54 ÉTATS, LE MAGAZINE DE L'AFRIQUE N°25 SPÉCIAL TUNISIE

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N°25 janv / fév 2016 ÉDITION INTERNATIONALE www.54etats.fr

LA DÉMOCRATIE EN MARCHE 3’:HIKLTD=^UX]UX:?k@a@m@f@a"; M 01939 - 25 - F: 3,80 E - RD

ÉDITION INTERNATIONALE : FRANCE 3,80 € - DOM 4,80 € - RÉUNION 4,80 € - GUYANE 4,80 € - BEL 4,00 € - MAROC 22 MAD - TUN 4,4 TND - ZONE CFA 3100 - NIGER 3100 XAF - CAMEROUN 2700 XAF - SÉNÉGAL 2700 XAF - GAB 2700 XAF - CÔTE D’IVOIRE 2700 XAF - MALI 3100 CFA- ISSN 2258 - 0131

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INCISIF SATIRIQUE EDIFIANT 300 pages de plaisir littéraire et un excellent antidote contre l’amnésie.

Editions Apollonia, 310 p. En vente dans les meilleures librairies. 20 DT 2


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COVER / SPECIAL REPORT

Carte................................................................................................................ 10 Interview exclusive de Béji Caïd Essebsi, président de la République tunisienne.............................................................11 Chronologie..................................................................................................... 20 Contribution de Moez Joudi : la situation économique de la Tunisie............... 22 Contribution de Hatem M'Rad : le paradoxe Bourguiba.................................. 26 Contribution de Hatem Ben Salem : l'État de droit face aux défis de la transition.. 32 Contribution de Touhami Abdouli : l'Africaine, une question d'histoire et de destinée ...................................................38 La sécurité aussi doit faire sa révolution......................................................... 42 Le mystère Rached Ghannouchi..................................................................... 47

AFRICA INSIDE

Soudan : CISSA ou la cybercriminalité dans le viseur................................... 50 Soudan : Dialogue National : la renaissance, c'est maintenant ?................... 56 Soudan : parole de rebelles............................................................................ 62 Les Burundais se préparent à la guerre.......................................................... 64 Comores : Salim Saadi, entre espoir et utopie................................................ 68

AFRICA OUTSIDE

Liban : le Hezbollah à l'épreuve du théâtre syrien........................................... 72 États-Unis / Russie : nouvelle guerre froide ?................................................. 76

CULTURE

Seychelles : interview d'Alain Saint-Ange, ministre du tourisme et de la culture .....82 Foulards et hymens : à bas la misogynie !...................................................... 86

Carte................................................................................................................ 88 Données sur l’Afrique...................................................................................... 89 Abonnement.................................................................................................... 90

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LE MAGAZINE DE L’AFRIQUE / THE AFRICA MAGAZINE

SOMMAIRE

Édito.................................................................................................................. 6 Introduction........................................................................................................ 8

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Email : contact@54etats.fr Site : 54etats.fr N° commission paritaire : 0714191439 N° ISSN : 2258-0131 Tirage : 20 000 exemplaires Société éditrice : Wolmer Communication SARL 5, rue du Capitaine Tarron 75020 Paris Tél. : 01 40 31 30 82 Siren : 751 081 159 R.C.S Bobigny Code APE : 58147 Directrice de la publication : Priscilla Wolmer priscilla.wolmer@54etats.fr Assistante de direction : Yaëlle Sebagh

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Sami MAHBOULI AVOCAT ET ÉDITORIALISTE

Un certain 14 janvier 2011, la Tunisie a délivré au monde arabe une immense promesse : la dictature n’est pas une fatalité et la liberté n’est pas le monopole de l’Occident. En quelques mois, l’espoir né en Tunisie se répand dans d’autres pays arabes faisant dire à certains romantiques qu’il s’agit d’un nouveau « Printemps arabe ». Inventée par le sulfureux Benoist-Méchin dans les années 50, cette formule n’a jamais emporté ma conviction et encore moins mon enthousiasme. Je fais, en effet, partie de ceux qui ont assez rapidement compris que la révolution n’était pas un soulèvement spontané et qu’elle n’avait pas toute la pureté qu’on lui prêtait. Le rôle joué par certains États dans le scénario tunisien est aujourd’hui assez bien connu ; surtout lorsqu’on décèle leurs mêmes empreintes dans des pays comme l’Égypte, la Syrie ou la Libye. Fort heureusement, en Tunisie, la chute du régime de Ben Ali n’a pas donné lieu aux orgies de violence et de destruction que d’autres pays frères ont connues. Le mérite en revient aux Tunisiens et, en particulier, à l’un d’entre eux : Béji Caïd Essebsi. Ce jugement ne doit rien à l’admiration et à l’affection que je lui porte depuis si longtemps. Il est, en effet, incontestable qu’en réussissant la première étape de la transition politique, de mars à novembre 2011, Béji Caïd Essebsi, alors Premier ministre, a préservé la Tunisie des déchirements observés ailleurs et y a jeté les bases d’une véritable démocratie : organisation d’élections libres et transparentes, mise en place d’une Assemblée constituante, légalisation des partis politiques bannis sous Ben Ali, consécration de la liberté de la presse et d’association à travers un travail législatif considérable. Le cadeau de Sarkozy à la stabilité et à la prospérité du Maghreb a valu à la Tunisie un afflux massif de réfugiés provenant de Libye et une explosion de la contrebande et du trafic d’armes. En dépit de ce contexte régional explosif, la Tunisie, forte d’un peuple homogène et d’une administration disciplinée, n’a pas cédé au chant des sirènes de la discorde et a poursuivi, bon an mal an, l’édification de sa jeune démocratie. Il aura fallu passer – entretemps – par une expérience politique inédite : la troïka, une alliance contre-nature formée de deux partis laïcs et du parti islamiste Ennahdha. Durant trois années, de 2011 à 2014, la Tunisie a connu les pires gouvernements de sa longue histoire : des ministres incompétents et imprégnés d’une culture théocratique, un président de la République fantasque, champion absolu de l’incident diplomatique. Nous payons encore aujourd’hui les conséquences de cette gouvernance désastreuse qui a conduit le pays à deux doigts de la banqueroute et de la guerre civile. Les élections présidentielles et législatives de fin 2014 ont mis un terme à la « Katastroïka » et clos le chapitre de la transition politique en Tunisie sans dommages irréparables. Est-ce à dire que la Tunisie est tirée d’affaire et a pris définitivement le chemin de la stabilité et de la croissance ? Loin s’en faut : l’année 2015 aura été de bout en bout un véritable cauchemar. Des attentats d’une ampleur jusqu’ici inconnue ont vidé nos hôtels et ont fait fuir les investisseurs. La peste jihadiste a pris racine dans le pays à la faveur du laxisme de la troïka. Croissance et terrorisme n’ont jamais fait bon ménage et la Tunisie est condamnée à remporter cette guerre contre le fanatisme si elle veut retrouver la voie du progrès et du salut. Pour vaincre, la Tunisie aura besoin de la mobilisation de tous ses enfants mais également du soutien de ses nombreux amis à travers le monde : l’honorer par le Nobel de la paix est éminemment apprécié, l’épauler économiquement le serait encore plus.

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On 14th January, 2011, Tunisia issued a huge promise to the Arab world: dictatorship is not inevitable and the West does not have the monopoly of freedom. Within a few months, the hope that arose in Tunisia spread to other Arab countries, leading certain romantics to speak of a new "Arab Spring". Invented by the nefarious Benoist-Méchin in the 50s, this formula has never won my approval, much less my enthusiasm. Indeed, I am one of those who pretty quickly understood that the revolution was not a spontaneous uprising and that it was not as innocent as it was made out to be. The role played by some States in the Tunisian scenario is now quite well known, especially in countries like Egypt, Syria and Libya, where they have left their mark. Fortunately, in Tunisia, the fall of the Ben Ali regime did not lead to the orgies of violence and destruction that other sister countries have experienced. Credit goes to the Tunisians and one of them in particular: Béji Caïd Essebsi. This judgment has nothing to do with the admiration and affection I have had for him for so long. Indeed, it is undeniable that by successfully managing the first step in the political transition between March and November 2011, Béji Caïd Essebsi, then Prime Minister, preserved Tunisia from the rifts observed elsewhere and laid the foundations for a true democracy with the organization of free and transparent elections, the establishment of a Constituent Assembly, the legalization of political parties banned under Ben Ali and the recognition of the freedom of the press and of association, all of which involved a considerable amount of legislative work. Sarkozy’s gift for the stability and prosperity of the Maghreb resulted in a massive influx of refugees from Libya and a dramatic rise in smuggling and arms trafficking in Tunisia. Despite this highly volatile regional context, Tunisia, with its homogeneous population and disciplined administration, did not succumb to the sirens’ songs of discord and continued, year after year, building its young democracy. In the meantime, it was necessary to deal with a unique political experience: the troika, an unholy alliance formed by two secular parties and the Islamist party, Ennahdha. For three years, from 2011 to 2014, Tunisia experienced the worst governments in its long history: incompetent ministers who were imbued with a theocratic ideal and a whimsical President of the Republic, who was the absolute champion of diplomatic incidents. We are still paying for the consequences of this disastrous governance that led the country to the brink of bankruptcy and civil war. The presidential and legislative elections towards the end of 2014 brought an end to the "Katastroïka" and closed the chapter on the political transition in Tunisia without irreparable damage. Does this mean that Tunisia has weathered the storm and is definitively on the way towards stability and growth? Far from it: 2015 will have been a nightmare from the beginning to the end. Attacks on an unprecedented scale emptied our hotels and drove away investors. The jihadist plague has taken root in the country, thanks to the laxity of the troika. Growth and terrorism have never mixed well and Tunisia is condemned to win this war against fanaticism if it wants to get back on track towards progress and salvation. In order to win, Tunisia will require the mobilization of all its children, as well as the support of its many friends around the world: honouring the country with the Nobel Peace Prize is deeply appreciated, economic support would be appreciated even more. Translation from French Susan Allen Maurin

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Priscilla WOLMER

DIRECTRICE DE LA PUBLICATION, PUBLISHER

La Tunisie est-elle prise au piège d’un cycle d’évolution refermé sur lui-même ? Avec le président Béji Caïd Essebsi, l’ombre bienveillante de Bourguiba protège la Tunisie de l’ouroboros infernal. À 89 ans, le chef de l’État compte bien laisser sa trace et graver dans la roche la fin d’un éternel retour vers la menace islamiste radicale. « Oui, nous sommes des musulmans, dixit le président, mais notre démocratie est en pratique et ce n’est que le début ! La démocratie. Voilà l’empreinte que je laisserai à mon peuple, qui pour la première fois de l’histoire tunisienne, a élu son président au suffrage universel ». En Tunisie, seul pays arabe à instaurer l’égalité entre citoyens et citoyennes, la révolution a opéré et il fait bon vivre, se promener dans les rues mais tout le monde attend le retour des belles années qui verra touristes et investisseurs revenir massivement. Malgré plusieurs tentatives de réintroduction de la charia, la Tunisie tient le cap du progrès et possède – d’après un rapport du PNUD publié en 2010 –, l’un des meilleurs indices de développement humain (IDH) dans le monde arabe. Et ce n’est pas un certain Rached Ghannouchi, fondateur du Mouvement de la tendance islamique (MTI), qui bouleversera la marche de la Tunisie vers la démocratie. Manipulateur chevronné, cet ancien professeur originaire du sud tunisien a toujours joué la carte de l’islam, essence profonde et identitaire de ce pays riche d’une tradition musulmane vieille de quatorze siècles ! Rached Ghannouchi et ses partisans d’une étrange « Renaissance » tentent par tous les moyens de gagner des électeurs. Pour la première fois, d’ailleurs, le gouvernement tunisien est formé d’une coalition de quatre partis, dont Ennahdha. C’est toutefois juste la preuve d’une démocratie ouverte et non le symbole d’une victoire progressive des Nahdhaouis ! La Tunisie s’accroche solidement à sa modernité et à sa démocratie « en pratique » : le droit des femmes acquis en 1956 sous l’ère Bourguiba n’est pas prêt de disparaître sous un amas de voiles ! D’ailleurs, qu’attendent-ils, les députés tunisiens, pour interdire définitivement le port du niqab en Tunisie ? La charia, loi islamique, n’est pas inscrite dans la Constitution de 2014, savant mélange entre laïcité et islamité. La fin du niqab glorifierait l’ancrage réel dans la modernité. En ces temps où la société tunisienne est ébranlée par la menace terroriste, une économie à l’arrêt et une voisine en guerre, les Frères musulmans, en fin stratèges, islamisent ça et là le pays alors que les plus radicaux des islamistes favorisent l’entrée des terroristes sur le sol national et le départ des esprits les plus faibles vers les camps d’entraînement libyens. Un cycle infernal qui renvoie aux années de sécheresse terribles de 1982-1983 ou encore aux « émeutes du pain » de 1984. Des périodes tristes et douloureuses où le MTI devenu Ennahdha, parti d’obédience islamiste légalisé en mars 2011, avait profité de la misère sociale et de la fragilité économique pour gagner du terrain. Quand l’histoire semble se répéter, ne faut-il pas en profiter pour ne pas commettre les erreurs du passé ?

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Is Tunisia caught in the trap of an introverted development cycle? With President Béji Caïd Essebsi, Bourgiba’s benevolent shadow is protecting Tunisia from the hell of Ouroboros. At the age of 89, the Head of State still aims to leave his mark and forever bury the threat of regression to an Islamic Radicalism. "Yes, we’re Muslims," says the President, "but our democracy is only just starting out and reveals itself in practice. Democracy. That’s the legacy I want to leave to my people, who for the first time in Tunisia’s history, have elected their President by universal suffrage." In Tunisia, the only Arab country to introduce gender equality, the revolution has worked and life is good, you can walk the streets, but everyone hopes for better times when tourists and investors can return in force. Despite several attempts to reintroduce Sharia, Tunisia remains committed to forward progress and – according to a UNDP report published in 2010 – has one of the best Human Development Indices (HDI) in the Arab world. And it isn’t a certain Rached Ghannouchi, founder of the Islamic Tendency Movement, who will overturn Tunisia’s march to democracy. An experienced manipulator, this former professor from southern Tunisia has always played the Islam card, the deep and identifying essence of this country rich in Muslim tradition going back 14 centuries. Rached Ghannouchi and his supporters advocating a strange "Renaissance" are trying everything possible to win voters. Also, for the first time ever, the Tunisian government has formed a four-party coalition, including Ennahdha. This is, however, the very proof of an open democracy and does not symbolize a gradual victory by the Nahdhaouis! Tunisia is firmly committed to modernity and democracy "in practice": the women’s rights acquired in 1956 under Bourguiba are not about to disappear under a flood of veils! In any case, what are Tunisia’s legislators waiting for to finally ban niqabs in Tunisia? Islamic Sharia law is not in keeping with the 2014 Constitution, which is a wise blend of secular and Islamic principles. Ending the niqab would glorify the real anchoring of modernity in Tunisia. And at a time when Tunisian society is being rocked by terrorist threats, an economy at a standstill and a neighbouring at war, Muslim brothers as their ultimate strategy are Islamicizing the country here and there while the most radical Islamists are encouraging terrorists to enter our land and weaker spirits to leave for Libyan training camps. A hellish cycle that evokes the terrible drought years of 1982-1983 or the "bread riots" of 1984. Sad and painful periods when the Islamic Tendency Movement became Ennahdha, a strict Islamic party legalized in March 2011, had profited from social misery and economic weakness to gain ground. When history seems to repeat, should we not take advantage of it to not commit the errors of the past? Translation from French N. Smith

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TUNISIA

COUNTRY PROFILE

Mer Méditerranée Menzel Bourguiba

Tabarka Jendouba

Bizerte

Golfe de Tunis

Ariana

TUNIS

Ben Arous

Beja Zaghouan

Le kef

Siliana

Thala

ALGÉRIE

Détroit de Sicile

Sousse

Kairouan

163 610 km2

Nabeul Golfe de Hammamet Monastir Mahdia

Kasserine Sidi Bou Zid

Mer Méditerranée

Gafsa

Nefta

Golfe de Gabès El Hamma

Kebili

Tunis

(estimation) 11,03 million

71 habitants/ km2

Sfax Île de Kerkennah

Tozeur

20 march 1956 (from France)

Île de Djerba

Gabes Matmata

31,9 years

81,8 %

124,3 billion

Medenine Tunisian Dinar

Tataouine 15,2 % Remada

ALGÉRIE

LÉGENDE El Borma Limite de la province

LIBYE

Capitale nationale Capitale de la province D'autres villes Porosité de la frontière tunisiano-libyenne : problème majeur dans la lutte contre le terrorisme

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INTERVIEW EXCLUSIVE

Béji

CAÏD ESSEBSI par Priscilla Wolmer

NOTRE PRIORITÉ, C’EST LA LIBYE

©parismatch

« LA DÉMOCRATIE EN TUNISIE EST EN PRATIQUE » ! UNE PAGE DE 60 ANS S’EST TOURNÉE AVEC L’ÉLECTION AU SUFFRAGE UNIVERSEL DU PRÉSIDENT BÉJI CAÏD ESSEBSI, ACTUEL LOCATAIRE DU PALAIS PRÉSIDENTIEL DE CARTHAGE, DEPUIS TOUT JUSTE UN AN. ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE ÉLUE AVEC UN SYSTÈME TRANSPARENT, PLUSIEURS COULEURS POLITIQUES : LA TUNISIE EST EN PLEINE MUTATION. UNE TRANSFORMATION ÉBRANLÉE PAR LA MONTÉE DU TERRORISME ET UNE LIBYE VOISINE EN GUERRE. AUTANT DE FACTEURS QUI NE FACILITENT PAS LA SUITE DU MANDAT DU PRÉSIDENT ESSEBSI, MEILLEUR ÉLÈVE DE L’ÉCOLE BOURGUIBA.

"DEMOCRACY IN TUNISIA IS NOW A LIVING REALITY"! A FIFTY-YEAR OLD PAGE OF HISTORY WAS TURNED WHEN BÉJI CAÏD ESSEBSI WAS ELECTED PRESIDENT OF TUNISIA BY POPULAR VOTE JUST ONE YEAR AGO. THE LEGISLATURE HAVING BEEN ELECTED THROUGH A FAIR AND TRANSPARENT PROCESS WITH ALL POLITICAL STRIPES. FUNDAMENTAL CHANGES ARE NOW TAKING PLACE IN TUNISIA. HOWEVER, THE RISE OF TERRORISM AS WELL AS THE WAR IN NEIGHBOURING LIBYA HAVE SENT SHOCK WAVES THROUGH THIS NATION AND HAVE NOT FACILITATED PRESIDENT’S ESSEBSI’S JOB.

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54 ÉTATS : Cette première année de mandat a malheureusement été marquée par les tragiques attentats du Bardo, de Sousse et plus récemment l’attaque contre la garde présidentielle. Cette spirale infernale freine-t-elle la marche de la Tunisie vers la démocratie ? Béji CAÏD ESSEBSI (B. C. E.) : Voilà des actions sans précédent. La Tunisie n’a ni la culture du terrorisme, ni la culture contre le terrorisme, tout cela est nouveau pour nous. C’est un phénomène régional dû à notre situation géographique. Nous avons une frontière ouverte d’à peu près 500 km avec notre voisine, la Libye, avec qui nous réalisons des échanges importants sur le plan humain, économique et commercial. 54 ÉTATS : En Tunisie, pourrions-nous dire que la démocratie est en marche? B. C. E. : Elle commence à marcher… La démocratie, cela ne s’invente pas, ça se pratique. Nous avons les ingrédients pour une démocratie et nous sommes en train de la pratiquer, avec plus ou moins de bonheur. Ce n’est pas une ligne droite. Pour qu'elle réussisse et s’implante, il faut que nous ayons un État de droit ; nous sommes en train de le remettre en place. Ce n’est pas facile, ça se construit. 54 ÉTATS : Et en Libye, la guerre perdure… B. C. E. : Oui, en Libye, il n’y a plus d’État ! Il y a des groupuscules armés qui font la loi. Daech, ce n’est un secret pour personne, est aussi implanté en Libye, quasiment à la frontière tunisienne. C’est un problème majeur pour nous parce que nous sommes les malheureux et contraints récipiendaires des armes et des terroristes. 54 ÉTATS : Comment expliquez-vous qu’une frange de la jeunesse tunisienne ait rallié les camps de Daech ou d’al-Qaïda ? B. C. E. : La révolution qu’a connue la Tunisie en 2011 est essentiellement due à des problèmes sociaux. En 2014, lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, nous avons trouvé un chômage endémique important, environ 650 000 chômeurs. Parmi ces chômeurs figurent surtout des jeunes. Des jeunes diplômés mais sans emploi. Nous avons aussi dans quelques régions une certaine pauvreté. Et aussi des régions entières à l’intérieur du pays qui sont marginalisées, qui ne font pas partie du circuit économique et social. Évidemment, tous ces jeunes-là qui ne trouvent pas de travail sont toujours à la merci, soit de certaines associations, soit de certains intermédiaires qui les soudoient et les envoient en pâture, en Syrie ou en Libye. Avec l’intensification des frappes mondiales, européennes, russes, américaines, françaises, peut-être allemandes dans quelques temps, anglaises aussi, les Tunisiens qui sont là-bas comme des agents de Daech s’enfuient, viennent en Libye et se rapprochent de la Tunisie.

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54 ÉTATS: This first year of your term of office has unfortunately been badly affected by the tragic terrorist attacks in Bardo, Sousse and more recently the attack against the Presidential Guard. Has this downward spiral hindered the development of democracy in Tunisia? Béji CAÏD ESSEBSI (B. C. E.): These are unprecedented events. Tunisia has neither a culture of terrorism nor a culture of the fight against terrorism. We have never experienced this before. It is a regional phenomenon caused by our geographical position. We have an open border of nearly 500 km with our neighbour Libya with whom we have significant economic, human and commercial exchanges. 54 ÉTATS: Could we say that democracy has now gained a foothold in Tunisia? B. C. E.: It is beginning to do so. Democracy does not simply happen, it requires practice. We have the ingredients for a democracy and we are in the process of successfully putting it into practice. Democracy is never a straight line and if it is to succeed and really establish itself we need a constitutional state. We are in the process of implementing this. It is not easy, it needs to be built up. 54 ÉTATS: And in Libya, the war goes on… B. C. E.: Yes, in Libya there is no State anymore! There are armed groups which make the law and it is no secret that Daesh is also present there, on the border with Tunisia. This is a major problem for us as we are the unfortunate and forced recipients of terrorists’ weapons. 54 ÉTATS: How can you explain that a fringe of Tunisian youth has joined Daesh or al-Qaeda camps? B. C. E.: The Tunisian revolution which took place in 2011 was, for the most part, due to social problems. In 2014, when we came to power we were faced with about 650 000 long-term unemployed people. Among these unemployed there is a majority of young graduates with no hope of finding work. In some areas we also have poverty and whole regions within the country which are marginalised and outside the economic and social system. Obviously, all these young people who have not found work are at the mercy of some organisations or intermediaries who bribe them and then serve them up to factions in Syria or Libya. And the stepping up of European, Russian, American, French and possibly German and soon English strikes, means that the Tunisians who are living there as Daesh agents flee to Libya and get closer to Tunisia.


© Elias Sc

hewel

54 ÉTATS : De nombreux pays s’alarment de la montée de l’État islamique en Libye. Le 6 décembre à Tunis, il y a eu une rencontre entre les représentants des deux autorités libyennes rivales. Que pensez-vous de cette initiative ? B. C. E. : Il faut trouver une solution. La Libye ne peut pas rester dans cette situation de « non-État », avec ces groupuscules qui font la loi car ils ont des armes et des possibilités financières. Martin Kobler, l’envoyé spécial de l’ONU pour la Libye, qui succède à Bernardino León, a pour mission de trouver un dialogue entre toutes les composantes. Cela fait plus d’un an que des accords sont passés pour, in fine, aboutir à un échec. Tout cela n’est pas très significatif ! L’unanimité ne semble pas être le maître-mot. Je les ai reçus parce qu’ils me l'ont demandé et je leur ai conseillé de s’entretenir avec monsieur Kobler, qui est actuellement à Tunis. Ils sont allés le voir pour que l’ensemble des accords soit sous la houlette de la communauté internationale. J’espère que les personnalités présentes lors de la conférence de Rome du 13 décembre auront pesé le pour et le contre et qu’enfin une proposition définitive verra le jour. J’ai conscience que ce n’est pas une chose facile et que nous devrons peutêtre attendre un peu plus.

54 ÉTATS: Many countries are fearful of the rise of the Islamic State in Libya. On the 6th of December in Tunis, there was a meeting of the two rival Libyan authorities. What do you think of this initiative? B. C. E.: We have to find a solution. Libya cannot stay in the situation of being a “non-State” with groups making the law with their weapons and financial resources. As special envoy to the UN for Libya, Martin Kobler’s mission is to work out a possible dialogue between all these constituent parts. It’s been over a year now since agreements were made but none of them had a positive outcome. All of that is not very meaningful! Unanimity does not seem to be the key word. I accepted to meet with the rival Libyan authorities because they asked me to and I advised them to meet with Martin Kobler, who is currently in Tunisia. They went to see him so that all the agreements would be under the authority of the international community. There will also be a meeting in Rome on December 13rd. I hope those who were present will weigh up the pros and cons in order to come up with a definitive proposition. I know it won’t be easy and maybe we’ll have to wait a bit longer.

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© Magha

rebia

54 ÉTATS : Nous évoquions à l’instant les actions de la communauté internationale. Le Premier ministre français, Manuel Valls et son homologue italien Matteo Renzi déclaraient récemment que la Libye est « le futur grand dossier ». D’après vous, n’est-il pas tout aussi prioritaire de résoudre le conflit libyen que celui en Syrie ou en Irak ?

54 ÉTATS: We were just talking about the international community’s actions, the French Prime Minister Manuel Valls and his Italian counterpart Matteo Renzi recently declared that Libya is “THE priority project for the future”. Don’t you think it’s just as important to solve the conflict in Syria or Irak as the one in Libya?

B. C. E. : Nous avons une divergence d’appréciation sur la situation en Libye. Les pays européens donnent maintenant la priorité à la Syrie. Je comprends leur préoccupation car les migrants arrivent de manière massive sur leur territoire. Pour nous, la priorité, c’est la Libye ! Notre frontière n’est pas complètement sécurisée. Là, certains de nos ressortissants sont chez Daech et s’entraînent dans leurs camps. Ceux qui étaient en Syrie et qui maintenant refluent vers leur pays d’origine nous causent aussi de graves problèmes de sécurité.

B. C. E.: We are in disagreement about the situation in Libya. European countries have given priority to Syria. I understand their preoccupation as migrants are arriving to their countries from there in masses so it is obviously their priority.

54 ÉTATS : Experts, observateurs internationaux, citoyens tunisiens, tous appellent à réformer les Forces de sécurité intérieure (FSI). De manière imminente, que ferez-vous ?

54 ÉTATS: At a time when Tunisia is facing radical Islamism, what kind of concrete solutions have you found?

B. C. E. : Nous avions déjà réformé et ramené beaucoup de compétences en matière de sécurité. Elles ont malheureusement été écartées à un certain moment où l’idéologie de la révolution a laissé croire que les fonctionnaires de la sécurité étaient affiliés à l’ancien régime. Or, la sécurité, c’est la sécurité ! Maintenant, les choses vont beaucoup mieux et la réforme du ministère de l’Intérieur continue. Nous avons ramené les principaux capitaines de sécurité et la population a bien accueilli cette initiative. 14

For us the priority is Libya! Our border is not completely secure. Some Tunisian nationals have joined Daesh and train in their camps there. Those who were in Syria and are now going back in throngs to their country of origin are causing us very serious security problems.

B. C. E.: There is no radical Islamism in Tunisia! There were some aborted attempts three years after the revolution. We had governments which were too permissive with Salafist movements in some mountainous regions of Tunisia. We are now combating them. Clearly, the troika no longer exists! The present government is the result of free and transparent elections. It is a coalition formed of four parts working in the same camp to combat radicalism.


54 ÉTATS : À l’heure où la Tunisie se heurte à l’islamisme radical, quelles solutions avez-vous prises concrètement ? B. C. E. : Nous n’avons pas d’islamisme radical en Tunisie ! Il y a eu des tentatives avortées trois ans après la révolution. Nous avons eu des gouvernements plutôt laxistes avec les mouvances salafistes présentes dans certaines régions montagneuses. Nous sommes maintenant en train de les combattre. Clairement, la troïka n’existe plus ! Le gouvernement actuel est la conséquence d’élections libres et transparentes. C’est une coalition formée de quatre partis qui travaillent dans le même camp pour combattre le radicalisme. 54 ÉTATS : Un autre grand dossier est celui de la réconciliation nationale économique. Pensez-vous pouvoir porter toujours haut et fort cette loi compte tenu du contexte actuel, notamment la division au sein du parti Nidaa Tounes ? B. C. E. : C’est une initiative du chef de l’État, dans ses responsabilités constitutionnelles. Le parti Nidaa Tounes n’a rien à voir là-dedans, ni les autres. Pourquoi ai-je pris cette initiative ? Parce que nous traversons une situation économique catastrophique. La Tunisie a besoin d’investissements extérieurs comme intérieurs. Or, ces investissements ont besoin d’un climat favorable et celui-ci n’existe pas encore. Nous avons un nombre important de fonctionnaires qui ne veulent plus travailler car ils ont peur des poursuites. Depuis la révolution, nous avons engagé tout un processus pour poursuivre les uns ou les autres. Je pense que cinq ans après la révolution, on peut passer outre. Et surtout, pour les fonctionnaires qui n’ont pas profité des décisions qu'ils ont prises sous l’ancien chef de l’État ou l’administration ancienne. J’estime que ces gens-là, il faut les amnistier et il faut qu’ils reviennent dans la vie économique, dans la vie administrative, pour ne pas gripper les décisions de l’État. Mais il y a aussi des personnes qui en ont profité. Nous leur avons proposé de rembourser les sommes qu’ils ont acquises avec une majoration de 5,5 %, ce qui est raisonnable. Jusqu’à présent, certains courants politiques minoritaires, principalement issus du Front populaire ont été contre cette idée-là. Le parti Nidaa Tounes a joué un rôle négatif car il n’était pas en mesure de soutenir ce mouvement du fait de certaines divisions. Mais ces divisions sont en train d’être dépassées.

© Tarek Mrad

54 ÉTATS: Experts, international observers and citizens are all calling for the reform of the Internal Security Forces (ISF). What are you going to do in the immediate future? B. C. E.: We have already reformed and brought back many skills in terms of security. Unfortunately they were dismissed when the ideology of the revolution led to the assumption that public security officials belonged to the former regime. Yet security is security! Now things are going much better and the Interior Minister’s reform is in progress. We brought back the main security captains and the population welcomed this initiative. 54 ÉTATS: Another important issue is National Economic Reconciliation. Do you think you can still proudly support this law considering the current setting, especially the division within Nidaa Tounes’ party? B. C. E.: It is an initiative taken by the head of sState as part of his constitutional responsibilities. Nidaa Tounes’ or anyone else’s party has nothing to do with it. Why did I take this initiative? Because we are going through a catastrophic economic situation. Tunisia needs foreign and domestic investments and these investments need a favourable climate which is not yet a reality. We have a significant number of public servants who no longer want to work because they are afraid of legal action. Since the revolution, we have engaged a whole process to this end. I think that five years after the revolution we can go beyond that now. And especially for public servants who did not benefit themselves from decisions which were made by them under the responsibility of the former head of State or the former administration. I think that we must pardon those people and they need to come back into the economy and the administration so as not to cripple the State’s decisions. But there are also some who cheated and we suggested they reimburse the amounts they had acquired with a reasonable surcharge of 5.5%. Up until now, some minority political movements which originated from the Popular Front were against this idea. Nidaa Tounes’ party played a negative role in this as due to some internal divisions it was not able to support this movement.

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© ParisMatch

54 ÉTATS : Je suis obligée de revenir sur les divisions internes au sein de Nidaa Tounes. Ne redoutez-vous pas d’être accusé de clanisme ou de népotisme ?

54 ÉTATS: I feel obliged to return to the subject of the divisions inside Nidaa Tounes’ party. Aren’t you afraid of being accused of clanism or nepotism?

B. C. E. : Je ne suis ni pour un clan ni pour un autre, je ne suis pas népotiste ! Les solutions ont été le fruit d’une consultation qui est faite par un groupe de Nidaaistes et je pense qu’ils sont sur la bonne voie pour trouver un accord entre toutes les composantes de Nidaa Tounes.

B. C. E.: I am neither in favour of one clan nor another and I am not nepotistic! Solutions have been found through a consultation which was conducted by a group of Nidaaists and I think they are on their way to finding an agreement based on all the components of Nidaa Tounes’ party.

54 ÉTATS : Vous pensez que ce plan d’action sera un succès ?

54 ÉTATS: Do you think this action plan will succeed?

B. C. E : Oui, faute d’un autre plan d’action, je suis sûr qu’il va aboutir à une solution.

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B. C. E.: Yes I do, failing another action plan, I am sure it will be successful.


54 ÉTATS : Vous parliez de la situation économique du pays. La croissance économique pour l’année 2015 est quasi-nulle, autour de 0,5 %. Selon vous, ce bilan négatif est-il dû aux diverses attaques terroristes ou à un programme économique peut-être mal adapté ?

54 ÉTATS: You were talking about the country’s economic situation. Growth for 2015 is close to zero, around 0.5%. Do you think that this negative balance has been caused by the various terrorist attacks or an ill-suited economic programme?

B. C. E. : Non, notre programme économique n’a rien à voir ! Premièrement, pendant plusieurs décennies, la Tunisie a opté pour un modèle de développement qui favorise l’activité touristique sans se soucier du tissu économique à l’intérieur du pays. Ce plan de développement est obsolète et la résultante est que la Tunisie connaît un chômage important, une certaine pauvreté et marginalisation régionale. C’est pourquoi nous sommes en train de mettre en place un nouveau modèle de développement en diversifiant l’économie. Deuxièmement, la situation sécuritaire et le manque de stabilité que nous avons connus a encouragé la fuite des investisseurs. Selon le rapport du Fonds monétaire international sur les perspectives économiques régionales pour le MoyenOrient et l'Asie Centrale, l'économie tunisienne devrait enregistrer un taux de croissance de 3 % en 2016 contre 1 % en 2015 et 2,3 % en 2014. Le projet du budget de l'État pour l'exercice 2016 prévoit quant à lui un taux de croissance de 2,5 % contre, il est vrai, 0,5 % pour l'ensemble de l'année 2015. Nous avons reçu beaucoup de revendications ouvrières pour des augmentations de salaire. Mais, il faut avouer que les gens ne travaillent pas. C’est pour cela que l’on ne progresse pas. Je pense que nous sommes arrivés à un accord pour que nous ayons une paix sociale pour les trois prochaines années, nous avons fait les augmentations qu’il fallait faire et j’espère que les choses vont repartir dans de bonnes conditions.

B. C. E.: No, our economic programme has nothing to do with it! Firstly, for several decades, Tunisia opted for a development model favouring tourism without taking the domestic economic structure into account. This obsolete development plan resulted in very high unemployment, poverty and regional marginalisation. That is why we are in the process of setting up a new development model through economic diversification. Secondly, the security situation and the lack of stability that we have experienced caused investors to flee. According to a report by the International Monetary Fund (IMF) on regional economic perspectives for the Middle East and Central Asia, the Tunisian economy should register a growth rate of 3% in 2016 compared to 1% in 2015 and 2.3% in 2014. The State’s draft budget for the fiscal year 2016 forecasts a growth rate of 2.5%, compared to, it is true, 0.5% for the whole of 2015. We received a great many demands from workers for salary increases, but it must be said that people do not work. And that is why we are not progressing. I think we arrived at an agreement so we could maintain social order for the next three years, we gave the salary increases we had to give and I hope things will get better and move on in the right direction.

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54 ÉTATS: The dismantling of the majority could benefit Ennahdha’s party, which some welcome as pragmatic and others criticise for its double speak. Do you think Rached Ghannouchi is really playing the democratic game?

© Chris Belsten

54 ÉTATS : L’explosion de la majorité pourrait bénéficier au parti Ennahdha, dont certains saluent le pragmatisme quand d’autres évoquent un double discours. Est-ce que vous diriez que Rached Ghannouchi s’inscrit désormais pleinement dans le jeu démocratique ? B. C. E. : Je ne peux pas garantir cela car je ne juge pas sur les intentions. Ce que je sais, c’est qu’ils ont pris un virage assez favorable en répétant à ceux qui veulent l’entendre qu’ils sont pour le système démocratique, qu’ils ont abandonné leur premier amour, qu’ils ne sont plus pour la charia. Par nécessité ou par choix, ils ont accepté d’intégrer le gouvernement actuel et, dans ce gouvernement, leur action est assez positive. Mais c’est aujourd’hui que l’on dit cela. De quoi sera fait demain ? Je n’en sais rien… Mais je fais confiance à leur pragmatisme. Quant à leur double ou triple langage, ils ne sont peut-être pas les seuls ! 54 ÉTATS : Premier ministre, ministre de la Défense, ministre des Affaires étrangères, ministre de l’Intérieur entre autres fonctions politiques, c’est toute une vie au sein de l’État, d’où vous vient cette vocation ? B. C. E. : Je suis né comme cela. C’est ma vie… En réalité, je suis un homme qui croit en son pays et qui a commencé sa carrière un peu avant l’indépendance, lorsque nous étions encore sous protectorat. Nous avons combattu ce protectorat et nous nous sommes engagés dans la vie publique depuis le premier jour de l’indépendance. Cela fait près de 60 ans maintenant. Je vais continuer comme cela, c’est tout ce que je sais faire… Évidemment, je suis avocat de profession et à chaque fois que j’ai quitté la scène politique, j’ai repris la robe mais j’ai toujours continué à œuvrer. À chaque fois qu’on a fait appel à moi, j’ai répondu présent. Comme vous me voyez, je n’étais pas prédestiné à être au poste que j’occupe actuellement. Ce sont les circonstances qui ont fait cela. C’est certainement mon parcours politique qui a fait que, à un moment donné, on a voulu de moi comme chef de l’État. 18

B. C. E.: I cannot guarantee that because I cannot judge by intentions. What I do know is that they are in a rather favourable context and have repeated to anyone who wanted to hear that they are for the democratic system, that they have abandoned their first love and are no longer for the Sharia. They have accepted to integrate the current government by necessity or choice and their action within this government is quite positive. But we say that today. What will it be like tomorrow? I have no idea. But I trust their pragmatism and as for their double or triple speak, maybe they aren’t the only ones who do it! 54 ÉTATS: You have been Defence Minister, Foreign Affairs Minister, Interior Minister, and Prime Minister and have occupied other political functions. You have spent a lifetime in the government, where does your vocation come from? B. C. E.: That’s the way I am. It’s my life. Actually I am a man who believes in his country and started his career just before the independence when we were still under the protectorate. We combatted the protectorate and got engaged in public life since the first day of independence. It’s been almost 60 years now. And deep down, I think I will go on, it’s all I know how to do. I am a lawyer by profession and every time I left the political scene, I took up this profession again but all the while continuing politics. Each time they called on me I was there. As you see me now, I was not predestined to do the job I do. Circumstance led to it and it is surely because of my political background that I was elected as head of State.


54 ÉTATS : En quoi êtes-vous un héritier de Bourguiba ? B. C. E. : Bourguiba, c’est un génie politique. Je l’ai côtoyé de très près pendant trente ans. J’ai été son collaborateur, que ce soit dans son cabinet ou quand on a constitué le gouvernement. Je peux dire que je suis un élève de l’école Bourguiba, une grande école. Maintenant, son héritier, je ne pense pas. Bourguiba n’a pas d’héritier, c’est un grand symbole de la Tunisie actuelle. Je connais bien les mécanismes qui ont fait de Bourguiba ce qu’il est. J’essaie à chaque fois que j’ai un problème de me souvenir comment nous avions résolu pareil problème pendant la période de Bourguiba. Il a légué à la Tunisie des réformes indélébiles. Dès le début de son mandat, il a généralisé l’enseignement. C’est énorme. Actuellement, il n’y a pas un garçon qui ne trouve pas une place gratuite à l’école. Le peuple tunisien n’est plus celui de la colonisation : il a libéré la femme tunisienne. C’est un cas unique dans le monde arabe et musulman. Si la Tunisie a aujourd’hui ce comportementlà, c’est précisément grâce à de telles réformes. En Tunisie, les femmes sont plus nombreuses que les hommes et la femme tunisienne occupe à peu près la même position que l’homme. Ce sont deux réformes essentielles qui n’ont pu être réalisées que grâce à Bourguiba. Nous récoltons ce résultat magnifique et nous sommes dans la continuité de l’action de Bourguiba. 54 ÉTATS : Quand vous regardez le chemin parcouru depuis le soulèvement de 2011, quel est votre ressenti ? B. C. E. : Vous savez, on ne peut jamais gouverner avec des états d’âme. Je pense que ce qui a été fait depuis est très positif. Maintenant, nous avons la philosophie du dialogue, ce qui n’existe nulle part. On a eu beaucoup de problèmes, on a eu six gouvernements depuis la révolution, j’ai dirigé l’un des ces six gouvernements. On s’est fourvoyé plusieurs fois, on a eu des gouvernements à référence islamique, à référence religieuse plutôt… 54 ÉTATS : Et, quelles différences faites-vous entre « islamiques » et « musulmans » ? B. C. E. : Les islamiques sont des mouvements politiques qui recherchent le pouvoir en instrumentalisant la religion. Ce n’est pas la même chose. On a fait des essais infructueux. Nous avions donc un gouvernement dirigé par des islamistes, et nous sommes arrivés par la conviction et le dialogue à le faire partir sans effusion de sang. 54 ÉTATS : Pour terminer, quelle trace souhaitez-vous laisser à vos concitoyens ? B. C. E. : La démocratie ! Nous avons la pâte pour un régime démocratique. Moi, je suis insulté presque tous les jours dans les médias, mais j’accepte cela, car c’est le tribut de la démocratie. Nous sommes un petit pays situé dans une région géostratégique très complexe et instable. Nous sommes ouverts sur l’Europe où nous réalisons 80 % de nos échanges. Nous sommes à deux doigts de Rome, de Nice, de Marseille donc cela nous impose de nous mettre au diapason avec ceux qui nous entourent. Nous avons maintenant une expérience démocratique qui est peut-être unique dans le monde arabe mais qui reste fragile puisque c’est le contre-exemple de ce qui se passe dans notre environnement. Ce contre-modèle n’est pas @PriscillaWolmer une chose facile à assumer.

54 ÉTATS: To what extent do you follow in Bourguiba’s footsteps? B. C. E.: Bourguiba is a political genius. I was very close to him for almost 30 years. I was a member of his cabinet when we formed the government. I can say I am a student of the prestigous Bourguiba school. I’m not sure I follow in his footsteps. Bourguiba doesn’t have an heir, he is a great symbol of the current Tunisia. I know the mechanisms well that made him the way he is. Every time I have a problem I try to remember how we solved a similar one during the Bourguiba period. He made an indelible mark on Tunisia in terms of reforms. Right from the beginning of his term of office, he made education compulsory. That is a huge achievement. Today there is not one child who does not have free access to school. The Tunisian population is not the same as it was under colonisation. He liberated Tunisian women. This is unique in the Arab and Muslim world. Tunisia is the way it is today precisely because of such reforms. In Tunisia there are more women than men and women have the same position in society as men. These are essential reforms that were carried out thanks to Bourguiba. We are reaping magnificent benefits from his leadership and we will continue to do so. 54 ÉTATS: When you see what has been achieved since the rising of 2011, how do you feel? B. C. E.: You know you cannot govern if you have qualms about things. I think what has happened since then has been very positive. We have a philosophy of dialogue which doesn’t exist elsewhere. We had a lot of problems, we had six governments since the revolution and I led one of the six. We erred many times, we had governments under an Islamic frame of reference or rather a religious frame of reference. 54 ÉTATS: What differences do you see between "Islamics" and "Muslims"? B. C. E.: Islamics are political movements seeking power through religion. It is not the same thing. We made unsuccessful attempts. We had a government led by Islamics and we succeeded in getting them to leave through conviction and dialogue and without bloodshed. 54 ÉTATS: And to finish, how do you want to be remembered by your countrymen? B. C. E.: I want to be remembered for Democracy! We have all the ingredients for a democratic regime. I get insulted almost every day in the media but I accept that as it goes hand in hand with democracy. We are a small country in a complex and unstable part of the world. We are open to Europe where we conduct 80% of our trade. We are a stone’s throw from Rome, Nice and Marseille. We are in a very strategic geographical position which means we must stay in line with those around us. We now have a democratic experience which is unique in the Arab world but is still fragile as it is the counter example of what is happening in our environment and the counter model is not an easy one to support. @PriscillaWolmer Translation from French Grace Cunnane 19


par John Harrison

2010 17 décembre Première manifestation dans la ville de Sidi Bouzid et début de quatre semaines de protestations continues dans tout le pays. Cette première révolte débute après l’immolation d’un jeune vendeur de fruits et légumes ambulant dont la marchandise avait été confisquée par les autorités. Les manifestants protestent contre le chômage (des jeunes), la corruption et la répression policière.

27 décembre

La révolte atteint Tunis. Le « système » Ben Ali est sur le point de s’effondrer.

2012 19 juillet

Zine el-Abidine Ben Ali condamné par contumace à la réclusion à perpétuité pour complicité de meurtre.

15 septembre Violentes émeutes à Tunis. Certains groupes salafistes incendient l’ambassade des États-Unis.

2013 6 février Chokri Belaïd, figure centrale de l’opposition, est assassiné. Le gouvernement démissionne.

2011 14 janvier Le président Zine el-Abidine Ben Ali, en poste depuis 1987 et cible des manifestations, cède le pouvoir et fuit vers l’Arabie Saoudite. La constitution d’un nouveau gouvernement ne met pas fin à la crise. La Tunisie veut un plus grand changement.

17 janvier Libération de tous les prisonniers d’opinion, liberté totale de l’information et suppression du ministère de la Communication, accusé de censurer la presse.

1er mars Légalisation du mouvement islamiste Ennahdha.

9 mars Le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti de Ben Ali, est dissout.

23 octobre

© Fa-Tima’s Colorznshapes

Premier scrutin libre de l’histoire du pays. Le mouvement Ennahdha devient la première force politique du pays (89 sièges sur 217 à l’Assemblée constituante).

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12-14 décembre Moncef Marzouki, opposant à Ben Ali, est élu chef de l’État par l’Assemblée constituante.

25 juillet Après l’assassinat de Mohamed Brahmi, opposant nationaliste de gauche, la Tunisie plonge dans une nouvelle crise politique. Des milliers de Tunisiens manifestent dans la capitale pour exiger le départ du mouvement Ennahdha.

2014 26 janvier Une Constitution est adoptée, avec plus d’un an de retard, causé par des mois de négociations pour sortir de la crise.

29 janvier Nouveau gouvernement apolitique. Les islamistes se retirent du pouvoir.

26 octobre Nidaa Tounes, la coalition de l’ancien Premier ministre Béji Caïd Essebsi, remporte les élections législatives.

2 décembre Pour la première fois depuis la révolution, le Parlement prend ses fonctions.

21 décembre À la suite des élections présidentielles, Béji Caïd Essebsi devient le premier président issu d’un vote démocratique et transparent.


2012 by John Harrison

2010 December 17 The first demonstration takes places in the city of Sidi Bouzid, and four weeks of daily protests are launched throughout the country. This first protest movement was set off when a young fruit and vegetable vendor set himself on fire after the authorities confiscated his goods. The protests are held against youth unemployment, corruption and police crackdowns.

December 27 The protests reach Tunis. The Ben Ali “system” is on the verge of collapse.

2011 January 14 President Zin El-Abidine Ben Ali, who has ruled the country since 1987 and is the target of the protest movement, resigns from office and flees to Saudi Arabia. The formation of a new government does not bring an end to the crisis. Tunisians are seeking greater changes.

July 19 Zine el-Abidine Ben Ali is sentenced in absentia to life in prison for being an accessory to murder.

September 15 Riots erupt in Tunis. Salafist groups burn down the embassy of the United States.

2013 February 6 Shokri Belaid, a major opposition figure, is assassinated. The government resigns.

July 25 The assassination of Mohamed Brahmi, a leftist, nationalist opposition figure, plunges Tunisia into a new political crisis. Thousands of Tunisians demonstrate in the capital, calling for the Ennahdha Party to resign.

2014

January 17

January 26

Political prisoners are released, total freedom of information is announced, and the post of minister of Communications is suppressed, accused of press censorship.

A new constitution is adopted, after delays of more than a year caused by negotiations to end the crisis.

March 1 The Islamic Movement Ennadha is legalized.

March 9

January 29 A new, politically neutral government comes into being. The Islamists leave office.

October 26

The RCD party of Ben Ali, the Democratic Constitutional Assembly, is dissolved.

Nidaa Tounes, the newly authorized party led by former Prime Minister Béji Caïd Essebsi, wins legislative elections.

October 23

December 2

The first free elections in the history of the country are held. The Ennahdha movement becomes the largest political party in the country, taking 89 out of 217 seats in the constituent ssembly.

For the first time since the revolution, the Parliament begins to function.

December 12-14

Béji Caïd Essebsi becomes the first President of Tunisia chosen in transparent, democratic elections.

Moncef Marzouki, an opposition figure in the Ben Ali era, is elected head of State by the constituent assembly.

December 21

Translation from French Brett Kline 21


DÉFIS ET CONTROVERSES!

LES DERNIERS INDICATEURS ACTUALISÉS RELATIFS À LA SITUATION ÉCONOMIQUE DE LA TUNISIE DURANT L’ANNÉE 2015 LAISSENT APPARAÎTRE DES GRANDES PRESSIONS SUR L’ÉCONOMIE DU PAYS AINSI QUE D’IMPORTANTES FRAGILITÉS DANS PLUSIEURS SECTEURS AVEC NOTAMMENT UN TAUX DE CROISSANCE BIEN FAIBLE (0,7% AU 30 SEPTEMBRE 2015) CONJUGUÉ À UNE INFLATION GALOPANTE (5 % OFFICIELLEMENT MAIS QUI DÉPASSERAIT LES 10% SI ON FIABILISE LES MÉTHODES DE CALCUL), UN ENDETTEMENT PUBLIQUE ACCRU (53 %) ET UN CHÔMAGE CONSÉQUENT (15 %) ! UNE VRAIE STAGFLATION QUI S’INSTALLE DANS UN PAYS ÉCONOMIQUEMENT À BOUT DE SOUFFLE ! LES LÂCHES ATTENTATS TERRORISTES DU BARDO, DE SOUSSE ET LE DERNIER EN DATE CONTRE LA GARDE PRÉSIDENTIELLE AINSI QUE L’INSÉCURITÉ PERSISTANTE DANS CERTAINES ZONES ET VERS LES FRONTIÈRES LIBYENNES NOTAMMENT, HANDICAPENT ENCORE LA RELANCE ÉCONOMIQUE DE LA TUNISIE ET N’ARRANGENT PAS LES CHOSES. LA QUESTION MAJEURE QU’IL IMPORTE DE POSER AUJOURD’HUI CONSISTE À SAVOIR COMMENT LA TUNISIE PEUT SORTIR DE CE MARASME ÉCONOMIQUE ET RENVERSER LA VAPEUR EN MOBILISANT TOUTES LES ÉNERGIES ET TOUTES LES COMPOSANTES DE LA POPULATION, AFIN D’APPORTER LES RÉPONSES IDOINES À MÊME DE RELEVER LES NOMBREUX DÉFIS QUI SE POSENT À LA SOCIÉTÉ TUNISIENNE APRÈS PLUS DE QUATRE ANNÉES DE TÂTONNEMENT ET DE PILOTAGE À VUE ? DES MESURES COURAGEUSES DOIVENT ÊTRE PRISES RAPIDEMENT ET UN TRAIN DE RÉFORMES DOIT SE METTRE EN PLACE AFIN DE LIBÉRER LES INITIATIVES ET D’ORIENTER RÉSOLUMENT TOUTES LES BONNES VOLONTÉS VERS LA RECONSTRUCTION DU PAYS. 22

THE LATEST INDICATORS RELATING TO TUNISIA’S ECONOMIC SITUATION FOR THE YEAR 2015 REVEAL MAJOR PRESSURES ON THE COUNTRY’S ECONOMY AS WELL AS IMPORTANT WEAKNESSES IN SEVERAL SECTORS, PARTICULARLY, A VERY LOW GROWTH RATE (0.7% AS OF 30 SEPTEMBER 2015) COMBINED WITH A HIGH RATE OF INFLATION (OFFICIALLY 5% BUT WHICH WOULD EXCEED 10% IF WE MADE THE CALCULATION METHODS MORE RELIABLE), HIGH PUBLIC DEBT (53%) AND AN UNEMPLOYMENT RATE OF 15%! TRUE STAGFLATION IN A COUNTRY WHOSE ECONOMY IS ON ITS KNEES! THE COWARDLY TERRORIST ATTACKS OF BARDO, SOUSSE AND MOST RECENTLY AGAINST THE PRESIDENTIAL GUARD BRIGADE, AS WELL AS THE PERSISTENT INSECURITY IN SOME AREAS AND AROUND THE LIBYAN BORDERS ESPECIALLY, ARE STILL HAMPERING TUNISIA’S REVIVAL AND FURTHER DEEPENING THE CRISIS. TODAY’S KEY QUESTION IS HOW CAN TUNISIA GET OUT OF THIS ECONOMIC SLUMP AND TURN THE SITUATION AROUND BY MOBILIZING ALL THE FORCES AND ALL THE COMPONENTS OF THE POPULATION, IN ORDER TO PROVIDE THE RIGHT ANSWERS AND OVERCOME THE MANY CHALLENGES FACING TUNISIAN SOCIETY AFTER MORE THAN FOUR YEARS OF WEAK REFORM ATTEMPTS AND ERRORS? COURAGEOUS STEPS MUST BE QUICKLY TAKEN AND A PACKAGE OF REFORMS MUST BE IMPLEMENTED IN ORDER TO RELEASE THE INITIATIVES AND FIRMLY FOCUS ALL GOODWILL TOWARD REBUILDING THE COUNTRY.


LE DIAGNOSTIC

THE DIAGNOSIS

La croissance économique pour 2014 aura été en définitive de 2,3 % contre 2,4 % en 2013, elle sera désormais encore plus faible en 2015 : entre 0,5 % et 1 % au plus ! Des taux qui sont loin de satisfaire les besoins du pays et les aspirations des Tunisiens pour un niveau de vie meilleur et un accès plus facile à l’emploi et aux services de santé, d’éducation et de transport, n’en déplaise à Massoud Ahmed directeur au FMI chargé du dossier Tunisie qui dans un récent éditorial intitulé « la Tunisie : résilience et transformation » semble satisfait des 2,5% de croissance en moyenne durant la période 2012-2014 et qui, pour les besoins de la démonstration, n’a pas tenu compte de l’année 2011, une année durant laquelle la croissance a été négative. La prise en compte de la contreperformance de l’année 2011 fait baisser en effet la moyenne de croissance pour les années (2011-2014) à 1,7 % soit un peu plus que la croissance démographique du pays.

In the end, the economic growth rates of 2014 was 2.3 % compared to 2.4 % in 2013. It will be even lower in 2015: 0.5% or 1% at most! These rates are far from satisfying the country’s needs and the hopes of the Tunisian people for a better standard of living and easier access to employment, health services, education, and transport, whether Mr. Ahmed Massoud, Director at the IMF, likes it or not. The latter, who is in charge of Tunisia’s file, in a recent editorial entitled “Tunisia: resolution and transformation” seemed satisfied with the 2.5% average growth during the 20122014 period, which for illustration purposes did not take into account 2011, a year which saw negative growth. In fact, taking into account the poor performance of 2011 takes the average growth for the years 2011-2014 down to 1.7%, i.e. little more than the country’s population growth.

Pour 2015, le ralentissement des importations de matières premières, la poursuite de la baisse des importations des biens d’équipement, les difficultés vécues par les principaux secteurs de services (tourisme, transport...) où les baisses apparaissent quasiment au niveau de tous les indicateurs, et le climat social tendu entraînant des menaces de grèves conséquentes sur le secteur privé, tout cela n’augure pas d’un bon démarrage de la nouvelle année 2016 et certainement le trend de croissance à fin 2015, en l’absence de décisions courageuses, sera inférieur à celui des années d’avant si l’on tient compte des difficultés accrues au niveau du secteur touristique et des activités connexes, en particulier le transport aérien mais aussi le secteur minier et le ralentissement des IDE.

For 2015, the slowdown in imports of raw materials, the continuation of the decline in imports of capital goods, the difficulties experienced by the major service sectors (tourism, transport, etc.) where the decline appears almost at the level of all the indicators, and the tense social climate involving threats of sizable strikes in the private sector, all this does not bode well for a good start to the new year 2016 and especially not for growth trends at end 2015, which, in the absence of courageous decisions, will be lower than the previous years if we take into account the increased difficulties in the tourism sector and related activities, in particular air transport but also the mining sector and the slowdown in FDI.

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Quant aux grands équilibres, le déficit commercial demeure important avec une moyenne d’un milliard de dinars par mois et le déficit courant de la balance des paiements se maintient à des niveaux élevés 7 – 8 % annuel. Le dinar tunisien est bien touché et enregistre des dépréciations à des niveaux de taux à deux chiffres par an. Par ailleurs, la Tunisie est entraînée depuis 2011 dans un accroissement de l’endettement extérieur avec un service de la dette qui est de l’ordre de 5,7 milliards de dinars en 2015. En 2017, cette rubrique du budget de l'État dépassera même les 8 milliards de dinars ! La situation devient et deviendra encore plus insoutenable, il en va même des équilibres financiers et des fondamentaux économiques du pays qui sont déjà bien touchés ! Le plus préoccupant c’est que l’endettement additionnel depuis le 14 janvier 2011 ne sert pas à l’investissement et au développement, mais à la consommation et au « colmatage » des brèches qui deviennent bien profondes au niveau des comptes publics ! En outre, les récentes augmentations salariales consenties faisant passer la masse salariale publique de 11,2 milliards de dinars à 12 milliards de dinars (13 milliards de dinars prévus en 2016 !) est de nature à accroître encore plus l’endettement improductif de valeur et à entraîner la Tunisie vers un véritable phénomène de Credit Crunch ! Les autorités financières du pays doivent faire preuve de prudence et de retenue à ce niveau et surtout à plus de courage politique et de responsabilité envers l’État et envers les générations futures qui risquent d’hériter d’un pays sous tutelle économique et financière !

As regards the major balance, the trade deficit remains significant, with an average of one billion dinars per month, and the current account deficit of the balance of payments remains high, at 7 - 8% per annum. The Tunisian dinar has been greatly affected and has recorded double-digit depreciations per annum. In addition, since 2011, Tunisia has seen an increase in external debt with debt servicing in the order of 5.7 billion dinars in 2015. In 2017, this section of the State budget is set to exceed 8 billion dinars! The situation is becoming and will become even more untenable, and the same applies to the country’s financial balances and economic fundamentals which have already been greatly affected! Of greater concern is that the additional debt incurred since 14 January 2011 has not been used in investment and development, but in consumption and "plugging" the deep holes in the public finances! In addition, the recent salary increases agreed, increasing the public wage bill from 11.2 billion dinars to 12 billion dinars (13 billion dinars expected in 2016!) are likely to further increase unproductive debt and lead Tunisia toward a real Credit Crunch situation! The country’s financial authorities must exercise prudence and restraint at this level and above all more political courage and responsibility toward the State and future generations, who are at risk of inheriting a country under economic and financial supervision!

LE PROPRE DE LA SAGESSE ET DE LA VERTU EST DE GOUVERNER BIEN ; LE PROPRE DE L'INJUSTICE ET DE L'IGNORANCE EST DE GOUVERNER MAL. Platon, Extrait de La République. 24


LES PRIORITÉS ET LES MESURES URGENTES Un certain nombre de mesures doivent être rapidement mises en œuvre si la Tunisie veut rapidement renverser la vapeur et profiter du soutien promis par la communauté internationale. Les principales mesures doivent concerner : • La concrétisation rapide de la décision de réconciliation nationale et économique, • La maîtrise des déficits publics, • L’accélération des réformes (fiscales, financières, bancaires, compensation…), • Le sauvetage du tissu de PME dont des centaines sont en fortes difficultés, • La relance de la croissance par l’investissement et à travers une politique de grands projets, • Le renforcement des règles de gouvernance et de transparence, • L'assainissement du climat des affaires, • La lutte contre l’économie parallèle, • L'allègement des formalités administratives au niveau des investissements, • La libéralisation de l'esprit d'entreprise

President of the Tunisian Association for Governance (ATG)

La construction démocratique de la Tunisie passe nécessairement par une relance économique et sociale du pays nécessitant une vision, une stratégie, un plan d’action, des réformes, des décisions, une mise en œuvre mais surtout de la sagesse et de la vertu !

PRIORITIES AND URGENT MEASURES A number of urgent measures must be taken if Tunisia wants to turn the situation around quickly and really take advantages of the support promised by the international community. The main measures being: • the urgent implementation of the national and economic reconciliation decision, • the good management of public deficits, • the acceleration of the reforms (fiscal, financial, banking, compensation, etc.), • the rescue of Small and Medium-sized Enterprises (SMEs), hundreds of which are facing serious difficulties, • the revival of growth through investment and through adopting a major project policy, • the strengthening of the rules of governance and transparency, • the stabilisation of the business climate, • the fight against the black economy, • the alleviation of administrative formalities on the investment, • further release of initiatives and entrepreneurship. The democratic construction of Tunisia shall inevitably come through the country’s economic and social revival, which, in fact, requires vision, strategy, an action plan, reforms, decisions, implementation, but above all wisdom and virtue! Translation from French Moez Joudi 25


par Hatem M’rad

C’EST UN FAIT. HABIB BOURGUIBA A MARQUÉ LA TUNISIE ET LES TUNISIENS DE SON EMPREINTE, DES ANNÉES 30 PUIS DE LA LUTTE CONTRE LA COLONISATION, JUSQU’À SA DÉPOSITION HUMILIANTE PAR LE GÉNÉRAL BEN ALI LE 7 NOVEMBRE 1987. AUSSI PARADOXAL QUE CELA PUISSE PARAÎTRE, BOURGUIBA RESTERA UN LIBÉRATEUR OPPRESSIF. IL A LIBÉRÉ LE PEUPLE ET LA NATION, MAIS IL A ASSUJETTI LES TUNISIENS À SA VOLONTÉ ET À SES CAPRICES. IL EST NÉ POUR ÊTRE PRÉSIDENT À VIE DANS UNE RÉPUBLIQUE POURTANT MODERNE ET LAÏQUE.

Le régime qu’il a voulu pour la Tunisie est caractérisé par l’autoritarisme, le parti unique et le culte de la personnalité. Imbu de lui-même, la démocratie le gêne, elle établit une concurrence à sa personne. La démocratie, considérait-il, est le propre des nations développées et rationalisées. Elle est renvoyée alors à un temps lointain, le temps de se débarrasser des vestiges de la tradition.

IT IS A FACT. HABIB BOURGUIBA LEFT HIS MARK ON TUNISIA AND TUNISIANS, BEGINNING IN THE 1930's AND THEN IN THE STRUGGLE AGAINST COLONIZATION, UNTIL HIS HUMILIATING DEPOSITION BY GENERAL BEN ALI ON NOVEMBER 7, 1987. IT MIGHT SEEM LIKE A PARADOX, BUT BOURGUIBA HAS REMAINED AN OPPRESSIVE LIBERATOR. HE LIBERATED THE PEOPLE AND THE NATION, BUT SUBJECTED TUNISIANS TO HIS DESIRES AND CAPRICES. HE BECAME PRESIDENT FOR LIFE, BUT IN A MODERN, SECULAR REPUBLIC.

The regime he imposed on Tunisia was authoritarian, based on a single party system and a personality cult. As he was obsessed with himself, democracy bothered him because it was competition. He considered democracy to be for developed and stable countries. So he put it on the sidelines, until the vestiges of tradition were gotten rid of. 26

© Nader Mbarki


Dans son esprit, lui seul incarne la Tunisie. C’est lui qui a rassemblé un peuple qui était à ses dires « une poussière d’individus » ; lui qui lui a donné sa dignité par la lutte pour l’indépendance ; lui qui lui a donné des institutions solides et modernes, qui a lutté contre le bédouinisme, le tribalisme et le traditionalisme sociétal ; c’est encore lui, fait unique dans le monde arabo-musulman, qui a libéré la femme des pesanteurs de la charia ; c’est enfin lui qui a fondé une éducation rationnelle et gratuite, qui a contribué à la formation moderne des nouvelles élites et de tous ces jeunes internautes qui ont fait la révolution et la transition. Revanche posthume, dit-on de Bourguiba. Aujourd’hui, les Tunisiens ont fait une révolution, et ils n’en sont pas peu fiers. Ils ne la doivent qu’à eux-mêmes : ni à Bourguiba, ni aux partis d’opposition, ni à quelconque organisme. Révolution de toute la société. Mais la révolution a dérivé avec la victoire d’Ennahdha aux élections de la Constituante de 2011. Outre la confiscation humiliante de la révolution par les islamistes, les Tunisiens ont vécu trois années d’enfer : violence, assassinats, tentatives de retour à la tradition, à la charia, au califat et à la complémentarité de la femme. L’identité, la modernité et la laïcité de la Tunisie en ont terriblement pâti. D’où les discours sur le retour aux acquis de l’indépendance, sur l’héritage de Bourguiba. Au diable le parti unique, l’autoritarisme et le culte de la personnalité. On s’en tient aux grandes réformes libérales et laïques bourguibiennes, à un héritage sélectif cette fois-ci, dépoussiéré de ses dérives et étoffé par la démocratie et les acquis de la révolution. On se demande alors si ce peuple tunisien a la mémoire courte, ou s’il n’a pas paradoxalement le sens de l’exagération ? Les Tunisiens n’en font-ils pas un peu trop avec Bourguiba ? Faut-il revoir Freud pour lequel l’enfant doit savoir tuer le père pour pouvoir vivre à son tour sa propre histoire ?

In his mind, he alone stood for Tunisia. It was he who brought together a people who, as he liked to put it, had been a handful of individuals. He gave them their dignity through the struggle for independence. He brought them solid, modern institutions, and fought against the bedouin factor, tribalism and traditional society. And, unique in the Arab-Muslim world, he liberated women from the weight of sharia, and he founded a secular education system that was free. It contributed heavily to the training and forming of a modern elite class and also internet enthousiasts who ushered in the revolution and the transition period. Perhaps this was the posthumous revenge of Bourguiba. Today, Tunisians have brought about a revolution and are very proud of it. They owe it only to themselves, not to Bourguiba, nor to the opposition parties or any organizations. It was a revolution by all branches of society. But the revolution went astray with the victory by Ennahdha in the Constituent Assembly in 2011. And in addition to the humiliating confiscation of the revolution by the Islamists, Tunisians lived through three years of hell: violence, assassinations, attempts to return to tradition in the form of the sharia, a caliphate, and a secondary role for women. The identity, moderness and secular face of Tunisia suffered terribly. And this brought all the talk about the successes of the revolution, the heritage of Bourguiba, the single-party system, authoritarianism and personality cult be damned. The focus was on all the major liberal and secular reforms by Bourguiba, a very selective heritage, wiped clean of its abuses and crowned by democracy and the successes of the Revolution. It is worth asking if Tunisians have short memories, or perhaps in a paradoxical way, a strong sense of exaggeration. Are Tunisians not going too far with Bourguiba? Is there a link with Freud, who said that the child must know how to kill the father in order to be able to live his own life?

© DR

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En tout cas, exagération ou pas, « le retour de Bourguiba » est un fait irrécusable auprès de l’opinion. Il suffit de voir les articles de presse qui lui sont consacrés dans les journaux et magazines depuis plusieurs mois, la succession de livres, ainsi que les témoignages de ses collaborateurs publiés à son sujet, les vidéos de ses discours à la télévision, les « statuts » qui lui sont consacrés sur Facebook, dont le rythme s’accélère, les pièces de théâtre, comme celle de Raja Farhat, Bourguiba, la dernière prison, les débats sur les radios et plateaux de télévision autour de sa personne, sa politique ou son bilan. Sans oublier Nidaa Tounes, un parti qui incarne le bourguibisme dans le sens idéologique du terme et dirigé par un bourguibiste et destourien de pure souche : Béji Caïd Essebsi. Il faut dire que celui-ci, leader de Nidaa Tounes, n’a pas peu contribué à réhabiliter le bourguibisme en Tunisie après sa prise en main du gouvernement de transition, sa gestion des premières élections démocratiques de 2011 et les victoires démocratiques de son parti aux législatives et de lui-même aux présidentielles de 2014 auxquelles il n’était pas étranger. Mais ceux qui ont surtout réhabilité indirectement le bourguibisme, ce sont incontestablement les islamistes. Si Bourguiba est en effet de retour en Tunisie, un retour en force même, c’est surtout grâce aux islamistes et à la classe politique actuelle. Il a fallu tout l’amateurisme politique des islamistes au pouvoir depuis 2011, il a fallu que les islamistes touchent à l’identité tunisienne, qu’ils portent atteinte aux grands acquis de la modernité sociale pour que les Tunisiens se mobilisent et se rassemblent de nouveau autour de l’aura bourguibienne, et pour que la machine bourguibo-destourienne se remette en marche.

In any case, whether an exaggeration or not, the “Bourguiba comeback” is an irrefutable fact in the arena of public opinion. One only has to look at the articles devoted to him in newspapers and magazines over the past several months, the number of books and memoires published about him by former colleagues, as well as the videos of his speeches on television. And then there is the increasing amount of space devoted to him on Facebook, the plays in the theatre, such as "Bourguiba, the last prison" by Raja Farhat, and the debates on radio and television talk shows about his personality, his politics and his accomplishments. And, of course, there is Nidaa Tounes, a political party that embodies Bourguiba in the ideological sense, headed by an elite Bourguiba descendant and Destour party representative in the purest sense of the word, Béji Caïd Essebsi. It must be noted that this leader of Nidaa Tounes contributed a great deal himself to reviving “Bourguibism” after he took over the transition government and directed the first democratic elections in 2011. Then his party won the legislative contest, and he himself took the presidential elections in 2014, a process he already knew something about. But those indirectly responsible for the ressurection of Bourguibism were no doubt the Islamists. If Bourguiba has indeed made such a strong comeback in Tunisia, it is thanks to the Islamists and the current stable of politicians. The Islamists acted like amateur politicians ruling the country from 2011, hitting Tunisian identity hard, striking out at hard-won modern social features. Tunisians got organized and rallied once again around the Bourguiba aura. Suddenly, the Destour party of Bourguiba was back in business. © DR

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© Bernard Henry

SI BOURGUIBA EST DE RETOUR EN TUNISIE, C’EST SURTOUT GRÂCE AUX ISLAMISTES

Jamais les Tunisiens n’ont été aussi divisés que lorsque les islamistes sont arrivés au pouvoir, alors même que la révolution les a plus que jamais réunis. Les islamistes ont, en quelques mois au pouvoir, introduit une nouvelle Fitna al Kobra (la grande discorde), pire que celle des premiers temps de l’islam, entre sunnites et chiites. Il s’agit cette fois-ci d’une discorde entre musulmans authentiques et faux musulmans, entre croyants et incroyants (kuffârs), tièdes et athées, des distinctions qu’on pensait périmées dans la vie des Tunisiens, dont l’islam, zeitounien et malékite, est culturellement soft. Un islam modéré, bien gardé jusque-là par les anciens cheikhs beldiya (tunisois), authentiquement savants en islam, qui ont fait les années de gloire de l’université zeitounienne.

Never had Tunisians been as divided as when the Islamists took over the government, though the Revolution had more than ever united them. In power for only several months, the Islamists introduced a new Fitna al Kobra, a major break amongst the people, worse than in the earliest days of Islam between Sunnis and Shiites. This time, the clash was between so-called authentic and false Muslims, between those who practiced and non-believers (kuffars), easy-going and often secular. These distinctions had mostly disappeared from Tunisian life, where Malikite Islam was known to be softer than other branches. It was a moderate Islam, preserved by a line of sheiks from Tunis, Islamic scholars, who spearheaded the University of Zeitouna.

Jamais une figure politique, dans la phase hystérique de la transition, n’a autant réuni moralement, philosophiquement et politiquement les Tunisiens que Bourguiba. Il les a réunis contre le spectre de l’islamisme rampant. Société civile, partis politiques, syndicat (UGTT), médias, et même les jeunes qui ne l’ont pas connu et qui commencent à le redécouvrir : tous ces acteurs sont attachés aux acquis modernes de la Tunisie qu’un « parti-secte » au pouvoir, représentant le tiers des électeurs, a tenté de remettre en cause au motif de son élection démocratique en 2011.

In the often hysterical recent transition phase, Bourguiba united Tunisians in moral, philosophical and political terms more than any other political figurehead…. against the threat of radical Islam. Civil society, political parties, unions (UGTT), the media and even young people who were discovering him for the first time…they were all very attached to the modern aspects of Tunisia that a ruling “cult-party”, representing a third of voters, had assaulted after winning the democratic elections of 2011.

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© UNDP TN

LES TUNISIENS SEMBLENT

TOUT PARDONNER À

BOURGUIBA À ce jour, Bourguiba ratisse même plus large que dans le passé, au niveau des courants politiques qui appuient sa mémoire. Derrière lui, on trouve aujourd’hui, outre les Destouriens, les libéraux, les nationalistes, les anciens communistes, les anciens révolutionnaires, les socialistes, les centristes, certains youssefistes. Même des anciens prisonniers politiques sous son règne le défendent aujourd’hui avec beaucoup de conviction. Bourguiba est devenue la marque déposée de l’identité des Tunisiens. Surtout qu’en cette période post-révolutionnaire trouble, le besoin d’un zaïm (ndlr : chef en arabe) s’est fait ardemment ressentir. Son ombre plane sur la Tunisie en même temps qu'elle occulte les personnalités politiques de la transition. De même que le Tunisien a beau être athée, il vit dans une société culturellement musulmane, de même qu’il a beau ne pas avoir vécu sous Bourguiba, ou ne pas être aujourd’hui bourguibiste, il ne vit pas moins dans une société façonnée par le bourguibisme de fond en comble. La « tunisianité » d’aujourd’hui semble être incarnée plus que jamais par la personnalité de Bourguiba, l’animal politique. 30

Nowadays, Bourguiba has even more support than in the past, in terms of political groups backing what he represents. Today, aside from former Destour party members, there are free-market supporters, nationalists, former Communists and revolutionaries, socialists, centrists, and even supporters of nationalist activist Saleh Ben Youssef, assassinated in 1961, behind his heritage. Former political prisoners during his regime wholeheartedly defend him. Bourguiba has become the registered trademark of Tunisian identity. In this troubled post-revolutionary period, the need for a "zaim", a charismatic leader, is greater than ever. His shadow floats over Tunisia, weighing on political transition figures. Many Tunisians define themselves as secular, but they live in a culturally Muslim society. Many never lived under Bourguiba and are not Bourguibists today, but they live in a society crafted by Bourguibism from top to bottom. The current Tunisian identity appears to be based on the political personality of Bourguiba, more than ever.


Les Tunisiens semblent tout pardonner à Bourguiba en la circonstance. On lui pardonne d’avoir été non-démocrate, d’avoir théorisé le parti unique ou d’avoir persécuté l’opposition laïque, les youssefistes et les islamistes. On lui pardonne aussi son narcissisme ou « l’inflation du moi », comme disait éloquemment la journaliste Françoise Giroud. Il disait que la Tunisie était trop petite pour lui mais les Tunisiens préfèrent garder de lui les acquis essentiels, les valeurs, les réformes profondes, la modernité sociale et éducative, le planning familial, le libéralisme des mentalités et des attitudes sociales. Garder le libéralisme de fond, celui qui a permis de rompre avec l’archaïsme.

Tunisians appear to have pardoned Bourguiba, given the current circumstances. They have pardoned him for being undemocratic, for establishing the single-party system and for persecuting the secular opposition, the Ben Youssef supporters and the Islamists. They have also pardoned his narcissism and "self-promotion", so eloquently termed by French journalist Francoise Giroud. He said that Tunisia was too small for him, but Tunisians like to keep what they obtained with him, the values and major reforms, the modern social and education features, family planning, the liberal mentality and social attitude. They want to maintain the basic liberal advances that brought an end to their backwards past.

Certes, il faut le reconnaître, Bourguiba fut un paradoxe. Lui qui a cumulé plusieurs configurations de liberté dans sa vie et dans son combat politique : avocat, journaliste, laïc, moderniste, intellectuel, combattant pour la libération de son pays, défenseur des droits des femmes, lecteur des penseurs humanistes de l’Antiquité, toutes des configurations favorables à la liberté de parole, à la liberté d’être et à la liberté d’action, pourquoi n’a-t-il pas été favorable à la liberté politique de son peuple ?

Yes, it is clear that Bourguiba was by nature a paradox. He represented many aspects of modern freedom in his life and political struggle. He was a lawyer and journalist; he was secular, modern, an intellectual and freedom fighter for his country. He defended the rights of women, and was familiar with the humanist thinkers of ancient times, all of which is on the side of freedom of speech, of the self and of action. So why did he not act in favor of the political freedom of his people?

Les Tunisiens semblent s’accrocher malgré tout à l’exception bourguibienne. On préfère reconnaitre les exceptions par rapport au monde arabe et musulman qu’il a su introduire : l’exception des droits et libertés des femmes dans une région encore imprégnée de traditionalisme, l’exception laïque dans une terre encore imprégnée de religiosité islamique, l’exception d’un régime civil, dans une région ne connaissant d’autre alternative qu’entre les régimes religieux ou militaires. Bref, on préfère garder de lui l’édification d’un État moderne, au sortir, faut-il le souligner, d’un sous-développement et d’une colonisation insupportables. @rvpugi

Tunisians appear to be hanging on to his heritage, in spite of the paradox. They praise the exceptional reforms he introduced that were exceptions in the context of the Arab and Muslim world. These include the emancipation of women in the heart of a very traditional region, secular structures within a context of Islamic religious practices, and a civilian government in an Arab-Muslim world that even today can offer few exceptions to religious or military regimes. His immortality is based on having sheperded the emergence of a modern State, it must be remembered, from the under-developed remains of an often untenable colonial entity. @rvpugi Translation from French Brett Kline

HATEM M’RAD Hatem M’rad est professeur agrégé de science politique à la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis, Université de Carthage. Il est président-fondateur de l’Association Tunisienne d’Études Politiques (ATEP), et membre élu du Comité Exécutif de l’International Political Science Association (IPSA-AISP). Il est responsable du master de science politique et Directeur de l’Ecole doctorale. Il est l’auteur de Place de la procédure dans la diplomatie de conférence (CPU, 2001); L’opinion publique mondiale (CPU, 2006), Libéralisme et Adversité (CPU, 2008), Libéralisme et liberté dans le monde arabo-musulman (Les Cygnes, Paris, 2011; Nirvana, Tunis 2012), Tunisie : de la révolution à la constitution (Nirvana, 2014), Le déficit démocratique de l’après-indépendance (Nirvana, 2014).

Hatem M’rad is a full professor of political science at the Faculty of Law and Political and Social Sciences at the University of Carthage, Tunis. He is the President and founder of the Tunisian Association of Political Studies (ATEP), and an elected member of the executive committee of the International Political Science Association (IPSA-AISP). He heads the political science masters program and is director of the doctorate school. He is the author of Procedure in Conference Diplomacy (CPU – 2001), World Public Opinion (CPU – 2006), Free-Market Policy and Adversity (CPU – 2008), Free-Market Policy and Freedom in the Arab-Muslim World (Les Cygnes, Paris 2011, Nirvana, Tunis 2012), Tunisia, from revolution to constitution (Nirvana – 2014), The Democratic Deficit of Post-Independence (Nirvana – 2014).

© Bernard Henry

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par Hatem Ben Salem, Directeur général de l’Institut national des Études stratégiques

RULE OF LAW FACED WITH TRANSITION CHALLENGES

by Hatem Ben Salem, Director-General of the national Institute of strategic studies

© DR

DÉCLENCHÉE PAR L’INJUSTICE, L’EXCLUSION SOCIO-ÉCONOMIQUE ET LE MANQUE D’OPPORTUNITÉ POLITIQUE, LA RÉVOLUTION TUNISIENNE S’EST SOLDÉE PAR UN CHANGEMENT DE RÉGIME QUI A VU LE POUVOIR ÊTRE TRANSFÉRÉ À DIVERS ACTEURS POLITIQUES, SOCIAUX ET ÉCONOMIQUES. ELLE A AUSSI SONNÉ L’AVÈNEMENT D’UNE ÈRE OÙ CHACUN JOUIT DE LA POSSIBILITÉ DE PARTICIPER À UNE TRANSITION POLITIQUE PACIFIQUE ET À L’ÉDIFICATION D’UNE JEUNE DÉMOCRATIE.

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THE TUNISIAN REVOLUTION WAS TRIGGERED BY INJUSTICE, SOCIOECONOMIC EXCLUSION AND THE LACK OF POLITICAL OPPORTUNITY RESULTING IN A REGIME CHANGE THAT TRANSFERRED POWER TO VARIOUS POLITICAL, SOCIAL AND ECONOMIC ACTORS AND USHERING IN AN ERA IN WHICH ALL AND EVERYONE IS ALLOWED TO TAKE PART IN THE PEACEFUL POLITICAL TRANSITION AND THE EDIFICATION OF A YOUNG DEMOCRACY.


Cette approche participative n’a pas seulement engagé les This participatory approach did not only empower institutions étatiques mais a également permis aux organithe State institutions but also allowed civil society sations de la société civile de jouer un plus grand rôle dans organizations to play a greater role in a political un processus politique qui entend se fonder sur les principes process that seeks to be based on the principles de bonne gouvernance et d’État de droit. La transition poliof good governance and the rule of law. tique a abouti à un partage du pouvoir entre Nidaa Tounes, Political transition led to power sharing between un parti laïc, et Ennahdha, un parti islamiste conservateur. Nidaa Tounes, a secular party, and Ennahdha, a De nombreux observateurs perconservative Islamist party, çoivent cette cohabitation comme a cohabitation seen by le signe d’une transition politique many observers as a sign tunisienne réussie. of success of the political Mais, en dépit de cette transition transition in Tunisia. politique pacifique, le pays fait face But despite the peaceful à de nombreux défis. Tandis que political transition, the l’économie s’engouffre dans une country is facing a number spirale descendante, tandis que of challenges. The economy les relations tendues avec les synis taking a downward spiral, dicats débouchent fréquemment relations with the Unions are sur des grèves et sit-in, le terrotense resulting in frequent risme, lui, gagne du terrain. Ces strikes and sit-ins, and défis témoignent de la précarité de terrorism is gaining ground. la situation. These challenges testify Quatre ans après la révolution, to the precariousness of the l’économie tunisienne se contracte. situation. Consécutivement à une croissance Four years into the de 2,3 % en 2014, la Banque monrevolution, Tunisia’s diale et le FMI ont prévu pour 2015 economy is contracting. une croissance médiocre du PIB, After 2.3% growth in 2014, de 1 %. Le taux de chômage global the World Bank and the Directeur général de l’Institut national se situe à 15,2 %, lorsque celui des IMF project GDP growth des Études stratégiques diplômés de l’université atteint un for 2015 at a measly 1%. Director-General of the national Institute niveau alarmant de 31,4 %. Overall unemployment is at of strategic studies 15.2% and at an alarming Le potentiel de croissance écolevel of 31.4% for university nomique à moyen terme dépend graduates. principalement des réformes structurelles destinées à proEconomic growth potential in the medium term mouvoir les investissements privés nationaux et étrangers. depends primarily on structural reforms to promote L’amélioration de la gouvernance, l’instauration d’un environdomestic and foreign private investment. Improving nement favorable aux entreprises, la réforme des systèmes governance and establishing a business-friendly fiscaux, la refonte des politiques financières et de celles liées environment, reforming tax systems, rethinking à l’éducation revêtent une importance cruciale. financial and educational policies are paramount.

LA TUNISIE A BESOIN D’UN LEADERSHIP POLITIQUE « VISIONNAIRE » 33


Les règles régissant la concurrence doivent également être renforcées, notamment par le biais d’une plus grande autonomie. Le système judiciaire doit, à long terme, permettre le règlement des différends entre entités commerciales ainsi que les problèmes juridiques avec l’administration de façon à consolider l’État de droit dans le monde des affaires. Par ailleurs, afin d’établir un système plus transparent et efficace, il apparaît essentiel de simplifier les procédures administratives. Le comblement du fossé entre université et marché du travail ainsi que la valorisation de la formation professionnelle constituent des éléments primordiaux afin de réduire le chômage. Le passage à une économie fondée sur les technologies de l’information permettra au marché de potentiellement absorber le non-emploi. Les investissements directs étrangers (IDE) dépendent largement de la visibilité politico-économique à moyen et long termes et des principes de transparence, d’État de droit et de responsabilisation. Cela devrait non seulement encourager les investissements internationaux mais aussi asseoir les bases d’une démocratie durable et améliorer l’efficacité de la gouvernance. Un flux plus conséquent d’IDE boostera non seulement l’économie mais contribuera aussi à la réduction des inégalités régionales en attirant les investissements vers les régions intérieures délaissées. Ceci dépendra de l’instauration d’un environnement propice combinant stabilité sociale, sécurité et atouts nécessaires rendant la croissance possible.

Competition rules should also be strengthened, especially through greater autonomy. The judicial system should be able, in the long term to resolve disputes between commercial entities and legal problems with the administration to strengthen the rule of law in business. Moreover, in order to establish a more transparent and more effective system, it is essential to simplify the complex administrative procedures. Bridging the gap between university and the labor market and valorizing vocational training is essential in reducing unemployment. Moving to an IT-based knowledge economy will allow the market to potentially absorb the flows of the unemployed. As to foreign direct investments (FDI), they largely depend on the politico-economic visibility in the medium and long terms and on the principles of transparency, rule of law and accountability which would not only encourage international investment, but also develop the basis for a sustainable democracy and improve the effectiveness of governance. A greater flow of FDI will not only boost the economy, but will also help reduce regional inequalities by attracting investments to interior underserved regions. This depends on the creation of a propitious environment that consists of social stability, security, and skills necessary for making growth possible.

DE NOMBREUX OBSERVATEURS PERÇOIVENT CETTE COHABITATION COMME LE SIGNE D’UNE TRANSITION POLITIQUE TUNISIENNE RÉUSSIE.

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Depuis la révolution, la Tunisie fait face à des défis sécuritaires croissants, aggravés par le démantèlement de son appareil de sécurité. L’une des décisions prioritaires du gouvernement post-révolution a été la dissolution des services secrets, sapant par là-même la capacité des autorités à recueillir et partager des renseignements. Cette situation profite aux trafiquants, extrémistes violents et combattants terroristes étrangers en Libye. Dans ce pays, l’environnement anarchique a favorisé l’instauration d’une plus grande liberté de mouvement, associée à la disponibilité déconcertante d’armes qui ont proliféré dans le désert, règne du sans foi ni loi, de la frontière tunisiano-libyenne. Le cadre juridique de la lutte contre le terrorisme a été créé le 25 juillet 2015 lors de l’adoption, avec une majorité écrasante, de la loi contre le terrorisme et le blanchiment d’argent. Ledit texte couvre tous les aspects des actes terroristes accomplis – hors et en ligne – et permet la coordination des partenaires étrangers à cet égard.

Since the revolution, the security challenges in Tunisia have been on the rise, aggravated by the dismantling of its security apparatus. One of the very first decisions of the post-Revolution government was the dissolution of the secret service undermining the ability of the authorities to gather and share intelligence. This situation benefits to smugglers, violent extremists and foreign terrorist fighters in Libya where an anarchic environment gave rise to greater freedom of movement combined with the ready availability of weapons which proliferated in the lawless desert on the Tunisian-Libyan border. The legal framework to combat terrorism was established on July 25 th 2015 when a law against terrorism and money laundering was passed with an overwhelming majority. The law covers all aspects of terrorist acts – off and online – and allows for coordination with foreign partners in the fight against terrorism.

© Magharebia

Mais, l’environnement sécuritaire ne se départira pas de sa fragilité en l’absence de mesures radicales destinées à renforcer la capacité institutionnelle et juridique de l’État à combattre le terrorisme. Ces mesures doivent comprendre le financement de la lutte contre le terrorisme. Puisque la Tunisie-post 2011 s’est ouverte à la liberté et à la démocratie, 17 000 ONG (un record !) ont été créées. Il ressort que 48 % d’entre elles n’ont pas respecté leurs champs d’application et objectifs déclarés. 19 % ont conduit leurs activités sous l’étiquette d’organisations caritatives et religieuses financées par des sources inconnues. Ces ONG ont opéré en tant que facilitateurs dans le trafic d’armes et de combattants et ont mis une logistique à disposition des prédicateurs fanatiques pour approcher et endoctriner une jeunesse désenchantée.

But, the security environment remains fragile if radical measures are not taken to strengthen the State’s legal and institutional capacity to fight terrorism. These measures must include the fight against terrorist funding. As post-2011 Tunisia opened to freedom and democracy, 17,000 NGOs (a record number!) were created, 48% of which did not abide by their declared scope and objectives and 19% were operating under the cover of religious and charity organizations funded by unknown sources and operating as facilitators for arms and fighters smuggling, and providing logistics for fanatical preachers to address and brainwash disillusioned young people.

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Pour y faire face, l’État doit adopter une stratégie anti-terroriste globale assortie de mécanismes bien définis qui consolident la coopération entre les divers acteurs. À savoir, un premier aspect préventif qui consiste à identifier les facteurs de radicalisation ainsi que les processus de recrutement. Le deuxième aspect de cette stratégie s’axera sur la protection des cibles et infrastructures sociales et la réduction de leur vulnérabilité face aux attaques. Ceci inclut la protection des frontières, des moyens de transport et de tous les espaces publics. Le troisième aspect de cette stratégie se focalisera sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. La question du retour des combattants terroristes se situe au cœur de cette stratégie. En avril 2015, un rapport publié par les Nations unies estimait que près de 30 000 combattants terroristes étrangers (CTE), provenant de plus de 100 pays, avaient rejoint la Syrie et l’Irak, y compris 4 000 CTE originaires d’Europe occidentale. Selon ce même rapport, plus de 3 000 Tunisiens se sont rendus en Syrie et en Irak pour le « Djihad », ce qui fait de la Tunisie un fournisseur de CTE de premier plan. Leur retour en Tunisie pose de sérieux problèmes sécuritaires puisque la plupart d’entre eux reviennent sur leur terre, forts d’une expérience et missionnés pour mener des attaques et apporter un soutien logistico-financier aux réseaux extrémistes locaux. À ce stade, leur surveillance et la prise en considération des processus de déradicalisation et modération revêtent une importance cruciale. La compréhension de leurs motivations, des canaux de radicalisation ainsi que l’apprentissage des meilleures pratiques en matière de réintégration au sein de pays ayant vécu des expériences similaires doivent être pris en compte. Quelle que soit la stratégie que l’État tunisien adoptera, le premier défi en matière de radicalisation, de recrutement et de retour des combattants terroristes étrangers demeure le partage de renseignements exacts et pertinents, l’établissement d’un système de surveillance et de signalement des éléments suspects ainsi que la mise en place de programmes exhortant amis, familles et voisins à identifier les personnes susceptibles de se faire recruter. Bien que ceci puisse relancer le débat « protection de la vie privée contre sécurité », l’approche adoptée doit l’être d’une manière qui protège les droits des personnes et qui, dans le même temps, casse le message des extrémistes et leur capacité à propager leur idéologie.

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To face this, the State should adopt a comprehensive counter-terrorism strategy with well-defined mechanisms that enhances cooperation between different actors. Firstly, a preventive aspect which consists of identifying factors that contribute to radicalization and processes of recruitment. The second aspect of this strategy is to protect soft targets and infrastructures and reduce their vulnerability to attack. This includes the protection of borders, means of transport and all public spaces. A third aspect of this strategy should focus on fighting money laundering and terrorist funding. Tackling the issue of “returnees” is at the heart of this strategy. In April 2015, a report published by the United Nations estimated that nearly 30,000 FTF have joined Syria and Iraq from more than 100 countries, including 4,000 FTF from Western Europe. According to the same report, more than 3,000 Tunisians travelled to Syria and Iraq for “Jihad” making it the biggest provider of FTF. Their return to Tunisia poses serious security problems as most of them return with an experience and a mission to conduct attacks and to lend logistical and financial support to local extremist networks. At this stage, monitoring them and considering processes of deradicalization and moderation are crucial. Understanding their motivations and the channels of radicalization, and learning best practices about reintegration in countries that undergone similar experiences should be taken into account. Whatever the strategy that the Tunisian State will adopt, the first challenge in relation to the radicalization, recruitment and return of FTF remains sharing timely accurate intelligence, establishing a system of watching and reporting suspicions, and setting up programs of urging friends, families and neighbors to identify people targeted for recruitment. Although this may ignite the "privacy vs. security" debate, it should be approached in a way that protects the rights of people and at the same time breaks the extremists’ message brand and their ability to disseminate their ideology.


Parvenir à un équilibre entre liberté et sécurité constitue un autre défi puisque les deux concepts sont évolutifs. Ils offrent de vastes possibilités d’interprétation et peuvent être utilisés à mauvais escient en l’absence de définition et de délimitation. Les médias et organisations de société civile ont joué un rôle majeur dans la transition politique et ont contribué à faire prendre conscience à la population des défis auxquels leur pays est confronté. Pour renforcer leur rôle dans une société démocratique, ils doivent être dotés de moyens aux fins de l’expansion d’une culture de participation citoyenne conforme aux valeurs démocratiques, à la bonne gouvernance ainsi qu’aux principes des droits de l’Homme et à l’égalité des genres. À ce stade, la Tunisie a besoin d’un leadership politique « visionnaire » et d’une bureaucratie efficace fondée sur la bonne gouvernance, l’État de droit et la responsabilisation afin de contribuer à la reprise économique et de motiver les individus. Une attitude consensuelle doit prévaloir parmi toutes les parties prenantes. Une vision stratégique claire quant à ce que devrait être l’avenir de ce pays doit guider tous les décisionnaires. Cette vision doit refléter les attentes des Tunisiens et doit s’appuyer sur le développement de scenarii et recommandations qui indiquent la direction à suivre quant au développement à long terme du pays tout en conservant un degré de flexibilité et la capacité à réagir aux opportunités. Traduit de l'anglais par Sandra Wolmer

© Magharebia

Achieving a balance between freedom and security is another challenge as both concepts are expandable. They offer wide possibilities of interpretation and can be misused if not defined and delimited. The media and civil society organizations played a major role in the political transition and were instrumental in raising people’s awareness in relation to the challenges facing the country. To consolidate their role in a democratic society, they need to be empowered to spread a culture of citizen participation consistent with democratic values, good governance and the principles of Human rights and gender equality. It should be noted at this stage that Tunisia needs a “visionary” political leadership and an efficient bureaucracy based on good governance, rule of law and accountability to help the economy recover and to motivate people. A consensual attitude should prevail among all stakeholders and a clear strategic vision as to what the future of this county should be ought to guide all decision makers. This vision must reflect the expectations of the Tunisian people and must be based on developing scenarios and recommendations that provide direction to the long-term development of the country while retaining a degree of flexibility and the capacity to react to opportunities.

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© Scallop Holden

THE AFRICAN IFRIQIYA L’AFRICAINE, UNE QUESTION D’HISTOIRE ET DE DESTINÉE A QUESTION OF HISTORY AND DESTINY par Touhami ABDOULI

SECRÉTAIRE D’ÉTAT CHARGÉ DES AFFAIRES ARABES ET AFRICAINES, TOUHAMI ABDOULI ŒUVRE POUR LA « RÉÉMERGENCE DE LA TUNISIE EN AFRIQUE ». L’ANCIEN DÉPUTÉ DE LA CIRCONSCRIPTION DE SIDI BOUZID NOUS LIVRE SA STRATÉGIE DANS UNE CONTRIBUTION. Longtemps ravagée par les pandémies, la pauvreté et les conflits les plus douloureux, l’Afrique renaît aujourd’hui de ses cendres. Sa nature resplendissante et si généreuse, vectrice de richesses et objet de tant de convoitises, replace le continent au centre des intérêts mondiaux. L’Afrique – avec la moyenne d’âge la plus jeune au monde (20 ans) – connaît également un plein épanouissement démographique. Cet espace géostratégique unique apparaît comme un grand chantier en construction mais aussi comme un consommateur de biens et d’équipements de tout premier ordre : les importations de l’Afrique dépassent les 565 milliards de dollars. 38

Touhami

ABDOULI Secrétaire d'État tunisien en charge des Affaires arabes et africaines. Tunisian Secretary of State in charge of Arab and African Affairs TOUHAMI ABDOULI, THE SECRETARY OF STATE FOR ARAB AND AFRICAN AFFAIRS, IS WORKING ON THE ”RESURGENCE OF TUNISIA IN AFRICA”. THE FORMER MP FOR THE CONSTITUENCY OF SIDI BOUZID REVEALS HIS STRATEGY TO 54 ÉTATS. After having being ravaged by pandemics, poverty and the most painful conflicts for a long time, Africa is now rising from the ashes. Its splendid and generous nature, a vector of wealth and the object of much cupidity, has placed the continent back at the heart of global interests. Africa: the continent, which has the world’s youngest average age (20) and where demographic growth is in full swing. This unique geostrategic area appears not only as a large construction site but also as a first-class consumer society of goods and equipment: Africa’s imports exceed $ 565 billion.


De l’est à l’ouest, en passant par l’Afrique centrale et jusqu’en Afrique australe, plusieurs pays peuvent se targuer aujourd’hui d’un taux de croissance élevé. Avec 8 %, la Côte d’Ivoire se trouve en tête du peloton. Nombre d’États ont en outre intégré l’économie numérique et amélioré leurs climats des affaires. L’Afrique s’est muée en une plateforme attractive pour les grands investisseurs étrangers, traditionnels et nouveaux. Le Japon, la Chine, l’Inde et plus récemment la Turquie ont ainsi instauré des partenariats institutionnalisés avec l’Afrique. Malgré les aléas inhérents à la persistance de la corruption et au manque de bonne gouvernance, plusieurs rapports et analyses économiques classent une dizaine de pays africains parmi les plus attractifs en termes d’IDE1. L’Afrique du Sud, suivie du Maroc, se positionnent en tête de liste, talonnés par le Nigeria, l’Égypte et le Kenya.

From the East to the West, passing through Central Africa and down to Southern Africa, several countries can pride themselves on their high growth rate, the leader being Ivory Coast with a rate of 8%. Furthermore, many African countries have integrated the digital economy and improved their business climates. Africa has turned into an appealing platform for major foreign investors, both traditional and new. Japan, China, India and more recently, Turkey, have thus established institutionalized partnerships with Africa. In spite of the vagaries related to persistent corruption and the lack of good governance, several reports and economic analyses rank ten African countries among the most attractive in terms of FDI1. South Africa, then Morocco, appear at the top of the list, closely followed by Nigeria, Egypt and Kenya.

L’AFRICANITÉ DE LA TUNISIE

TUNISIA’S AFRICANITY

La Tunisie, pays pionnier pour la construction d’une Afrique unie et intégrée, bénéficie d’un capital de sympathie et de considération auprès de ses partenaires africains. Son modèle de développement économique et social ainsi que son expertise avérée dans certains domaines clés lui valent reconnaissance et estime. Pour autant, un examen approfondi du positionnement de la Tunisie a révélé bien des défaillances et des manquements empêchant son économie de se projeter vers les pays de l’Afrique subsaharienne et australe. Les recommandations émanant de ces études et analyses mettent en lumière l’importance d’une réelle volonté politique afin de remédier à cette situation. Le gouvernement actuel est en train d’œuvrer dans ce sens en replaçant la Tunisie dans son environnement naturel et historique, l’Afrique. Une manière de tracer son devenir à partir de son africanité. Les potentialités de la Tunisie permettent d’envisager d’établir un partenariat stratégique et solidaire, « gagnant-gagnant », avec les pays frères d’Afrique. Ceci nécessite en premier lieu un changement d’attitude et de mentalité de la société tunisienne. Du simple citoyen aux politiques, en passant par les éducateurs, les élites intellectuelles ou les médias, il convient de déstructurer les croyances négatives et les clichés de jugements raciaux hérités du colonialisme. La Tunisie doit assumer son appartenance au continent en promouvant son héritage historico-culturel et son identité africaine. Ce changement d’optique, fondé sur les valeurs d’équité et de respect de la différence, n’est finalement que l’expression du droit humain le plus élémentaire. Ce recadrage de la vision socioculturelle envers l’Afrique permettra aux Tunisiens d’avoir une meilleure compréhension des problèmes qui secouent le continent mais aussi de s’associer pleinement aux développements et changements politico-économiques en cours.

Tunisia, a pioneering country in the construction of a united and integrated Africa draws sympathy and consideration from its African partners. Its economic and social development model, as well as its proven expertise in certain key areas, have earned the country recognition and esteem. Nevertheless, an in-depth examination of Tunisia’s positioning has revealed many shortcomings and failings, preventing it to project its economy towards the countries of sub-Saharan and southern Africa. The recommendations resulting from these studies and analyses highlight the importance of a genuine political will to rectify this situation. The current government is working towards this end by placing Tunisia back in its natural and historical environment, Africa. It is a way of tracing its evolution from its Africanity. Tunisia’s potential means that is possible to consider a strategic and solid "win-win", partnership with African sister countries. First of all, Tunisian society needs to change its attitude and mentality. Ordinary citizens, political actors, as well as educators, the intellectual elite and the media need to overcome negative thinking and racial judgments – the legacy of colonialism. Tunisia must assume its role as a member of the continent by promoting its historical-cultural heritage and African identity. This shift in perspective, based on the values of fairness and respect for difference, is ultimately the expression of the most basic human right. This redefined, sociocultural vision of Africa will enable Tunisians to have a better understanding of the problems besetting the continent and also to be fully involved in the developments and political and economic changes underway. 39


L’ENJEU DE LA SÉCURITÉ

THE ISSUE OF SECURITY

L’avenir de la Tunisie – sur le plan de ses intérêts stratégiques et sécuritaires – est intimement lié à son voisinage immédiat, dont elle est à la fois le prolongement et le complément. De toute évidence, une action multidimensionnelle d’envergure doit être engagée. Il faut tout d’abord agir à l’intérieur, dans le contexte tunisien, pour s’ouvrir ensuite vers l’extérieur, vers les frères africains avec qui il faut reconstruire les échanges humains, culturels et économiques.

The future of Tunisia - in terms of its strategic and security interests - is inextricably linked to its immediate neighbourhood, of which it is both the extension and the complement. It is evident that large-scale, multidimensional action needs to be taken. It must first be initiated within the country, in the Tunisian context, and then extended to the African sister countries with which it is necessary to rebuild human, cultural and economic exchanges.

Ce plan doit impliquer intellectuels, médias et dirigeants. La mise en avant de l’héritage culturel tunisien et l’expression artistique, dans toute sa diversité, serviront ainsi d’outils préliminaires à la reconnexion à l’Afrique. Aux dirigeants de se réapproprier ensuite l’espace politico-diplomatique sur la scène continentale. Par davantage de présence mais également par la mise en place de nouvelles institutions totalement dédiées à cette tâche, adoubée de mécanismes d’appui et d’autres de suivi, d’évaluation et de réajustement. Dans cette démarche, les échanges économiques et les opportunités d’affaires seront au centre de l’action politique, au même titre que la coopération sécuritaire. Ces deux dimensions sont indissociables pour assurer un développement durable et inclusif, tout en tenant compte des spécificités, des priorités et des besoins de chaque pays et région ainsi que des capacités et potentialités de la Tunisie.

This plan must involve intellectuals, leaders and the media. The emphasis on Tunisian cultural heritage and artistic expression, in all its diversity, will thus serve as a preliminary tool to reconnect with Africa. Then, it will be up to the political and diplomatic leaders to occupy the space on the continental stage. Not only by being more present but also by setting up new institutions entirely dedicated to this task, accompanied by support mechanisms and others in order to monitor, assess and adapt the action accordingly. Under this approach, economic exchanges, business opportunities and security cooperation will be the focus of political action. These two dimensions are inseparable if we want to achieve sustainable and inclusive development, while at the same time taking into account the specificities, priorities and needs of each country and region, as well as Tunisia’s capacities and potential.

© Cal stock

© Fast Co

L’investissement en matière de sécurité, pour sa part, doit poursuivre une double finalité. Premièrement, consolider la coopération sécuritaire avec les pays africains pour éradiquer le fléau du terrorisme transnational. Deuxièmement, œuvrer activement à la résolution pacifique de conflits. Ce qui réclame un renforcement de la présence tunisienne dans toutes les initiatives de médiation, de dialogue et de concertation, seules voies possibles pour une paix durable et inclusive. Une panoplie de mécanismes d’appui et de veille aux outils sus-évoqués peut être envisagée : la diplomatie, les consultations politiques, les grandes commissions mixtes, les conseils d’affaires, les think tank économiques et les comités de pilotage. 40

Investment, in terms of security, should have a dual purpose. First comes the reinforcement of security cooperation with African countries in order to eradicate the scourge of transnational terrorism. Secondly, there is the need to work actively towards a peaceful resolution of conflicts. This calls for an increase in Tunisia’s participation in all the mediation, dialogue and consultation process, which is the only possible way of achieving sustainable and inclusive peace. A range of support mechanisms and the monitoring of the above-mentioned tools can be envisaged: diplomacy, political consultations, large joint committees, affairs councils, economic think tanks and steering committees.


INVOLVING CIVIL SOCIETY Tunisia is gradually opening up its borders to nationals of other African countries with the unilateral lifting of entry visas, in the hope that the States concerned will do the same, like Gabon. Meanwhile, new airlines to Central Africa and West Africa, served by Tunisair, have emerged and negotiations are under way to establish other agreements with the airline industry. This is a way for Tunisia to facilitate mobility, as requested by its African partners.

© maudpass

IMPLIQUER LA SOCIÉTÉ CIVILE La Tunisie a entrepris une démarche d’ouverture graduelle de ses frontières aux ressortissants d’autres pays africains par la levée unilatérale de visa d’entrée. Le tout en espérant que les États concernés appliqueront la réciprocité, à l’image du Gabon. Parallèlement, de nouvelles lignes aériennes vers l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest, desservies par Tunisair, ont vu le jour et des négociations sont menées pour établir d’autres accords dans le secteur du transport aérien. Une manière pour la Tunisie de faciliter la mobilité réclamée par ses partenaires africains. Quant à la circulation des capitaux, le système financier et douanier est en pleine réforme. Sa restructuration vise l’encouragement et l’accompagnement des entrepreneurs opérant vers les marchés en Afrique. Par ailleurs, en mettant ses experts, tant civils que militaires, à la disposition des pays africains, la Tunisie œuvre à la valorisation du développement du facteur humain et des échanges interculturels. Elle s’engage également davantage dans cette voie en diversifiant les domaines d’intervention de ses experts, à savoir les NTIC2, le développement des compétences ou capacity buil ding, l’hôtellerie, le tourisme, etc. Cette mobilité humaine contribue à relever les défis liés au manque de connectivité et à la mauvaise perception de nos différences. La Tunisie, Ifriqiya l’Africaine, compte aussi sur l’appui des pays africains frères pour soutenir son plan d’action, notamment à travers la facilitation de l’entrée aux groupements économiques régionaux tels que la CEDEAO3, l’UEMOA4, la CEMAC5, la COMESA6. Globale et inclusive, cette stratégie de réémergence de la Tunisie en Afrique ne peut toutefois ni aboutir ni réussir sans le précieux concours de la société civile tunisienne. Son action est indispensable pour tisser des liens plus étroits avec ses équivalents africains en facilitant l’échange d’expérience dans des domaines vitaux (microcrédit, lutte contre la violence dans les foyers, travail de la femme rurale, accès au numérique, etc.) Incontestablement, la société civile tunisienne s’avère incontournable pour véhiculer, divulguer et mettre en exécution ce plan ambitieux mais non point inaccessible.

As for the movement of capital, the financial and customs system is in the throes of reform. The aim of the restructuring is to gain the encouragement and support of entrepreneurs whose operations target the markets in Africa. Moreover, by making its experts, both civilian and military, available to African countries, Tunisia is working on promoting the development of the human factor and cross-cultural exchanges. It is further pursuing this path by diversifying the areas of intervention of its experts, and specifically, NICT2, skills development or capacity building, the hotel industry, tourism, etc. This human mobility is helping to meet the challenges related to the lack of connectivity and the misguided perception of our differences. Tunisia, the African Ifriqiya, is also relying on the backing of African sister countries to support its action plan, notably in facilitating the membership of regional economic organisations, such as ECOWAS3, UEMOA4, CEMAC5 and COMESA6. However comprehensive and inclusive this strategy for the resurgence of Tunisia in Africa may be, it cannot succeed without the valuable contribution of the Tunisian civil society. Its action is essential in forging closer links with its African counterparts by facilitating the exchange of experience in areas of vital importance (microcredits, the fight against domestic violence, the work carried out by rural women, ICT access, etc.) The involvement of the Tunisian civil society is, without a doubt, essential for conveying, disclosing and implementing this ambitious but feasible project. Translation from French Susan Allen Maurin 1 : Foreign Direct Investment 2: New Information and Communications Technology 3: Economic Community of West African States 4: West African Economic and Monetary Union 5: Central African Economic and Monetary Community 6: Common Market for Eastern and Southern Africa.

1 : Investissements directs étrangers 2 : Nouvelles technologies de l’information et de la communication 3 : Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest 4 : Union économique monétaire Ouest africaine 5 : Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale 6 : Common Market for Eastern and Southern Africa. 41


par John Harrison

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D

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ince the fall of former president Ben Ali in the beginning of 2011, Tunisia has had to deal with terrorist threats inside its borders. The growth of seemingly unconnected radical Islamist groups in isolated corners of the country, attacks against the police, national guard and the army, and above all against civilians…the origins of much of this violence can be found in the poor functioning of the country's domestic security service. The force was highly feared under Ben Ali, whom Hubert Vedrine, former French foreign affairs minister under François Mitterand, termed "a stupid cop". But now, the Domestic Security Forces, the FSI, are clearly displaying their weaknesses, hidden or painted over before 2011.

© Ministère de l'Intérieur

epuis la chute de l’ex-président Ben Ali au début de l’année 2011, la Tunisie n’est pas épargnée par la menace terroriste sur son territoire. Développement de groupes islamistes disparates dans des coins reculés du pays, attaques contre la police, la garde nationale, l’armée, mais aussi et surtout les civils, toutes ces violences trouvent (au moins) une partie de leurs racines dans le dysfonctionnement de l’appareil de sécurité intérieure tunisien. Redoutées sous Ben Ali, que Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères sous François Mitterrand, voyait comme « un flic, et un flic con », les Forces de sécurité intérieure (FSI) affichent maintenant clairement leurs lacunes, dissimulées ou maquillées avant 2011.

La Tunisie fournit le plus gros contingent de jeunes combattants étrangers à l’organisation État islamique. Dans notre dernier numéro (n°24 nov/dec 2015, p.62), nous évoquions le rôle de sa voisine, la très perturbée Libye, dans le développement des mouvements terroristes en Tunisie. Citant des « informations fiables », le ministre des Affaires étrangères libyen affirme d’ailleurs que « Daech demande aux nouvelles recrues de se diriger vers la Libye, et non plus la Syrie. » C’est le retour sur les terres tunisiennes de ces combattants entraînés dans d’autres pays qui menace la Tunisie, ses habitants, son mode de vie et son économie. Pour sa sécurité, le pays doit se soucier autant de la menace extérieure que de la menace intérieure. À l’instar de la Belgique, où nous découvrons aujourd’hui que les mouvements djihadistes ont profité de la décentralisation et la désorganisation de la police pour développer les réseaux islamistes et le trafic d’armes, les groupes djihadistes tunisiens profitent du dysfonctionnement des FSI. Il s’agit là du principal point soulevé par le rapport publié en juillet 2015 par l’International Crisis Group (ICG). « L’ancien régime était efficace pour surveiller les Tunisiens et leur inspirer la crainte (…). La peur du policier entretenait l’illusion de l’efficacité des FSI. (…) Une fois la barrière de la peur levée, la police est devenue incapable de maintenir l’ordre et sa faiblesse apparaît au grand jour », note le rapport. C’est de cette faiblesse, et non de l’absence de sécurité intérieure, dont profitent les mouvements djihadistes pour grossir leurs rangs avec la jeunesse tunisienne.

Tunisia has furnished the largest contingent of young foreign fighters in the ranks of the Islamic State organization, or Daesh. In the last issue of 54 ÉTATS (number 24, Nov-Dec, 2015, page 62), we explained the role of its highly unstable neighbor, Libya, in the development of terrorist movements in Tunisia. Quoting dependable sources, the Libyan foreign affairs minister said that "Daesh is asking new recruits to go first to Libya, and no longer to Syria." It is when these Islamic radicals trained in other countries cross back into Tunisia that they become a threat to the country, its inhabitants, its way of life, and its economy. To bolster its security, Tunisia must deal with domestic threats as much as with developments beyond its borders. It is much like Belgium, where the world is discovering that Jihadi movements have been able to take advantage of the decentralized and poorly organized police to develop radical Islamic networks and arms trafficing. In Tunisia, Jihadi groups are taking advantage of the poor functioning of the FSI. This was the main point of the report published in July, 2015 by the International Crisis Group, the ICG. "The former regime was efficient in its surveillance of Tunisians, putting fear in their hearts….The fear of the police maintained the illusion of the efficiency of the FSI….Once that fear was removed, the police became incapable of maintaining law and order and their weakness became very apparent," the report states.

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© Xavier Bourgois

À cause de la propagande sous l’ancien régime, la Tunisie pensait avoir des services de sécurité pléthoriques et à la pointe de la technologie. En fait, en 2011, elle découvre des FSI en bien mauvais état : sous-effectifs, services de renseignements inefficaces, équipements technologiques défectueux ou dépassés, nouveaux agents incompétents et sans éthique… Et ce, pendant le processus de démocratisation. Dans la précipitation, d’anciens opposants au régime et directeurs généraux des FSI ont été réaffectés, en dépit parfois de leur incompétence. Idem pour 2 200 agents et cadres du ministère de l’Intérieur virés ou emprisonnés sous Ben Ali et réintégrés hâtivement malgré, pour certains, leur carence professionnelle. Le but était surtout de montrer à très court terme que tout type de sanction infligée sous l’ancien régime était illégitime. Entre 2011 et 2014, les agents des FSI sont recrutés à tout-va et passent de 50 000 à 75 000 unités. Mais ces embauches en nombre ont contribué à diminuer l’intégrité et les compétences professionnelles du policier de base. Démotivation, mauvaise gestion, turnover massif et rapide, recrutement anarchique de policiers mal formés, clientélisme et absence de dialogue ont sérieusement affaibli les FSI. Tout ceci, accompagné selon l’ICG d’une « lutte frontale entre FSI et pouvoir politique (qui) aboutit à une impasse », ont contribué à empêcher les autorités de mettre sur pied une politique publique de sécurité efficace face aux menaces djihadistes.

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Thanks to the propaganda of the former regime, Tunisians thought their security services were well-staffed and at the cutting edge of technology. In fact, they discovered in 2011 that the FSI was in bad shape: it was understaffed, had inefficient intelligence services and defective or outof-date technological tools, and its new agents were incompetent and had no ethics. All this was during the march towards democracy. Former regime opponents and FSI director generals were hurriedly pressed back into service, sometimes in spite of their incompetence. It was the same for some 2,200 agents and interior ministry officials who had been fired or emprisoned under Ben Ali. Many were re-hired in a hurry though they lacked certain professional skills. The goal was to show that on a short-term basis, none of the disciplinary action taken under the former regime was legitimate. Large-scale recruiting took place between 2011 and 2014. The number of FSI agents jumped from 50,000 to 75,000. But this mass hiring contributed to the weakening of the integrity and professional competency of the basic policeman. The FSI force was poorly motivated, weakened by bad management, rapid and high turnover, unorganized recruiting and poor training, patronism and the absence of dialogue. And according to the ICG, all this took place against a background of "a head-on clash between the FSI and the government that resulted in a deadlock." And this obstructed attempts by the government to establish efficient security policies in dealing with threats by Jihadists.


© Chris Belsten

Violences policières, corruptions, rackets des petits commerçants et surtout des contrebandiers, conditions carcérales catastrophiques : tous ces maux déjà présents sous Ben Ali renforcent le sentiment d’injustice de la jeunesse tunisienne et la rendent réceptive à l’islamisme radical. L’accroissement de la branche Okba Ibn Nafaa depuis 2012 en est la démonstration. Ce groupe djihadiste tunisien lié à al-Qaïda recrute aussi dans les coins reculés, notamment près du Mont Mghilla, pas loin de la frontière algérienne. Là-bas, entre autres, les habitants sont en colère. Ils ont le sentiment d’être délaissés, oubliés par le gouvernement. L’armée tunisienne, en conflit larvé avec les FSI et peu préparée à la lutte contre le terrorisme, ne sait pas combattre les maquis. Face à ce sentiment d’abandon, les habitants demandent des armes pour se protéger eux-mêmes. Nassim, cousin du berger décapité en novembre dans le centre-ouest du pays, témoigne : « les terroristes, quand ils ne les effraient pas, draguent les jeunes du coin, dans un contexte qui leur est favorable : pas de boulot et zéro perspective. Un fort sentiment d’abandon aussi (…) : mis à part administrativement, beaucoup d’habitants des zones très reculées se demandent s’ils sont vraiment tunisiens. » Dans les années 2000, les FSI étaient détestées des djihadistes. La chute de Ben Ali n’a rien changé. Fin novembre, un attentat frappait la sécurité présidentielle en plein cœur de Tunis, tuant 12 gardes. L’auteur était un vendeur ambulant tunisien de 26 ans. Ironie macabre de l’histoire, et preuve du désenchantement d’une certaine jeunesse, la révolution avait débuté avec l’immolation de Mohamed Bouazizi, lui aussi vendeur ambulant de 26 ans. Face à l’insécurité, les FSI se montrent incompétentes et inorganisées. Les mouvements djihadistes en profitent pour recruter et menacer le peuple et le territoire tunisiens, ce qui fait naître encore plus d’insécurité. Pour lutter contre ce cercle vicieux, une réflexion s’impose sur l’identité, le rôle et la mission de la police. La classe politique doit se réapproprier le dossier sécuritaire. Des réformes aussi s’imposent. À commencer par le fonctionnement du ministère de l’Intérieur, le cœur de la sécurité dans la société tunisienne, que tous les partis s’arrachent mais qu’aucun ne veut réformer. @johnharrison197

Police violence, corruption, protection rackets of small businesses and especially bootleggers, disasterous prison conditions: all these evils that had already existed under Ben Ali strengthened the sense of injustice felt by the young people of Tunisia. That made them more receptive to radical Islam. The growth since 2012 of the group Okba Ibn Nafaa, a Jihadi branch with links to al Qaeda, is a good example. This Tunisian group recruits in isolated areas, notably near Mont Mghilla, not far from the border with Algeria. There and elsewhere, local inhabitants are angry. They feel they have been abandoned by the government. The Tunisian army, in long-standing conflict with the FSI and ill-prepared to fight against terrorism, does not know how to fight against the guerillas. To deal with this feeling of being abandoned, local residents are calling for arms to defend themselves. Nassim, the cousin of a shepherd decapitated in the western center of the country, states: "when the terrorists are not frightening the local young people, they are attracting them, given the favorable situation, no work and no hope for any. They also feel abandoned… aside from what is written on their ID papers, many inhabitants of isolated areas wonder if they are really Tunisians." In the 2000's, the FSI were hated by the Jihadi radicals. The fall of Ben Ali changed nothing. In the end of November, the presidential guard was attacked in the heart of Tunis, and 12 men in uniform were killed. The attacker was a 26-yearold Tunisian sidewalk seller. In an ironic twist of history, and proof that certain young Tunisians were fed up, the revolution began when a 26-year-old fruit and vegetable seller, Mohamed Bouazizi, set himself on fire and died. The FSI have proven to be incomptetent and unorganized in dealing with security breaches. The Jihadi movements take advantage of the lack of organization to recruit and threaten the Tunisian people and territory. This has brought increased lack of security. To break this vicious circle, the identity, role and mission of the police must be questioned. Politicians must take back matters of security. Reforms must be carried out, beginning with the functioning of the interior ministry, the heart of all security activity in Tunisia. All parties want a piece of it, but nobody wants to carry out the reforms. @johnharrison197 Translation from French Brett Kline

© Ministère de l'Intérieur

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© DR

THE MYSTERY OF

par Hervé PUGI

ANGE OU DÉMON ? LE CAS RACHED GHANNOUCHI DIVISE AU-DELÀ MÊME DES FRONTIÈRES TUNISIENNES. MODÈLE DE L’ISLAMISME POLITIQUE SELON LES UNS, DANGEREUX RÉACTIONNAIRE (POUR NE PAS DIRE PLUS) SELON LES AUTRES, LE PRÉSIDENT D’ENNAHDHA APPARAÎT COMME UN PERSONNAGE COMPLEXE. DE MULTIPLES FACETTES, À L’IMAGE DE SON PARCOURS, AVEC LESQUELLES LE NATIF D’EL HAMMA AIME ASSURÉMENT JOUER. ÉCLAIRAGE SUR UN ACTEUR INCONTOURNABLE DE LA SCÈNE POLITIQUE TUNISIENNE. 46

AN ANGEL OR A DEMON? OPINIONS, INCLUDING THOSE BEYOND THE TUNISIAN BORDERS, DIFFER ON THE SUBJECT OF RACHED GHANNOUCHI. ACCORDING TO SOME, HE IS THE MODEL OF POLITICAL ISLAMISM, ACCORDING TO OTHERS, HE IS A DANGEROUS REACTIONARY (TO SAY THE LEAST). CONSEQUENTLY, THE LEADER OF THE ENNAHDHA MOVEMENT APPEARS AS A COMPLEX CHARACTER. THE MANY FACETS, LIKE THOSE OF THE CAREER OF THIS NATIVE OF EL HAMMA, ARE CERTAINLY SOMETHING THIS MAN ENJOYS EXPLOITING. THIS ARTICLE SHEDS SOME LIGHT ON A KEY PLAYER ON THE TUNISIAN POLITICAL SCENE.


S’il y a un point sur lequel s’accordent tous ceux qui acceptent d’aborder la personnalité de Rached Ghannouchi, c’est qu’il s’agit là d’un homme brillant. « Intelligent » diront ses partisans, « rusé » nuanceront ses détracteurs. Pas franchement d’antinomie dans ces qualificatifs qui mènent à un unique constat : nous avons à faire à un politique redoutable, réputé pour son pragmatisme et son sens de la stratégie. Là encore, certains ne manqueront pas d’ajouter (ou de corriger) pour son opportunisme et son double discours. Il en est ainsi… Que veut vraiment Rached Ghannouchi ? Moderniser l’islam ou islamiser la modernité ? Le fringant septuagénaire, il faut le dire, ne choisit pas vraiment. Une ambiguïté qui se retrouve logiquement jusque dans les rangs de son parti, Ennahdha, avec qui sa personnalité se confond inévitablement. D’un côté, une ligne politique faite de compromis et de modération. De l’autre, un Conseil de la Choura qui a consacré la mouvance dure du mouvement, celle des salafistes.

If there is one point on which all those who accept to broach the personality of Rached Ghannouchi agree, it is the fact that he is a brilliant man. His supporters will describe him as "intelligent"; his critics as "cunning". The fact that there is no real difference between these two terms leads to a single conclusion: we are dealing with a formidable politician, well known for his pragmatism and sense of strategy. Again, some will surely add (or correct) for his opportunism and double talk. That’s how it is… What does Rached Ghannouchi really want? To modernize Islam or Islamize modernity? It must be said that the dashing septuagenarian makes no clear choice. This ambiguity is logical, even within the ranks of his party, Ennahdha, with which his personality inevitably merges. On the one hand, there is a political line of compromise and moderation. On the other, a Shura Council that accepts the strict Salafist movement within the party.

© Tawfik Omrane

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LA SOCIÉTÉ TUNISIENNE VIGILANTE Pour l’heure, l’ancien exilé tient ses troupes, astreignant ses ouailles à une discipline dont devrait peut-être s’inspirer un NidaaTounes bien « turbulent ». Le cheikh tient bon le cap de l’unité nationale. Jusqu’à quand ? Fruit de la politique bourguibienne, abhorrée par les Frères musulmans, la société tunisienne s’en inquiète. Elle a ses raisons. Elle n’a pas oublié. La charia comme source nominative dans la Constitution, l’idée d’un Conseil supérieur islamique ou le principe de complémentarité de la femme, tout ça (et bien d’autres choses) c’était Ennahdha ! La pression de la rue a fait reculer les Nadhdaoui. Le parti est rentré dans le rang. Ghannouchi est intelligent, nous l’avons déjà écrit. Loin du tumulte de la présidence, des ministères ou de l’assemblée, il a pu observer, analyser, ajuster son discours. Lorsqu’il affirme à des confrères tunisiens que « l’État applique de la charia ce que la société en accepte », difficile de ne pas penser que – désormais – Ennahdha ne propose de l’islam que ce que la société peut en supporter. Celui qui se nomme en réalité Rached Kheriji était-il derrière tout cela ? Là aussi, les avis divergent. Dans le secret de la confession, certains de ses proches sont catégoriques : Ghannouchi ne réserve pas sa subtilité politique à ses seuls adversaires. Le monde appartient aux plus patients. Lui a le temps. Ces même camarades vous expliqueront qu’il compose avec les Sadok Chourou et Habib Ellouze. Des alliés bien encombrants avec leurs rêves de califat et de charia. Nul doute que le stratège aura à cœur d’enterrer leurs fantasmes lors du prochain congrès du parti. © America Abroad Media

THE VIGILANCE OF THE TUNISIAN SOCIETY For now, the former exile has his troops under control, forcing a code of discipline upon his flock, which should perhaps inspire the somewhat “turbulent” Nidaa Tounes party. The sheikh is steering a steady course towards national unity. Until when? The fruit of Bourgiba’s policy, abhorred by the Muslim Brotherhood, is a worry for the Tunisian society. It has its reasons. It has not forgotten. Sharia law as a registered source in the Constitution, the idea of an Islamic High Council or the principle of complementarity of women, all this (and much more) was Ennahdha! Pressure from the street has contained the Nahdhaoui. The party has fallen back into line. Ghannouchi is smart, as we have already stated. Far from the tumult of the Presidency, Ministries or the Assembly, he was able to observe, analyse and adjust his views. When he says to his Tunisian colleagues that "the State only enforces parts of Sharia that the society accepts", it is hard not to think that – from now on - Ennahdha will only propose an Islam that the society can bear. Was this man, whose real name is Rached Kheriji, behind all this? Once again, opinions differ. In the secrecy of confession, certain members of his inner circle are adamant: Ghannouchi does not reserve his political subtleties only for his opponents. Patience is a virtue. He has time. These people will tell you that he is dealing with Sadok Chourou and Habib Ellouze. Two problematic allies with their dreams of Caliphate and Sharia. There is no doubt that the strategist that he is will have his mind set on quashing their fantasies at the party’s next convention. 48


UN ISLAMODÉMOCRATE QUI SÉDUIT...

AN APPEALING MUSLIM-DEMOCRAT

Le modèle, on le sait, c’est Recep Tayyip Erdogan et son Parti de la justice et du développement. Peu importe d’ailleurs les dérives autoritaires de ce président turc, parti pour rester au pouvoir un bon moment encore, et sa politique de réislamisation d’un État pourtant laïc qui éveille mille méfiances. C’est pourtant bien cet ancrage islamo-démocrate qui rend Rached Ghannouchi si fréquentable aux yeux des Occidentaux, notamment. Pourquoi pas ? Lui qui pense que « l’Islam est entièrement politique et que l’islam est venu pour changer le monde » a réussi un tour de force incroyable. Là où les autocrates et autres dictateurs, qui ont eu pignon sur rue durant des décennies, n’ont eu de cesse de présenter leur toute-puissance comme seul rempart à la menace islamiste, Rached Ghannouchi est parvenu à faire entendre à l’Occident qu’un certain islam politique pouvait être un remède à la barbarie extrémiste. Pourquoi ne pas prêter l’oreille à ce discours alors que les puissants de la planète se bouchent le nez en pactisant avec les pétromonarchies du Golfe aux doctrines religieuses plus que douteuses ? Reste à Rached Ghannouchi et, avec lui, à Ennahdha à donner des gages quant au sérieux, à la crédibilité et à la sincérité de leur démarche. Des assurances que la planète entière réclame et plus encore les Tunisiens ! @rvpugi

The model, as we know, is Recep Tayyip Erdogan and his ruling Justice and Development Party – regardless of the authoritarian tendencies of this Sultan, who looks set to stay in power for a long time, and his re-Islamization policy of a State that is nevertheless a secular state, which arouses numerous suspicions. Yet, it is indeed this Muslim-Democratic principle that makes Rached Ghannouchi appear so respectable, notably in the eyes of Westerners. Why not? This man who thinks that "Islam is entirely political and that Islam came to change the world" has accomplished an incredible feat. Whereas autocrats and other dictators, who have been well established for decades, have been repeatedly presenting their omnipotence as the only bulwark against the Islamist threat, Rached Ghannouchi has given the West the impression that a certain political Islam could be a remedy for extreme barbarism. Why not listen to this argument while the powers of the planet are holding their noses as they deal with the oil monarchies of the Gulf with their more than dubious religious doctrines? It remains for Rached Ghannouchi, along with Ennahdha, to provide evidence of the seriousness, credibility and sincerity of their approach. Evidence is what the entire planet is asking for and the Tunisians even more so! Translation from French Susan Allen Maurin

© DR

@rvpugi

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CISSA OU LA CYBERCRIMINALITÉ DANS LE VISEUR CYBERCRIME TARGETED par Sandra Wolmer

DU 7 AU 11 NOVEMBRE, UN ATELIER SUR LA CYBERCRIMINALITÉ ORGANISÉ SOUS L’ÉGIDE DU COMITÉ DES SERVICES DE SÉCURITÉ ET D’INTELLIGENCE EN AFRIQUE (CISSA) S’EST TENU À KHARTOUM, AU SOUDAN. L’ÉQUIPE DE 54 ÉTATS A EU LE PRIVILÈGE DE SUIVRE LES DÉBATS ET, EN OUTRE, D’INTERVIEWER SON SECRÉTAIRE EXÉCUTIF, SHIMELES W. SEMAYAT, QUI A ÉCLAIRÉ LE SUJET DE SES LUMIÈRES.

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FROM 7TH TO 11TH NOVEMBER, A WORKSHOP ON CYBERCRIME ORGANISED UNDER THE AUSPICES OF THE COMMITTEE OF INTELLIGENCE AND SECURITY SERVICES OF AFRICA (CISSA) WAS HELD IN KHARTOUM, IN SUDAN. THE TEAM OF 54 ÉTATS HAD THE PRIVILEGE OF FOLLOWING THE DEBATES AND, FURTHERMORE, OF INTERVIEWING CISSA’S EXECUTIVE SECRETARY, SHIMELES W. SEMAYAT, WHO SHED SOME VALUABLE LIGHT ON THE SUBJECT.


© 54ÉTATS

Shimeles The executive secretary of CISSA The chairperson of the CISSA East African Region Panel of Experts (PoE)

54 ÉTATS : Cette conférence traite de la cybercriminalité. Pourquoi avoir fait de cette question le thème phare de cet atelier ? M. Shimeles W. SEMAYAT (S.W.S.) : Nous vivons à l’ère de l’économie numérique. Dans un monde où les structures politiques et économiques sont désormais mondialisées, l' Afrique, n’est pas isolée et fait partie intégrante du système mondial, du système numérique. Néanmoins, si le continent est tout logiquement devenu un consommateur de technologies modernes et numériques, il n’en est pas pour autant producteur. Ce qui signifie que nous, Africains, ne possédons pas les connaissances et la compréhension requises pour appréhender la complexité de l’espace numérique. Par conséquent, la tenue de cet atelier revêt une grande importance puisqu’il nous permet de renforcer notre compréhension et, dans le même temps, d’identifier nos vulnérabilités et faiblesses. Cet événement nous offre l’opportunité d’accroître nos connaissances de manière à ce que nous puissions réagir proactivement. Échange d’expériences, mise à jour des connaissances liées à la nature et aux manifestations desdits risques et menaces, compréhension des vulnérabilités font notamment partie des matières abordées par l’ensemble des délégués qui sont ici réunis. Pour, in fine, conseiller les leaders politiques et être force de proposition quant aux types de politiques, stratégies et remèdes à mettre en place afin de combattre et contenir ces menaces.

54 ÉTATS: This conference is about cybercrime. Why have you chosen to focus on this issue? Mr Shimeles W. SEMAYAT (S.W.S.): We are living in the era of digital economy. We are living in a world of globalised political and economic structures. Africa is not isolated and is an integral part of the global system, of the digital system. Nevertheless, although the continent has, quite logically, become a consumer of modern, digital technologies, it does not produce them. This means that we, Africans, do not have the knowledge and understanding required to grasp the complexity of cyberspace. Consequently, this workshop is of major importance because it enables us to improve our understanding and, at the same time, to pinpoint our vulnerabilities and shortcomings. This event offers us the opportunity of increasing our knowledge so that we can react proactively. Exchanging experiences, updating our knowledge on the nature and the indications of the risks and threats, as well as understanding the shortcomings are some of the topics addressed by all the delegates gathered here. Ultimately, the aim is to come up with proposals in order to advise political leaders on the kind of policies, strategies and remedies that need to be implemented in order to combat and contain these threats.

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54 ÉTATS : Comment gérez-vous au sein de CISSA les relations entre pays qui peuvent s’opposer sur d’autres questions que celles liées à la sécurité ? S.W.S. : La création du CISSA a initialement suscité beaucoup de scepticisme du fait des questions qu’elle soulevait : comment nous, nations africaines, pouvons-nous travailler ensemble alors que nous pouvons par ailleurs nous combattre ? Comment les services d’intelligence de notre continent peuvent-il collaborer alors qu’ils s’espionnent et collectent les uns sur les autres des renseignements ? Malgré l’absence d’harmonie véritable, d’alliance stratégique, les divers services de sécurité et d’intelligence africains ont constaté qu’en dépit de leurs différences, ils étaient tous confrontés aux mêmes menaces et ont par conséquent décidé que les causes communes et l’intérêt commun devaient prévaloir. Avec le temps, la confiance s’est instaurée et nos différences se sont peu à peu atténuées comme le reflète la tenue de cet atelier. Nos menaces et défis communs nous ont réunis et nous ont incités à mutuellement nous aider par-delà les divergences qui pourraient par ailleurs nous opposer. 54 ÉTATS: Within CISSA, how do you manage to deal with relationships between countries that may disagree on other issues than those related to security? S.W.S.: The creation of CISSA initially aroused much scepticism because of the issues it raised: how can we, African nations, work together while fighting each other? How can our continent’s intelligence services collaborate while spying and collecting intelligence on each other? Despite the lack of true harmony and a strategic alliance, the various African security and intelligence services have found that, regardless of their differences, they are all faced with the same threats and have therefore decided that common causes and common interest should prevail. As time has gone by, trust has developed and any differences have gradually been narrowed down, as shown by today’s workshop. Our common threats and challenges have brought us together and encouraged us to help each other, irrespective of any eventual divergences. 52


54 ÉTATS : Le boom technologique a-t-il fait de la cybercriminalité votre priorité ? S.W.S. : Absolument. Les défis liés à la cybercriminalité et au cyberterrorisme constituent actuellement notre priorité. Les moyens de combattre les crimes et attaques se sont transformés. Nul besoin d’infrastructures lourdes ou d’investissements conséquents ! À l’aide d’un simple ordinateur, à distance, en une fraction de seconde, il peut être sérieusement porté préjudice à la sécurité et à la souveraineté d’un pays. Je dois d’ailleurs avouer que du point de vue des services d’intelligence, le pire est atteint. La guerre est devenue asymétrique. Des groupuscules peuvent aisément engendrer de sérieux dommages. Les guerres traditionnelles ont mué en guerres numériques et les guerres symétriques ont mué en guerres asymétriques. L’essentiel ne réside plus dans la puissance de feu car ce qui importe c’est l’intelligence. Si la force militaire demeure un élément important, celleci a néanmoins été supplantée par l’intelligence, laquelle est devenue une superpuissance. 54 ÉTATS : À l’échelle du continent, coopérez-vous avec d’autres pays ? S.W.S. : Actuellement, la coopération se limite aux pays rattachés à certains espaces régionaux. Tel est par exemple le cas des pays intégrant le processus de Nouakchott, lequel rassemble des nations de la région saharo-sahélienne. Autre exemple, la coopération régionale en Afrique de l’Est ou bien encore dans la partie sud du continent. Ceci étant dit, il n’existe pas de coopération continentale. Nous avons néanmoins l’intention de booster cette coopération de façon à ce qu’elle s’étende à l’ensemble de l’Afrique. 54 ÉTATS : Quelle relation entretenez-vous avec l’Union africaine (UA) ? S.W.S. : La création du CISSA remonte à 2004. Elle découle d’une décision des chefs d’État et de gouvernements désireux de mettre en place un forum continental réunissant tous les services de sécurité et d’intelligence d’Afrique. Sa création a découlé du constat que l’Afrique faisait face à des menaces et défis, dépassant les frontières, dont elle ne viendrait pas à bout sans coopération. D’où la nécessité de réunir tous les services d’intelligence africains. Cela a été une sage décision. Sur les 54 pays que compte le continent, 51 font maintenant partie du CISSA, lequel entend fournir des services d’intelligence stratégiques aux décideurs de l’Union africaine afin de leur permettre de prendre des mesures éclairées en ce qui concerne notamment la gestion des conflits et la mise en œuvre d’interventions réalistes.

54 ÉTATS: Has the technological boom meant that cybercrime has become your priority? S.W.S.: Absolutely. The challenges related to cybercrime and cyber-terrorism are, at present, our priority. The means of combatting crimes and attacks have changed. There is no need for large infrastructures or substantial investments! In a split second, a basic, remote computer is capable of seriously jeopardizing the security and the sovereignty of a country. Furthermore, I must confess that as far as intelligence services are concerned, the situation is at its worst. Warfare has become asymmetrical. Small groups can easily cause severe damage. Traditional warfare has turned into digital warfare and symmetrical wars have become asymmetrical. What is essential now is intelligence, not firepower. Although military force remains an important element, it has nevertheless been supplanted by intelligence, which has become a superpower. 54 ÉTATS: On a continental scale, collaborating with other countries?

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S.W.S.: Any cooperation is currently limited to countries located with certain regional areas. This is the case, for instance, with countries that are part of the Nouakchott Process, which brings together the countries of the Saharo-Sahelian region. Another example is the regional cooperation in East Africa or in the southern part of the continent; that being said, there is no continental cooperation. Nevertheless, we intend on boosting this cooperation so that it extends to the whole of Africa. 54 ÉTATS: What about your relationship with the African Union (AU)? S.W.S.: CISSA was created back in 2004. It followed the decision of heads of State and governments who were willing to set up a continental forum that would bring together all of Africa’s intelligence and security services. It stemmed from the fact that Africa was faced with threats and challenges, which extended beyond its borders and that it would not be able to overcome without some sort of cooperation. Hence the necessity of bringing together all the African intelligence services. This was a wise decision. 51 of the 54 countries that make up the continent are now members of CISSA, which aims to provide strategic intelligence services to decision makers from the African Union to enable them to take the appropriate measures, notably, in dealing with conflicts and in defining feasible interventions.

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54 ÉTATS : Avez-vous développé des politiques de coopération avec d’autres continents ? S.W.S. : Il en existe effectivement mais elles n’ont pas atteint les buts escomptés. Certains pays d’Afrique coopèrent avec certaines nations européennes. Il existe également des coopérations multilatérales. Mais celles-ci n’ont pas encore pleinement répondu à nos attentes et doivent donc être renforcées de façon à réellement contrer les risques et menaces auxquels nous sommes confrontés. 54 ÉTATS : L’insécurité en Afrique renvoie à deux menaces : le terrorisme et la guerre civile. Quelle approche adoptez-vous à cet égard ? S.W.S. : Ceux-ci sont effectivement les deux grandes menaces contre lesquelles l’Afrique doit lutter. De nombreux crimes et atrocités ont été commis par les organisations terroristes. Je crois que des causes structurelles ont engendré les crises qui minent le continent. Des problèmes sociaux et économiques ont généré des situations graves que les groupes extrémistes exploitent afin de tenir leur agenda politique. L’approche à adopter doit, par conséquent, être holistique. Tant que nous ne nous attaquerons pas aux causes structurelles, il restera difficile de se débarrasser de ces organisations. La pauvreté rampante, la marginalisation des communautés offrent aux groupes terroristes et extrémistes la possibilité de manipuler massivement une jeunesse désœuvrée. C’est le talon d’Achille de la plupart des pays africains. D’où la nécessité de mettre en place des mesures préventives de manière à traiter ces problèmes économiques et sociaux. L’approche doit, en outre, inclure les communautés, lesquelles doivent in fine comprendre qu’elles font partie de la solution et du combat à mener contre le terrorisme.

L’ESSENTIEL NE RÉSIDE PLUS DANS LA PUISSANCE DE FEU CAR CE QUI IMPORTE C’EST L’INTELLIGENCE. © OER Africa

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54 ÉTATS : L’émergence de l’État islamique (EI) a-t-elle changé la perception et les solutions pouvant être apportées dans la lutte contre le terrorisme ? S.W.S. : Notre perception et compréhension du terrorisme ont évolué avec l’émergence de l’EI. Si vous suivez l’évolution de cette organisation, vous vous rendez compte qu’un certain nombre d’organisations terroristes en Afrique lui ont prêté allégeance. Ce qui complique évidemment notre combat, l’EI étant la plus riche des organisations terroristes au monde. L’EI opère bien évidemment via l’espace numérique pour notamment recruter et conduire ses diverses opérations. Par conséquent, l’implication de l’EI en Afrique s’est répercutée négativement sur la lutte contre le terrorisme menée à l’échelle du continent. Ce qui signifie par ailleurs que la collaboration et la coopération ne doivent pas se cantonner à l’Afrique mais doivent être établies au niveau mondial. @SandraWolmer1


54 ÉTATS: Have you developed any cooperation policies with other continents? S.W.S.: There are some, indeed, but they have not lived up to expectations. Certain African countries cooperate with some European nations. Multilateral cooperation also exists. But as yet, it has fallen short of the desired outcome and needs to be reinforced in order to effectively counter the threats and risks with which we are faced. 54 ÉTATS: Insecurity in Africa signifies two threats: terrorism and civil war. How are you tackling this issue? S.W.S.: These are, indeed, the two major threats that Africa has to contend with. Terrorist organisations have committed many crimes and atrocities. My belief is that structural causes have led to the crises that are undermining the continent. Social and economic problems have caused serious situations that extremist organisations exploit in order to implement their political agenda. Therefore, we need to adopt a holistic approach. Unless we tackle the structural causes, it will be difficult to get rid of these organisations. Widespread poverty and the marginalisation of communities represent opportunities for terrorist and extremist organisations to easily manipulate the unemployed youth. This is the vulnerability of most African countries; hence the need for preventive measures in order to address these economic and social problems. The strategy also needs to include the communities, which must eventually realize that they are part of the solution and the fight to combat terrorism.

54 ÉTATS: Has the emergence of the Islamic State (I.S.) changed the perception of the fight against terrorism and the eventual solutions to this issue? S.W.S.: Our perception and understanding of terrorism have changed with the emergence of the I.S. When you study the development of this organisation, you realize that a certain number of terrorist organisations in Africa have declared allegiance to the I.S. This makes our fight much more complicated, the I.S. being the richest terrorist organisation on earth. The I.S. obviously uses cyberspace to recruit and carry out its different operations. Therefore, the involvement of the I.S. in Africa has had a negative impact on the fight against terrorism across the continent. Consequently, any collaboration and cooperation should not only be limited to Africa; it should also be developed on a worldwide scale. @SandraWolmer1 Translation from French Susan Allen Maurin

IN SPITE OF DISCREPANCIES COMMON CAUSES, COMMON INTEREST SHOULD PREVAIL 55


© 54ÉTATS

LA RENAISSANCE C’EST MAINTENANT ? HAS THE TIME COME FOR RE-BIRTH? par Sandra WOLMER ENTRE SÉCESSION DU SUD ET INSURRECTION DES DEUX RÉGIONS (NIL BLEU, KORDOFAN SUD) ET DU DARFOUR OUEST, LE SOUDAN NE VIT CERTAINEMENT PAS SA PÉRIODE LA PLUS FASTE. D’AILLEURS, L’ONDE DE CHOC DE CES ÉVÈNEMENTS SE FAIT JUSQU’À PRÉSENT RESSENTIR, LES SPECTRES D’UN DÉMEMBREMENT TERRITORIAL SUPPLÉMENTAIRE ET D’UNE VIOLENCE INDÉRACINABLE HANTANT CETTE NATION AFRICAINE. FAUTIL Y CHERCHER LES RAISONS DE L’ACCUEIL DÉSORMAIS FAVORABLE RÉSERVÉ À L’APPEL AU DIALOGUE NATIONAL LANCÉ PAR LE PRÉSIDENT SOUDANAIS OMAR HASSAN EL-BÉCHIR DÈS JANVIER 2014 ? UNE CHOSE EST SÛRE, LA VOIE DES ARMES, FATALEMENT DÉLÉTÈRE, N’AURA ÉVIDEMMENT PAS RÉGLÉ LES DIFFICULTÉS POLITIQUES ET ÉCONOMIQUES ET AURA CIMENTÉ, POUR NE PAS DIRE AGGRAVÉ, LES PROBLÈMES HUMANITAIRES ET SÉCURITAIRES. À UN POINT TEL QUE TOUS LES ACTEURS SOUDANAIS LE CLAMENT DÉSORMAIS À L’UNISSON : LE TEMPS EST VENU DE DIALOGUER !

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BETWEEN SECESSION IN THE SOUTH AND INSURGENCY IN THE TWO REGIONS (BLUE NILE, SOUTH KORDOFAN) AND WEST DARFUR, THE SUDAN HAS CERTAINLY SEEN BETTER DAYS. WITHOUT DOUBT, SHOCK WAVES FROM THESE EVENTS ARE STILL BEING FELT TODAY AND THE PHANTOMS OF ANOTHER DISMEMBERED NATION AND UNREMITTING VIOLENCE CONTINUE TO HAUNT THIS AFRICAN NATION. COULD THIS BE ONE OF THE REASONS THAT THE SUDANESE PRESIDENT OMAR HASSAN ALBASHIR’S CALL FOR DIALOGUE RECEIVED SUCH A POSITIVE RECEPTION AT THE BEGINNING OF 2014? ONE THING IS FOR SURE, WEAPONS HAVE NOT SOLVED THE POLITICAL AND ECONOMIC DIFFICULTIES AND HAVE REINFORCED NOT TO SAY AGGRAVATED HUMANITARIAN AND SOCIAL PROBLEMS. SO MUCH SO THAT ALL SUDANESE STAKEHOLDERS STATE LOUD AND CLEAR AND ALL TOGETHER: THE TIME HAS COME FOR DIALOGUE!


LE DIALOGUE NATIONAL : QUÉSAKO ? Non, il ne s’agit pas d’un baptême du feu pour le Soudan. Bien au contraire ! Le pays qui évolue entre crises et accords de paix nationaux depuis la proclamation de son indépendance en 1956 n’en est pas à sa première expérience de dialogue national. LE HIC ? Aucune d’entre elles n’aura jusqu’à présent permis d’y instaurer une paix durable. Faut-il en déduire que la donne est aujourd’hui différente ? En tout cas cette fois, le processus de réconciliation engagé en janvier 2014 et réactivé le 10 octobre 2015 sous la forme d’un dialogue national par le président el-Béchir se veut inclusif : il ne concerne plus seulement les groupes rebelles mais s’adresse également, entre autres, aux traditionnels partis politiques d’opposition. L’OBJECTIF VISÉ ? Apporter une solution durable aux problèmes économiques et insurrectionnels qui obèrent gravement l’avenir du pays. Et pourquoi maintenant ? Chacun ira de sa petite interprétation ! Ceci étant dit, les situations extérieures d’instabilité ou de chaos telles que connaissent ou ont connues des pays comme l’Égypte, la Libye, la Tunisie, la Syrie, le Yémen, auront certainement pesé dans la balance. Sur un plan intérieur, les relations entre le pouvoir central et ses périphéries, la vague d’agitation sociale de 2013, l’accroissement des voix dissidentes au sein du Parti du congrès national (NCP), formation au pouvoir, n’auront sans doute pas été étrangers à cette initiative.

NATIONAL DIALOGUE: WHAT DOES IT MEAN? No it is not a baptism of fire for Sudan. On the contrary. This country which has evolved through crises and peace agreements since its independence in 1956 is no stranger to national dialogue. SO WHAT’S THE HITCH? Hitherto, not one of these approaches has succeeded in building lasting peace. Should we conclude that today circumstances are different? In any case, this time, the reconciliation process initiated in January 2014 and reactivated on the 10th of October 2015 in the form of a national dialogue by the president el-Bechir was designed to be inclusive. Not only does it relate to rebel groups but is also addressed to traditional opposition political parties. WHAT IS THE GOAL? To bring about a sustainable solution to the economic and insurgency problems which are proving to be a serious burden to the country. Why now? Each side has its own interpretation! That being said, the political instability and even chaos in countries such as Egypt, Libya, Tunisia, Syria and Yemen has surly weighed in the balance. Regarding domestic issues, relations between central government and its peripheries, the wave of social unrest in 2013 and the increase in dissenting voices within the National Congress Party (NCP, the party in power) have all had their influence. © 54ÉTATS

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LE TEMPS EST VENU DE DIALOGUER ! MÉCANISME « 7 +7 » : LA LOCOMOTIVE DU DIALOGUE NATIONAL Point de dialogue national sans mécanisme « 7+7 » ! Ainsi désigné parce qu’il regroupe initialement sept membres issus de l’opposition et sept autres proches ou issus du gouvernement. Le mécanisme « 7+7 » ou comité du dialogue national est une structure composée de six comités. Ceuxci s’attelent aux questions liées à la paix et à l’unité nationale, à l’économie, aux libertés et droits fondamentaux, à l’identité nationale ainsi qu’à la révision constitutionnelle et à la gouvernance. Une feuille de route a été établie après consultations avec les parties prenantes. Parmi les points arrêtés, figure celui de la tenue d’une assemblée générale sous l’égide du président de la République au cours de laquelle les décisions relatives à chaque question abordée devront être prises à l’unanimité ou, en cas de blocage, à 90 % des voix.

THE 7 +7 MECHANISM: DRIVER OF THE NATIONAL DIALOGUE There can be no national dialogue without the 7+7 mechanism, so called as it initially brought together seven members from the opposition and seven others close to or from the government. The 7+7 mechanism or national dialogue committee is composed of six committees. These committees deal with issues related to peace and national unity, the economy, fundamental rights and freedoms, national identity as well as constitutional reform and governance. A road map was drawn up after consultation with the parties involved. Among the items decided upon, was the convening of an annual general meeting under the auspices of the President during which decisions related to each of the issues must be reached unanimously or at least obtain 90% of votes in the case of a deadlock.

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OMAR HASSAN EL-BÉCHIR

PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DU SOUDAN


L’INCONTOURNABLE INTERCESSION DE L’UNION AFRICAINE (UA) Point de dialogue national, non plus, sans UA ! L’institution continentale qui assure une médiation relative aux questions de négociation de paix au Soudan (entre le Soudan et le Soudan du Sud, entre Khartoum et les groupes armés du Darfour, entre Khartoum et les rebelles du Mouvement populaire de libération du Soudan-secteur nord (SPLM-N), ne pouvait que saluer cette proposition et encourager sa poursuite. Depuis 2011, il incombe donc à Thabo Mberi, l’ancien président sud-africain, médiateur en chef de l’UA pour le Soudan, de mener la danse. Épaulé en cela par Idriss Déby Itno, le président du Tchad ! Fait assez exceptionnel pour être souligné, l’ennemi d’hier n’hésite pas à s’impliquer personnellement ! Après l’organisation sur ses terres à Umdjaras au mois de mars 2014 du Forum pour la réconciliation au Darfour, le chef d’État tchadien, s’est rendu à la demande d'Omar el Béchir, à Paris le 3 octobre 2015, pour y rencontrer les leaders des mouvements insurrectionnels en vue d’arracher leur participation au dialogue national soudanais devant s’ouvrir quelques jours plus tard à Khartoum. Ainsi, ce que Tijani al-Sissi, président de l’autorité régionale du Darfour et numéro un du Mouvement pour la libération et la justice, présentait il y a quelques semaines de cela aux journalistes de 54 ÉTATS comme « une initiative transparente à laquelle partis politiques, groupes armés et autres tiers soudanais sont invités à participer afin d’aborder les défis majeurs auxquels ils se trouvent confrontés et de formuler les recommandations qui permettront d’y répondre » rallie les esprits. Tous les acteurs soudanais, NCP, groupes armés du Front révolutionnaire soudanais (FRS), partis politiques d’opposition classiques, organisations civiles, pour ne citer qu’eux, ont effectivement mesuré l’urgence qu’il y avait à dialoguer et sont vivement soutenus à cet égard par la communauté internationale. Reste qu’il demeure parfois compliqué de joindre le geste à la parole ! Autrement dit, un tel processus traîne son inévitable lot d’obstacles.

Tijani Al-Sissi

© 54ÉTATS

PRÉSIDENT DE L’AUTORITÉ RÉGIONALE DU DARFOUR

THE INESCAPABLE INTERVENTION OF THE AFRICAN UNION (AU) Neither can there be a dialogue without the AU! This continental institution which mediates on peace negotiation issues in Sudan (between Sudan and South Sudan, between Khartoum and armed groups in Darfur, between Khartoum and the rebels of the Sudan People’s Liberation Movement-North (SPLM-N) can only welcome and encourage this proposal. Since 2011, it has therefore been up to Thabo Mecki, the former president of South Africa and chief mediator of the African Union to take the lead. Supported on this by Idriss Deby Itno, the president of Chad! This fact is so rare it deserves a mention. This former enemy did not hesitate to get personally involved! After convening the Forum for Reconciliation in Darfur in Umdjarass in March 2014, at the request of Omar al-Bashir, the President of Chad visited Paris on the 3rd October 2015. He was there to meet the leaders involved in rebel movements for the purpose of wrenching from them their participation in the Sudanese dialogue set to begin a few days later in Khartoum. Thus, when interviewed by 54 ÉTATS several weeks ago, Tijani al-Sissi, President of the Darfur Regional Authority and leader of the Liberation and Justice movement stated that what he presented as a "transparent initiative to which are invited political parties, armed groups and other Sudanese outsiders with the aim of addressing the major challenges they are facing and making appropriate recommendations in response to them" has generated powerful consensus. All Sudanese stakeholders, NCP, the armed forces of the Sudan Revolutionary Front (SRF) traditional opposition parties, civil society organisations to mention but a few, effectively gauged the urgency of opening dialogue and are strongly supported in this by the international community. However, putting words into action is not as simple as it seems. In other words, such a process brings with it challenges, difficulties and obstacles to overcome.

Centre de conférence de l'Union Africaine 59


LES PIERRES D’ACHOPPEMENT

PROBLEMATIC AREAS

À commencer par le bras de fer qui oppose le gouvernement soudanais aux principaux partis politiques et mouvements armés, y compris l'Alliance du Front révolutionnaire, qui réunit le SPLM-N et les principaux mouvements armés du Darfour, autour des modalités de tenue du dialogue national. Ceux-ci réclament à cor et à cri déroulement en dehors des frontières soudanaises ou tout du moins la tenue de pré-discussions à Addis-Abeba afin d’arrêter les termes de la négociation. Une façon de reprendre la main sur un dossier qu’ils jugent façonné unilatéralement par les actuels dirigeants du pays et, in fine, d’obtenir le dessaisissement à cet égard de l’Union Africaine au profit de l’ONU ? Or, comme Bushara Gumaa Aror, chargé aux affaires politiques du Justice Party, parti de l'opposition, l’a expliqué à l’équipe 54 ÉTATS, la « solution ne se trouve pas en dehors du pays ». Le niet de Khartoum ne s’est évidemment pas fait attendre. Et, de notamment dénoncer une manœuvre orchestrée par le Front révolutionnaire soudanais en vue de se repositionner sur l’échiquier politique national, mais aussi à l’égard des puissances occidentales qui, c'est un secret de polichinelle, ne tiennent pas Omer el-Béchir en odeur de sainteté.

First of all there is the power struggle between the Sudanese government and the main political parties and armed movements including the Alliance of the Sudan Revolutionary Front which includes the Sudan People’s Liberation Movement-North (SPLM-N) and the major armed movements of Darfur on the theme of how the National Dialogue should be held. These movements are demanding that the national dialogue take place outside Sudan’s borders or at least the pre-planning sessions in Addis Ababa so as to settle the terms of the negotiation. Would this be a way of regaining control on an issue which they believe was unilaterally shaped by the current leaders of the country and ultimately obtain in this regard the divestiture of the African Union in favor of the UN? Yet, as explained to 54 ÉTATS by Bushara Gumaa Aror, political affairs officer of the "Justice Party" (opposition party) "the solution does not lie outside the country". Khartoum’s outright refusal was not long in coming. To expose a manœuvre orchestrated by the Sudan Revolutionary Front for the purpose of repositioning themselves on the national political chess board and also towards Western powers, who it is no great secret do not look kindly on M. el-Béchir.

Promesse faite, promesse teA promise made, a promise nue ! Les principaux opposants kept! Key opponents to the NCP au régime du CPN ont donc regime caused major setbacks infligé un sérieux revers au diain the National Dialogue inaulogue national inauguré le 10 gurated on the 10th October last octobre dernier dans la capitale in the Sudanese capital by plain soudanaise en le boycottant puand simply boycotting it. The rement et simplement. L’union sacred union is far from being a sacrée est donc loin d’être gaforegone conclusion! As many of gnée ! D’autant que nombre the stakeholders involved in the d’acteurs du dialogue national, national dialogue in contact with en contact avec le Front révothe Sudan Revolutionary Front lutionnaire soudanais, pointent have noted, there are many du doigt les nombreuses incoinconsistencies in the negotiahérences liées aux négociations tions. For instance the SRF deen vertu desquelles le FRS rémand everything and anything: clamerait tout et son contraire : they want an overall regulation règlement global de la situation of the situation but at the same mais en même temps traitement time specific treatment of issues CHARGÉ AUX AFFAIRES POLITIQUES distinct des questions relatives related to Blue Nile and South DU « JUSTICE PARTY » au Nil Bleu et au Kordofan du Kordofan, give priority to the huSud, priorité à la situation humanitaire mais avec pourmanitarian situation while fuelling ongoing fighting. It is, to suite concomitante des combats... de quoi y perdre son say the least, slightly confusing. latin ! It is not an easy task either to reconcile negotiations Pas facile non plus de concilier les négociations entre le between the government and rebel groups (notably the gouvernement et les groupes rebelles notamment boycotboycotters) and those in favour of national dialogue, even teurs avec celles du dialogue national, alors même que though the good performance of some inevitably influences la bonne tenue des unes influence fatalement l’avancée the progress of others ... Proof of this are the peace nedes autres… Pour preuve, la tenue de négociations de gotiations between Khartoum, the SPLM-N and rebels in paix entre Khartoum, le SPLM-N et les rebelles de la réthe Darfur region (West) which took place in November gion du Darfour (ouest) le mois de novembre dernier sous under the auspices of the AU at the very moment when the l’égide de l’UA au moment même où le régime soudanais Sudanese regime was endeavouring to persuade them to s’efforce de les persuader à prendre part au dialogue natake part in the National Dialogue. Moreover, the fact that tional. Leur ajournement sans accord conclu et, qui plus they were deferred without reaching an agreement only a est, sans indication de date de reprise quelques jours à few days after they started and with no resumption date peine après leur démarrage, laisse chacun sur sa faim… scheduled, has left everyone dissatisfied.

M. Bushara Gumaa Aror

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ALORS LE CHANGEMENT, C’EST POUR MAINTENANT ? Le 27 janvier 2014, Omar el-Béchir annonçait un « grand saut » qui, par le biais d’un dialogue national, permettrait au Soudan de « renaître » économiquement et politiquement. Les signes d’ouverture du président (cessez-le-feu et cessation des hostilités décrétés le 28 septembre 2015 pour une durée de deux mois, amnistie des rebelles participants) n’auront pas suffi à convaincre les plus récalcitrants qui l’auront tout bonnement boycotté. De quoi sérieusement entamer la crédibilité de l’initiative. Ceci étant dit, les armes ayant fait la preuve de leur inefficacité en tant que moyen de conquête des richesses, du pouvoir et réponse aux difficultés politiques, le dialogue reste aux yeux de tous la solution idoine pour s’attaquer aux causes profondes génératrices des conflits et de ses conséquences sur les plans politique, économique mais, surtout et avant tout, humain. Comme l’a souligné Bushara Gumaa Aror, « avec cette situation de guerre larvée, il y va de la souffrance et de la dignité des personnes ». Cela vaut bien un dialogue, non ?

SO HAS THE TIME COME FOR RE-BIRTH? On the 27th January 2014, Omar al-Bashir announced a "giant leap" which would be achieved through National Dialogue and would enable the Sudan to be economically and politically "re-born". Signs of the president’s openness (cease fire and cessation of hostilities decreed on the 28th September 2015 for a duration of two months offering amnesty to the participating rebels) were insufficient to convince the naysayers who simply boycotted him. This was enough to seriously undermine the credibility of the initiative. Having said that, as weapons have demonstrated their ineffectiveness as a means of gaining wealth, power and as a response to political difficulties, dialogue is still in the minds of everyone as the appropriate solution for tackling the deep causes of conflict and its political, economic and especially human consequences. As Bushara Gumaa Aror has highlighted “In this situation of latent war, people’s suffering and dignity is at stake”. This is well worth a dialogue, is it not? Translation from French Grace Cunnane

LE DIALOGUE RESTE AUX YEUX DE TOUS LA SOLUTION IDOINE POUR S’ATTAQUER AUX CAUSES PROFONDES GÉNÉRATRICES DES CONFLITS ET DE SES CONSÉQUENCES 61


propos recueillis par Hervé PUGI

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TAT S

YAYA HASSAN NIEL Yaya Hassan Niel est un ancien commandant du Sudan Liberation Movement, faction Minawi, aujourd’hui pleinement impliqué dans le Dialogue national à travers le comité du Darfur Transitional Authority. « Le Sudan Liberation Movement a été l’un des premiers groupes d’opposition à se lever contre le gouvernement. Nous étions jeunes et la lutte armée nous semblait le seul moyen d’obtenir ce que nous demandions. Le Darfour, comme toutes les régions périphériques, souffrait du manque de services (santé, éducation…) pour ses populations. Khartoum n’a d’abord pas respecté certains de ses engagements. C’est l’une des raisons pour lesquelles le conflit a perduré. Dans le même temps, certaines tribus ont tenté de tirer avantage de la situation aux dépens d’autres. En 2003, à l’invitation du président Déby, les autorités et les rebelles se sont retrouvés autour d’une table. Cela a abouti à un cessez-le-feu car nous avons enfin pu faire entendre nos doléances. Malheureusement, certaines factions n’ont pas suivi l’accord signé à Ndjamena, ni le suivant paraphé à Abuja au Nigeria. Certains ont préféré continuer la lutte par défiance pour le gouvernement ou par intérêt personnel. Le résultat de cette décennie de combats, ce sont des morts et des déplacés. Nous avons entendu la population du Darfour, qui nous priait de poursuivre sur la voie du processus de paix. L’accord de Doha en 2011 a été une véritable avancée. Il est temps maintenant par le Dialogue national, qui concerne tous les Soudanais et pas seulement les rebelles et le gouvernement, de conduire le pays vers la prospérité ». 62

Yaya Niel Hassan, a former commander of the Minnawi faction of the Sudan Liberation Movement, is now fully involved in the national dialogue via the committee of the Darfur Transitional Authority. "The Sudan Liberation Movement was one of the first opposition groups to rise up against the government. We were young and an armed struggle seemed the only way to get what we were asking for. Darfur, like all the outlying regions, was suffering from a lack of services (health, education ...) for its people. Initially, Khartoum did not respect some of its commitments. This is one of the reasons why the conflict lasted. At the same time, some tribes tried taking advantage of the situation at the expense of others. In 2003, at the invitation of President Déby, the authorities and the rebels gathered around a table. This resulted in a cease-fire because we were finally able to voice our grievances. Unfortunately, some factions failed to respect the agreement signed in Ndjamena and the following one, which was initialled in Abuja, Nigeria. Some have preferred to continue the fight either because they do not trust the government or because of their personal interests. Deaths and displaced persons are the result of this decade of fighting. We have heeded the call of the Darfur people, urging us to continue on the path towards peace. The Doha agreement in 2011 was a real breakthrough. It is now time for national dialogue, which concerns all the Sudanese, not just the rebels and the government, to lead the country towards prosperity."


WE ARE CONVINCED THAT THE GOVERNMENT OF SUDAN IS READY FOR A REAL DIALOGUE.

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Bahr Eldin Abdullahi Ismail

BAHR ELDIN ABDULLAHI ISMAIL

Bahr Eldin Abdullahi Ismail vient d’accéder à la tête du principal groupe rebelle, le Justice and Equality Movement (JEM) en lieu et place de Djibril Ibrahim. Une rupture retentissante ouvrant de nouvelles perspectives. « Nous avons chassé Djibril Ibrahim, car il était devenu une sorte de dictateur. Lorsque nous avons pris les armes, nous avions des objectifs que celui-ci a pervertis. La lutte pour la cause du Darfour a été abandonnée pour se tourner vers le conflit au Soudan du Sud. L’impact de cette stratégie a été négatif. Des groupes sud-soudanais s’en sont pris à des Darfouris innocents en représailles du soutien apporté par le JEM à Salva Kiir. Nos hommes se sont retrouvés à jouer les mercenaires. En Libye, par exemple, nous avons combattu aux côtés de Kadhafi en 2011 en échange de beaucoup de dollars. Ce fut également le cas au Tchad. Au Soudan du Sud, nos troupes ont également attaqué des banques. Mais tout cet argent n’est pas revenu au mouvement, il n’a pas été distribué. Tout a été capté par Djibril Ibrahim qui a transféré ces sommes sur un compte à l’étranger. Après ces événements, nous sommes arrivés à la conclusion que la guerre ne nous mènerait nulle part. Elle ne nous a pas permis d’atteindre nos objectifs. Elle a conduit à la mort, à un exode massif et à la destruction des quelques infrastructures et services. Ce sont les civils qui en ont payé le prix. Nous avons désormais la conviction que le gouvernement du Soudan est prêt à un vrai dialogue. Ce n’était pas le cas auparavant. Le dialogue est désormais la seule voie possible. Ceux qui ne le reconnaissent pas sont ceux qui font de l’argent avec. » @rvpugi

Bahr Eldin Abdullahi Ismail has just become head of the main rebel group, the Justice and Equality Movement (JEM), instead of Djibril Ibrahim. A resounding separation opening new perspectives. "We ousted Djibril Ibrahim, for he had become a kind of dictator. When we took up arms, he perverted our objectives. The fight for the Darfur cause was abandoned in favour of the conflict in South Sudan. The impact of this strategy was negative. South Sudanese groups attacked innocent Darfuris in retaliation for the support provided by JEM to Salva Kiir. Our men found themselves playing the part of mercenaries. In Libya, for example, we fought alongside Gaddafi in 2011 in exchange for a lot of dollars. This was also the case in Chad. In South Sudan, our troops also attacked banks. But all this money was not passed on to the movement; it was not distributed. Djibril Ibrahim, who transferred these funds to an overseas account, recovered everything. After these events, we came to the conclusion that war would lead us nowhere. It did not enable us to achieve our goals. It led to death, a mass exodus and the destruction of the few infrastructures and services. The civilians paid the price. We are now convinced that the Government of Sudan is ready for a real dialogue, which was not previously the case. Dialogue is now the only way forward. Those who fail to recognize this are those who make money from it." @rvpugi Translation from French Susan Allen Maurin

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© Caitln Childs

par Agnès Richieri, à Bujumbura.

L’impasse politique dans laquelle se situe le pays depuis plus de six mois a poussé les deux camps, anti et pro Pierre Nkurunziza, l’actuel président burundais, dans leurs retranchements. Tandis que la communauté internationale appelle aux négociations entre le pouvoir et l’opposition en exil, les armes inondent Bujumbura, la capitale du pays, laissant peu de chance à une solution pacifique et négociée du conflit.

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The political impasse in which the country has been for more than six months has driven the two camps, anti and pro Pierre Nkurunziza, the current Burundian President, into a corner. While the international community is calling for negotiations between the government and the opposition in exile, weapons are flooding into Bujumbura, the capital, leaving little chance for a peaceful and negotiated solution to the conflict.

UN RAIDISSEMENT DES DEUX BORDS

A TOUGHENING UP OF POSITIONS ON BOTH SIDES

La crise politique dure depuis plusieurs mois maintenant. En réalité plusieurs années, depuis les élections législatives de 2010 boycottées par les partis d’opposition. La crispation du dialogue politique n’a cessé depuis et le CNDD-FDD, le parti au pouvoir du président Pierre Nkurunziza, a habilement réussi à s’imposer en divisant ou « nyakurisant » selon le terme proprement burundais, sa concurrence. La contestation qui anime le pays depuis le printemps, prenant la forme de manifestations puis d’une tentative échouée de coup d’État le 13 mai dernier, s’est cristallisée autour du refus d’un troisième mandat pour le président Nkurunziza. La Constitution, issue des accords de paix d’Arusha qui ont mis fin en 2003 à la guerre civile (1993-2003), est de fait ambiguë sur ce point et constitue une faille juridique dans laquelle s’est enfoncée l’équipe présidentielle pour organiser et remporter des élections en août dernier, faisant fi des appels de la communauté internationale pour un report du scrutin tant que le dialogue n’était pas rétabli. Depuis le troisième mandat, de nouvelles étapes ont été franchies dans le musèlement de la société civile. Dépouillés de leurs médias indépendants détruits au moment de la tentative de putsch, les Burundais sont désormais privés depuis octobre des principales ONG locales dont les fonds ont été gelés par le pouvoir. Les attentats à la grenade ou tentatives d’assassinat sèment la peur dans la capitale mais aussi la province poussant les anciens manifestants à s’armer pour défendre leurs quartiers.

The political crisis has lasted for several months now. In reality, for several years, since 2010 when the opposition parties boycotted the parliamentary elections. The tensions of the political dialogue have continued ever since and the CNDD-FDD, the ruling party of President Pierre Nkurunziza, has cunningly managed to establish itself by dividing or, to use the Burundian expression "nyakurising", its competition. Since the spring, the focal point of the wave of controversy that has swept across the country, in the form of protests and an unsuccessful, attempted coup d’état on 13th May, has been the rejection of a third term for President Nkurunziza. The constitution, based on the Arusha Peace Agreement that, in 2003, brought an end to the Civil War (1993-2003), is ambiguous on this point and constitutes a legal loophole in which the presidential team got caught up in while organizing and winning the presidential elections in August, ignoring the international community’s calls for a postponement of the elections until dialogue was restored. Since the third term, further steps have been taken to muzzle civil society. Stripped of their independent media, which was destroyed at the time of the attempted coup, as from October, the Burundians are now deprived of the main local NGOs, whose funds have been frozen by the government. Grenade attacks or assassination attempts are spreading fear, not only in the capital but also in the provinces, prompting former protesters to resort to weapons to defend their neighbourhoods.


L’ÉCHEC ANNONCÉ DES NÉGOCIATIONS « Il y aura une guerre, affirme Richard, jeune activiste de 25 ans à la tête des rondes nocturnes du quartier de Jabe. Je ne donne aucune chance aux négociations. Le président était militaire dans le maquis, il ne connaît que le rapport de force ». Richard appartient au MSD (Mouvement pour la solidarité et le développement) d’Alexis Sinduhije, en exil aujourd’hui, mais particulièrement actif dans la capitale. Très populaire auprès des jeunes, le MSD a joué un rôle clef dans l’organisation des manifestations et l’actuelle militarisation de ses membres. « Aidés par des déserteurs de l’armée régulière, nous organisons des formations militaires pour nos jeunes, explique Richard, afin qu’ils manient la grenade et la kalachnikov ». Une évolution menaçante à laquelle le gouvernement répond par des fouilles et arrestations mais aussi tortures et nouveaux armements. Pourtant, les deux parties affichent encore aujourd’hui une posture favorable à la négociation. L’opposition politique et une partie de la société civile en exil se sont constituées en un conseil de transition, le CNARED (Conseil national pour le respect de l’Accord d’Arusha et la restauration de l’État de droit) destiné à négocier sous le parrainage de l’Union africaine et la communauté internationale en Ouganda.

© 54ÉTATS

« Nous souhaitons la réhabilitation des Accords de paix d’Arusha, seul texte que nous avons comme référence pour la gestion politique du pays, explique Léonce Ngendakumana, ancien président de l’Assemblée nationale et envoyé spécial du CNARED, l’un des rares opposants encore présents au Burundi. Ensuite nous souhaitons l’arrêt des violences et une mission de maintien de la paix sous le chapitre 7 de la charte de l’ONU ». Le CNARED nie tout armement d’une branche militaire, pourtant Alexis Sinduhije est luimême membre de ce conseil. « Si nous n’avons pas le choix, nous devrons envisager l’option militaire », précise finalement Ngendakumana. De fait, la confrontation armée est déjà dans l’esprit de tous, et sur le terrain : de violents combats ont déjà fait des dizaines de morts, notamment lors des attaques des camps militaires du vendredi 11 décembre.

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THE PREDICTABLE FAILURE OF THE NEGOTIATIONS "There will be a war, says Richard, a young, 25 year-old activist at the head of night patrols in the district of Jabe. I do not give any hope to the negotiations. The President was a soldier in the bush and he only sees things in terms of a power struggle." Richard is a member of the MSD (Movement for Solidarity and Development), led by Alexis Sinduhije, who now lives in exile, but the party remains particularly active in the capital. The MSD, which is very popular among young people, has played a key role in organizing the protests and the current militarization of its members. "Aided by deserters from the regular army, we organize military training for our young soldiers, explains Richard, so they can handle grenades and Kalashnikovs." The government responds to this threatening development with searches and arrests as well as torture and new weapons. Yet, the two sides still appear in a favourable position to negotiate. The political opposition and a part of civil society in exile have set up a transitional council, the CNARED (National Council for the Respect of the Arusha Agreement and the Restoration of the Rule of Law) to negotiate under the sponsorship of the African Union and the international community in Uganda.

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"We want to reinstate the Arusha Peace Agreement, which is the only text we have as a reference for the political management of the country, explains Léonce Ngendakumana, former president of the National Assembly, Special Envoy of the CNARED and one of the few opponents still present in Burundi. Then, we want an end to the violence and a peacekeeping mission under Chapter 7 of the UN Charter." The CNARED denies arming any military branch, yet Alexis Sinduhije is, himself, a member of this council. "If we don’t have any choice, we shall have to consider the military option," Ngendakumana finally adds. In fact, armed confrontation is already on everyone's minds, and in the field : violent fights have already killed dozens of people, particularly during the attacks of military camps on the 11th of december.

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UN RAIDISSEMENT DES DEUX BORDS Comme souvent, la population civile paye un lourd tribut. Plus de 350 morts et plusieurs milliers de prisonniers ont déjà été recensés. Depuis l’été et la propagation des armes à feu dans la capitale, les actes de vandalisme et de banditisme se sont multipliés. « L’impunité omniprésente laisse libre cours aux actes de vengeance et au racket, témoigne Pauline, une jeune burundaise du quartier de Nyakabiga dont le frère a été « arrêté » par la police avant d’être relâché après une rançon de près de 300 000 francs burundais (soit moins de 200 euros), une fortune dans ce pays jugé le plus pauvre au monde. Nous n’avons qu’une peur, c’est qu’ils reviennent pour nous prendre plus d’argent. » Faute d’activités économiques, la population burundaise est aux abois, surtout dans les quartiers contestataires de la capitale encerclés par les forces de l’ordre où plus personne n’ose sortir et les commerces de proximité ne sont pas ravitaillés. « À Mutakura, nous avons été moteurs dans les manifestations et aujourd’hui nous en payons le prix, se lamente Gérald, chargé de collecter de la nourriture auprès des habitants les plus aisés du quartier pour les redistribuer. Nous sommes au bord de la famine ! ». La vie nocturne habituellement si bouillonnante a aujourd’hui disparu. Les attaques répétées contre des cabarets, nom donné aux bars au Burundi, ont tôt fait de convaincre la population de rester chez elle une fois la nuit tombée. Les perspectives d’avenir sont particulièrement sombres dans un pays où 45 % de la population n’a pas 15 ans. Les troubles ont notamment empêché de nombreux jeunes de terminer leur année universitaire et poursuivre leurs études. Richard, lui, devait finir cette année ses études de droit. « Mais les manifestations m’ont ouvert les yeux, explique-t-il. Après la guerre prochaine, je veux faire de la politique. Et puis après tout, je l’ai bien mérité avec tout ce que j’ai fait pour le parti », conclut-il. Une phrase qui en dit long sur le ressenti de la jeunesse burundaise, grande majorité de l’opposition militarisée dans la capitale, qui s’estime lésée et pour qui la confrontation permettra d’obtenir enfin une part du gâteau. Richard, en tant que président des Imurikirwakuri, ligue de jeunesse du parti MSD, a suivi chaque étape de radicalisation organisant manifestations, rondes nocturnes puis formations militaires. « Aujourd’hui je porte un masque, conclut-il. Je suis un civil mais dans mon cœur je suis militaire, et au signal de mes chefs, je ferai la guerre. » @a_richieri

A POPULATION CAUGHT IN A VICE-LIKE GRIP As is often the case, the civilian population pays the highest price. More than 350 have been confirmed dead and several thousand held as prisoners. Since the summer and the spread of firearms in the capital, vandalism and banditry have increased. "Widespread impunity is giving free rein to acts of revenge and racketeering," testifies Pauline, a young Burundian from the neighbourhood of Nyakabiga, whose brother was « arrested » by the police before being released after the payment of a ransom of nearly 300,000 Burundian francs (less than 200 euros), a fortune in this country, which is considered the poorest in the world. "Our only fear is that they will come back to take more money from us." In the absence of economic activities, Burundi's population is in dire straits, especially in the capital’s dissenting districts that are surrounded by law enforcement officials and where no one dares to go out and where local stores are not restocked. "We were the driving force behind the demonstrations in Mutakura and today we are paying the price, laments Gerald, responsible for collecting food from the wealthiest residents in the district and redistributing it. We are on the brink of famine!" The nightlife, which used to be so lively, no longer exists. The repeated attacks on cabarets, the name given to the bars in Burundi, soon convinced the population to stay at home after dark. The outlook for the future is particularly bleak in a country where 45% of the population is under the age of 15. The unrest has notably prevented many young people from finishing their academic year and continuing their studies. As for Richard, he should be finishing his law studies this year. "But the demonstrations opened my eyes, he explains. After the next war, I want to go into politics. After all, I deserve to do so considering everything I have done for the party," he concludes. A sentence that says a lot about how the Burundian youth feel, a large majority of the militarized opposition in the capital that considers itself wronged and for which the confrontation will provide it with its fair share of the cake at last. Richard, as president of Imurikirwakuri, the youth league of the MSD party, has followed each stage of radicalization; organizing demonstrations, night patrols and military training. "I now wear a mask, he concludes. I am a civilian but I am a soldier at heart and when my leaders give the signal, I shall go to war. " @a_richieri Translation from French Susan Allen Maurin 67


Salim Saadi ENTRE ESPOIR ET UTOPIE BETWEEN HOPE AND UTOPIA par John Harrison

LES PRÉSIDENTIELLES AUX COMORES COMMENCENT EN FÉVRIER ET S’ANNONCENT TRÈS OUVERTES. SI LA CONSTITUTION IMPOSE UNE PRÉSIDENCE TOURNANTE ENTRE LES ÎLES, UN CANDIDAT ISSU DE LA DIASPORA COMORIENNE EN FRANCE SE MET DÉJÀ EN AVANT. RENCONTRE AVEC SALIM SAADI BEN SAÏD HACHIM QUI SE DÉCRIT COMME UN « LIBÉRAL DE GAUCHE » ET VEUT DIRIGER SON PAYS « COMME UNE ENTREPRISE ». PARADOXAL ? À L’IMAGE DE SON PAYS QUI, À SES YEUX, A TOUT POUR RÉUSSIR ET POURTANT RESTE ENGLUÉ DANS UN MARASME ÉCONOMIQUE.

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THE PRESIDENTIAL ELECTIONS IN THE COMOROS, WHICH WILL BEGIN IN FEBRUARY, LOOK AS THOUGH THEY WILL BE VERY OPEN. ALTHOUGH THE CONSTITUTION IMPOSES A ROTATING PRESIDENCY AMONG THE ISLANDS, A CANDIDATE FROM THE COMORIAN DIASPORA IN FRANCE IS ALREADY IN THE LIMELIGHT. 54 ETATS MEETS SALIM BIN SAID SAADI HASHIM, WHO DESCRIBES HIMSELF AS A "LEFT WING LIBERAL" AND WANTS TO RUN HIS COUNTRY "LIKE A BUSINESS". THIS MAY SEEM PARADOXICAL BUT IT REFLECTS THE IMAGE OF HIS COUNTRY WHICH, IN HIS OPINION, HAS EVERYTHING IT NEEDS TO SUCCEED AND YET REMAINS MIRED IN AN ECONOMIC SLUMP.


“JE VEUX DONNER UNE NOUVELLE INDÉPENDANCE AUX COMORES”

C

’ 'est dans les locaux de son QG de campagne en France, dans la banlieue Est de Paris, que Salim Saadi nous reçoit. Si, en ce mois de novembre, la température avoisine les 25 degrés aux Comores, le mercure atteint difficilement les valeurs positives en région parisienne ; sous un crachin glacé que ne connaîtra sûrement jamais Moroni, la capitale comorienne. Pas de quoi refroidir l’optimisme et la volonté de Salim Saadi. Ce Franco-comorien de 43 ans, sans aucune expérience politique, veut apporter un peu de sang neuf, et donc de changement pour son pays. Salim Saadi a du mal à comprendre : « Comment un État comme les Comores, avec autant de richesses, peut en arriver là ? » Là, c’est-à-dire dans la liste des Pays les moins avancés (PMA) : 45 % de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté et les Comores figurent au 160e rang sur 180 en termes de développement humain. Un marché étroit et de faibles ressources naturelles limitent le développement économique. Pourtant, ce sont sur ces « richesses » que compte s’appuyer Salim Saadi. « L’agriculture est mère du développement », prône-t-il. Du coup, il mise à fond sur les produits locaux : l’ylang-ylang (fleur utilisée dans la parfumerie), la vanille et le clou de girofle. Et la pêche. « Nous avons bradé nos zones de pêche. Il faut renégocier ! ». Et les renégociations risquent d’être longues, car Salim Saadi veut aussi rediscuter les pavillons, eux aussi cédés pour « une bouchée de pain. S’il faut rendre caduques ces contrats, je les rendrai caduques ! » Reste à savoir si le néo-politicien saura être assez ferme pour tenir tête aux propriétaires. Sa campagne, il la mène en France et aux Comores. Car « la diaspora a un rôle à jouer dans le développement du pays ». Il veut donner envie de revenir aux Comores, avec une politique d’accession à la propriété attractive (« et écolo ») et la création d’une compagnie aérienne pour assurer des vols directs, plus sûrs et peu chers entre la France et Moroni.

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alim Saadi invites us to meet him at the premises of his campaign headquarters in France, in the eastern suburbs of Paris. The temperatures in this month of November may well be around 25 degrees in the Comoros, but those in the Paris region are struggling to rise above 0° in an icy drizzle that Moroni, the capital of the Comoros, will surely never be exposed to. Yet, the Parisian climate does not put a damper on Salim Saadi’s optimism or his determination. This 43 year-old Franco-Comorian, with no political experience, wants to inject some fresh blood into his country and consequently, bring about some changes. Salim Saadi finds it hard to understand: "How can a State like the Comoros, with so much wealth, come to this?" That is to say, in the list of the least developed countries (LDCs): 45% of the population lives below the poverty line and the Comoros is ranked 160th out of 180 in terms of human development. A niche market and few natural resources limit any economic development. Yet, these are the "riches " that Salim Saadi is intending to rely on. "Agriculture is the mother of development", he advocates. So, he is relying on local products: ylang-ylang (a flower used in perfumery), vanilla, the clove and also the fishing sector. "We sold off our fishing grounds. We need to renegotiate!" And the renegotiations are likely to take a long time because Salim Saadi also wants to renegotiate the pavilions, which were also sold for "a pittance. If these contracts need to be rendered null and void, then I shall see to it that they are!" The question is whether the neo-politician will be firm enough to stand up to the owners. " I want to give the Comoros a new independence." He conducts his campaign both in the Comoros and in France because "the diaspora has a role to play in the development of the country." His aim is to incite people to return to the Comoros, with an attractive ("and ecological") policy of home ownership and the creation of an airline to provide direct, safer and reasonable flights between France and Moroni.

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“LA PAUVRETÉ AUX COMORES N’EST PAS UNE FATALITÉ” Pour Salim Saadi, les Comores sont malades, et « on ne nous a jamais soignés correctement. » Derrière ce « on » se cachent les différents gouvernements et l’État français, qui aurait du lancer « un vrai plan Marshall » pour aider les Comores, « comme l’Angleterre l’a fait avec Maurice (…) Nous avons pris notre indépendance il y a 40 ans, et depuis nous sommes dépendants de tout le monde ». En gros, une aide financière est nécessaire, mais les Comoriens doivent acquérir un savoir-faire des entreprises étrangères « qui viendront travailler chez nous, créer de la richesse et apporter leurs connaissances ». Le candidat Saadi prend comme référence « la Guinée équatoriale ou la Chine », qui a su s’affranchir en augmentant son niveau de compétences. Salim Saadi voit grand pour les Comores, quitte à paraître un brin utopiste pour un pays qui cumule les retards de développement. Mais tout grand projet a besoin d’utopie. Il espère ainsi « relancer le tourisme, construire un casino et des sociétés de jeux, l’équivalent de la Française des jeux ». Aux Comores, 98 % de la population est musulmane et « prône un islam de lumière et de tolérance ». La pauvreté aux Comores « n’est pas une fatalité » mais elle inquiète Salim Saadi : « si on ne fait rien, si on continue à soutenir les mêmes personnes, Daech viendra piocher chez nous » pour grossir ses rangs. Sans vouloir jouer sur la peur, Salim Saadi préfère prévenir que guérir. Pourtant, guérir il le faudra car ce pays « malade a besoin de soins ».

For Salim Saadi, the Comoros are sick and "we have never been correctly treated." The implied reference here being the various governments and the French State, which should have developed "a real Marshall Plan" to help the Comoros, "as England did with Mauritius (...) We became independent 40 years ago and we have been dependent on everyone ever since." Basically, financial aid is necessary, but the Comorians need to acquire the know-how of foreign companies "which will work here with us, create wealth and provide their knowledge". Saadi, the candidate, cites "Equatorial Guinea and China" as references, which were able to break free by improving their level of skills. Salim Saadi thinks big for the Comoros, at the risk of appearing somewhat utopian for a country that accumulates developmental delays. Yet, every great project has something utopian about it. He also hopes to "revive tourism, build a casino and create gambling companies, the equivalent of la Française des Jeux (the French Games)." 98% of the Comoros’ population are Muslims who "advocate an Islam of light and tolerance". Poverty in the Comoros "is not inevitable" but it does worry Salim Saadi: "if we do nothing, if we continue to support the same people, Daesh will come and take their pick here" in order to swell its ranks. Without wishing to play on fear, Salim Saadi considers that prevention is better than cure. Yet, healing will be necessary because this country is "sick and needs care". Translation from French Susan Allen Maurin

CAPITAL Moroni POP 735 000 LITERACY RATE 74,9% GDP 657,3 million dollars UNEMPLOYMENT RATE 7% INFLATION 3,5% 70


LE MAGAZINE DE L’AFRIQUE

LEKIOSK.COM 54ETATS.FR

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© Victor Willi

by Agnès Richieri, envoyée spéciale au Liban

ALLIÉ ESSENTIEL DU RÉGIME DE BACHAR EL-ASSAD, LE PARTI CHIITE LIBANAIS EST AUJOURD’HUI LOURDEMENT ENGAGÉ SUR LE THÉÂTRE SYRIEN DANS LA LUTTE CONTRE L’ÉTAT ISLAMIQUE. AU-DELÀ DU COÛT HUMAIN PAYÉ SUR LE FRONT, LA COMMUNAUTÉ CHIITE LIBANAISE A ESSUYÉ – EN REPRÉSAILLES – LE 12 NOVEMBRE DERNIER LE PLUS LOURD ATTENTAT PERPÉTRÉ AU LIBAN DEPUIS LA FIN DE LA GUERRE CIVILE. SI CETTE PARTICIPATION ACTIVE AUX COMBATS A CONSIDÉRABLEMENT RENFORCÉ SES COMPÉTENCES D’ORDRE MILITAIRE, LE HEZBOLLAH DOIT FAIRE FACE À UNE ÉROSION PROGRESSIVE DE SA BASE. SANS PERSPECTIVE IMMÉDIATE DE PAIX NI LIEN ÉVIDENT AVEC LA RÉSISTANCE HISTORIQUE CONTRE ISRAËL, L’ENGAGEMENT SYRIEN DU PARTI DE DIEU POUSSE LES CHIITES LIBANAIS, POUR LA PREMIÈRE FOIS DEPUIS LA CRÉATION DU PARTI, À QUESTIONNER, BIEN QUE TIMIDEMENT, LA DIRECTION CHOISIE PAR LE LEADERSHIP. 72

THE LEBANESE SHIITE PARTY, A KEY ALLY OF BASHAR AL-ASSAD’S REGIME, IS NOW HEAVILY ENGAGED ON THE SYRIAN SCENE IN THE FIGHT AGAINST THE ISLAMIC STATE. IN ADDITION TO THE HUMAN LOSSES ON THE FRONT, ON 12TH NOVEMBER, THE LEBANESE SHIITE COMMUNITY SUFFERED THE HEAVIEST ATTACK IN LEBANON SINCE THE END OF THE CIVIL WAR, CLEARLY IN RETALIATION FOR HEZBOLLAH’S INVOLVEMENT IN SYRIA. IF THIS ACTIVE PARTICIPATION IN COMBAT OPERATIONS HAS SIGNIFICANTLY STRENGTHENED ITS MILITARY SKILLS, HEZBOLLAH IS FACED WITH A GRADUAL EROSION OF ITS BASE. IN THE ABSENCE OF AN IMMINENT PROSPECT OF PEACE AND WITH NO OBVIOUS LINK TO THE HISTORIC RESISTANCE AGAINST ISRAEL, THE PARTY OF GOD’S SYRIAN INVOLVEMENT IS LEADING LEBANESE SHIITES TO QUESTION, FOR THE FIRST TIME SINCE THE CREATION OF THE PARTY, ALBEIT SOMEWHAT TIMIDLY, THE DIRECTION CHOSEN BY THE LEADERSHIP.


UN SOUTIEN MIS À RUDE ÉPREUVE

SUPPORT UNDER CONSIDERABLE PRESSURE

L’attentat du 12 novembre 2015 dans le quartier sud de Beyrouth (fief du Hezbollah), revendiqué par l’État islamique et ayant provoqué la mort d’une quarantaine de personnes, est le dernier d’une série de coups portés à l’organisation chiite en représailles à son engagement militaire aux côtés de Bachar el-Assad. Celui-ci remonte vraisemblablement à 2012, comme en témoigne la mort cette année-là en Syrie de l’un des principaux chefs opérationnels du parti, Ali Hussain Nasrif, alias Abou Abbas. Mais ce n’est que lors de la bataille de Qusayr en mai 2013 qu’Hassan Nasrallah, leader spirituel et religieux du parti, reconnaît officiellement une participation du Hezbollah qu’il justifie par l’autodéfense des villages chiites situés au-delà de la frontière libanaise. « Depuis trois ans, l’engagement du Hezbollah s’est étendu bien au-delà de cette limite avouée, explique Nicholas Blanford, journaliste pour The Christian Science Monitor et fin connaisseur du parti. Le Hezbollah est intervenu jusqu’au nord alépin et dans le sud syrien, là où les populations chiites sont peu présentes. Entre 3 000 et 5 000 hommes affiliés à l’organisation seraient aujourd’hui présents en Syrie, sans compter le soutien logistique et médical, nécessaire pour appuyer de telles troupes. » Le coût humain d’un tel déploiement n’est pas anodin : en trois ans, l’organisation a perdu près de 1 500 hommes sur le front syrien et compte le triple de blessés. Conscient du risque de mécontentement au sein de sa base, le Hezbollah rétribue chèrement les familles des martyrs, payant jusqu’à 35 000 dollars pour un cadre tombé sur le front. Néanmoins, les difficultés financières de l’organisation, et ce malgré le soutien de l’Iran, tout comme l’absence de paix à l’horizon mettent sa crédibilité à l’épreuve. « La contestation au sein de la communauté chiite est encore très timide mais elle existe, ce qui est une première pour le Hezbollah habitué à tenir ses rangs très serrés, détaille Ali el Amin, un journaliste chiite libanais qui recense les disparitions au sein du parti. Les pertes au front sont particulièrement problématiques. Preuve de ce malaise, les martyrs d’aujourd’hui sont beaucoup moins glorifiés que lors de combats passés avec Israël. Les Libanais utilisent notamment l’application Whatsapp, à l’insu de l’organisation, pour partager des informations sur les disparus. »

The attack of 12th November 2015 in the southern district of Beirut (a Hezbollah stronghold), for which the Islamic State claimed responsibility and that caused the death of forty people, is the latest in a series of blows to the Shiite organization in retaliation for its military engagement with Bashar al-Assad. This engagement probably dates back to 2012, as evidenced by the death that year in Syria of one of the key operational leaders of the party, Ali Hussain Nasrif, alias Abu Abbas. But it was not until the Battle of al-Qusayr in May 2013 that Hassan Nasrallah, the spiritual and religious leader of the party, officially recognized the participation of Hezbollah, which he justifies as self-defense of the Shiite villages located beyond the Lebanese border. "Over the past three years, Hezbollah’s involvement has extended well beyond this declared limit, explains Nicholas Blanford, a journalist for The Christian Science Monitor and expert on the party. Hezbollah intervened just north of Aleppo, and in the south of Syria where there are few Shiite populations. Between 3 000 and 5 000 men affiliated with the organization are now supposedly in Syria, not including the logistical and medical support necessary to assist such troops". The human cost of such a deployment is not insignificant: in 3 years, the organization has lost nearly 1 500 men on the Syrian front and almost three times as many have been injured. Aware of the risk of discontent within its base, Hezbollah pays the martyrs’ families dearly; up to 35 000 dollars for an executive killed in action. However, the organization’s financial difficulties, despite support from Iran, as well as the absence of any prospect for peace, puts its credibility to the test. "Dissent within the Shiite community is still quite contained, but it exists and is a first for Hezbollah, which is used to keeping a firm grip on its ranks, explains Ali el Amin, a Lebanese Shiite journalist who lists the disappearances within the party. The losses on the front lines are particularly problematic. Evidence of this malaise is that the martyrs of today are much less glorified than they were in the past when fighting against Israel. The Lebanese notably use the Whatsapp application, unbeknownst to the organization, to share information on missing persons."

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UNE COMBATIVITÉ AGUERRIE

A SEASONED FIGHTING SPIRIT

L’engagement en Syrie a ainsi poussé le Hezbollah à sortir de ses habitudes, tant en termes de recrutement que de fonctionnement. De fait, le théâtre syrien a permis un aguerrissement du parti, éprouvé par de nouvelles exigences logistiques, tactiques et organisationnelles. « En Syrie, le Hezbollah a pu former une nouvelle génération de combattants tout en diversifiant ses compétences, explique Nicholas Blanford. Les jeunes cadres ont été testés sur des terrains désertiques ouverts tout comme dans des villes abandonnées. Ils savent désormais coordonner leurs actions avec d’autres groupes armés (armée syrienne, force Al Qods iranienne…) tout comme utiliser des véhicules blindés. La mise en place de soutien logistique pour appuyer un front lointain est aussi une grande première pour l’organisation. » L’intensité des combats a aussi nécessité un assouplissement du recrutement. Les Brigades de la Résistance, composées de combattants libanais non chiites affiliés au Hezbollah, ont ainsi été formées pour suppléer le manque de combattants en Syrie. Formés en quelques semaines contre plusieurs années pour les cadres du Hezbollah, les soldats des brigades servent deux objectifs : limiter les pertes en Syrie au sein de la seule communauté chiite et rendre la militarisation du Hezbollah plus acceptable aux yeux des autres communautés libanaises. Si la coopération entre le Hezbollah et les Forces armées libanaises est aujourd’hui excellente, la communauté sunnite voit d’un mauvais œil la montée en puissance d’un acteur militaire défendant les intérêts des chiites, qui de plus est sous l’influence forte de l’Iran. « Le Hezbollah ne serait pas en Syrie si ce n’était pour l’Iran, avance Nicholas Blanford. L’Iran, principal commanditaire et financier du Hezbollah, a exigé son implication sur le terrain, sans lequel le régime de Bachar, autre allié de l’Iran, serait probablement tombé dès début 2013. »

Hezbollah’s involvement in Syria has forced the organization to change its ways, both in terms of recruitment and operation. In fact, the Syrian scene has enabled the party to toughen up, as evidenced by new logistical, tactical and organizational requirements. "In Syria, Hezbollah was able to train a new generation of fighters while diversifying its powers, explains Nicholas Blanford. Young officers were tested on open, desert land as well as in abandoned towns. They now know how to coordinate their actions with other armed groups (the Syrian Army, the Iranian Al Quds force...) and how to use armoured vehicles. The development of logistical support to assist a distant front line is also a first for the organization". The intensity of the fighting also required more flexibility in the recruitment. Consequently, Resistance Brigades, composed of non-Shiite, Lebanese fighters affiliated with Hezbollah, have been trained to supplement the lack of fighters in Syria. The soldiers of the brigades, who are trained in only a matter of weeks and not several years as is the case for Hezbollah officers, serve two purposes: limit the losses within the Shiite community in Syria and make the militarization of Hezbollah more acceptable in the eyes of other Lebanese communities. While the cooperation between Hezbollah and the Lebanese Armed Forces is now excellent, the Sunni community looks unfavourably on the increase in power of a military player defending the interests of the Shiites and who is, moreover, under the strong influence of Iran. "Hezbollah would not be in Syria if it were not for Iran, explains Nicholas Blanford. Iran, the main sponsor and financier of Hezbollah, demanded its involvement in the field, without which the regime of Bashar, another ally of Iran, would have been brought down by early 2013".


UN ENGAGEMENT À MÉNAGER ? Le soutien du Hezbollah à un dirigeant étranger certes allié (Bachar el-Assad), sous les ordres d’un second allié (l’Iran), pousse donc la communauté chiite à questionner la légitimité d’une telle intervention hors des frontières libanaises. Conscient de cette érosion balbutiante, l’Iran cherche à concentrer l’action du Hezbollah aux régions limitrophes du Liban pour la rendre plus acceptable. La trêve de Zabadani, ville syrienne située près de la Bekaa libanaise, fut ainsi obtenue par le Hezbollah et signée en septembre 2015. « Celleci a fait sauter le dernier verrou tenu par l’État islamique sur l’axe essentiel entre Damas et Lattaquié, ajoute Blanford. Il ne reste plus au Hezbollah qu’à achever les dernières poches de résistance dans les montagnes du Qalamoun. Pour le reste du territoire, l’Iran et surtout la Russie, vont s’en occuper. »

© Hawra

A DELICATE COMMITMENT? Hezbollah’s support for a foreign leader, albeit an ally (Bashar al-Assad), under the command of a second ally (Iran), leads the Shiite community to question the legitimacy of such an intervention beyond the Lebanese borders. Aware of this emerging erosion, Iran is seeking to concentrate Hezbollah’s operations in the regions bordering Lebanon to make them more acceptable. Thus, the truce in Zabadani, a Syrian town near the Lebanese Bekaa, was obtained by Hezbollah and signed in September 2015. "It broke the last stranglehold of the Islamic State on the essential Damascus – Latakia route, Blanford adds. All that is left for Hezbollah to do now is to overcome the last pockets of resistance in the Qalamoun Mountains. The rest of the territory will be dealt with by Iran and particularly, Russia". Translation from French Susan Allen Maurin

© Paul Keller

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USA RUSSIA Par Sandra WOLMER

NOUVELLE GUERRE FROIDE ? A NEW COLD WAR?

Sanctions contre un certain nombre de responsables russes, asile accordé par Moscou au célèbre lanceur d’alerte américain Edward Snowden, manœuvres de l’OTAN aux portes de la Russie, engagement militaire russe en Syrie… Lorsque l’oncle Sam est supposé vouloir la peau de l’ours russe ou que l’ours russe est soupçonné de ne vouloir faire qu’une bouchée de l’Oncle Sam, les esprits ne manquent pas de s’agiter fertilement pour faire renaître de ses cendres la bonne vieille guerre froide. À tort ou à raison ? François Durpaire, historien spécialiste des États-Unis, nous éclaire.

© Donkey Hotey

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Sanctions against a number of Russian officials, asylum granted by Moscow to Edward Snowden, the famous American whistle-blower, NATO manoeuvres on Russia’s doorstep, Russian military involvement in Syria ... While Uncle Sam is supposedly hot on the heels of the Russian Bear and the Russian Bear is suspected of wanting to make short work of Uncle Sam, many agitated minds fuel speculation as to whether the good old cold war is rising from the ashes. Rightly or wrongly? François Durpaire, historian and expert on the United States, sheds some light on the subject.


© DiegoCambiaso

54 ÉTATS : Depuis la fin du 1er mandat de Barack Obama, les relations entre les États-Unis et la Russie se sont clairement détériorées. Est-il pour autant approprié de parler de « guerre froide » ?

54 ÉTATS: Since the end of Barack Obama’s first term in office, the relations between the United States and Russia have clearly deteriorated. However, is it appropriate to speak of a "cold war"?

François Durpaire (F. D.) : La réponse serait à la fois oui et non. Commençons d’abord par le non. Premièrement, la guerre froide désigne une période très spécifique dans l’Histoire qui ne correspond pas à la situation actuelle. Poutine et « sa » Russie n’ont pas la puissance dont jouissait l’Union soviétique du temps de la guerre froide. À l’époque, il existait deux blocs, la Russie se posant en contre-modèle américain. La Russie de Poutine est aujourd’hui passée de la 10e à la 15e place économique mondiale et ne peut donc affirmer être en guerre froide avec les États-Unis. Deuxièmement, la guerre froide renvoie à une menace d’un conflit nucléaire entre les deux blocs, inexistante aujourd’hui. Il s’agirait donc plutôt d’une « fausse » guerre froide. Enfin, si guerre froide il y avait, elle concernerait plutôt la Chine et les États-Unis, le vrai géant étant la Chine et non la Russie. Ceci étant dit, une symbolique de la guerre froide demeure : Poutine est un homme qui a vécu 39 ans en Union soviétique avant de vivre 24 ans en Russie. Il a fait sa carrière en URSS. Côté américain, les sénateurs s’avèrent être des représentants qui ont dans leur grande majorité été formés à cette époque et sont modelés par cette idée de la Russie soviétique. Il y a donc toute une génération de protagonistes russes et américains qui a connu cette période très particulière et active l’expression guerre froide au moindre conflit diplomatique entre les deux blocs. Pour résumer : ça a l’odeur de guerre froide, il y a un vocabulaire de guerre froide, il y a des regards de guerre froide mais ce n’est pas la guerre froide.

François Durpaire (FD): The answer is both "yes" and "no". Let’s start with the "no". First of all, the Cold War refers to a very specific period in History that is quite different from the current situation. Putin and "his" Russia do not have the power that the Soviet Union had during the Cold War. At that time, there were two blocs, with Russia posing as the counter-model to America. Today, Putin’s Russia has dropped from the 10th to the 15th rank in terms of worldwide economy and cannot therefore claim to be in a cold war with the United States. Secondly, the cold war refers to a threat, non-existent today, of a nuclear conflict between the two blocs. It is therefore more a question of a "false" cold war. Finally, if there were to be a cold war, it would concern China and the United States, the real giant being China, not Russia. Having said that, the symbolism of a cold war remains: Putin is a man who lived in the Soviet Union for 39 years and who has been living in Russia for 24 years. He made his career in the USSR. On the American side, the senators are representatives, who, for the majority, were learning their profession at the time of the cold war and whose attitudes were influenced by the notion they had of Soviet Russia. Consequently, there is an entire generation of Russian and American protagonists who experienced this very special period and who tend to use the expression "cold war" as soon as the slightest diplomatic conflict between the two blocs arises. In short: the odour of a cold war is present, the vocabulary of a cold war is present, the looks of a cold war are present, but it is not the cold war. 77


54 ÉTATS : Alors que John Kerry, le chef de la diplomatie américaine, déclarait précédemment « il est important de garder ouverts les canaux de communication », Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, affirmait « la Russie est prête à coopérer (avec les États-Unis) seulement sur un pied d’égalité ». Quelles conclusions peut-on tirer de ces déclarations quant à la puissance, à l’influence réelle de ces deux géants ? F. D. : Il ne faut pas confondre relations entre deux pays avec relations entre deux chefs d’État. La relation Obama/Poutine est une relation compliquée, réellement difficile. Mais il y a toujours une discussion entre les États ainsi qu’une possible entente sur un certain nombre de conflits mondiaux. L’accord iranien en est l’illustration tout comme le dossier syrien même si les positions divergent. Un lien existe entre les homologues des affaires étrangères et aussi entre les ministres de la Défense. Il s’agit d’une relation très largement asymétrique entre deux puissances qui ne sont pas au même niveau. Cette relation continue néanmoins à fonctionner avec les États-Unis, première puissance du monde, même si ces derniers sont en crise et en interrogation de leadership. Les acteurs locaux revêtent de l’importance. C’est par exemple le cas sur la crise syrienne où les États-Unis et la Russie ne sont pas les seuls protagonistes mais doivent composer avec l’Iran, l’Arabie Saoudite, la Turquie. Aujourd’hui, le monde est devenu très largement multilatéral et chacun de ses espaces possède sa propre logique. La planète est entrée dans l’ère post-américaine.

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© IISG

54 ÉTATS: John Kerry, the US Secretary of State, previously declared, "it is important to keep the lines of communication open" and Sergei Lavrov, the Russian Foreign Minister, stated, "Russia is ready to cooperate (with the USA) only on an equal footing". What conclusions can be drawn from these statements about the power and the real influence of these two giants? F. D.: There should be no confusion between the relations between two countries and the relations between two heads of state. The Obama/Putin relationship is one that is complicated and really difficult. But there are always discussions between the States as well as a possible agreement regarding a certain number of global conflicts. The Iranian agreement is an example, like the Syrian issue, although opinions differ. A link exists between the Foreign Affairs counterparts as well as between the Defence Ministers. It is very much an asymmetrical relationship between two powers that are not on the same level. Nevertheless, this relationship still continues to work with the United States, the world’s most powerful country, despite the crisis and the questioning of leadership. Local players are important. This is, for example, the case with the Syrian crisis. The United States and Russia are not the only protagonists; they have to deal with Iran, Saudi Arabia and Turkey. Today, the world has become widely multilateral and each area has its own logic. The planet has entered the post-American era.


© Donkey Hotey

54 ÉTATS : Comment les États-Unis perçoivent-ils l’intervention de la Russie en Syrie : comme un protagoniste qui cherche à asseoir son influence au Moyen-Orient ou qui fait un « pied de nez » aux puissances occidentales ou qui leur « tire une épine du pied » ?

54 ÉTATS: How do the United States view the Russian intervention in Syria: as a protagonist who is seeking to assert its influence in the Middle East or who is thumbing its nose at the Western powers or who is "removing a thorn in their side"?

F. D. : Le congrès américain, à majorité républicaine, dénonce l’affaiblissement de leadership d’Obama et estime qu’il se laisse trop marcher sur les pieds, ce qui laisse Poutine au centre du jeu. En même temps, ce que l’on voit d’autre démontre peut-être une tentative d’enfumage de Poutine visant à reléguer la question ukrainienne au second plan. Poutine définit l’effondrement de l’Union soviétique comme étant la principale catastrophe géostratégique du XXe siècle. Il tient énormément à ce retour de la Russie dans une région qui est importante pour les Russes. Il s’inscrit donc dans une géostratégie séculaire de contrôle de la Méditerranée orientale. En réalité en Syrie, Poutine ne s’intéresse pas du tout à Daech, au palais présidentiel à Damas, à Assad, etc… Ce qui l’intéresse, c’est Tartous. Cette fameuse base navale marque la puissance russe en Méditerranée orientale, située hors des frontières de la Russie à 160 km au nord de Damas. Il envoie des armements qui sont à la dimension des grandes puissances comme s’il s’agissait de rentrer en force en Méditerranée orientale. Au point que quelqu’un comme Carly Fiorina, candidate républicaine aux prochaines élections présidentielles, en est à appeler à renforcer la sixième flotte américaine dans la région. Poutine n’a d’ailleurs pas qu’une stratégie en Syrie, il en a une en Grèce, en Égypte, en Israël. Si les États-Unis peuvent percevoir de façon menaçante ce retour de Poutine, ils redoutent davantage l’axe sino-russe. Les Chinois ne sont pas très loin et ils ont une base de 8 000 soldats à Djibouti. Par ailleurs, des accords militaires récents entre la Russie et la Chine ont été signés. Obama qui est à quinze mois de la fin de son mandat ne va pas prendre de risques et privilégiera le statu quo. Il va s’en tenir à une sortie de mandat marquée par l’accord historique sur l’Iran, une normalisation des relations avec Cuba et ne s’échinera pas à résoudre la crise syrienne.

F. D.: The US Congress, with its Republican majority, criticizes the weakening of Obama’s leadership and considers that he is allowing himself to be pushed around, which places Putin at the centre of the game. At the same time, we are perhaps also witnessing an attempt on behalf of Putin to create a smokescreen in the aim of diverting attention from the Ukrainian issue. Putin describes the collapse of the Soviet Union as the main geostrategic catastrophe of the twentieth century. He is very keen on seeing the return of Russia to a region that is important for the Russians. He therefore adheres to a secular geographical control strategy of the eastern Mediterranean. In reality, as far as Syria is concerned, Putin is not all interested in Daesh, the Presidential Palace in Damascus, Assad, etc... What interests him is Tartus. This famous Russian naval base, situated beyond the Russian border, 160 km north of Damascus, marks the power of Russia in the Eastern Mediterranean region. He is sending arms that are commensurate with the great powers, as though he was arriving in force in the Eastern Mediterranean region; to such an extent that someone like Carly Fiorina, a Republican candidate in the next Presidential elections, is calling for rebuilding the US 6th fleet in the region. Besides, Syria is not the only country in which Putin has a strategy; he also has one in Greece, Egypt and Israel. The United States may consider this return of Putin as a threat but they are more in fear of the Sino-Russian axis. The Chinese are not very far away and they have a base in Djibouti with 8,000 soldiers. Moreover, Russia and China recently signed some military agreements. Given that Obama’s Presidential term ends in fifteen months, he will not take any risks and instead, will favour the status quo. He is keen that his exit from office will be marked by the historic agreement on Iran as well as the normalization of relations with Cuba and he will not wear himself out by trying to resolve the Syrian crisis. 79


54 ÉTATS : Les relations qu’entretiennent Obama et Poutine rappellent l’importance du facteur humain dans le blocage ou le dénouement de certains dossiers diplomatiques. Peut-on s’attendre à une réelle embellie des relations russo-américaines le jour où ces deux personnalités quitteront le pouvoir ? F. D. : Les relations interpersonnelles demeurent essentielles dans les relations internationales. Il n’y a pas qu’une dimension stratégique. Ce sont bien des hommes et des femmes qui se rencontrent, et ce de tout temps. Cette dimension personnelle transparaît clairement lorsqu’Obama rencontre Poutine. Il y a un mélange de complexes. Obama ressent un complexe d’infériorité personnelle vis-à-vis de Poutine mais également un complexe de supériorité de puissance à puissance. Obama estime que Poutine ne représente que la Russie, laquelle n’est pas un vrai géant contrairement à la Chine ou l’Inde, par exemple. Maintenant, il reste difficile de se prononcer sur ce que sera le temps d’après avec d’autres personnalités. De façon certaine, le 20 janvier 2017, le 45e président(e) des États-Unis prendra officiellement ses fonctions. Ceci est inscrit dans la démocratie américaine. Par contre, il est plus compliqué d’affirmer que Poutine ne sera plus là, comme le laisse entendre cette boutade récurrente « Poutine Forever ». Du coup la question posée, n’est pas tant de savoir si avec d’autres acteurs les relations russo-américaines changeront. Il s’agirait plutôt de se demander si la situation ne restera pas inchangée puisque ce nouveau président américain sera une fois encore amené à traiter avec ce même président russe, l’erreur étant à chercher du côté russe avec un Poutine qui reste au pouvoir qu’on lui a donné directement ou indirectement depuis un certain nombre d’années.

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54 ÉTATS: The relationship between Obama and Putin is a reminder of the importance of the human factor when dealing with a deadlock of or the solution to certain diplomatic issues. Can we expect a real improvement in Russian-American relations when these two personalities will no longer be in power? F. D.: Interpersonal relations remain essential in international relations. There is not only the strategic dimension. Indeed, men and women meet, as they always have. This personal dimension is clearly evident when Obama meets Putin. There is a mixture of complexes. Obama has a personal inferiority complex with regard to Putin yet, at the same time, a superiority complex with regard to the two powers they represent. Obama believes that Putin represents only Russia, which is not a true giant, unlike China or India, for example. For the time being, it is difficult to say what the relations will be like when other figures come to power. What is sure is that on 20th January 2017, the 45th President of the United States will officially take office. This is enshrined in American democracy. However, it is more difficult to say whether or not Putin will still be around, as implied by this recurring quip "Putin Forever". So, the question is not so much a matter of knowing whether the Russian-American relations with other players will change. It is more a matter of asking whether the situation will persist, since the new US President will still have to deal with the same Russian President; the error being on the Russian side with a Putin willing to hang onto power that has been directly or indirectly given to him for a number of years.


54 ÉTATS : OTAN/RUSSIE : la Russie se sent menacée par l’OTAN. Cette vulnérabilité est-elle justifiée ? F. D. : Pour le moment non. Cela fait partie de l’argumentaire développé par Poutine qui consiste à dire que nous ne sommes pas les agresseurs mais nous sommes agressés par l’OTAN depuis la fin de l’Union soviétique. Maintenant, en y regardant de plus près, il apparaît que les États-Unis effectuent un repli géostratégique dans un certain nombre de zones de la planète. Le leadership américain ne menace pas la puissance russe. L’OTAN fait partie du champ lexical de Poutine. Quand ce dernier intervient quelque part c’est parce que l’OTAN le menace. L’OTAN représente également un enjeu en matière de politique intérieure. Poutine est apprécié, il jouit d’une popularité parce qu’il joue sur ce complexe d’agression.■ @SandraWolmer1

La Présidente Éditions les Arènes BD d'anticipation politique

Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères russes, et John Kerry, secrétaire d' État des États-Unis.

© U.S. Mission to international Orgs In Vienna

54 ÉTATS: NATO/RUSSIA: Russia feels threatened by NATO. Is this vulnerability justified? F. D.: Not at the moment. It’s part of Putin’s argument, which consists in saying that we are not the aggressors but NATO has been aggressing us since the collapse of the Soviet Union. Now, looking more closely, it appears that the United States is withdrawing from a certain number of geostrategic areas in the world. American leadership is not threatening Russian power. NATO is part of Putin’s lexical field. When the latter takes action somewhere, it is because NATO is threatening him. NATO also is an issue where domestic policy is concerned. Putin is popular; he enjoys popularity because he plays on this complex of aggression. @SandraWolmer1. Translation from French Susan Allen Maurin 81


par Gaëlle NGAKO

NICHÉES AU CŒUR DE L’OCÉAN INDIEN, LES SEYCHELLES N' ONT PAS FINI DE FAIRE RÊVER. SON ARCHIPEL, L’UN DES MIEUX PRÉSERVÉS DE LA PLANÈTE, DÉPLOIE INLASSABLEMENT SES PAYSAGES IDYLLIQUES. ÉGARÉE DANS CE PARADIS TERRESTRE, L’ÉQUIPE DE 54 ÉTATS AURA SU, L’ESPACE DE QUELQUES INSTANTS, RETROUVER SON CHEMIN POUR ALLER À LA RENCONTRE D' ALAIN SAINT-ANGE, MINISTRE DU TOURISME ET DE LA CULTURE, ET COMPRENDRE LES GRANDS AXES DE SA POLITIQUE. ZOOM. NESTLED IN THE HEART OF THE INDIAN OCEAN, THE SEYCHELLES HAS ALWAYS FASCINATED AND CONTINUES TO DO SO. THIS ARCHIPELAGO, WITH ITS IDYLLIC LANDSCAPE THAT UNFOLDS IN ALL ITS BEAUTY, IS ONE OF THE BEST PRESERVED IN THE WORLD. LOST IN THIS EARTHLY PARADISE, THE TEAM OF 54 ÉTATS MANAGED TO FIND ITS WAY TO MEET, ALBEIT FOR JUST A SHORT AMOUNT OF TIME, ALAIN SAINT ANGE, THE MINISTER OF TOURISM AND TO LEARN MORE ABOUT THE KEY POINTS OF HIS POLICY. ZOOM.

© 54 ÉTATS

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MINISTRE DU TOURISME ET DE LA CULTURE

54 ÉTATS : Première activité génératrice de revenus, le tourisme constitue une véritable nécessité pour l’économie seychelloise. Comment faites-vous pour maintenir cette activité ? Alain Saint-Ange (A. S.-A.) : Avant même de se préoccuper de la préservation du tourisme, il est essentiel de veiller à ce que les recettes découlant de cette activité aient des répercussions socio-économiques importantes. Aux Seychelles, grâce au tourisme, les retraités perçoivent le versement mensuel d’une pension, le principe de gratuité de la scolarité (depuis l’école jusqu’à l’université) et du système de santé a été instauré et la majorité des Seychellois a pu devenir propriétaire de leur terrain. Il convient maintenant de s’interroger sur le type de système à mettre en place en vue de garantir la pérennité de ce secteur. La politique gouvernementale mise en place privilégie l’aspect social. Ainsi, nous encourageons la population à directement s’investir dans le développement du tourisme. Depuis cinq ans, l’État a décidé de faire de la population un réel partenaire. Les Seychellois créent des commerces, investissent dans des hôtels et entretiennent le paysage. Cette dynamique, qui associe citoyens et politiques, favorise fortement la croissance de ce secteur.

54 ÉTATS: As the primary income-generating activity, tourism is absolutely vital for the Seychellois economy. How do you maintain this sector of activity? Alain St-Ange (A.S.-A.): Before approaching the issue of how to preserve tourism, our primary concern is to ensure that the revenues from this activity have a significant socio-economic impact. In the Seychelles, thanks to the tourist trade, pensioners receive monthly pensions. We have also established the principle of free education (from school to university) as well as that of a free health system and most Seychellois have been able to become owners of their land. Once these social and economic actions have proved their effectiveness, it is then important to consider the type of system that is required in order to ensure the sustainability of this sector. The Government policy that has been put in place prioritizes the social aspect. Thus, we encourage the public to directly invest in the development of tourism. Over the past five years, the State has decided to involve the population, which it considers as a real partner. Seychellois create businesses, invest in hotels and maintain the landscape. This dynamic partnership, which brings together citizens and politicians, provides a strong stimulus to the growth of this sector.

83


54 ÉTATS : Pourquoi et comment arrivez-vous à faire des Seychelles une destination de tourisme de luxe et non de masse ? A. S.-A. : C’est à la fois une volonté de notre part mais aussi une obligation à laquelle nous sommes tenus. Nous souhaitons pouvoir protéger l’industrie du tourisme mais également en vivre. C’est un pari difficile mais nous avons réussi à le tenir au fil des années. Les Seychelles, dont la population s’élève à 93 000 habitants, ne reçoivent pas moins de 270 000 touristes, soit le triple de leur population. Ceci ne représente qu’une « goutte d’eau » pour les grandes destinations mais cet accroissement reste énorme pour un archipel. Par conséquent, nous nous devons de limiter le nombre de touristes en fonction de notre capacité d’accueil tout en garantissant la rentabilité de l’activité. Nous avons commis là une grave erreur car à la suite de cela nous avons perdu une série d’avions commerciaux. Toutefois, nous essayons aujourd’hui de rééquilibrer les choses en prospectant également les touristes disposant de ressources plus modestes. Il y a six ans, nous nous focalisions uniquement sur les personnes à hauts revenus voyageant en première et business classes, ce qui nous a valu d’être perçu comme n’étant qu’une destination de luxe.

NOUS AVONS TOUJOURS DÉSIRÉ CHOYER NOS TERRES

54 ÉTATS: Why and how have you managed to make the Seychelles an up-market destination and not one of mass tourism? A.S.-A.: It is not only our desire but also a duty by which we are bound. Our aim is to protect the tourist industry and, at the same time, to make a living from it. It is difficult but over the years, we have risen to the challenge. The Seychelles, with a population of 93 000, welcomes no less than 270 000 tourists, thus tripling the population. This represents only a mere "drop in the ocean" for major destinations but a phenomenal increase for an archipelago. Therefore, we must limit the number of tourists in relation to our capacity while ensuring that the business is profitable. Six years ago, we were focusing exclusively on high-income individuals traveling first and business class, which made us appear as being only a luxury destination. This was a serious mistake because we subsequently lost a series of commercial aircraft. We are now trying to redress the balance by also attracting tourists with more modest resources.

© 54 ÉTATS

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54 ÉTATS : Comment conciliez-vous développement touristique et développement durable ? A. S.-A. : Le développement durable est une jolie expression ! Sachez que les Seychelles étaient déjà partie prenante dans cette politique d’éco-tourisme, de tourisme et de développement durable, bien avant que ces termes ne soient en vogue. Nous avons toujours désiré choyer nos terres et leur préservation nécessite un soutien aussi bien législatif que financier. Nous ne souhaitons pas constater ultérieurement que le tourisme perdure au détriment de l’environnement et vice-versa. Aujourd’hui, 53 % de notre territoire sont classés en parcs nationaux. Nous avons également créé, il y a quatre ans, un label environmently-friendly destiné aux hôtels, attribué en fonction de normes telles que celles liées à l’utilisation de pratiques écologiques (traitement des eaux, électricité...) ou encore à l’intégration de la culture des Seychelles. Cela se traduit par l’embauche de la population, la mise à disposition d’activités locales, l’intégration des saveurs culinaires ou encore l’incorporation d’une boutique vendant des produits locaux. En matière hôtelière, la créolité ne peut se limiter au drapeau national qui flotte à l’entrée des établissements. Nous mettons ensuite ces hôtels environmently-friendly en lumière lors des opérations visant à promouvoir le pays. Enfin, après quarante ans de tourisme nous avons établi un Master Plan visant à évaluer la capacité d’accueil des infrastructures ainsi qu’à arrêter les lieux exploitables sans risque d’altérer le paysage. Nous sommes ainsi amenés à désigner les plages exploitables ou non ou bien encore à déterminer la taille maximale que peut avoir un hôtel. Le gouvernement a mis un point d’honneur à accomplir ce difficile travail de régulation et en tire une très grande fierté. 54 ÉTATS : Quels projets envisagez-vous de mettre en place dans le cadre ou en dehors de l’association des îles Vanille ? A. S.-A. : Cette association constituée entre les îles de l'océan Indien entend favoriser l’accroissement des croisières et permettre aux touristes l’accès à nos terres sans prendre l’avion. Cependant, à ce jour, cela ne nous suffit plus. Nous avons donc pour ambition de nous allier à l’est de l’Afrique, particulièrement au Kenya, où nous pourrions ouvrir un accès aux safaris par exemple.

54 ÉTATS: How do you reconcile the development of tourism with sustainable development?

A.S.-A: Sustainable development is a lovely expression! It is important to note that the Seychelles was already engaged in this policy of eco-tourism, tourism and sustainable development long before these terms were in vogue. We have always wanted to protect our land and its preservation requires both legislative and financial support. Later on, we do not want to witness a durable tourist business at the expense of the environment and vice versa. Today, 53% of our territory is classified as national parks. Four years ago, we also created an environmentally friendly label for hotels, which is awarded according to certain standards, such as those related to the use of environmentally friendly practices (water treatment, electricity...) or to the integration of the culture of the Seychelles. This involves the hiring of the population, the provision of local activities, the integration of culinary delights or the presence of a shop selling local products. As far as hotels are concerned, the Creole identity cannot simply be limited to the national flag flying at the entrance of our institutions. We then highlight these environmentally friendly hotels in our marketing campaigns to promote tourism in our country. Finally, after forty years of tourism, we have established a Master Plan to assess the accommodation capacity of our infrastructures and to decide which sites can be used without running the risk of impairing the landscape. We are thus required to decide which beaches are or are not exploitable and to determine the maximum size of a hotel. The government has made this difficult task of regulatory work one of its priorities and takes great pride in its endeavour. 54 ÉTATS: What projects are you planning on setting up within or outside the Vanilla Islands Organization?

A.S.-A: This organisation, which is made up of the islands of the Indian Ocean, aims to promote more cruises, enabling tourists to access our islands without flying. However, to date, this is no longer enough for us. So, our aim is to team up with East Africa, particularly Kenya, where we could provide an access to safaris, for example. Translation from French Susan Allen Maurin

85


© Belfond

AVEC FOULARDS ET HYMENS, MONA ELTAHAWY, D’UNE PLUME ACERBE, RATURE BIEN DES IDÉES REÇUES ET TOUTES SORTES DE PRÉJUGÉS SUR UN SUJET AUSSI CHAUD QUE POLÉMIQUE : LA CONDITION DES FEMMES DANS LE MONDE ARABE. UN LIVRE PUISSANT ET ENGAGÉ, SANS COMPROMIS, QUI N’ÉLUDE AUCUN ASPECT DE LA QUESTION ET N’ÉPARGNE AUCUNE SUSCEPTIBILITÉ. IN HEADSCARVES AND HYMENS, MONA ELTAHAWY EMPLOYS A CAUSTIC STYLE TO DO AWAY WITH PRE-CONCEIVED NOTIONS AND PREJUDICES ON A HOT AND DIVISIVE SUBJECT: THE STATUS OF WOMEN IN THE ARAB WORLD. THIS IS A POWERFUL, COMMITTED AND UNCOMPROMISING BOOK THAT DODGES NO ASPECT OF THE QUESTION AND SPARES NO SENSITIVE FEELINGS. 86

by Hervé PUGI

POURQUOI LES HOMMES NOUS HAÏSSENT-ILS AUTANT ?


« La première fois que j’ai eu des relations sexuelles, c’était comme si ma mère, mon père, mes grandsparents, tout le quartier, Dieu et les anges étaient là à me regarder ». Voilà une des nombreuses anecdotes qui jalonnent le récit de Mona Eltahawy. C’est toutefois l’unique qui prête à sourire dans ce brûlot signé par la talentueuse journaliste égyptienne. Cette féministe, qui a grandi entre l’Égypte, l’Arabie Saoudite et le Royaume-Uni, nous livre bien moins un plaidoyer pour la cause féminine qu’une attaque en règle contre la misogynie ambiante au Maghreb et au MoyenOrient. Des sociétés qui « restent persuadées que c’est l’homme et son pénis qui font de nous des femmes ». Entre souvenirs personnels, enquête journalistique et témoignages d’anonymes comme de militantes, Mona Eltahawy nous fait partager la difficile condition féminine, assujettie à « la culture de la pureté », aussi chère aux élites réactionnaires musulmanes qu’à la droite religieuse américaine. « Au fond, il ne s’agit pas de couvrir nos cheveux ou d’être « modeste ». Non, il s’agit de contrôler le corps des femmes », affirme celle qui partage désormais sa vie entre New York et Le Caire ne manque jamais de dénoncer cette alliance entre « la famille, la rue et l’État » afin de contrecarrer toute velléité émancipatrice en rendant « les femmes comme les jeunes filles responsables de leur propre sécurité face à la violence masculine ». Forte de son expérience personnelle, Mona Eltahawy témoigne d’un quotidien hypocrite fait de harcèlement verbal, d’agressions physiques, de frustration et de soumission à un ordre patriarcal trop souvent rattaché par l’Occident à un « relativisme culturel ».

"The first time I had sexual relations, it was as if my mother and father, my grandparents, the entire neighborhood, God and all the angels were there watching me." This is one of a number of striking anecdotes that fill the writing of Mona Eltahawy. But it may be the only one that brings a smile to readers of this scathing attack by the talented Egyptian journalist. A feminist, she grew up in Egypt, Saudi Arabia and Great Britain. She has written more than a simple call for women’s rights. This is a straight-forward attack on the misogyny so prevalent in North Africa and the Middle East. Societies that "are convinced that it is men and their penises that make women out of us." With personal examples, journalistic investigations, and anonymous, activist testimony, Mona Eltahawy describes the tough conditions women face… "the culture of pureness", so dear to upper class reactionary Muslims and to the American religious right-wing. "The bottom line is not about covering our hair and being modest. No, it is about controling women’s bodies," states the author. Dividing her life now between New York and Cairo, she readily criticizes the "alliance between the family, the street and the state," in order to thwart all so-called liberating tendencies and to make "women and young girls responsible for their own safety when dealing with the violence of men." Based on her personal experience, Mona Eltahawy, who wore a headscarf for many years, describes a daily hypocrisy full of verbal harassment, physical aggression, frustration and submission to a malebased order of things too often explained away by the West as part of "cultural relativity". A regular contributor to the New York Times, she does not share the same point of view, evoking "the hatred of women that dominates the Middle East and North Africa".

Pas question toutefois de tomber dans l’amalgame. Mona Eltahawy reconnaît ainsi qu’elle a découvert que « nos meilleurs alliés sont ces hommes déterminés à se libérer de ce fardeau et qui refusent la facilité de la discrimination sexuelle ». De même, l’auteur l’affirme, c’est aux femmes « de remporter ce combat », tout en regrettant que beaucoup d’entre elles « luttent contre le poids des attentes de la société » tout en instillant « chez leurs filles une révérence imméritée pour la répartition conservatrice des rôles entre les sexes ». Pour Mona Eltahawy, il s’agit bel et bien pour la gente féminine de mener « pas une mais deux révolutions ». En profitant au passage pour « tacler » ces révolutionnaires dont les esprits libertaires s’arrêtaient à la porte du foyer. « Pourquoi les hommes nous haïssent-ils autant ? » lance faussement naïve Mona Eltahawy. La réponse qu’elle apporte est cinglante : « parce qu’ils nous craignent et comprennent à quel point nous contrôler est nécessaire pour nous empêcher de sortir du rang, pour que nous restions de gentilles filles avec nos hymens intacts jusqu’à ce qu’il soit l’heure de nous baiser et de faire de nous des mères qui élèveront de futures générations de misogynes… » Qu’ajouter ? @rvpugi

Yet, acknowledging that not all men are the same, Mona Eltahawy admits that she has discovered that "our best allies are those men who are determined to break free of this weight and refuse the easy path of sexual discrimination". She also states that it is up to women "to win this battle", regreting that many of them "fight against the weight of society’s expectations", all the while "instilling in their daughters an unmerited respect for the conservative division of roles between men and women". For example, there is the old bit of nonsense that "women rule the home". This is highly debatable when it is clear that the world of the street clearly belongs to men. In other words, Mona Eltahawy believes that women must carry out "not one but two revolutions". And at the same time, they must take on all the revolutionaries whose open minds shut down at the door to the home. "Why do men hate us so?" asks Mona Eltahawy in a pseudo-naive tone. Her answer is scathing. "Because they are afraid of us and understand to what extent they must control us to prevent us from getting out of line, so that we remain nice girls with our hymens intact until the moment when they fuck us and make us mothers who raise future generations of misogynists…" What more can be said? Translation from French @rvpugi Brett Kline 87


Plus d’1 milliard d’habitants très inégalement répartis sur 30 415 873 km2, soit 20 % des terres émergées ou 55 fois la France.

MEDITERRANEAN SEA

Tunis

Algiers Rabat

TUNISIA Tripoli

NORTH ATLANTIC OCEAN

MOROCCO Cairo

ALGERIA

LIBYA

EGYPT RED SEA

MAURITANIA

Nouakchott

CAPE VERDE Praïa

Khartoum SUDAN

NIGER

Dakar SENEGAL Bamako

GAMBIA Banjul

GUINEA

GUINEA-BISSAU

MALI

Conakry

IVORY COAST GHANA

Freetown

SIERRA LEONE

Yamoussoukro

Monrovia

LIBERIA

TOGO

Djibouti Addis Ababa

NIGERIA

Porto-Novo Malabo

CENTRAL AFRICAN REPUBLIC

Juba

Yaoundé

UGANDA

REP. OF GABON THE

EQUATORIAL GUINEA

CONGO

Brazaville

Kampala

DEM. REP. OF THE CONGO

Libreville

Mogadishu

KENYA

INDIAN OCEAN

Nairobi

Kigali

Kinshasa

SOMALIA

ETHIOPIA

SOUTH SUDAN

CAMEROON Bangul

SAO TOME

G

DJIBOUTI

N’Djamena

Abuja

Accra Lomé

ERITREA

CHAD

Niamey Ouagadougou

BURKINA FASO BENIN

Asmara

RWANDA

Bujumbura

ANGOLA

BURUNDI

TANZANIA Dar es Salaam Luanda

SOUTH ATLANTIC OCEAN

SEYCHELLES COMOROS

ANGOLA ZAMBIA Lusaka

Lilongwe

Harare

ZIMBABWE

MOZAMBIQUE

NAMIBIA Windhoek

Moroni

MALAWI

Antananarivo

MADAGASCAR

BOTSWANA Pretoria

Gaborone

Mbabane Maseru

SOUTH AFRICA

Maputo

SWAZILAND

LESOTHO

REPÈRES PAYS PAR PAYS : POP : population (en millions d’habitants, 2012) IDH : classement des pays en fonction de l’indice de développement humain établi par le Programme des Nations unies pour le développement (2013) du 1e au 47e : très élevé – du 48e au 94e : élevé – du 95e au 141e : moyen – du 142e au 187e : faible PIB/HAB. : produit intérieur brut par habitant en nominal établi par le FMI (en dollars, 2013) SUP : superficie 88


AFRIQUE AUSTRALE

AFRIQUE DU SUD

ANGOLA

53,1 POP : 118 IDH : 6621 PIB/HAB : 1 221 037 SUP :

BOTSWANA

20,8 149 5964 1 246 700

LESOTHO

2 109 7120 581 730

MALAWI

2,2 162 1 290 30 355

MOZAMBIQUE

NAMIBIE

26,4 178 593 799 380

16,8 174 223 118 484

SWAZILAND

1,2 148 3473 17 364

2,3 127 5636 824 270

ZAMBIE

ZIMBABWE

15 141 1845 752 612

14,5 156 1007 390 757

AFRIQUE CENTRALE

BURUNDI

POP : IDH : PIB/HAB : SUP :

CAMEROUN

10,4 180 303 27 834

CENTRAFRIQUE

22 152 1 331 475 442

CONGO

4,7 185 334 623 000

GABON

1,7 112 12 326 267 667

4,5 140 3 223 342 000

GUINÉE ÉQUATORIALE

RDC

SOMALIE

SOUDAN

1,1 144 20 605 28 051

RWANDA

12,1 151 704 26 338

70 186 388 2 345 409

SAO-TOMÉ ET-PRINCIPE

0,2 142 1625 1 001

TCHAD

13,2 184 1218 1 284 000

AFRIQUE DE L'EST

DJIBOUTI

POP : IDH : PIB/HAB : SUP :

ÉRYTHRÉE

0,9 170 1 593 23 200

ÉTHIOPIE

6,5 182 544 117 600

KENYA

98 173 518 1 104 300

OUGANDA

45,5 147 1 316 580 367

38,8 164 623 236 860

10,8 600 637 657

38,7 166 1 941 1 790 000

SOUDAN DU SUD

11,7 1 289 644 329

TANZANIE

50,7 159 719 947 300

AFRIQUE DE L'OUEST

BÉNIN

POP : IDH : PIB/HAB : SUP :

BURKINA FASO

10,3 165 805 112 622

NIGER

NIGERIA

POP : 16,6 IDH : 187 PIB/HAB : 447 SUP : 1 264 000

CAP-VERT

18 181 711 275 500

CÔTE D'IVOIRE

SÉNÉGAL

187 152 3 082 923 773

GAMBIE

20,8 171 1 332 322 463

0,5 123 3 633 4 033

SIERRA LEONE

14,5 163 1 048 196 007

GHANA

1,9 172 453 11 295

26,4 138 1 871 238 537

GUINÉE BISSAU

1,7 177 567 36 125

GUINÉE

12 179 560 245 857

LIBERIA

4,3 175 479 111 370

MALI

15,7 176 646 1 241 231

TOGO

6,3 183 805 71 740

6,9 166 637 56 785

MAGHREB ET MOYEN-ORIENT

ALGÉRIE

ÉGYPTE

POP : 39 IDH : 93 PIB/HAB : 5 606 SUP : 2 381 741

LIBYE

84,2 110 3 243 1 002 000

MAROC

6,2 55 10 702 1 759 500

MAURITANIE

33,4 129 3 160 446 550

3,9 161 1 126 1 030 700

TUNISIE

11,1 90 4 317 162 155

OCÉAN INDIEN

COMORES

POP : IDH : PIB/HAB : SUP :

0,8 159 928 1 862

ÎLE MAURICE

1,3 63 8 120 1 865

MADAGASCAR

23,5 155 463 592 000

SEYCHELLES

0,09 71 14 918 455 89


LE MAGAZINE DE L’AFRIQUE

THE AFRICA MAGAZINE

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N°25 janv

/ fév 2015

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