’ancien Premier ministre ivoirien Charles Konan Banny, du PDCI, qui était dans l’opposition sous Gbagbo, a dit récemment que « la moitié des Ivoiriens » souhaitait que Laurent Gbagbo soit libéré. Cela paraît en effet assez évident. Si Gbagbo était acquitté et libéré, cela aurait, c’est certain, un impact considérable en Côte d’Ivoire, mais aussi en Afrique en général.

F. P.: Gbagbo’s trial will likely drag out for several years. For now, everything seems to indicate that the International Criminal Court, like the United Nations, is a political instrument in the hands of those who control it: it made many decisions for the Gbagbo case that cast doubts on its impartiality. The former Ivorian Prime Minister Charles Konan Banny, of the PDCI, which was in opposition under Gbagbo, recently said that “half of all Ivorians” wanted Laurent Gbagbo freed. That seems pretty obvious in fact. If Gbagbo is acquitted and freed, that could, it’s certain, have a considerable impact in the Ivory Coast, but also in Africa in general. Translated by Rachel Wong

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QUAND LA FRANÇAFRIQUE SE FÂCHE… par Hervé PUGI

WHEN FRANÇAFRIQUE GETS ANGRY… by Hervé PUGI

© zak le champignon

L’HISTOIRE EST TOUJOURS ÉCRITE PAR LES VAINQUEURS. C’EST BIEN CONNU. DE PAR CE SIMPLE FAIT, IL Y A INCONTESTABLEMENT URGENCE À METTRE NOS PAS DANS CEUX DU PHILOSOPHE ALLEMAND WALTER BENJAMIN, INSPIRATEUR DE CETTE PENSÉE, AFIN DE SORTIR D’UN PESANT OUBLI ET D’UN INTOLÉRABLE SILENCE DE LA MÉMOIRE. L’HISTOIRE EST TOUJOURS ÉCRITE PAR LES VAINQUEURS MAIS COMBIEN DE CHAPITRES DE CE QUE L’ON A APPELÉ LA « CRISE IVOIRIENNE » ONT ÉTÉ SAVAMMENT GRIFFONNÉS À PARIS ? PLUS QUE CELUI DU CLAN OUATTARA ET DE SES ALLIÉS, LE RENVERSEMENT DE LAURENT GBAGBO AURA BEL ET BIEN ÉTÉ LE TRIOMPHE DE LA FRANCE.

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HISTORY IS ALWAYS WRITTEN BY THE VICTORS. THIS IS A WELL-KNOWN FACT. AND BECAUSE OF THIS SIMPLE FACT, THERE IS AN INCONTESTABLE URGENCY TO PUT OURSELVES INTO GERMAN PHILOSOPHER WALTER BENJAMIN’S SHOES, THE INSTIGATOR OF THIS IDEA, IN ORDER TO LEAVE BEHIND THE HEAVY OVERSIGHT AND THE INTOLERABLE SILENCE OF MEMORY. HISTORY IS ALWAYS WRITTEN BY THE VICTORS BUT HOW MANY CHAPTERS OF WHAT WE ARE CALLING THE “IVORIAN CRISIS” HAVE BEEN ARTFULLY PENNED IN PARIS? MORE THAN THOSE OF THE OUATTARA CLAN AND ITS ALLIES, THE OVERTHROWING OF LAURENT GBAGBO WILL INDEED HAVE BEEN FRANCE’S VICTORY.


a sémantique. Voilà l’arme de destruction massive qui aura fini par torpiller tout espoir d’un règlement pacifique d’une crise électorale (initialement née dans la scission du pays), comme il y en a malheureusement tant en Afrique, mais surtout réduit à néant toute possibilité d’une réconciliation nationale sur des bases saines. À ce petit jeu, la diplomatie française aura joué sur toutes les ressources d’une langue riche en nuances pour marteler un discours qui aura conditionné l’opinion publique et, pire encore, les médias. Aveugles pour certains, complices pour d’autres. Constat accablant. Quand Laurent Gbagbo devient un chef de guerre et qu’Alassane Ouattara revêt, sans discussion possible, le costume d’homme d’État dans les colonnes du magazine Le Point, un exemple parmi tant d’autres, c’est que l’intox bat son plein. La version officielle, distillée tel un poison à action prolongée, se lit dans ce qui ne sont désormais que des archives qui seront inévitablement balayées par le temps : le jusqu’au-boutisme d’un « trublion gauchisant » aurait ainsi obligé « Paris à s’impliquer militairement ». Le journalisme n’est décidément plus ce qu’il était. Face aux assauts médiatiques, qui – finalement – s’est penché sur la communication d’une France en guerre contre un pays dont l’indépendance reste à conquérir ? Il faut dire que la France, reconnaissons-le, ne manque pas de scénaristes de talent qui auront su tenir en haleine, pendant dix longues années, un auditoire captif pour lui offrir la fin attendue par tous. Écrite depuis le commencement surtout. Et quels auteurs ! De Chirac à Sarkozy, en passant par de Villepin, Longuet ou Guaino, tous auront apporté leur touche à un storytelling qui en dit long sur ce qu’est, aujourd’hui encore, cette Françafrique qui refuse de mourir malgré les mille promesses des locataires de l’Élysée.

emantics. This is the weapon of mass destruction that will end all not only by torpedoing any hope of a peaceful resolution of an electoral crisis (born from the splitting of the country), that is sadly so common in Africa, but also by destroying the possibility of a national reconciliation on solid ground. With this strategy, French diplomacy will have played on all of its resources of a language rich in nuances in order to emphasize a discourse that will have conditioned public opinion and, even worse, the media. Blind for some, complicit for others. A gloomy conclusion. When Laurent Gbagbo becomes a “war leader” and Alassane Ouattara resurfaces, without any possible argument, the suit of the statesman appearing in the columns of the magazine Le Point, one example among many others, it is speculation that is in full swing. The official version is read in that which is now only archived and will be inevitably brushed off by time: the proficient effort of a “leftist troublemaker” forced “Paris to get involved militarily”. Journalism is undoubtedly no longer what it once was. Faced with media onslaughts who finally considered the communication of a France in war against a country where independence remains to be conquered? It must be said that France does not lack talented screenwriters who will be able to hold a captive audience spellbound for ten long years to offer an awaited end for everyone. Written from the beginning of course. And what talented authors! From Chirac to Sarkozy, passing to Villepin, Longuet or Guaino, all will have carried his torch to the storytelling which says a lot today about this Françafrique that refuses to die despite the one thousand promises from the tenants of the Élysée.

© DR

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« Les États n'ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts », disait le général de Gaulle. Et ils sont si nombreux en Côte d’Ivoire ! Pas touche à la « rente coloniale » issue d’accords viciés de coopérations monétaires qui voient de 50 % des avoirs extérieurs en devises de 15 pays africains obligatoirement mis en dépôts au Trésor public français (contre 65 % auparavant). Pas touche à ces autres accords douteux, ceux de coopération militaire qui maintiennent les anciennes colonies sous une chape de béton… armé. Alors, oui, le « trublion gauchisant » – opposant emprisonné sous la dictature d’Houphouët-Boigny – souhaitait battre monnaie, constituer une armée digne de ce nom, reprendre en main les activités économiques nationales jusque-là (et toujours) sous coupe réglée. Horreur absolue. Gauchiste, Alassane Dramane Ouattara l’est assurément moins. Ancien du Fonds monétaire international, ex-président de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, proche de Nicolas Sarkozy et de nombreux décideurs économiques et politiques influents, ADO apparaissait logiquement comme le candidat parfait, celui du statu quo, pour la « puissance intéressée » (power concerned) afin d’administrer ce « territoire non autonome » (non-selfgoverning territory). Des termes choquants sortis de câbles diplomatiques onusiens, produits par Wikileaks. Voilà qui en dit long sur le lien entre la France et « son » Afrique. Comment de fait s’étonner que Gérard Longuet, alors ministre de la Défense, ait pu saluer la reddition auprès des « forces républicaines » de celui qui « n’avait pas accepté la réalité des suffrages universels » avec l’appui lointain des « forces impartiales » de l’ONUCI et de la force Licorne ? Un vocable repris en cœur. Les vainqueurs transcrivent l’histoire d’une écriture pleine et déliée. Un premier jet sans rature qui plus est. La crise ivoirienne, depuis 2002, n’a jamais cessé d’être narrée que comme celle de ces « irresponsables africains qui ne s’en sortiront pas sans le grand frère français ». Le bombardement de Bouaké a été pour la Côte d’Ivoire ce que les incidents du golfe de Tonkin auront été pour le Viêt Nam. Les accords Kléber : une sorte de congrès de Vienne. L’assaut de la résidence présidentielle, une réminiscence de l’attaque de la Moneda. Allons aussi loin dans la comparaison que certains l’ont été dans la désinformation ! Tout est donc dit et pourtant il reste tant à écrire. Avec des mots remplis de sens. Une nécessité car comme disait un personnage de sinistre mémoire : « quand les mots n’auront plus de sens, nous aurons gagné ».

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“Countries have no friends, they only have interests”, said General de Gaulle. And interests are so numerous in the Ivory Coast! Not to mention the “colonial income” from tainted agreements of monetary cooperation that see from 50 % to 65 % of foreign assets in the currency of 15 African countries inevitably deposited into the French Treasury. Not counting the other shady agreements, those regarding military cooperation that maintain the former colonies under a concrete shell… armed. So yes, the “leftist troublemaker” – challenger imprisoned under the dictatorship of Houphouët-Boigny – wanted to coin money, build an army worthy of its name and regain control of national economic activities systematically. Absolute horror. Leftist, Alassane Dramane Ouattara is assuredly less so. Formerly with the International Monetary Fund, ex-president of the Economic Community of West African States, close to Nicolas Sarkozy and numerous economic decision makers and influential politicians, ADO logically appeared to be the perfect candidate, the status quo, for the “power concerned” to administer this “non-self-governing territory”. Shocking terms gleaned from UN diplomatic cables, produced by Wikileaks. That certainly says something about the link between France and “its” Africa. How surprising that Gérard Longuet, Defense Minister, could meet the surrender of “republican forces” by the one who “hadn’t accepted the reality of universal suffrage” with the distant support of “impartial forces” of UNOCI and Operation Unicorn? An adopted title. The victors transcribe history with an unrestrained hand. A first draft without deletions. The “Ivorian Crisis”, since 2002, never stopped being reported as one of those messes by “irresponsible Africans that could not sort themselves out without help from their big French brother”. The bombing of Bouaké was for the Ivory Coast what the incidents in the Gulf of Tonkin had been for Vietnam, with the Kléber agreements being a kind of Vienna Congress and the assault on the presidential residence reminiscent of the Moneda attack. We are going as far in comparisons as some were in misinformation! So all is said and still there is so much left to write. With words full of meaning. A necessity because like an evil character said: “when the words will hold no more meaning, we will have won”. Translated by Rachel Wong


© United Nation peacekeeper

LA CÔTE D’IVOIRE BASCULE… THE IVORY COAST ROCKED… par Hervé PUGI

2 DÉCEMBRE 2010. ABIDJAN. HÔTEL DU GOLF. YOUSSOUF BAKAYOKO, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION ÉLECTORALE INDÉPENDANTE (CEI), QUI N’EN A QUE LE NOM, PROCLAME LA VICTOIRE D’ALASSANE OUATTARA À L’ISSUE DU 2E TOUR DE LA PRÉSIDENTIELLE DU 28 NOVEMBRE.

DECEMBER 2, 2010. ABIDJAN. GOLF HOTEL. YOUSSOUF BAKAYOKO, PRESIDENT OF THE INDEPENDENT ELECTORAL COMMISSION (INDEPENDENT ONLY IN NAME!), DECLARES THE VICTORY OF ALASSANE OUATTARA AFTER THE SECOND ROUND OF THE PRESIDENTIAL ELECTION ON NOVEMBER 28.

La déclaration se déroule sous les regards, satisfaits, de Philippe Carter III, ambassadeur des États-Unis, et de Jean-Marc Simon, son homologue français, présent « je ne sais plus pourquoi », expliquera-t-il. Il devait y rencontrer le prénommé Guillaume Soro, ça c’est sûr, vous savez, celui qui a été biberonné par « l’autre » avant de s’aventurer avec le putschiste Guéï et de trouver en Ouattara un père. Bref, un modèle de droiture… Et puis il y a les caméras de France 24. Une exclusivité. Beaucoup de hasards dans cette histoire. L’hôtel du Golf ? Ne serait-ce pas le quartier-général d’Alassane Dramane Ouattara, ADO pour les intimes ? Mais oui, bien sûr ! Et puis, « je ne sais plus pourquoi ? » mais c’est là que de nombreux proches de l’Élysée aiment à passer leur temps. Et ADO, lui, où est-il ce 2 décembre au moment où Youssouf Bakayako est « sécurisé » ? Mis sous la haute protection des Casques bleus après son annonce ? Peut-être est-il l’oreille collée à la porte ? On en doute. Possiblement, depuis sa chambre, repense-t-il à la veille du vote où, en compagnie de « l’autre », il cosignait une proclamation appelant au calme les Ivoiriens tout en assurant respecter les règles constitutionnelles ? Ce processus devant aboutir à la validation des résultats et à leur proclamation par le Conseil constitutionnel. Cette institution qui, elle, a vu en « l’autre » le président légitime ! ADO y pense-t-il en soupirant ? Pas sûr. Celui qui s’est un temps présenté comme Burkinabé s’attèle à rédiger cette fameuse lettre, datée du 4 décembre, dans laquelle il s’autoproclame président pendant que « l’autre », encore lui, est investi. Une missive adressée… au Conseil constitutionnel dont il ne reconnaît pas le résultat mais à qui il prête allégeance. Paradoxal, n’est-il pas ?

The declaration takes place under the satisfied eyes of Philippe Carter III, ambassador of the United States, and Jean-Marc Simon, his French counterpart, also present but, in his own words, "I don’t remember why". He was there to meet the named Guillaume Soro, yes you know him, the one who was mentored by "the other one”"before going on adventure with coup instigator Guéï and finding in Ouattara a father. In short, a model of righteousness… And then there are the cameras of France 24. An exclusive. Many accidents in this story. The Golf Hotel? Wouldn’t that be the headquarters of Alassane Dramane Ouattara, aka ADO to his friends? But of course it is! So "I don’t remember why" seems just a tad dubious as this is where many close to the Élysée love to spend their time. And ADO, where was he on December 2 at the moment when Youssouf Bakayako was "secured"? Put under the high level protection of peacekeepers after his announcement? Maybe his ear was glued to the door? We doubt it. Possibly, from his room, he was rethinking the eve of the vote when, in the company of "he other one", he co-signed a proclamation calling on Ivorians for calm and assuring them that the constitutional rules were respected? This process should have led to the validation of results and their proclamation by the Constitutional Council. This institution that saw in "the other one" the legitimate president! Did ADO think about this sighing? Not certain. The one who at times introduced himself as a Burkinabe began work on writing that famous letter, dated December 4, in which he self-proclaimed himself the president while "the other one", was still invested. A letter addressed… to the Constitutional Council that doesn’t recognize the results but to whom he pledges his allegiance. Paradoxical, isn’t it? 23


© MSPAT64

It’s the emotion, without a doubt. The dizzying heights? Maybe. It is this intoxication that pulls a veil over the eyes. This screen of mist, this tiny fog like smoke rising from a bonfire around which his supporters are emerging and will continue to emerge for days. When they are not fighting. The most dedicated dance around millions of ballots that go up in smoke, heresy, rendering all recount impossible. Did you say "democracy"? "The other one" was not the champion of democracy. It seemed. There were fourteen candidates at the starting line! Some outstanding decrees allowed Alassane Ouattara, despite his nationality, and Henri Konan Bédié, excluded by the age limit, to be eligible to run! Not to mention the resources above and beyond what is normally allocated to the IEC! There you have the hateful trap stretched out by the "dictator"! And that one will finish by closing in on itself its alleged instigator. After a decade, cornered, he cannot refuse this election. And if, on the continent, we accept so many other masquerades, he, the toy of fate, knows he cannot come out the winner. Not even alive. And for good reason, the international community has its finger on the trigger.

L’émotion, sans doute. Le vertige des sommets ? Peut-être. C’est cette ivresse qui dresse un voile devant les yeux. Cet écran de brume, ce brouillard infime qui s’élève des feux de joie autour desquels s’ébrouent et s’ébroueront des jours durant ses partisans. Quant ils ne font pas le coup de poing. Les plus dévoués, eux, dansent autour des millions de bulletins de vote qui partent en fumée, une hérésie, rendant tout recomptage impossible. Vous avez dit « démocratie » ? « L’autre » n’en était pas le chantre. Il paraît. Quatorze candidats sur la ligne de départ ! Des décrets exceptionnels permettant à Alassane Ouattara, malgré sa nationalité, et Henri Konan Bédié, exclu par la limite d’âge, de se présenter ! Sans parler des moyens hors normes alloués à la CEI ! Voilà donc le piège odieux tendu par le « dictateur » ! Et celui-ci va finir par se refermer sur son prétendu instigateur. Après une décennie, acculé, il ne peut refuser ce scrutin. Et si, sur le continent, on accepte pour tant d’autres les mascarades, lui, jouet de la fatalité, sait ne pouvoir en sortir vainqueur. Pas même vivant. Et pour cause, la communauté internationale a le doigt sur la gâchette.

© Olmo

m ny Whittingha

© Antho

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Calvo R

odrigue

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Si Paris vaut bien une messe, Abidjan vaut bien un mensonge, non ? L’ami Nicolas a pu le dire à son cher Alassane. Sarkozy, quel ami ! Le meilleur. Seul Kadhafi ne confirme pas. Bien plus fidèle en tout cas que les Socialistes de Solférino qui ont tous, ou presque, abandonné leur camarade ivoirien ! Parce que, même au PS, « l’autre » on l’a laissé tomber, « je ne sais plus pourquoi ? » Sinon parce que le « politicard » français, de gauche comme de droite, n’hésitera jamais à prostituer Marianne pour quelques sous, quitte à se trainer dans la boue. Et puis les droits de l’homme ne sont pas ceux de l’Africain, ce bon sauvage qui « n’est pas assez entré dans l’Histoire ». Alors, que fait ADO dans sa chambre ce 2 décembre ? Il attend. Il attend le 11 avril 2011 qu’on lui a promis. Ce feu d’artifice. Cette fête de la libération qui n’est clairement pas celle de l’indépendance. Celle-là, il ne la souhaite pas. Il est serein. Sûr de son fait. Parce que lui a compris que l’ordre mondial, prôné par l’ONU, ne signifie pas l’équité. Par « ordre », il faut entendre : « rien ne doit dépasser ». Et ça, « l’autre », Laurent Gbagbo ne l’a jamais admis. « Tant pis », c’est sûrement ce que se dit ADO face au miroir. Il est le vainqueur de la France et Gbagbo le perdant de tout un pays, tout un continent.

Despite her dirty lies in Abidjan, Paris will always put her best foot forward. Friend Nicolas could say it to his dear Alassane. Sarkozy, what a friend! The best. Only Gaddafi does not confirm it. In any case, certainly more loyal than Solférino’s Socialists who all, or nearly all, abandoned their Ivorian comrade, Gbabgo! Because, even for the Socialist Party, they forgot "the other one" and they "don’t remember why"! If not because the French "politico" from the left as well as the right, will never again hesitate to prostitute Marianne for a few pennies. And so human rights are not those of the African, this noble savage who "has not quite made a mark in history". So what was ADO doing in his room on December 2? He was waiting. He waited until the promised eleventh of April, 2011. These April 11th fireworks. This April 11th release party that was clearly not one of independence. He does not wish for "the other one’s" release. He was serene. Sure of himself. Because he understood that the world order, advocated by the UN, does not mean fairness. By "order", we must understand: "nothing must exceed”. And "the other one", Laurent Gbagbo never admitted it. "Too bad" is surely what ADO must say to himself in the mirror. He is France’s winner and Gbagbo the loser of an entire country, an entire continent.

© United Nation peackeeper

Translated by Rachel Wong

LES BULLETINS DE VOTE SONT PARTIS EN FUMÉE

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HIS MISTAKE, LIKE A GOOD DEMOCRAT, WAS HAVING DEMANDED THE RECOUNT OF VOTES

© The African

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DANCE WITH TIME par Priscilla Wolmer

L’ÊTRE HUMAIN SE JOUE DE LA MORT ET LA RENVOIE À UN HORIZON LOINTAIN, MAIS LAURENT GBAGBO EST PLUS QUE VIVANT ET LOIN D’ÊTRE MORT ! AVEC SIMONE GBAGBO QU’IL AIME, LEUR COMBAT RESTE INTACT : LA LIBERTÉ DE LA CÔTE D’IVOIRE… MIEUX, LA LIBERTÉ DE TOUT UN CONTINENT ! RÉTROSPECTIVE.

HUMAN BEINGS PLAY WITH DEATH AND REASSIGN IT TO DISTANT SHORES, BUT LAURENT GBAGBO IS MORE THAN SIMPLY LIVING AND CERTAINLY FAR FROM DEATH! WITH SIMONE GBAGBO WHOM HE LOVES, THEIR BATTLE REMAINS INTACT: THE IVORY COAST’S FREEDOM…EVEN BETTER, THE ENTIRE CONTINENT’S FREEDOM! RETROSPECTIVE.

Cette lumière maussade du Nord qui lui crève les yeux et éclaire les murs du centre carcéral de Scheveningen ne sera bientôt plus qu’un malheureux souvenir. Laurent Gbagbo est l’un des acteurs du feuilleton politique de l’année 2011. Révélé par certains auteurs français, l’existence d’un complot juridico-politique envers le président Laurent Gbagbo a fini par déclencher un soutien international envers cet homme courageux, franc et sincère, qui ne s’est pas dérobé après avoir été déclaré vainqueur de l’élection présidentielle de novembre 2010. Son tort en bon démocrate est d’avoir exigé le recomptage des votes du scrutin du second tour dans le but de rétablir la vérité. En l’attente de l’ouverture de son procès, il danse avec le temps.

This surly light form the North that blinds the eyes, and illuminates the walls of the correctional center of Scheveningen will soon be nothing more than a bad memory. Laurent Gbagbo is one of the actors in the political drama of 2011. Shared by some French authors, the existence of a legal-political conspiracy around Laurent Gbagbo ended by triggering international support for this brave and sincere man who did not shy away after having been declared the victor in the presidential election in November 2010. His mistake, like a good Democrat, was having demanded the recount of votes in the second round, in order to establish the truth. While awaiting the start of his trial in January 2016, he is dancing with time.

En quatre ans, la désarchitecturation de son espace vital aurait pu le plonger dans le désarroi et l'obscurité des bas-fonds. Là-bas, l’historien devenu président existe entre deux espaces-temps, et les vit comme modes duels, dans une même actualité : l’espace-temps de sa cellule où il vit biologiquement, et l’espace-temps où il se déporte sensoriellement, enveloppé par les chaleurs humides ivoiriennes. Sans Gbagbo, la Côte d’Ivoire continuera à surfer sur les clivages temporels et topiques d’une réalité mortifère bloquée en 2011 et sur l’angoisse d’un univers de putsch permanent... À moins que, l’opposition se rallie à son mot d’ordre : « Asseyons-nous et discutons ! » La libération du président sera un acte d’apaisement majeur pour la réconciliation en Côte d’Ivoire.

In four years, the destructuring of his vital space could have plunged him into the disarray and darkness of the underworld. Over there, the historian turned president exists between two places in space and time and lives them in dual modes, in the one reality: space and time of his cell where he lives physically, and in the other space and time where he travels within his thoughts enveloped in the humid Ivorian heat. Without Gbagbo, the Ivory Coast will continue to surf temporal and topical rifts of a mortifying reality blocked in 2011 and with fear of a permanent coup... Unless, the opposition endorses its slogan: "Let’s sit down and talk!” The liberation of the president will be a major act of appeasement toward reconciliation in the Ivory Coast.

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« L’ÊTRE EST LE TEMPS », DISAIT HEIDEGGER.

“BEING IS TIME” SAID HEIDEGGER.

En novembre dernier, il déclarait sa candidature à la présidence de son parti, le Front populaire ivoirien (FPI). En attente de l’ouverture de son procès, les Ivoiriens s’interrogent tant un corps invisible est un corps fantôme. Le pouvoir s’en frotte les mains et voit en cela l’affaiblissement du FPI ; quand d’autres, lucides, se laissent gagner par une psychose rythmée par le mécanisme « tic-taquant » qui pulse à leur poignet… Et si des négociations étaient en cours ? Cela expliquerait le silence de son équipe de défense menée par Maître Altit, qui jamais en quatre ans n’a convoqué la presse au nom de son client ; bien que l’opinion publique comprenne que la confidentialité et la discrétion soient pour eux des points essentiels.

Last November, he announced his candidacy for the presidency on behalf of his party, the Ivorian Popular Front (FPI). While waiting for the opening of his trial, Ivorians are wondering all the more as his lack of physical presence leaves much uncertainty. The opposition rubbed its hands in anticipation and saw in this the weakening of the FPI; when others, lucid, let themselves win with a psychosis punctuated by the sound of “tic-toc” on their wrists… And if negotiations were in progress? That would explain the silence of his defense team led by Mr. Altit, who in four years has never summoned the press on behalf of his client; even though public opinion understands that confidentiality and discretion are two essential points for them.

Pour éviter l’asphyxie, Laurent Gbagbo a effectué une percée en avant, et tous savent que rien ne se réglera dans le pays sans qu’il ne soit associé au débat politique. Mais cette percée en avant est jonchée de cadavres et de victimes ivoiriennes. Quelqu’un devra bientôt répondre de ces crimes. L’arroseur, tel un rottweiler au pouvoir, pourrait bien finir arrosé. Alors, à la veille des élections d’octobre 2015 et du procès attendu début 2016, les murs de la Cour pénale internationale (CPI) et de la présidence ivoirienne tremblent… Comme Œdipe, tous ces hommes politiques, hommes de loi ou autres militants préfèrent ne rien voir, les yeux bandés sur la scène imaginaire d’une guerre ivoirienne racontée, fomentée par la presse et la communauté internationale. Ces hommes ne peuvent pas prétendre vouloir enfermer les fantômes du passé dans un coffre ou une prison pour qu’ils cessent de venir les hanter. « D’après les trois juges en charge de la chambre préliminaire III, le dossier est vide et ne repose sur aucune preuve suffisante ». Plus de quatre ans après son transfert à La Haye, le président Laurent Gbagbo est maintenu en détention au motif principal que le Bureau du Procureur de la CPI peine à étayer la moindre culpabilité contre lui. La lecture de la version publique contenant les observations écrites de la défense révèle, au-delà de toutes les attentes, la faiblesse incommensurable des prétendues charges pouvant peser sur Laurent Gbagbo. Si la justice internationale est réellement indépendante et ce procès uniquement juridique, la relaxe du président Gbagbo ne devrait pas tarder à arriver.

To prevent suffocation, Laurent Gbagbo has made a breakthrough, and everyone knows that nothing will be solved in the country without being associated with the political debate. But this breakthrough is littered with Ivorian cadavers and victims. Someone will soon answer for these crimes. Like a Rottweiler in power, Ouattara could very well see the tables turned. So, at the eve of the election in October 2015 and of the trial in January 2016, the walls of the International Criminal Court (ICC) and of the Ivorian presidency are shaking …like Oedipus, all of these politicians, legislators or activists, prefer to see nothing, their eyes bandaged at the imaginary scene of an Ivorian war, created by the press and international community. These men cannot pretend to want to lock up ghosts of the past in a coffin or prison to keep them from continuing to haunt. "After the three judges in charge of the preliminary chamber III, the file is empty and is not based on sufficient evidence". More than four years after his transfer to The Hague, President Laurent Gbagbo remains in detention on the grounds that the prosecutor’s office of the ICC barely supported any guilt against him. The public version, containing written observations of the defense reveal, beyond all expectations, the immeasurable weakness of allegations and the trial weighing on Laurent Gbagbo. If international justice is truly independent and the trial only legal, relief for President Gbagbo will not delay in reaching him.


UN AFRICAIN COMME VOUS

CE QUE VEUT LAURENT GBAGBO, DU FIN FOND DE SA CELLULE, C’EST UNE CÔTE D’IVOIRE LIBRE…

Fils d’un modeste fonctionnaire, Laurent Gbagbo parviendra, après de brillantes études en Côte d’Ivoire, au doctorat d’histoire à la Sorbonne. Sa famille en exil l’affirme : « le président Gbagbo n’est pas un homme d’argent ». D’ailleurs, pour payer sa défense à la CPI, outre le fait que ses maigres avoirs sont gelés, il a déposé une demande d’aide juridictionnelle. Comme lui, les hommes du FPI qui l’accompagnent envers et contre tous, ont un engagement militant socialiste, partagent des valeurs et des principes communs. Pendant toute la période dite de la « crise post-électorale », Laurent Gbagbo a voulu s’en tenir à la légitimité républicaine et à l’application de la Constitution, fondement de la démocratie. C’est un homme qui pousse plus loin, aide à apprendre, sait faire confiance même quand ses collaborateurs sont en apprentissage. Il ne néglige jamais les opinions. Laurent Gbagbo, c’est aussi un homme qui a un sens immense de l’amitié avoueront certains. Il agit comme il parle, sans inhibition. En politique, dans ce monde où depuis le berceau ses adversaires maîtrisent l’art du mensonge, n’est-ce pas finalement là sa plus grande faille, ressembler au peuple ? Ce que veut Laurent Gbagbo, du fin fond de sa cellule, c’est une Côte d’Ivoire libre… Mieux, une Afrique indépendante et libérée des colons d’hier. Serait-ce ceci la véritable raison de son procès ?

AN AFRICAN LIKE YOU

© Joop Strous

...MIEUX, UNE AFRIQUE INDÉPENDANTE ET LIBÉRÉE DES COLONS D’HIER

Son of a modest official, Laurent Gbagbo would attain, after brilliant studies in the Ivory Coast, a PhD in history from the Sorbonne. His exiled family affirms, "President Gbagbo is not a man of money". Moreover, to finance his defense at the ICC, as his meager assets were frozen, he filed an application for legal aid. Similar to him, men of the FPI who accompany him against all odds have a Socialist militant commitment, sharing common values and principles. During the entire period known as the “post-election crisis”, Laurent Gbagbo wanted to adhere to the republican legitimacy and the application of the constitution, the foundation of democracy. He is a man who pushes further, helps others learn, and knows how to trust even when his employees are still learning. He never neglects opinions. Many say that Laurent Gbagbo is a man with an enormous sense of friendship. His actions are like his words, uninhibited. Politically, in this world from the cradle, where his adversaries master the art of lying, is it not ultimately his greatest flaw to be like the people? What Laurent Gbagbo wants, within the depths of his cell, is a free Ivory Coast… even better, an independent Africa free from yesterday’s colonists. Could this be the real reason for his trial? Translated by Rachel Wong 29


« LE PROCÈS DE SIMONE GBAGBO A ÉTÉ BÂCLÉ » "SIMONE GBAGBO’S TRIAL WAS A BOTCHED JOB " par Arnaud LONGATTE

© Arnaud Longatte

LA RÉDACTION DE 54 ÉTATS A RENCONTRÉ MAÎTRE PATRICK BAUDOUIN, L’AVOCAT DES PARTIES CIVILES IVOIRIENNES VICTIMES DE LA CRISE POST-ÉLECTORALE DE 2010. ÉGALEMENT PRÉSIDENT D’HONNEUR DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES DROITS DE L’HOMME, CELUI-CI NOUS DONNE SON SENTIMENT SUR CETTE PÉRIODE DE TROUBLES. UN POINT DE VUE SANS CONCESSION.

54 ÉTATS : Vous êtes allé en Côte d’Ivoire en juin 2015 dans le cadre de ce dossier mais vous n’y avez pas reçu l’accueil espéré. Que s’est-il passé ? Patrick Baudouin (P. B.) : L’accueil a été relativement réservé, pour ne pas dire froid puisqu’effectivement plusieurs rendezvous avaient été demandés auprès des autorités ivoiriennes, en particulier le Premier ministre, le ministre de la Justice et le ministre de l’Intérieur, et comme par hasard aucun d’entre eux n’a été disponible pendant les quelques jours où je me trouvais à Abidjan. Ce qui tranche radicalement par rapport à mon séjour précédent, qui remontait à une année environ, où là j’avais pu être reçu porte ouverte par toutes les autorités ivoiriennes. Il n’y a pas eu de bonne volonté à ce niveau-là. 30

EDITORS FROM 54 ÉTATS MET MR. PATRICK BAUDOUIN, A LAWYER FOR IVORIAN CIVIL PARTIES WHO ARE VICTIMS OF THE POST-ELECTION CRISIS OF 2010. ALSO AN HONORARY CHAIRMAN OF THE INTERNATIONAL FEDERATION OF HUMAN RIGHTS, HE SHARED HIS VIEWS ON THIS PERIOD OF TROUBLE WITH US. AN UNCOMPROMISING PERSPECTIVE. 54 ÉTATS: You went to the Ivory Coast in June 2015 regarding this dossier but you did not receive the expected welcome. What happened? Patrick Baudouin (P. B.): The welcome was relatively reserved, if not reluctant as several appointments had actually been requested from the Ivorian authorities, in particular from the prime minister, minister of justice and the minister of the interior, and as luck would have it, not one of them was available during the few days that I stayed in Abidjan. This contrasted sharply with my previous visit, dating around a year ago, when I had been received with an open door to all the Ivorian authorities. There was no goodwill to that level.


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54 ÉTATS : Il était question de mettre un terme aux travaux de la cellule d’enquête qui avait été créée avec trois magistrats instructeurs ? P. B. : Oui, ceux-ci devaient prendre fin à la date du 30 juin 2015, ce qui aurait été une véritable catastrophe. C’était aussi l’objet de mon déplacement, mené sous l’égide de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et avec les organisations locales ivoiriennes qui sont affiliées à la FIDH. Ma mission consistait à faire en sorte que ces travaux ne soient pas interrompus et celle-ci se sera avérée plus positive que les rencontres. En effet, lors d’une conférence de presse qui a réuni à peu près tous les journalistes ivoiriens, le président Ouattara a déclaré que cette cellule allait pouvoir poursuivre son travail. 54 ÉTATS : Est-ce qu’on a pu en avoir la démonstration ? P. B. : Tout à fait. Plusieurs responsables présumés des exactions de la période post-électorale, appartenant au camp « pro-Ouattara », ont été mis en examen, notamment deux « commandants de zone ». Il s’agit donc a priori de vrais hauts responsables et non de seconds couteaux. 54 ÉTATS : Que peut-on dire du procès de Simone Gbagbo ? P. B. : Les observateurs considèrent à l’unanimité que le procès de Simone Gbagbo a été bâclé. On peut parler de ratage parce que l’instruction a été menée en amont de façon légère. Il faut préciser que ce procès ne concernait que l’un des chefs d’accusation portés à l’encontre de Simone Gbagbo, c’est-à-dire l’atteinte à la sûreté de l’État. Sans parler de la faiblesse du dossier, du déroulement catastrophique du procès avec peu de témoins ou en tout cas peu de crédibles, des droits de la défense qui n’ont pas été intégralement respectés et un verdict à l’arrivée qui a été très sélectif. 54 ÉTATS : C’est-à-dire ? P. B. : C’est-à-dire des peines très lourdes prononcées contre certains, en particulier ceux qui sont farouchement opposés à Ouattara et un peu plus de clémence pour ceux qui étaient disposés à composer. C’est donc un procès qui conduit à dire que, malheureusement, la justice ivoirienne n’est pas apte à juger valablement Simone Gbagbo. 54 ÉTATS : Il y a d’autres procédures en cours qui visent Simone Gbagbo ? P. B. : Oui, elle est visée aussi par des accusations de crimes plus graves, qualifiés de « crimes contre l’humanité ». Et le fait est que la justice ivoirienne affirme vouloir juger Simone Gbagbo dans ce nouveau procès. Or, la Cour pénale internationale (CPI) revendique le droit et la nécessité de juger Simone Gbagbo à La Haye, précisément parce que la Cour considère que la justice ivoirienne n’est pas apte à la juger en respectant tous les critères du procès complet et équitable.

54 ÉTATS: It was a question of halting the works of the investigative unit that had been created with three examining magistrates? P. B.: Yes, they were scheduled to end on June 30, 2015, what would have been a disaster. It was also the purpose of my trip, conducted under the auspices of the International Federation of Human Rights (FIDH) and with the local Ivorian organizations that are affiliated with the FIDH. My mission was to ensure that these works would not be interrupted. This was found to be more positive than the meetings. In fact, during a press conference that gathered together nearly all of the Ivorian journalists, President Ouattara declared that this unit was going to be able to continue its work. 54 ÉTATS: Could we have an example? P. B.: Absolutely. Many responsible for abuses of this post-election period, belonging to the “pro-Ouattara” camp, were indicted, notably two “zone commanders”. A priori true senior level people and not subordinates. 54 ÉTATS: What can you tell us about the trial of Simone Gbagbo? P. B.: Outside observers unanimously feel that Simone Gbagbo’s trial was botched. We can talk about failures because the investigation was conducted lightly. It should be mentioned that this trial only involved one of the charges brought against Simone Gbagbo, namely the harm to State security. Not to mention the weakness of the dossier, the catastrophic course of the trial with few witnesses or in any case ones with little credibility, the rights of the defender which were not fully respected and a verdict that on arrival was very selective. 54 ÉTATS: Which means? P. B.: It means very heavy sentences against some, in particular those that are fiercely opposed to Ouattara and a little more leniency for those that were willing to play ball, so it was a trial that ended up saying, sadly, that Ivorian justice is not apt to properly judge Simone Gbagbo. 54 ÉTATS: Are there other proceedings initiated against Simone Gbagbo? P. B.: Yes, she is also facing accusations of more serious crimes, considered “crimes against humanity”. And Ivorian justice says it wishes to judge Simone Gbagbo in this new trial. Yet, the International Criminal Court (ICC) claims the right and the need to judge Simone Gbagbo in The Hague, precisely because the court does not consider Ivorian justice appropriate to judge her while respecting all the criteria of a full and fair trial.

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54 ÉTATS : Comment cela va-t-il se passer ? P. B. : Il y a ce débat actuellement où nous disons aux autorités ivoiriennes que, si elles veulent juger Simone Gbagbo, il faudrait le faire dans le cadre d’un procès qui ne soit pas un simulacre comme ça a été le cas lors de la première affaire jugée. 54 ÉTATS : Comment expliquez-vous la condamnation de Simone Gbagbo à 20 ans de prison sur la base de charges aussi peu crédibles ? P. B. : C’est bien l’une des critiques que l’on peut formuler sur le verdict. L’insuffisance des éléments rassemblés pour justifier une peine aussi lourde ressort très clairement. Il y a une démesure sur cette décision qui jette le trouble sur la Cour d’assises, qui laisserait penser que c’est la main politique qui l’a emporté sur la sérénité judiciaire. 54 ÉTATS : Qu’en est-il de la situation judiciaire de Laurent Gbagbo, l’ancien président de la Côte d’Ivoire, détenu à La Haye ? P. B. : On est actuellement au stade de l’instruction. On essaie de rassembler des éléments de preuve, des charges pour qu’ensuite il puisse venir vraiment au procès. Dans la mesure où les autorités ivoiriennes ont démontré à travers le procès de Simone Gbagbo qu’elles n’ont pas la capacité à juger Laurent Gbagbo, nous sommes a priori plutôt favorables à l’idée que Laurent Gbagbo soit jugé à La Haye et que le procès s’y poursuive. 54 ÉTATS : Mais dans l’attente de ce procès, Laurent Gbagbo, détenu depuis 4 ans, reste encore en prison ... P. B. : C’est une des critiques que l’on peut formuler sur la CPI. C’est long en effet. C’est là tout le problème de la justice internationale et de la justice tout court. Soit on va vite et on vous dit que le procès a été expéditif, que le dossier n’a pas été instruit suffisamment à charge, à décharge, que les éléments n’ont pas été rassemblés ; soit on vous dit que c’est trop long, parce que la personne est détenue et il y a une incertitude sur son sort. Il faut trouver le juste milieu. Cependant, il n’est pas facile pour les enquêteurs de la CPI d’entreprendre des recherches sur des faits qui remontent à plusieurs années. Personnellement, je préfère une justice qui prend son temps à une justice qui va trop vite. Mais il faudrait en effet que Laurent Gbagbo soit jugé au plus vite.

54 ÉTATS: What is going to happen? P. B.: There is currently this debate where we are saying to the Ivorian authorities that if they want to judge Simone Gbagbo, then they have to do it within the framework of a trial that will not be a sham as was the case in the first affair. 54 ÉTATS: How do you explain the sentence of Simone Gbagbo of twenty years in prison on the basis of charges with little credibility? P. B.: This is actually one of the criticisms we have about the verdict. The lack of gathered evidence to justify such a heavy sentence is very clear. There is a disproportion on this decision that is causing confusion about the court, which would suggest that it is the political hand that will bring judicial peace. 54 ÉTATS: What do you make of the judicial situation of Laurent Gbagbo, former president of the Ivory Coast, detained in The Hague? P. B.: We are currently at the investigation stage. We are trying to gather evidence, charges so that he can really go to trial. In so far as the Ivorian authorities have shown that throughout the trial of Simone Gbagbo they did not have the capacity to judge Laurent Gbagbo, we are a priori more favorable to the idea of Laurent Gbagbo being judged at The Hague and that the trial continue there. 54 ÉTATS: But while awaiting trial, Laurent Gbagbo has been detained for four years, and is still in prison... P. B.: This is one of the criticisms we have about the ICC. It is indeed a long time. That is the problem with international justice and justice in general. Either it goes quickly and they tell you that the trial was expedited, that the dossier was not sufficiently appraised to charge, to discharge, that evidence was not collected; or they tell you that it is too long, because the person is detained and there is an uncertainty about his fate. We have to find the right balance. However, it is not easy for the ICC investigators to undertake research on the facts that go back several years. Personally, I prefer justice that takes its time to a justice that goes too fast. But it could be that Laurent Gbagbo will be judged too quickly. 32


54 ÉTATS : Qu’en est-il de la procédure en cours pour les victimes dont vous êtes l’avocat ? P. B. : Je représente avec des avocats ivoiriens plus d’une centaine de victimes ou familles de victimes qui se sont constituées parties civiles lors des procédures en cours menées par trois juges d’instruction au sein de la cellule d’enquête et d’instruction. Je tiens à préciser que ces victimes appartiennent aux deux camps, soit aux « pro-Ouattara », soit aux « pro-Gbagbo ». Nous avons initialement déploré le fait que les poursuites aient été quasi exclusivement orientées vers de présumés responsables « pro-Gbagbo ». Aujourd’hui il y a un certain rééquilibrage des poursuites. Depuis trois ou quatre mois, une quinzaine de personnes « proOuattara » font l’objet de poursuites, dont certaines ont un assez haut niveau de responsabilité dans les hiérarchies militaires. 54 ÉTATS : L’élection présidentielle qui doit avoir lieu dans les prochains mois peut-elle être un frein à ce processus ? P. B. : Il est clair qu’il faudrait que la justice suive son cours jusqu’au bout mais parmi les personnes poursuivies, il y a des soutiens du président Ouattara. Pour une véritable impartialité, il faudra que le président Ouattara s’arme d’un certain courage politique. Et je crois que sur le plus long terme, cela sera profitable à celui qui a l’audace de dire « on va mettre un terme à l’impunité et il faut poursuivre tous ceux qui ont commis les actes les plus graves ». 54 ÉTATS : Aura-t-il ce courage ? P. B. : C’est en tout cas ce qu’on espère car sinon ce serait le retour du règne de l’impunité. La résurgence de crises en Côte d’Ivoire est liée précisément au fait que la justice n’a pas été rendue. La réconciliation n’a pas été possible du fait des frustrations non apaisées des populations qui ont été victimes d’actes extrêmement graves et qui constatent l’impunité des auteurs d’exactions. Cela n’est ni accepté ni acceptable.

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54 ÉTATS: What about the current proceedings for the victims for whom you are the lawyer? P. B.: Together with Ivorian lawyers, I represent more than one hundred victims or families of victims who were civil parties during the current proceedings brought forward by three investigating judges at the heart of an investigation unit. Just to be clear, these victims belong to two camps, either the “pro-Ouattara”, or the “pro-Gbagbo”. We initially deplored the fact that the prosecutions were almost exclusively oriented toward the believed responsible “pro-Gbagbo” camp. Today there is a certain rebalancing of the prosecutions. For three or four months, around fifteen “pro-Ouattara” people are being prosecuted, of which some have quite a high level of responsibility in the military hierarchies. 54 ÉTATS: Could the presidential election which will take place in the coming months put a break on this process? P. B.: It is clear that justice will have to continue to follow its course until the end but among the prosecuted people, there are supporters of President Ouattara. For true impartiality, President Ouattara will need to arm himself with a certain political courage. And I believe that in the long term, that will be profitable to those who have the audacity to say "we are going to put an end to impunity and we must prosecute all those who committed the most serious crimes". 54 ÉTATS: Will he have this courage? P. B.: It is any case what we hope for, if not it will be a return to the reign of impunity. The resurgence of crises in the Ivory Coast is precisely tied to the fact that justice has not been served. Reconciliation was not possible on account of unaddressed frustrations from the people who were victims of extremely serious acts that find impunity for the abusers. This is neither accepted nor acceptable. Translated by Rachel Wong 33


C’était il y a plus de vingt ans. La Côte d’Ivoire était dirigée par Félix Houphouët-Boigny. Élu président au moment de l’indépendance du pays, en 1960 ; il est pion de la France, dont il assure les revenus économiques, en partie grâce au cacao puisque la Côte d’Ivoire en est le premier producteur mondial. Un règne long de trente ans érige le président Houphouët-Boigny en interlocuteur incontournable dans la région. Dans les années 1980, une crise économique et sociale, foncière notamment, chamboule l’ordre établi et provoque la dégringolade du cours mondial du cacao et du café. La santé d’Houphouët-Boigny se détériore. Il est à plusieurs reprises hospitalisé en France entre 1990 et 1993. En novembre 1993, il rentre à Abidjan après avoir passé 189 jours d’hospitalisation à l’étranger. Certains spéculent déjà sur sa succession (bien que ce dernier ne souhaite que nul ne l’enterre avant sa mort). Parmi eux : Alassane Ouattara, alors Premier ministre. Selon la modification constitutionnelle : « le Premier ministre supplée le président de la République lorsque celui-ci est absent du territoire national. » Dans cette course à la succession, s’illustre aussi Henri Konan Bédié, président de l’Assemblée nationale, les colonels Robert Guéï, Joseph Ehueni Tanny, Emile Constant Bombet et l’opposant auquel personne ne croit, Laurent Gbagbo. Le 7 décembre 1993, le président Houphouët-Boigny décède. Le flottement et la tristesse nationale laissent place à une lutte acharnée entre Alassane Ouattara, soutenu par plusieurs ministres français et Henri Konan Bédié. Ce dernier, en vertu de l’article 11 de la loi fondamentale, deviendra finalement président de la République par intérim en attendant l’organisation des élections en 1995.

It has been over twenty years. The Ivory Coast was headed by Félix Houphouët-Boigny. Elected president at the moment of independence for the country in 1960; he is France’s racehorse, to which he assures economic returns, in part thanks to the cocoa of which the Ivory Coast is the world’s leading producer. A long thirty-year reign proved the president Houphouët-Boigny to be an indispensable spokesman in the region. In the 1980s, an economic and social crisis disrupts the established order and provokes the cascading plummet of the world prices for cocoa and coffee as well as a land crisis. Houphouët-Boigny’s health was deteriorating. He is repeatedly hospitalized in France between 1990 and 1993. In November 1993, he returns to Abidjan after having spent 189 days hospitalized abroad. Some already speculate on his successor. Among those hoping to take his place: Alassane Ouattara, the Prime Minister at the time. According to the constitutional amendment: "the Prime Minister takes over from the President of the Republic while he/she is absent from national territory" In this race for succession also appears Henri Konan Bédié, president of the National Assembly, the colonels Robert Gueï, Joseph Ehueni Tanny, Emile Constant Bombet and the candidate in whom nobody believes, Laurent Gbagbo. On December 7, 1993, President Houphouët-Boigny is pronounced dead. The transition and national grief give way to a tug of war between Alassane Ouattara, supported by many French ministers, and Henri Konan Bédié. Henri Konan Bédié, under Article 11 of the Basic Law would finally become the interim president of the Republic while awaiting the organization of elections in 1995. Translated by Rachel Wong

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A MAN REVEALED BY WAR par Priscilla Wolmer

AILLEURS, LOIN DU POUVOIR, LES PLATES RÉALITÉS D’UNE VIE NORMALE AURAIENT PESÉ SUR ALASSANE OUATTARA JUSQU’À L’EN ÉTOUFFER. POLITICIEN DÉIFIÉ OU MAUDIT, NUL NE PEUT CONTESTER L’ÉVIDENCE... QUOI QU’IL FASSE, C’EST LE PRÉSIDENT ! POUR SES PARTISANS DES PREMIÈRES HEURES, LES MUSULMANS DU GRAND NORD, IL INCARNE LE SAUVEUR D’UN PAYS FRAGILE. POUR SES DÉTRACTEURS, IL N’EXISTE PAS DE MOT POUR LE QUALIFIER ; CEUX-CI PENSENT QUE MALGRÉ SA BIENSÉANCE APPARENTE HÉRITÉE D’UN PASSÉ D’ÉCONOMISTE, IL INCARNE LA GUERRE IVOIRIENNE. PORTRAIT.

ELSEWHERE, OUT OF POWER, THE DRUDGERY OF EVERYDAY LIFE WOULD HAVE WEIGHED HEAVILY ON ALASSANE OUATTARA TO THE POINT OF CRUSHING HIM. DEIFIED OR CURSED POLITICIAN, NOTHING CAN DISPUTE THE SIMPLE FACT... THAT NO MATTER WHAT HE DOES, HE IS THE PRESIDENT! TO HIS SUPPORTERS FROM THE BEGINNING, THE MUSLIMS IN THE FAR NORTH, HE REPRESENTS THE SAVIOR OF A FRAGILE COUNTRY. TO NAYSAYERS, THERE IS NO WORD TO DESCRIBE HIM; THEY THINK THAT DESPITE HIS APPARENT PROPRIETY INHERITED FROM A SPENT ECONOMIST, HE EMBODIES THE IVORIAN WAR. A PORTRAIT.

Avant la guerre, pendant la guerre et après la guerre, comment avoir la certitude qu’on est dans la vérité ? Alassane Ouattara a annoncé l’été dernier vouloir procéder à la première phase d’indemnisation des victimes de la crise ivoirienne. Si cela est légitime, qu’est-ce qui ne l’est pas ?

Prior to, during, and following the war, how can one be sure that one is doing the right thing? Last summer, Alassane Ouattara announced his desire to proceed to the first phase of compensating the victims of the Ivorian crisis. If that intention is legitimate, the what isn’t? 35


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« Ce n’est pas l’argent qui compte en tant que tel. C’est pour montrer à ces victimes que nous ne les avons pas oubliées et que nous travaillons pour les soulager et que nous souffrons avec elles. » Une empathie jugée dérangeante pour ceux qui considèrent que l’homme a autant de sang sur les mains que son rival emprisonné depuis quatre ans à La Haye, Laurent Gbagbo. Une reconnaissance des souffrances vécues par son peuple encore plus déroutante qu’elle intervient à quelques mois des élections présidentielles d’octobre 2015. Qui cherche à faire la lumière sainement sur les milliers de victimes causées par cette crise post-électorale ? La justice ivoirienne ? La Cour pénale internationale ? Qui se préoccupe des victimes ? La traque médiatique n’a laissé aucune chance aux bien intentionnés ivoiriens mais un peu trop « pro-Gbagbo » au goût des « pro-Ouattara ». La vérité, c’est qu’en bon stratège, et en homme avide de pouvoir, le président les met hors de portée… le temps des procès d’une Simone, d’un Laurent ou d’un Charles quand d’autres concitoyens, tristes et loin de chez eux, sont en exil au Ghana, en Europe ou au Canada. Alors oui, la guerre est finie mais les stigmates du passé demeurent. Quelle est la vision d’Alassane Ouattara quant à ce que représente la politique, un système démocratique ou une dictature. Est-il dans le vrai ou dans le vrai selon la France qui l’aidera à être réélu jusqu’à ce que de cacao, il n’y ait plus ? 36

"It is not the money that counts as such. It is showing the victims that we didn’t forget them, that we are working to heal them and that we suffer with them." An empathy deemed disturbing by those who consider the man to have as much blood on his hands as his rival who has been in prison for the past four years in The Hague, Laurent Gbagbo. It is a recognition of the suffering borne by his people proving even more confusing as it is surfacing just months before the presidential election in October 2015. Who is searching to shed light on the thousands of deaths rendered by this post-election crisis? Ivorian justice? The International Criminal Court? Who cares about the victims…? The media hype did not leave any chance to the well-intentioned Ivorians but a little too Pro-Gbagbo for the taste of the Pro-Ouattara. The truth is as a skilled strategist, and as a man greedy for power, the president puts them just out of reach…the trial time of a Simone, Laurent, or Charles when other citizens, sad and far from home, are in exile in Ghana, Europe or Canada. So yes, the war is over but the stigma of the past remains. What is Alassane Ouattara’s vision as to the meaning of politics? A democratic system or a dictatorship? And is he right or is he right according to the France who will help him get re-elected as long as cocoa crops continue to bear fruit?


Si on lui reconnaît l’aptitude à rendre clair les théories économiques les plus complexes, en est-il de même quand l’humain remplace les chiffres ? Trente ans au service de l’économie. Trente ans à servir les sphères monotones du FMI et de la BCEAO. Une vie quasi-normale pesant sur son moral jusqu’à la strangulation. En avril 1990, la santé financière de la Côte d’Ivoire est au plus bas, l’économiste est ainsi placé à la tête d’un « comité interministériel chargé de l’élaboration et de la mise en application du programme de stabilisation et de relance ». Une mission soporifique qu’il honorera sans peine. Le président Houphouët-Boigny mort, Bédié l’invitera à continuer sa mission qui vise en réalité à assouvir les intérêts franco-ivoiriens permettant le contrôle des ressources du pays. Et ceux que l’Afrique des panafricains, l’Afrique des bâtisseurs, l’Afrique des visionnaires reprochent à ce grand et bel homme, à l’allure policée, c’est de répondre un peu trop souvent aux sempiternelles exigences de ses amis, les Français ! Un échange de bon procédés, pas toujours juste et bien trop usé.

Fin juillet 1999, la Côte d’Ivoire, punie par la Banque mondiale et la Banque européenne, ne reçoit que 10 % des apports extérieurs qu’elle escomptait. Alassane Ouattara, le sauveur, décide de quitter le FMI et de retourner au pays se frotter à l’univers grisant de la politique. Face au déchaînement des instincts destructeurs du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) qui ont initié le concept d’« ivoirité » et qui bloquent son avancée politique, il organise stratégiquement sa complainte, à l’extérieur, chez ses amis…français : « On ne veut pas que je sois candidat, parce que je suis musulman et du Nord» déclare-t-il lors d’une conférence à Paris. Pleurnicheries faciles ! Comme bien d’autres, il est un « Dioula », un étranger au patronyme transpirant des origines lointaines mais burkinabées. Une appartenance au pays de la Haute-Volta qu’il refuse alors même « qu’il a été fonctionnaire de ce pays, qu’il a acheté une maison à Ouagadougou » expliquera choqué Laurent Gbagbo après le scrutin de 2000. Nier l’évidence, une manière d’agir pas étrangère à Alassane Ouattara mais qui parfois peut coûter cher, très cher.

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Alassane Ouattara en compagnie du « père » de l'indépendance de la Côte d'Ivoire, Félix Houphouët-Boigny.

If we recognize in him the aptitude to understand the most complex economic theories, can’t he do the same when human beings replace the figures? Thirty years serving the economy. Thirty years serving the monotonous circles of the IMF and the CBWAS. A semi-normal life tightening around his morale to the point of strangulation. In April 1990, when the financial health of the Ivory Coast was at its weakest, the economist was placed at the head of an "inter-departmental committee in charge of the development and implementation of a stabilization and recovery program ". This was a boring mission that he would undertake effortlessly. President Houphouët-Boigny dead, Bédié would invite him to continue his task that actually aimed to satisfy the Franco-Ivorian interests allowing the control of the resources of the country. And of what does the Africa of pan-Africans, of builders, of visionaries criticize this great and handsome man with his polished look? Of responding a little too frequently to endless demands from his friends, the French! An exchange of good compromise, not always fair and too often used..

At the end of July 1999, the Ivory Coast, reprimanded by the World and the European Bank, only received 10% of the external contributions that it expected. Alassane Ouattara, the savior, decided to quit the IMF and return to the country to partake in the exhilarating world of politics. Faced with the outbursts of destructive instincts from the Democratic Party of the Côte d’Ivoire (PDCI) that first introduced the concept of “Ivoirity” and that blocked his political advancement, he strategically organized his complaint, externally, to his friends…in France: "They don’t want me to be a candidate because I am Muslim and from the North" he declared at a conference in Paris. What a little whiner! Like many others, he is a "Dioula", a foreigner with a last name belying distant but Burkinabe origins. A belonging to the Upper Volta which he denies even if "he were an official of that country, if he bought a house in Ouagadougou" as explained by a shocked Laurent Gbagbo after the voting of 2000. Refuting the evidence is not a strange way of acting for Alassane Ouattara but a method that can sometimes be expensive, very expensive. Translated by Rachel Wong 37


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UN CAS D’ÉCOLE POUR L’UNION AFRICAINE A TEXTBOOK CASE FOR THE AFRICAN UNION par Sandra WOLMER

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BICÉPHALISME POLITIQUE EN CÔTE D’IVOIRE : UN PAYS POUR DEUX PRÉSIDENTS, DEUX PREMIERS MINISTRES ET DEUX GOUVERNEMENTS DISTINCTS. TELS SONT LES TERMES DE L’ÉQUATION INÉDITE PROPOSÉE À L’UNION AFRICAINE EN NOVEMBRE 2010. UNE ÉPREUVE À FORT COEFFICIENT POUR CETTE ENTITÉ QUI CARESSE LE RÊVE DU DROIT À L’AUTODÉTERMINATION. LE TRAVAIL FOURNI AURA-T-IL ÉTÉ À LA HAUTEUR DES ATTENTES ET DIFFICULTÉS IMPOSÉES ? ANALYSE.

POLITICAL BICEPHALISM IN THE IVORY COAST: ONE COUNTRY WITH TWO PRESIDENTS, TWO PRIME MINISTERS AND TWO DISTINCT GOVERNMENTS. SUCH ARE THE TERMS OF THE UNPRECEDENTED EQUATION PROPOSED TO THE AFRICAN UNION FOLLOWING THE PRESIDENTIAL ELECTION ON NOVEMBER 28, 2010. AN INTENSIVE TEST FOR THIS ENTITY THAT CARESSES THE DREAM OF RIGHT TO SELF-DETERMINATION. WILL THESE RESULTS MEET THE EXPECTATIONS AND IMPOSED DIFFICULTIES? AN ANALYSIS.

L’OCCIDENT INTERVIENDRA EN AFRIQUE (...) AFIN D’ÉVINCER TOUT GOUVERNEMENT AFRICAIN QUI NE LUI CONVIENDRAIT PAS

© Una_Clara

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L’ANTISÈCHE H-I-S-T-O-R-I-Q-UE ! Tel aura été le leitmotiv usité pour évoquer l’élection présidentielle ivoirienne de 2010 tant les attentes suscitées par ce rendez-vous politique inespéré auront été grandes. Prévu en 2005 puis reporté à six reprises, ce scrutin, censé mettre un terme à plus d’une décennie de crise, oppose au second tour, le président sortant Laurent Gbagbo à l’ex-Premier ministre Alassane Dramane Ouattara. Crédité de 54,10 % des voix, ce dernier se voit concéder la victoire par une Commission électorale indépendante toute acquise à l’ONU et majoritairement « peuplée » par ses partisans. Mais n’était-ce pas là aller bien vite en besogne ? Car c’était compter sans les 51,45 % des suffrages comptabilisés par le Conseil constitutionnel ivoirien qui invalide le verdict de la dite Commission et donne vainqueur le chef d’État en exercice. Une course à l’investiture s’ouvre alors. Tandis que la cérémonie de dévolution des fonctions suprêmes à Laurent Gbagbo se tient à Abidjan dans le palais présidentiel, son rival, loin de se démonter, prête serment par écrit. Une première ! Dans la foulée, les deux hommes forment leur propre gouvernement. En guise de paix sociale, ces présidentielles offriront au pays une dyarchie : avec deux présidents à sa tête, l’un adoubé par la communauté internationale, l’autre reconnu par les institutions nationales, la Côte d’Ivoire sombre dans une crise politique qui vire aux affrontements armés entre forces « pro-Gbagbo » et « pro-Ouattara ».

THE CHEAT SHEET

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LE DÉPART DE LAURENT GBAGBO N’AURAIT-IL PAS DISSIMULÉ UNE SEULE ET MÊME RÉALITÉ RÉPONDANT AU DOUX NOM D’INGÉRENCE

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H-I-S-T-O-R-I-C! This was the leitmotiv used to evoke the 2010 Ivorian presidential election as the expectations generated by this unexpected political rendez-vous were monumental. Originally scheduled in 2005 then postponed six times, this election, expected to end more than a decade of crisis, resulted in the outgoing president Laurent Gbagbo losing out during the second round to his historic adversary, former Prime Minister Alassane Dramane Ouattara. Credited with 54.10 % the latter saw victory conceded by the Independent Electoral Commission, in full agreement with the UN and mainly “populated” by his supporters. But wasn’t that a bit hasty? What about the 51.45 % of votes recorded by the Constitutional Council which invalidated the decision of the said Commission and named the incumbent president the victor? A nomination contest then ensued. While Laurent Gbagbo is officially invested with the supreme powers in the presidential palace in Abidjan, his rival was additionally sworn in remotely on paper. A first! The two men are going to form their own government. By way of social peace, this election will offer the country a diarchy: with two presidents at its helm, one recognized by the international community and the UN, the other by the national institutions, the Ivory Coast is slipping into a political crisis that is turning into armed clashes between pro-Gbagbo and pro-Ouattara forces.


POSTULAT : LE DÉSAVEU FRANÇAIS 2010. Gbagbo ne serait-il plus en odeur de sainteté vis-à-vis de la France ? Las de la Françafrique, l’outrecuidance que manifeste cet électron libre irait-elle désormais jusqu’à mettre en péril les intérêts de la « Métropole » ? Pour preuve, son entêtement à vouloir éradiquer du territoire ivoirien la présence militaire française. Une obsession, fatalement déplaisante, qui conduirait l’Hexagone à voir d’un très mauvais œil le maintien au pouvoir de ce trublion. D’autant plus qu’au cours des deux années à venir une vague d’élections s’apprête à déferler sur le continent africain et, notamment, sur les États de l’Afrique de l’Ouest. Un Gbagbo réélu s’extrairait de la sphère d’influence de Paris et ouvrirait ainsi la voie aux autres pays de la région. Inconcevable ! C’en serait fini du pré carré français. D’où la nécessité d’écarter l’arrogant, en s’appuyant à cette fin sur les institutions régionales et internationales, à savoir la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), l’Union européenne, les Nations unies sans oublier l’Union africaine.

LA MÉDIATION DE L’UNION AFRICAINE… Nigeria versus Afrique du Sud. Triomphe du verdict des urnes par l’emploi éventuel de la force versus solution pacifique du power sharing*. Voici en substance les inconnues dont doit tenir compte l’UA pour venir à bout de l’équation ivoirienne. Son 16e sommet qui s’ouvre le 24 janvier 2011 à Addis-Abeba et à l’agenda duquel est inscrite cette crise politico-militaire va révéler des dissensions entre ses États membres, notamment entre le Nigeria et l’Afrique du Sud. Amenés à collaborer sur d’importantes questions, ces deux-là ont plutôt tendance à se tirer dans les pattes, chacun convoitant le leadership du continent, chacun briguant un siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies en qualité de représentant de l’Afrique. Goodluck Jonathan prône sans ambages le départ de Laurent Gbagbo assorti, s’il échet, d’une intervention militaire. Il ne fallait certainement pas s’attendre à une intercession du Togolais Faure Gnassingbé, du Burkinabé Blaise Compaoré ou bien encore du Gabonais Ali Bongo, tous issus de la lignée françafricaine, pour renverser la vapeur. Ainsi, dans le sillage de l’ONU, le leader nigérian reconnaît la victoire d’Alassane Ouattara et suspend la participation de la Côte d’Ivoire à la Cédéao. Ladite entité se risquera à des négociations, restées infructueuses, avec Laurent Gbagbo par l’intermédiaire de trois chefs d’État le Béninois Thomas Boni Yayi, le Cap-verdien Pedro Pires et le Sierra-léonais, Ernest Bai Koroma. Jacob Zuma, lui, tergiverse. Le président sud-africain accepte dans un premier temps, puis finit par remettre en cause, pour subitement (à la suite d’un entretien avec le président français Nicolas Sarkozy) et in fine reconnaître la validité des résultats électoraux certifiés par l’ONU. Sous son impulsion, l’Union africaine reprend la main sur le dossier. Celle-ci dépêche à Abidjan ses propres médiateurs afin de sortir la crise ivoirienne de l’impasse par l’adoption de décisions « contraignantes ». Mohamed Ould Abdel Aziz (Mauritanie), Jacob Zuma, Jakaya Kikwete (Tanzanie), Idriss Déby Itno (Tchad) et Blaise Compaoré (dont l’opinion semble déjà toute faite) sont du voyage.

POSTULATE: FRENCH REJECTION The year is 2010. Is Gbagbo no longer in favor with France? Tired of Françafrique, would this free spirit would go so far as to jeopardize the interests of the "Métropole"? As proof of his stubborness he wishes to eradicate the presence of French military in the Ivory Coast. An obsession, inevitably unpleasant, that would lead France to view the re-election of this troublemaker very unfavorably. Especially since a wave of elections is about to crash on the African continent and, in particular, on the West African countries: A re-elected Gbagbo would extricate himself from Paris’ sphere of influence thus clearing a path for other countries in the region. Inconceivable! It would spell the end of French entitlements. Hence the need to remove the Ivorian from power, building to this end on the regional and international institutions: Economic Community of West African States (ECOWAS), European Union, United Nations and the African Union (AU).

THE MEDIATION OF THE AFRICAN UNION… Nigeria versus South Africa. Triumph at the polls through use of force (if necessary) versus the peaceful alternative of power sharing. This is what the unknowns must consider in regarding the African Union in order to solve the Ivorian equation. The 16th summit of the African Union opens on January 24, 2011 in Addis-Ababa and the agenda on which this electoral crisis is indicated reveals strife between the State members, notably between Nigeria and South Africa. Yet led to the AU to collaborate on important questions, these two tended to shoot themselves in the foot, each coveting leadership of the continent, each vying for a permanent seat on the security council of the United Nations as representative of the African continent. Goodluck Jonathan advocates the unconditional departure of Laurent Gbagbo and a military intervention (if needed). No use expecting an intercession from Togolese Faure Gnassingbé, Burkinabe Blaise Compaoré or Gabonese Ali Bongo, who are all from Françafrique lineage, so as to change course.Thus, in the wake of the UN, the Nigerian leader would recognize the victory of Alassane Ouattara in the presidential election and suspend the participation of the Ivory Coast in ECOWAS, which will launch its attempts to negotiate, thus far unsuccessfully, with the outgoing president via three heads of state: the Beninese Thomas Boni Yayi, the Cape Verdean Pedro Pires and the Sierra-Leonean Ernest Baï Koroma. On his side, Jacob Zuma, the South African president, falters: he accepts at first, then challenges and finishes by suddenly endorsing (following a meeting with French President Nicolas Sarkozy) the validity of the election results certified by the UN. Under his influence, the African Union takes over the case. This accelerates its own mediators to Abidjan so as to get the Ivorian crisis out of deadlock through the adoption of "binding" decisions. Mohamed Ould Abdel Aziz (Mauritania), Jacob Zuma, Jakaya Kikwete (Tanzania), Idriss Déby Itno (Chad) and Blaise Compaoré (whose mind seems already made up) are en route. * Southern African Development Community,

*Partage de pouvoir entre les principaux protagonistes

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… POUR UNE ÉQUATION ÉQUILIBRÉE ? Ces derniers dans leurs conclusions rendues publiques le 10 mars 2011 réitèrent la prise de position antérieure de l’UA (tout simplement calquée sur celle du Conseil de sécurité des Nations unies) et reconnaissent Alassane Ouattara comme « président élu de la République de Côte d'Ivoire » face à Laurent Gbagbo. Celui-ci refusera de se soumettre à cette décision, ce qui aboutira dès le 4 avril 2011 à la conduite dans la capitale de raids aériens par la force Licorne jusqu’à son arrestation le 11 avril 2011. Du début jusqu’à la fin de cette crise, l’Union africaine aura à travers le sacre présidentiel de M. Ouattara réglé ses pas sur celui de la communauté internationale. De là à parler d’un succès diplomatique pour évoquer cette médiation… Sous couvert de respect de la volonté populaire, le départ de Laurent Gbagbo n’aurait-il pas dissimulé une seule et même réalité répondant au doux nom d’ingérence ? Quel autre choix restait-il à l’entité sinon celui de s’incliner ? Panafricaine, l’institution perfusée financièrement à plus de 70 % par des dons étrangers pouvait-elle réellement se payer le luxe d’aller à l’encontre des desideratas de ses gentils donateurs ? En l’espèce, l’UA aura non seulement péché par son absence d’unité mais surtout par sa propension à suivre le tempo imposé par des protagonistes non africains. Ce dont Thabo Mbeki, ex-président sud-africain et médiateur de l’UA dans la crise ivoirienne, s’offusquera ultérieurement en évoquant le conflit libyen : « l’Occident interviendra en Afrique quand bon lui semblera, exploitant délibérément nos faiblesses afin d’évincer tout gouvernement africain qui ne lui conviendrait pas et de se positionner ainsi comme le seul intervenant crédible dans le destin de l’Afrique. C’est pourquoi il ne faut pas avoir peur de défendre le droit à l’autodétermination concrétisé par la création de l’UA. Et c’est à l’Union africaine qu’incombe la mission sacrée de mobiliser et de fédérer nos forces afin de concrétiser ce rêve, sans laisser des conflits mesquins nous diviser. Car si la réalisation de ce rêve était encore une fois retardée, cela risquerait de finir par une explosion ». Une situation qui aura irrémédiablement nui à la prise opportune de décisions sans lesquelles le bilan humain se sera alourdi (trois mille morts et plus d’un million de déplacés). De quoi donner du grain à moudre aux langues les plus acerbes qui dénoncent la vacuité du contenu de la copie ici rendue par l’Union africaine.

… FOR A BALANCED EQUATION ? These representatives, in their conclusions made public on March 10th 2011, reaffirm the previous view of the AU (also modelled on that of the security council of the United Nations) recognizing Alassane Ouattara as "elected president of the Republic of the Ivory Coast", ahead of Laurent Gbagbo. The refusal of the latter to submit to this decision will ultimately lead Operation Unicorn to commence air raids on the capital on April 4, 2011 until his capture on April 11, 2011. From the beginning until the end of this crisis, the AU will have tread its feet on those of the international community through Mr. Ouattara’s sacred presidency. After that, to speak of a diplomatic success in discussing this mediation does not seem convincing… Under the guise of respect for the will of the people, wouldn’t the departure of Laurent Gbagbo have hidden a reality one and the same responding to the sweet name of interference? This Panafrican institution which is more than 70% subsidized by foreign donations, could it really afford the luxury of going against the wishes of its kind donors? In this case, the AU will have unfortunately lacked unity and will only have moved forward through its propensity to follow the rhythm imposed by the non-African players. It is this that Thabo Mbeki, South African ex-president and AU mediator in the Ivorian crisis, will later take offense from in discussing the Libyan conflict: "The West will intervene in Africa when it seems good for them, deliberately exploiting our weaknesses in order to evict all African governments that do not suit them and to position themselves as the only credible intervener in Africa’s destiny. This is why we should not be afraid to defend our right to self-determination achieved through the creation of the AU. And it is the African Union that bears the sacred mission of mobilizing us to federate our powers in order to realize this dream, without allowing petty conflicts to divide us. Because if the realization of this dream is delayed one more time, it risks becoming an explosion". As a result of ill-timing and confusion, this tragic situation further exacerbated the human toll on the country (three thousand dead and over one million displaced). This is food for thought in the most scathing language that denounces the inefficiency of the efforts (or lack thereof) pathetically offered by the AU. Translated by Rachel Wong

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BOUAKÉ

DERRIÈRE LE BROUILLARD… BEHIND THE FOG... par Hervé PUGI

LE BOMBARDEMENT DE BOUAKÉ CONDUIT PAR LES FORCES AÉRIENNES IVOIRIENNES, LE 4 NOVEMBRE 2004, A COÛTÉ LA VIE À NEUF SOLDATS FRANÇAIS ET UN CIVIL AMÉRICAIN. CET ÉVÉNEMENT DRAMATIQUE VA CONSTITUER UN TOURNANT MAJEUR DANS LE RÔLE DE LA FRANCE EN CÔTE D’IVOIRE. CETTE « BAVURE MANIPULÉE », SELON LA SUPPOSITION DU GÉNÉRAL PONCET, ANCIEN COMMANDANT DE LA FORCE LICORNE, OFFRIRA À L’ANCIENNE PUISSANCE COLONIALE L’OPPORTUNITÉ DE JOUER UN RÔLE ACTIF DANS LA DESTITUTION DE LAURENT GBAGBO. RETOUR SUR UN SCANDALE D’ÉTAT, DEPUIS TROP LONGTEMPS OCCULTÉ, RÉVÉLÉ PAR DE RARES JOURNALISTES.

© imatin

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THE BOMBING OF BOUAKÉ LED BY THE IVORY COAST AIR FORCE, ON THE 4TH OF NOVEMBER, 2004, COST THE LIVES OF NINE FRENCH SOLDIERS AND AN AMERICAN CIVILIAN. THIS DRAMATIC EVENT IS GOING TO MARK A MAJOR TURNING POINT REGARDING FRANCE'S ROLE IN IVORY COAST. ACCORDING TO GENERAL PONCET, FORMER COMMANDER OF OPERATION UNICORN, THIS “MANIPULATED MISTAKE” WILL OFFER THE FORMER COLONIAL POWER THE OPPORTUNITY TO PLAY AN ACTIVE ROLE IN LAURENT GBAGBO'S DISMISSAL. A LOOK BACK AT A NATIONAL SCANDAL, REVEALED BY FAR TOO FEW JOURNALISTS AND COVERED UP FOR TOO LONG.


Novembre 2004. Voilà près de deux ans que la Côte d’Ivoire est scindée en deux entités. Un coup d’État, raté, en septembre 2002 a vu une rébellion armée – qui s’est affublée du sobriquet de Forces nouvelles* – occuper tout le nord du pays. Et, malgré l’entrée au gouvernement d’une grande partie de ses dirigeants à la suite des accords Kléber, signés en janvier 2003, ces rebelles ne désarment pas. En dépit de leurs promesses. C’est dans ce climat tendu que les forces loyalistes, sous l’œil (averti) des services français, préparent leur offensive : l’opération Dignité. Deux jours durant, des frappes aériennes s’abattent sur Bouaké et Korhogo sans éveiller de réactions officielles au sein de la communauté internationale. Le 6 novembre, c’est le drame. L’un des deux Sukhoï ivoiriens frappe un campement français. Bilan : 10 morts et une quarantaine de blessés. Du côté de l’Élysée, la réaction à cette « attaque surprise », selon la diatribe officielle, ne se fait pas attendre : ordre est donné à la force Licorne de marcher sur Abidjan. Le tout en ayant préalablement anéanti l’aviation ivoirienne. Une tragique bavure (de plus) dans cette nouvelle façon de faire la guerre depuis les airs ? Tout n’est pas si simple… Dès le 10 novembre 2004, le Tribunal aux armées de Paris (TAP) est saisi de l’affaire pour l’ouverture d’une enquête en flagrance. Quoi de plus logique ? Neuf soldats sont tombés. Neuf militaires auxquels nous « devons respect et gratitude », dixit le président Chirac. Neuf héros qui auraient été « jetés dans les sacs plastiques tels qu’ils avaient été trouvés sur le terrain : couverts de sang, de poussière, vêtements déchirés, sans être lavés ni habillés », rapportera un témoin en novembre 2012. Neuf victimes auxquelles le chef de l’État avait promis de lutter contre l’oubli. Pas forcément pour la vérité… De fait, la quarantaine de parties civiles a pu constater que la France a surtout brillé par une politique d’obstruction systématique. Comme s’en ouvrira le juge Brigitte Raynaud, auprès de la ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie, lors de sa démission : « Aucun concours spontané ne m’a été fourni par les services qui dépendent de votre autorité (…). Aucun renseignement ne m’a été fourni sur les raisons pour lesquelles les mercenaires et leurs complices, identifiés comme auteurs de ce crime avaient été libérés sur instruction ou avec le consentement des autorités françaises ».

© civox

November, 2004. It has been about two years since Ivory Coast split into two entities. A failed coup in September 2002 saw armed rebels, nicknamed the New Forces, occupy the entire north side of the country. And, in spite of the presence of a big part of their leaders in government following the Kléber accords, signed in January, 2003, these rebels won't give in, despite their promises. It is within this tense climate that the loyalist forces, under the well-informed eye of the French services, prepare their offensive: Operation Dignity. Airstrikes beat down on Bouaké and Korhogo for two days without provoking an official response within the international community. The drama unfolds on the 6th of November. One of the two Ivorian Sukhoi's attack a French base killing 10 people and wounding about forty. The Élysée's reaction to this "surprise attack", according to the official diatribe, arrives very quickly: an order is given to the Licorne forces to seize Abidjan. It involves annihilating the Ivory Coast air force beforehand. (Another) tragic error in this new way of waging war from the air. Everything is not so simple … From the 10th of November, 2004, the Paris military tribunal (TAP) is responsible for opening the flagrant offense investigation. What could be more logical? Nine fallen soldiers. Nine servicemen to whom we "owe respect and gratitude", said president Chirac. Nine hero's who would have been "thrown in plastic bags as they had been found on the ground: covered in blood, dust and torn clothes, without being washed nor dressed", reported a witness in November, 2012. The Head of State had promised to fight against oblivion for these nine victims. Not necessarily for the truth … In fact about forty plaintiffs were able to notice that France especially shone with a policy of systematic obstruction. As Judge Brigitte Raynaud, commented while addressing the Minister of Defence, Michèle Alliot-Marie, during her resignation: "No spontaneous help was offered to me by the services which depend on your authority (…). No information was supplied to me regarding the reasons why the mercenaries and their accomplices, identified as the perpetrators of this crime, had been released on instruction or with the consent of the French authorities.”

* Ce nom a été donné par Pierre Mazeaud, proche conseiller de Jacques Chirac, désigné pour conduire la Conférence de Marcoussis.

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Ce dernier point peut apparaître obscur aux non-initiés. Il le reste également pour les plus avertis. Les fameux pilotes du Sukhoï, responsables du drame de Bouaké, sont bien connus et identifiés : Yuri Suschkin et Boris Smahin. Les rares notes des services secrets déclassifiées l’attestent. Arrêtés à Abidjan par les forces spéciales françaises, ces mercenaires seront détenus quatre jours puis… exfiltrés vers le Togo et pris en charge par un certain Robert Montoya. Pas un inconnu, cet ancien gendarme de la cellule antiterroriste élyséenne serait celui qui a fourni à Laurent Gbagbo les avions de chasse et leurs équipages. Cet aventurier ne sera jamais poursuivi. Interpellés à la frontière togolaise, retenus une dizaine de jours, les mercenaires seront finalement expulsés à la demande des autorités françaises malgré les contacts pris par Lomé avec la diplomatie hexagonale et la Direction générale de la sécurité extérieure. Quinze mois plus tard, des mandats d’arrêt étaient lancés à l’encontre de ces hommes… En vain.

This last point can seem obscure to outsiders. It also remains obscure to insiders. The famous Sukhoi pilots responsible for the drama of Bouaké, are well known and identified: Yuri Suschkin and Boris Smahin. Rare declassified notes belonging to the secret services are proof of this. Arrested in Abidjan by the French Special Forces, these mercenaries were detained for four days then sent to Togo where a certain, Robert Montoya, took care of them. Not unknown, this former gendarme of the Elysian anti-terrorist unit would be the one who supplied fighters and their crews to Laurent Gbagbo. The latter will never be prosecuted. Questioned at the Togolese border and held for about ten days, the mercenaries were finally deported at the request of the French authorities despite Lomé contacting French diplomats and the General Directorate for External Security (DGSE). Fifteen months later, arrest warrants were issued for these men … In vain.

© Hugo Passarello Luna

© Africa Progress Panel

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DÉGOMMER GBAGBO POUR METTRE OUATTARA. « DU PUR DÉLIRE » POUR MICHÈLE ALLIOT-MARIE


© Jonathan Alpeyrie

De quoi accréditer une thèse : celle de la « bavure manipulée » avancée par le général Poncet, rejoint par son adjoint de l’époque, le général Malaussène pour qui le projet initial était bien de « dégommer Gbagbo » pour « mettre Ouattara en place ». Du « pur délire » que tout cela répondra Michèle Alliot-Marie, interrogée par le juge Florence Michon qui avance qu’un témoin « affirme que l’attaque du camp français est le résultat d’une manœuvre élyséenne, mise en place par la « cellule Afrique », (…) visant à faire « sauter » le président Gbagbo ». Et le magistrat d’oser avancer le scénario d’une manœuvre conduisant « à fournir à l’armée de l’air ivoirienne une fausse information sur l’objectif à bombarder » afin « de faire commettre une erreur monumentale aux forces loyalistes ». Des soldats sacrifiés ? « Les Sukhoï de Gbagbo auraient dû atteindre un local vide et justement fermé ce jourlà pour inventaire. Il n’était pas prévu que des soldats iraient s’abriter derrière », relate Slate Afrique. Et, dans ce dossier comme dans tant d’autres, on aurait pu croire que l’accession d’Alassane Ouattara au pouvoir allait changer la donne. Il n’en est rien. Oublié le règlement à l’amiable. Oublié le comité franco-ivoirien ad hoc. Oubliées les commissions d’enquêtes parlementaires. Les victimes de Bouaké sombrent, lentement mais sûrement, dans l’oubli.

This substantiates a theory: that of the "manipulated mistake" proposed by General Poncet, joined by his assistant at the time, General Malaussène who thought that the initial project was good "to fire Gbagbo" to "put Ouattara in his place.” Michèle Alliot-Marie responded that it was "sheer folly" when questioned by Judge Florence Michon, who leads that a witness "affirms that the attack on the French camp is the result of an Elysian operation, organized by the "African unit", (…) aimed at firing President Gbagbo." And the magistrate dared to lead the scenario of an operation aimed "at supplying the Ivory Coast Air Force with false information about the attack" in order to "make a monumental error with the loyalist forces." Sacrificed soldiers? "Gbagbo's Sukhoi should have reached empty premises and they should have rightly closed that day for inventory. It was not planned that soldiers would shelter behind it", recounts Slate Afrique. And, in this case as in so many others, one would have thought that since Alassane Ouattara rose to power it was going to make a difference. That's not the case. The amicable settlement is forgotten. The French-Ivorian ad hoc committee is forgotten. The parliamentary commissions of inquiry are forgotten. The victims of Bouaké will sink into oblivion, slowly but surely. Translated by Nadine Visagie

À la suite du bombardement de Bouaké, la force Licorne prend la route d’Abidjan, principalement pour assurer la sécurité de ses ressortissants et de son ambassade. Des manifestations sont organisées à l’appel des Jeunes patriotes face à ce qui est perçu comme une tentative de coup d’État de la part de la France. De fait, la résidence présidentielle se trouve encerclée durant deux heures par les blindés français. Une « erreur d’orientation » selon le colonel Destremau. Entre le 6 et le 9 novembre 2004, face à la mobilisation et les hostilités lancées par certains des manifestants qui s’en prennent aux ressortissants français (trois plaintes pour viols sont enregistrées lorsque le journal Le Monde parle dans le même temps « de corps blancs décapités à la machette »), la force Licorne ouvre le feu à balles réelles, causant la mort de plusieurs dizaines d’Ivoiriens et une centaine de blessés. Parmi les explications avancées pour ces victimes. Le colonel Aussawy évoquera, entre autres, « des ricochets ».

Following the bombing of Bouaké, the Force Licorne went to Abidjan, mainly to assure the safety of its nationals and its embassy. Protests are organized to appeal to young patriots in the face of what is perceived as France's attempt at a coup. In fact the presidential residence is surrounded for two hours by French armored vehicles. An "orientation error" according to Colonel Destremau. Between the 6th and the 9th November, 2004, in the face of mobilization and hostilities shown by some of the protestors who attacked French nationals (three rapes charges were reported while the newspaper, Le Monde, simultaneously speak of "white bodies beheaded by machetes"), the force Licorne open fire with bullets, killing several Ivorians and wounding around hundred people. Among the explanations for these victims that Colonel Aussawy gave, were among others: "ricochets.”

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L’AFFAIRE KIEFFER THE KIEFFER CASE par Arnaud LONGATTE C’EST UNE SOMBRE AFFAIRE. UN SCÉNARIO MACABRE DIGNE DES FILMS D’ESPIONNAGE D’HOLLYWOOD, OU PLUTÔT UN ROMAN NOIR. CETTE HISTOIRE, C’EST CELLE DE LA DISPARITION, EN CÔTE D’IVOIRE, DANS DES CONDITIONS MYSTÉRIEUSES, D’UN JOURNALISTE FRANCO-CANADIEN, GUY-ANDRÉ KIEFFER. PLONGÉE DANS UN MONDE OÙ LA «RAISON D’ÉTAT» PEUT DÉCIDER DE LA MORT D’UN HOMME ET OÙ LES GROS SOUS CÔTOIENT LE POUVOIR POLITIQUE. QUAND LES MULTINATIONALES ET LES INSTITUTIONS D’UN ÉTAT SONT EN JEU, RIEN NE DOIT LES ARRÊTER. RETOUR SUR LE TRAGIQUE DESTIN DE GUY-ANDRÉ KIEFFER, CE JOURNALISTE QUI EN SAVAIT TROP. Nous sommes le 16 avril 2004. Vers 13h30, Guy-André Kieffer, journaliste basé en Côte d’Ivoire, sort de chez lui. Il prend sa voiture pour se rendre à un rendez-vous. Son véhicule sera retrouvé quelques jours plus tard sur le parking d’un supermarché d’Abidjan. Kieffer a disparu des écrans radars. On ne retrouvera jamais plus trace de lui jusqu’à ce jour. Cette affaire a fait couler beaucoup d’encre, en Côte d’Ivoire comme en France. Aujourd’hui, cela fait plus de onze ans que Guy-André Kieffer a disparu et la vérité n’est toujours pas sortie. Patrick Ramaël, juge d’instruction français, a été dépêché à Abidjan pour traiter cette affaire. Après neuf ans d’instruction, il a dû rendre son tablier, mais le mystère demeure. Un autre juge a été nommé dans ce dossier toujours en cours d’instruction. Auteur d’un livre, Hors procédure, il revient avec 54 États sur son travail concernant la disparition de Guy-André Kieffer. Son sentiment est très mitigé quant à la volonté réelle de l’État ivoirien de faire toute la lumière sur ce drame. Selon lui, « par cette action de recherche de la vérité, vous pouvez gêner des situations politiques entre États, parce que les intérêts de l’État dépassent les intérêts individuels ». Il garde l’impression qu’il a été clairement gêné dans son travail, qu’on lui a mis des bâtons dans les roues, lui présentant de faux témoins, pour qu’il perde son temps et se lasse..

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IT IS A SINISTER CASE. A MACABRE SCENARIO WORTHY OF HOLLYWOOD SPY MOVIES, OR PERHAPS A CRIME NOVEL. THIS STORY TELLS OF THE MYSTERIOUS DISAPPEARANCE OF A FRENCH-CANADIAN JOURNALIST, GUY-ANDRÉ KIEFFER IN THE IVORY COAST. THRUST INTO A WORLD WHERE THE "REASON OF STATE" CAN DECIDE ON THE DEATH OF A MAN AND WHERE BIG BUCKS GO HAND-IN-HAND WITH POLITICAL POWER, WHEN MULTINATIONALS AND THE STATE INSTITUTIONS ARE AT STAKE, NOTHING CAN STOP THEM. A RETURN TO THE TRAGIC DESTINY OF GUYANDRÉ KIEFFER, THE JOURNALIST WHO KNEW TOO MUCH. It is April 16, 2004. Around half-past one in the afternoon, Guy-André Kieffer, a journalist based in the Ivory Coast, leaves his home. He takes his car to go meet someone. His car will be recovered a few days later in a supermarket parking lot in Abidjan. Kieffer has disappeared from the radar. We have found no trace of him to this day. Much has been written about this affair in the Ivory Coast as well as in France. Today makes more than eleven years that Guy-André Kieffer has disappeared and the truth has still not come out. Patrick Ramaël, a French judge, had hurried to Abidjan to address this matter. After nine years of investigation, he had to throw in the towel, but the mystery remains. Another judge was put on this case which is still under investigation. Author of a book, Hors procédure, Ramaël returns with 54 ÉTATS on his work regarding the disappearance of Guy-André Kieffer. His feelings are mixed as to the Ivorian State’s commitment to do everything to clear up this drama. According to him, "through this action of searching for the truth, you can hinder political situation between States, because State interests go beyond individuals’ interests". He keeps the impression that he was clearly disturbed in his work, obstacles were placed in his way, he was presented with false witnesses, so that he would waste his time and give up.


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LA VÉRITÉ EST GÊNANTE

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Pourquoi ne veut-on pas que le juge fasse son travail ? Qui a intérêt à ce que rien ne se sache ? Pour le juge Ramaël, le changement de régime n’a pas permis d’aller plus avant dans l’instruction. Mais sur quoi donc travaillait Guy-André Kieffer ? Que savait-il qui lui coûté la vie ? Qui a eu intérêt à le faire taire ? Ce journaliste d’investigation s’intéressait de près à des malversations financières qui entouraient la filière cacao de la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial. Dans différents articles il dénonce des systèmes extrêmement perfectionnés de montages financiers qui permettent des détournements massifs de fonds, de blanchiments d’argent ou encore des trafics d’armes.

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Why did they not want the judge to do his job? Who has an interest in that which nothing is known? For Judge Ramaël, the change in regime did not allow him to go further in his investigation. But what was Guy-André Kieffer working on? What did he know that ended up costing him his life? Who was interested in keeping him quiet? This investigative journalist was interested in financial malpractice surrounding the cocoa sector of the Ivory Coast, the world’s largest cocoa producer. In different articles he denounces extremely sophisticated systems of financial arrangements that permit massive embezzlement, money laundering and even arms trafficking.

© Arnaud Longatte

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UNE MULTITUDE DE FAUSSES PISTES Dans cet imbroglio, des pistes sont évoquées. C’est le clan Gbagbo qui est d’abord accusé. Des témoins affluent. Puis d’autres témoins. Puis encore d’autres. Les pistes se brouillent. D’après son frère Bernard Kieffer, qui a écrit un livre sur l’histoire, Le Frère perdu, « il y a différentes versions quant aux circonstances de la disparition de mon frère, mais toutes s’accordent à dire qu’il n’aurait pas survécu plus de deux jours après son enlèvement ». D’autres viendront ensuite désigner le clan « proOuattara ». Ce qui est sûr, pour l’heure, c’est que rien ne filtre. Du côté français, même mystère. D’après Bernard Kieffer, « la diplomatie française a eu une attitude ambiguë dans cette affaire ». Selon lui, « le matin même de sa disparition l’Ambassade de France avait laissé filtrer un portrait peu élogieux de lui ». Tout ce qu’il sait c’est que « des personnes avaient intérêt à ce qu’il se taise, qu’il arrête d’enquêter ». Quand le juge Ramaël explique que « l’État lui-même l’avait envoyé sur des fausses pistes », que Bernard Kieffer, le frère, semble affirmer que rien n’a changé depuis l’accession au pouvoir de Ouattara et que, malgré la volonté affirmée que la justice fasse son travail jusqu’au bout, « rien n’est fait, des personnes incriminées ou supposées telles ne sont pas inquiétées ni interrogées », on est en droit de se demander si un jour on saura ce qu’il s’est passé. « La vérité est gênante », d’après le juge Ramaël. Ce juge qui a voulu « faire son travail », « aller jusqu’au bout des choses », n’en a pas été autorisé. Il concède : « quand vous vous heurtez au pouvoir, il y a des difficultés ». Selon lui, Guy-André Kieffer a été enlevé à cause de son travail, car il était trop curieux, il gênait. Certains « faux témoins » sont ensuite venus lui dire qu’ils avaient été payés pour lui « raconter des histoires ». La vérité éclatera-t-elle un jour ? Pour Bernard Kieffer, « on a frôlé la vérité à plusieurs reprises mais l’affaire étant politisée à outrance on est passé à côté sans l’atteindre ». Mais le juge Ramaël estime que, vu qu’un certain nombre de personnes sont impliqués dans cette affaire, il y a des gens qui savent ce qu’il s’est passé et « les gens finissent par parler », soit parce qu’ils veulent soulager leur conscience, soit parce qu’ils veulent se vanter, ou pour d’autres raisons. « J’ai peine à croire qu’il n’y en ait pas un qui parle un jour », assure-t-il encore. Un journaliste, disparu, très certainement mort, exécuté dans des conditions mystérieuses, pour le compte de personnes très impliquées dans les arcanes du pouvoir ivoirien, voilà un scénario bien sombre, hélas bien réel et pour lequel le mystère demeure toujours. Mais, comme on dit : la vérité, comme les cadavres, finit toujours par remonter à la surface.

© DR

MANY FALSE TRAILS In this imbroglio, the tracks are raised. It is the Gbagbo clan that is first accused. Witnesses flock to the case. And then more witnesses. The trails become murky. According to his brother Bernard Kieffer, who wrote the book on the story of Guy-André Kieffer, Le Frère perdu, "there are different versions as to the circumstances surrounding the disappearance of my brother, but he would not have survived more than two days after his kidnapping". Others come to indicate the proOuattara clan. What is certain, for now, is that nothing leaks. On the French side, the same mystery. According to Bernard Kieffer, "French diplomacy had an ambiguous attitude in this case". According to him, "the very morning of his disappearance the French Embassy let leak an unflattering portrait of him". All he knows is that "some people were interested in keeping him quiet, so that he would stop investigating". When Judge Ramaël explains that "the State itself sent him on false trails", that Bernard Kieffer, the brother, seems to affirm that nothing has changed since Ouattara’s ascension to power and that despite the affirmed will that justice will prevail to the end, "nothing is done, the incriminated persons or assumed as such are not worried nor questioned", it is our right to ask if one day we will know what happened. "The truth is bothersome", says Judge Ramaël. This judge who wanted to "do his job", "to get to the bottom of things", was not authorized to do so. He concedes that: "when you clash with power, there are difficulties". According to him, Guy-André Kieffer was kidnapped on account of his work, because he was too curious and it was an annoyance. Some "false witnesses" then came to tell him that they had been paid to "tell stories". Will the truth come out one day? For Bernard Kieffer, "we were close to the truth many times but the case was overly politicized to the point that we passed by the truth without reaching it". But Judge Ramaël believes that, seeing as a certain number of people are implicated in this affair, there are people who know what happened and that "people will end up talking", whether it be because they want to clear their conscious, or because they want to boast, or for other reasons. "I can hardly believe that there is not one who will talk one day", he says again. A journalist, missing, certainly dead, executed under mysterious conditions, on behalf of individuals implicated in the mysteries of Ivorian power. There you have it, a sinister scenario, but unfortunately very real and which still remains a mystery. But, like they say: the truth, like cadavers, always ends up rising to the surface. Translated by Rachel Wong

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par Hermann Djea

Š Bouygues

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NUL DOUTE, LE PR ÉSIDENT ALASSA NE OUATTARA REMPILERA POUR UN SECOND MANDAT EN OCTOBRE PR OCHAIN. APRÈS UN PREMIER QUINQUENNAT AU BILAN MITIGÉ, LA VELLE COPIE DU NOUCHEF DE L’ÉTAT SERA TRÈS ATTENDUE DES IV OIRIENS. Alors qu’il était ca ndidat à la présiden tielle de 2010, Ala Ouattara avait dérou ssane lé un programme de gouvernement l’exécution devait ram dont ener la Côte d’Ivoire à son statut de poumon économique de la sous-région. Les dégâts causés par décennie de crise la qu’a connue le pays n’ont pas permis l’ap cation de cette feu pliille de route. Au po int qu’en 2013, il affirm « j’ai trouvé un pa ait ys complètement en ruine, effondré avait besoin d’être , qui reconstruit ». Fort de ce constat, il est apparu importa nt au président Ou de définir des priori attara tés, exécutées par le biais du Progra présidentiel d’urge mme nce (PPU). Ce pro gra mme a privilégié la alisation des gros œu révres pour corriger la dégradation avan des voiries et autre cée s infrastructures. Un e démarche qui colle avec la vision du ch ef de l’État pour qu i « la route précè développement ». de le Plusieurs édifices fur ent alors inaugurés. s’agit entre autres Il du troisième pont ba ptisé pont Henri Ko Bédié reliant les co nan mmunes de Cocody et Marcory à Abidja le pont Philippe Ya n ; cé de Jacqueville, le pont de Bouaflé ouest du pays). (centre-

NO DOUBT, PRES IDENT ALASSANE OUATTARA WILL STEP UP FO R A SECOND TE RM NEXT OCTOBER. AFTER THE FIRST FIVE YE ARS WITH MIXED RESULTS, THE NEXT ELECTI ON OF THE HEAD OF STATE W ILL BE HIGHLY AN TICIPATED BY IVORIANS. While he was a pre sidential candidate in 2010, Alassane tara rolled out a go Ouatvernment program whose execution sh have returned the Ivo ould ry Coast to its status as an economic po rhouse of the sub-r weegion. Damage fro m the decade of cri gripped the country sis that did not allow the im plementation of this map to the point tha roadt in 2013, he affirm ed "I found a coun completely in ruin, try fallen, that needed to be rebuilt". With this in mind, it seemed important to President Ouatt define priorities, im ara to plemented through the Emergency Pre tial Program (PPU) siden. This program has favored the realiza large works to corre tion of ct the advanced de gradation of roads other infrastructure. and An approach that fits wit h the head of state’ vision for which "th s e road precedes the development". Se buildings were the veral n inaugurated. Thes e include, among oth the third bridge He ers, nri Konan Bédié link ing the towns of Co and Marcory to Abidja cody n; Philippe Yacé Bri dge of Jacqueville the Bouaflé Bridge and (mid-west of the co untry).

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ent de la sécurité. La été mis au rétablissem Un point d’honneur a droit de cité, ont fini s erie, qui n’avaient plu arm nd ge la et lice po L’indice de sécurité avec les populations. par être réconciliées eau normal à en niv son t progressivemen ffi Koffi qui exquant à lui retrouve Ko Paul légué à la Défense ncept de déco croire le ministre dé un i hu rd’ jou d’Ivoire a au ais ». Même nç plique que « la Côte fra le dè rent inspiré du mo hé co et ir cla se et fen sation la réintégra mement, la démobili r achever pa fini l’Autorité pour le désar a , ée ais ère tâche n’était gu tion (ADDR), dont la ial d’environ 64 000 u économique et soc tiss le ns da tion l’inser n. Le tout courond’u s plu er sur quoi en ras ex-combattants. De de sécurité (CNS) al tion d d’un Conseil na né par la mise sur pie Ce climat de sécurité Ouattara lui-même. présidé par Alassane nde offensive diplogra la à s de « coffre » restauré a donné plu sidentielle. pré e ue lancée par l’équip matique et économiq coopération Sudla de t en cem uve le renfor avec des parteOn en veut pour pre ns atio térialisé par les rel e Sud et Nord-Sud ma ine… Mais aussi l’ax e la France ou la Ch africaine ue nq naires de taille tels qu Ba La . fixe au llement au be Rabat-Abidjan, actue siège en raison de la i avait délocalisé son qu nt me pe op vel dé de nomique soutenue éco llie be em e bercail. Un mier producteur crise est revenue au pre e, oir e que la Côte d’Iv % par le FMI qui attest ce issan d’environ 9 retrouvé une forte cro montre des at mondial de cacao, a nd ma r mie pre et 2014. Si ce t annuels entre 2012 faire pour le présiden n, beaucoup reste à ctio la isfa et sat s ne de s jeu s ne sig ploi de questions comme l’em Ouattara. Régler des . ale réconciliation nation n of security. The po s put to the restoratio of the city om ed A point of honor wa fre d ha r ge lon erie who no lice and the gendarm le. The security index onciled with the peop ended up being rec to the delegated Minormal level according meanwhile found its ed that "The Ivory lain exp o ul Koffi Koffi wh se nister of Defense Pa t concept of defen clear and coheren ament, Dearm Coast today has a Dis the en Ev l". nch mode s inspired by the Fre (DDR) whose task wa integration Authority of tion gra inte mobilization and Re te ple by achieving the com Many hardly easy finished mic and social fabric. no eco the into ts tan nt of me lish ab est 64,000 ex-comba the by this. All crowned by ssane OuatAla people felt reassured by ed sid pre S) Council (CN the National Security ty gave This climate ate of restored securi d tara himself. This clim the big diplomatic an gave more weight to team. ’s ara of restored security att Ou ne ssa nched by Ala economic offensive lau cooperation Soustrengthening of the with partners of As attested to by the ns atio rel uth evidenced by th-South and North-So ba Ra t-Abidjan axis, or China… But also the such size like France ment Bank that had op vel De n pe. The Africa currently in good sha crisis had returned arters because of the re-located its headqu the IMF that attests by d rte po sup brightening home. An economic cer, has returned du pro oa the world’s top coc that the Ivory Coast, en 2012 and 2014. out 9% per year betwe to strong growth of ab plenty remains for n, ctio isfa ws signs of sat th If this first term sho ng ssi issues like you to do, such as addre ara att Ou t en sid Pre al reconciliation. employment and nation © itn

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RETOUR DES INVE STISSEURS, EMPLOI JEUNE, RÉ CONCILIATION… 2015 est

donc un tournant déc isif pour le président Ouattara. Ce second Alassane mandat qu’il sollicite sera très suivi des Ivoiriens qui attendent la réalisation de plusie urs pans de son programme de gouver nement. Ce qui devrait conduire la Côte d’Ivoire à un meilleur niveau de développe ment, mieux à atteindre l’émergence à l’horizon 2020. Si ces chantiers sont multiples et colossaux, cer tains paraissent plus imp ortants pour impulser cet essor. Il s’a git du retour effectif des investisseurs dont les actions ces deux der nières années n’ont con sisté qu’en des promesses. Les ramene r contribuerait inéluctab lement à créer des emplois de sorte à combler le chômage des jeunes qui reste une quadrature du cer cle pour Ouattara. Un million d’emplois avaient été promis par le chef de l’État. La sempiternelle questio n de la réconciliation, toujours en berne, constitue une bombe à retardement. L’ombre de cette réconciliation non exécutée pla ne sur la présidentiell e d’octobre qui s’annonce chaude avec les appels au boycott lan cés par certains partis de l’opposition. La fracture sociale res te palpable. En dépit des problèmes qui sub sisteraient, la Commiss ion électorale indépendante (CEI) – con testée par l’opposition – a convoqué le collège électoral à la date du 25 octobre pro chain et ouvert la réception des candidatu res.

THE RETURN OF IN VESTORS, YOUTH EMPLOYMENT, RECO NCILIATION… So 2015 is a decisive turning poi

nt for President Alassa tara. This second term ne Ouatthat he seeks will be very intensely followed by Ivorians who hope for the fulfillment of several aspects of their government pro gram. This should pro pel the Ivory Coast to a better level of dev elopment in order to properly emerge through Horizon 2020. If these projects are mu ltiple and huge, some seem more imp ortant to drive this gro wth. This is the actual return of investors whose actions these las t two years have consisted only of promis es. This return would inevitably contribute to the creation of jobs of a kind to addres s youth unemployment which remains an important issue for Ou attara. One million jobs had been promis ed by the head of state. The eternal question of the reconciliation, alw ays at half mast, constitutes a ticking tim e bomb. The shadow of this unfulfilled reconciliation hovers ove r the presidential electio n in October that looks hot with the calls to boycott launched by certain parties of the opposition. The soc ial divide remains palpab le. Despite problems that persist, the Independent Electoral Commission (IEC) – contested by the opp osition – convened the electoral college for October 25 and ope ned up the reception of applications. Translated by Rachel

Wong

© flickr

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par Sandra Wolmer

AN ANTINOMY? by Sandra Wolmer

« Tolérer l’homosexualité, c’est tolérer la légitimité de Satan. Nous ne tolérerons pas les gays. (…) Si un homosexuel arrive ici en Gambie, on va le tuer comme on tue un chien ». Voilà qui est dit ! On n’en attendait d’ailleurs pas moins du « roi qui défie les rivières ». D’une extravagance affligeante, les propos de Yahya Jammeh, le dirigeant gambien, guérisseur à ses heures, auront deux mérites si toutefois il en est. Premièrement, celui de traduire sans ambiguïté l’ostracisation violente dont les homosexuels africains font l’objet. Deuxièmement, celui de révéler toute la difficulté qu’il y a à transformer les mentalités face à une orientation sexuelle trop souvent perçue comme un mal occidental venu s’enraciner sur le continent. De là à taxer l’Afrique d’homophobie, il n’y a qu’un pas…

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© See-mind Lee

“To tolerate homosexuality is to tolerate the legitimacy of Satan. We will not tolerate gays. (…) If a homosexual arrives here in Gambia, we are going to kill him, like we kill a dog.” This is what is being said! We expected no less from the king known as the conqueror of rivers. These are the words of Yahya Jammeh, Gambian leader and healer in his spare time, said with distressing extravagance, that will have two merits, if however they exist. Firstly, to translate without ambiguity the violent ostracisation that African homosexuals are subjected to. Secondly, to reveal the difficulty to transform mentalities in the face of a sexual orientation that is too often perceived as a western problem rooted in the continent. From here to accuse Africa of homophobia, there is only one step …


Passages à tabac, viols punitifs, assassinats… Il ne fait pas bon déclarer et vivre son homosexualité en Afrique. Légion, les durcissements légaux à l’égard de la communauté gay ne viendront pas contredire cette réalité, certaines lois sanctionnant purement et simplement cette orientation sexuelle de la peine capitale. Estce à dire que le continent aurait l’apanage de l’homophobie et que l’homosexualité se ferait plus occidentale qu’africaine ? Pour le sociologue camerounais Charles Gueboguo, il s’agit-là d’une contrevérité à déconstruire. Celui-ci prévient qu’il faut bien se garder de toute généralisation, le traitement de l’homosexualité variant d’un pays à l’autre : le Nigeria qui s’est doté d’une des législations les plus répressives d’Afrique n’a de toute évidence rien à voir avec le Mozambique qui l’a tout récemment dépénalisée. Et, de rappeler : « l’homosexualité est de tous les temps et de tous les peuples. Par exemple, en Angola, au Burkina Faso, au Cameroun, des pratiques homosexuelles plus ou moins formalisées ont été recensées dans la culture, les rites, la vie quotidienne sur lesquelles le mot homosexuel (datant du XIXes.) n’a jamais été posé. Et ce bien avant la colonisation. Pour autant cela ne signifie pas qu’elles n’ont jamais existé ». De quoi relativiser les propos dont se gargarisent un certain nombre de responsables politiques et citoyens africains qui tendent à présenter leur contrée comme un territoire vierge de toute corruption occidentale et, notamment, homosexuelle.

© Flast!

Brutal beatings, punitive rapes, assassinations... it does no good to declare and live one’s homosexuality in Africa. Legal difficulties towards the gay community do not contradict this reality, certain laws simply punish this sexual orientation with the death penalty. Does this mean that the continent could have a monopoly on homophobia and that homosexuality could be more Western than African? For the Cameroonian Sociologist, Charles Gueboguo, it is an untruth that needs to be deconstructed. He warns that it is necessary to refrain from generalizations, as the treatment of homosexuals varies from one country to another: Nigeria has one of the most repressive legislations in Africa and it is completely different from Mozambique which recently decriminalized homosexuality. And, to keep in mind: “homosexuality comes from all times and from all people. For example, in Angola, in Burkina Faso, in Cameroon, homosexual practices, more or less formalized, were registered in the culture, rites and everyday life well before colonization. Yet, these practices were never referred to using the word homosexual (which dates back to the 19th century). But it does not mean that they have never existed.” This puts the words of a number of politicians and African citizens into perspective as they delight in presenting their countries as virgin territories, untarnished by any western corruption, especially homosexuality. 57


AFRIQUE ET HOMOSEXUALITÉ : DÉFINITIVEMENT ANTINOMIQUES ? Comme le souligne notre spécialiste de l’homosexualité, la colonisation a favorisé la mise en place d’un système législatif inspiré des pays colonisateurs, lesquels prohibaient notamment cette orientation sexuelle. « Je parlerai plutôt d’un sentiment homophobe, que je nomme homophobie institutionnalisée, qui a été importé de l’Occident en Afrique à travers des lois qui ont commencé à interdire les pratiques homosexuelles et ont coïncidé avec un désir d’indépendance des États africains ». Et de poursuivre en expliquant qu’avant d’appliquer le concept d’homophobie à l’Afrique et à ses dirigeants, il faudrait aussi tenir compte des réalités politiques. Plusieurs présidents ripostent idéologiquement au diktat des Occidentaux en brandissant la non-africanité de l’homosexualité. Une façon de faire comprendre aux chantres de la défense des droits de l’homme qu’il existe des sujets sur lesquels ils n’ont pas voix au chapitre et qu’il reste aux Africains des valeurs auxquelles ils ne peuvent pas toucher. Alors que de nombreux pays africains sont confrontés à des problèmes dont la gravité n’a d’égal que l’urgence des réponses, l’empressement que manifestent certains États à réprimer ou à accentuer la répression gay interroge la pertinence même de ces mesures. Selon M. Gueboguo, l’homosexuel apparaît « comme l’objet sur lequel on déverse ses crispations » et, de fait, permet de détourner la population des vraies questions, à savoir toutes celles qui ont trait à des systèmes politiques défaillants : chômage, insécurité, santé, pauvreté, etc. « En Afrique on ne peut pas comprendre l’homosexualité et l’homophobie sans tenir compte des autres réalités sociales ». 58

© Niko Knigge

AFRICA AND HOMOSEXUALITY: DEFINITIVELY PARADOXICAL? As our specialist in homosexuality underlines, colonization favored the implementation of a legislative system inspired by the colonizing countries, which prohibited this sexual orientation. “I would rather talk about a homophobic feeling, that I define as being an institutionalized homophobia, which was imported to Africa by the West through laws which began to forbid homosexual practices and coincided with African countries’ desire for independence.” And to continue by explaining that before applying the concept of homophobia in Africa and its leaders, it would also be necessary to take political realities into account. Several presidents, ideologically retorted to the Western countries’ diktat by arguing that homosexuality is not African. A way to make these human rights supporters understand that there are subjects on which they don’t have a say and that there are values belonging to Africans which they cannot touch. As numerous African countries are confronted with problems needing urgent solutions, the eagerness that certain countries have to repress homosexuality, questions the relevance of these measures. According to Mister Gueboguo, the homosexual appears “as the target on which we cast our tensions” and, actually, diverts the population from the real questions worth asking such as those regarding failing political systems: unemployment, safety, health, poverty, etc. “In Africa we cannot understand homosexuality and homophobia without taking into account other social realities.”


AFRIQUE ET HOMOSEXUALITÉ : QUELLE ÉVOLUTION ? Sur le continent, la sexualité demeure un sujet tabou abordé, avec beaucoup de poésie et de subtilité, par le biais de métaphores, de détours, d’allusions mais dont l’homosexualité est exclue. Autant dire que l’évolution des mentalités semble s’apparenter à un défi insurmontable, ce que corroborent les propos du sociologue : « il y a une négociation à reprendre. La compréhension des choses doit s’effectuer dans ce qui est reconnu et accepté culturellement de façon à ce que l’homosexualité ne soit pas traitée comme une question à part mais qu’elle s’intègre au tout social. Je ne suis pas en train de dire que les cultures sont figées mais il faut leur laisser la capacité d’évoluer d’elles-mêmes, dans leur propre dynamique et à leur rythme ». L’heure n’est donc pas aux gay pride et coming out, la publicité de l’homosexualité constituant un véritable choc culturel. Même en Afrique du Sud qui fait figure d’exception sur le continent pour avoir été le premier État à avoir inscrit dans sa Constitution la reconnaissance du mariage homosexuel, des viols lesbiens punitifs (quand il ne s’agit pas d’assassinats) sont régulièrement dénoncés. Preuve en est que dans la nation arc-en-ciel, comme ailleurs, la population n’évolue pas sur demande ou en raison de modifications législatives. Sur le terrain, les associations se mobilisent de plus en plus aux fins de l’amélioration des droits de la personne en général et, en particulier, de ceux des individus ayant des orientations sexuelles minoritaires. La question du sida constitue d’ailleurs un point d’entrée qui permet d’aborder non seulement la question de l’homosexualité mais également des thématiques connexes telles que celles liées au droit à la santé, au droit aux soins pour tous. Il faut donc éduquer les mentalités. Un processus fatalement chronophage.

« L’Afrique marche à son rythme suivant ses intérêts et ce qu’elle définit ou non pour sa survie. Évidemment, des mouvements issus de la société civile tendent vers une harmonisation des droits des individus. Mais je ne pense pas que cela se fera rapidement en Afrique car les gens ont besoin de comprendre ». C’est précisément là où le bât blesse : beaucoup perçoivent cette compréhension comme une forme de capitulation. Ce que confirme Charles Gueboguo « Comprendre et tolérer l’homosexualité signifierait l’accepter dans sa propre intimité. Or ce n’est pas la question. La question consiste à savoir comment construire le continent de façon que les divergences ne constituent pas un obstacle ».

© Berto Garcia

L’HOMOSEXUEL APPARAÎT “COMME L’OBJET SUR LEQUEL ON DÉVERSE SES CRISPATIONS » 59


AFRICA AND HOMOSEXUALITY: IS THERE EVOLUTION? © Lupzdut

On the continent, the subject of sexuality remains a taboo approached with a lot of poetry and subtlety, by means of metaphors, by means of bends, by means of allusions but from which homosexuality is excluded. It is fair to say that the evolution of peoples’ mentalities seems to be an insurmountable challenge, which the words of the sociologist corroborate: “there is a negotiation to be resumed. The understanding of things has to be done in a way that is culturally recognized and accepted so that homosexuality is not treated as a question apart but that it becomes socially integrated. I am not saying that the cultures are rigid but it is necessary to allow them to evolve dynamically at their own rhythm.”

CHARLES

It is thus not the time for Gay Pride and coming out phases because homosexual publicity represents a real culture shock. Even in South Africa, which stands as an exception on the continent due to its pioneering role in enshrining same-sex marriages in its constitution, punitive lesbian rapes (when it is not murders) are regularly reported. Proof that the rainbow nation’s population, as elsewhere, does not evolve on request or because of legislative changes. On the ground, associations mobilize more and more with the aim of improving the rights of people in general and, particularly, those of individuals with minority sexual orientations. The question of AIDS is an entry point which allows to approach not only the question of homosexuality but also of related themes such as those connected to the right of health, the right for healthcare for all. It is thus necessary to educate people, inevitably a very time-consuming process. “Africa marches to the beat of its own drum, according to its interests and what it defines for its survival. Obviously, movements stemming from civil society aim towards a harmonization of the rights of the individuals. But I do not think that it will happen quickly in Africa because people need to understand.” It is exactly there where the shoe pinches: many perceive this understanding as a type of surrender. This is what Charles Gueboguo confirms: “To understand and tolerate homosexuality would mean accepting it in one’s own private life. Yet, this is not the question. The question consists in knowing how to build the continent so that the differences do not pose an obstacle.” ` Translated by Nadine Visagie 60

La question homosexuelle en Afrique. (Paris : L'Harmattan, 2006) Sida et homosexualités en Afrique. (Paris : L'Harmattan, 2009) New Perspectives on Sexualities in Africa. Eds (avec Marc Epprecht, Canadian Journal of African Studies. Vol. 43/1 2009).


LE MAGAZINE DE L’AFRIQUE

LEKIOSK.COM 54ETATS.FR

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SOMMÉE DE SE JUSTIFIER APRÈS CHAQUE ACTE TERRORISTE COMMIS SUR LE CONTINENT EUROPÉEN, LA COMMUNAUTÉ MUSULMANE EST SOUVENT POINTÉE DU DOIGT – POUR LE MOINS FACILEMENT – POUR SA PRÉTENDUE INERTIE. UN RELIGIEUX, POURTANT, A DÉCIDÉ DE PRENDRE À BRAS LE CORPS LE PROBLÈME DE LA RADICALISATION : MUHAMMAD TAHIR-UL-QADRI, INITIATEUR DU PROGRAMME ISLAMIC CURRICULUM ON PEACE & COUNTER TERRORISM. © Tayyab Raza

LE REMÈDE ANTI-DJIHAD THE ANTI-JIHAD REMEDY by Hervé PUGI

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FACING CONFRONTATION AFTER EVERY TERRORIST ACT IS COMMITTED ON THE EUROPEAN CONTINENT, THE MUSLIM COMMUNITY IS OFTEN SINGLED OUT – VERY EASILY – FOR THEIR ALLEGED PASSIVITY. ONE RELIGIOUS PERSON, HOWEVER, HAS DECIDED TO TAKE THE PROBLEM OF RADICALIZATION INTO HIS OWN HANDS: MUHAMMAD TAHIR-UL-QADRI, THE CREATOR OF THE ISLAMIC CURRICULUM ON PEACE & COUNTER TERRORISM. A PORTRAIT.


C’est le mardi 23 juin, à Londres, que le natif de Jhang (dans le centre de la province du Pendjab) a dévoilé son plan d’action pour « apprendre aux nouvelles générations le véritable sens du coran, basé sur l’amour, la tolérance et la coexistence ». Mais qui est ce docteur, finalement méconnu hors de la diaspora pakistanaise, qui attire ce jour-là les médias du monde entier ? À voir la révérence affichée par les participants à l’événement, venus des quatre coins du monde, la légitimité de Muhammad Tahir-ul-Qadri ne fait aucun doute. Il faut dire que depuis trois décennies ce juriste de formation, spécialisé en religion, est pleinement investi dans la vie de son pays dans toutes ses dimensions. Si l’islam en est une, elle ne peut pas être la seule. Fondateur en 1981 de l’ONG Minhaj-ul-Quran International (MQI), ce sexagénaire (il est né en 1951) se lance en mai 1989 en politique via le Pakistan Awami Tehreek (Mouvement du peuple pakistanais). Dans la lignée de son engagement spirituel, l’ancien avocat au barreau de Lahore prône un islam tolérant et une juste redistribution sociale des richesses. Des thèmes porteurs qui lui permettent de siéger à l’Assemblée après les législatives de 2002. Le tout dans un climat national délétère.

APPRENDRE AUX NOUVELLES GÉNÉRATIONS LE VÉRITABLE SENS DU CORAN

It is in London, Tuesday, the 23rd of June, where the native from Jhang (in the center of the Punjab province) unveiled his action plan to "teach the new generations the real meaning of the Koran, based on love, tolerance and co-existence". But who is this doctor, little known outside of the Pakistani diaspora, who today is attracting media from around the world? To see the reverence displayed by attendees of the event from all over the world leaves no doubt to the legitimacy of Muhammad Tahir-ul-Qadri. It must be said that for thirty years this lawyer by training, specialized in religion, has been clearly invested in the life of his country in all aspects. If Islam is one of these aspects, it cannot be the only one. Founder of the NGO Minhaj-ul-Quran International (MQI) in 1981, this sexagenarian (he was born in 1951) entered politics in May of 1989 through the Pakistan Awami Tehreek (Pakistan People’s Movement). In line with his spiritual commitment, the former lawyer practicing in Lahore advocates a tolerant Islam and a fair social redistribution of wealth. These were key themes that allowed him to claim a seat at the assembly in the 2002 elections. He accomplished all of this in a poisonous national climate.

© Lahore Massacre

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UN ACTIVISME JAMAIS DÉMENTI Cet intermède dans les arcanes du pouvoir ne durera que deux ans. Démissionnaire et traqué par le gouvernement, Muhammad Tahir-ul-Qadri s’exile au Canada pendant sept longues années. Pas question pour autant de renoncer à la lutte. En 2010, sa fatwa de 600 pages condamnant le terrorisme islamiste connaît un retentissement international. Un militantisme de terrain puisque le docteur enchaîne tournées, réunions publiques et cours magistraux sur toute la planète. Loin d’abandonner les joutes nationales, il refait son apparition à Lahore en décembre 2012 pour une longue marche vers Islamabad, suivie d’un sit-in un an plus tard, afin de réclamer la dissolution de la Commission électorale et dénoncer la corruption des élites. Intouchable, Muhammad Tahir-ulQadri l’est. Ce qui n'est pas le cas de ses militants souvent emprisonnés. Et malgré les menaces, le théologien réédite l’expérience en août 2014. Faisant fi de vieilles querelles, il coordonne avec Imran Khan une nouvelle marche vers la capitale contre le gouvernement de Nawaz Sharif. Un activisme jamais démenti dans le temps qui trouve son prolongement avec l’Islamic Curriculum on Peace & Counter Terrorism.

UNFAILING ACTIVISM This interlude in the corridors of power only lasted two years. Resigned and cornered by the government, Muhammad Tahir-ul-Qadri went into exile in Canada for seven long years. There was no question as to give up the fight. In 2010, his 600-page fatwa condemning Islamist terrorism made international waves. The doctor’s grassroots activism manifests through tours, public meetings and lectures stretching to all four corners of the world. Far from abandoning national challenges, he resurfaced in Lahore in December 2012 for a long march toward Islamabad, followed by a sit-in a year later, in order to demand the dissolution of the electoral commission and denounce elite corruption. Muhammad Tahir-ul-Qadri is untouchable. This is not the case for his activists who are frequently imprisoned. And despite threats, the theologian repeated the experience in August of 2014. Completely ignoring the old quarrels, he coordinated a new march toward the capital with Imran Khan against Nawaz Sharif’s government. An unfailing activism that is enduring with the Islamic Curriculum on Peace & Counter Terrorism. Translated by Rachel Wong

QU’EST-CE QUE L’ISLAMIC CURRICULUM ON PEACE & COUNTER TERRORISM ?

« Nous considérons que notre leadership doit encourager nos imams, enseignants religieux et parents à devenir des acteurs clés de la lutte contre les idéologies sans fondement, fallacieusement présentées comme interprétations authentiques de l’Islam car c’est à ceux-ci qu’incombe fondamentalement la responsabilité de nourrir et d’éduquer les enfants, tout en veillant à ce qu’ils soient immunisés contre la propagande des extrémistes. Par ailleurs, les jeunes musulmans doivent apprendre à faire le distinguo, sur Internet ou ailleurs, entre d’une part les véritables préceptes islamiques et, d’autre part, les clichés et la réthorique extrémiste. Le nouveau Islamic Curriculum on Peace & Counter Terrorism constitue un suivi de la fatwa et son élaboration a été attentivement supervisée par le Dr Qadri en personne. Cet ouvrage renferme un programme détaillé qui apportera aux utilisateurs, qu’il s’agisse de responsables politiques, d’enseignants, d’agences gouvernementales et d’entités en charge de la sécurité, les connaissances et outils propres à empêcher l’ensemencement des graines de l’extrémisme religieux et à lutter contre son idéologie. En matière de propagande extrémiste, les cibles ultimes visées demeurent les enfants, les étudiants ou tout autre individu vulnérable, que ceux-ci viennent des écoles, des universités ou de quelconques autres établissements, tels que les prisons et lieux de culte. » Source: www.peaceprogram.net

"It is our view that our leadership must support our imams, religious teachers and parents to become key players in the fight against ill-founded ideologies masqueraded as authentic interpretations of Islam as these are the people who are fundamentally responsible for nurturing and educating children, ensuring they are immunised against the propaganda of the extremists. At the same time, young Muslims need to be taught to differentiate between authentic Islamic teachings and the clichés and rhetoric of extremists, whether online or elsewhere. The new Islamic Curriculum on Peace & Counter Terrorism’ is a follow up to the Fatwa and its production has been closely supervised by Dr Qadri personally. This work contains a detailed syllabus that will equip users, whether policy-makers, teachers, imams, government and security agencies, with knowledge and tools to prevent the seeds of religious extremism being sown and in countering extremist ideology. The eventual targets of intervention are children, students or other vulnerable individuals, whether in schools, colleges, universities or other institutes or settings, such as prisons and places of worship." Source: www.peaceprogram.net

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PEUVENT-ILS VRAIMENT CHANGER L'EUROPE ?

par Clivia POTOT-DELMAS

© Gianni Giatilis

ILS S’APPELLENT ALEXIS TSIPRAS OU PABLO IGLESIAS ET ILS FONT TREMBLER BRUXELLES. RESPECTIVEMENT CHEFS DE FILE DE SYRIZA ET PODEMOS, LES DEUX LEADERS TENDENT À S’IMPOSER COMME LE RECOURS CONTRE L’AUSTÉRITÉ EN EUROPE. APRÈS LES SUCCÈS ÉLECTORAUX, QUEL AVENIR POUR CES MOUVEMENTS ? 25 janvier 2015, la Grèce change de visage. Syriza, le parti de la gauche radicale, remporte les élections législatives et propulse par la même occasion le très charismatique Alexis Tsipras à la tête du gouvernement. Plus durement touchés par la crise économique de 2008, les pays d’Europe du Sud voient émerger de nouveaux mouvements politiques. Leur ligne de conduite ? Dire non à l’austérité. Encouragés par un contexte économique et social difficile, ils se sont rapidement imposés sur la scène politique. Gangrénés par un chômage grandissant, 27 % en Grèce et 23 % en Espagne, les pays méditerranéens s’enfoncent dans la crise depuis plusieurs années. Crise de la dette en Grèce et explosion de la bulle immobilière en Espagne viennent noircir un peu plus le tableau. Les populations ont subi les plans d’austérité successifs imposés par les gouvernements de gauche comme de droite et certaines instances internationales. En résulte une méfiance accrue envers les politiques. Une brèche dans laquelle Syriza et Podemos se sont engouffrés.

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CAN THEY REALLY CHANGE EUROPE? THEIR NAMES ARE ALEXIS TSIPRAS AND PABLO IGLESIAS AND THEY ARE SHAKING UP BRUSSELS. RESPECTIVELY THE LEADERS OF SYRIZA AND PODEMOS, THE TWO ARE EMERGING AS THE FORCES AGAINST AUSTERITY IN EUROPE. AFTER ELECTORAL SUCCESS, WHAT DOES THE FUTURE HOLD FOR THESE MOVEMENTS? January 25, 2015, Greece changes face. Syriza, the party of the radical left wins the legislative elections and propels at the same time the very charismatic Alexis Tsipras to the head of government. Hardest hit by the economic crisis of 2008, the countries of Southern Europe are creating new political movements. Their course of action? To say "no" to austerity. Encouraged by a difficult social and economic context, they are quickly gaining ground on the political scene. Plagued by growing unemployment, 27% in Greece and 23% in Spain, these Mediterranean countries have been sinking into crisis for several years. A debt crisis in Greece and burst housing bubble in Spain are darkening the picture. People are suffering under the austerity plans successively imposed by left as well as right governments and certain international bodies. The result is an increased distrust towards politics. A trend toward which Syriza and Podemos have rushed.


LA RECETTE SYRIZA À l’origine une coalition d’inspiration marxiste, Syriza a su modérer son discours pour rassembler largement les Grecs. Anti-austérité ? Oui, mais pas eurosceptique. Pour convaincre, les militants ont une rhétorique bien rodée : mettre l’accent sur le renouveau politique. Profitant de l’affaiblissement du Pasok, le parti socialiste grec, Syriza se veut l’héritier de leurs combats originaux. Hausse du salaire minimum, nationalisation, embauche de fonctionnaires, etc, le parti mise sur le social pour contrer l’austérité imposée par l’Union européenne. Dans la péninsule ibérique, c’est Podemos qui incarne le renouveau. Né en janvier 2014, le parti a su très vite s’inspirer de son grand frère grec. À commencer par un petit quelque chose qui fait beaucoup. Les deux formations sont portées par des leaders charismatiques. Alexis Tsipras a fait de ses discours de vrais spectacles, maîtrisant l’art de la petite phrase et des rebondissements comme lors de l’annonce du référendum du 5 juillet dernier. Son homologue espagnol excelle lui aussi en communication et travaille son apparence. Depuis la naissance du mouvement des indignés de la Puerta Del Sol de Madrid en 2011, Pablo Iglesias cultive son image populaire. Cheveux longs, barbe mal taillée et jamais de costume, l’homme refuse d’adopter les codes vestimentaires de ceux contre lesquels il entend se battre. Plus classique, Tsipras, quant à lui, a tombé la cravate. Plus qu’un détail, un symbole. Force est de constater que la recette fonctionne. Après la victoire de Syriza aux législatives grecques de janvier, Podemos avait toutes les raisons d’y croire. Les régionales et municipales espagnoles de mai dernier ont confirmé leurs espoirs. À Madrid et à Barcelone, le mouvement a transformé l’essai en remportant la mairie. À la tête des deux plus grandes villes du pays, Podemos entend en faire sa vitrine en vue des législatives de novembre 2015. Ada Colau, nouvellement élue dans la capitale catalane, a divisé son salaire par cinq. Une mesure symbolique qui envoie un signal fort aux électeurs espagnols.

THE SYRIZA FORMULA At the origin a coalition of Marxist inspiration, Syriza has managed to moderate its discourse to largely rally Greeks. Anti-austerity? Yes, but not Eurosceptique. In order to convince, the activists wield a well-oiled rhetoric: focus on political renewal. Profiting from the weakening of Pasok, the Greek socialist party, Syriza wants to inherit their original battles. An increase of the minimum wage, nationalization, the hiring of officials, etc, the party is hedging its bets on the social aspect to counter austerity imposed by the European Union. On the Iberian Peninsula, it is Podemos that embodies the renewal. Born in January 2014, the party learned very quickly to model itself off of its big Greek brother. Starting with a little something that makes a lot. The two parties are carried by charismatic leaders. Alexis Tsipras made real shows out of his speeches, mastering the art of the sound bite and twists evident from the announcement of the referendum last July 5th. His Spanish counterpart also excels in communication and works his look. Since the birth of the movement by outraged citizens from Puerta Del Sol of Madrid in 2011, Pablo Iglesias cultivates his popular image. Long hair, poorly trimmed beard and never in a suit, the man refuses to adopt the sartorial codes of those against who he means to do battle. More classic, Tsipras, according to him, has dropped his tie. More than a detail, it is a symbol. It is clear that the formula is working. After Syriza’s victory on Greek legislation in January, Podemos had all the reasons to believe in it. Spanish regional and municipal elections from last May confirmed their hopes. In Madrid and Barcelona, the movement won the town hall. At the head of two of the biggest cities in the country, Podemos intends to make a showcase for legislatives for November 2015. Ada Colau, newly-elected to the Catalan capital divided her salary by five. A symbolic measure that sends a strong signal to Spanish voters.

© Jairo Vargas Martin

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SUCCÈS ÉLECTORAUX, ET APRÈS ? Faire flancher l’Eurogroupe. À peine élu, Alexis Tsipras ne cache pas ses ambitions. Il nomme au ministère de l’Économie Yanis Varoufakis. L’économiste de 54 ans, hostile à la troïka (Commission européenne, BCE, FMI), mène âprement les négociations pour éviter la faillite de son pays. Les négociations dans l’impasse, Tsipras semble embarrassé par son ministre, roi de la provoc', détesté par Bruxelles mais adulé par les siens. La ligne dure prônée par Varoufakis n’a plus la cote dans le gouvernement grec. Le ministre démissionne au lendemain du référendum du 5 juillet, révélant des dissensions au sein de Syriza. Lors du vote sur les mesures d’austérité, 39 députés du parti votent contre. Désavoué par une partie de son camp, le Premier ministre grec est contraint de remanier son gouvernement après seulement sept mois d’exercice. Alexis Tsipras a craqué face à la pression de l'UE au point d’affaiblir sa position en Grèce. Des concessions sur sa ligne politique qui accréditent la thèse selon laquelle la méthode Syriza ne peut fonctionner sans politique globale au niveau européen. Reste une question. Aujourd’hui, les gouvernements ont-ils les mains libres pour mener la politique de leur choix ? Dans la crise financière qui a fait naître Syriza comme Podemos, ce sont les marchés qui mènent la danse. Dans son bureau de la Calle Zurita à Madrid, Pablo Iglesias rêve toujours d’être le prochain Premier ministre espagnol. Oui, mais pour quoi faire ?

ELECTORAL SUCCESS, AND THEN WHAT?

© Marc Lozano

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Make the Eurogroup flinch. Barely elected, Alexis Tsipras does not hide his ambitions. He names Yanis Varoufakis as minister of economy. The fifty-four year old economist, hostile to the Troika (European Commission, ECB, IMF), leads negotiations bitterly to avoid the bankruptcy of his country. With negotiations in deadlock, Tsipras seems embarrassed by his minister, king of provocation, hated by Brussels but adored by his people. The hard line advocated by Varoufakis is out of favor in the Greek government. The minister resigns the day after the referendum of July 5th, revealing rifts at the heart of Syriza. In the vote on measures of austerity, 39 party deputies voted against. Disowned by a part of his camp, the Greek prime minister is forced to reshuffle his government after only seven months. Alexis Tsipras cracked under pressure from Brussels to the point of weakening his position in Greece. Concessions on its political line that accredit the thesis according to the Syriza method cannot work without global policy at a European level. There remains a question. Today do the governments have the freedom to administer the policy of their choosing? In the financial crisis that gave birth to Syriza like Podemos, these are markets that are leading the dance. In his office on Zurita Street in Madrid, Pablo Iglesias still dreams of becoming the next Spanish prime minister. Yes, but to do what?


BEPPE GRILLO ET LE MOUVEMENT 5 ÉTOILES, LES RAISONS D’UN ÉCHEC

BEPPE GRILLO AND THE 5 STAR MOVEMENT, THE REASONS FOR FAILURE © Matteo

Acteur et humoriste italien, Beppe Grillo a toujours été politiquement engagé. Dans les années 1980, il est écarté de la télévision publique pour laquelle il travaille après avoir vivement critiqué le Parti socialiste au pouvoir à l’époque. Dès 2005, il crée un blog dans lequel il épingle les politiques transalpins. Sa liberté de ton et son discours sans concession séduisent. En février 2013, lors des élections législatives, le Mouvement se classe troisième avec 24 % des voix. Un succès qui ne sera jamais renouvelé. Trois mois plus tard, aux municipales, le Mouvement 5 étoiles ne maintient aucun candidat au second tour. Une défection qui cache une désillusion profonde. Beppe Grillo représentait une voix discordante dans le paysage politique mais son programme ne remporte pas de réelle adhésion. Les électeurs de Grillo souhaitaient simplement mettre en garde les partis traditionnels pour les obliger à modifier leur ligne de conduite. L’émergence de Matteo Renzi, jeune Premier ministre quadragénaire, finira de mettre fin à la farce. Aux européennes de 2014, l’échec se confirme. Le parti perd 3 millions d’électeurs. S’il partage avec Iglesias et Tsipras un charisme à toute épreuve, c’est bien leur seul point commun. Le programme économique du mouvement préconise entre autres « la réduction de la dette publique à travers de fortes interventions sur le coût de l’État ». L’homme peine à convaincre politiquement et multiplie les dérapages racistes contribuant à affaiblir son mouvement auprès des Italiens. Le trublion n’a pourtant pas prévu de changer de cap.

Italian actor and comedian, Beppe Grillo has always been politically engaged. In the 1980s, he was removed from public television after having criticized the Socialist Party in power at the time. From 2005, he has been writing a blog in which he needles trans-Alpine policies. His outspokenness and uncompromising speech seduce. In February 2013, during the legislative elections, the Movement comes in third with 24 % of the vote. A success that will never be repeated. Three months later, at the municipal elections, the 5 Star Movement does not sustain a single candidate to the second round. A defection that hides a deep disillusionment. Beppe Grillo represented a dissenting voice in the political landscape but his program did not win actual adhesion. Grillo’s voters simply wanted to warn traditional parties to make them modify their course of action. The emergence of Mateo Renzi, young prime minister, will finish by ending the farce. To the Europeans of 2014, the failure confirms it. The party lost three million voters. If he shares with Iglesias and Tsipras a foolproof charisma, then this is really the only thing they have in common. The economic program of the movement calls among others for "the reduction of public debt through strong interventions at the cost of the State". The man fails to convince politically and multiplies racist excesses contributing to the weakening of his movement with Italians. The troublemaker however has no plans to change his course. Translated by Rachel Wong

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© Brianmason

POUR LES OUÏGHOURS, LES ANNÉES SE SUIVENT… ET SE RESSEMBLENT ! TANDIS QUE S’OUVRAIT LA PÉRIODE DE RAMADAN, LES AUTORITÉS CHINOISES ONT UNE NOUVELLE FOIS INSTAURÉ DES RÈGLES VISANT À EMPÊCHER CETTE COMMUNAUTÉ DE PRATIQUER LE JEÛNE, ALORS QU’AU SEIN MÊME DU PAYS D’AUTRES MUSULMANS JOUISSENT DE LA POSSIBILITÉ DE LE FAIRE LIBREMENT. UNE POLITIQUE DU DEUX POIDS DEUX MESURES, POUR NE PAS DIRE CLAIREMENT DISCRIMINATOIRE, QUI N’EST ÉVIDEMMENT PAS SANS INTERROGER LE RAPPORT QU’ENTRETIENT PÉKIN AVEC SES RESSORTISSANTS DE CONFESSION MUSULMANE. THIERRY KELLNER, DOCTEUR EN RELATIONS INTERNATIONALES DE L’INSTITUT UNIVERSITAIRE DE HAUTES ÉTUDES INTERNATIONALES (IUHEI) DE GENÈVE APPORTE SES ÉCLAIRAGES. 70

FOR UYGHURS, EACH YEAR THAT PASSES LOOKS A LOT LIKE THE PREVIOUS YEAR! AS THE PERIOD OF RAMADAN STARTED, THE CHINESE AUTHORITIES ONCE AGAIN IMPOSED RULES TO PREVENT THIS COMMUNITY FROM FASTING, WHILE WITHIN THE SAME COUNTRY OTHER MUSLIMS ENJOY THE POSSIBILITY OF OBSERVING THE PRACTICE FREELY. A POLICY OF DOUBLE STANDARDS, WHICH IS CLEARLY DISCRIMINATORY, AND BRINGS INTO QUESTION THE RELATIONSHIP THAT BEIJING MAINTAINS WITH ITS MUSLIM NATIONALS. THIERRY KELLNER, DOCTOR OF INTERNATIONAL RELATIONS, (DIR) AT THE GRADUATE INSTITUTE OF INTERNATIONAL AND DEVELOPMENT STUDIES (IHEID) IN GENEVA SHARES HIS INSIGHTS.


54 ÉTATS : Pouvez-vous nous présenter la population musulmane chinoise ? Thierry Kellner (T. K.) : La Chine compterait une vingtaine de millions de musulmans dont les groupes les plus importants sont les Hui, les Ouïghours et les Kazakhs. D’après les statistiques, les Hui constituent numériquement la minorité musulmane la plus importante. Ces derniers sont des Chinois, des Han, qui se sont convertis à l’islam au cours de la longue histoire du pays. Cette minorité souvent définie comme ethnique est avant tout religieuse. Viennent ensuite les Ouïghours, turcophones, quasiment tous concentrés dans la même région, le Xinjiang. Il s’agit d’une minorité très importante dont le nombre s’élève à plus de 10 millions d’après le recensement officiel de 2010. Puis, il y a d’autres ethnies musulmanes, beaucoup plus minoritaires, dont font partie les Kazakhs, les Salars, les Ouzbeks, quelques Tajiks et Tatars. Relativement diversifiée, composée de minorités ethniques qui ne parlent pas nécessairement la même langue, la population musulmane fait l’objet d’un traitement différencié. Par exemple, par rapport aux Ouïghours, les Hui sont privilégiés : il leur est plus facile de partir en pèlerinage, d’étudier à l’étranger, etc.

54 ÉTATS: Can you describe China's Muslim population? Thierry Kellner (T.K.): China is home to around 20 million Muslims whose most important groups are the Hui, Uyghurs and Kazakhs. According to the statistics, the Hui are the largest Muslim minority group in terms of numbers. The latter comprises of Chinese, Han Chinese, who were converted to Islam during the long history of the country. This minority that is often defined as ethnic, is above all religious. Next are the Uyghurs who speak a Turkic-based language and are almost all concentrated in the region of Xinjiang. It is a very important minority group whose number amounts to more than 10 million according to the official census of 2010. Then, there are other much smaller Muslim ethnic groups including: the Kazaks, the Salars, the Ozbeks, some Tajiks and Tatars. Relatively diversified, composed of ethnic minorities which don't necessarily speak the same language, the Muslim population is subjected to differential treatment. For example, compared to the Uyghurs, the Hui are privileged: it is easier for them to go on a pilgrimage, to study abroad, etc.

© Gusjer

54 ÉTATS : Comment expliquez-vous que les populations musulmanes chinoises ne soient pas toutes logées à la même enseigne ? T. K. : Cette différence de traitement apparaît de façon criante entre les Ouïghours et les autres musulmans chinois. Les Hui constituent en effet la vitrine du Parti communiste que les officiels se plaisent à présenter pour témoigner de la haute estime en laquelle ils tiennent l’islam. Les autorités chinoises considèrent que les Ouïghours peuvent poser un problème de sécurité du fait de leur concentration dans le sud du Xinjiang, contrairement aux Hui qui se dispersent sur l’ensemble du territoire chinois. Les Ouïghours se concentrent dans une région qui a eu des liens très distendus avec la Chine. Initialement, de nombreux groupes ethniques y avaient élu domicile. Pékin s’est donc arrangé pour inverser la balance ethnique en favorisant l’afflux d’une population Han par différents biais. Des centaines, des milliers de Han se sont donc installés dans cette zone faisant naître un sentiment de frustration chez les Ouïghours, auparavant majoritaires, qui représentent aujourd’hui moins de 40 % de la population de cet espace.

54 ÉTATS: How do you explain the fact that China's Muslim populations are treated differently? T.K.: This difference in treatment is striking between Uyghurs and other Chinese Muslims. The Hui represent the window of the Communist Party which officials like to present to show the high regard which they hold for Islam. The Chinese authorities consider that Uyghurs can pose a security problem because of their concentration in the South of Xinjiang, contrary to the Hui that are scattered throughout the entire Chinese territory. Uyghurs are concentrated in a region which has had strained ties with China. Initially, numerous ethnic groups had taken up residency there. Beijing thus arranged to invert the ethnic balance by favoring the influx of the Han population through different means. Hundreds, thousands of Han thus settled down in this zone creating a feeling of frustration for the Uyghurs, previously the majority, which represent less than 40 % of the population of this region today. 71


54 ÉTATS : Pourquoi un tel acharnement ?

54 ÉTATS: Why such determination?

T. K. : L’islam chez les Ouïghours est attaqué car il représente un facteur d’identification culturelle fort, une forme de résistance au pouvoir. Pékin a donc décidé de mettre l’accent sur la répression de tous les signes extérieurs d’appartenance à cette religion : interdiction de faire le ramadan, de porter le voile, la barbe, etc. Territoire communiste athée, la Chine exerce de fait un contrôle sur les activités religieuses. Les Ouïghours font ainsi l’objet non seulement d’une répression générale inhérente au caractère athée du régime communiste mais encore d’une répression particulière découlant du danger de séparatisme que cette communauté ferait peser sur le pays. Les autorités craignent en effet les velléités d’autonomie réelle, voire d’indépendance d’une partie de la population ouïghoure.

T.K.: Islam is attacked where the Uyghurs live because it represents a strong, cultural identification factor, a form of resistance to the government. Beijing thus decided to emphasize the repression of all signs belonging to this religion: banning Ramadan, wearing a veil, having a beard, etc. In fact, as an atheist, communist territory, China controls religious activities. The Uyghurs are not only subjected to general repression inherent in the atheistic character of the communist regime but also suffer from a particular repression ensuing from the danger of separatism which this community could have on the country. The authorities are indeed afraid of the vague desire of real autonomy, even independence of a part of the Uyghur population.

54 ÉTATS : L’islam ne fédère-t-il pas les populations musulmanes chinoises ? T. K. : Bien sûr, l’islam a un côté fédérateur mais il existe une véritable coupure ethnique. La solidarité entre les Musulmans (Hui, Ouïghours et Kazakhs) s'est exprimée, en 1989, à l'occasion de la publication du livre Xing fensu (« Coutumes Sexuelles ») jugé insultant pour l'islam. Néanmoins, force est de constater que, sur le plan religieux, il n’y a pas une réelle solidarité entre Hui et Ouïghours. Ces derniers considèrent en effet les Hui plutôt comme des relais des Han que comme des personnes avec lesquelles ils auraient de véritables affinités.

54 ÉTATS: Doesn't Islam unite the Chinese Muslim populations? T.K.: Of course, Islam has a unifying side but there is still a real ethnic divide. The solidarity expressed among Muslims (Hui, Uyghurs and Kazaks) at the publication of the book Xing fensu ("Sexual customs") deemed insulting to Islam dates back to 1989. Nevertheless, we have to admit that with regards to religion, there is no real solidarity between the Hui and the Uyghurs. The latter consider the Hui more as people related to the Han than as people with whom they could share real affinities.

© DR

54 ÉTATS : Quelle est la réalité de la menace terroriste ouïghoure ? T. K. : Les autorités chinoises estiment que le risque terroriste provient de cette communauté. La prudence est de mise car Pékin ne communique pas clairement à ce sujet. Le pouvoir a une fâcheuse tendance à affubler du terme terrorisme le moindre incident. Les Ouïghours ont des parcours individuels particuliers et il n’est pas exclu que certains d’entre eux versent dans le terrorisme. L’existence de tensions interethniques n’est évidemment pas étrangère à cette situation. De là à parler de mouvements terroristes organisés à l’intérieur même du Xinjiang… Beaucoup d’experts en doutent. D’ailleurs, au vu du contrôle strict exercé sur cette province et des mesures gouvernementales appliquées, si ces mouvements étaient de l’ampleur indiquée, ce serait finalement un formidable aveu d’échec de la politique gouvernementale. Tout ceci reste extrêmement bien instrumentalisé par les autorités chinoises. Le terrorisme est un argument que le pays utilise dans ses relations avec ses voisins, notamment les républiques d’Asie centrale, pour construire une sorte de cordon sanitaire autour de sa population ouïghoure. La Chine craint notamment les menaces que l’État islamique fait peser sur elle, en particulier à la suite de récentes déclarations présentant le Xinjiang comme une terre de djihad. 72

54 ÉTATS: What is the reality regarding an Uyghur terrorist threat? T.K.: The Chinese authorities think that the terrorist risk comes from this community. Caution is required because Beijing is not clear on this matter. The government has an annoying tendency to attribute the term terrorism for the slightest incident. Uyghurs have individual paths and it is not excluded that some of them turn to terrorism. The existence of inter-ethnic tensions are obviously not foreign to this situation. Between that and speaking about terrorist movements organized within Xinjiang … many experts doubt it. Furthermore, in view of the applied governmental measures and strict control exercised in this province, if these movements were of the indicated scale, it would be a tremendous admission of failure of the governmental politics. All of this remains extremely well manipulated by the Chinese authorities. Terrorism is an argument which the country uses in its relations with its neighbors, in particular the republics of Central Asia, to build a kind of cordon sanitaire around its Uyghur population. China is particularly afraid of threats made by the Islamic State, especially following recent declarations presenting Xinjiang as jihad territory.


54 ÉTATS : La répression des Ouïghours ne répondrait-elle pas à un objectif géostratégique essentiel : conserver le Xinjiang dans son giron ? T. K. : Sur un plan économique, le Xinjiang est une région extrêmement riche en matières premières : principale région productrice d’hydrocarbures du pays, charbon, uranium. Au niveau symbolique, Pékin ne pourrait absolument pas se permettre de voir une aussi grande partie de son territoire amputée. Se pencher sur cette question reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore et créerait un effet d’entraînement auprès d’autres régions chinoises telles que le Tibet, Taïwan et la Mongolie. Rappelons que la Chine telle qu’elle existe aujourd’hui dans ses dimensions géographiques est l’héritière d’un empire. Sur le plan du nationalisme chinois, Pékin ne peut absolument pas tolérer l’existence d’un Xinjiang séparé, c’est-à-dire un Turkestan indépendant.

L'ISLAM CHEZ LES OUÏGHOURS EST ATTAQUÉ CAR IL REPRÉSENTE UN FACTEUR D'IDENTIFICATION CULTURELLE FORT

© Gustavo Jeronimo

54 ÉTATS: Would the repression of the Uyghur population not answer an essential geo-strategic objective: to keep Xinjiang in its lap? T.K.: Economically speaking, Xinjiang is an extremely rich region in terms of raw materials as it has: coal, uranium and it's the first region to produce hydrocarbon in the country. At a symbolic level, Beijing could absolutely not allow such a big part of its territory to be amputated. To study this question would mean opening Pandora's box and it would create a chain reaction with other Chinese regions such as Tibet, Taiwan and Mongolia. Let’s remember that as China exists today in its geographical dimensions, it is the heiress of an empire. From the point of view of Chinese nationalism, Beijing cannot tolerate the existence of a separate Xinjiang, meaning an independent Turkestan.

L'Iran, (en collab. avec Mohammad-Reza Djalili), collection « 100 questions sur », Paris, Éditions La Boétie, 2013, 292p. « Vers un nouvel empire perse au Moyen-Orient ? Mythe et réalité » (avec Mohammad-Reza Djalili), Note de l'Ifri, mai 2015, 31p. (disponible sur le site de l'IFRI).

Translated by Nadine Visagie 73


par Hervé Pugi

by Hervé Pugi © Daniel Webb

« LA PROMOTION DU LABEL MAROC N’EST PAS UN SIMPLE SLOGAN, MAIS PLUTÔT UN OBJECTIF STRATÉGIQUE… » CES QUELQUES MOTS SONT TIRÉS D’UN DISCOURS PRONONCÉ EN AOÛT 2013 PAR LE ROI MOHAMED VI LUI-MÊME. VOILÀ QUI EN DIT LONG SUR LA VOLONTÉ DU MAROC DE PARTIR À LA CONQUÊTE DU MONDE POUR Y APPOSER SON « MADE IN MOROCCO ». POUR MENER À BIEN CETTE OPÉRATION MARKETING DE GRANDE ENVERGURE, LE ROYAUME CHÉRIFIEN PEUT COMPTER SUR LE BEAU DYNAMISME DE MAROC EXPORT, LE CENTRE MAROCAIN DE PROMOTION DES EXPORTATIONS (CMPE). RENCONTRE AVEC ZAHRA MAAFIRI, DIRECTRICE GÉNÉRALE DE L’AGENCE PUBLIQUE. © Jean-Michel VOLAT

“PROMOTING THE “MOROCCO” LABEL IS NOT JUST A SIMPLE SLOGAN, BUT RATHER A STRATEGIC OBJECTIVE …” THESE WORDS WERE PULLED FROM A SPEECH DELIVERED BY KING MOHAMED VI HIMSELF IN AUGUST 2013. THIS SAYS A LOT ABOUT MOROCCO’S DESIRE TO CONQUER THE WORLD AND SPREAD ITS “MADE IN MOROCCO” TAG. IN ORDER TO SUCCESSFULLY CARRY OUT THIS GRAND-SCALE MARKETING OPERATION, THE KINGDOM OF MOROCCO CAN COUNT ON THE POWER OF MOROCCO EXPORT, THE MOROCCAN EXPORT PROMOTION CENTER (CMPE). A MEETING WITH ZAHRA MAAFIRI, GENERAL DIRECTOR OF THE PUBLIC AGENCY. © Speleolog

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Un « trait d’union entre la politique du gouvernement et la volonté des entreprises de s’internationaliser », c’est ainsi que Zahra Maafiri définit le rôle de Maroc Export dans le paysage économique marocain avant de préciser : « en 2014, nous avons accompagné 750 entreprises, issues de 20 secteurs différents, sur 40 marchés à travers le monde ». Le royaume chérifien ne manque donc pas d’ambition et compte s’appuyer sur le CMPE pour imposer la marque « Maroc » au-delà des frontières nationales. Et pour cela, l’établissement – sous tutelle du ministère délégué auprès du ministère de l’Industrie, du commerce, de l’investissement et de l’économie numérique, chargé du commerce extérieur – peut s’appuyer sur une feuille de route : le plan triennal 2014-2016. A “link between government policy and the willingness of private companies to internationalize”, is how Zahra Maafiri defines Morocco Export’s role in the Moroccan economic landscape, before specifying: “in 2014, we assisted 750 companies, from 20 different sectors, in 40 markets around the world”. The Kingdom of Morocco does not lack ambition and counts on supporting the CMPE to spread its “Morocco” brand beyond national borders. And for this, the establishment– under the supervision of the delegated minister with the minister of industry, commerce, investment and digital economy, in charge of foreign business– can draw up a roadmap: a 2014-2016 three-year plan. © Robin

© Dolbi303

20 SECTEURS DIFFÉRENTS 750 ENTREPRISES 40 MARCHÉS

« La priorité est donnée d’abord à ce que le gouvernement veut développer comme offre, explique celle qui fut un temps chef de cabinet du ministre. Par la suite, toute l’opérationnalisation s’effectue en concertation avec les associations professionnelles. Elles nous font part des capacités des entreprises à répondre à ces priorités stratégiques. Et, bien sûr, nous aidons celles-ci à renforcer leur compétitivité pour mieux les accompagner vers l’international avec des politiques de marketing. » L’exportation, plus qu’un simple challenge une véritable nécessité : « c’est souvent une question de survie, précise d’ailleurs Zahra Maafiri, plusieurs secteurs se sont développés avec des politiques nationales depuis l’indépendance. Il y a de ce fait une demande très pressante d’aller chercher des commandes à l’extérieur, de se donner les moyens de résister aux lois du marché. »

“The first priority focuses on what the government wants to develop as an offer, explains the former minister’s chief of staff. Next, all the operationalization developed in collaboration with the professional associations. They make up a part of the capacities of businesses to respond to these strategic priorities. And, of course, we help them to reinforce their competitiveness to better assist them internationally with marketing policies.” Exportation, more than a simple challenge, is a real necessity: “is often a survival issue, adds Zahra Maafiri, many sectors were developed with national policies back from the time of independence. There is because of this a very pressing demand to go look for foreign markets, to find a way to resist market forces.” 75


UN CHAMPION DU LIBRE-ÉCHANGE ! Si beaucoup d’économies africaines se sont construites autour d’un modèle protectionniste, le royaume a pris le complet contrepied. Ce que confirme la directrice générale de Maroc Export, preuve à l’appui : « nous comptons pas moins de 56 accords de libre-échange. Nous sommes l’un des « champions » de ce genre d’accord ! » Avec des conséquences bien connues : « une entreprise marocaine, lorsqu’elle produit, fait face d’emblée à 56 pays ou entités. Elle doit donc être aussi compétitive qu’une autre et pas seulement sur le marché local. Notre pays est très libéral, il n’y a pas de barrières non techniques au commerce, nous sommes alignés sur les normes internationales. » Un environnement hautement concurrentiel qui ne laisse d’autre choix à l’entrepreneur marocain que de s’ouvrir : « une entreprise qui se fait grignoter des parts de marché au niveau local se voit dans l’obligation de trouver des solutions sur les autres marchés pour ne pas risquer de disparaître ». © Alexy Aldias

A CHAMPION OF FREE TRADE!

© Topsynette

Un contexte qui rend forcément les chefs d’entreprises « réceptifs et demandeurs ». Ce qui réclame, de l’aveu même de la patronne de l’établissement public, un « renforcement de l’action pour pouvoir répondre aux besoins des entreprises marocaines ». Une démarche déjà bien réelle qui consiste autant à renforcer la présence du « Made in Morocco » sur des marchés traditionnels, comme l’Union européenne où Zahra Maafiri compte bien « diversifier et développer l’offre » mais aussi l’Amérique du Nord ou les pays arabes. À cela s’ajoute la Russie et la Chine, « des marchés cibles sur lesquels nous travaillons en accompagnant l’offre exploitable avec des stratégies sectorielles ». Des grandes orientations, impulsées par le gouvernement, sur une période donnée qui ne font pourtant pas injure au futur.

While African economies are constructed around a perfectionist model, the kingdom took the total opposite method. What the general director of Morocco confirms proves this: “We have no fewer than 56 free-trade agreements. We are one of the “champions” of this kind of agreement!” And with well-known consequences: “A Moroccan business, when it produces, immediately has to deal with 56 countries or entities. So it must be just as competitive as any other and not just in the local market. Because our country is very liberal, there are no non-technical barriers to business, we are aligned with international norms.” It is a highly competitive environment that leaves no other choice to a Moroccan entrepreneur but to open up: “a business that gets nibbled on by parts of the market at a local level will see itself with the obligation to find other solutions in other markets in order to avoid disappearing”. This is a context that brings in “receptive and demanding” business leaders. This requires, according to the boss of the public institution, a “reinforcement of the action to be able to respond to the needs of Moroccan businesses”. An effective approach that consists of reinforcing the presence of “Made in Morocco” through traditional markets, like the European Union where Zahra Maafiri hopes to “diversify and develop the offer” but also in North America and Arab countries. Add to this Russia and China, “target markets with which we are working on assisting the exploitable offer with sectorial strategies”. These are broad guidelines, propelled by the government, over a given period that will aid the future. Far from limiting itself to a political framework, Morocco Export “is trying not to miss out on niche developing markets”.

DES ENTREPRENEURS

RÉCEPTIFS ET DEMANDEURS © Fedre

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L’AFRIQUE, C’EST MAINTENANT ! Loin de se limiter à coller à un cadre politique, Maroc Export tient « à ne pas rater les marchés de niche qui se développent ». C’est dans cette optique que le CPME a décidé de consacrer tout un département sur cette question précise. « Aujourd’hui, nous ne sommes présents ni en Asie ni en Amérique latine, reconnaît la directrice générale. Nous allons voir comment nous allons travailler à moyen terme sur ces marchés ». De fait, des opérations de prospection ont d’ores et déjà été lancées. Viêt Nam et Brésil servent ainsi de laboratoires d’essais. Car, comme on le reconnaît dans les locaux flambants neufs de la rue Sidi Belyout, « ces marchés, ce n’est pas pour tout de suite. Il faut tout un environnement, toute une logistique, des connaissances, de l’information. Mais il convient également de voir les capacités de nos entreprises à répondre aux demandes. Sans parler des barrières linguistiques et culturelles. Bref, il faut apprendre comment travailler sur ces marchés… » Forcément une préoccupation car, comme le fait remarquer Zahra Maafiri : « l’Union européenne ou l’Afrique subsaharienne, la langue, la logistique, l’éclairage politique, il est là ! Ailleurs, il faut nous adapter pour introduire l’entreprise marocaine. Tout ça, c’est le travail de Maroc Export ! » Et l’Afrique ? Si le Maghreb a souvent été accusé de tourner le dos au reste du continent, plus question désormais d’ignorer un marché aux potentialités exponentielles. Une explication : « aujourd’hui, les nations africaines sont prêtes à échanger entre elles. S’il y a eu par le passé beaucoup de turbulences politiques, les situations sont en train de se stabiliser désormais. La plupart des pays mettent en place des stratégies ambitieuses de développement. Ils modernisent leurs systèmes politique, économique et social. Tout cela ouvre des opportunités qui n’existaient pas avant. C’est maintenant qu’il faut les saisir. Après, ce sera trop tard ! » © Guy Nicol

AFRICA, NOW IS THE TIME!

© Amine M’hammdi

AFRICAN NATIONS ARE READY TO EXCHANGE AMONGST THEMSELVES.

It is with this in mind that the CPME decided to dedicate an entire department to this idea. “Today we have no presence in Asia nor Latin America, says the general director. We are going to see how we are going to work in the medium term in these markets”. In fact, surveying operations have already started. Vietnam and Brazil are being used as testing laboratories. Because, as we recognize from the new businesses on Sidi Belyout Street, “these markets are not for right now. They need an environment, logistics, knowledge, information. But it is also worth seeing the capacities of our businesses to respond to demands. We are not even talking about language and cultural barriers. Basically, we need to learn how to work in these markets …” This is justifiably a concern because, as Zahra Maafiri remarks: “The European Union or Sub-Saharan Africa, the language, the logistics, the political perspective, it’s all there! Furthermore, we have to adapt in order to introduce Moroccan business. All of this, this is exactly what Morocco Export aims to do!” And Africa? If the Maghreb has often been accused of turning its back on the rest of the continent, ignoring a market with exponential potential is now no longer an issue. An explanation: “Today, African nations are ready to exchange amongst themselves. If there had been, in the past, a good deal of political turbulence, the situation is now well under way to stabilization. Most of the countries are putting into place ambitious development strategies. They are modernizing their political, economic and social systems. All of this is opening up opportunities that never existed before. Now is the time to seize them. After, it will be too late!” Translated by Rachel Wong 77


BAIN CULTUREL AU PAYS DES PHARAONS par Gaëlle NGAKO

L’ÉGYPTE, UN PAYS EMPREINT D’HISTOIRE OÙ LE PASSÉ RENCONTRE LE PRÉSENT. L’OCCASION DE S’OFFRIR UNE ÉCHAPPÉE ORIENTALE DES PLUS INTENSES. SÉQUENCE DÉCOUVERTE. L’Égypte possède un patrimoine culturel extraordinaire. À commencer par son fleuve, le Nil – l’un des plus longs du monde – qui voit se déployer nombre de monuments majestueux que le voyageur ne se lassera jamais de contempler. Les passionnés de vieilles pierres ne manqueront ainsi pas de visiter le site d’Abou-Simbel. Niché au cœur de la Nubie, celui-ci abrite deux temples immémoriaux inscrits au patrimoine de l’UNESCO, l’une des grandes fiertés du pays. Un arrêt s’impose également à Assouan, ville située sur les bords du Nil au sein de laquelle se dresse le mausolée de son altesse l’Aga Khan III (chef spirituel des ismaéliens nizarites), érigé en sa mémoire sur l’initiative de son épouse. La vallée exhibera inlassablement pyramides, temples à l’architecture unique et bien d’autres merveilles. Ce qui n’empêchera pas le touriste avide d’immersion de partir à la rencontre de la population locale, notamment des Fellahin, paysans de la vallée du Nil qui perpétuent un mode de vie traditionnel. Les natures citadines ne seront pas en reste et se laisseront éblouir par les lumières du Caire, capitale où se côtoient tradition et modernité. © DR

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CULTURAL TRIP IN THE COUNTRY OF PHARAOHS by Gaëlle NGAKO, translated by Nadine Visagie

EGYPT, A COUNTRY MARKED BY ANCIENT HISTORY WHERE THE PAST MEETS THE PRESENT. AN OPPORTUNITY TO OFFER ONESELF AN INTENSE, ORIENTAL BREAKAWAY. A TIMELESS DISCOVERY FILLED WITH ADVENTURE...

Egypt possesses an extraordinary cultural heritage. Beginning with its river, the Nile - one of the longest in the world – from where a number of majestic monuments can be seen and which the traveler will never grow tired of admiring. Enthusiasts of old stone buildings should not miss the site of Abu Simbel. Nestled in the heart of the Nubia, it shelters two age-old temples that are listed as a UNESCO World Heritage Site - one of Egypt’s biggest sources of pride. A stop is also imperative in Aswan, a city situated on the banks of the Nile within which the mausoleum of His Highness Sir Aga Khan III stands (spiritual leader of the Nizari Ismaili community), erected in his memory on request of his wife. The valley will show an array of pyramids and temples displaying unique architecture as well as other marvels. Tourists eager for cultural immersion will be able to meet the locals, particularly the Fellahin, farmers of the Nile valley, who pass on their traditional lifestyle. City lovers will not be left out and will be dazzled by Cairo’s lights, a capital where there is a fusion of tradition and modernity.

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QUAND PYRAMIDES ET GRATTE-CIEL COHABITENT Chaque période historique traversée par l’Égypte a laissé son empreinte dans le paysage. Et le présent ne déroge pas à la règle. Au cours de la dernière décennie, un vent de modernité s’est abattu sur cette Égypte. Véritable patchwork culturel, il n’est pas rare que des gratte-ciel et autres constructions contemporaines jouxtent mosquées, églises coptes et souks traditionnels. Un contraste à travers lequel s’exprime la singularité égyptienne.

© maxiscience

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WHEN PYRAMIDS AND SKYSCRAPERS LIVE TOGETHER Every historic period in Egypt left its imprint on the landscape, and the present is no exception to the rule... During the last decade, a wind of modernity has swept through Egypt. An icon of cultural patchwork, it is not rare to see skyscrapers and other contemporary constructions adjoin mosques, Coptic churches and traditional souks. A contrast through which Egyptian peculiarity expresses itself.


DES PLATS D’ICI ET D’AILLEURS L’Égypte, c’est aussi une culture culinaire imprégnée d’un mélange de saveurs orientales et méditerranéennes. Les Égyptiens affectionnent particulièrement les mezze, spécialité d’origine levantine, une dizaine à une centaine de plats servis à l’occasion des fêtes. Ces derniers apprécient aussi les homos et tahina, respectivement crèmes de pois chiche et de sésame, le kochari et les mahshi. Sans oublier le célèbre thé à la menthe, servi à chaque fin de repas. Pour se mettre en appétit, un détour par les bazars égyptiens, temples des épices, s’avère incontournable. De quoi réveiller, pour ne pas dire émoustiller, pupilles et papilles.

DISHES FROM HERE AND THERE Egypt, it is also a culinary culture infused with a mixture of oriental and Mediterranean flavors. Egyptians particularly like Mezze, a speciality of Levantine origin, approximately a hundred dishes are served on special occasion like parties. They also appreciate dishes like homos and tahina, respectively made from cream of chickpea and sesame, as well as kochari and mahshi. Without forgetting the famous mint tea, served at the end of every meal. To arouse your appetite, a detour through the Egyptian bazaars and spice temples should not be missed. This will not only awaken, but exhilarate your eyes and tastebuds. Translated by Nadine Visagie © tee

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par Gaëlle NGAKO

© Gaëlle Ngako

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I L’AFRIQUE EST UNE TERRE RICHE DE PIERRES PRÉCIEUSES, LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO, VÉRITABLE DIAMANT BRUT, SE LAISSE SCULPTER DEPUIS DES DÉCENNIES PAR LES ARTISTES DE SA DIASPORA. ANDRÉ MAGNIN, COMMISSAIRE GÉNÉRAL À LA FONDATION CARTIER POUR L’ART CONTEMPORAIN, MET EN LUMIÈRE LA VITALITÉ ARTISTIQUE DE CE PAYS EN EXPLORANT POUR LA PREMIÈRE FOIS PRÈS DE 90 ANS D’HISTOIRE DE L’ART CONGOLAIS. ’exposition Beauté Congo – 1926-2015 – Congo Kitoko retrace avec brio le long chemin parcouru depuis l’époque des colonies belges jusqu’à nos jours. Chacun des artistes a vu son inspiration fleurir de l’histoire de la République démocratique du Congo. Une histoire imprégnée d’un passé quelque peu tumultueux, source d’un présent hargneux et rebelle en quête d’un avenir empli d’espoir. Des « peintures populaires » issues de la scène kinoise viennent orner les murs blancs de la galerie. Illustrant parfois avec humour et originalité l’art de la sapologie congolaise, la beauté de leaders et philosophes africains, ou encore la propension abusive de la Cour pénale internationale à réprimander les présidents du continent.

F AFRICA IS A LAND RICH IN PRECIOUS STONES, THEN THE DEMOCRATIC REPUBLIC OF CONGO IS A TRUE DIAMOND IN THE ROUGH AND HAS FOR DECADES ALLOWED ITSELF TO BE SCULPTED AND POLISHED BY ARTISTS OF ITS DIASPORA. ANDRÉ MAGNIN, COMMISSIONER GENERAL OF THE CARTIER FOUNDATION FOR CONTEMPORARY ART, PUTS A SPOTLIGHT ON THE ARTISTIC VITALITY OF THIS COUNTRY IN EXPLORING FOR THE FIRST TIME NEARLY 90 YEARS OF CONGOLESE ART HISTORY.

Les différentes salles de la Fondation Cartier rassemblent une kyrielle de souvenirs tels que le mythique combat de boxe opposant George Foreman et Mohamed Ali à Kinshasa, au cours duquel celui-ci brilla porté par les « ALI BOMAYE ! » scandés par la foule. Mieux encore, des souvenirs d’instants volés de la jeunesse de nos aînés dansant au rythme de la traditionnelle rumba congolaise. Des moments immortalisés que le visiteur revit à travers l’intensité des photos en noir et blanc.

© Gaëlle Ngako

he exhibition Beauté Congo – 1926-2015 – Congo Kitoko brilliantly retraces the long road traveled from the Belgian colonial times up to the present. Each of the artists saw his/ her inspiration bloom from the history of the Democratic Republic of Congo. It is a history imbued with a somewhat tumultuous past, a fractious present and rebelling in search of a future full of hope. Works include “popular paintings” from the Kinshasan scene that grace the white walls of the gallery displaying both humor and originality in the art of Congolese sapologie, the beauty of African leaders and philosophers, or even the abusive propensity of the International Criminal Court in reprimanding the presidents of the continent. The different rooms of the Cartier Foundation assemble a plethora of memories such as that of the legendary boxing fight between George Foreman and Mohamed Ali in Kinshasa, during which the victor was carried by chants of “ALI BOMAYE!” from the crowd. Even better, are the memorabilia of stolen moments of youth of elders dancing to the rhythm of the traditional Congolese rumba. These are immortalized times that the visitor relives through the intensity of black and white photos.

© Gaëlle Ngako

Translated by Rachel Wong 83


UN CONTINENT, 54 ÉTATS Plus d’1 milliard d’habitants très inégalement répartis sur 30 415 873 km2, soit 20 % des terres émergées ou 55 fois la France.

SOUTH SUDAN

REPÈRES PAYS PAR PAYS : POP : population (en millions d’habitants, 2012) IDH : classement des pays en fonction de l’indice de développement humain établi par le Programme des Nations unies pour le développement (2013) du 1e au 47e : très élevé – du 48e au 94e : élevé – du 95e au 141e : moyen – du 142e au 187e : faible PIB/HAB. : produit intérieur brut par habitant en nominal établi par le FMI (en dollars, 2013) SUP: superficie

84


AFRIQUE AUSTRALE

AFRIQUE DU SUD

ANGOLA

53,1 POP : 118 IDH : 6621 PIB/HAB : 1 221 037 SUP :

BOTSWANA

20,8 149 5964 1 246 700

LESOTHO

2 109 7120 581 730

MALAWI

2,2 162 1 290 30 355

MOZAMBIQUE

NAMIBIE

26,4 178 593 799 380

16,8 174 223 118 484

SWAZILAND

1,2 148 3473 17 364

2,3 127 5636 824 270

ZAMBIE

ZIMBABWE

15 141 1845 752 612

14,5 156 1007 390 757

AFRIQUE CENTRALE

BURUNDI

POP : IDH : PIB/HAB : SUP :

CAMEROUN

10,4 180 303 27 834

CENTRAFRIQUE

22 152 1 331 475 442

CONGO

4,7 185 334 623 000

GABON

1,7 112 12 326 267 667

4,5 140 3 223 342 000

GUINÉE ÉQUATORIALE

RDC

SOMALIE

SOUDAN

1,1 144 20 605 28 051

RWANDA

12,1 151 704 26 338

70 186 388 2 345 409

SAO-TOMÉ ET-PRINCIPE

0,2 142 1625 1 001

TCHAD

13,2 184 1218 1 284 000

AFRIQUE DE L'EST

DJIBOUTI

POP : IDH : PIB/HAB : SUP :

ÉRYTHRÉE

0,9 170 1 593 23 200

ÉTHIOPIE

6,5 182 544 117 600

KENYA

98 173 518 1 104 300

OUGANDA

45,5 147 1 316 580 367

38,8 164 623 236 860

10,8 600 637 657

38,7 166 1 941 1 790 000

SOUDAN DU SUD

11,7 1 289 644 329

TANZANIE

50,7 159 719 947 300

AFRIQUE DE L'OUEST

BÉNIN

POP : IDH : PIB/HAB : SUP :

BURKINA FASO

10,3 165 805 112 622

NIGER

NIGERIA

POP : 16,6 IDH : 187 PIB/HAB : 447 SUP : 1 264 000

CAP-VERT

18 181 711 275 500

CÔTE D'IVOIRE

SÉNÉGAL

187 152 3 082 923 773

GAMBIE

20,8 171 1 332 322 463

0,5 123 3 633 4 033

SIERRA LEONE

14,5 163 1 048 196 007

GHANA

1,9 172 453 11 295

26,4 138 1 871 238 537

GUINÉE BISSAU

1,7 177 567 36 125

GUINÉE

12 179 560 245 857

LIBERIA

4,3 175 479 111 370

MALI

15,7 176 646 1 241 231

TOGO

6,3 183 805 71 740

6,9 166 637 56 785

MAGHREB ET MOYEN-ORIENT

ALGÉRIE

ÉGYPTE

POP : 39 IDH : 93 PIB/HAB : 5 606 SUP : 2 381 741

LIBYE

84,2 110 3 243 1 002 000

MAROC

6,2 55 10 702 1 759 500

MAURITANIE

33,4 129 3 160 446 550

3,9 161 1 126 1 030 700

TUNISIE

11,1 90 4 317 162 155

OCÉAN INDIEN

COMORES

POP : IDH : PIB/HAB : SUP :

0,8 159 928 1 862

ÎLE MAURICE

1,3 63 8 120 1 865

MADAGASCAR

23,5 155 463 592 000

SEYCHELLES

0,09 71 14 918 455 85


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