N°21 mai / juin 2015 ÉDITION INTERNATIONALE www.54etats.fr
ÉDITION INTERNATIONALE : FRANCE 3,80 € - DOM 4,80 € - RÉUNION 4,80 € - GUYANE 4,80 € - BEL 4,00 € - MAROC 40 DH - ALGÉRIE : 394,3 DZA - TUN 6,8 DT - ZONE CFA 3100 - NIGER 3100 XAF - CAMEROUN 2700 XAF - SÉNÉGAL 2700 XAF - GAB 2700 XAF - CÔTE D’IVOIRE 2700 XAF - MALI 3100 CFA- ISSN 2258 - 0131
M 01939 - 21 - F: 3,80 E - RD
"NEGOTIATION: THE ONLY WAY TO BRING PEACE TO LIBYA"
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Abdelhakim
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AFRICA INSIDE
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Carte Libye........................................................................................................ 7 Interview : Abdelhakim Belhadj......................................................................... 8 Haftar : le dernier virage.................................................................................. 16 Général Haftar : le seul choix légitime est celui fait par le peuple................... 20 Un pays à deux visages.................................................................................. 24 Jadhran : une autre vision de la Libye............................................................. 28 Ansar al-Charia : rencontre de l'ombre............................................................ 30 Ansar / Daech : la menace terroriste............................................................... 34 Bernadino León : le pélerin de la MISNUL...................................................... 38 8 mois qui ont changé la Libye........................................................................ 42 Clan Kadhafi : que sont-ils devenus ? ............................................................ 44 Riadh Sidaoui : « la Libye n'a pas de culture démocratique »......................... 46 Derrière la guerre civile une lutte d'influence.................................................. 50 Une région dans l'angoisse............................................................................. 54 Patrick Haimzadeh : « les libyens devront se mettre d'accord »..................... 58 Pétrole : or noir ou malédiction ?..................................................................... 62 Nigeria : une alternance historique ................................................................. 66 Tchad : la légitimité par les armes................................................................... 68 Brèves....…...................................................................................................... 69 CISSA : haro sur l'embargo ............................................................................ 70 Le Soudan dans sa lutte contre le terrorisme.................................................. 72
AFRICA OUTSIDE
Turquie : Erdogan joue-t-il un double jeu ?..................................................... 74 Élections en Israël........................................................................................... 76 Bahreïn : le royaume des deux mers.............................................................. 78
ÉCONOMIE
Quel avenir pour le Soudan ?.......................................................................... 82 Interview : Badreldin Mahmoud Abbas, ministre soudanais de l'Économie ... 86 Pétrole : le Soudan touché mais pas coulé..................................................... 88 Soudan : une agriculture encore en friche...................................................... 90 Embargo : des répercussions catastrophiques sur la santé au Soudan......... 94 Soudan : sur la voie de la stabilité économique.............................................. 98
TENDANCE
Because I am Nappy..................................................................................... 100 Hipsters & Yummies ..................................................................................... 101 Hervé Télémaque.......................................................................................... 102 Flânerie au cœur de la Namibie.................................................................... 104
SPORT
L'Afrique s'invite au Tour de France.............................................................. 106
Carte.............................................................................................................. 108 Données sur l’Afrique.................................................................................... 109
Abonnement...................................................................................................110
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LE MAGAZINE DE L’AFRIQUE / THE AFRICA MAGAZINE
SOMMAIRE
COVER / SPECIAL REPORT
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ÉDITO EDITORIAL
À QUAND LA PAIX ?
De l’autre, à l’Ouest, Abdelhakim Belhadj, soutenu par le Qatar, la Turquie, et Bernardino León, l’envoyé spécial de l’ONU avec qui il partage une volonté de réconciliation et de reconstruction de la Libye. Bien que le costume de démocrate d’Abdelhakim Belhadj ne fasse pas l’unanimité, une chose est sûre, l’homme est puissant et respecté par le peuple libyen qui se souvient de son combat acharné, sur le terrain, durant plus de 10 ans pour libérer la Libye du dictateur Kadhafi. In Fine, le peuple libyen et les chefs de tribus qui divisent sans vergogne la Libye, sont-il prêts pour un gouvernement d’union nationale ? Entre analyses, débats et rencontres, c’est l’objet de notre dossier COVER. Aussi, 54 États dans ce numéro, vous invite à la rencontre d'un pays méconnu de tous et qui pourtant mérite d’être découvert autrement que pour figurer sur la liste américaine des États qui soutiennent le « terrorisme ». Il s’agit là du Soudan ! Au programme : secteur de la santé, agriculture, pétrole. Tout y est passé en revue pour interpréter au-delà des chiffres, des statistiques et des points clefs liés à l’économie, comment la population fait face à l'embargo ? Nos analystes ont aussi fait un tour d’horizon sur le déroulement des élections au Nigeria et en Israël. Et d’ores et déjà, nous vous promettons, chers lecteurs, un numéro complet sur les élections sur le continent d’ici à 2016. Enfin, avec un peu d'avance avant l'été, nous vous proposons de découvrir la Namibie, fabuleux pays d’Afrique australe. Priscilla WOLMER Directrice de la publication
The year of reconciliation with Africa, according to Pope Francis, will be 2015. Good news for the UN special envoys who have increased unproductive discussions in order to restore peace and motivation to the countries trapped in war with no end in sight. Libya leads on this dark list. It has been a long four years! The entire world wants to know: how will this end? On one hand, in the east, we have General Haftar, emerging from the Tobrouk government, nestled within the soft and green hills of the peaceful city of Marj, between Benghazi and Derna. Is he really suitable? Supported by Egypt, the UAE and…some villagers, sometimes coming from Tripoli to lend a hand armed with their only weapon, the strongest determination in the world…in fact, because of the UN embargo, the lack of weapons and money cruelly make them fail, to the point that Khalifa Haftar made an official visit to King Abdallah II of Jordan to beg him to support his armed Libyan forces with training and military advice. On the other hand, in the west, we have Abdelhakim Belhadj, backed by Qatar, Turkey, and Bernardino León, UN special envoy with whom he shares a desire for the reconciliation and reconstruction of Libya. Although not everyone agrees on the democratic representation of Abdelhakim Belhadj, one thing is certain, the man is powerful and respected by the Libyan people who remember over ten years of his fierce combat to liberate Libya from Gaddafi’s dictatorship.
DIRECTRICE DE LA PUBLICATION, PUBLISHER
D’un côté, à l’Est, le général Haftar issu du gouvernement de Tobrouk, niché sur les douces et vertes collines de la ville paisible d'al-Marj, sise entre Benghazi et Derna, fait-il vraiment le poids ? Soutenu par l’Égypte, les Émirats arabes unis et… quelques villageois, venus parfois de Tripoli pour lui prêter main forte avec pour seule arme la meilleure volonté du monde… En effet, à cause de l’embargo de l’ONU, les armes et l’argent semblent leur faire cruellement défaut, au point que le Khalifa Haftar s’en est allé, en visite officielle, supplier le roi Abdallah II de Jordanie de soutenir les forces armées libyennes par la formation et des conseils militaires.
WHEN WILL THERE BE PEACE? Priscilla WOLMER
2015 serait l’année de la réconciliation pour l’Afrique d’après le pape François. Bonne nouvelle pour les envoyés spéciaux de l’ONU qui multiplient les discussions stériles dans le but de ramener la paix, et excellente motivation pour les pays en guerre interminable. La Libye figure en pôle position de cette liste sombre. Quatre ans que ça dure ! La question que le monde entier se pose ? Comment s’en sortir ?
So, are the Libyan people and the tribal chiefs who shamelessly divide Libya ready for a nationally united government? Through analysis, debates and meetings, this is what we aim to find out through our COVER report. In this issue, 54 ÉTATS invites you to discover a country ignored by all and that nevertheless deserves to be known for something other than being on an American list of "terrorist" states. Have another look at Sudan! On the agenda: healthcare, agriculture, oil. Everything reviewed was examined to further understand how, according to the figures, statistics and key points tied to the economy, the population was faring in the face of the embargo. Our analysts also provided an overview of the unfolding elections in Nigeria and Israel. We can already promise you, dear readers, a complete issue on the elections which will take place on the continent here in 2016. Lastly, we invite you to discover Namibia, a fabulous country in Southern Africa. Priscilla WOLMER Publisher - owner of the publication
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L’HISTOIRE, UN ÉTERNEL RECOMMENCEMENT ? Il y a plus de treize siècles que l’islam a pénétré en Libye avec les troupes d’Amr ibn al As, qui après avoir conquis l’Égypte en 640, pour le compte du Calife Omar, saisit la Cyrénaïque. La Libye n’a aucun problème d’identité et le peuple libyen quel que soit le choix de son leader n’acceptera personne qui ne serait pas musulman. Sur cela, au moins, tous s’entendent. Aujourd’hui, le pouvoir central a disparu et la Libye retourne aux logiques anciennes des clans régionaux et tribaux. Le retour du fédéralisme comme au temps d’Idriss Ier, est-ce là, la solution pour mettre un terme au conflit libyen ou serait-il préférable de maintenir un État unitaire afin d’espérer un essor de ce pays qui fut, il y a quatre ans, avant la guerre, une puissance pétrolière mondiale ? C’est l’imbroglio complet !
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HISTORY: ENDLESSLY REPEATING ITSELF? It has been over 13 centuries since Islam has made a home in Libya by way of the Amr ibn al As troops. After having conquered Egypt in 640 on behalf of the Omar Caliph, it seized Cyrenaica. Libya has a strong national identity, and the Libyan people, whoever their choice may be in leader, will not accept anyone who is not a Muslim. At least on this, everyone agrees.
Le temps n’est malheureusement pas aux votes. Dans certaines villes, comme Syrte ou Derna, le silence de la nuit laisse place aux tirs d’armes à feu perpétrés par les puissantes milices armées et par Daech. Daech, cette mauvaise herbe envahissante qui voudrait coloniser la Libye. Là-bas, une grande partie du problème vient du fait que les chefs de tribus ne s’entendent pas pour soutenir un gouvernement d’union. Pour l’heure, seul le peuple qui a arraché son indépendance le 17 février au prix du sang, semble rester le pauvre, mais digne maître du jeu. Un jeu bien complexe où deux hommes forts, l’un à l’Ouest, l’autre à l’Est s’écharpent pour gouverner la Libye post-Kadhafi et ramener l’ordre, le calme et la prospérité au sein de cet immense (1 769 000 km2) territoire. Mais là, aucune puissance occidentale n’affirme clairement son soutien à l’une ou l’autre des parties. À Amman, le général Haftar, nommé chef de l’armée, cherchait hier encore à obtenir des armes pour ses troupes, malgré un embargo de l'ONU. Tandis qu’à Alger, Abdelhakim Belhadj, aux côtés de l’espagnol Bernardino León, chef de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MISNUL), entamait un nouveau round de dialogue propice à une solution politique positive et pacifique au conflit. L’Afrique ? Sur les seuls États directement concernés par le conflit : Algérie, Tunisie, Soudan, Égypte, Tchad ; uniquement l’Algérie et l’Égypte affirment haut et fort leur appui envers l’Est ou l’Ouest du pays quand l’Europe demeure passive face à la menace djihadiste, qui plane sur son continent. La peur de choisir le mauvais camp et de perdre les contrats qui pourraient sauver son économie est sans doute trop grande.
Today, centralized power has disappeared and Libya is returning to the old ways of the regional clans and tribes. There has been a return to federalism, as in the time of Idriss I: is this really the solution to end the Libyan conflict? Or would it be preferable to maintain a unified government while waiting and hoping for the rise of this country, which, only four years ago before the war, was a global power? It’s a total imbroglio! Sadly, time is not up for votes. In some cities, like Syrte or Derna, the silence of the night gives way to gun fire perpetrated by powerful armed militias and by Daech, the spreading weed that would love to plant roots in Libya. There, a large part of the problem comes from the fact that the tribal chiefs do not agree on how to support a unified government. For now, only the people who have won their freedom at the price of blood on February 17, seem to remain the poor but dignified masters of the game. A complex game in which two strong men, one in the west, the other in the east, vie to govern post-Gaddafi Libya and bring order, calm and prosperity to the heart of this immense (1,769,000 square kilometers) territory. And not one western power can clearly pledge its support for either of these parties. In Amman, General Haftar, named head of the army, looked again to obtain weapons for his troops, despite an embargo by the UN. While in Algiers, Abdelhakim Belhadj, along with the Spanish Bernardino León, head of the United Nations Support Mission in Libya (UNSMIL), opened up a new round of dialogue aimed at finding a positive and peaceful political solution to the conflict. And Africa? Of the countries directly affected by the conflict: Algeria, Tunisia, Sudan, Egypt, Chad ; only Algeria and Egypt affirmed, loud and clear, their support for the east or west of the country, while Europe remains passive in the face of the jihadist threat that hovers over its continent. The fear of choosing the wrong side and of losing contracts that could save its economy is, without a doubt, paralyzing.
En clair, ce dossier COVER spécial Libye vous offre une analyse complète de la situation. Un examen critique permis par la contribution de nombreux intervenants, tous experts du monde arabe et de la Libye. Ici, chers lecteurs, 54 ÉTATS, vous apporte une étude de la situation très précise avec le souci de vous livrer une information aussi fiable que claire. Nos journalistes ont bravé le danger et multiplié les reportages en Libye, les rencontres avec chacun des protagonistes et ce jusqu’à la dernière minute.
Simply put, this COVER special on Libya offers a complete analysis of the situation. A critical examination made possible by the contribution of researchers, specialists and experts of the Arab world and Libya. Here, dear readers, 54 ÉTATS, the Magazine of Africa brings you a very precise study of the Libyan situation. In order to provide reliable and clear information, our journalists braved danger and ramped up their reports in Libya through meetings with each of the players right up to the very last minute.
54 ÉTATS, le magazine de l'Afrique
54 ÉTATS, the Africa magazine
TUNISIE
TRIPOLI
MER MÉDITERRANÉE AL-MARJ
MISRATA
BENGHAZI
DERNA TOBROUK
ZINTANE SYRTE
TRIPOLITAINE
FEZZAN
LIBYE
Touareg
ÉGYPTE
CYRÉNAÏQUE
ALGÉRIE
Toubou
TCHAD
LIBYA
SOUDAN
COUNTRY PROFILE 24 december 1951
1 759 540 Km² Tripoli 6,24 millions
Tripoli : Congrès général national réactivé par la coalition de milices islamistes Fajr Libya (Dawn of Libya) au pouvoir à Tripoli.
3 habitants/ Km²
Tobrouk : Chambre des représentants, parlement libyen élu en juin 2014 et exilé à Tobrouk. Reconnu par la communauté internationale. Benghazi, Syrte, Derna : présence de salafiste d'Ansar al Charia.
27 ans
Derna et Syrte : présence de l'État islamique. Misrata : fief de Fajr Libya et ville martyre de la révolution.
89,5 %
Gisements d'hydrocarbures.
$ 73,6 billion Libyan Dinar
Armée régulière et soutiens au parlement de Tobrouk.
Fajr Libya (Dawn of Libya) et ses soutiens.
(Source : CIA/The World Factbook)
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Abdelhakim
JE VEUX QUE LE PEUPLE VOIE LA NAISSANCE D'UNE NOUVELLE LIBYE
par Hervé PUGI
© Arnaud Longatte
La parole d’Abdelhakim Belhadj est rare donc précieuse. L’ancien ennemi n°1 du régime de Kadhafi se fait discret dans une Libye ravagée par les luttes intestines. Pour autant, le libérateur puis gouverneur militaire de Tripoli compte bien jouer un rôle, pas des moindres, dans la reconstruction de la nouvelle Libye. De l’ombre à la lumière, l’enfant de Souk al-Juma aura connu une trajectoire incroyable. Son combat : débarrasser son pays de Kadhafi. Paradoxalement, traqué par le Guide et ses sbires, Abdelhakim Belhadj sera capturé en 2004 en Malaisie par le MI6, torturé, puis livré par la CIA à la Jamahiriya. Libéré en 2010, ce presque quinquagénaire (qui n’a jamais adhéré au concept de djihad global, prôné par un certain Oussama Ben Laden) endossera naturellement le costume de leader de la révolution libyenne lors du soulèvement de 2011. Désormais leader du parti El-Watan, Abdelhakim Belhadj a accepté d’accorder une interview exclusive à 54 ÉTATS.
Abdelhakim Belhadj rarely gives interviews. The former number one enemy of Gaddafi’s regime continues to maintain a low profile in a war-torn Libya struggling with internal conflicts. Nevertheless, this liberator, who was to become the commander of the Tripoli Military Council, is determined to play a role, and a significant one at that, in the shaping and rebuilding of a new Libya. Out of the shadows and into the limelight: the incredible life and career of this native of Souq al Jum’aa have been notably marked by his striving to rid his country of Gaddafi. Ironically, hunted by the Guide and his henchmen, Abdelhakim Belhadj was arrested in Malaysia in 2004 by MI6. After being tortured, the CIA then handed him over to the Jamahiriya. Released in 2010, this man, now approaching his fifties, (who has never adhered to the concept of global Jihad advocated by a certain Osama Bin Laden), quite naturally took on the role as leader of the Libyan revolution on the occasion of the 2011 uprising. Now leader of the Al-Wattan Party, Abdelhakim Belhadj granted an exclusive interview to 54 ÉTATS. Translation from French: Susan Allen Maurin
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54 ÉTATS : Abdelhakim Belhadj, certains vous qualifient de prochain « homme fort » de la Libye. Qu’est-ce qui vous fait penser que vous avez la légitimité de gouverner le nouvel État libyen ? Abdelhakim Belhadj (A. B.) : Concernant le pouvoir et l’équilibre des forces, je dois souligner que la Libye est entrée dans une nouvelle ère depuis le soulèvement du 17 février 2011. Je suis l’un de ceux qui ont participé aux premiers développements de cet événement historique. Je me considère comme l’un de ceux qui ont déclenché cette révolution. Le 17 février 2011, nous nous sommes dressés avec mes camarades. Pour autant, je n’ai pas réclamé le pouvoir. Dans ces conditions, je ne peux pas être qualifié comme étant celui qui détient le pouvoir ou être le seul à pouvoir y prétendre. 54 ÉTATS : Un « homme fort » : est-ce dont la Libye a besoin ? A. B. : Il faut prendre en considération que, pendant quatre décennies, la Libye a été soumise au totalitarisme. Ce régime s’est maintenu à la tête du pays par la dictature. La Libye n’acceptera plus d’être gouvernée de la sorte désormais. Nous voulons construire un État civil, qui gouvernera de manière apaisée dans l’intérêt de son peuple. Si une présidence doit émerger, elle devra être puissante et sereine.
54 ÉTATS: Abdelhakim Belhadj, some call you the next "strong man" of Libya. What makes you think you have the legitimacy to govern the new Libyan state? Abdelhakim Belhadj (A. B.): Regarding the power and the balance of power, I have to underline that we have been entering a new era since the Libya 17th February 2011 uprising. I am one of the people who contributed to the very early development of this historical event. I consider myself as one of the people who triggered this revolution. On 17th February 2011, I stood there with my colleagues but I did not claim that I hold the power. Under these circumstances, I cannot be defined as being the one or being the only one to hold the power. 54 ÉTATS: A "strong man": is it what Libya needs? A. B.: We have to take into consideration that during four decades Libya was submitted to totalitarianism. Through dictatorship, this regime elongated its presence in this country. Libya will not accept to be governed according to the same policy. We want to build a civilian state which adopts a peaceful way of granting power to the best people who live there. If we have a presidential regime, it shall be powerful and trustful.
WE WANT TO BUILD A CIVILIAN STATE WHICH ADOPTS A PEACEFUL WAY OF GRANTING POWER A. B : Nous ne tolérons pas Daech. Nous n’acceptons pas le massacre d’êtres humains. Ces tueries n’ont rien à voir avec l’Islam. Nous avons dès le départ clamé haut et fort que nous rejetions le massacre de civils. Je le répète, ceci n’a rien à voir avec l’Islam. J’insiste sur le fait que nous nous sommes toujours opposés à ce type d’action. Les Libyens se sont dressés contre le dictateur Kadhafi au cours de la révolution. Je pense qu’ils ont le droit de voter pour le futur de la Libye et de choisir le leader du gouvernement. Et personne ne peut priver le peuple libyen de ce droit. Daech s’inscrit dans une idéologie radicalement différente. Les Libyens choisiront la bonne personne. Lorsque nous parlons de l’islam, nous devons nous référer à l’histoire. Depuis treize siècles, la Libye est un pays islamique et les Libyens ne se posent pas la question de leur identité puisqu’ils savent parfaitement qui ils sont. Ils n’ont pas besoin que l’Islam leur soit enseigné ! La question se posait en Libye lorsque Kadhafi donnait sa propre interprétation de l’Islam et sa vision du prophète.
54 ÉTATS: There are rumours circulating that you are the leader of Daech. How do you respond to these allegations? A. B: We do not tolerate Daech. We cannot accept the killing of human beings. These murders do not represent Islam. From the very beginning, we have always insisted that we do not condone the murdering of civilians. This has nothing to do with Islam. I want to stress the fact that we have always been against this. The Libyans were all working together against the dictator Gaddafi during the time of the revolution. They have the right to vote for the future of Libya and to choose the leader of the government. And nobody can take this right away from the Libyans. Daech has something radically different in mind. Libyans will choose the right person for the job. When we talk about Islam, we need to look back in history. For thirteen centuries, Libya has been an Islamic country and the Libyans don’t question their identity because they know perfectly well who they are. They do not need Islam to be taught to them! This issue was raised in Libya when Gaddafi was expressing his own interpretation of Islam and his own vision of the prophet.
54 ÉTATS : Qui, selon vous, se cache derrière ces rumeurs?
54 ÉTATS: Who do you believe is behind these rumours?
A. B : Ceux qui soutenaient Khadafi ! Ceux qui faisaient partie du régime de Khadafi et qui se prononçaient en faveur de son retour ! Nous savons exactement quelles sont les personnes qui veulent ternir notre image et celles qui les appuient depuis l’étranger. Nous leur délivrons le message suivant : nous disons ce que nous pensons et agissons en fonction de nos convictions et personne ne pourra rien y changer.
A. B: The people who were supporting Gaddafi! Those who were part of Gaddafi’s regime and who were declaring that Gaddafi’s regime should be back in power! We know exactly who are the people who want to tarnish our image and the people who support them from abroad. And our message for them is the following: we say and we do what we believe in and no one can change that.
© Surian Soosay
54 ÉTATS : Quelle est votre réaction face aux rumeurs qui vous ont présenté comme étant le leader de Daech?
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© AFP
54 ÉTATS : Est-ce que la Libye a un futur démocratique ?
STATE RULES SHALL BE RESPECTED BECAUSE THESE RULES SHALL BE NEEDED FOR LIVING TOGETHER
A. B. : Sans aucun doute. C’est ce que nous cherchons, ce que nous souhaitons. C’est un concept politique dont nous devons débattre avec la population. Nous devons bâtir une culture d’acceptation des autres. Il nous faut nous ouvrir à la culture du compromis et du vivre ensemble. 54 ÉTATS : De nombreux Libyens nous ont expliqué qu’une réconciliation nationale représentait un challenge impossible. La création d’une fédération, avec une large autonomie accordée aux régions, pourrait apparaître comme la meilleure solution pour le futur de la Libye. Quelle est votre opinion ? A. B. : Tout d’abord, je ne suis pas d’accord avec cette affirmation qui consiste à dire que la plupart des Libyens souhaitent le Fédéralisme. En revanche, j’affirme avec certitude que 100 % des Libyens veulent une Libye unie et ils n’accepteront pas que leur pays soit divisé. Ceux qui soutiennent le fédéralisme le font car ils rejettent toute proposition venant de Tripoli. Ils veulent que le gouvernement soit décentralisé. Le fédéralisme ne constitue pas une bonne solution pour la Libye. 54 ÉTATS : De ce fait, vous accepteriez de collaborer avec Haftar ou al-Thani ? A. B. : Pour être honnête, Haftar est une part du problème. M. al-Thani, le Premier ministre de transition, est faible. Il n’a aucune feuille de route pour la Libye et c’est là son plus gros problème.
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54 ÉTATS: Does Libya have a democratic future? A. B.: Undoubtedly. This is what we seek. This is what we want. This is the political concept we have to debate about with people. We have to build a culture of accepting others. We have to accept the culture of talking and living with each other. 54 ÉTATS: Many Libyans explained to us that reaching a national reconciliation would be an impossible task. The creation of a federation, with sweeping autonomy granted to the regions, seems like it could be the best solution for the future of Libya. What is your opinion? A. B.: First of all, I disagree with the suggestion that most Libyans want federalism. What I am sure is that 100 % of Libyans would like a united Libya and will not accept the country to be divided. Those who support federalism do so because they reject any proposal coming from Tripoli. They want the government to be decentralised. Federalism is not the right solution in Libya. 54 ÉTATS: Consequently, you will accept Haftar or Al-Theni? A. B.: To be honest, Haftar is a component of the problem. Mr Al-Theni, the transit PM, is weak. He has not defined the map to follow in Libya and this is his biggest problem.
54 ÉTATS : Et quid d’Ansar al-Charia ? A. B. : Ansar al-Charia est notre problème et il faut le résoudre. Nous devons réaliser le diagnostic approprié, sans cela nous ne parviendrons pas à le solutionner. Ansar al-Charia s’est implanté dans notre société avec une idéologie qui exclut l’autre et les différentes façons de penser. Nous appelons donc au dialogue afin de toucher ces jeunes enclins au fanatisme et les réinsérer dans une société qui ressemblerait et n’exclurait personne. Nous devons remédier à la question de ces jeunes radicalisés. Nous n’utiliserons pas la force, dans un premier temps. Nous tenterons d’user de la scolastique. L’État et les règles étatiques devront être respectés parce que ces règles sont nécessaires pour vivre ensemble. 54 ÉTATS : Quelle sera votre priorité si vous accédez aux responsabilités ? A. B. : La sécurité est notre priorité. Clairement, si nous voulons mettre en œuvre une quelconque politique de développement (enseignement, éducation, santé, etc.), il apparaît primordial de rétablir la sécurité, notamment à nos frontières. Cela constitue une première étape qui facilitera la reconstruction et le développement de notre pays. 54 ÉTATS : Pouvez-vous gouverner la Libye sans avoir la mainmise sur le pétrole ? A. B. : Quand nous parlons de mécanisme de contrôle, nous ne considérons pas que l’utilisation de la force est le seul moyen de contrôler le pouvoir. La force doit être utilisée en dernier ressort. Nous avons plus important à faire. Nous devons rebâtir les finances du pays. Nous devons redonner aux banquiers nationaux leur prépondérance. Nous devons prendre des décisions qui bénéficieront au pays. Le peuple est notre principale priorité. 54 ÉTATS : Ce que nous voulions dire, c’est que vous aurez besoin de cet argent pour reconstruire le pays ? A. B. : Nous plaçons le dialogue et l’intérêt national par-dessus tout. Le dialogue est essentiel. Nous tenons à reconstruire notre État à travers les institutions étatiques. Quand nous aurons un pouvoir central, nous redistribuerons l’argent reçu à ces institutions. Notre problème actuel est que nous n’avons pas une vision suffisamment claire de la manière dont est dirigé le pays, dont l’État gouverne. C’est la prééminence du pouvoir des institutions qui assurera le respect du peuple envers l’État.
54 ÉTATS: And what about Ansar al-Charia? A. B.: Ansar al-Charia is our problem and it requires a solution. We have to make an appropriate diagnosis otherwise we will not remedy this problem. Ansar al-Charia entered our society with an ideology which excludes other people and other ways of thinking. Consequently, we call for the adaptation of a dialogue, of a mental dialogue, allowing to talk to young people prone to fanaticism and to take them back to their society which is including every one and not excluding anyone. Obviously, we have to remedy the issue of radical youths. We will not use persuasion as a first step. We have to use scholastic ways to talk to these youths. State and state rules shall be respected because these rules shall be needed for living together. 54 ÉTATS: What would be your priority if you had access to state responsibilities? A. B.: Security is our priority. Indeed, if we want to implement any development policy (linked to education, health, etc…) we have to build security. This constitutes a first step that will facilitate the rebuilding and the development of the country. 54 ÉTATS: But can you govern Libya without being in control of fields? A. B.: When we talk about mechanism of control, we do not consider the use of force as the only way of assisting control. Force should be used only as a last resort. We have more important things to do. We have to end the dividing of the finance of the country. We have to place our national bankers above everything. We have to take decisions beneficial to our country. People is our utmost priority. 54 ÉTATS: In fact, we meant that you needed money to rebuild the country? A. B.: We place dialogue and national interest above all. Dialogue is our first priority. We want to reconstruct our state using the state institutions. When we have a centralized power we will use money to give it to the institutions. Our current problem is that we do not have a clear vision of the way of managing the country, of the way of managing the state. Hence, affirming the presence and power of institutions will assure the respect of people towards State.
© Surian Soossay
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54 ÉTATS : Vos détracteurs, en particulier dans le camp du général Haftar, affirment que vous avez pillé la Libye pour vous enrichir personnellement. Que répondez-vous à cela ? A. B. : Cela fait partie des rumeurs destinées à ternir notre image et tendant à soutenir, sans preuve, que nous contrôlons les affaires en Libye. J’engagerai des poursuites juridiques contre toute personne affirmant que j’utilise le pays à des fins illégales puisqu’il s’agit de diffamation. La justice sert précisément à cela. Je vous parie même qu’à la suite de cet interview les gens vous insulteront et affirmeront que vous êtes sous contrat avec nous. 54 ÉTATS : Pensez-vous que l’action de l’OTAN a aidé la Libye ? La chute de Kadhafi et de son régime n’était-elle pas possible sans une intervention extérieure ? A. B. : Nous ne pouvons nier l’élan donné à la Libye par l’intervention de l’OTAN. Les Libyens n’oublieront pas ce 19 mars lorsque des troupes, sur ordre de Kadhafi, ont marché vers Benghazi pour la détruire et massacrer la population qui s’y trouvait. L’aide de nos amis de l’OTAN a été essentielle. Que ce soit sur le terrain ou d’un point de vue politique, il ne faut pas sous-estimer l’action menée par les pays de l’OTAN et par ceux qui ont aidé les Libyens dans leur révolution. Pour autant, nous ne pouvons pas nier l'importance des actions menées sur le terrain. 54 ÉTATS : Quel regard portez-vous sur l’initiative de Bernardino León ? Croyez-vous en la formation d’un gouvernement d’unité nationale et le soutiendrez-vous ? A. B. : La mission impartie à M Bernardino León en Libye n’est pas aisée. Du fait de la présence des tribus, le pays est divisé. Nous respectons l’action de M. Bernardino León. Je suis d’accord avec les principes de réconciliation et de constitution d’un gouvernement d’union nationale qui travaillera depuis Tripoli et obtiendra le soutien de l’ensemble des régions libyennes. Le gouvernement reformera de façon régulière une armée, récupérera les 20 millions d’armes et poursuivra son combat contre le terrorisme. Oui, absolument, nous soutenons l’action de M. Bernardino León. 54 ÉTATS : Regrettez-vous la manière dont Kadhafi est mort ? N’auriez-vous pas souhaité qu’il soit jugé ? A. B. : J’ai vécu l’expérience de la prison et de l’injustice. Une cour m’a condamné à mort en moins de quinze minutes. Je ne le souhaite à personne. Je veux croire que si Kadhafi avait été traduit en justice, il aurait été condamné à mort. Je n’aurais pas assez de temps pour lister les actes criminels perpétrés par Kadhafi. Néanmoins, je peux affirmer que ce ne sont pas seulement les Libyens mais toute la région et le monde entier qui ont subi ces actes. Nous ne devons pas regarder en arrière sinon pour en tirer des leçons. 54 ÉTATS : En un mot, voulez-vous un procès en Libye pour Seif al-Islam ? A. B. : Oui, bien sûr.
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54 ÉTATS: Your detractors, in particular those in General Haftar’s camp, claim that you plundered Libya to increase your personal wealth. How do you respond to that? A. B.: This is part of the rumours going around intended to tarnish our image. They are trying to show, without any evidence, that we control business in Libya. I will bring legal proceedings against anyone asserting that I acted illegally, because it’s defamation. Justice will be served! You can even bet that following the interview I am giving for your magazine, people will insult you and affirm that you are under contract with us. 54 ÉTATS: Do you think the NATO action has helped Libya? The fall of Gaddafi and his regime: wasn’t this event possible without outside intervention? A. B.: We cannot deny that the NATO action has given a momentum for Libya. Libyans will not forget the day when on March 19th troops ordered by Gadaffi went to Benghazi in order to destroy it. The help of our friends in NATO was essential to stop these troops from going to Benghazi, from destroying the city and from killing people inside it. On the ground and from a political point of view, we cannot underestimate the action carried out by the NATO countries and our friends so as to help Libyans in their revolution. Nevertheless we cannot deny the importance of the actions effectively led. 54 ÉTATS: What do you think of the initiative led by Bernardino León? Do you believe in the formation of a national unity government and will you support it? A. B.: Bernardino León’s mission in Libya is not an easy one. Because of the tribes, the country is divided. We really respect what Bernardino León is doing. I agree with the principles of the reconciliation and the constitution of one national unity government. And this government will work from Tripoli and will get the support of all Libyan regions. This government will appropriately rebuild the army, collect the 20 million weapons and continue to fight against terrorism. Yes, we absolutely support Bernardino León’s initiative. 54 ÉTATS: Do you regret the way Gaddafi has gone? Wouldn’t you have preferred a trial?
JE VEUX CROIRE QUE SI KADHAFI AVAIT ÉTÉ TRADUIT EN JUSTICE, IL AURAIT ÉTÉ CONDAMNÉ À MORT 12
A. B.: I had experienced injustice in prison. A court sentenced me to death in less than fifteen minutes. I do not wish this to anybody. I do believe that if Gadaffi had been brought to justice he would have been sentenced to death. I do not have time to tell you about the criminal acts made by Gadaffi. Nonetheless, I can assert that not only Libyans but also the whole region, the entire world suffered from his criminal acts. We must always look straight ahead, we must not look back except for taking lessons from the past. 54 ÉTATS: Do you want a trial for Saïf al-Islam in Libya? A. B.: Yes, of course.
54 ÉTATS : Pour rebondir sur l’idée de justice. Que comptez-vous faire avec Bachir Saleh Bachir qui est actuellement réfugié en Afrique du Sud ? A. B. : Si nous devons parler d’une nouvelle ère pour la Libye, celle-ci devra s’enraciner dans la justice. Je tiens à inviter tous les Libyens expatriés à nous rejoindre afin de bâtir une nouvelle Libye. La justice libyenne se doit de poursuivre certaines personnes. Nous garantissons et nous travaillons à garantir l’ensemble des droits à tous les Libyens. Ils auront tous les droits pour se défendre et, bien sûr, ils pourront pleinement les utiliser. Nous voulons poser les fondations d’un État libyen complètement nouveau, réconcilié.
54 ÉTATS: To rebound about the idea of justice. What will you do about old regime people outside Libya? A. B.: We need to talk about the new age of Libya which shall be rooted in justice. I want to invite all Libyans outside Libya to join us in order to build the new Libya. Libyan justice might pursue some people. We guarantee and we are working so as to guarantee all rights of Libyans. For that reason, we will give them all rights to defend themselves and, of course, they may avail themselves of these rights. We want to lay down the foundation of a completely new Libya on the principle of reconcilement.
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54 ÉTATS : Votre vie est comme un roman. Des montagnes de l’Afghanistan à la prise de Tripoli, en passant par un enlèvement par la CIA et la prison d’Abou Salim, vous arrive-t-il de regarder derrière vous ? Quel est votre sentiment sur votre vie ? A. B. : Ma vie est un combat pour la liberté. C’était une lutte contre un régime qui usait du terrorisme contre la communauté internationale. Pour cette raison, le monde entier s’est dressé avec nous le 17 février. Nous n’avons jamais mené d’activités terroristes. Nous n’étions pas des terroristes. Nous n’avons jamais appelé au terrorisme. Au contraire, nous avons toujours donné notre lecture et partagé nos opinions avec la jeunesse pour la convaincre de ne pas plonger dans le terrorisme. Nous avons écrit un livre de 420 pages pour dissuader les jeunes de tomber dans le fondamentalisme.
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54 ÉTATS : Vous avez été enlevé et torturé par la CIA puis le MI6. Après de telles expériences, quelle est votre opinion sur les démocraties occidentales qui promeuvent des valeurs de paix et de fraternité et dénoncent la barbarie de l’Islam ? A. B. : Avant tout, je veux dire que ce que nous avons traversé avec mon épouse était juste inhumain et misérable. Leurs actes n’ont pas seulement impacté ma famille ou ma personne mais cela a aussi brisé ces grands principes qu’ils nomment justice et respect de la dignité humaine. Ils ont trahi ceux qui avaient mis leur confiance en eux. Ils ont agi en contradiction avec les droits de l’Homme. Ils m’ont vendu à un régime qui commettait des atrocités. Je pourrais vous rappeler les actes criminels de Kadhafi : le meurtre à Londres d’un policier, l’attentat à la bombe de l’avion français UTA, l’explosion du vol 103 de la Pan Am à Lockerbie en Écosse et celle d’un café à Berlin en Allemagne. Je n’étais pas le responsable de ces actes. Paradoxalement, en me renvoyant en Libye, ils ont aidé un régime qui leur déplaisait fortement. 54 ÉTATS : Est-il facile de passer de trente ans de combat armé et de clandestinité à une vie en pleine lumière ?
LIBYA HOLDS ASSETS WHICH WILL ENABLE IT TO HAVE A BRIGHT FUTURE 14
A. B. : Nous étions des activistes politiques engagés contre le régime de Kadhafi. Mon groupe avait l’intention de renverser Kadhafi par la force et nous avons tout fait pour y parvenir. Mais je dois insister sur un point important : notre lutte n’est jamais sortie des frontières libyennes. Nous avons juste cherché à libérer les Libyens du régime de Kadhafi. Puis, nous avions pris la décision claire d’arrêter nos actions du vivant de Kadhafi. Mais quand les Libyens ont fait leur révolution, nous devions être à leurs côtés. Ce n’était pas uniquement notre révolution. L’ensemble de la communauté internationale et l’OTAN nous ont soutenus. Dorénavant, nous devons construire un État civil.
54 ÉTATS: Your life is like a novel. From the mountains of Afghanistan to taking Tripoli, through abduction by the CIA and the Abu Salim prison, have you ever looked back? What is your feeling on your life? A. B.: My life is a struggle for freedom. It was a struggle against a regime which exploited terrorism against international community. For that reason, the whole world stood with us on February 17th. We never carried out any terrorist activities. We were not terrorists. We never called for terrorism. On the contrary, we have always been giving lectures and we always been sharing our things and our thoughts with young people in order to convince them not to be terrorists. We possess a book of four hundred and twenty pages dissuading youths from becoming fundamentalists. 54 ÉTATS: You were kidnapped and tortured by the CIA as the MI6. After such experiences, what is your opinion on the Western democracies which promote values of peace and brotherhood and denounce the barbarity of Islam? A. B.: First of all, I have to say that what I experienced, what my wife had to experience was inhuman and miserable. Their way of acting did not only impact on me and my family but also broke their so-called principles of justice and respect of human dignity. They betrayed who trusted them. They acted in contradiction with a system defending human rights. They sent me back to a regime which committed atrocities. I can tell you about some of Gaddafi criminal acts: the murder in London of a police officer, the bombing of the UTA French flight, the bombing of the Pan Am Flight 103 in Lockerbie in Scotland and that of a Berlin café in Germany. I was not responsible for these terrorist acts. Paradoxically, sending me back to Libya, they helped a regime which annoyed them so much. 54 ÉTATS: Is it easy to switch from thirty years of armed struggle and clandestinity to a civilian life in broad daylight? A. B.: We were political activists against the regime of Gaddafi. My community had an ideal of overthrowing Gadaffi using force and we strived to supplant him. But I have to insist on a very important point: our struggle never spread out of Libyan borders. We sought to free Libyans from the regime of Gaddafi. We have always been surveying our thoughts, our capabilities, our way of thinking. The latest definition of our vision dates back before February 17th. We made a clear decision to stop what we were doing during the life of Gaddafi against Gaddafi. But when Libyans made their revolutions, we had to be by their side. It was not only our revolution. The whole international community and the NATO itself supported us. From now on, we have to build a civilian state.
54 ÉTATS : L’image d’un terroriste proche d’Al-Qaïda et d’Oussama Ben Laden vous colle à la peau. Quel est votre réaction à ce sujet ?
54 ÉTATS: A terrorist image close to al-Qaeda and Osama bin Laden sticks to your skin. What is your reaction about that ?
A. B. : Tous ceux qui ont réellement étudié la naissance, l’évolution et le développement de notre organisation reconnaîtront que notre unique objectif était la chute de Kadhafi et de son régime. Tout le monde sait que nous nous sommes opposés à Al-Qaïda. Nous l’avons clamé haut et fort avant 2001. Après avoir été enlevé par la CIA, je leur ai demandé de me transférer vers les États-Unis car je savais ce qui allait m’arriver en Libye. Ils m’ont répondu que je n’étais pas recherché par la justice américaine. Plus tard, j’ai compris pourquoi ils m’ont arrêté et pourquoi j’ai été détenu.
A. B.: Anyone who has clearly observed the organization which I was part of and anyone who wants to study how this organization was born, evolved and developed, will notice that our cause never had any other purpose than fighting Gaddafi and his regime. Every one knows that we were against Al-Qaeda. We claimed it loud and clear before 2001. After being kidnapped by CIA, I told them that they had to send me to USA because I knew what was going to happen to me in Libya. They answered me I was not wanted for American justice. Later, I understood why I was arrested and why I was detained.
54 ÉTATS : Quelques mots à propos de l’action judiciaire engagée en Grande-Bretagne ? A. B. : J’ai effectivement intenté une procédure légale devant les tribunaux britanniques pour le rôle joué par le MI6 qui m’a livré à une dictature. J’ai souffert des années. J’ai été torturé physiquement et mentalement. Ils m’ont offert une compensation financière. Mais parce que l’on parle de dignité, je réclame qu’ils confessent leurs actes ! Et parce qu’ils ont refusé de le faire, j’ai décidé de saisir la justice britannique. Je crois au système judiciaire britannique. La justice est essentielle, peu importe la religion, le statut social ou la couleur de peau. Nous attendons le verdict. Je n’appellerai pas à la vengeance parce que c’est la justice que je recherche, pour moi et les autres.
54 ÉTATS: Some words about your UK legal proceedings in Libya? A. B.: I have initiated some legal proceedings before UK courts regarding the bad role of the British MI6 which sent me back to a dictatorship. I suffered for years. I was tortured physically and mentally. I was offered financial compensation. And because this something related to dignity, I asked them to confess what they did. And because they did not accept it, I decided to go to the British courts. I trust the British court system. Justice is essential for all any human being, regardless religion, social background or colour. We are expecting the verdict. I will not call for revenge against anyone because I am seeking for justice for me and for others.
54 ÉTATS : Vous êtes un djihadiste. C’est une chose que vous assumez. Mais, finalement, qu’est-ce qu’être un djihadiste pour vous ?
54 ÉTATS: You are a jihadist. This is something you assume. But what is, ultimately, jihad for you?
A. B. : Mes camarades et moi avons lancé, pour des raisons politiques, une organisation. Nous n’avons jamais fomenté des actions terroristes dans le monde. Beaucoup de personnes de mon organisation habitaient dans des pays européens, en toute légalité, et ils n’ont jamais planifié de commettre un quelconque acte mettant en danger les États dans lesquels ils résidaient. Donc, il est totalement injuste d’attribuer à notre organisation une vision qui est très éloignée de celle que nous défendions.
A. B.: Me and my comrades put forward, for political reasons, this organization which I was part of. We did not adopt any project aiming at fomenting terrorist actions worldwide. Many people in my organization were residing in European countries legally and they never planned to commit any act jeopardizing the states where they were residing. Hence, it is totally unfair to attribute to our organization a vision which is very far from the one we stand for.
54 ÉTATS : Enfin, comment voyez-vous votre futur et celui de la Libye ? Sont-ils liés ?
54 ÉTATS: Eventually, how do you see your future and the future of Libya? Are they related?
A. B. : Chaque Libyen est lié à son pays ! La Libye a suffisamment d’atouts pour lui permettre d’envisager un avenir brillant. Nous avons besoin d’un peuple doté d’une farouche volonté et de bonnes capacités pour participer à la reconstruction du pays. J’espère que la lutte ne s’étendra pas parce que je veux que le peuple voie la naissance d'une nouvelle Libye.
A. B.: Every human being who is related to our state has a future related to this state. Libya holds assets which will enable it to have a bright future. We need people endowed with a strong will and good abilities in order to participate in the reconstruction of the country. I hope the struggle will not extend because I want people to see the birth of the new Libya.
© Ben Sutherland
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LE DERNIER VIRAGE THE LAST ROUND par Alexandre BLOT LUCA
PARTISAN DEVENU DISSIDENT DU RÉGIME DE KADHAFI, LE GÉNÉRAL HAFTAR A FAIT SON RETOUR EN LIBYE APRÈS VINGT ANS D’EXIL AUX ÉTATS-UNIS. IL COMBAT DÉSORMAIS LES MILICES DE TRIPOLI ET BENGAZHI À LA TÊTE DE L'ARMÉE NATIONALE LIBYENNE.
© European Commission DG
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FIRST A SUPPORTER, THEN A DISSIDENT OF GADDAFI’S REGIME, GENERAL HAFTAR RETURNED TO LIBYA AFTER A TWENTY-YEAR EXILE IN THE UNITED STATES. HE NOW FIGHTS AGAINST TRIPOLI AND BENGHAZI’S MILITIAS AS THE HEAD OF THE LIBYAN NATION.
©?
De l’URSS aux États-Unis, en passant par les geôles tchadiennes. Tout au long de sa vie, Khalifa Haftar aura connu une trajectoire mouvementée. Un parcours atypique et controversé, à l’image de la personnalité pour le moins trouble de ce membre de la tribu al-Ferjani. Aux premières loges lors de l’instauration de la Jamahiriya libyenne par Mouammar Kadhafi en 1969, le général Haftar se retrouve vite en disgrâce. Nommé chef d’état-major pendant la guerre opposant son pays au Tchad (1978-1987), il tombe aux mains des forces tchadiennes et se fait incarcérer. Sur le terrain, la Libye essuie un sérieux revers. Le militaire est alors désigné comme le principal responsable de cette déroute. La rupture est consommée. Kadhafi, peu prompt à soutenir son compatriote, se désolidarise totalement de celui qui fut l’un de ses lieutenants. Cet abandon, Haftar ne l’oubliera jamais. Il marque le début d’une longue traversée du désert pour l’ancien élève de l’académie militaire de Benghazi. Sorti de prison par l’entremise des États-Unis, Haftar pose ses bagages en Virginie, à quelques minutes seulement du siège de la CIA. De quoi alimenter les rumeurs les plus tenaces sur ses liens supposés avec la célèbre agence de renseignement américaine.
© DR
From the USSR to the United States, including a stint in Chadian prisons, Khalifa Haftar has led an eventful life. His unusual and controversial career reflects, to put it mildly, the personality disorder of this al-Ferjani tribal member. Placed in a ringside seat on the occasion of the inauguration by Muammar Gaddafi of the Libyan Jamahiriya, General Haftar soon falls out of favor with the Libyan dictator. He is appointed Chief of Staff during the Libyan-Chadian conflict (1978-1987) during which he is captured and incarcerated by the Chadian forces. Meanwhile, on the ground, Libya is suffering a serious setback. The General is designated as the prime culprit for this defeat, thus setting the seal on the rift. Gaddafi soon disavows his fellow countryman before completely dissociating himself from his former lieutenant. Haftar will never forget this abandonment that marks the beginning of a long period in the wilderness for this graduate from the Benghazi Military Academy. Haftar is released from prison following the intervention of the United States and he settles in Virginia, just a few minutes from the headquarters of the CIA, thus fuelling the persistent rumors about his alleged connections to the famous, American intelligence agency. 17
Patient, Haftar observe d’un œil avisé la situation dans son pays d’origine. Il attend son heure. Celle-ci viendra vingt ans plus tard, en mars 2011, à la faveur de la rébellion contre le guide suprême. Ne pouvant laisser passer cette occasion, Haftar retourne dans son fief de Benghazi. Son expérience du terrain et son aura auprès de soldats du régime ayant fait défection le replacent au centre du jeu. Il est nommé chef des forces terrestres par le Conseil national de transition, principale coalition de l’opposition libyenne basée à l’étranger. Très vite, son influence interpelle les nouvelles autorités, hantées par le spectre d’une nouvelle dictature militaire. Le général est écarté. Mais le chaos dans lequel s’engouffre la Libye ouvre une nouvelle brèche pour cet opportuniste, bien décidé à jouer sa partition. Le 14 février 2014, Haftar appelle à suspendre le gouvernement et le Parlement. Ce qui est alors vu par de nombreux observateurs comme une tentative de coup d’État restera lettre morte. Mais le haut gradé ne se décourage pas pour autant. Le 16 mai 2014, il lance l’opération Dignité , destinée à « lutter contre le terrorisme ». Appuyé par des puissances étrangères comme l’Égypte et les Émirats arabes unis, Haftar mène une offensive d’envergure contre les brigades islamistes à Benghazi et promet de faire tomber la ville en quelques jours. Une initiative que la communauté internationale s’est bien gardée de condamner. De là à parler d’un accord tacite entre les deux parties ? Pour Barah Mikaïl, directeur de recherche à la Fundacion para las relaciones internacionales y el dialogo exterior (FRIDE) et enseignant à l’université Saint-Louis à Madrid, il « bénéficie plutôt d’un soutien international mesuré de la part d’acteurs étrangers qui continuent cependant à ne pas y voir clair dans le jeu politique libyen. De plus, l’alliance de Haftar avec le parlement élu de Tobrouk et sa composition avec le gouvernement internationalement reconnu de Abdullah al-Thani lui donnent un ascendant supplémentaire. » 18
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"HAFTAR PARAÎT ÊTRE EN QUÈTE D'UNE FIGURE SEMBLABLE À CELLE DE DE GAULLE"
Sur le terrain, le natif d’Ajdabiya a su se poser comme l’ultime recours. À tel point que l’armée libyenne a fait marche arrière et le soutient désormais. « Haftar me paraît être en quête d’une figure semblable à celle du général De Gaulle, se voyant comme un libérateur indispensable pour le présent comme le futur du pays, estime Barah Mikaïl. Cependant, je ne crois pas qu’il soit le seul à pouvoir combattre les milices islamistes. Mais il apparaît comme étant un chaînon central pour une telle opération ». Fin stratège, le retraité de 72 ans n’a cependant jamais fait part officiellement de son désir d’accéder à la tête de l’État libyen. Il s’est seulement contenté de déclarer dans une interview accordée au journal panarabe Asharq Al-Awsat qu’il se tenait prêt « si le peuple fait appel à moi ». Mais dans un pays coupé entre deux parlements, l’un à Tobrouk et l’autre à Tripoli, Haftar est loin de faire l’unanimité, même si une partie de la société civile est derrière lui. « Il me paraît incontestable qu’il bénéficie d’un soutien populaire important, en Cyrénaïque bien sûr, mais également dans la Tripolitaine, explique Barah Mikaïl. La figure de Haftar est loin d’être une icône en Libye, mais les dénonciations qu’il diffuse à l’encontre de ses ennemis ont bel et bien du répondant. » Entre une scène islamiste morcelée, dont profite Ansar al-Charia et l’État islamique pour s’implanter, et la peur de voir le général prendre le pouvoir comme l’a fait Kadhafi avant lui, les Libyens n’ont de toute façon pas vraiment le choix. Haftar, lui, a réussi son pari : devenir un acteur sur lequel il faudra sûrement compter dans la future reconstruction de la Libye, n’en déplaise à ses plus fervents opposants. « Il sera incontestablement une figure importante pour l’avenir du pays, souligne le chercheur. En plus de ses connexions militaires et politiques importantes et de ses moyens d’affirmation conséquents, il a réussi, en peu de temps, à émerger en tant que figure nationale connue. Cela compte quand on veut garantir l’avenir d’un pays. »
AN ATTEMPTED UPRISING THAT WENT UNHEEDED Haftar keeps a watchful eye on the situation in his native country as he patiently waits for his hour of glory, which will come twenty years on, in March 2011, in favor of the rebellion against the Supreme Leader. Not wanting to miss out on this opportunity, Haftar returns to his stronghold, Benghazi. His field experience and the impression he makes on the regime’s defected soldiers enable him to return to the heart of the action. The National Transitional Council appoints him Commander in Chief of the Land Forces, the main Libyan opposition coalition based abroad. His influence soon alerts the new authorities, haunted by the specter of a new military dictatorship. The general is dismissed. But the chaos that is engulfing Libya offers a new possibility to this opportunist who is determined to play his part. On 14th February 2014, Haftar calls for the suspension of the government and the parliament. What is seen by many observers as an attempted uprising will go unheeded. But the high-ranking officer is far from being discouraged. On 16th May 2014, he launches "Operation Dignity" to "fight against terrorism". With the support of foreign powers such as Egypt and the United Arab Emirates, Haftar launches a major offensive against the Islamist brigades in Benghazi with the promise of bringing down the city in a few days; an initiative that the international community was careful not to condemn. Would we be going too far if we spoke of a tacit agreement between the two parties? According to Barah Mikaïl, Director of Research for FRIDE (Foundation for International Relations and Foreign Dialogue) and lecturer at Saint Louis University in Madrid, he "is receiving somewhat moderate, international support on behalf of the foreign actors who, nevertheless, still don’t have a clear vision of Libyan politics. Furthermore, Haftar’s alliance with Tobruk’s elected parliament and his compromise with the internationally recognized government of Abdullah al-Thinni give him an additional advantage." In the field, this native of Ajdabiya has succeeded in positioning himself as the last resort. So much so that
DES RENCONTRES EN TROMPE-L'ŒIL Alors qu’il avait promis de reprendre Benghazi en quelques jours, le nouveau commandant en chef de l’armée nationale libyenne éprouve les pires difficultés à se défaire de ses ennemis. Handicapé par l’embargo sur les armes prononcé par l’Union européenne et les États-Unis, le général Haftar peut cependant compter sur le soutien bienveillant de ses alliés, les Émirats arabes unis et l’Égypte en tête. En février dernier, l’ancien fidèle de Kadhafi devenu révolutionnaire s’est ainsi rendu deux fois au Caire pour se faire remettre une cargaison de 400 armes. Mais ce soutien matériel ne parvient pas à occulter le manque de formation de ses hommes. Soucieux d’y remédier, Haftar multiplie les rencontres. À la mi-avril, il s’est ainsi rendu en Jordanie pour s’entretenir avec le roi Abdallah II. Objectif ? Examiner « les moyens de soutenir les forces armées libyennes ». Mais cette entrevue avec le souverain hachémite pourrait en cacher une autre. Selon le journal Al-Quds Al-Arabi, Haftar en aurait également profité pour rencontrer des dignitaires israéliens susceptibles de former ses hommes au combat. Une hypothèse qui risque bien d’envenimer encore un peu plus la lutte sans merci à laquelle s’adonnent les deux principales forces militaires de la Libye.
the Libyan army backtracked and now supports Haftar. Barah Mikaïl states, "Haftar gives me the impression that he’s seeking to represent someone similar to General de Gaulle, considering himself as an indispensable liberator for the country at the present time and in the future. Nevertheless, I don’t think he’s the only one capable of fighting the Islamist militias. But he appears to be a key element for this type of operation". This brilliant strategist, who is now a 72 year-old pensioner, has never officially expressed his desire to become leader of the Libyan State. In an interview he gave to the Pan-Arabic newspaper Al-Sharq Al-Awsat, he simply declared that he was ready "should the people call on me". But in a country split between two rival parliaments, one in Tobruk and the other in Tripoli, Haftar is far from having everyone’s approval, even though part of the civil society is behind him. "I don’t think it can be disputed that he has a wide popular following, not only in Cyrenaica, obviously, but also in Tripolitania ", explains Barah Mikaïl. "Haftar is far from being an icon in Libya but the way he denounces his enemies definitely reveals his talent for repartee." Between a fragmented Islamist scene that Ansar alSharia and the Islamic State are making use of to implant themselves in the country and the fear of seeing the General coming to power in the same way as Gaddafi before him, the Libyans don’t really have a choice anyway. Haftar, for his part, has achieved his goal by becoming an actor to certainly count on in the future reconstruction of Libya, whether his fervent opponents like it or not. "He will undoubtedly be an important figure for the future of the country", points out the researcher. "In addition to his considerable military and political connections and his substantial means of assertion, in a short time, he has succeeded in emerging as a nationally known figure. And that counts when one wants to secure the future of a country." Translation from French: Rachel Wong
HAFTAR, SMOKESCREEN MEETINGS While he had promised to recapture Benghazi in several days, the new commander-in-chief of the Libyan national army is facing his biggest challenge in getting rid of his enemies. Crippled by the arms embargo by the EU and the US, General Haftar can, however, count on the kindly support of its allies, the United Arab Emirates and Egypt. Last February, the former Gaddafi supporter turned revolutionary went twice to Cairo to collect a shipment of 400 weapons. But this material support does not manage to hide the lack of training of his soldiers. Anxious to rectify this, Haftar scheduled more meetings. In mid-April, he traveled to Jordan to discuss with King Abdallah II. The objective? To examine “ways to support the Libyan armed forces”. But this interview with the Hashemite ruler could hide another engagement. According to the Al-Quds AlArabi newspaper, Haftar would have equally taken advantage of that encounter to meet with Israeli dignitaries that can train his men in combat. This hypothesis risks aggravating the fight just a little more ruthlessly between the two principal military forces in Libya.
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© Priscilla Wolmer
par Hervé PUGI
C’est dans son quartier général d’Al-Marj, à michemin entre Benghazi et Derna, que Khalifa Haftar a accepté de recevoir 54 États. L’occasion de partager quelques vues avec le commandant général de l’armée nationale. Décryptage d’un personnage, controversé, habité par le sens du devoir mais confronté à la dure réalité du terrain, forcément glissant. Alors, sinistre paria ou homme providentiel ? Début de réponse…
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Khalifa Haftar agreed to meet 54 États in the headquarters of Al-Marj, halfway between Benghazi and Derna. It's an occasion to share some views with the commander of the national army. Deciphering of a controversial character, driven by a sense of duty but confronted with the harsh reality of the battleground, of course slippery. So, is he a sinister pariah or the man of the hour? An answer is beginning to emerge...
© Karim Mostafa
Effervescence dans le QG d’Haftar. C’est jour de réception. Plusieurs dizaines de villageois, venus des quatre coins du pays selon nos interlocuteurs, ont fait le déplacement jusqu’à l’antre hyper sécurisé du général pour rencontrer leur « sauveur ». À Al-Marj, où il présida au destin de l’Académie militaire d’artillerie, Khalifa Haftar est en terrain conquis. Sans batailler, qui plus est. Le septuagénaire inspire le respect chez ses hommes, garde souvent juvénile un brin débraillée aux kalachnikovs vieillissantes. De fait, loin d’une stricte discipline toute militaire, la base ressemble à s’y méprendre à une étrange fourmilière, nerveuse et agitée. Rencontrer l’homme fort de l’opération « Dignité » réclame des nerfs solides. La peur de l’attentat est une préoccupation permanente. Avant de pénétrer dans le « Saint des saints », les fouilles se succèdent. Tout est retourné, palpé, scruté avec une attention minutieuse. Une simple feuille de papier, notre interview, apparaît suspecte à la « bleusaille » qui s’empresse de confisquer les stylos… Pas besoin de cela d’après le secrétaire du général qui a prévu de filmer tout l’entretien. Finalement, le bureau de Khalifa Haftar – dont une imposante carte de Benghazi occupe tout un pan de mur – est sûrement ce que l’on trouve de plus militaire dans le quartier général. Après le haut gradé lui-même. Il est déjà là – air martial et uniforme sans faux pli – presque au garde-à-vous à côté du drapeau national. Parfait portrait officiel d’un homme d’envergure. De fait, durant l’heure passée à égrener différents sujets, l’officier supérieur ne se départira jamais de cette raideur. Courtois à défaut d’être cordial, réfléchi plus que calculateur, entre certitudes chevillées au corps et détachement perplexe quant à la critique, la personnalité du général apparaît indissociable de son apparence. Haftar est un pur militaire. Tout simplement.
There is excitement in Haftar's headquarters on the day of our meeting. Dozens of villagers, who came from across the country, according to our interlocutors, made the trip to the general's ultra-secure hideout in order to meet their "saviour". In Al-Marj, where he presided over the destiny of the Military Academy of Artillery, Khalifa Haftar is on conquered ground, without even fighting. The seventy-two-year-old inspires respect among his men, often youthful with scruffy kalachnikovs. In fact, far from being a strict military discipline, the base closely resembles a strange anthill, nervous and agitated. Meeting the strongman of the "Dignity" campaign demands nerves of steel. The fear of an attack is an ongoing concern. Before entering the "Holy of Holies", it's just one search after another. Everything is turned inside out and scrutinized with meticulous attention. A single sheet of paper, our interview, appears suspicious to the rookie who is eager to confiscate pens... There is no need for it according to the secretary general who planned to film the entire interview. Finally, in the office of Khalifa Haftar, there is an impressive map of Benghazi that occupies an entire section of the wall, it is certainly the most military item that we find in the headquarters besides the high-ranking officer himself. He is already there, wearing his uniform without a crease and almost standing to attention next to the national flag. It's a perfect portrayal of a man of his calibre. Actually, during the hour spent analysing various subjects, the army chief will never abandon this rigidity. Civil rather than cordial, thoughtful more than calculating, between deeply rooted certainties and perplexed detachment for criticism, the personality of the general seems inseparable from his appearance. Haftar is simply a pure soldier. 21
© Mojomogwai
Alors, évidemment, engager la conversation en lui demandant si « mener une guerre est la seule manière de parvenir à la paix » provoque tout au plus une moue dubitative. La première d’une longue série. Que l’on aborde les prochaines prises de Benghazi et Tripoli, sans cesse reportées, les critiques des observateurs à son encontre ou la question islamiste, ce qui prédomine chez Khalifa Haftar c’est un fort sentiment d’incompréhension. Finalement, toutes les interrogations trouvent toujours les mêmes réponses, synthétisées de la sorte : « La Libye est confrontée à la menace terroriste. La Libye est dépouillée par des milices assoiffées de pouvoir et d’argent. La Libye est menacée d’implosion. En tant que chef de l’armée nationale libyenne (ALN), je suis le rempart contre le chaos. Pourquoi ne me soutient-on pas plus ? » Clairement, si l’homme maîtrise l’art de la guerre, il n’en est pas de même avec celui de la communication. Ainsi, en évoquant le rapport final du groupe des experts, diligenté par l’ONU, qui pointe du doigt l’opération « Dignité », le général balaie les critiques, au grand dam de son secrétaire personnel, en affirmant que « la violence est la seule réponse à la violence ». Pour Haftar, aucun doute, la légitimité est de son côté et elle suffit à tout justifier. Quitte à faire preuve d’un certain jusqu’au-boutisme. Benghazi, Derna ou Tripoli, les fronts se succèdent. Ansar, Daech ou Fajr Libya, le chef de l’ANL ne choisit pas. Pas par manque de discernement juste car tous – dans son esprit – sont des ennemis à combattre. Et s’il tend la main vers la coalition contrôlant l’ouest en précisant que « tout combattant venant de Fajr Libya est le bienvenu », c’est pour mieux prévenir que si ceux-ci ne font pas marche arrière dans leur velléité, « il sera contraint d’aller plus loin… » À bon entendeur…
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So, obviously, starting a conversation by asking him if "leading a war is the only way of reaching peace" causes at most a sceptical pout. The first of a long series. When we approach the topic regarding the seizure of Benghazi and Tripoli, which is ceaselessly postponed, the criticism aimed at him or the Islamist question, what prevails for Khalifa Haftar is a strong feeling of incomprehension. It seems that all the questions always get the same answers, they are synthesized in this way: "Libya is confronted with the threat of terrorism. Libya is stripped by power-and-money- hungry militias. Libya is threatened with an implosion. As army chief of the Libyan National Army (LNA), I am the shield against the chaos. Why don't they support me more?" Clearly, if the man masters the art of the war, he is not the same with the art of communication. So, by evoking the final report of the group of experts, commissioned by the UN, which points the finger at the "Dignity" operation, the general sweeps aside his critics to the great displeasure of his personal secretary, by stating that "violence is the only answer to violence". Undoubtedly for Haftar, the legitimacy is on his side and it is enough to justify everything. Even if it means showing a certain degree of extremism. Benghazi, Derna or Tripoli, the fronts follow one after another. Ansar, Daech or Fajr Libya, the leader of the LNA does not choose. Not due to the lack of discernment but because in his mind, they are all enemies that need to be fought. And if he extends his hand towards a coalition controlling the West by specifying that "every fighter coming from Fajr, Libya, is welcome”, it is to warn these fighters that if they don't abandon their vague desire “he will be forced to go further …" A word to the wise is enough…
Likewise, after having glorified Bernardino León, special correspondent for the UN "a good, intelligent and very serious man who works for this country", general Haftar concludes his analysis by a revealing judgment of his state of mind: "I do not want Mr. León to be the cause of the division in Libya". Because, once again, everything is clear for the army chief: "the only legal choice is the one made by the people. We already have an elected parliament. The delegations which participate in discussions will lead to nothing. The representatives sent by Tripoli were chosen by the Muslim Brothers. If they enter within a government of national union, it will not solve the problem. It will highlight it!" So, yes, the only recourse is maybe… Haftar himself. This does not prevent him from demanding that those "who have done good work by destroying the Gaddafi regime, finish what they have started." This is in the interest of Libya and Libyans who "only wish for security and stability". But not only because "Europe has to understand that what is happening here can happen over there if the terrorists migrate from Libya." However, on the other hand, it's a problem that would be understood by Haftar supporters, namely Egypt, some Gulf monarchies and Jordan, "they know what the Arab world is going through: terrorism and it must be fought!" Still it is necessary to have the means… And it is here that the only crack in the marble becomes visible, which has otherwise been spotless: "Everybody has to help Libya, even those who have little to give. But even those have to give as much as possible!" End of the interview. The camera is turned off and the pens are given back and the newsroom is still waiting to give him the interview …
© Priscilla Wolmer
De même, après avoir tressé des lauriers à Bernardino León, envoyé spécial de l’ONU, « un homme bon, intelligent et très sérieux qui travaille pour ce pays », le général Haftar conclut son analyse par une sentence révélatrice de son état d’esprit : « je ne souhaite pas que M. León soit la cause de la division de la Libye ». Car, encore une fois, tout est clair dans la tête du chef de l’armée : « le seul choix légitime est celui fait par le peuple. Nous avons déjà un parlement élu. Les délégations qui participent aux discussions n’arriveront à rien. Les représentants envoyés par Tripoli ont été choisis par les Frères musulmans. S’ils entrent au sein d’un gouvernement d’union nationale, cela ne réglera pas le problème. Cela l’accentuera ! » Alors, oui, le seul recours ne peut-être que… lui-même. Ce qui ne l’empêche pas de réclamer à ceux « qui ont fait du bon travail en détruisant le régime de Kadhafi de finir ce qu’ils ont commencé. » C’est là l’intérêt de la Libye et des Libyens qui « souhaitent juste la sécurité et la stabilité ». Mais pas seulement car « l’Europe doit comprendre que ce qui se passe ici peut arriver là-bas si les terroristes migrent depuis la Libye. » Une problématique qu’auraient en revanche bien saisie les soutiens d’Haftar, à savoir l’Égypte, certaines monarchies du Golfe et la Jordanie, qui « eux savent ce que le monde arabe traverse : le terrorisme et il doit être combattu ! » Encore faut-il en avoir les moyens… Et c’est là la seule fêlure apparente dans un marbre, jusque-là immaculé, dans lequel le général s’était drapé : « Tout le monde doit aider la Libye, même ceux qui ont peu à donner. Mais même eux doivent donner le plus possible ! » Fin de l’entretien. La caméra est coupée, les stylos rendus et la rédaction attend toujours qu’on lui fournisse l’interview…
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© Georges Vitrubio.net
UN PAYS A COUNTRY WITH TWO FACES par Alexandre BLOT LUCA
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outenu par la communauté internationale, le gouvernement de Tobrouk s’écharpe depuis bientôt un an avec son homologue de Tripoli. Une impasse qui ne fait qu’accroître le chaos dans lequel est plongé le pays.
Deux parlements que tout oppose. L’un est installé à Tobrouk et formé de nationalistes conservateurs, l’autre est à Tripoli et majoritairement composé d’islamistes. Dans une Libye historiquement divisée, tant géographiquement qu’ethniquement, ces deux-là ne font rien pour s’entendre. Une discorde née après les élections législatives du 25 juin 2014. Tripoli est alors en proie à la violence des milices. Nouvellement formé, le Parlement libyen décide de prendre ses quartiers à Tobrouk, dans l’est du pays, et d’y élire son président, le juriste Aguila Salah Issa. Un déménagement qui n’est pas du goût des islamistes, majoritaires au sein de l’assemblée sortante. Ces derniers ne tardent pas à le faire savoir : ils boycottent la séance d’investiture, clamant haut et fort que celle-ci est « contraire à la Constitution ». La rupture est consommée. Elle sera définitivement entérinée le 6 novembre 2014, lorsque la Cour suprême invalide l’élection du nouveau Parlement. 24
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upported by the international community, Tobruk’s government has been at loggerheads with its Tripolitan counterpart for almost a year. And this stalemate is making the chaotic situation of the country only worse.
There are many things that set these two parliaments apart. The one in Tobruk is composed of conservative nationalists, whereas the other in Tripoli is mainly made up of Islamists. Libya has always been a historically divided country, both geographically and ethnically, and neither of them makes an effort to get along. This dissension arose after the general election on 25th June 2014. At the time, Tripoli is embroiled in militia violence. The newly formed Libyan parliament decides to set up its quarters in Tobruk, in the east of the country and elects a jurist, Aguila Salah Issa, as its President. This move is not to the liking of the Islamists, who represent the majority in the outgoing assembly and they rapidly react by boycotting the inaugural session, proclaiming loud and clear that it is "unconstitutional". Signs of a rift emerge and the split becomes definitive on 6th November 2014 when the Supreme Court invalidates the election of the new parliament.
THE MAN WHO’S PERPETUATING THE TENSIONS
Depuis ce divorce, les deux anciens conjoints se rendent coup pour coup. Sur le terrain, le groupe Fajr Libya (Aube de la Libye), composé de plusieurs milices au pouvoir à Tripoli, et l’armée régulière, avec à sa tête le général Haftar, s’affrontent à coup d’obus et de mortiers. Sur le plan diplomatique, les discussions sous l’égide des Nations unies ont toutes échoué les unes après les autres. Et pourtant ce n’est pas faute d’avoir essayé. Réunies à Rabat en février dernier pour tenter d’instaurer un dialogue, les deux parties n’ont pu s’entendre suite au retrait des pourparlers du parlement de Tobrouk, revenu depuis autour de la table des négociations. Un mois plus tôt, les autorités de Tripoli en avaient fait de même. Et si un accord est en passe d'être trouvé à Alger, la fin des combats apparaît aujourd’hui comme la seule issue préalable à une entente. Dans ce chaos, un homme cristallise les tensions à Tripoli : le général Haftar. Ancien kadhafiste devenu paria du régime, ce natif d’Ajdabiya a promis une lutte sans-merci contre les islamistes. Écarté dans un premier temps, il a depuis été réintégré au sein de l’armée régulière de Tobrouk avant d’en prendre sa tête au mois de février. Dans la capitale, ils sont nombreux à refuser toute collaboration avec celui que certains présentent comme l’un des possibles futurs chefs du pays. Et ils ne s’en cachent pas. « Sur un niveau personnel, je ne pense pas que je puisse travailler avec le général Haftar dans l’avenir et dans n’importe quel gouvernement d’entente, confie ainsi un proche d’Abdelhakim Belhadj, autre homme fort de la nouvelle Libye. La Libye n’aura aucune stabilité tant que M. Haftar sera présent. En revanche, son absence du devant de la scène pourrait contribuer significativement à la mise en place d’un consensus ». De quoi bloquer tout effort de négociation tant les deux parties semblent lancées dans une fuite en avant. « Le gouvernement de Tripoli paraît engagé dans une stratégie de soutien tous azimuts aux ennemis d’Haftar, et seule une réconciliation politique entre les belligérants pourra changer cela, confirme Barah Mikaïl, directeur de recherche à la FRIDE (Fondation pour les relations internationales et le dialogue extérieur) et enseignant à l’université Saint-Louis à Madrid. Tant que celle-ci ne sera pas atteinte, je doute que les représentants de Tripoli et de Benghazi se révèlent prêts à abonder dans le sens d’un pacte, aussi nécessaire soit-il pour soulager un pays pourtant en proie à mille et un maux. »
Since this divorce, the two former collaborators have been playing a game of tit for tat. On the ground, Fajr Libya (Libya Dawn), which is composed of several militias in power in Tripoli, and the regular army, headed by General Haftar, are fighting their battle with bombshells and mortars. On the diplomatic level, discussions under the auspices of the United Nations, have all failed, one after the other. Yet, it is not for lack of trying. Last February, the two parties held a meeting in Rabat with the aim of establishing a dialogue but following the withdrawal of Tobruk’s parliament from the talks, no agreement was reached; however, the latter has since returned to the negotiating table. A month earlier, the Tripolitan authorities had done likewise. Despite this deadlock, the two players do not envisage a future together and accuse each other of every ill. An end to the fighting now seems the prerequisite for the parties to reach an agreement. Amidst this chaos, one man, General Haftar, is perpetuating the tensions in Tripoli. This native of Ajdabiya, a former pro-Gaddafi officer, who was later to become a pariah of the regime, has promised a merciless battle against the Islamists. Excluded at first, he was then reinstated in Tobruk’s regular army before becoming commander of the forces in February. A larger number of the capital’s population refuses to collaborate with a man who some think could be one of the country’s eventual leaders of tomorrow. And they make no secret of their disapproval: "On a personal level, I don’t think I would be able to work with General Haftar in the future, no matter the government of national unity", says someone close to Abdelhakim Belhadj, another strongman of the new Libya. "As long as Mr Haftar is present, there will be no stability in Libya. On the other hand, his absence from the political scene could significantly contribute to reaching a consensus". As long as the two parties continue to forge ahead regardless, any attempts to negotiate are pointless. "The Tripolitan government seems committed to supporting Haftar’s enemies across the board and the only thing that could lead to a change in strategy would be a political reconciliation between the warring parties", affirms Barah Mikaïl, Director of Research for FRIDE (Foundation for International Relations and Foreign Dialogue) and lecturer at Saint Louis University in Madrid. "Until there’s a reconciliation, I doubt that the officials in Tripoli and Benghazi are willing to agree to a pact, however necessary it may be to relieve a country that is going through such difficult times."
© Salvatore Barbera
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© NTC Fighter Claim Bani Walid
Une lutte
PROPICE AU CHAOS Plongée dans le chaos, la Libye doit également faire face à la prolifération des groupes djihadistes, Ansar al-Charia et le groupe terroriste État islamique en tête. Une implantation facilitée par l’absence d’unité à laquelle ne sont pas étrangers les deux frères ennemis. Et là encore, leurs points de vue divergent. Si le parlement de Tobrouk agite sans cesse cette menace aux yeux de la communauté internationale pour légitimer son action et demander plus de moyens, celui de Tripoli ne reconnaît qu'à demi-mot la présence de terroristes sur son sol. Et préfère y voir des actions de déstabilisation de la part de ses adversaires.
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Indécis, le sort de la Libye est également lié aux puissances étrangères qui se sont immiscées dans cette lutte intestine. Quand l’Arabie saoudite et l’Égypte soutiennent le général Haftar et le parlement de Tobrouk, le Qatar et la Turquie, fervents défenseurs des Frères musulmans, soutiennent, eux, les autorités de Tripoli. Pris entre deux feux, les Libyens n’ont quant à eux pas leur mot à dire. La population civile, pleine d’espoir après la chute de Mouammar Kadhafi il y a maintenant quatre ans, s’est depuis faite une raison : son pays s’enfonce un peu plus jour après jour dans les abîmes et rien ne semble pouvoir arrêter cette descente aux enfers. Le temps des illusions et des beaux discours a bel et bien disparu.
A struggle
NG THAT IS CONTRIBUTI TO CHAOS In the midst of chaos, Libya is also having to deal with the proliferation of Jihadi groups, Ansar al-Sharia and the Islamic State terrorist group that comes top of the list and whose territorial penetration is made much easier by the absence of national unity to which the two rivals have largely contributed. Here again, their views differ. Whereas Tobruk’s parliament is constantly evoking this threat before the international community to legitimize its action and to request more resources, the Tripolitan parliament denies the presence of terrorists on its territory and prefers to see its adversary’s acts as a means of destabilization. In this context of uncertainty, the fate of Libya also depends on the foreign powers and their involvement in this domestic struggle. While Saudi Arabia and Egypt are siding with General Haftar and Tobruk’s parliament, Qatar and Turkey, ardent supporters of the Muslim Brotherhood, are backing the Tripolitan authorities. As for the Libyans caught in the crossfire, they have no say on the matter. The civilian population, that was full of hope after Muammar Gaddafi’s demise four years ago, has learnt to live with the fact that the country is sinking a little deeper into chaos every day and that apparently, there is nothing than can stop this downward spiral. The time for illusions and empty rhetoric has well and truly disappeared. Translation from French: Susan Allen Maurin
HAS WELL AND TRULY DISAPPEARED.
AND EMPTY RHETORIC THE TIME FOR ILLUSIONS
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AU TRE V IS IO N D E L A L IBY E AN O THER V IE W OF L IBYA par Moez TRABELSI et Alexandre BOT LUCA
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IBRAHIM JADHRAN EST UN POLITICIEN ET CHEF DE MILICE À AJDABIYA. IL EST À LA TÊTE DE LA CYRÉNAÏQUE, ÉTAT AUTONOME AUTOPROCLAMÉ DE L’EST DE LA LIBYE, ET RÈGNE SUR CERTAINS PORTS PÉTROLIERS. COMMENT CET HOMME, D’À PEINE 33 ANS, A RÉUSSI À SE DOTER D’UNE TELLE STATURE DANS SON PAYS ? RETOUR SUR UNE ÉTONNANTE ASCENSION.
IBRAHIM JADHRAN IS A POLITICIAN AND MILITIA LEADER IN AJDABIYA. HE MANAGES CYRENAICA, AN AUTONOMOUS SELF-PROCLAIMED STATE OF EAST LIBYA, AND CONTROLS CERTAIN OIL PORTS. HOW HAS THIS MAN, BARELY 33 YEARS OLD, SUCCEEDED IN ESTABLISHING SUCH STATURE IN HIS COUNTRY? A LOOK BACK ON HIS SURPRISING ASCENSION.
À seulement 33 ans, ce jeune chef de guerre libyen est le « maître » du pétrole de son pays. Opposant de Kadhafi et réputé pour avoir été proche des réseaux religieux (groupes islamistes), cela lui a valu de passer par la case prison avant d’être libéré pendant la révolution. Il se déclare alors comme étant l'un des commandants de la brigade Omar el-Mokhtar, formée à Ajdabiya. Avec ses hommes, il œuvrera à la chute du régime. En 2012, Ibrahim Jadhran est nommé chef de la sécurité du pétrole à Ajdabiya. L’or noir représente plus de 90 % des revenus de l’État. Il décide, en août 2013, de bloquer les terminaux pétroliers de Cyrénaïque car il n’est pas satisfait par le gouvernement en place. Il pointe du doigt son « incompétence » et accuse Tripoli de détourner une part de la manne pétrolière. Fermement opposé à ce pouvoir, et par ailleurs aux Frères musulmans, Jadhran serait rallié au gouvernement de Tobrouk et disposerait du soutien de Khalifa Haftar, le nouveau chef de l’armée libyenne. « J’ai une milice plus importante et plus puissante que l’armée nationale » déclare ainsi celui qui prétend être à la direction de 17 000 hommes.
Only 33 years old, this young Libyan war leader is the "master" of oil in his country. He was opposed to Gaddafi and reputed to have been in close contact to religious networks (Islamist groups), which afforded him landing in prison before being freed before the revolution. He declares himself as one of the commanders of the Omar el-Mokhtar brigade, formed in Ajdabiya. With these men he is plotting the fall of the regime. In 2012, Ibrahim Jadhran is named chief of oil security in Ajdabiya. Black gold represents over 90% of the government’s revenues. He decides, in August of 2013, to block Cyrenaica’s oil terminals because he is unsatisfied with the government in place. He points his finger at "incompetence" and accuses Tripoli of diverting a part of the oil manna. Firmly opposed to this government, and to the Muslim Brotherhood elsewhere, Jadhran would prefer to be joined to the Tobrouk government and would dispose of Khalifa Haftar’s support, the new leader of the Libyan army. "I have a more important and powerful militia than the national army", he declared as anyone who pretends to be leading 17,000 men.
Le 4 novembre 2013, il prend la tête du gouvernement autonome de Cyrénaïque. Cette autonomie a été proclamée le 1er juin 2013 par Ahmed Zoubaïr al-Senoussi, le dirigeant du Conseil de la Cyrénaïque. Le politicien souhaite alors appliquer cette politique d’indépendance aux trois États du pays (Cyrénaïque, Tripolitaine et Fezzan). Il déclare : « J’agis au nom du peuple de Cyrénaïque, qui a le droit de disposer des revenus de son pétrole. Nous vivons dans les mêmes conditions que sous Kadhafi, le gouvernement de Tripoli n’a rien fait ». Cette autonomie permettrait à chaque État d’agir selon son idéologie. Cependant, les 1,6 million d’habitants de la Cyrénaïque ne partagent pas forcément la vision fédéraliste de Jadhran.
Le 10 décembre de la même année, Salah el-Atyoush, un cacique des Maghareba, tribu à laquelle appartient Jadhran, a annoncé la levée du blocage des ports pétroliers dans les cinq jours. De quoi apaiser Tripoli, à commencer par le Premier ministre, Ali Zeidan, qui a multiplié les opérations de séduction à l’intention de cette influente tribu pour barrer la route au fédéralisme. Mais le 15 décembre, Jadhran annonce le maintien du blocage des ports car le gouvernement central n’a pas répondu favorablement à ses conditions, à savoir la mise en place d’une commission d’enquête chargée de faire la lumière sur la gestion des revenus pétroliers des gouvernements post-Kadhafi, ainsi que l’engagement du pouvoir à répartir équitablement ces revenus entre les trois régions du pays. En 2014, Jadhran essaye de vendre son pétrole sans l’accord du gouvernement. Il sera très vite stoppé par Tripoli d’une part et par l’ambassadrice des États-Unis, Deborah Jones d’autre part. L’Américaine considère les actions du politicien comme un « vol du peuple libyen ». Un accord est conclu le 6 avril 2014, avec pour objet de rouvrir des ports pétroliers bloqués : ceux de Zueitina et de Hariga. Cependant, Jadhran contrôle toujours les installations de Es-Sider. Il est prêt à le lâcher seulement si ses revendications sont prises en compte : il souhaite une levée de la notice rouge délivrée contre lui et son frère Khaled Awed par Interpol, un règlement des salaires de ses hommes et une mise en place d’une commission d’enquête sur les exportations de pétrole.
On November 4, 2013, he becomes the head of the autonomous government of Cyrenaica. This autonomy was proclaimed on June 1, 2013 by Ahmed Zoubaïr al-Senoussi, Cyrenaica’s head of council. The politician then wished to apply this political independence to three states in the country (Cyrenaica, Tripolitania and Fezzan). He declared: "I act in the name of Cyrenaica’s people, who have the right to dispose of oil revenues. We are living in the same condition as we were under Gaddafi and Tripoli’s government is doing nothing". This autonomy will permit each state to act according to its own ideologies. Nevertheless, over 1,6 millions Cyrenaica inhabitants do not necessarily share Jadhran’s federalist vision.
On December 10th of that year, Salah el-Atyoush, a chief from Maghareba, the tribe to which Jadhran belongs, announced the lifting of the blockage of oil ports would occur within five days. It was something to appease Tripoli, starting with the Prime Minister, Ali Zeidan, who multiplied the seduction operations with the intention of this tribal influence to bar the route to the federalist. But on December 15th, Jadhran announced the maintenance of the blockage of the ports because the central government did not respond favorably to his conditions, namely putting a commission of inquiry into place to take charge of shedding some light on how the oil revenues are being managed post-Gaddafi, so that Tripoli would share these revenues evenly between the three regions of the country. In 2014, Jadhran tried to sell his oil without the government’s agreement. He was quickly stopped by Tripoli and the ambassador to the United States, Deborah Jones. The American considered the actions of the politician to be "theft from the Libyan people". An agreement is reached on April 6, 2014 to re-open some of the blocked oil ports: those in Zueitina and Hariga. However, Jadhran still controls the port of Es-Sider. He is ready to let go only if his demands are taken into account: he wants the Interpol notice lifted from him and his brother Khaled Awed, salary regulation for his men and a commission of inquiry on the exportation of oil put into place. Translation from French: Rachel Wong
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© Khalid Albaih © Surian Soosay
par Hervé Pugi ne porte s’entrouvre. Un jeune homme se présente, pas plus de 25 ans, il ressemble à tant d’autres sinon cette barbe broussailleuse et ces vêtements, « à l’afghane », qui lui donnent un air un brin anachronique. Après une fouille consciencieuse (qui vient s’ajouter à différentes interdictions préliminaires : pas de photo, pas de vidéo, pas de dictaphone et aucun sac), ce premier hôte nous introduit dans une petite salle austère, modestement meublée, à la quiétude tout juste troublée par les piaillements d’un canari comme perdu dans sa cage. Au centre de la pièce, un homme patiente : barbe parfaitement taillée, lunettes sans monture sur le nez, burnous vaguement râpé sur le dos. Derrière lui, dans un salon obscur, une vieille télévision branchée sur une chaîne arabophone crachote nerveusement en boucle des informations sur un air lancinant. Souriant, l’homme lance un « salam aleykoum » accueillant tout en indiquant d’un geste de la main où prendre place. Dernière exigence avant de démarrer l’entretien, les smartphones doivent être éteints et posés sur la table. Les premières questions tombent à plat. De sa jeunesse, de son parcours, ce quarantenaire désormais en retrait d’Ansar al-Charia, après en avoir été un « agent de liaison », assure-t-il, n’a « rien à dire », seul « le message compte », sinon qu’il a « toujours beaucoup prié et suivi le chemin qu’Allah avait tracé pour lui ». Observateur privilégié, évidemment subjectif, il a accepté de livrer son avis personnel, sans concession, à 54 ÉTATS.
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© Surian Soosay
door swings open. A young man introduces himself, no more than twenty-five years old, and looking like any other young man if not for the bushy beard and Afghan-style clothing registering sharply out of place and from another time. After a conscientious search (in addition to further restrictions on photography, filming, audio wire, and bringing in bags of any kind) our first host leads us into a tiny, austere room, modestly furnished, and entirely peaceful but for the squawking of a canary lost in his cage. In the center of the room, a main waits: beard perfectly trimmed, rimless glasses, a rough burnous on his back. Behind him, in a dark room, an old television connected to an arab station naggingly crackles with news. Smiling, the man proclaims a welcoming "as-salamu alaykum" and with a wave of his hand invites us to sit. The last request before launching into our interview is that all smartphones are turned off and placed on the table. Our first questions tumble out in a stream: his childhood, his journey. In response to his forty-year career and now retirement with Ansar al-Charia after having served as a "liaison agent", he assured us, he had "nothing to say", only that "the message is what matters", and that he "always prayed and followed the path that Allah had shown him". As a truster observer, obviously subjective, he agreed to share his viewpoints, without concessions, to 54 ÉTATS.
© Aptopix
54 ÉTATS : Vu de l’extérieur, on peut avoir l’impression que la Libye est divisée entre des terroristes islamistes d’un côté et des nationalistes de l’autre. Qu’en est-il vraiment selon vous ? A. S. : Ce que vous décrivez-là est la propagande que certains veulent véhiculer auprès du monde entier. Voir dans les défenseurs de l’islam des terroristes et rien d’autre, voilà qui est commode pour mener toutes sortes d’exactions. Aujourd’hui, les pires terroristes ne sont pas ceux que l’on imagine… 54 ÉTATS : À qui faites-vous référence au juste ? A. S. : J’affirme que ceux qui mènent des raids inconsidérés à Benghazi et ailleurs, assassinent les femmes et les enfants de ces villes, sont les véritables terroristes. 54 ÉTATS : Vous parlez du général Haftar ? A.S. : Oui, je parle de la marionnette Haftar et de tous ceux qui se cachent derrière lui. Ce sont eux qui ont radicalisé et radicalisent encore la situation en Libye. Ce sont eux qui parlent d’exterminer tous ceux qui ne s’agenouillent pas devant eux. Ce sont eux le vrai poison de ce pays. 54 ÉTATS : Et qui se cachent derrière Haftar selon vous ? A. S. : Haftar n’est rien d’autre qu’un agent à la solde des étrangers. Ce n’est qu’une marionnette envoyée en Libye pour faire le sale travail que l’Occident n’ose pas faire. D’ailleurs, Haftar luimême ne le cache pas : il est soutenu par l’Égypte. Et qui finance la dictature militaire égyptienne sinon les États-Unis et Israël ? Sans cette aide, Haftar redeviendrait ce qu’il a toujours été : personne.
54 ÉTATS: To the outside observer, it seems like Libya is divided between Islamist terrorists on one side and nationalists on the other. In your opinion, what do you think it’s about? A. S.: What you are describing in Libya is an idea that certain people want the entire world believing. To see amongst the defenders of Islam nothing but terrorists, well there you go, it’s a convenient way to explain the violence. Today, the worst terrorists are not the ones you are thinking of… 54 ÉTATS: Exactly what are you referring to? A. S.: I am saying that those who lead raids in Benghazi and elsewhere, murdering village women and children, are the real terrorists. 54 ÉTATS: Are you referring to General Haftar? A.S.: Yes, I am talking about Haftar’s puppets and everyone who hides behind him. These are the radicalized ones who continue to radicalize the situation in Libya. They are the ones who talk of exterminating everyone who won’t kneel to them. They are the ones that are the real poison in the country. 54 ÉTATS: And who do you feel hides behind Haftar? A. S.: Haftar is nothing but an agent who can be bought by foreigners. He’s nothing but a puppet sent to Libya to the dirty work that the West doesn’t dare to do. Furthermore, Haftar himself doesn’t hide this fact: he is supported by Egypt. And who pays for the Egyptian military dictatorship but the US and Israel? Without their help, Haftar would return to being the person he always was: no one.
54 ÉTATS : Parlons un peu d’Ansar al-Charia. Pour vous, votre groupe n’a rien de « terroriste » ?
54 ÉTATS: Tell us a bit about Ansar al-Charia. In your eyes, this group is not at all « terrorist »?
A. S. : Qu’est-ce que veut dire « terroriste » ? Défendre sa religion, sa terre, sa famille. Est-ce être un « terroriste »? Ansar al-Charia a libéré au même titre que bien des milices la Libye. Ansar al-Charia faisait régner l’ordre à Benghazi et remplaçait l’État auprès du peuple quand les politiques ne pensaient qu’à leur petit pouvoir. Qu’a fait Ansar al-Charia que n’a pas fait une autre milice ?
A. S.: What do you mean « terrorist »? Defending one’s religion, one’s land, one’s family. Is this what it is to be a « terrorist »? Ansar al-Charia has liberated Libya just as militias have. Ansar al-Charia had order restored in Benghazi and replaced the State with the people when the politicians didn’t think they wielded any power. What has Ansar al-Charia done that another military hasn’t? 31
54 ÉTATS : Il y a eu tout de même l’attaque de l’ambassade américaine le 11 septembre 2011 ? A. S. : Ansar al-Charia n’est pour rien dans tout cela. Nous l’avons dit. 54 ÉTATS : Qui alors ? A. S. : Je l’ignore. 54 ÉTATS : Si Ansar al-Charia n’est pas un groupe terroriste, Daech l’est assurément et vous vous battez à leur côté à Benghazi et ailleurs ? A. S. : Il faut prendre le temps de s’arrêter sur cela. La seule puissance de Daech aujourd’hui, en Libye, c’est la peur qu’il inspire à l’Occident. Moi, je peux vous dire que la plupart de ceux qui portent les armes au nom de Daech aujourd’hui, les portaient pour d’autres hier. Et ils recherchent le même objectif qu’auparavant : une Libye qui vivrait en conformité avec les lois de la charia. Rien de plus. 54 ÉTATS : Mais quel est votre avis alors sur l’assassinat des Coptes ? A. S. : Franchement, je ne sais rien de cette histoire. Je ne pourrais pas vous dire si tout ceci s’est réellement passé en Libye ou pas. Ce que je sais, c’est que l’Égypte a tout de suite envoyé ses avions et a réclamé de la communauté internationale des armes pour soutenir Haftar. Le même al-Sissi qui massacre et persécute des musulmans dans son propre pays. 54 ÉTATS : Vous appuyez donc la thèse des autorités de Tripoli, pour qui Daech serait une pure invention des pro-Kadhafistes ? A. S. : Je n’appuie personne, surtout pas M. al-Hassi qui ne représente rien. Pas plus à Tripoli qu’ailleurs. 54 ÉTATS : Haftar une marionnette, al-Hassi qui n’est personne, je suppose qu’al-Thani n’échappe pas à la critique. Vous ne voyez aucun interlocuteur crédible dans le pays ? A. S. : al-Thani, puisque vous en parlez, est le pire de tous. Il est le chien d’Haftar. Il ne réalise même pas que si Haftar triomphe, il sera sa prochaine cible. Quant à al-Hassi, il n’est en effet personne. Pas même pour Fajr Libya qui ne prend pas la peine de l’écouter. 54 ÉTATS : Fajr Libya, qui serait l’allié d’Ansar al-Charia à Benghazi et dans d’autres villes… A. S. : Soyons clair. Il n’y a pas d’Ansar al-Charia, de Fajr Libya ou de Daech dans les villes qui subissent les attaques du mécréant Haftar. Il n’y a que des combattants. Et quand bien même Haftar s’en emparerait militairement, il finirait par en être chassé car ce sont les habitants mêmes de ces villes qui se battent ! 32
54 ÉTATS: All things equal, there was an attack on the American embassy on September 11, 2011? A. S.: Ansar al-Charia had nothing to do with that. We have already said that. 54 ÉTATS: Who then? A. S.: I don’t know. 54 ÉTATS: If Ansar al-Charia is not a terrorist group, Daech certainly is and you fought on their side in Benghazi and elsewhere?
A. S.: We have to take our time and stop on this point. Daech’s only power today in Libya is the fear that it instills in the West. I can tell you that most of the people who wielding weapons in the name of Daech today, wielded them for others in the past. And they are after the same goal as before: to live in a Libya governed by Sharia law. Nothing more than that.
54 ÉTATS: What is your opinion on the murder of the Coptic Christians? A. S.: Frankly, I don’t know anything about this story. I couldn’t tell you if this really happened in Libya or not. What I do know is that Egypt sent airplanes straight away and demanded weapons from the international community to support Haftar. The same al-Sissi who massacred and persecuted Muslims in his own country. 54 ÉTATS: You back the theory of Tripoli’s authorities then that Daech is pure invention by pro-Kadhaffi supporters? A. S.: I back no one, certainly not Mr. al-Hassi who represents nothing. No more in Tripoli than anywhere else. 54 ÉTATS: Haftar is a puppet, al-Hassi is a nobody, I suppose al-Thani cannot escape your critic. Do you not see one credible interlocutor in the country? A. S.: al-Thani, since you’ve brought him up, is the worst. He is Haftar’s dog. He doesn’t even realize that if Haftar triumphs he will be his next target. As for al-Hassi, he is, effectively, no one. Not even for Fajr Libya that doesn’t even take the trouble to listen to him. 54 ÉTATS: Fajr Libya, that is linked with Ansar al-Charia in Benghazi and in other cities… A. S.: Let’s be clear. There is no Ansar al-Charia, Fajr Libya or Daech in the cities that suffer from Haftar’s infidel attacks. There are only combatants. And even if Haftar seizes power militarily, he will end up being hunted down because the residents of these cities fight back!
© The US Army
54 ÉTATS: Some say despite this the combatants are fleeing to neighboring and even fartheraway countries? 54 ÉTATS : Certains disent pourtant que les combattants accourent surtout des pays voisins et de plus loin encore ? A. S. : Tous les musulmans qui veulent nous rejoindre dans le djihad sont les bienvenus. Mais l’énorme majorité des combattants sont des Libyens poussés à reprendre les armes pour défendre leur religion et leur terre. 54 ÉTATS : Dans ce tour d’horizon, nous n’avons pas parlé d’Abdelhakim Belhadj. Trouve-t-il grâce à vos yeux et à ceux des responsables d’Ansar al-Charia ? A. S. : Nous respectons tout ce qu’a fait et vécu Abdelhakim Belhadj sous le régime de Kadhafi. Maintenant, je ne peux que constater qu’il a pris une autre voie en cherchant à plaire à ceux qui l’ont accusé, traqué et torturé. Je ne crois pas que ce soit la bonne route. 54 ÉTATS : Et si vous aviez un message pour la communauté internationale, quel serait-il ? A. S. : La guerre en Libye est une guerre contre l’islam menée dans l’ombre par des forces étrangères. Cessez donc de vouloir nous imposer votre démocratie calquée sur un modèle qui n’est pas le nôtre. La Libye est terre d’islam et le restera malgré tous les Haftar de la Terre. Les États-Unis et leurs alliés ne doivent pas oublier ce qu’ils ont vécu en Afghanistan ou en Irak. Qu’ils sachent que si leurs soldats mettent un pied en Libye, cela pourrait être bien pire encore.
A. S.: All Muslims who want to join us in jihad are welcome. But the vast majority of combatants are Libyans driven to take up arms in defense of their religion and land. 54 ÉTATS: Throughout our discussion, we haven’t discussed Abdelhakim Belhadj. Does he find favor in your eyes and those of Ansar al-Charia? A. S.: We respect all that Abdelhakim Belhadj has done and lived through under Gaddafi’s regime. Now, I can state that he has taken a different path and is looking to please those who accused, betrayed and tortured him. I don’t think this is the correct path. 54 ÉTATS: And if you had a message for the international community what would it be? A. S.: The war in Libya is a war against Islam led through the shadows by foreign forces. Stop trying to impose on us a democracy modeled after your own that is not our culture. Libya is land of Islam and will always be despite all the Haftars in the country. The US and their allies should not forget those who have lived in Afghanistan or Iraq. They should know that if they put their soldiers in Libya that it could be even worse. Translation from French: Rachel Wong 33
par Hervé PUGI
© Ali
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DANS UN PAYS OÙ LE TERME « LAÏCITÉ » N’A PAS GRAND SENS, LE CONSEIL NATIONAL DE TRANSITION (CNT) A RÉINTRODUIT LA CHARIA DÈS LA CHUTE DE KADHAFI, LA QUESTION DE L’ISLAMISME, SOUS TOUTES SES FORMES, INTERPELLE FORCÉMENT. EN LIBYE, PLUS QU’AILLEURS, POLITIQUE ET TERRORISME S’ENTREMÊLENT ET S’ENTRECHOQUENT AU GRÉ D’ALLIANCES DE CIRCONSTANCES AUSSI VITE NOUÉES QUE DÉLIÉES. PETIT TOUR D’HORIZON DE CETTE SPHÈRE BOUILLONNANTE EN COMPAGNIE DE MATTIA TOALDO, ANALYSTE ET SPÉCIALISTE, NOTAMMENT SUR LA QUESTION LIBYENNE, À L’EUROPEAN COUNCIL ON FOREIGN RELATIONS (ECFR).
IN A COUNTRY WHERE THE TERM "SECULARITY" HOLDS VERY LITTLE MEANING AND THE NATIONAL TRANSITIONAL COUNCIL (CNT) REINTRODUCED SHARIA LAW FROM THE FALL OF GADDAFI, THE QUESTION OF ISLAMISM, IN ALL OF ITS FORMS, IS INEVITABLY BEING CALLED INTO QUESTION. IN LIBYA, MORE THAN ELSEWHERE, POLITICS AND TERRORISM INTERMINGLE AND CLASH ACCORDING TO THE ALLIES OF THE MOMENT, ALLIANCES WHICH ARE AS EASILY FORGED AS THEY ARE DISSOLVED. WE TOUR THE HORIZON OF THIS TEMPESTUOUS WORLD WITH EUROPEAN COUNCIL ON FOREIGN RELATIONS (ECFR) MATTIA TOALDO, ANALYST AND EXPERT OF THE LIBYAN QUESTION.
Qui sont les islamistes ? Les cruels terroristes dépeints par le général Haftar ou des acteurs politiques incontournables pour sortir du chaos actuel ? À ces épineuses interrogations, Mattia Toaldo répond par le contre-pied : « Il est difficile de dire qu’il existe un camp laïc, séculier, ou encore anti-islamiste, comme c’est le cas en Égypte notamment » et le chercheur italien de plonger dans une esquisse de cartographie de la situation : « Vous avez les groupes djihadistes Ansar al-Charia et Daech mais aussi d’autres acteurs comme les Frères musulmans et leur aile politique, le Parti de la Justice et de la Construction. En fait, beaucoup de milices peuvent être considérées comme « islamistes », bien que celles-ci n’ont pas un agenda très précis. Quant à l’ancien Parlement, il comptait en son sein le bloc Wafa, une vaste coalition d’islamistes non liée aux Frères musulmans. Ce que l’on peut dire, c’est que la base islamiste est particulièrement large ». D’où l’importance de faire preuve du plus grand discernement dès lors que l’on aborde le sujet. Vouloir opposer trop vite (prétendus) « libéraux » et « islamo-terroristes » (réels ou pas) est plus qu’un raccourci. Une méprise en fait, éventuellement une méconnaissance, pour ne pas dire une paresse intellectuelle, à moins qu’il ne s’agisse simplement de mauvaise foi. À l’image du général Haftar, désormais à la tête de l’armée libyenne, ce qui n’est pas sans poser de problèmes. Ce dont convient Mattia Toaldo : « Haftar a précisé à maintes reprises qu’il souhaitait une réconciliation mais sans les islamistes. Dans sa rhétorique, il n’y a pas vraiment de différence entre les islamistes et les terroristes. Et c’est bien là son talon d’Achille. » Un parti pris qui n’est évidemment pas sans incidence sur le cours des événements : « Sa campagne militaire a provoqué l’unification des différents groupes terroristes, créant de fait à Benghazi une alliance entre des milices vaguement islamistes et Ansar al-Charia. Cette coalition n’existait pas avant l’apparition d’Haftar, certains de ces groupes se battaient même les uns contre les autres. »
Who are the Islamists? Cruel terrorists depicted by General Haftar or political players unable to escape from the current chaos? Mattia Toaldo responds to these thorny questions by taking on the opposing view: "It is difficult to say that a secular camp exists, secular, or anti-Islamist, as is the case in Egypt" and the Italian researcher dives into a sketch of a map of the situation: "You have jihadi groups Ansar al-Charia and Daech but also other players like the Muslim Brotherhood and their political wing the Justice and Construction Party. In fact, many militias can be considered "Islamists", even though they don’t have a specific agenda. As for the former parliament, it counted among its members the Wafa block, a vast coalition of Islamists, not tied to the Muslim Brotherhood. We could say that the Islamist base is particularly large." We address these issues in order to provide proof to the biggest judgements. The desire to be too quick to oppose (claimed) "liberals" and "islamo-terrorists" (real or not) is more than a shortcut. It is a mistake, and potentially a misconception, not to say an intellectual laziness, unless it is simply in bad faith. It brings to mind the image of General Haftar heading the Libyan army, which brings up a lot of questions. To which Mattia Toaldo responds: "Haftar clarified time and time again that he wants a reconciliation but without the Islamists. In his rhetoric there is not really a difference between the Islamists and the terrorists. And this is his Achilles heel" A bias that is obviously not without incidence on the course of events : "His military campaign provoked a unification of different terrorist groups, creating in Benghazi an alliance between vaguely Islamists and Ansar al-Charia. This coalition did not exist before Haftar came on the scene, certain members of these groups even fight amongst themselves.»" 35
DAECH, UN POTENTIEL ÉNORME… L’opération « Dignité », censée rétablir l’État de droit, ne ferait donc que compliquer la situation sur le terrain mais aussi dans le travail entrepris par la communauté internationale pour parvenir à un gouvernement d’union nationale, « seul espoir du pays d’organiser un front uni contre les djihadistes », à en croire Mattia Toaldo. Et le doctorant en histoire des relations internationales de préciser : « le problème réside, d’une part, dans l’attitude ambiguë qu’ont certains dans les rangs de Fajr Libya vis-à-vis d’Ansar al-Charia et Daech et, d’autre part, le fait que pour beaucoup à Tobrouk le terme « terroriste » s’applique à ceux qui sont appelés à prendre part à ce gouvernement d’union nationale ». Daech, justement, ce nom est sur toutes les lèvres. Et pas seulement en Libye. Si notre spécialiste reconnaît que le groupe terroriste ne contrôle pour l’heure qu’une « zone extrêmement limitée dans le voisinage de Derna et Syrte », celui-ci ne manque pas d’ajouter que « la situation peut évoluer très rapidement ». Et ce du fait du « très fort potentiel d’expansion » de l’État islamique. L’analyste de l’EFCR et ancien membre de la Society for Libyan Studies explique ainsi qu’ « Ansar al-Charia traverse une crise profonde et voit ses combattants rejoindre Daech ». Un pouvoir d’attraction qui s’explique notamment par un particularisme local : « il y a une tradition djihadiste en Libye depuis les années 90 et plus la guerre civile tournera à la guerre sainte et plus nous verrons se réactiver ces combattants ». Mais pas seulement car, comme ne manque pas de souligner Mattia Toaldo, « le « projet » Daech a quelque chose de fascinant pour beaucoup de Libyens qui s’arrêtent principalement à l’édification d’un État bien plus qu’au côté « islamique » de l’organisation. » Le tout avant de conclure : « c’est ce potentiel qui devrait inquiéter les Européens. Le danger est réel, surtout si la guerre civile continue ». À bon entendeur…
DAECH, ENORMOUS POTENTIAL… Operation Dignity, intended to re-establish the right wing of the government, will do nothing but complicate the situation over the land but also in the work undertaken by the international community to achieve a government of national unity, "the only hope for a country to organize a united front against the jihadists", believes Mattia Toaldo. The doctoral student of the history of international relations clarifies : "the problem resides in part in the ambiguous attitude that certain people have within the ranks of Fajr Libya against Ansar al-Charia and Daech and also, the fact that for many in Tobrouk the term "terrorist" applies to those that are called to take part in a united national government". Daech, rightly so, is the name on everyone’s lips. And not just in Libya. If our expert recognizes that the terrorist group does not only control for the time being "a zone extremely limited by the borders of Derna and Syrte", he also adds that « the situation can progress very quickly". And he warns of "big potential for expansion" of the Islamic State. The EFCR analyst and former member of the Society for Libyan Studies also explains that "Ansar al-Charia is crossing a deep crisis in seeing his fighters join Daech". This power of attraction can be explained in a particularly local tradition: "There has been a jihadi tradition in Libya since the ‘90s that the more civil war becomes holy war the more we see fighters responding". But not just this, as Mattia Toaldo insists, the Daech "project" holds a sort of fascination for many Libyans who halt in the building of a government much more than on the "Islamic" aspect of the organization" In all before concluding: "there is this potential which should worry the Europeans. The danger is real especially if the civil war continues". A word to the wise… 36
REPÈRE HISTORIQUE
MATTIA TOALDO
La Libye est terre d’islam. Et ce depuis la conquête arabe du VIIe siècle. Sunnite à 97 %, le pays a vu au fil du temps se développer un islam populaire, mêlant l’essence de la foi orthodoxe aux antiques croyances indigènes. Ce qui ne l’empêcha pas de connaître un réveil religieux au XIXe siècle sous l’impulsion de l’ordre de Senoussi, secte soufie, qui lui donnera son unique roi : Idriss 1er. Le monarque est déposé en 1969, après 18 années de règne, par un certain Mouammar Kadhafi. Le fantasque « guide » s’avèrera un réformateur hétérodoxe. Plus encore après que le colonel se fut découvert – non sans un certain opportunisme – la capacité unique d’interpréter le coran pour l’adapter aux exigences de la modernité…
© ecfr
Mattia Toaldo est membre du think tank European Council on Foreign Relations (ECFR) où il intervient dans le cadre du Middle East and North Africa Programme depuis septembre 2013. Avant cela, il a œuvré en tant que consultant en matière de politique étrangère, comme intérieure, pour de nombreux décideurs italiens. Titulaire d’une doctorat en histoire des relations internationales à l’université de Rome III, il est également l’auteur du livre The Origins of the US War on Terror (Routledge, 2012).
© Khalid Albaih
HISTORIC REFERENCE Libya is the land of Islam and has been since the Arab conquest in the 8th century. The country is 97% Sunni, and has seen develop over time popular Islam, mixing the essence of orthodox faith with ancient indigenous beliefs. This did not prevent it from experiencing a religious revival in the 19th century propelled by the orders of Senoussi, a Suffi sect, who gave the country its only king: Idriss the 1st. The monarch was dethroned in 1969, after 18 years of reign, by a certain Mouammar Gaddafi. The capricious "guide" brought a heterodox reformer. Furthermore, the coronel was discovered to have – not without a certain opportunism– the unique capacity to interpret the Koran to adapt it to the demands of modernity…
Mattia Toaldo is a member of the European Council on Foreign Relations (ECFR) think tank where he has been intervening within the framework of the Middle East and North Africa Programme since September 2013. Before this he was working as a consultant equally in foreign political matters as domestic for a number of Italian policy-makers. Holding a doctorat in the history of international relations from the Univeristy of Rome III, he is also the author of the book The Origins of the US War on Terror (Routledge, 2012).
RETROUVEZ EN INTÉGRALITÉ L'INTERVIEW DE MATTIA TOALDO SUR 54ETATS.FR
Translation from French: Rachel Wong 37
par Hervé PUGI
DEPUIS DE LONGUES SEMAINES DÉJÀ, C’EST AU MAROC – PLUS PRÉCISÉMENT À SKHIRAT, À PROXIMITÉ DE RABAT – QUE SE JOUE L’AVENIR DE LA LIBYE. REPRÉSENTANTS DE TOBROUK, DE TRIPOLI (ET D’AILLEURS) ONT FINALEMENT PRIS PLACE AUTOUR D’UNE TABLE, SOUS L’ÉGIDE DE L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES (ONU), POUR TENTER DE SORTIR LE PAYS D’UNE SPIRALE DESTRUCTRICE. LA MISSION QUI LEUR EST CONFIÉE EST CLAIRE, À DÉFAUT D’ÊTRE SIMPLE : PARVENIR À LA FORMATION D’UN GOUVERNEMENT D’UNION NATIONALE. PAS GAGNÉ ALORS QUE LES UNS ET LES AUTRES SE TIRENT – LITTÉRALEMENT – DESSUS À LONGUEUR DE JOURNÉE ! DANS CET ENFER, UN HOMME SE DÉMÈNE COMME UN BEAU DIABLE…
IT HAS BEEN MANY WEEKS NOW THAT MOROCCO – MORE SPECIFICALLY, SKHIRAT, NEAR RABAT – HAS BEEN PLAYING WITH LIBYA’S FUTURE. REPRESENTATIVES FROM TOBROUK, TRIPOLI (AND ELSEWHERE) FINALLY TOOK THEIR PLACES AROUND A TABLE, UNDER THE AUSPICES OF THE UNITED NATIONS (UN), TO TRY TO SAVE THEIR COUNTRY FROM A DOWNWARD SPIRAL OF DESTRUCTION. THE MISSION ENTRUSTED TO THEM IS CLEAR, TO THE POINT OF BEING SIMPLE: TO ESTABLISH A GOVERNMENT OF NATIONAL UNITY. A LONG WAY TO GO WHILE THEY CONTINUE TO SHOOT AT EACH OTHER – LITERALLY. ONE MAN STRUGGLES WITH THIS NIGHTMARE … 38
YOUR CHOICE IS DOWN TO TWO OPTIONS, A POLITICAL DEAL OR CHAOS © UNSMIL
Être à la tête de la Mission d’appui des Nations unies pour la Libye (MISNUL) ne doit pas être de tout repos. Bernardino León en sait quelque chose ! Son prédécesseur, Tarek Mitri, pourrait le confirmer : soupçonné un peu trop rapidement d'être proche des Frères musulmans, cet orthodoxe grec libanais a été démis de ses fonctions. Le représentant spécial de l’ONU ne compte plus les « aller-retour » à Tripoli et Tobrouk et les escales plus ou moins longues à Alger, Bruxelles, Genève, Tunis et toute autre destination ou la palabre est reine... déchue. Car, à l’heure où s’écrivent ces modestes lignes, force est de constater que les parties prenantes au conflit libyen ont moins brillé par leur éloquence empreinte de pacifisme que par leur promptitude à faire rugir les kalachnikovs. Le « blabla » onusien – qui l’ignore encore ? – a cela d’admirable qu’il parvient à synthétiser tout et son contraire pour parvenir à d’improbables compromis, audacieux mais rarement respectés. Il faut toutefois accorder à M. León un engagement de tous les instants sur un dossier ô combien complexe. Plus encore quand derrière chaque interlocuteur sommeille un Machiavel en puissance. Pour chaque mot approuvé au Maroc, un coup de feu retentit en Libye et, de fait, chaque phrase prononcée à Skhirat semble invariablement ponctuée par un tir de mortier à Benghazi ou ailleurs...
Being the head of the United Nations Support Mission in Libya (UNSMIL) is not easy. Bernardino León certainly knows! And his predecessor, Tarek Mitri, could confirm: suspected a little bit more quickly to be close to Muslim Brotherhood, this Lebanese Greek orthodox was fired. The UN special representative can sum up more than a few "roundtrips" to Tripoli and Tobrouk and the longer trips to Algiers, Brussels, Geneva, Tunis and others in one word... failure. Because it must be noted that at the time that this article was written, the parties tangled up in the Libyan conflict shone less brightly for their peacefully stamped eloquence than their eagerness to take up their kalachnikovs. The UN lipservice– does anyone listen to this anymore? – must be admired as it has the ability to synthesize everything and the opposite to achieve improbable compromises, audacious but rarely respected. Nevertheless, M. León exhibits relentless commitment to such a complex problem. Even more so when behind every contact a potential Machiavelli lies sleeping. For every word approved in Morocco, gunshot fired in Libya and sentence uttered in Skhirat seems invariably punctuated by a fatal gunshot in Benghazi or elsewhere...
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A DEAL OR CHAOS!
© UN Geneva
UN ACCORD OU LE CHAOS !
© United Nations Economic and Social Council
Une situation qui n’est pas sans poser quelques difficultés. Ce que reconnaît le Señor León : « Nous faisons des progrès. Nous avons l’impression d’être tout prêt d’un accord mais il y a toujours cette violence, des deux camps… » Car le diplomate espagnol le sait bien et assène dès qu’il le peut cette vérité (qui ne plaît pas forcément à tout le monde) : « il y a des extrémistes de chaque côté, des radicaux, des tenants d’une ligne dure qui ne veulent surtout pas d’une solution politique ». Et le chef de la mission d’enfoncer le clou : « les meurtres perpétrés ne témoignent pas seulement d’un manque de respect pour la vie, mais ces meurtres sont exploités pour miner ce dialogue, pour mettre sous pression ceux qui ont décidé de trouver une solution par la négociation ». Un constat au goût amer fondé sur un certain humanisme si l’on se réfère à la déclaration qui suit : « S’il y a quelque chose de pire que de simplement tuer un être humain, c’est bien de tuer un homme pour des finalités politiques. » Clairement, Bernardino León fait le boulot. Ce frais quinquagénaire a le sens de la formule et, contrairement aux usages diplomatiques, n’y va pas par quatre chemins pour mettre face à leurs responsabilités les différents protagonistes. Les participants de la réunion d’Alger, mi-mars, ont pu s’en rendre compte en entendant celui qui fut secrétaire d’État aux affaires étrangères du gouvernement Zapatero, entre 2004 et 2008, leur lancer : « votre choix se réduit à deux options, un accord politique ou le chaos ». Ce message passé, l’ancien représentant spécial de l’Union européenne pour la Méditerranée du Sud (de juillet 2011 à août 2014) a repris son bâton de pèlerin pour guider les Libyens vers la paix promise. Un travail délicat et minutieux auquel le natif de Malaga s’attelle avec application : « nous travaillons sur les documents. Ils changent et évoluent avec les remarques et les suggestions de chaque partie. Nous nous adaptons aux différentes propositions. Et puis nous discutons, tout particulièrement, comme vous pouvez l’imaginer, aux documents sur le futur gouvernement ». Réunir deux gouvernements que tout oppose en un seul : la finalité absolue.
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The situation does present some difficulties. According to Señor León: "We are making progress. We feel we are close to an agreement but there is still this violence, these two camps … "Because the Spanish diplomat knows and assures as far as he can this truth (that obviously not everyone likes): "there are extremists on each side, radicals, hardliners who above all do not want a political solution". And the head of this sinking mission finalizes: "the perpetrated deaths do not stand only as a lack of respect for human life but to undermine this dialogue, to put pressure on those who decided to find a solution for negotiation". A point that leaves behind a bitterness based on a certain humanism that he hints at in his following statement a: "If there is something worse than simply killing a human being, it is killing a man for political objectives." Clearly, Bernardino León is doing his job. This fifty-yearold knows what to do and, contrary to diplomatic norms, will cut to the chase to hold the different players to the fire. The participants at the reunion in Algeria, in midMarch, have come to understand what the Secretary of State to foreign affairs under Zapatero between 2004 and 2008, declared to them: "your choice is down to two options, a political deal or chaos ". The former special representative of the European Union for the southern Mediterranean (from July 2011 to August 2014) has resumed his role as shepherd to guide the Libyans to promised peace. A delicate and meticulous job to which the Malaga native applies himself wholeheartedly: "we are working on the documents. They change and evolve with the comments and suggestions from each party. We are adapting ourselves to different propositions. And now we are discussing, very carefully, as you can imagine, the documents about the future government". Reuniting two totally opposing governments: the ultimate objective.
© Palais des Nations
UNE VOLONTÉ RÉCOMPENSÉE ? Ce spécialiste des causes perdues, qui a notamment œuvré au rapprochement de Béji Caïd Essebsi et Rachid Ghannouchi en août 2013 alors que la Tunisie était proche de sombrer, semble croire dur comme fer à l’issue heureuse de son entreprise, pour le moins titanesque. Ce qui ne l’empêche pas de rester lucide. Ainsi, fin mars, il déclarait encore, non sans malice : « Je ne pourrais vous dire si nous sommes proche d’un accord. Il faut demander aux différents camps. Un membre d’une délégation a déclaré récemment, alors que les avis paraissaient positifs sur nos travaux, que nous avions en fait atteint un point de non-retour. Mais mon expérience en Libye me fait dire que les Libyens sont capables de revenir de n’importe quel point, même de celui de non-retour… » Décrit comme l’un des meilleurs négociateurs de la sphère diplomatique à l’heure actuelle, rien ne dit pourtant que Bernardino León saura venir à bout de l’imbroglio libyen. Toute la meilleure volonté d’un homme (et de ses équipes) n’a jamais dans l’Histoire suffit à faire taire le bruit des armes. Pourtant, le chef de la MISNUL s’entête, conscient qu’il n’existe pas de sentiers pavés de pétales de roses sans épines. Du coup, León prévient : « Nous devons être très précautionneux. Cela va être difficile mais nous continuerons. Vous savez, ce sont toujours les derniers kilomètres qui sont les plus difficiles ». Parole d’expert…
RECIPROCATED GOODWILL? This expert in lost causes, who notably opened up a reconciliation between Béji Caïd Essebsi and Rachid Ghannouchi in August 2013 while Tunisia was close to sinking, fiercely believes in the successful outcome of his gigantic task. This does not prevent him from staying rational. Thus, at the end of March, he declared again, not without malice: "I could not tell you if we were close to a deal. We have to ask the different camps. One member of a delegation recently declared that the opinions seemed positive regarding our work, that we had indeed achieved a point of no return. But my experience in Libya makes me say that the Libyans are capable of regressing to any point, even to that of no return…" Described as one of the best negotiators in the diplomatic world right now, there is still no indicator that Bernardino León will know how to deal with this Libyan imbroglio. All the best intentions of a man (and his team) was never enough in history to silence the sound of weapons. And yet, the head of UNSMIL insists, aware that the road ahead is rocky and not strewn with rose petals. León predicts: "We must be very cautious. This is going to be very difficult but we will continue. You know, it is always the last few kilometers that are the most difficult". Spoken like a true veteran… Translation from French: Rachel Wong
Les négociations en cours à Skhirat, tout comme la situation générale en Libye, connaissant son lot de rebondissements, le processus visant à obtenir un accord pour un gouvernement d’union nationale peut avoir considérablement évolué entre le moment de l’écriture de cet article, sa publication et sa lecture. Pour obtenir toutes les informations sur l’actualité, mise à jour, rendez-vous sur www.54etats.com !
The negotiations happening in Skhirat, just like the general situation in Libya, are seeing their fair share of surprises as the process aiming to come to an agreement for a government of national unity can evolve considerably from the moment of this article’s writing and publication. To get up-to-the-minute information, go to www.54etats. com!
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© Surian Soosay
Juin 2011
Mardi 15 et mercredi 16. L’arrestation de Fethi Tarbel (militant des droits de l’Homme, il est le porteparole de l'association des familles des personnes tuées en prison en 1996) déclenche des émeutes à Benghazi. Sa libération n’y change rien. Les manifestants campent une partie de la nuit sur la place Chajara. Jeudi 17. Appel des manifestants à un « Jour de colère » contre le gouvernement. En réponse, Mouammar Kadhafi réunit ses partisans à Tripoli. Affrontements à Benghazi (7 morts). El-Beida et Zintan rentrent dans la contestation. Mercredi 23 au vendredi 25. Tobrouk et Benghazi passent aux mains des insurgés. Kadhafi évoque l’ombre d’Al-Qaïda pour justifier cette révolte. Samedi 26. Embargo sur les ventes d’armes imposé par les Nations unies (ONU). Fin février. Les personnes qui ultérieurement rejoindront la révolution participent à la manifestation à Tripoli. Ils refléchissent à une manière de mettre fin à la révolution.
Mars 2011
Jeudi 10. La France reconnaît le Conseil national de transition (CNT), formé le 27 février, comme unique représentant de la Libye. Jeudi 17. L’ONU vote une zone d’exclusion aérienne et autorise la prise de « toutes les mesures nécessaires » pour assurer la protection des civils face à l’armée régulière libyenne. Samedi 19. Début des raids aériens qui stoppent les « Kadhafistes » aux portes de Benghazi.
Avril 2011
Samedi 30. Saïf Al-Arab Mouammar Kadhafi, 29 ans, dernier des six fils, et trois petits enfants du guide libyen, meurent sous les bombes de l’OTAN.
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Lundi 27. Mandat d’arrêt délivré par la Cour pénale internationale à l’encontre de Mouammar Kadhafi, son fils Saïf Al-Islam et du chef des services de renseignements libyens, Abdallah Al-Senoussi. Motif : crimes contre l’humanité.
Août 2011
Mardi 9. Le pouvoir de Tripoli accuse l’OTAN d’avoir tué 85 civils dans un raid aérien mené à 150 kilomètres à l’est de Tripoli. Mardi 23. Prise du QG de Kadhafi à Tripoli. Les trois jours de batailles, acharnées, dans la capitale feront, selon le CNT, plus de 400 morts et 2 000 blessés. Lundi 29. L’épouse de Kadhafi, sa fille Aïcha (qui accouchera le jour même) et deux de ses fils fuient vers l’Algérie. Khamis, autre enfant du guide, trouve la mort dans des combats.
Septembre 2011
Dimanche 11. Un autre fils Kadhafi, Saadi, prend la route du Niger. Il sera extradé le 6 mars 2014 vers la Libye. Aucune trace de son père… Jeudi 15. Bain de foule pour Nicolas Sarkozy et David Cameron, accueillis en libérateurs, à Benghazi. Deux jours plus tôt, le président du CNT, Moustafa Abdeljalil, avait reçu un accueil comparable à Tripoli.
Octobre 2011
Lundi 17. Prise de Bani Walid, avant-dernier bastion du régime déchu. Jeudi 20. Le siège de Syrte aboutit à la capitulation des derniers fidèles à la solde de l’ancien pouvoir. En fuite, le convoi de Mouammar Kadhafi est touché par un raid aérien mené par l’OTAN. Capturé et maltraité, le guide libyen trouvera la mort dans des circonstances encore mal définies, comme l'a annoncé en premier lieu Abdelhakim Belhadj via Al-Jazeera.
© BR Q Netw orkK
Février 2011
Jeudi 9. Réunion du Groupe de contact sur la Libye à Abu Dhabi. Appuis politique et financier à la rébellion libyenne sont décidés. Pour la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton, les jours du régime de Kadhafi sont « comptés ».
June 2011
February 2011 Tuesday, 15th and Wednesday, 16th. The arrest of Fethi Tarbel (a human rights activist and spokesman for the families' organisation for the people killed in prison in 1996) brings about riots in Benghazi. His release does not succeed in pacifying the social unrest. Demonstrators spend most of the night on Chajara Place. Thursday 17th. Demonstrators call to a "Day of Wrath" against the government. In response, Mouammar Gaddafi brings together his partisans in Tripoli. Confrontations in Benghazi (7 deaths). El-Beida and Zenten follow the contestation. Wednesday, 23rd to Friday, 25th. Tobruk and Benghazi fall into the hands of insurgents. Gaddafi refers to al-Qaeda to justify the uprising. Saturday, 26th. The United Nations (UN) set an embargo on sales on arms. End of February The people who later join the revolution take part in a protest in Tripoli. They plan to find a way to stop the revolution.
Thursday, 9th. Contact group meeting on Libya in Abu Dhabi. Political and financial support to the Libyan rebellion is decided. US Secretary of State Hillary Clinton considers that the days of Gaddafi’s regime are numbered. Monday, 27th. Arrest warrant is issued by the International Criminal Court against Mouammar Gaddafi, his son Seif Al-Islam and the chief of the Libyan secret service, Abdallah-Al-Senoussi for crimes against humanity.
August 2011 Tuesday, 9th. Tripoli accuses NATO of the death of 85 civilians during an air raid led at 150 kilometres at the east of the capital. Tuesday, 23rd. Gaddafi’s headquarter in Tripoli is taken. According to the NTC, these three fierce battle days in the Libyan capital led to the death of 400 people and injuries to a more 2,000 individuals. Monday 29th. Gaddafi’s spouse, her daughter Aïcha (who gave birth on the same day) and two of his sons run away to Algeria. Khamis, an other Libyan guide’s son dies in fighting southeast of Tripoli.
September 2011
Thursday, 10th. France recognizes as the exclusive representative of Libya the National Transition Council (NTC) established in February 27th.
Thursday, 17th. The UN votes a no-fly zone and authorizes the taking of all steps necessary to ensure the protection of civilians against the Libyan regular army. Saturday, 19th. First air raids stop Gaddafi’s troops on the doorstep of Benghazi.
April 2011 Saturday, 30th. Seif Al-Arab Mouammar Gaddafi, 29 years, the youngest of Gaddafi’s six sons, and three grandchildren of the Libyan guide, died during a NATO bombing.
Thursday, 15th. Nicolas Sarkozy and David Cameron mingle with the crowd in Benghazi. Both are welcome as "liberators". Two days earlier, the TCN president, Mustafa Abdeljalil, was welcome in the same way in Tripoli.
October 2011
Monday, 17th. Bani Walid surrenders. It was the penultimate bastion of the fallen regime.
Thursday, 20th. The siege of Sirte ends with the surrender of the last groups supporting the fallen regime. On the run, Gaddafi’s convoy is intercepted after an air raid led by NATO. Captured and ill-treated, the Libyan leader is killed under unclear circumstances, as first announced by Abdelhakim Belhadj through Al-Jazeera media. Translation from French: Susan Allen Maurin
© Surian Soosay
March 2011
Sunday, 11th. Another Gaddafi’s son, Saadi flees to Niger. He is extradited on March 6th, 2014 towards Libya. No trace of his father…
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CLAN KADHAFI WHERE IS THE GADDAFI CLAN NOW? par Sandra WOLMER
SAFIA FARKASH KADHAFI (Née en 1952) la veuve de Mouammar Kadhafi fuit la Libye en août 2011 pour se réfugier avec ses trois enfants (Mohamed, Hannibal et Aïcha) dans un premier temps en Algérie, où l’asile leur est accordé « à titre humanitaire ». Elle réside aujourd’hui dans le sultanat d’Oman. SAFIA FARKASH GADDAFI (Born in 1952) Muammar Gaddafi’s widow fled Libya in 2011 with her three children (Muhammad, Hannibal et Ayesha) and found refuge first in Algeria, where they were granted asylum "on humanitarian grounds". She now resides in the Sultanate of Oman.
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MOHAMED KADHAFI
AÏCHA KADHAFI
HANNIBAL KADHAFI
(Né en 1970) aîné de la fratrie et fils unique né du premier mariage du colonel avec sa première épouse, Fatiha al-Nouri. Il présidait l’organisme des Télécommunications et le Comité national olympique. Il s’est un temps réfugié en Algérie et réside aujourd’hui dans le sultanat d’Oman.
(Née en 1977) son tempérament colérique sera finalement venu à bout de la patience des officiels algériens. Celle qui fut l’avocate de l’ex-président irakien Saddam Hussein a rejoint, fin 2012, le sultanat d’Oman avec une partie de sa famille où elle vit désormais.
(Né en 1978) Ce militaire de formation a été à l’origine de graves tensions diplomatiques avec la Suisse (en raison de mauvais traitements à l’encontre de domestiques).
MUHAMMAD GADDAFI (Born in 1970) the eldest of the siblings and the only son from the Colonel’s first marriage to Fatiha al-Nuri. He used to be the Chairman of the General Posts and Telecommunications Company and the National Olympic Committee. He found refuge in Algeria for a while and now lives in the Sultanate of Oman.
AYESHA GADDAFI (Born in 1977) Algerian officials eventually ran out of patience with her ill-tempered nature and outspokenness. This woman, who used to be a lawyer for the former President of Iraq, Saddam Hussein, finally left Algeria at the end of 2012 and is now living in the Sultanate of Oman with other members of her family.
HANNIBAL GADDAFI (Born in 1978) This trained seaman was the cause of serious diplomatic tensions with Switzerland (because of ill-treatment of household employees).
MOUAMMAR KADHAFI (Né en 1942) le dirigeant libyen déchu, arrivé au pouvoir en 1969 à la suite d’un coup d’État, a été capturé puis tué le 20 octobre 2011. MUAMMAR GADDAFI (Born in 1942) the deposed Libyan leader, who came to power in 1969 following a coup d’état, was captured and then killed on 20th October 2011.
SEÏF EL-ARAB KADHAFI (Né en 1980) officier formé en Allemagne, le plus jeune des six fils de Kadhafi a été tué dans la capitale libyenne en avril 2011 lors d’un raid de l’OTAN. SAIF AL-ARAB GADDAFI (Born in 1980) this German-trained officer was the youngest of Muammar Gaddafi’s six sons. He was killed in the Libyan capital in April 2011 during a NATO airstrike.
KHAMIS KADHAFI (Né en 1983) le benjamin des fils Kadhafi était en charge de la défense de Tripoli. La base militaire qu’il tenait dans la capitale est la dernière à être tombée. Il est décédé lors d‘un bombardement de l’OTAN en octobre 2011. KHAMIS GADDAFI (Born in 1983) the youngest of Gaddafi’s sons was in charge of defending Tripoli. The military base he was in charge of in the Libyan capital was the last to fall. He died during a NATO airstrike in October 2011.
MOUATASSIM KADHAFI (Né en 1975) médecin et militaire, le quatrième fils de Kadhafi, avait dirigé le Conseil de sécurité nationale. Il se posait en principal rival de son frère Seïf al-Islam dans la course à la succession de son père. Il a été retrouvé mort à Syrte en octobre 2011. MUTASSIM GADDAFI (Born in 1975) Muammar Gaddafi’s fourth son, a doctor and officer, was the National Security Advisor of Libya. He was his brother’s (Saif al-Islam) main rival in the race to succeed his father. He was found dead in Sirte in October 2011.
SEÏF AL-ISLAM KADHAFI (Né en 1972) Deux procès ont été intentés en Libye contre le premier fils de la seconde épouse du colonel Kadhafi. L’un à Zenten (où il est détenu par les brigades depuis novembre 2011) ; l’autre devant la chambre d’accusation de Tripoli devant laquelle sont traduits d’autres responsables de l’ancien régime. Par ailleurs, il est visé par un mandat d’arrêt pour crimes contre l’humanité émis par la Cour pénale internationale. La Libye et La Haye se disputent le droit de le juger. SAIF AL-ISLAM GADDAFI (born in 1972) Two lawsuits have been filed against the eldest son of Colonel Gaddafi’s second wife in Libya. The first in Zintan (where he has been detained by militias since November 2011) ; the second by Tripoli’s Indictment Chamber before which other officials of the former regime will be brought. Moreover, the International Criminal Court has issued a warrant for his arrest for crimes against humanity. Libya and The Hague Court are competing for the right to judge him.
SAADI KADHAFI (Né en 1973) Cet ancien footballeur professionnel (ex-capitaine de l’équipe nationale) a trouvé refuge au Niger en 2011 après le renversement de son père. Le Niger l’a remis aux autorités libyennes en mars 2014. La justice libyenne souhaite le juger notamment pour « crimes visant à maintenir son père au pouvoir ». AL-SAADI GADDAFI (Born in 1973) This ex-professional footballer (ex-captain of the national team) found refuge in Niger in 2011 when his father’s regime was overthrown. Niger handed him over to the Libyan authorities in March 2014. The Libyan court wants him to stand trial, notably for "crimes aiming to keep his father in power ".
Les deux enfants adoptifs de Kadhafi, Milad Abouztaïa Kadhafi et Hannah Kadhafi (donnée pour morte en 1986, elle serait finalement en vie), et sa première épouse Fatiha al-Nuri, dont il a divorcé en 1970 après un an de mariage, alors qu’elle était enceinte de Mohamed.
Gaddafi’s two adopted children, Milad Abuztaia Gaddafi and Hannah Gaddafi (allegedly died in 1986 but who may, in fact, be alive) and his first wife, Fatiha al-Nuri, whom he divorced in 1970 after one year of marriage and while she was pregnant with Muhammad. Translation from French Susan Allen Maurin 45
© Journal foreign relations
RIADH
SIDAOUI «LA LIBYE N'A PAS DE CULTURE DÉMOCRATIQUE» "LIBYA DOESN’T HAVE A DEMOCRATIC CULTURE"
INTERVIEW
par Arnaud LONGATTE
CET ÉCRIVAIN, POLITOLOGUE ET DIRECTEUR DU CENTRE ARABE DE RECHERCHES ET D’ANALYSES POLITIQUES ET SOCIALES DE GENÈVE, NOUS ÉCLAIRE SUR LA QUESTION LIBYENNE.
54 ÉTATS : Que s’est-il passé en Libye lors de la chute de Kadhafi ? Riadh Sidaoui (R. S.) : Tout d’abord il faut comprendre les facteurs qui président à la chute d’une dictature. À mon sens, pour qu’un régime tombe, il faut trois facteurs : premièrement, la radicalisation de l’opposition populaire et son exigence du départ du régime qui refuse de faire des réformes ; deuxièmement, des défections au sein même des élites du pouvoir ; troisièmement, l’armée. Il faut une neutralité de l’armée. Ces éléments révolutionnaires ont été présents dans la révolution tunisienne ou égyptienne. Le problème de la Libye, c’est qu’il y a eu une division au sein de l’armée. Une partie était au service de Kadhafi et une autre s’est opposée à Kadhafi. C’est ce qui a contribué à mener le pays vers une situation de guerre civile et cela aurait pu durer des années sans intervention étrangère.
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WRITER, POLITICAL ANALYST AND DIRECTOR OF THE GENEVA-BASED ARAB CENTER FOR RESEARCH AND POLITICAL AND SOCIAL ANALYSIS, SHEDS SOME LIGHT FOR US ON THE LIBYAN ISSUE.
54 ÉTATS: What happened in Lybia when Gaddafi’s regime collapsed? Riadh Sidaoui (R. S.): First of all, it’s necessary to understand the factors that contribute to the fall of a dictatorship. In my opinion, in order for a regime to fall, there are three factors: firstly, the radicalization of the popular opposition and its demand for the departure of the regime that refuses to make reforms; secondly, the defections within the ruling elite; thirdly, the army. The army has to be neutral. These revolutionary elements were present in the Tunisian or Egyptian revolution. The problem with Libya is that there was a division within the army. Part of the army was pro-Gaddafi and the other, anti-Gaddafi. That is what helped lead the country towards a civil war, which, without foreign intervention, could have lasted for years.
54 ÉTATS : Pourquoi la communauté internationale est-elle réellement intervenue en Libye ?
54 ÉTATS: What were the real reasons behind the international community’s intervention in Libya?
R. S. : Kadhafi n’avait pas réussi à construire un État moderne mais cela fonctionnait à sa façon. Il contrôlait les forces tribales, et la sécurité et le renseignement étaient très puissants du fait de liquidités très fortes dans le pays. Lors du printemps arabe, des soulèvements ont eu lieu en Libye et Kadhafi a lancé son armée contre les insurgés et il allait les écraser. Un massacre était pressenti. Alors il y a eu la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU qui a interdit à Kadhafi d’utiliser ses chasseurs contre les populations et qui a établit une zone d’exclusion aérienne et a promulgué une protection des civils. C’est ainsi que l’OTAN est intervenu militairement en se positionnant pour stopper l’armée de Kadhafi. Et cela est devenu une guerre totale en vue d’éliminer un régime. Or, dans le droit international, il existe ce qu’on appelle « le droit des peuples à l’autodétermination », c’est-à-dire qu’on n’a pas le droit de changer une situation politique de l’extérieur.
R. S.: Gaddafi hadn’t succeeded in building a modern State but the system worked on his terms. He controlled the tribal forces and security and intelligence were very powerful on account of the high liquidity in the country. During the Arab Spring, there were uprisings in Libya so Gaddafi sent his army to launch an offensive against the insurgents that he was going to crush. A massacre was widely anticipated. Then, there’s the United Nations Security Council Resolution 1973 which forbade Gaddafi to use his fighters against the population, imposed a no-fly zone and promulgated the protection of civilians. That is how NATO intervened militarily by positioning itself to stop Gaddafi’s army. Consequently, it turned into an all-out war, the aim of which was to eliminate a regime. However, in international law, there is what is called "the right to self-determination of all peoples", which means that outsiders don’t have the right to change a political situation.
© Mojomogwai
54 ÉTATS : Comment la communauté internationale en estelle venue à penser que la mise hors jeu de Kadhafi correspondait à la mise en place d’une démocratie ? R. S. : Il n’y a pas de questions démocratiques en Libye, c’est un pays qui n’avait jamais connu d’élections, il n’y avait pas de partis politiques, à la différence de la Tunisie ou de l’Égypte par exemple où il y a une société civile forte. Donc on a éliminé le régime de Kadhafi mais sans alternative. Il en est resté un grand vide, vite rempli par de nouveaux acteurs : djihadistes, terroristes, tribus et des partis qui sont arrivés comme les Frères musulmans. 54 ÉTATS : Nombre d’interlocuteurs font part de grandes manœuvres en coulisses. Outre le camp occidental habituel (France, États-Unis, Grande-Bretagne), Algérie, Égypte ou Qatar seraient également très actifs sur le dossier. Chacun semblant jouer une carte personnelle. Quels sont réellement les acteurs qui comptent sur le dossier libyen ? Et quel est leur but respectif ? Qui soutient qui et pourquoi ? R. S. : Le Qatar est un tout petit pays, mais qui dispose de liquidités colossales, du fait des rentes gazières et pétrolières dont il dispose. Ce pays a voulu jouer un rôle dans cette région et a choisi de faire alliance avec le mouvement international des Frères musulmans. Il est donc un appui puissant des Frères musulmans dans ce pays. En ce qui concerne la France, elle a toujours été un soutien aux élites laïques et démocratiques par tradition. La position des États-Unis est plus floue. En effet, à mon avis ils ont hérité d’un concept britannique que l’on nomme le « local power ». C’est-à-dire qu’ils ne cherchent pas à changer la donne, ou à promouvoir des élites intellectuelles, mais se contentent de trouver un pouvoir local et de le laisser en place afin d’établir avec lui des relations qui leur permettent d’avoir une mainmise économique sur un pays par exemple. Ce qui prévaut à leurs yeux, c’est d’avoir le leadership sur des partenariats commerciaux, le reste ne les intéresse pas.
54 ÉTATS: How did the international community come to the conclusion that the removal of Gaddafi would lead to the establishment of a democracy? R. S.: There are no democratic issues in Libya; it’s a country that has never held elections and there were no political parties, unlike Tunisia or Egypt, where there is a strong civil society. So, when Gaddafi’s regime was overthrown, there was no other alternative. The great void that remained was rapidly filled by new players: Jihadists, terrorists, tribes and parties, like the Muslim Brotherhood, appeared. 54 ÉTATS: A number of interlocutors speak of significant maneuvering behind the scenes. Besides the usual Western camp (France, the United States, Great Britain), Algeria, Egypt or Qatar are also, apparently, actively involved with this issue. Each one seems to be playing its own, personal card. Regarding the Libyan issue, which players really count? And what are they each hoping to achieve? Who’s supporting who and why? R. S.: Qatar is a very small country but with a tremendous amount of liquidity, due to its and gas revenues. This country wanted to play a role in this region and chose to form an alliance with the Muslim Brotherhood movement. Consequently, it lends powerful support to the Muslim Brotherhood in this country. As for France, it has always traditionally supported secular and democratic elites. The position of the United States is less clear. In point of fact, in my opinion, the country has inherited the British concept known as "local power". In other words, the United States is neither seeking to change the situation nor to promote the intellectual elite. It’s simply contenting itself with a local power and leaving it there so as to establish contacts that will enable it to exert a stranglehold on a country’s economy, for example. What is important to the United States is obtaining the leadership in trading partnerships; the rest is of no interest. 47 47
"THE INTERNATIONAL COALITION INTERVENED AND LEFT CHAOS"
54 ÉTATS : Beaucoup d’observateurs « avisés » – politiciens, politologues ou historiens – semblent désormais penser que la Libye a besoin d’un « homme fort » à sa tête. Partagez-vous cette opinion et, éventuellement, quelle(s) personnalité(s) pourraient se dégager du chaos actuellement constaté ? R. S. : Le problème réel, lors de la chute de Kadhafi, à mon sens, était d’établir une armée nationale qui aurait eu pour tâche immédiate de récupérer les armes en circulation dans le pays, de désarmer toutes les milices. On ne peut pas avoir un début de démocratie avec des milices armées un peu partout dans le pays. Or cela n’a pas eu lieu. On ne peut pas organiser des élections sans avoir une armée nationale. Car si celle-ci existait, elle pourrait jouer le rôle d’arbitre lors des élections, comme en Tunisie. Avant d’avoir un homme fort, il faut une armée nationale forte.
54 ÉTATS: Many "astute" observers –politicians, political analysts or historians– now seem to think that Libya needs a "strong man" as leader. Do you share this point of view and who do you see as a possible candidate (or candidates) emerging from the prevailing chaos? R. S.: In my opinion, with the fall of Gaddafi, the priority was to establish a national army that would have had the immediate task of recovering the weapons circulating in the country and disarming all the militias. It’s impossible to establish a democracy with armed militias virtually all over the country. But this was not to be. It’s impossible to organize elections without a national army. Because, if there’s a strong national army, it can play the role of referee during the elections, like in Tunisia. Before having a strong man, the country needs, first and foremost, a strong national army.
© RAF Brize Norton
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54 ÉTATS : Peut-on dire que la communauté internationale a bien fait d’intervenir en Libye ? Sur le fond comme sur la forme ? Quelle est la responsabilité de la communauté internationale dans les événements récents en Libye ? R. S. : L’intervention a été incomplète. La coalition internationale est intervenue et a laissé le chaos. À mon sens, il aurait fallu finir le travail. Il aurait fallu nettoyer le pays de toutes ces armes qui circulent entre les mains des milices, il aurait fallu aider à l’établissement d’une armée nationale forte. Car actuellement, c’est une guerre civile atroce qui ravage le pays. Des exactions sont commises quotidiennement : viols, tortures, massacres, assassinats. On en arrive même à avoir une nostalgie de l’ère Kadhafi, car à l’époque il y avait tout de même une stabilité dans le pays. Et voilà que le chaos s’est installé. Je pense qu’on n’a pas fait le travail jusqu’au bout et qu’on a laissé s’installer une anarchie totale, comme ce fut le cas en Irak. On a reproduit la même situation qu’en Irak : on est intervenu pour faire tomber un dictateur et on est reparti, laissant le désordre le plus total et la violence prendre la place. 54 ÉTATS : Peut-on faire quelque chose pour les Libyens encore aujourd’hui ? Faut-il encore intervenir ou pas ? Que faire ? R. S. : On est venu mettre le désordre et maintenant on les a laissés s’entretuer. Il faudrait terminer le travail, mais il est aisé d’envoyer des avions bombarder des positions, mais cela ne règle pas tout. En revanche, décider d’une intervention terrestre fait peur. Les Américains ont déjà perdu des milliers d’hommes en Irak et en Afghanistan et, en Libye, il y a des quantités énormes d’armes qui sont aux mains de fanatiques alors cela fait extrêmement peur. Qui osera intervenir militairement en Libye ? Il faudrait simplement aider l’armée nationale libyenne à sécuriser le pays. 54 ÉTATS : La Libye peut-elle s’en sortir toute seule ? R. S. : Non. À mon avis elle ne pourra jamais s’en sortir toute seule. Cette guerre civile peut durer des années. La Libye n’a pas de culture démocratique. La démocratie est une culture et la Libye est une société tribale où le régionalisme est très puissant et elle est encore très loin d’être prête pour vivre une situation de démocratie. Je pense qu’il faudra des années avant de voir la Libye comprendre ce que c’est qu’une démocratie et de s’y préparer. La Libye est un système très complexe, très traditionnel et n’a pas comme en Tunisie une culture démocratique, une société civile forte ou des syndicats par exemple. Je pense que la Tunisie est prête pour la démocratie mais que la Libye en est encore très loin, malheureusement.
© America Abroad Media
54 ÉTATS: Can it be said that the international community took the right decision by intervening in Libya? Both in form and substance? To what extent can the international community be held accountable for the recent events in Libya? R. S.: The intervention was incomplete. The international coalition intervened and left the country in chaos. In my opinion, the work should have been finished. The militias should have been disarmed and help should have been provided to establish a strong national army. Consequently, an atrocious civil war is now ravaging the country. Atrocities are committed on a daily basis: rape, torture, massacres, assassinations. Some are even looking back with nostalgia at the Gaddafi era because at that time, even so, there was stability in the country. And now, the country is in chaos. To my way of thinking, we didn’t finish the job and allowed total anarchy to prevail, as was the case in Iraq. We reproduced the same situation as in Iraq: we intervened to bring down a dictator and we withdrew, leaving the country in total disorder and violence. 54 ÉTATS: Can something still be done for the Libyans today? Must we intervene or not? What can be done? R. S.: We caused the chaos and now we’re letting them kill each other. We need to finish the job. It’s easy to send planes to bomb positions but that doesn’t solve everything. On the other hand, an intervention on the ground is an alarming prospect. The Americans have already lost thousands of men in Iraq and Afghanistan and in Libya, there are enormous quantities of arms in the hands of fanatics, so it’s very frightening. Who will take the risk of intervening militarily in Libya? We would simply need to help the Libyan national army secure the country. 54 ÉTATS: Can Libya pull through on its own ? R. S.: No. Personally, I don’t think Libya will ever be able to cope on its own. This civil war could last for years. Libya doesn’t have a democratic culture. Democracy is a culture and Libya is a tribal society, where regionalism is very powerful and the country is nowhere near ready to living in a democracy. I think it will take years for Libya to understand and prepare itself for a democracy. Libya’s system is very complex and very traditional and doesn’t have, like Tunisia, a democratic culture, a strong civil society or unions, for example. I think that Tunisia is ready for democracy but Libya, unfortunately, still has a long way to go. Translation from French: Susan Allen Maurin
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DERRIÈRE LA GUERRE CIVILE, UNE LUTTE D’INFLUENCE… par Moez TRABELSI
© The White House
THE COMPETITION FOR INFLUENCE BEHIND THE CIVIL WAR…
DEPUIS LE 16 MAI 2014 ET UNE INCROYABLE SCISSION GOUVERNEMENTALE, LA LIBYE – EN PLEINE CRISE – SE CHERCHE UNE NOUVELLE LÉGITIMITÉ POLITIQUE. MAIS DERRIÈRE LA LUTTE DE POUVOIR ENTRE LA COALITION FAJR LIBYA, MAÎTRESSE DE TRIPOLI, ET LES AUTORITÉS DE TOBROUK ALLIÉES AU GÉNÉRAL HAFTAR, L’ARCHITECTE DE L’OPÉRATION « DIGNITÉ », SE CACHE UNE VÉRITABLE GUERRE D’INFLUENCE AU NIVEAU INTERNATIONAL. LE QATAR, L’ARABIE SAOUDITE, LA TURQUIE, L’ÉGYPTE ET LES ÉMIRATS ARABES UNIS SOUTIENNENT EFFECTIVEMENT, FINANCIÈREMENT ET MILITAIREMENT, LES DIFFÉRENTES PARTIES DU CONFLIT. NON SANS INCIDENCES. EXPLICATIONS.
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SINCE 16th MAY 2014 AND AN INCREDIBLE SPLIT IN THE GOVERNMENT, LIBYA – IN THE MIDST OF A CRISIS – IS SEARCHING FOR A NEW POLITICAL LEGITIMACY. BUT BEHIND THE POWER STRUGGLE BETWEEN THE FAJR LIBYA (LIBYA DAWN) COALITION, TRIPOLI’S MISTRESS, AND THE AUTHORITIES OF TOBRUK, ALLIED WITH GENERAL HAFTAR, THE LEADER OF "OPERATION DIGNITY", LIES A REAL COMPETITION FOR INFLUENCE AT AN INTERNATIONAL LEVEL. QATAR, SAUDI ARABIA, TURKEY, EGYPT AND THE UNITED ARAB EMIRATES ARE EFFECTIVELY PROVIDING FINANCIAL AND MILITARY SUPPORT TO THE DIFFERENT PARTIES INVOLVED IN THE CONFLICT, NOT WITHOUT CONSEQUENCES. HERE ARE SOME EXPLANATIONS.
« À chaque fois qu’il y aura un danger et une menace, il y aura des frappes aériennes, en coordination totale entre l’Égypte et la Libye ». Ce vendredi 27 février, le très discret Abdallah al-Thani ne fait plus aucun mystère. Sur l’antenne de la chaîne égyptienne CBC, le Premier ministre de la Libye, version Tobrouk, affirme au grand jour les liens supposés avec Abdel Fatah al-Sissi et jette un pavé dans la mare en accusant ouvertement la Turquie : « cet État ne se comporte pas honnêtement avec nous. Elle exporte des armes afin que les Libyens s’entretuent ». Voilà qui en dit long sur cette guerre de l’ombre à l’impact bien réel sur le cours des événements.
Ceux qui compliquent tout… Si Abdallah al-Thani n’a pas tout à fait tort, sa présentation du rôle joué par les uns et les autres est quelque peu biaisée par les propres intérêts de son camp. Et l’interventionnisme contribue à rendre la situation de la Libye plus complexe encore, pour ne pas dire insoluble. D’une part, la Turquie et le Qatar se rangent clairement du côté du pouvoir de Tripoli, notamment du fait de leur proximité avec la tendance islamiste des Frères musulmans. De l’autre, sous l’impulsion de l’Égypte, appuyée en sous-main par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, le gouvernement de Tobrouk se cherche une crédibilité que la communauté internationale lui accorde du bout des lèvres. Dans cette opposition entre pays sunnites – comble de l’ironie – il faut voir des divisions idéologiques mais aussi des conflits personnels qui empoisonnent le monde musulman depuis quelques années maintenant.
"Any time there is a danger and a threat, there will be airstrikes, in complete coordination between Egypt and Libya". Abdullah Al-Theni’s message is very clear. Speaking on the Egyptian channel, CBC, on Friday 27th February, the very discreet Prime Minister of Libya’s Tobruk-based government openly refers to the alleged connections with Abdel Fattah el-Sissi and sets the cat among the pigeons by overtly accusing Turkey: "Turkey is a State that is not dealing honestly with us. It’s exporting weapons to us so the Libyan people kill each other". These comments speak volumes about this shadow war and its significant impact on the course of events.
The protagonists who are complicating everything… Although Abdullah Al-Theni may not be entirely wrong, his presentation of the roles played by those involved is somewhat biased in relation to the interests of his own camp. And interventionism is making the situation in Libya even more complicated, if not, unsolvable. On the one hand, Turkey and Qatar are clearly siding with the government in Tripoli, notably because of their affinity with the Muslim Brotherhood and its Islamist tendency. On the other hand, at the instigation of Egypt and discreetly backed by Saudi Arabia and the United Arab Emirates, Tobruk’s government is seeking to gain credibility that the international community is ready to acknowledge, albeit, with reluctance. Given this – ironic - opposition between Sunni countries, it’s necessary to take into consideration not only the ideological divides but also the personal conflicts that have been plaguing the Muslim world for several years.
© Luis Sinco
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Les racines d’une division Ce conflit repose effectivement en grande partie sur un différend politico-religieux. À l’entrisme politique, façon AKP, prôné par la Turquie et à l’appui (pour ne pas dire l’instrumentalisation) des « Frères » par le Qatar s’oppose une coalition paradoxale entre les pétromonarchies du Golfe persique (Arabie saoudite et Émirats arabes unis) et la très militariste Égypte, économiquement portée à bout de bras par la famille al-Saoud. Pourquoi une telle division ? Comme l’a fait remarquer le chercheur Nabil Ennasri sur le site Slate : « Le pire scénario pour Riyad c’est que les printemps arabes réussissent, avec une démocratie authentique et des gouvernements stables, ce qui voudrait dire que la révolution est possible et que les monarchies ne seraient plus à l’abri ». Ajoutons à cela la querelle d’ego entre les autocrates Erdogan, ardent défenseur de l’ancien président Morsi, et le putschiste al-Sissi. Le premier, longtemps présenté comme le modèle type de « l’islamo-démocrate », a rêvé tout haut d’une ère d’influence courant de la Tunisie d’Ennahda à l’Égypte du Parti de la liberté et de la justice, dans laquelle aurait été englobée la Libye. Le projet a vécu et le président de la Turquie semble faire du cas libyen une histoire personnelle.
Tous unis contre l’ennemi commun ? Aussi osée et choquante puisse être la proposition, on peut légitimement se demander si l’apparition de Daech sur la scène libyenne ne va pas mettre davantage de désordre dans cet imbroglio géopolitique. Dans cette lutte d’influence que se livrent les uns et les autres, ce nouvel acteur particulièrement inquiétant pourrait mettre tout le monde d’accord sur le mode « l’ennemi de mon ennemi est mon ami ». Que ce soit la Turquie, confrontée à cet autre chaos qu’est la Syrie, les pays du Golfe – soutiens habituels des États-Unis et des Occidentaux –, qui voient d’un mauvais œil l’instauration d’un Califat qui pourrait remettre en cause leur légitimité ou l’Égypte, directement touchée par des attaques de terroristes se proclamant de l’État islamique, tous se découvrent un objectif. Reste maintenant à savoir si, une fois la menace éradiquée, quelle position adopterait chaque intervenant ?
The roots of a divide This conflict is, effectively, mainly based on a politico-religious dispute. The political entrism, of the type JDP (AKP) advocated by Turkey and supported (if not, exploited) by the Qatar "Brotherhood" is opposed to the paradoxical coalition of the Persian Gulf oil monarchies (Saudi Arabia and the United Arab Emirates) and a very militaristic Egypt, economically assisted by the al-Saud family. Why such a division? As Nabil Ennasri pointed out on the Slate website: "The worst scenario for Riyadh is that the Arab Springs are successful and result in an authentic democracy and stable governments, which would mean that popular uprisings are possible and that monarchies are no longer safe". In addition, there’s the clash of egos between the autocrats; Erdogan, the staunch supporter of Morsi, the former President and the putschist, Al-Sisi. For a long time, Erdogan, who was presented as the model of an "islamo-democrat", dreamt aloud of an era of influence, stretching from Tunisia with the Ennadha Movement to Egypt with its Freedom and Justice Party and which would include Libya. The project having had had its day, Turkey’s President seems to be making the Libyan issue a personal affair.
All united against the common enemy? However daring and shocking the proposal may seem, one can legitimately ask if the emergence of Daech on the Libyan scene will not change the situation in this geopolitical imbroglio. While the different protagonists compete for influence, this new, particularly worrisome actor could get everyone to agree with the proverb "the enemy of my enemy is my ally". Whether it be Turkey, that is confronted with the Syrian chaos, the Gulf countries – habitual supporters of the United States and the West -, that take a dim view of the establishment of a Caliphate, which could challenge their legitimacy or Egypt, the target of Islamic State terrorist attacks, they each have an aim. However, the question remains: what position will each protagonist adopt, once the threat is eliminated? Translation from French: Susan Allen Maurin
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UN DIFFÉREND POLITICO-RELIGIEUX À L’ORIGINE DU CONFLIT
© qautani
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© Thierry Ehrmann
par Hervé PUGI
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ALGÉRIE, ÉGYPTE, NIGER, SOUDAN, TCHAD OU TUNISIE, LE MOINS QUE L’ON PUISSE DIRE C’EST QUE LE CAS LIBYEN CONCERNE DIRECTEMENT BIEN DES PAYS. TOUS FRONTALIERS, CHACUN SUBIT À SON NIVEAU LES RÉPERCUSSIONS DE L’EFFONDREMENT SANS FIN D’UN ÉTAT LIVRÉ À L’ANARCHIE. ET, SURTOUT, TOUS S’ACTIVENT PLUS OU MOINS DANS LEUR COIN POUR PARTICIPER À LA RÉSOLUTION D’UNE PROBLÉMATIQUE MULTIFORME. LA LIBYE ? UN NŒUD GORDIEN PARTICULIÈREMENT DIFFICILE À TRANCHER POUR N’IMPORTE QUEL ALEXANDRE, AUSSI GRAND PUISSE-T-IL ÊTRE…
BE IT ALGERIA, EGYPT, NIGER, SUDAN, CHAD OR TUNISIA, MANY COUNTRIES, TO SAY THE LEAST, ARE DIRECTLY CONCERNED BY THE LIBYAN ISSUE. FOLLOWING THE COLLAPSE OF GADDAFI’S REGIME, EACH OF THESE NATIONS, AT ITS OWN LEVEL, IS ENDURING THE ENDLESS REPERCUSSIONS OF A NEIGHBORING STATE ABANDONED TO ANARCHY. ABOVE ALL, THEY ARE EACH BUSY DOING THEIR OWN THING IN THE AIM OF RESOLVING A MULTIFACETED PROBLEM. LIBYA IS A GORDIAN KNOT, WHICH IS PARTICULARLY DIFFICULT TO CUT FOR ANY ALEXANDER, NO MATTER HOW GREAT HE MAY BE…
Confrontées à l’hydre libyenne, les puissances régionales pataugent. À qui parler ? Qui combattre ? D’autant que pour chaque tête qui tombe une autre ressurgit inexorablement de la créature. Clairement, entre la crainte du terrorisme et la recherche de la stabilité, deux lignes bien distinctes se croisent, s’entrechoquent en vérité. Et quoi de plus logique en fait ? Que la Libye devienne un sanctuaire djihadiste et nous assisterions à la formation d’un véritable arc terroriste, certes disparate, qui s’étendrait des portes du Sahel jusqu’au fin fond du Machrek.
Confronted with the Libyan Hydra, the regional powers are floundering. Who can they talk to? Who should they fight? Particularly since, when one head is cut off, another inexorably takes its place. Clearly, the fear of terrorism and the quest for stability represent two distinct, intersecting lines that in reality, clash with each other. Indeed, nothing would seem more logical, given that Libya is becoming a Jihadist sanctuary and that we’re witnessing a real terrorist arc in the making, albeit disparate, extending from the Sahel gateway up to the limits of the Mashriq.
© François Bioche
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Déjà, les connexions avérées entre les branches libyennes et tunisiennes d’Ansar al-Charia font trembler les autorités de Tunis alors qu’Alger, confronté à la menace constante d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) depuis des années, n’est pas sans ignorer qu’une simple étincelle pourrait embraser des maquis mis sous l’éteignoir des forces de sécurité. Quant à l’Égypte, après avoir traqué sans relâche les Frères musulmans, le président al-Sissi doit désormais faire face à un ennemi autrement plus redoutable, Daech. Implanté de longue date dans le Sinaï, le groupe Ansar Beït al-Maqdess a prêté allégeance à l’État islamique en novembre 2014. De quoi lui faire gagner en prestige. Moins impactés, le Tchad et le Niger suivent pour leur part, d’un œil inquiet, les événements à leurs limites septentrionales. Le tout en s’investissant à la fois dans la lutte contre Boko Haram mais aussi sur le front de l’Azawad, dans le nord du Mali tout proche. De quoi faire cauchemarder les dirigeants de ses nations qui s’activent sur tous les plans. Militairement d’abord, à l’image du raid mené par les forces aériennes égyptiennes sur la région de Derna en février dernier pour venger les assassinats de vingt-et-un de ses ressortissants par Daech. Pas forcément une première. En août 2014, la coalition Fajr Libya avait ainsi accusé la même aviation d’avoir conduit deux assauts nocturnes sur l’aéroport de Tripoli. Ce que Le Caire avait catégoriquement démenti sans toutefois convaincre grand monde. Discrétion de mise également dans les rangs algériens dont la sacro-sainte politique extérieure « basée sur la noningérence dans les affaires internes d’autrui » a vécu. De l’observateur attentif au protagoniste actif, Alger a allègrement franchi le pas. Que ce soit dans le cadre de la collaboration avec les États-Unis et la France dans le domaine du renseignement, mais surtout d’opérations militaires ciblées dans le grand sud dont personne ne se targue mais dont on ne tient pas spécialement à faire mystère. L’objectif : isoler les groupes terroristes des tribus du Fezzan pour empêcher toute union contre-nature aux conséquences inconnues. À sa manière, le Tchad s’investit en tentant de verrouiller hermétiquement sa frontière pour éviter tout repli sur son sol et empêcher tout renfort de l’extérieur. Même démarche pour le Soudan qui œuvre de manière conjointe avec la Libye dans la région de Koufra. 56
Faced
with terror…
Whereas the proven connections between the Libyan and Tunisian wings of Ansar al-Sharia are already striking fear among the authorities in Tunis, Algiers has been under the constant threat of Al-Qaeda in the Islamic Maghreb (AQIM) for years and is fully aware that a simple spark would be enough to ignite the scrubland, kept in check by the security forces. As for Egypt, after having relentlessly hunted down members of the Muslim Brotherhood, President el-Sisi now has to cope with a far more daunting enemy in the form of Daech. In November 2014, the Ansar Bait al-Maqdis group, which has been present in the Sinai for a long time, pledged allegiance to the Islamic State… a way for the group to enhance its prestige. For their part, the less affected States of Chad and Niger are keeping a wary eye on the developments on their northern borders whilst, at same time, becoming involved in the fight against Boko Haram and on the Azawad front in the north of Mali close by. All of which is enough to give nightmares to the leaders of these nations that are kept busy on all fronts. Militarily first, like, for example, the raid led by the Egyptian air force on the region of Derna last February in retaliation for the assassinations of twenty-one of its nationals by Daech. And it wasn’t necessarily the first of its kind. In August 2014, the Fajr Libya coalition thus accused the same air force of carrying out two nocturnal attacks on Tripoli airport; an accusation that Cairo categorically denied, although not many were convinced. Discretion is also the order of the day in the Algerian ranks where the sacrosanct foreign policy "based on the non-interference in the internal affairs of others" has had its day. From the attentive observer to the active protagonist, Algiers has blithely taken the plunge: whether in the context of its collaboration with the United States and France in the field of intelligence or, more particularly, in that of its targeted military operations in the deep South, that nobody boasts about and that nobody makes a mystery of either. The aim is to isolate the terrorist groups of the Fezzan tribes and to prevent any unnatural alliance with unpredictable consequences. Chad, in its own way, is engaged in efforts to firmly close its borders so as to prevent any infiltration on its territory as well as any external reinforcement. Sudan is adopting the same approach and working jointly with Libya in the region of Kufra.
Des initiatives de paix à tout-va…
A profusion
« La Libye a tout chamboulé. Les enjeux sont beaucoup plus régionaux et impliquent beaucoup plus d’acteurs », n’hésite pas à déclarer un responsable algérien des Affaires étrangères pour qui « le recours à la force n’est pas une solution viable à long terme. La situation sur le terrain ne se résoudra pas avec des bombes. Il faut permettre aux différents protagonistes de s’asseoir autour d’une table et déterminer une voie libyenne qui ne peut être la même que celle de la Tunisie ou de l’Égypte. » Chargée de coordonner la Commission défense et sécurité des pays voisins, l’Algérie a pris le dossier libyen à bras le corps. Quitte à agacer quelque peu son partenaire égyptien, un temps placardisé. L’idée d’un dialogue a passé le cap du simple projet, sur le modèle des discussions inter-maliennes qui ont abouti mi-février. L’initiative a même reçu un soutien de poids en la personne du Secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon. De source proche du dossier, les consultations vont bon train. Longtemps réticent à dialoguer avec tout ce qui avait, de près ou de loin, un rapport avec le terrorisme, Alger semble avoir décidé de changer son fusil d’épaule. Comment l’expliquer ? « Les principes sont une chose. La réalité en est une autre. Tout le monde a intérêt à vivre avec une Libye en paix. Et l’Algérie tout particulièrement… » Reste maintenant à garder toutes ces personnes autour d’une même table. Pas évident. Si pour beaucoup d’observateurs, la Tunisie représente le modèle à suivre en matière de transition politique, le rôle de cet autre acteur majeur du printemps arabe a longtemps été plombé par la prééminence du parti Ennahda, proche des Frères musulmans, donc de Fajr Libya, sur la scène politique. Difficile d’être juge et partie. Avec l’accession de Béji Caïd Essebsi au pouvoir, Tunis a décidé de prendre le contrepied parfait en adoptant le concept de « neutralité positive ». Selon les propres mots de Taieb Baccouche, ministre des Affaires étrangères, « la Tunisie se tient à égale distance de toutes les parties en Libye ». Médiation algérienne en gestation, repli diplomatique tunisien, Égypte « va-t-en-guerre », une nouvelle alternative vient de voir le jour au Soudan. Ibrahim Gandhour, conseiller spécial du président el-Béchir, nous avait confié dès janvier que son pays « pourrait être un médiateur entre les différentes factions libyennes ». Khartoum est passé des paroles aux actes en lançant de multiples consultations dans le monde arabe. Pour quelle issue ? À suivre…
"Libya has created havoc. The issues are much more regional and imply many more actors", resolutely states an Algerian Foreign Affairs official for whom "the use of force is not a viable, long-term solution. The situation on the ground will not be resolved with bombs. We must allow the different protagonists to sit down together around a table to determine a strategy for Libya, which cannot be the same as that of Tunisia and Egypt.ˮ Responsible for coordinating the Defence and Security Commission of neighboring countries, Algeria is tackling the Libyan issue head-on; even if it means exasperating its Egyptian partner, that was sidelined for a while. The idea of a dialogue has gone beyond the simple project stage, along the lines of the inter-Malian discussions held in mid-February and that proved conclusive. The initiative has even received valuable support from the United Nations Secretary General, Ban Ki-moon. According to a source familiar with the case, there are many on-going consultations. For a long time, Algeria was reluctant to talk about anything that concerned terrorism in any way but the country now seems to have had second thoughts. Why? "Principles are one thing. Reality is another. It is in everyone’s interest to have peace in Libya. And especially, Algeria’s…ˮ. The aim now is to keep all these people around the same table… and that’s not an easy task. If, for many observers, Tunisia represents the example to follow in terms of political transition, the role of this other major Arab Spring player has for a long time been hampered by the pre-eminence of the Ennahda party, close to the Muslim Brotherhood and consequently, Fajr Libya on the political scene. And it’s difficult to be both judge and jury. With Beji Caid Essebsi’s accession to power, Tunis has decided to adopt the opposite approach by adhering to the concept of "positive neutrality". As Taieb Baccouche, the Minister of Foreign Affairs, said, "Tunisia is staying at an equal distance towards all sides in Libya". With the Algerian mediation in the pipeline, the Tunisian diplomatic withdrawal and Egypt with its hawkish stance, a new alternative recently emerged in Sudan. In January, Ibrahim Gandhour, special assistant to President alBashir, told us that his country "could be a mediator between the different Libyan faction". And Khartoum has put its words into action by initiating multiple consultations in the Arab world. To what end? To be continued…
of peace initiatives…
Translation from French: Susan Allen Maurin
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PATRICK par Arnaud LONGATTE
© DR
"LES LIBYENS DEVRONT SE METTRE D'ACCORD" Patrick Haimzadeh, ancien diplomate français à Tripoli (2001-2004), auteur de l’ouvrage Au cœur de la Libye de Kadhafi, Jean-Claude Lattès, 2011, a répondu à quelques questions sur le conflit libyen. Un constat assez pessimiste mais qui laisse une place à l’espoir à plus ou moins long terme.
54 États : On entend dire que des pourparlers sont en cours pour mettre en place un gouvernement d’unité nationale. Cela peut et va-t-il se réaliser ? Patrick Haimzadeh (P. H.) : Tout dépend l’échelle de temps qu’on peut considérer. C’est dans un premier temps surtout une préoccupation de l’Europe. C’est aussi beaucoup l’Afrique qui est préoccupée par la crise libyenne. C’est en tout cas l’objectif que s’est donné Bernardino León. Il y a malheureusement un fossé entre les souhaits et la réalité, car il y a des acteurs locaux qui sont largement autonomisés par rapport aux deux grands blocs qui siègent à Tripoli et Tobrouk. Il n’y aura pas de processus sans l’inclusion et la participation de toutes les parties libyennes, y compris au niveau local. Il y a en même temps un caractère d’urgence car l’apparition du groupe État islamique en Libye profite de cette absence d’État pour gagner du terrain.
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"THE LIBYANS WILL HAVE TO COME TO AGREEMENT" Patrick Haimzadeh, former French diplomat to Tripoli (2001-2004) and author of Au cœur de la Libye de Kadhafi (Jean-Claude Lattès 2011), answered some questions on the Libyan conflict. A rather pessimistic report that nevertheless faintly glimmers with hope in the long term.
54 ÉTATS: We hear that negotiations are buzzing to put a national unity government into place. Can and will this happen? Patrick Haimzadeh (P. H.): Everything depends on the timescale that we can consider. For the first time this situation is highest amongst Europe’s preoccupations. It is also much of Africa who is worried about the Libyan crisis. In any case this is Bernardino León’s main goal. Unfortunately, there is a gap between the reality and what we’d like to achieve and there are local players who are largely separate from the two groups that are located in Tripoli and Tobrouk. There will not be any process without the inclusion and participation from all Libyan parties, comprised there at the local level. There is at the same time a sense of urgency because the appearance of the Islamic State in Libya benefits from the absence of a national government to gain ground.
54 États : L’arrivée de ce groupe en Libye peut-elle changer la donne ?
54 ÉTATS: Does the arrival of the Islamic State in Libya change the plan ?
P. H. : C’est très difficile à dire car il y a un certain nombre d’acteurs en Libye qui ont affiché leur volonté de combattre Daech, mais entre cette volonté et une réalité militaire, il y a pour l’instant une différence. On a l’impression que chacun des deux acteurs est plus préoccupé par le combat contre l’autre, car c’est une lutte pour le pouvoir aujourd’hui, et fait passer le combat contre Daech au seconde plan. Le général Haftar, qui se dresse en ennemi de Daech, réclame une aide internationale et de l’armement dont il semble finalement se servir uniquement contre les forces de Tripoli. Daech semble être un prétexte trouvé par Haftar pour se faire aider par la communauté internationale mais dont il détourne l’intention première pour redoubler de violence contre le pouvoir en place à Tripoli.
P. H.: It‘s very difficult to say because there is a certain number of players in Libya who have expressed their willingness to fight Daech, but between that will and military reality, at the moment there is a huge discrepancy. It seems that each of the two players is more concerned about the battle against the other because it’s a fight for the power today, which will lead to combat against Daech in the second phase. General Haftar, who stands as an enemy against Daech, requests international aid and weapons that seem to serve only against the forces in Tripoli. Haftar seems to have found a pretext in Daech to make the international community help but by diverting the first objective and instead hitting back twice as hard with violence against the power in place in Tripoli.
54 États : Et du côté de Tripoli ? P. H. : C’est plus compliqué car il y a une des milices qui est partie à Syrte combattre Daech mais, pour l’instant, ils ne sont pas entrés dans Syrte, donc on peut penser qu’ils sont dans une logique de conciliation parce qu’ils veulent éviter de se retrouver dans un combat de rue. Il y a donc une volonté de Misrata de combattre Daech mais ils ne veulent pas pour l’instant entrer directement dans la guerre. 54 États : Que peut-on dire de l’intervention de l’Égypte en Libye ? P. H. : Le général al-Sissi a pris faits et causes pour le général Haftar, car ils sont dans le même camp, puisqu’ils sont tous deux dans une logique anti-islamiste au sens large en incluant les Frères musulmans qui étaient pourtant dans un processus de participation politique. Il y a plusieurs grilles de lecture : à la fois al-Sissi cherche à se donner une légitimité dans son combat contre les islamistes, donc en Libye c’est un prolongement de sa politique extérieure. Ensuite, les bombardements égyptiens en Libye ont été aussi dans une logique d’opinion publique, pour rassurer la communauté copte, et puis il y a l’idée de la fierté nationale, car il fallait qu’ils fassent quelque chose en réaction à l’assassinat d’Égyptiens par les hommes du groupe État islamique. Troisième point, c’est aussi un retour de l’Égypte comme puissance régionale.
54 ÉTATS: And from Tripoli’s side ? P. H.: It‘s more complicated because one of the militias has gone to Syrte to against Daech but, for now, have not entered Syrte, so we can consider that they are in a conciliation logic because they want to avoid finding themselves in urban warfare. So there is a willingness in Misrata to fight Daech but at this moment they do not want to rush straight into war. 54 ÉTATS: What can we make of Egypt’s intervention in Libya? P. H.: General al-Sissi has championed General Haftar, because they are in the same camp, since they are both broadly anti-Islamist including the Muslim Brotherhood who were in a process of political participation. There are many keys for understanding: once al-Sissi justifies his fight against the Islamists, then in Libya it is an extension of his foreign policy. Next, the Egyptian bombings in Libya from pressure from public opinion, in order to reassure the Coptic Christians, and then there is the idea of national pride, because they have to do something about the murder of Egyptians at the hands of the Islamic State. Thirdly, it is also the return of Egypt as a regional power.
There is no military solution
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After a while, people get tired of the war © Wikimedia
54 États : En ce qui concerne l’idée d’une intervention en Libye par des pays de la communauté internationale, cela est-il envisagé ou envisageable ? P. H. : Il y a des déclarations de part et d’autre qui vont dans ce sens, mais il faut faire la part des choses. Régulièrement JeanYves Le Drian fait des déclarations en disant qu’il faudra intervenir en Libye mais il faut savoir que les troupes françaises sont déjà au Mali et au Niger. Les États-Unis sont dans la même posture, c’est en tout cas ce qu’a laissé entendre le ministre de la Défense américain. Mais de là à ce que ça puisse se traduire par de véritable actions militaires, il y a un fossé. Intervenir en Libye pour faire quoi ? Cela pourrait très bien finir comme en Irak avec un enlisement tragique. De plus, les Libyens, dans leur grande majorité, sont hostiles à une intervention extérieure. Et cela risque de cristalliser les opinions et de rallier un grand nombre à l’extrémisme. L’Occident se verrait alors encore taxer d’interventionnisme et pourrait amener une population à entrer dans une logique extrémisme. Que faire ? Envoyer 5 000 hommes ? Dans un pays deux fois et demie grand comme la France avec une population majoritairement opposée à toute intervention étrangère et 300 000 hommes en armes au bas mot et environ 20 millions d’armes en circulation ? À mon sens, il n’y a pas de solution militaire. 54 États : Comment la paix pourrait-elle alors durablement s’installer en Libye ? P. H. : Les Libyens devront se mettre d’accord. On ne sait pas combien de temps cela va prendre, on ne sait pas s’ils vont arriver à trouver un terrain d’entente ou s’ils vont se séparer. On a déjà perdu du temps en se focalisant sur la reconnaissance du Parlement de Tobrouk en pensant qu’il avait les moyens de l’emporter rapidement et ça n’a pas été le cas. On voit bien des pays comme la France qui ont une position très bancale et qui optent pour une solution militaire, puis une solution pacifique et ensuite qui reconnaissent le Parlement de Tobrouk alors qu’il ne contrôle pas plus de 30 % du pays. 60
54 ÉTATS: In regards to the idea of intervention in Libya by the international community, is this conceived or conceivable? P. H.: There are declarations on both sides that feel this way, but we have to keep things in perspective. Jean-Yves Le Drian regularly makes statements that we will have to intervene in Libya but you have to know that French troops are already in Mali and Nigeria. The US is in the same position, in any case that’s what’s implied by the American Secretary of Defense. But from there to what can be translated into real military actions, there is a gap. Intervene in Libya to do what exactly? This could very well end like it did in Iraq with a tragic stalemate. Increasingly, Libyans in their majority are hostile towards foreign intervention. And that risks crystallizing their opinions and losing a number of them to extremism. The West would be seen as interventionist and see their interventionist gesture accused of introducing an entire population to extremism. What to do? Send 5,000 men? To a country two and half times the size as France with a population overwhelmingly opposed to all foreign intervention and a minimum of 300,000 armed men and around 20 million guns circulating on the ground? To me there is no military solution. 54 ÉTATS: How can lasting peace be established in Libya? P. H.: The Libyans must agree. We don’t know how long this will take, we don’t know if they are going to find common ground or if they will go their separate ways. We have already lost time over the reconnaissance of Tobrouk’s parliament thinking they had the means to quickly prevail and this was not the case. We see many countries like France who are in a very shaky position and who opt for a military solution, then a peaceful solution, and then move to supporting the Tobrouk parliament though it only controls 30% of the country.
54 États : Peut-on faire quelque chose pour eux ?
54 ÉTATS: Can we do anything for them?
P. H. : On peut les aider à se parler et les Libyens sont volontiers demandeurs d’une assistance de la communauté internationale pour les aider à renouer le dialogue entre eux mais pas pour ajouter de la guerre à la guerre. Sur le plan humanitaire, il commence à y avoir des situations très difficiles mais là encore des problèmes concrets se posent, notamment la délivrance de visas, puisqu’il n’y a aujourd’hui plus d’ambassade en Libye. Les Libyens se trouvent littéralement enfermés dans leur pays comme lors des heures sombres de l’embargo.
P. H.: We can help them speak to each other and the Libyans willingly ask for assistance from the international community to help them renew the dialogue between them but not to add war on top of war. On the humanitarian front, the situation is getting very difficult, but even there we have concrete problems, notably issuing visas as there is no longer an embassy in Libya. Libyans literally find themselves trapped in their own country like in the darkest hour of the embargo.
54 États : En l’état actuel des choses, comment voyez-vous les choses évoluer ? P. H. : Je suis assez inquiet, car je vois une logique de militarisation des minorités, une culture de la guerre, de la violence chez les jeunes. Il y a aussi des modes de fonctionnement économique de prédation, de milices, de certains groupes, qui ont intérêt à profiter de l’absence d’État et c’est toujours dans une situation de guerre que les extrémistes arrivent à faire avancer leurs pions. Dans chaque famille en Libye il y a un milicien, donc on ne peut pas faire la distinction claire entre la société civile et les groupes armés. Pour toutes ces raisons, je pense que ça prendra du temps. Cela va dépendre aussi de facteurs extérieurs car, en fonction des pays qui vont continuer ou non à fournir en armes tel ou tel groupe, les choses peuvent évoluer dans un sens ou dans un autre. Il faut être patient et se dire qu’au bout d’un certain temps, les gens se lassent de la guerre, comme ce fut le cas au Liban ou en Algérie. Ce qui est inquiétant, c’est que l’identité nationale est fragile et elle a volé en éclats avec la guerre civile de 2011. Les Libyens se définissent plus maintenant en fonction de leur village, de leur camp ou leurs intérêts locaux au détriment d’une véritable unité nationale.
54 ÉTATS: Given the current state of affairs, how do you see all this unfolding? P. H.: I am quite worried, because I see a system of minority militarisation, a culture of war, violence amongst youth. There is also predation operating methods, of militias, of certain groups, who are interested in taking advantage of the absence of government and it’s always in a wartime situation that extremists succeed in advancing their pawns. Every family in Libya has a militant, so we can’t draw a clear distinction between civilian society and armed groups. For all of these reasons, I think this is going to take a while. This will depend also on exterior factors but, according to countries who are going to continue to supply weapons or not to such or such group, things can evolve. We have to be patient and say that after a while, people get tired of the war as was the case in Lebanon or Algeria. What is worrying is that national identity is fragile and had already been shattered with the civil war in 2011. Libyans define themselves much more according to their village, their camp, or their local interests rather than a real national unity. Translation from French: Rachel WONG
© un.fr
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PÉTROLE
OR NOIR OU MALÉDICTION BLACK GOLD ASSET OR CURSE
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RICHE EN HYDROCARBURES, LA LIBYE A TOUJOURS PRÉSENTÉ LES CARACTÉRISTIQUES TYPIQUES D’UNE ÉCONOMIE DE RENTE PÉTROLIÈRE : LES ÉVOLUTIONS DE PRODUCTION ET DES COURS DU PÉTROLE GUIDENT L’ÉTAT DE L’ÉCONOMIE. PARTICULIÈREMENT ENCLAVÉ, LE SECTEUR PÉTROLIER N’AFFECTE LE RESTE DE L’ÉCONOMIE QUE QUAND LE GOUVERNEMENT DÉPENSE ET REDISTRIBUE LES REVENUS QU’IL EN TIRE. LE SECTEUR PRIVÉ EST AINSI PÉNALISÉ ET DÉPENDANT DU SECTEUR PUBLIC.
AS A HYDROCARBON-RICH COUNTRY, LIBYA HAS ALWAYS DISPLAYED THE TYPICAL FEATURES OF AN ECONOMY BASED ON ITS OIL REVENUE: EVOLUTIONS IN PRODUCTION AND OIL PRICES GUIDE THE STATE OF THE ECONOMY. THE OIL SECTOR, IN PARTICULAR, IS AN ENCLAVE, WHICH ONLY AFFECTS THE REST OF THE ECONOMY WHEN THE GOVERNMENT SPENDS AND SHARES OUT THE REVENUE IT REAPS. CONSEQUENTLY, THE PRIVATE SECTOR IS PENALISED AND DEPENDENT ON THE PUBLIC SECTOR.
L’idéologie de la révolution d’inspiration socialiste qui mena Kadhafi au pouvoir en 1969, diffusée dans le Livre vert, entretint par ailleurs une logique de méfiance envers le secteur privé. Ce dernier resta sous-développé malgré plusieurs tentatives de réformes dans les années 80, 90 et 2000 imposées par la communauté internationale. Dans une logique de survie de son régime, Mouammar Kadhafi développa par ailleurs un système de gestion clientéliste des ressources. L’État devint à la fois le principal acteur de l’économie libyenne, en employant près de 80 % des travailleurs sur le marché grâce à la manne pétrolière, tout en restant pourtant une coquille vide, délaissée de tout rôle régulateur afin de laisser l’élite contrôler comme elle l’entend le secteur.
Furthermore, the ideology, set out in the Green Book, of the socialist-inspired revolution that brought Gaddafi into power in 1969, promotes the notion of mistrust towards the private sector. The latter has remained under-developed, despite several attempts at reform, imposed by the international community in the 1980s, 1990s and 2000s. Moreover, in consistency with his strategy to ensure the survival of his regime, Muammar Gaddafi developed a patronage-based management system of the resources. Although the State became the key player in Libya’s economy by employing nearly 80% of the labor market thanks to its oil wealth, it remained an empty shell, cast aside from any regulatory role so that the elite could control the sector as it liked.
ONLY A PRODUCTIVE PRIVATE SECTOR, SUSTAINED BY OTHER FUNDING SOURCES THAN OIL, WILL BE ABLE TO PROVIDE NEW JOBS TO THE 30% OF UNEMPLOYED YOUTH
© oasty
Un problème politique de redistribution
A political problem of redistribution
Cette absence d’institutions régulatrices tout comme le manque de culture de contrôle qui en résulte expliquent pourquoi la question de la répartition des revenus pétroliers est restée au cœur des préoccupations des Libyens après la révolution de 2011. Tandis que la production de pétrole, qui avait chuté à moins de 0,5 million de barils par jour avec le chaos révolutionnaire, est rapidement remontée dès 2012 au niveau de 2010 (soit 1,7 million de barils), l’opacité entourant la redistribution persista. « Le résultat a été une plus grande confrontation et radicalisation, explique Dirk Vandevalle, du Carnegie Endowment for International Peace. Les groupes sont de plus en plus enclins à s‘en prendre à ce qui était il y a peu considéré comme des biens collectifs, qu’ils s’estiment maintenant légitimes à cibler pour leur propre bénéfice, comme l’aéroport de Tripoli par exemple. » En témoigne aussi le regain de violence dans le pays, marqué par la capture des infrastructures pétrolières par différents groupes armés au sud et à l’est du pays dès juillet 2013, que ce soit à des fins de blocage ou, depuis quelques mois, de vente directe de brut. L’apparition à l’été 2014 de deux gouvernements concurrents, soutenus par des milices contrôlant leurs propres infrastructures pétrolières, souligne la conviction d’un lien direct entre maintien du pouvoir politique et contrôle de la rente pétrolière.
The absence of regulatory institutions, along with the lack of culture control that it entails, explains why the issue of the distribution of oil revenues has been one of the Libyans’ main concerns since the 2011 revolution. Whereas oil production, which, with the revolutionary chaos, had dropped to less than 0.5 million barrels per day, rapidly rose again in 2012, reaching the same level as in 2010 (i.e. 1.7 million barrels), the lack of transparency surrounding the redistribution persisted. "The result was a greater confrontation and radicalization", explains Dirk Vandewalle of Carnegie Endowment for International Peace. "Groups are increasingly inclined to lash out at what was up to recently considered as public property, considering that is now their legitimate right to target such property for their own benefit, like, for instance, Tripoli airport." Another demonstration of this escalation of violence in Libya was the takeover of oil infrastructures in July by different armed groups in the south and east of the country, either in the aim of blockading them or, as in more recent months, with the intention of selling crude directly. The establishment of two rival governments in the summer of 2014, supported by militias controlling their own oil infrastructures, reinforces the conviction that there exists a direct connection between the maintenance of political power and the control of oil revenues. 63
© Tomasz Ludwik
© Kanegen
De profonds déséquilibres structurels Depuis la chute de Kadhafi en 2011, l’économie libyenne reste donc dominée par sa rente pétrolière. Le pétrole représente aujourd’hui environ 65 % de ses revenus d’exportation et presque 98 % des revenus publics. De cette économie particulièrement centrée sur le pétrole résultent des déséquilibres structurels que les gouvernements successifs depuis 2011 n’ont pas réussi à réformer. « Puisque le pouvoir ne se consacrait qu’aux évolutions politiques et sécuritaires, la politique économique ne changea pas significativement », explique Mohsin Khan du Rafik Hariri Center for the Middle East. Par exemple, tout comme Kadhafi, les gouvernements suivants ont utilisé les ressources pétrolières pour financer des subventions et des hausses de salaires afin de limiter le mécontentement populaire. De fait, le budget de 2012 a augmenté les subventions énergétiques et alimentaires pour atteindre 11 % du produit national brut et le budget de 2013 les augmenta encore jusqu’à 14 %. » Si l’évolution politique est aujourd’hui très incertaine, tout futur gouvernement d’union nationale se trouvera donc confronté aux mêmes déséquilibres qui troublent l’économie libyenne depuis 30 ans. Au-delà de la diversification de l’économie à travers l’expansion du secteur privé non pétrolier, notamment le tourisme (à forte potentialité) et les services, les priorités mises en avant par les institutions internationales sont le recul du chômage des jeunes et le développement du système financier. Ces différentes branches de développement sont intimement liées : seul un secteur privé productif, alimenté par d’autres sources de financement que le pétrole, pourra fournir des emplois nouveaux aux 30 % de jeunes au chômage. À cela s’ajoutent des besoins de formation pour adapter la main-d’œuvre aux nouveaux besoins et surtout changer les mentalités habituées à un emploi garanti dans le secteur public. Enfin, ces réformes resteront lettre morte si aucune législation ni institution ne sont créées pour contrôler et répartir la manne pétrolière, principale doléance des révolutionnaires de 2011. 64
© Thangaraj Kumaravel
Profound structural imbalances Consequently, since the fall of Gaddafi in 2011, the oil revenue continues to dominate the Libyan economy. Oil now represents 65% of its export revenues and nearly 98% of its public revenues. The consequences of this economy, that is heavily dependent on its oil revenue, are structural imbalances that the successive governments from 2011 onwards have not succeeded in adjusting. "Since the authorities were only focused on developments relating to politics and security, there was no significant change in the economic policy," explains Mohsin Khan of the Rafik Hariri Center for the Middle East. "For example, like Gaddafi, the consecutive governments used the oil resources to finance subsidies and wage increases so as to curb popular discontent. Hence, the 2012 budget increased energy and food subsidies, reaching 11% of the gross national budget and the budget of 2013 further increased this percentage to 14%." If political development is still very uncertain, any future government of national unity will be faced with the same imbalances that have been disrupting the Libyan economy for the past 30 years. Beyond the diversification of the economy through the expansion of the private, non-oil sector and notably tourism (with a high potential) and service industries, the priorities that have been set forth by the international institutions are the decline in youth unemployment and the development of the financial system. These different sectors of development are inextricably linked: only a productive, private sector, sustained by funding sources other than oil, will be able to provide new jobs to the 30% of unemployed youth. In addition, the workforce requires training to adapt to the new needs and above all, there has to be a change in attitude among the workers who have been accustomed to having secure jobs in the public sector. Finally, these reforms will go unheeded if there is no legislation or institution to control and share out the oil wealth, which was the main grievance of the 2011 revolutionaries.
DEPUIS LA CHUTE DE KADHAFI L’ÉCONOMIE RESTE DOMINÉE PAR SA RENTE PÉTROLIÈRE.
Les infrastructures, locomotive du changement ? Dans un plus court terme, l’investissement dans les infrastructures, démarré depuis la révolution mais perturbé par le chaos ambiant, pourra fournir des effets rapides, et ce d’autant plus que les violences depuis un an ont aggravé l’état déjà catastrophique des infrastructures existantes. Afin d’éviter les effets pervers d’un tel investissement, comme l’entretien du secteur informel et notamment le trafic de main d’œuvre de basse qualité venue de l’étranger, une législation du travail plus ferme et adaptée sera nécessaire. « L’investissement dans l’infrastructure produira trois intérêts majeurs, conclut Mohsin Khan. D’abord cela créera rapidement des emplois pour les Libyens, ce qui doit être une priorité pour le gouvernement. Deuxièmement, l’investissement public dans l’infrastructure est complémentaire à l’investissement privé, presque sur une base de « un pour un » et mènera ainsi à des taux plus élevés d’investissement privé et à la croissance du secteur privé. Enfin, les investisseurs étrangers ont tendance à se déplacer vers des pays avec la meilleure qualité d’infrastructures. L’investissement direct étranger apportera non seulement des emplois, mais aussi les transferts technologiques qui améliorent la productivité globale de l’économie. »
Infrastructure investments: a boost for the economy? In the shorter term, the investment in infrastructures, that began with the revolution but that was later disrupted by the chaos, could be rapidly effective, especially given that the violence that began a year ago has exacerbated the already disastrous state of the existing infrastructures. So as to avoid any adverse effects of such an investment, like the maintenance of the informal sector and notably, the trafficking of foreign, low-skilled workers, an appropriate and tougher labor law will be indispensable. "There are three main reasons why infrastructure investment can be very positive," concludes Mohsin Khan. "First of all, it can rapidly create new jobs for the Libyans, which must be one of the government’s priorities. Secondly, on a sort of "one to one" basis, public investment in infrastructure is complementary to private investment, and will thus lead to higher rates in private investment and a development of the private sector. Finally, foreign investors tend to be attracted to countries with infrastructures of the highest quality. Direct foreign investment will not only bring jobs but also technology transfers, which improve the overall productivity of the economy." Translation from French: Susan Allen Maurin 65
© boellstiftung
NIGERIA par Amzat BOUKARI-YABARA
ORGANISÉES DANS UN CLIMAT PARTICULIÈREMENT TENDU EN RAISON DES MENACES D’ATTAQUES LANCÉES PAR LE GROUPE BOKO HARAM, LES ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES ET LÉGISLATIVES DE MARS 2015 SONT PARADOXALEMENT LES PLUS RÉUSSIES DE L’HISTOIRE DU NIGERIA.
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UNE VICTOIRE POUR TOUT LE NIGERIA
UNE NOUVELLE CARTE POLITIQUE
Les 28 et 29 mars derniers, trente millions de Nigérians (soit environ 50 % du corps électoral et 16 % de la population) se sont armés de patience pour voter à l’aide d’un système inédit de cartes et de lecteurs biométriques. Forte de cette technologie qui réduit drastiquement le risque de fraudes, la Commission nationale électorale indépendante (INEC) avait obtenu un accord préalable de reconnaissance des résultats par les candidats. Ainsi, alors que l’on craignait les habituelles violences postélectorales, la victoire du candidat de l’opposition Muhammadu Buhari, nordiste musulman élu avec près de 54 % des suffrages, a été reconnue par le président sortant Goodluck Jonathan, sudiste chrétien, avant même la proclamation officielle des résultats. Les fraudes avérées ou supposées dans quelques bureaux sont insuffisantes pour inverser un écart de près de trois millions de voix entre les deux candidats. Dépassé par la corruption, le chômage et l’insécurité, absent sur la scène internationale, et enfin publiquement désavoué par son mentor l’ancien président Obasanjo, Jonathan part néanmoins en vrai démocrate. Médiatiquement plombé par l’enlèvement des lycéennes de Chibok en avril 2014, son bilan contrasté est très éloigné des espérances suscitées par son élection en 2011. Sa défaite, plus large que prévue, est surtout une victoire historique pour tout le Nigeria qui connait sa première alternance démocratique.
Depuis le retour du pouvoir aux civils en 1999, le PDP (People’s Democratic Party) avait remporté tous les scrutins. Ce puissant parti de centre-droit contrôlait la capitale Abuja et la majorité des trente-six États fédérés. Mais en 2013, une dissidence au sein du PDP entraîna la formation d’une coalition de centre-gauche, l’APC (All Progressives Congress), aujourd’hui au pouvoir. Alors que Jonathan incarnait une nouvelle génération de dirigeants issus de la société civile et en apparence moins compromis dans les réseaux clientélistes, Buhari, représente le retour à un pouvoir fort. Cet ancien général de 72 ans est notamment connu pour avoir renversé en décembre 1983 le président élu Shehu Shagari, puis dirigé le pays avec autoritarisme pendant dix-huit mois. Toutefois, élu sous une casquette de civil après trois tentatives infructueuses, Buhari, qui a fait campagne sur le thème du « changement », devra montrer l’exemple et transformer l’APC en un parti de gouvernement. Si l’APC s’est construite contre Jonathan pour remporter Lagos et les états décisifs du sud-ouest, sa victoire ramène aux affaires plusieurs anciens dissidents du PDP. En parallèle, le PDP profitera de son passage inattendu dans l’opposition pour se restructurer. Avec vingt-et-un États remportés par l'APC dont celui de Lagos, les élections des gouverneurs ont confirmé l'alternance ouverte par la victoire de Buhari. Si l'avenir de Jonathan - dont le parti a difficilement conservé l'État pétrolier de Rivers dont il est originaire - est inconnu, l'entrée du PDP dans l'opposition annonce un bipartisme qui devrait effacer les vieilles lignes de fractures politiques et identitaires.
TOURNER LA PAGE BOKO HARAM ? La menace de Boko Haram a paradoxalement uni les forces politiques. Ainsi, selon l’état du terrain au moment de son investiture en mai prochain, Buhari, dirigeant nationaliste, devrait pouvoir restaurer l’intégrité territoriale du Nigeria. Engagés dans la lutte contre Boko Haram, les pays voisins devraient s’effacer, laissant Abuja redevenir le centre de la politique sécuritaire régionale, voire continentale. Concentrée sur un président sudiste chrétien, la rhétorique djihadiste de Boko Haram perd en tout cas sa force avec le basculement du pouvoir vers le Nord musulman, où Buhari a été plébiscité. En revanche, de même que Jonathan s’est compromis avec les milieux néo-évangélistes, la diplomatie de Buhari envers le monde arabomusulman aura une répercussion sur les équilibres politico-religieux internes. L’autorité qu’il compte rétablir dans le pays semble également reposer sur l’application à la lettre d’une législation répressive. Ce retour à l’ordre, accompagné de propos maladroits et démentis par Buhari sur l’extension de la charia au Sud, peut jeter un doute sur le respect des droits et des libertés. Toutefois, les chrétiens et l’ensemble de la société civile devraient trouver en la personne du nouveau viceprésident Yemi Osinbajo, pasteur chrétien et ancien procureur de Lagos, un soutien indéfectible.
ALTERNANCE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE OU STATU QUO ? Il est toutefois prématuré de considérer que la simple élection de Buhari résoudra un conflit alimenté par les inégalités économiques et sociales. Déterminé à lutter contre la corruption, Buhari devra reclasser l’administration précédente en évitant des purges, puis installer une équipe intègre sans céder au tribalisme ou au clientélisme. Dans un pays où la croissance à 7 % profite aux milieux d’affaires et à la consommation des classes moyennes, masquant une grande misère, l’annonce de réformes économiques et fiscales pour renforcer les pouvoirs et les prérogatives des États fédérés présage une légère inflexion par rapport au courant néolibéral suivi par le PDP. En revanche, se présentant comme proche du petit peuple, Buhari semble davantage concerné par la lutte contre les inégalités. Visant l’autosuffisance énergétique et alimentaire, il s’est engagé à améliorer l’accès des Nigérians aux services publics. Ainsi, l’État fédéral devrait davantage investir dans le Nord, sans pour autant sortir de la dépendance aux hydrocarbures afin de ne pas relancer les velléités sécessionnistes dans les régions pétrolières du Sud-Est, le fief de Jonathan. Car il ne fait aucun doute que la réussite de l’alternance dépendra de la capacité de la nouvelle opposition à élever le niveau du débat politique dans l’intérêt de la nation.
Historien, auteur de Nigeria (De Boeck, 2013) et Africa Unite ! Une histoire du panafricanisme (La Découverte, 2014) © boellstiftung
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par Hervé PUGI Idriss Déby n’a pas toujours eu bonne presse. Il est pourtant aujourd’hui dans les petits papiers de la plupart des grands dirigeants de la planète. Il faut dire que le Tchad s’est transformé en quelques années en gendarme de l’Afrique. Du Mali au Nigeria, en passant par la Centrafrique, l’armée tchadienne est incontournable. Tout sauf un hasard… « Nous allons défaire Boko Haram. Nous allons détruire Boko Haram. Nous allons gagner, non pas la bataille, mais nous allons gagner la guerre totale contre Boko Haram, il n’y a pas de doute ! » Véritablement, il n’y a pas que sur le terrain des opérations que le Tchad dégaine l’artillerie lourde. Dans la guerre totale engagée contre Boko Haram, Abubakar Shekau – fou furieux meneur de la secte islamiste – a trouvé à qui parler en la personne d’Idriss Déby. De fait, celui qui gouverne le Tchad depuis près d’un demi-siècle l’affirme, si « l’Émir » « refuse de se rendre, il va subir le même sort que ses camarades. » Và en tout cas qui a le mérite d’être clair. Le Tchad « s’en va-t-en guerre ». Une nouvelle fois ! Ce militarisme forcené, grandement appuyé par la France, a ses raisons d’être. Un simple coup d’œil sur une carte de l’Afrique suffit à réaliser les tensions qui traversent la région. Au nord, le chaos libyen et la proximité avec le no-man’s land du Fezzan a de quoi inquiéter. À l’est, le Darfour voisin (au Soudan) a connu ses heures sombres. Au sud, la Centrafrique se débat avec ses démons (le Tchad est d’ailleurs l’un d’eux) alors que toute la façade ouest (entre le Niger, le Nigeria et le Cameroun) est confrontée à la menace Boko Haram. Un environnement ô combien hostile.
© iisd
LE TCHAD ? UN PRÉCIEUX ALLIÉ EN TEMPS DE GUERRE 68
Le moins que l’on puisse dire c’est que le président Déby aura su habilement tirer profit de ces risques sécuritaires bien réels. Dans une région secouée par de multiples crises, hors de question de mettre à mal la belle stabilité du Tchad. Du coup, au diable les critiques sur les droits de l’homme ou les manquements démocratiques ! Pour Paris, notamment, mais aussi pour d’autres, le désir est grand de voir le géant tchadien et sa « vaillante » armée prendre l'ascendant en Afrique Centrale. Et comment, pour les chancelleries occidentales, ne pas accéder à cette revendication après le rôle essentiel qu’a joué (et joue encore) N’Djamena sur le dossier du Nord-Mali ? Un investissement tel, face à la démission ou la désertion d’une grande partie de la communauté internationale, qui a contribué à légitimer un pouvoir autrefois tant critiqué. Le Tchad apparaît comme un pôle de stabilité dans une sous-région en crise. Toutefois, la question se pose : ne sommes-nous pas confrontés une énième fois à un de ces fameux colosses aux pieds d’argile ? Car, hormis sa puissance militaire, qu’a à offrir le Tchad ? Une économie autocentrée sur le pétrole, un modèle politique qui repose sur un seul homme et un leadership auquel n’adhèrent que du bout des lèvres les pays voisins. Le Tchad s’avère un précieux allié en temps de guerre. Qu’en sera-t-il lorsque l’heure de la paix aura sonné ?
ALEJANDRO EVUNA MBA DIRECTEUR STRATÉGIE & COMMERCIAL AFRIQUE STRATEGY & SALES MANAGER AFRICA
alejandro.evuna@54etats.fr Tél : +234 706 790 0563
BRÈVES
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Pour sauver Le Caire, étouffé par sa surpopulation (18 millions d’habitants, 22 millions en journée) et de gros problèmes de circulation, le président égyptien Abdel Fattah al Sissi a présenté une solution radicale : la construction d’une nouvelle capitale administrative, située en plein désert entre Le Caire et Suez. Le projet, dont la première phase coûtera 42,9 milliards d’euros, s’annonce pharaonique. Avec ses 700 km2, la nouvelle ville sera sept fois plus grande que Paris et trois fois plus grande que Washington. Elle abritera notamment de nombreux gratte-ciel, un aéroport international, les institutions officielles (palais présidentiel, Parlement, ministères, ambassades étrangères, grandes universités) et le plus grand parc du monde. La première phase devrait voir le jour d’ici cinq à sept ans.
L’Éthiopie, l’Égypte et le Soudan sont parvenus à un accord historique sur les eaux du Nil le 23 janvier à Khartoum. Le projet porte sur la construction d’un barrage baptisé Renaissance en Éthiopie. Ce barrage hydroélectrique, dont la retenue atteindrait 74 milliards de mètres cubes, a vocation à produire 6 000 mégawatts d’électricité. D’un coût de quelque 4,5 milliards d’euros, il devrait rentrer en service dès 2017 et permettrait à l’Éthiopie de se positionner comme le géant énergétique de la sous-région.
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Au soir du 21e anniversaire du déclenchement du génocide rwandais, le 7 avril 1994, l’Élysée a déclassifié les archives de la présidence française sur ce petit pays d’Afrique australe pour la période 1990 à 1995, après un an de préparatifs dans le plus grand secret. Les relations entre la France et le Rwanda ont longtemps été plombées par une violente polémique autour du rôle éventuel des forces françaises dans le génocide. Elles ont même été totalement gelées entre 2006 et 2009. Entre avril et juillet 1994, 800 000 personnes avaient été tuées en une centaine de jours, selon l’ONU, des membres de la minorité tutsi pour l’essentiel. Les massacres avaient débuté au lendemain de l’attentat qui avait coûté la vie au président hutu Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994. « Rien n’interdit plus la consultation de ces archives » qui seront ainsi à la disposition des chercheurs, des associations de victimes ou de la société civile, souligne la présidence française qui parle d’un « souhait de vérité ».
Le Gabon organisera la Coupe d’Afrique des nations 2017 de football, a annoncé la Confédération africaine de football mercredi 8 avril 2015 au Caire. La liesse s’est emparée de la capitale du pays, Libreville, après cette annonce. La sélection du pays hôte est qualifiée d’office, comme c’est la coutume.
À une semaine du jour du scrutin présidentiel, l'incertitude plane sur le Togo. Alors que l'entourage du président laisse présager une victoire facile de Faure Gnassingbé, dans la rue, la rumeur est tout autre. Les cortèges de l'ANC (l'Alliance nationale pour le changement), le parti de Jean-Pierre Fabre, le principal opposant, défilent bruyamment, scandant leur slogan « 50 ans, c'est trop ! », pour inciter les électeurs à voter pour une alternance, après 48 ans de règne sans partage de la dynastie Gnassingbé. « Cette fois, ils ne pourront pas tricher, affirme Éric Dupuy, le directeur de campagne de Jean-Pierre Fabre. Nous avons tout prévu pour sécuriser les bulletins de vote. » Un espoir que les Togolais partagent. On retient son souffle. Alors que l'opacité est la plus totale dans les rangs du pouvoir, l'étau se resserre autour du président, l'incitant à accepter le jeu d'une démarche électorale transparente. L'OIF, l'Union africaine, ainsi que les observateurs du monde entier font désormais pression.« Il sortira par les urnes ou par la rue », affirme Éric Dupuy. Verdict : le 24 avril. (À l'heure où nous imprimons ce magazine, les résultats ne sont pas encore connus. NDLR)
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CISSA
HARO SUR L’EMBARGO
CALLING FOUL ON THE EMBARGO
!
par Hervé PUGI
KHARTOUM A ACCUEILLI, LES 23 ET 24 MARS, UN ATELIER RÉGIONAL DU COMITÉ DES SERVICES DE SÉCURITÉ ET D'INTELLIGENCE EN AFRIQUE (CISSA). L’OCCASION D’ABORDER LE THÈME DES « IMPACTS NÉGATIFS DES SANCTIONS ÉCONOMIQUES SUR LA SÉCURITÉ NATIONALE DES ÉTATS ». PRÉSENT À KHARTOUM, 54 ÉTATS A SUIVI LES DÉBATS…
ON MARCH 23rd AND 24th, KHARTOUM WELCOMED A REGIONAL WORKSHOP BY THE COMMITTEE OF INTELLIGENCE AND SECURITY SERVICES OF AFRICA (CISSA). THE THEME WAS "NEGATIVE IMPACTS OF THE ECONOMIC SANCTIONS ON NATIONAL SECURITY". 54 ÉTATS ATTENDED IN KHARTOUM TO FOLLOW THE DEBATES…
© Arnaud Longatte
À bas les sanctions économiques ! Tel était l’état d’esprit des représentants des vingt pays présents lors de cet atelier soudanais, auxquels s’étaient jointes des personnalités de l’Union africaine (UA). En matière d’embargo, le Soudan apparaît comme un cas d’école. Tout comme peuvent l’être, à différents degrés, d’autres pays du continent comme la Somalie, le Zimbabwe, la RDC ou la Libye. Et le constat pour les uns et les autres est sans appel. « Dans les faits, les sanctions économiques représentent une autre manière de mener une guerre », n’a ainsi pas manqué de souligner Stanislas Nakaha, conseiller politique auprès du commissaire pour la paix et la sécurité à l’Union africaine. Une approche largement partagée par l’ensemble des intervenants. Du secrétaire exécutif du CISSA, Shimeles W. Semayat, qui a « déploré les sanctions unilatérales et injustes imposées à certains États africains pour les contraindre à se plier à la volonté des États puissants » à Mobhare Matinyi, président de l’atelier, qui note que « d’instrument pour obtenir la paix, les sanctions économiques sont devenues un instrument de punition », tout en passant par Fatima Haram Acyl, commissaire pour le Commerce et l’industrie à l’UA, qui a tenu à préciser que les différents embargos « continuent de blesser le continent ». 70
Down with the economic sanctions! Such was the general feeling amongst the representatives from 20 countries present at this Sudanese workshop to which joined personalities from the African union (AU). Regarding the embargo, the Sudan appeared like a textbook case. As are, to varying degrees, other countries on the continent such as Somalia, Zimbabwe, the Republic of Congo and Libya. And the following statement speaks for all of them. "Under these circumstances, the economic sanctions represent another way of waging war", stated Stanislas Nakaha, political advisor to the commissionary for peace and security of the African Union. This was an approach largely shared by all of the participants. From CISSA’s executive secretary, Shimeles W. Semayat, who "deplored the unilateral and unjust sanctions imposed on certain African countries to force them to bend to the will of powerful countries" to Mobhare Matinyi, president of the workshop, who noted that "from an instrument to obtain peace, the economic sanctions have become an instrument of punishment", through to Fatima Haram Acyl, commissioner for the Au’s Business and Industry department who wanted to emphasize that different embargos "continue to wound the continent".
L’embargo, terreau du terrorisme ?
The embargo: a breeding ground for terrorism?
Dans le viseur, bien entendu, les États-Unis, accusés de peser de tout leurs poids pour transformer « les sanctions unilatérales en un siège global », dixit Magdi Yassin, ministre d’État pour le bureau des Finances du Soudan. Et ce avec des conséquences innombrables, en matière d’économie et de développement bien évidemment, mais pas seulement. Ainsi, à en croire Tawfik Al Molatham, assistant du directeur-général du Service national d’intelligence et de sécurité du Soudan (NISS), l’embargo participerait pleinement « à créer un environnement favorable à la guerre, aux conflits et à la radicalisation en créant l’instabilité et l’insécurité ». Le haut-gradé est rejoint dans son analyse par Shimeles W. Semayat : « les sanctions exacerbent l’extrémisme et la radicalisation qui sont les piliers du terrorisme ».
The United States is accused of exerting all of its powers to transform "unilateral sanctions into a global siege", says Magdi Yassin, state minister for the finance bureau of Sudan. And it presents countless consequences, not only in matters of economy and development. In fact, according to Tawfik Al Molatham, assistant to the general director of National Intelligence and Security Services (NISS), the embargo would fully participate "to create an environment favorable to war, conflicts and radicalization in creating instability and insecurity". The high-ranking member was joined in his analysis by Shimeles W. Semayat: "the sanctions exacerbate extremism and radicalization which are the pillars of terrorism".
© Alexandre Blot Luca
Face à cette menace et, plus encore, un profond sentiment d’injustice, le CISSA – soutenu par l’Union africaine – s’est évertué à travailler sur différentes recommandations afin de parvenir à briser la spirale infernale des sanctions. Car, comme l’a affirmé le vice-président du Soudan Hasabo Mohamed Abdulrahman dans son intervention : « l’Afrique est capable de résoudre ses problèmes sans interférence extérieure ». Bref, le CISSA a plaidé l’union. Malheureusement, rien de plus difficile à obtenir sur le continent africain. Comme sur les autres d’ailleurs…
Faced with this menace, and more, a deep feeling of injustice, CISSA – with the support of the African Union – has been striving to work under different recommendations in order to break the downward spiral of the sanctions. Because, as Sudan’s vice-president Hasabo Mohamed Abdulrahman affirmed in his intervention: "Africa is capable of resolving its own problems without outside interference". So, CISSA called for an alliance. Unfortunately, nothing is harder to obtain on the African continent.
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LE CISSA, C’EST QUOI WHAT IS CISSA Le Comité des services de sécurité et d'intelligence en Afrique (CISSA) a été fondé en 2004 à Abuja (Nigeria) par les directeurs des services de renseignements et de sécurité africains. Les missions dévolues au CISSA consistent principalement à fournir au Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine (UA) les données nécessaires à l'adoption d'une politique et d'une stratégie africaine pour le maintien de la paix, la prévention, la gestion et la résolution des conflits. C’est dans ce cadre que le comité tient une réunion chaque année ainsi que différents ateliers de réflexion sur le plan régional.
The Committee of Intelligence and Security Services of Africa (CISSA) was founded in 2004 in Abuja, Nigeria by the directors of African research and security. CISSA’s missions consist primarily of providing the necessary facts for the adoption of a policy and African strategy to maintain the peace, prevention, management and resolution of conflicts to the Council of Peace and Secutiy of the African Union (AU). It’s within this framework that the committee holds an annual meeting as well as different workshops focusing on the regional plan. Translation from French: Rachel WONG 71 71
E
N DIRECT DU SERVICE ANTI-TERRORISME DU NATIONAL INTELLIGENCE SERVICE AU SOUDAN (NISS) CRÉÉ SPÉCIALEMENT POUR RENFORCER LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME ENTRE LE MOYEN-ORIENT ET L’AFRIQUE, NOS ENVOYÉS SPÉCIAUX ONT RECUEILLI AVEC BEAUCOUP D’ATTENTION LE BILAN DES ARRESTATIONS ET ATTENTATS ÉVITÉS AU SOUDAN ET DANS LES PAYS VOISINS. UN BILAN IMPRESSIONNANT DOUBLÉ D’UNE FORTE ANALYSE ET SURTOUT D’UN COUP DE GUEULE GÉNÉRÉ PAR UNE OVERDOSE DE CALOMNIES AMÉRICAINES ET D’UN EMBARGO INTERMINABLE.
En un siècle, le Moyen-Orient a subi un bouleversement complet et les réseaux d’informateurs soudanais sont très efficaces notamment pour livrer des renseignements sur al-Qaïda. « L’Amérique à la face du monde nous placarde au rang d’ennemis soutenant le terrorisme mais la réalité est tout autre ! Depuis des années surtout depuis le 11 septembre, le Soudan coopère, preuves à l’appui, sans rechigner avec la CIA et les autres services d’intelligence du monde. Nous sommes les meilleurs alliés de ceux qui nous démolissent. » Combien de terroristes sont-ils à avoir été stoppés par l’entremise des services soudanais ? Souvenez-vous du terroriste international vénézuélien Llich Ramírez Sánchez, dit « Carlos » qui en 1974, à Paris fait exploser une voiture devant les locaux de plusieurs journaux français, mais surtout le 15 septembre, commet un attentat contre le drugstore de Saint-Germain occasionnant deux morts et trente-quatre blessés. En 1991, Carlos, jugé indésirable en Syrie se rend en Jordanie puis au Soudan. Il est extradé du Soudan vers la France en août 1994, suite à une opération d’exfiltration entreprise par les services français en coordination avec les autorités soudanaises. Dans la même mouvance, le Soudan a signé plus de treize accords de coopération avec l’international et avec l’ONU pour enrayer le terrorisme. Dans le même esprit, la Faisal Islamic Bank du Soudan, en 2014, en accord avec le Sudanese National Council a voté la loi Anti-Money Laundering (ALM) relative à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement contre le terrorisme. 72
L
IVE FROM THE ANTI-TERRORISM DIVISION OF THE SUDANESE NATIONAL INTELLIGENCE AND SECURITY SERVICE (NISS) THAT WAS SPECIFICALLY CREATED TO REINFORCE THE FIGHT AGAINST TERRORISM BETWEEN THE MIDDLE EAST AND AFRICA, OUR SPECIAL CORRESPONDENTS REPORT ON THE ARRESTS AND THE ATTACKS THAT HAVE BEEN PREVENTED IN SUDAN AND ITS NEIGHBORING COUNTRIES. THIS ARTICLE PROVIDES NOT ONLY A SERIOUS ANALYSIS OF THE SITUATION. IT ALSO REVEALS IMPRESSIVE RESULTS, AS WELL AS THE INDIGNATION AT THE PROFUSION OF SLANDEROUS REMARKS MADE BY THE AMERICANS AND A NEVER-ENDING EMBARGO.
"What is the secret behind the success of the Arab spring or DAECH? How come the Western powers fell into the trap of entering into war in Iraq and Afghanistan?" asks our Sudanese source of information. In the space of a century, the Middle East has undergone a profound upheaval and the network of Sudanese informers has revealed itself to be extremely efficient, notably where information on Al-Qaeda is concerned. "America’s portraying us as enemies who support terrorism but nothing could be further from the truth! For years now, and especially since 11th September, Sudan, (and there is evidence to support this), is graciously cooperating with the CIA and other intelligence agencies across the world. We’re our critics’ best allies." How many terrorists have been arrested thanks to the intervention of the Sudanese services? Remember the Venezuelan, international terrorist Llich Ramírez Sánchez, better known as "Carlos", who, in 1974, detonated a car bomb in Paris in front of the offices of several French newspapers and then, notably, on 15th September, committed an attack on the Saint Germain drugstore, killing two people and injuring thirty-four. At the end of June 1975, the DST (Directorate of Territorial Surveillance) succeed in localizing him : two policemen are shot as they about to arrest him and a third, a counterintelligence agent, is seriously injured. Carlos escapes and flees to Syria. In 1991, deemed undesirable in Syria, he goes to Jordan and from there, to Sudan. He is extradited from Sudan to France in August 1994, following a commando operation led by the French services in coordination with the Sudanese authorities. In line with its willingness to collaborate, Sudan has signed more than thirteen cooperation agreements on an international level and with the UNO to combat terrorism. By the same token, the Faisal Islamic Bank of Sudan, in agreement with the Sudanese National Council, adopted the Anti-Money Laundering (AML) law in 2014, which is aimed to prevent money laundering and terrorism financing.
© Surian Soosay
par Priscilla WOLMER
Pourquoi, dans ce cas, continuez-vous à coopérer avec eux ? « Comme vous, en Occident, nous luttons contre le terrorisme. Nous pratiquons un Islam modéré et soufiste. Comme vous, au Soudan, nous luttons contre ces barbares radicalisés et inhumains qui détruisent des mosquées. » Alors, pourquoi accueillez-vous des terroristes notoires chez vous ? « Nous ne les invitons pas à venir chez nous. Ils s’imaginent que parce que nous sommes un État à orientation islamiste, ils pourront faire la pluie et le beau temps sur notre territoire. C’est tout le contraire. » Le Soudan coopère officiellement depuis 15 ans avec la CIA bien que Khartoum figure depuis 1993 sur la liste des États parrainant le terrorisme, ouvrant la voie aux sanctions économiques, imposées au Soudan quatre ans plus tard. Assurément, les relations bilatérales entre Khartoum et Washington se sont dégradées en 1989, lorsque Omar el-Béchir, soutenu par l’armée devient président et impose la charia comme système de gouvernance. « Nous avons aidé, particulièrement en 2000 et avant les attentats du 11 septembre 2001, les américains dans leur traque d’Oussama Ben Laden, c’était à l’époque, un businessman encombrant dont nous souhaitions nous débarrasser. Nous avions proposé de le renvoyer en Arabie Saoudite mais l’Arabie Saoudite refusa et du Soudan, ben Laden est allé en Afghanistan. Que pouvions-nous faire puisque les États-Unis ne nous demandaient pas de le retenir. » Le Soudan dispose d’un plan de lutte contre la radicalisation depuis les bancs de l’école. Ils utilisent la pensée comme outil. D’après eux, cette expérience est un succès. Plus de 80% des étudiants extrémistes sont revenus à un islam soufiste. Les services soudanais ont en outre réussi à bloquer le départ de jeunes ressortissants soudanais en Somalie, au Mali et en Syrie. Ce programme anti-radicalisation est appliqué en Irak, en Éthiopie, en Tunisie, au Kenya, au Yémen où souvent la radicalisation s’assimile à une perte de repères. Les jeunes salivent devant des poches de prospérité, tandis qu’ils naviguent au milieu de masse de misère. C’est comme cela que l’État islamique, Al-Qaïda ou d’autres groupuscules terroristes se sont fait un devoir de renverser les clients de ces régimes accoutumés à ce luxe insolent. Rappelez-vous Ben Ali en Tunisie, Moubarak en Égypte ou Kadhafi en Libye. Une chose est sûre, le Soudan a besoin d’investissements américains et occidentaux pour se développer, surtout depuis que 80% de ses ressources pétrolières appartiennent au Soudan du Sud. La diplomatie soudanaise s’active pour améliorer les relations avec les Américains. En février dernier, Steven Feldstein, Secrétaire d’État adjoint du Bureau pour la démocratie, les droits de l’homme et le travail a permis de faire lever des sanctions informatiques ; mais tout reste encore à faire envers et contre tous.
Why then, in this case, do you still cooperate with them? "We’re also fighting terrorism, like you, in the West. We practice a moderate Islam and Sufism. Here, in Sudan, just like you, we’re fighting against these radicalized, inhuman barbarians who are destroying our mosques." So, why do you accept notorious terrorists on your territory? "We don’t invite them here. They think that because our State is Islamistoriented, they can call the shots on our territory. It’s quite the opposite." Officially, Sudan has been cooperating with the CIA for the past 15 years. However, Khartoum has been on the list of States that sponsor terrorism since 1993, which led to economic sanctions being imposed on Sudan four years later. The bilateral relations between Khartoum and Washington certainly deteriorated in 1989 when Omar al-Bashir, with the army’s support, becomes President and imposes Sharia as the legal system. "We helped the Americans in their hunt for Osama bin Laden, notably in 2000 and before the attacks of September 2001. At the time, he was a troublesome businessman and we wanted him out of the way. We suggested sending him to Saudi Arabia but Saudi Arabia refused, so bin Laden left Sudan for Afghanistan. What else could we do since the United States hadn’t asked us to detain him?" Sudan’s strategy for combating radicalization is implemented in schools. They use the tool of thought. According to them, this experience is a success. Over 80% of extremist students have reverted to Sufist islam. Moreover, the Sudanese services have succeeded in preventing young Sudanese nationals from leaving the country for Somalia, Mali and Syria. This anti-radicalization programme is implemented in Iraq, Ethiopia, Tunisia, Kenya and Yemen where radicalization is often related to a loss of bearings. The youngsters drool over pockets of prosperity whereas they’re growing up surrounded by misery. That is why the Islamic State, Al Qaeda or other terrorist groups have made it their duty to bring down those regimes and their consumers who are accustomed to this blatant luxury. Remember Ben Ali in Tunisia, Mubarak in Egypt or Gaddafi in Libya. One thing is certain; Sudan needs American and Western investment in order to develop, especially since 80% of its oil resources belong to South Sudan. Sudanese diplomacy is moving to improve the country’s relations with the Americans. Last February, Steven Feldstein, Deputy Assistant Secretary of State for the Bureau of Democracy, Human Rights and Labor lifted the sanctions on communications hardware and software; but there remains a lot to be done, despite all the opposition. Translation from French: Susan ALLEN MAURIN
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ERDOGAN J OUE - T -IL U N DOU BL E
J E U ?
par Moez TRABELSI
LE PRÉSIDENT TURC RECEP TAYYIP ERDOGAN S’EST RENDU EN AFRIQUE DE L’EST, NOTAMMENT EN ÉTHIOPIE, À DJIBOUTI ET EN SOMALIE POUR DÉVELOPPER UNE ENTENTE ET ÉTABLIR DES PARTENARIATS. CEPENDANT, CES VISITES PEUVENT S’AVÉRER ÊTRE PLUS PERSONNELLES QUE PRÉVUES. L’engouement de la Turquie pour le continent africain est assez récent. L’Afrique apparaît comme une véritable alternative alors que la doctrine du « zéro problème avec les voisins » est un échec. Les relations d’Ankara avec l’Arménie et la Syrie sont extrêmement tendues, celles avec l’Irak et l’Iran sont compliquées de par la question kurde. De fait, le second sommet Turquie-Afrique, organisé à Malabo du 19 au 21 novembre, a permis au ministre des Affaires étrangères Mevlüt Çavusoglu de s’épancher sur cette « approche multidimensionnelle en direction de l’Afrique ». Celui-ci affirmant que son pays voulait devenir « le porte-voix de l’Afrique en défendant les positions et les droits des pays du continent » tout en coopérant « plus étroitement dans le domaine économique ». La plus parfaite illustration de cette nouvelle politique est la Somalie. La Turquie est ainsi sur la brèche en matière politique, humanitaire et bien entendu économique. Erdogan a de fait été le premier chef d’État non-africain à se rendre à Mogadiscio. Lors de son séjour, le président en a profité pour inaugurer le nouvel aéroport, rénové et géré par des entreprises turques. Dans la foulée, une ambassade rouvrait ses portes.
© AK Rockfeller
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DES ÉCOLES DANS LE VISEUR… Néanmoins, la présence turque a également d’autres visées, moins avouables. Dans le conflit ouvert entre Erdogan et le mouvement Hizmet de Fathullah Gülen. L’ancien premier ministre turc a profité de sa tournée en Afrique pour réclamer à chaque pays accueillant une école turque de… la fermer. Ces établissements sont présents dans le monde entier à l’initiative d’Hizmet. Erdogan promet de rebâtir de nouvelles écoles avec une idéologie et un enseignement différent. M. Mustafa Yesil, président de la Fondation des écrivains et des journalistes, a déclaré dans une interview que « le Hizmet a toujours déclaré que les établissements et les institutions appartiennent au peuple. Les fondateurs de ces établissements n’hésiteront pas un instant à les déléguer » avant de revenir sur une déclaration de M. Gülen pour qui « plutôt que de les fermer, prenez-les, et gérez-les vousmêmes ». Pas de quoi convaincre Erdogan. La plupart des pays africains s’opposent à cette demande considérant ces institutions comme un apport positif, que ce soit au niveau éducatif ou économique. Au Nigeria par exemple, le collège international et l’université Nile permettent aux étudiants d’avoir un enseignement de qualité dans leur contrée. Au Bénin, le chef de l’État, Thomas Boni Yayi, salue l’activité de l’école turque qui contribuerait au développement du pays. Et pour Ahmed Mahamoud Silanyo, président de la région autonome du Somaliland, cette école ouvre de nouveaux horizons. En d’autres termes, ces écoles sont une chance et une opportunité pour ces pays. Peu importe les questions politiques turques.
© DR
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ÉLECTIONS EN ISRAËL LE
TRIOM PHE DE B E NYA MIN NÉ TA NYA HOU, L’AGITATE UR -CONS E R VAT E UR
« LES PROMESSES N’ENGAGENT QUE CEUX QUI LES ÉCOUTENT ». LE PREMIER MINISTRE ISRAÉLIEN BENYAMIN NÉTANYAHOU POURRAIT BIEN AVOIR FAIT SIEN L’APHORISME DE L’ANCIEN PRÉSIDENT DU CONSEIL FRANÇAIS HENRI QUEUILLE. CAR COMMENT EXPLIQUER SON EMPRESSEMENT APRÈS SA VICTOIRE DU 17 MARS À REVENIR SUR SES PROMESSES DE CAMPAGNE, PAR LESQUELLES IL RENIAIT DÉJÀ D’ANCIENS ENGAGEMENTS ?
Dr Frédérique SCHILLO Historienne, spécialiste d’Israël et des relations internationales, elle est l’auteur de La Politique française à l’égard d’Israël et co-auteur de La Guerre du Kippour n’aura pas lieu (André Versaille, 2012 et 2013). 76
Le sujet n’est pourtant pas des moindres : le processus de paix avec les Palestiniens. Aux dernières heures d’une campagne législative médiocre, où les questions sécuritaires ont vainement masqué les préoccupations des électeurs en matière économique et sociale, Nétanyahou, à la peine dans les sondages, a sorti son va-tout. Il a promis qu’en cas de réélection, l’État palestinien ne verrait pas le jour. Un désaveu net de son discours prononcé à l’Université Bar-Ilan en 2009, où il avançait la solution de deux États pour deux peuples. Joignant le geste à la parole, il s’est rendu la veille du scrutin dans l’implantation d’Har Homa, dans le sud de Jérusalem-Est. Là, il s’est présenté en garant de l’unité de la ville face à la gauche et a confirmé pour la première fois les soupçons de la communauté internationale en révélant qu’Har Homa avait vocation à empêcher l’avancée de Bethléem vers Jérusalem dont les Palestiniens veulent faire la capitale de leur futur État.
© Thierry Ehrmann
par Dr Frédérique SCHILLO
Le jour même du scrutin, Nétanyahou exhortait par vidéo les électeurs à voter pour contrer les Arabes israéliens qui se ruaient « en masse », selon lui, vers les urnes. Son message alarmiste filmé face à une carte du Moyen-Orient, avec l’Iran en son cœur, restera comme l’image d’une campagne à laquelle il aura accordé peu de temps, mais beaucoup d’énergie. Une sorte de blitzkrieg électoral destiné à choquer les électeurs, à mobiliser la droite et à déstabiliser l’adversaire. Une tactique gagnante à en croire les premiers résultats sortis des urnes qui donnaient le Likoud au coude-à-coude avec le centre-gauche mené par Isaac Herzog. Un vrai triomphe quand il apparut le lendemain matin, à la surprise générale, que le parti de Nétanyahou l’avait emporté avec 30 sièges, loin devant celui d’Herzog (24). Il peut s’appuyer sur le parti de son ex-ministre Moshé Kahlon, ceux de l’ultranationaliste Avigdor Lieberman, des sionistes-religieux de Naftali Bennett et des ultra-orthodoxes pour former son « gouvernement national », résolument à droite. Faute de bilan, et en l’absence de programme, c’est donc la peur martelée par le Premier ministre sous divers tons qui l’a emporté : peur de l’Iran nucléaire et d’un accord Téhéran-Washington qu’il est venu dénoncer au Congrès en défiant le président Obama, peur de Daech, du Hamas, des Palestiniens et même des Arabes israéliens décrits comme des ennemis de l’intérieur. Cette surenchère atteste, sinon de la réalité du danger pesant sur Israël, du moins de la parfaite connaissance qu’a Nétanyahou de la machinerie politique en général, et de ses électeurs en particulier. Elle nous éclaire aussi sur lui. Sur sa détermination à arracher des voix coûte que coûte, quitte à hystériser les débats, raidir la communauté internationale, voire affaiblir la relation avec l’allié américain. « Tout a tourné autour de lui », résume le professeur Itamar Rabinovitch, ancien ambassadeur d’Israël à Washington. « La première chose qu’Herzog devrait faire après les élections, c’est de lire les Mémoires de Nétanyahou. »
Mais quel Nétanyahou retenir ? Celui de 2009 ou celui de 2015 ? Le Nétanyahou bataillant pour un 4e mandat ou le Nétanyahou Premier ministre qui, aussitôt la victoire en poche, a relativisé chaque mot du candidat Nétanyahou ? 48h après l’élection, Nétanyahou a réaffirmé son engagement en faveur d’un État palestinien. « Je n’ai pas changé de politique… Ce qui a changé, c’est la réalité » a-t-il assuré, en allusion à la menace de Daech dans la région. Trois jours plus tard, il disait regretter ses propos sur le vote arabe. Peu après, Israël annonça l’arrêt de la construction de 1 500 logements à Har Homa et, parallèlement, le lancement de plus de 2 000 logements pour la population arabe à Jérusalem-Est. Le 27 mars enfin, Nétanyahou a débloqué le versement des recettes fiscales aux Palestiniens, une mesure qu’il avait prise suite à la décision de l’Autorité palestinienne d’adhérer à la Cour pénale internationale ce 1er avril. Nous devons « nous montrer responsables et raisonnables », aurait justifié Nétanyahou, sans que l’on sache s’il faisait référence au coup de téléphone des dirigeants américains ou à celui des chefs du Shabak, le renseignement intérieur israélien. Car dans tous les cas, c’est bien la pression américaine et la crainte d’une Intifada en Cisjordanie qui l’ont convaincu de changer de braquet. Jusqu’au prochain revirement ? Déjà, les Palestiniens accusent Nétanyahou de ne pas être un partenaire fiable. « Nous lui faisons confiance quand il dit que [la solution à deux États] n’arrivera pas tant qu’il sera Premier ministre » tranche Obama. Avec une droite radicalisée et l’extrême-droite dans sa coalition, Nétanyahou n’aura d’autre choix, il est vrai, que de se déjuger encore. Cependant, si l’homme n’est pas tenu par ses propres promesses, il n’est pas non plus un idéologue extrémiste. S’il plaide pour la reconnaissance palestinienne d’Israël « État nation du peuple juif », Nétanyahou est aussi celui qui a accepté le protocole d’Hébron et le redéploiement israélien. S’il défie le Hamas et le Hezbollah, il est celui qui a su arrêter la guerre à Gaza et qui n’a pas commencé celle du Liban, même après que deux soldats de Tsahal ont trouvé la mort en janvier. Nétanyahou l’agitateur, l’animal politique qui sait si bien électriser les foules, est avant tout un conservateur, un partisan du statu quo soucieux de « gérer le conflit » avec les Palestiniens. Quand chaque jour qui passe fait s’éloigner un peu plus la paix, c’est des ÉtatsUnis et d’Europe, avec notamment un projet de résolution française à l’ONU à laquelle Washington pourrait ne pas opposer de veto, que les vrais changements pourront surgir des élections israéliennes pensées par Nétanyahou comme le moyen ultime de tout bouleverser pour ne surtout rien changer.
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BAHRAIN L E ROYA UM E DE S DE UX M E RS THE KINGDO M O F T W O SE A S Propos recueillis par Sandra WOLMER
INTERVIEW À LA QUESTION : QUEL MOT UTILISERIEZ-VOUS POUR SYNTHÉTISER CE QUE VOUS AVEZ RETENU DE VOTRE ENTREVUE AVEC M. HUSAIN M. AL MAHMOOD, CONSEILLER DE L’AMBASSADE DU ROYAUME DE BAHREÏN À PARIS ? RÉPONSE : OUVERTURE. MAIS FINALEMENT, QUOI DE PLUS LOGIQUE POUR CE PAYS DE LA PÉNINSULE ARABIQUE RÉPONDANT AU NOM DES « DEUX MERS » ? FOCUS AVEC 54 ÉTATS. TO THE QUESTION: IN ONE WORD, HOW WOULD YOU SUM UP YOUR INTERVIEW IN PARIS WITH MR HUSAIN ALMAHMOOD, ADVISOR TO THE KINGDOM OF BAHRAIN? RESPONSE: OPEN-MINDED. BUT WHAT COULD BE MORE FITTING FOR THIS COUNTRY OF THE ARAB PENINSULA WHOSE NAME MEANS “TWO SEAS”? FOCUS WITH 54 ÉTATS.
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54 ÉTATS : Quel regard portez-vous sur l’Afrique ? Mr. Husain M. AlMahmood (H. M.) : Ce continent revêt assurément une grande importance à nos yeux. L’Afrique compte énormément de pays importants dont l’évolution est notable sur les plans économique et politique, ce qui constitue un attrait essentiel. De nombreux pays découvrent le pétrole et souhaitent collaborer avec de grandes sociétés pour exporter et/ou soutenir leurs activités dans ce secteur. Nous voulons appuyer ces pays africains dans leur volonté de mise en œuvre de ce type de projets. Nous désirons vivement y prendre part. De fait, bon nombre de sociétés bahreïnies souhaiteraient aller en Afrique afin de se rendre compte des opportunités d’investissement et de développement pour pouvoir travailler sur ce continent. Inversement, notre royaume accueille les Africains (personnes physiques ou morales indistinctement).
M .
H U S A I N A L M A H M O O D
54 ÉTATS : Quel regard portez-vous sur la France? H. M. : Nos relations remontent à loin, à l’époque où la France explorait les océans ! Ultérieurement, la découverte de la perle au Bahreïn a permis l’établissement de liens fondés sur le commerce puisque notre royaume les proposait à la vente par le biais des comptoirs français situés en Inde. Cette époque marque le tout début de nos relations. Aujourd’hui, de nombreuses sociétés françaises établies au Bahreïn travaillent côte à côte avec des sociétés bahreïnies. 54 ÉTATS : ll y a quelques semaines, Sa Majesté le Roi Hamad bin Isa Al Khalifaa a accueilli une délégation française interreligieuse ? Pouvez-vous nous dire quelques mots au sujet du message délivré lors de cette rencontre ? H. M. : Cette rencontre, qui a eu lieu le 11 mars 2015, constitue une illustration de notre politique en matière de dialogue interreligieux. Sa Majesté souhaitait s’entretenir avec des personnalités religieuses venues du monde entier. Cet événement a été l’occasion de souligner l’importance des messages mettant en exergue l’espoir, la paix et le vivre ensemble. Sa Majesté le roi a abordé ouvertement les problèmes auxquels nous nous trouvons confrontés dans notre région et, face au chaos, a évoqué les écueils devant être évités à l’avenir. 54 ÉTATS : Fin 2013, Son Excellence Dr Naser Mohamed Youssef Al Belooshi, ambassadeur du Royaume du Bahreïn en France, s’est recueilli sur le mémorial de la Shoah à Drancy. Quels commentaires vous inspire cette visite ? H. M. : Cette visite a été relayée en France et dans le monde. Celle-ci a permis de rappeler, face au massacre de civils, l’importance que revêt l’être humain. Le Bahreïn est un exemple d’ouverture religieuse : la liberté de culte est inscrite dans notre constitution et est concrètement mise en œuvre. Notre pays accepte la différence religieuse.
54 ÉTATS: How would you describe Bahrain’s relationship with Africa? Mr. Husain M. Almahmood (H. M.): We believe this region is of the utmost importance. There are a lot of large countries in Africa currently experiencing political and economic development which is making the continent very attractive. A lot of African countries are discovering and want to work with big companies in order to export and/or back their activities in this sector. We really want to support African countries in the development of these kinds of projects and be a part of it. I believe a lot of Bahraini companies would be interested in coming to Africa, to explore opportunities for investment and development and to work on the continent. I would like to add that Bahrain welcomes Africans whether they are individuals or companies. 54 ÉTATS: Can you tell us about Bahrain’s relationship with France? H. M.: Our relationship dates back to the time of France’s maritime exploration. Later, the discovery of pearls in Bahrain prompted building links based on trade. Bahrain used to sell pearls to France through India. This was the very beginning of the relationship. Nowadays, many French companies in Bahrain are working side by side with Bahraini companies. 54 ÉTATS: A few weeks ago, a French interfaith committee was received by His Majesty King Hamad bin Isa Al-Khalifa. What were the key messages? H. M.: This meeting took place on March 11th 2015 and is a testament of our commitment to interfaith policy. His Majesty was open to speaking with religious people coming from around the world. This event provided an opportunity to highlight the importance of hope, peace and living harmoniously together. His Majesty openly addressed challenges we are facing in our region and, in front of chaos, pitfalls to avoid in the future. 54 ÉTATS: At the end of 2013, His Excellency Dr. Naser Mohamed Youssef Al Belooshi, Ambassador of the Kingdom of Bahrain to France gathered at the Holocaust memorial in Drancy. What do you make of this official visit? H. M.: This visit was covered by French and international media. It was a way of insisting on the importance of human beings. Bahrain represents religious freedom. Freedom of religion is enshrined in the Bahraini constitution and is effectively implemented in daily life. Our country accepts religious differences.
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54 ÉTATS : En août 2014, Sa Majesté le Roi Hamad bin Isa Al Khalifa a rencontré le Président Hollande. Que pouvez-vous nous dire au sujet de cette visite officielle ? H. M. : Elle fut l’occasion de souligner l’importance des relations entre la France et le Bahreïn et d’exprimer la volonté de coopérer en tant que pays alliés dans la lutte contre le terrorisme de façon à ramener la paix et la sécurité dans la région du Golfe et au Moyen-Orient. Cette initiative, l’une des premières, est intervenue bien avant la formation de coalitions. 54 ÉTATS : Le pétrole représente une part importante de l’économie Bahrainie. Votre pays a t-il anticipé « l’après-pétrole » ? H. M. : La recherche de nouvelles possibilités d’investissement constitue une question fondamentale. Notre Royaume a parfaitement fait sien l’adage « il ne faut pas mettre tous ses œufs dans un même panier » et a donc veillé à ne pas dépendre exclusivement du pétrole de façon à pouvoir injecter dans son budget diverses sources de revenus. Leader de la finance islamique, notre pays a identifié d’autres secteurs de croissance tels que le tourisme, les énergies renouvelables, l’industrie… pour ne citer qu’eux. Le royaume n’est pas affecté aussi lourdement que d’autres pays par les aléas du secteur pétrolier puisqu’il a su diversifier son économie. 54 ÉTATS : Votre pays est connu pour être le marché le plus libre du Moyen-Orient. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions à ce sujet ? H. M. : L’économie du Bahreïn se caractérise par une absence d’imposition : pas d’impôt à la source, pas d’impôt sur les sociétés, pas d’impôt sur le revenu, pas de TVA. Au Bahreïn, les investisseurs étrangers peuvent détenir leurs sociétés à 100 %. De la même façon, notre pays a la réputation de jouir d’un environnement d’affaires favorable. De part sa situation stratégique au sein du Golfe, il offre aux investisseurs un accès rapide à l’ensemble de la région. Par ailleurs, le niveau élevé de formation (notamment le multilinguisme (maîtrise de l’arabe, l’anglais, du français, et d’autres langues)) de nos ressources humaines constitue un bel atout. Ces dernières sont donc pleinement opérationnelles. 54 ÉTATS: In August 2014, His Majesty King Hamad bin Isa Al-Khalifa met President Hollande. How was this official visit? H. M.: This official visit highlighted the importance of the relations between France and Bahrain and their willingness to cooperate in solidarity in the fight against terrorism, so as to bring peace and security to the Gulf region and the Middle East. This happened well in advance of coalitions being made. Our initiative was one of the very first. 54 ÉTATS: represents an important part of the Bahraini economy. Will the country be ready for the post- period? H. M.: Developing new investments has always been a fundamental issue. And so, our kingdom has always practiced the adage of “not putting all the eggs in one basket” ensuring that its resources do not depend exclusively on . Islamic finance leader, our country has identified other growth sectors such as tourism, renewable energy, and manufacturing, to name but a few. Consequently, the Kingdom has not been as deeply affected as other -rich countries by the decreasing of reserves thanks to its diversified economy. 54 ÉTATS: Your country is known to be the Middle East’s most unrestricted market. Can you tell us more about this? H. M.: Bahrain is a tax-free economy with no withholding tax, no corporate tax, no income tax and no VAT. In Bahrain, foreign investors can retain 100% of their ownership. In addition to this, Bahrain is known to be business-friendly: Bahrain’s strategic location in the Gulf offers investors easy access to the region. They also appreciate our well-trained, well-educated and multi-lingual (command of Arabic, English, French and other languages) labour force that is ready to work and enter the market. 80
54 ÉTATS : Pouvez-nous nous dire quelques mots au sujet de la lutte de votre pays contre le terrorisme ? H. M. : Nous sommes contre Daech, Al-Qaïda, le Hezbollah ou tout autre groupe qui s’emploie à massacrer des civils, à détruire l’histoire des nations ou à créer le chaos. Nous devons mettre un terme à cela, ce qui exige une action forte menée à la fois sur un plan militaire et financier. Nous devons annihiler la façon dont ces groupes perçoivent de l’argent, notamment en faisant commerce du pétrole brut. Nous voulons mettre un terme au marché noir. La France représente un allié important dans cette lutte.
THE MIDDLE EAST’S MOST UNRESTRICTED MARKET
54 ÉTATS : Quelles ont été les conclusions du Sommet annuel qui s’est déroulé en Égypte et auquel a participé le Royaume du Bahreïn ? H. M. : Cet événement revêt une grande importance. Tous les pays qui y ont pris part ont convenu de combattre l’extrémisme, le terrorisme au sein de notre région. Il n’a pas uniquement été question de Daech, d’Al-QaÏda ou du Hezbollah mais de la volonté d’en finir avec tous les groupes qui souhaitent imposer leur idéologie quant aux questions religieuses. Nous tenions à souligner l’importance de la démocratie, du vivre ensemble et de la protection des minorités. Au cours de ce sommet, les pays participants ont non seulement exprimé leur soutien à la coalition internationale qui combat Daech et Al-Qaïda mais ont également affirmé leur désir de stabilité pour la région. Par ailleurs, forte d’une reconnaissance internationale, la coalition régionale vient en aide au Yémen dans sa lutte contre les milices Houthis, lesquelles tentent de créer le chaos et de supplanter le gouvernement yéménite. Celle-ci a donc décidé de répondre à l’appel lancé aux pays arabes par le président reconnu du Yémen. Ce sommet a ainsi été l’occasion de discuter de la formation d’une force arabe d’intervention prête à apporter son soutien et à combattre toute forme d’extrémisme menaçant la stabilité de tout pays arabe. 54 ÉTATS : Le mot de la fin. H. M. : En dépit des différences, je voudrais insister sur l’importance que revêtent l’espoir, la paix, le vivre ensemble.
54 ÉTATS: Where does Bahrain stand in the fight against terrorism? H. M.: We are against Daech, Al-Qaeda, Hezbollah and all other groups whose aim is to kill civilians, destroy a country’s history or create chaos. This is something we need to stop together which requires a tremendous action led not only militarily but financially as well. We have to stop the way these militias are receiving money in particular selling crude : we want to shut down the black market. France is an important ally in this fight. 54 ÉTATS: On the topic of terrorism, there was an annual summit in Egypt in which the Kingdom of Bahrain participated. What were the main topics at this event? H. M.: This event was very important for the region. All the countries participating in this summit were in agreement about fighting against extremism and terrorism. They were not only talking about Daech, Al-Qaeda and Hezbollah, but about eliminating all militias which seek to force their religious ideologies on others. We want to reiterate the importance of democracy, of living together, of protecting minorities. During this summit, the participating countries expressed their support for the international coalition fighting Daech and Al-Qaeda as well as their desire for stability in the region. Furthermore, the regional coalition is supported by the international recognition to aid Yemen in its fight against Houthi militias rebelling against the government. We participated in response to the recognized President of Yemen’s call for Arab nation support. This summit was an occasion to discuss the possibility of establishing an Arab coalition prepared to back any country and fight extremism and any groups threatening the peace of Arab countries. 54 ÉTATS: Any closing statements? H. M.: Despite differences, I would like to emphasize the importance of hope, peace and living together in harmony. 81
par Priscilla WOLMER
© Arnaud Longatte
L’ORIENTATION ISLAMISTE BIEN QUE SOUFISTE DU RÉGIME SOUDANAIS DEPUIS 1989, LES SUSPICIONS AMÉRICAINES PESANT À SON ÉGARD EN MATIÈRE DE SOUTIEN AU TERRORISME, LES MANDATS D’ARRÊT ET ACCUSATIONS DE LA CPI À L’ENCONTRE DU PRÉSIDENT OMAR EL-BÉCHIR ET LA POSITION PRO-IRAKIENNE LORS DE LA GUERRE DU GOLFE ONT CONDUIT LE SOUDAN À UN CERTAIN ISOLEMENT SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE. UN ISOLEMENT AGGRAVÉ PAR LES SANCTIONS ÉCONOMIQUES AMÉRICAINES, LA POSITION MÉFIANTE DE L’UNION EUROPÉENNE ET DES PAYS QUI LA COMPOSENT. RÉSULTAT, TANDIS QUE LE MONDE CHANGE, LE SOUDAN RESTE FIGÉ À L’ÈRE DES ANNÉES 90. CONTEXTE.
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SINCE 1989, THE ISLAMIST EXTREMISM, ALTHOUGH SUFI, OF THE SUDANESE REGIME LADEN WITH AMERICAN SUSPICIONS OF TERRORIST SUPPORT, WARRANTS OF ARREST, ACCUSATIONS FROM THE ICC AGAINST PRESIDENT OMAR EL-BÉCHIR AND THE PRO-IRAQI POSITION DURING THE GOLF WAR HAVE DRIVEN SUDAN TO ISOLATION WITHIN THE INTERNATIONAL COMMUNITY. THIS ISOLATION IS FURTHER AGGRAVATED BY AMERICAN ECONOMIC SANCTIONS AND THE FEARFUL POSITION OF THE EUROPEAN UNION. THE RESULT IS THAT WHILE THE WORLD CHANGES, THE SUDAN STAYS FROZEN IN THE ‘90S. CONTEXT.
© Alexandre Blot Luca
There, there is nothing else but poverty, calm and suffering… Là, tout n'est que pauvreté, calme et souffrance... Aux termes d’un décret daté du 3 novembre 1997, le président Clinton a établi un embargo économique à l’égard du Soudan et Madeleine Albright, alors secrétaire d’État, a réaffirmé la détermination des États-Unis à isoler le régime soudanais sur la scène internationale. L’Union européenne a suspendu dès 1990 son aide au développement au titre des Accords de Lomé et n’accorde plus qu’une aide humanitaire destinée aux populations civiles victimes du conflit. Le Conseil de l’Union a décidé le 15 mars 1994 un embargo sur les armes à destination du Soudan. La France délivre des visas au compte-gouttes aux Soudanais, ainsi, seuls les membres du gouvernement, dans le cadre de conférences internationales, sont autorisés à sortir du pays. La remise du terroriste Carlos en août 1994 n’y a rien changé et en dépit de la coopération du Soudan en matière de paix, de sécurité et de transmission de données avec les Américains, les européens et le continent, les rapports entre le Soudan et ses détracteurs n’évoluent pas. On observe un gel des actifs et des biens déposés aux États-Unis ; l’interdiction des facilités bancaires pour l’exportation et la réexportation ; l’empêchement de l’octroi des subventions, de prêts ou de garanties financières au Soudan ; l’entrave de toutes les opérations commerciales liées au fret et au transport en provenance ou à destination du Soudan ; la pression sur les entreprises investissant au Soudan. En 2003, le Soudan a été classé sans fondements dans la liste des pays où l’on pratique la traite des êtres humains. Pure diffamation qui présente des conséquences lourdes, telles que la privation de l’envoi ou de la participation de ressortissants soudanais au programme d’échange scientifique et culturel. Là, partant d’un blocus unilatéral, le Soudan suffoque sous la pression d’un blocus international.
In a regulation dated November 3, 1997, President Clinton established an economic embargo on Sudan and Madeleine Albright, then Secretary of State, re-affirmed the determination of the United States to isolate the Sudanese regime on the international arena. From 1990, the European Union suspends its help in development under the Lomé Agreements and consents to nothing more than humanitarian aid destined for civilian victims of the conflict. The EU Council decided on an embargo on weapons to Sudan on March 15, 1994. France sparingly issued visas to the Sudanese, though only members of government, for international conferences, were authorized to leave the country. The delivery of the terrorist Carlos in August of 1994 changed nothing and in spite of the cooperation of the Sudan in matters of peace, security and the sharing of intelligence with the Americans and the Europeans, the relations between the Sudan and its detractors are not improving. We observe a freezing of assets and property deposited in the United States ; the banning of banking facilities for exportation and re-exportation, the prevention of subsidy grants, of loans or financial guarantees to Sudan ; the obstruction of all commercial operations tied to the freight and transport to and from Sudan; the pressure on the businesses invested in Sudan. In 2003, the Sudan was classified groundless in the list of countries that practice slavery. Consequently, it was prohibited from the sending of students and their participation in cultural and scientific exchange programs. From a unilateral blockade, the Sudan is choking under the pressure of an international blockade.
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De l’internationalisation des sanctions à la diabolisation médiatique d’un État ? Les États-Unis ont redoublé d’effort pour empêcher le Soudan de résister aux sanctions. De l’ex-égérie de Woody Allen, Mia Farrow à l’acteur américain George Clooney, les happening pseudo humanitaires des stars hollywoodiennes n’en finissent plus pour défendre les intérêts des Darfouris et abîmer l’image du Soudan dans le domaine des droits de l’Homme. Nick X, un agent du renseignement israélien au service privé du Soudan, possède les preuves bancaires que des sommes d’argent auraient été perçues par des personnalités et acteurs américains en l’échange d’une campagne médiatique de diabolisation de l’État soudanais et du président Omar el-Béchir. « Monsieur Nespresso » a même été jusqu'à payer de ses deniers personnels, prétend-il, un satellite pour observer en permanence le président el-Béchir ! Les circulaires émanant des ambassades soudanaises dans le monde révèlent pourtant qu’aucun visa ne leur a jamais été délivré. Pourtant ces activistes qui se substituent sans ombrage à la diplomatie des États se targuent de s’être rendus au Darfour des dizaines de fois... illégalement sans doute.
The US redoubled its efforts to prevent the Sudan from resisting sanctions. From Woody Allen’s ex-muse and wife, Mia Farrow to actor George Clooney, the hip, pseudo-humanitarian Hollywood stars won’t stop defending Darfurians and ruining Sudan’s image in the realm of human rights. Nick X, an Israeli research agent in the private service of Sudan, has banking proof that sums of money have been paid to personalities and American actors in exchange for a media campaign to demonize the Sudanese government and its president, Omar el-Béchir. “Mr Nespresso” even claims to have used his personal funds to pay for the 24 hour surveillance via satellite of President al-Bashir ! Sudanese embassies and consulates throughout the world reveal that not one single visa was ever issued to these activists. However, these same activists boast of having visited Darfur dozens of times…illegally, of course…
Des effets économiques désastreux…
Devastating economic effects…
Le revenu par habitant a chuté aggravant le taux de pauvreté. Le taux d’inflation a augmenté passant de 8% à 45%. La dette extérieure par habitant a augmenté de 107% en passant de 645 à 1 337 dollars. Le taux de change de la livre soudanaise s’est détérioré de 400% par rapport au dollar américain en passant de 1,5 à 6 livres pour 1 dollar. Le déficit de la balance des paiements et de ses composantes dont la plus importante est la balance commerciale a été continu. Cela reflète l’augmentation des importations par rapport aux exportations et le déséquilibre continu de la balance extérieure. Il s’ensuit l’augmentation du taux de chômage en raison de la fermeture avérée ou imminente des sociétés étatiques, à l’instar de la compagnie aérienne nationale Sudan Airways laquelle souffre d’un manque cruel de formation technique, de pièces de rechange, de maintenance. De fait, Sudan Airways doit faire face à une énorme perte de clientèle car sans avion, il n’y a plus de passagers !
The per capita income has plummeted, aggravating the poverty rate. The inflation rate has skyrocketed from 8% to 45%. Foreign debt per capita has gone up 107%, from $645 to $1,337 dollars. The exchange rate on the Sudanese pound has sunk by 400% in relation to the US dollar, moving from 1.6 to 6 pounds to the dollar. The balance of payments deficit and its components, the most important of which is the commercial balance has continued. This reflects the increase in imports in relation to exports and the imbalance continues on from the trade balance. It follows the increase in the unemployment rate due to the proven or imminent closure of state-owned companies, like the national airline company, Sudan Airways which suffered from a cruel lack of technical training, spare parts, maintenance and, as a result, faces an enormous loss of clientele. Without planes, there will be no more passengers.
Le déficit continu du budget de l’État en raison de la perte des flux externes est réel. La dette est croissante, le taux d’inflation ahurissant, le taux de change affolant et le chômage grandissant.
© Arnaud Longatte
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From the internationalization of sanctions to the newsworthy demonization of the government?
The deficit of the government’s budget due to the loss of external flows is real. Debt is mounting, the inflation rate is staggering, the exchange rate is terrifying and unemployment is growing.
Pourquoi cet acharnement contre l’État soudanais ?
Why the obstinacy against the State of Sudan ?
Ces sanctions économiques visent le gouvernement. Pourtant c’est le peuple soudanais qui souffre. Des sources émanant de haut-gradés soudanais assurent que le problème est politique et que le Soudan a beau faire preuve de bonne volonté en adoptant, par exemple, tous les accords et recommandations de l’ONU, en coopérant avec la communauté internationale pour aider à lutter contre le terrorisme, en créant des unités spéciales anti-terrorisme, il semblerait que les États-Unis se servent de l’embargo qu’ils ont décrété comme d’un outil de pression politique servant leurs intérêts.
These economic sanctions are aimed at the government. However it is the Sudanese people who suffer. Sources coming from the highest Sudanese ranks assure that the problem is political and that despite the Sudan’s goodwill in adopting all of the agreements and guidelines from the UN, in cooperating with the international community to help fight against terrorism, and in creating special anti-terrorism units, it would seem that the United States is using an embargo as a tool to apply political pressure to serve its own interests.
En 2011, John Kerry, conscient de l’impact direct qu’ont ces sanctions économiques sur la paix et la stabilité au Soudan, a offert de les lever, à deux conditions : premièrement, que le Soudan se sépare du Sud, lequel détient 85% des ressources pétrolières ; deuxièmement, que Khartoum signe le Peace agreement (2010). Aujourd’hui, alors que ces deux conditions ont été remplies par l’État soudanais, aucune sanction n’a été en contrepartie levée par Washington bien que l’on observe un timide assouplissement dans le domaine des TIC. En effet, l’exportation de terminaux et de logiciels de communication est maintenant autorisée. Mais à quoi bon posséder un ordinateur Apple ou un Iphone 6 si aucun téléchargement d’application ou aucune mise à jour n’est possible ? D’après nos sources, l’administration américaine utilise désormais comme moyen de pression le Darfour et, plus particulièrement la région du Kordofan du Sud, prétendu théâtre de la rébellion armée. Washington souhaite maintenant que le Soudan se sépare aussi des cinq régions du Darfour, lesquelles représentent en superficie la moitié de ce pays.
In 2011, John Kerry, conscious of the economic sanctions’ direct impact on peace and stability in Sudan, offered to lift them on two conditions : first, that the Sudan separates from the south which holds 85% of the reserves; secondly, that Khartoum signs the referendum of the Peace agreement (2010). Today, while these two conditions were fulfilled by the Sudanese government, not one sanction has been lifted in return by Washington, although we can see a cautious softening within the information and communication technologies department. In fact, the exportation of terminals and communication software is now authorized. But what good is an Apple computer or iPhone 6 if you can’t download apps or update operating systems? According to our sources, the American administration now uses, as a means of putting pressure on Darfur and in particular the Kordofan region in the south, a so-called rebellion army. Washington now wants the Sudan to also separate from the five regions of Darfur which represent the vast majority of this country.
Questions Questions Combien de temps perdurera encore cette mascarade lorsque l’on sait, preuve à l’appui, que le Soudan n’est ni un État terroriste, ni un État soutenant le terrorisme et qu’il coopère avec tous les services d’intelligence du monde, y compris américain, pour lutter contre ce fléau, soutenir la paix et promouvoir la stabilité ? Qui sont les véritables terroristes ? Ceux que l’on accuse depuis maintenant 20 ans d’être complices du terrorisme ou ceux qui imposent un embargo criminel à un peuple innocent ?
How much longer will this masquerade continue when we know, armed with evidence to support, that Sudan is neither a terrorist state nor a state harboring terrorism, instead opting to cooperate with all of the world’s intelligence agencies, including that of the United States, to fight against this plague, to uphold the peace and promote stability ? Who are the real terrorists ? Those who for 20 years now are accused of being complicit to terrorism or those who are imposing a criminal embargo on innocent people ? Translation from French: Rachel WONG 85
© Arnaud Longatte
BADRELDIN
« NOUS NE COMPRENONS PAS CES SANCTIONS… » "WE DO NOT UNDERSTAND THESE SANCTIONS..." par Hervé PUGI
ENTRE LAPERTE DU SOUDAN DU SUD, LACRISE DE LADETTE ET L’EMBARGO AMÉRICAIN, L’ÉCONOMIE SOUDANAISE A CONNU DES ANNÉES POUR LE MOINS MOUVEMENTÉES. POUR ÉVOQUER CES DIFFÉRENTS DOSSIERS, 54 ÉTATS EST PARTI À LA RENCONTRE DU MINISTRE DE L’ÉCONOMIE ET DES FINANCES, M. BADRELDIN MAHMOUD ABBAS. ENTRETIEN.
54 ÉTATS : Après de longues années d’embargo, quel est l’état de l’économie soudanaise ? Badreldin Mahmoud Abbas (B. M. A.) : Cet embargo a démarré en 1997 et il reste effectif de nos jours. Il a très clairement un très mauvais impact sur tous les secteurs. Il n’affecte pas seulement le gouvernement mais c’est surtout le peuple qui en souffre. Nous ne sommes pas autorisés à faire appel aux institutions financières pour acheter des médicaments, des équipements ou de la technologie. Le secteur industriel est également touché. Comme vous le savez, l’argent est indispensable à toute activité. L’économie soudanaise ne manque pas de ressources mais, sans financement, celles-ci restent sous-exploitées. Beaucoup de gens frappés par la famine sont venus à Khartoum. Ces déplacés n’ont ni travail ni revenu. Ils ont tout perdu et cela pose des problèmes de sécurité. 86
BETWEEN THE LOSS OF SOUTH SUDAN, THE DEBT CRISIS AND THE AMERICAN EMBARGO, THE SUDANESE ECONOMY HAS SEEN SOME PARTICULARLY EVENTFUL YEARS. REFLECTING BACK ON THIS TIME AND CONSIDERING THE CURRENT STATE OF AFFAIRS, 54 ÉTATS MET WITH HER EXCELLENCY BADRELDIN MAHMOUD ABBAS, THE SUDANESE ECONOMY AND FINANCE MINISTER. INTERVIEW. 54 ÉTATS: After long years of embargo, how might you describe the state of the Sudanese economy? Badreldin Mahmoud Abbas (B. M. A.): This embargo started in 1997 and is still in effect today. Clearly, it has a very negative effect on all sectors. It affects not only the government but the community and the people who are suffering through it. We cannot access financial institutions to buy medicine, equipment or technology. The industrial sector is affected as well. As you know, money plays an essential role in any activity. The Sudanese economy abounds with resources that, due to lack of financing, remain underexploited. Many hunger-stricken people have come to Khartoum. These displaced people have no job and no income. They have lost everything. This situation has given rise to security issues in the country.
54 ÉTATS: What was the real impact of revenue loss following the secession of South Sudan?
54 ÉTATS : Quel est l’impact réel de la perte des revenus pétroliers à la suite de la sécession du Soudan du Sud ? B. M. A : Nous avons perdu plus de 80 % de nos devises étrangères. Nous avons abandonné plus de 50 % de nos recettes. Nous espérions, après la sécession, la fin de l’embargo. Malgré l’affaiblissement de notre économie, sans avoir reçu la moindre aide des institutions internationales, les sanctions ont perduré. Notre économie est vraiment impactée. 54 ÉTATS : Est-ce que l’accord du « zéro option » conclu en 2012 a été respecté par la communauté internationale ? B. M. A : L’accord a été accepté mais, sur le terrain, il n’a pas été respecté notamment par les Américains. Ils ne se sont pas tenus à ce qui avait été convenu. Les gens espéraient, après cet accord, accéder à une stabilité politique et sécuritaire, sans sanctions américaines. Ils pensaient que tous les problèmes économiques seraient résolus. Mais, malheureusement, c’est tout l’inverse qui s’est produit. 54 ÉTATS : Paradoxalement, la perte des revenus pétroliers a permis au Soudan de diversifier son économie. Des secteurs comme l’agriculture, l’élevage ou l’exploitation minière peuvent-ils assurer la prospérité du pays ? B. M. A : Oui. L’économie soudanaise est riche. Nous avons des atouts tels que d’immenses terres agricoles et un bon climat. Nous possédons une réelle expertise, mais le problème du secteur agricole réside dans le financement ! Nous n’avons pas accès aux institutions financières pour apporter les financements aux intéressés. Toutes nos industries sont à l’arrêt. Même les Soudanais expatriés font face à des problèmes. Ils doivent s’acquitter de gros frais pour transférer l'argent à leur famille.
54 ÉTATS : Les dernières années ont été marquées par une inflation galopante. Quelle politique a été mise en place pour contrecarrer ce problème ? B. M. A : Le gouvernement s’efforce de gérer notre devise dans un contexte économique très difficile. Nous avons établi un programme de réformes. L’objectif majeur de ce programme est de conserver une stabilité économique tout en permettant une vraie croissance du PIB. Et ce, afin de le redistribuer géographiquement et économiquement. 54 ÉTATS : Comme beaucoup de pays, le Soudan fait face au problème de sa dette publique extérieure. Comment jongler entre de nécessaires investissements et l’exigence de remboursement de vos créanciers ? B. M. A : C’est impossible avec l’embargo et c’est là la principale problématique des sanctions américaines. Nous satisfaisons à toutes les exigences du Heavily Indebted Poor Countries (HIPC), en tant que pays endetté, mais en raison de l’embargo notre dette ne peut être allégée. Techniquement, nous avons tout fait. Il n’y a aucune raison logique pour justifier ces sanctions ! En vertu des réglementations internationales, ces sanctions devraient se restreindre à quelques secteurs, elles devraient être limitées dans le temps et conditionnées. Mais, en réalité, nous faisons face à une sanction sans fin ! 54 ÉTATS : Votre souhait est de restaurer des relations économiques entre le Soudan et le reste du monde ? B. M. A : C’est notre intérêt et nous sommes ouverts à cette idée-là. Nous ne comprenons pas le pourquoi de ces sanctions. Chaque pays est libre de faire ce qu’il pense juste politiquement. Pour moi, il serait normal que l’embargo soit levé. Nous sommes un pays institutionnel, pacifique et particulièrement civilisé. Vraiment, nous ne comprenons pas ces sanctions…
B. M. A: We lost more than 80% of our foreign exchange reserves. We lost more than 50% of our resources. We believed that, after the secession, the end of the embargo would become a reality. Despite our weakened economy, despite the lack of help from international institutions, sanctions have continued. Our economy has really suffered from this. 54 ÉTATS: Has the "zero option" agreement from 2012 been respected by the international community? B. M. A: This agreement has been accepted but, in reality, it has been completely ignored, particularly by the Americans. They are not holding up their end of the deal. People hoped that, following this agreement, there would be political stability and security without American sanctions. They believed that all their economic problems would be solved. But, unfortunately, the total opposite has happened. 54 ÉTATS: Paradoxically, may we say that the income loss has allowed the Sudan to diversify its economy? Agriculture, livestock and mining: could these sectors lead the country to prosperity? B. M. A: Yes. The Sudanese economy is rich. We have expertise. We are blessed with vast agricultural lands, a good climate. But the problem in our agriculture sector is financing! We do not have access to the institutions that could grant financing to interested parties. All of our industries are halted. Even Sudanese expatriates are facing difficulties. They are subject to huge fees to transfer money to their families.
54 ÉTATS: The past few years have been marked by runaway inflation. What policy has been put into place to counteract this problem? B. M. A: The government is striving to manage our currency in a very difficult economic context. Now, we have a reform program which aims to maintain economic stability and at the same time allow a real GDP growth in order to redistribute these gains geographically and economically. 54 ÉTATS: Like many countries, the Sudan is facing a foreign public debt problem. How do you handle necessary investments and creditor repayment requirements? B. M. A: It is impossible with the embargo. This is the main obstacle as a result of American sanctions. As a country in debt, we satisfy all the requirements laid down by the HIPC (organization in charge of the debt). But, because of the embargo, we do not have the possibility to alleviate it. Technically, we have done everything but, unfortunately, we are still struggling with the issue of foreign debt. No logic justifies these sanctions! According to international regulations, these sanctions should be limited to certain sectors, to a certain time frame and subject to certain conditions. But in fact, sanctions on Sudan appear to be endless! 54 ÉTATS: So, your wish is to restore the economic relationship between the Sudan and the rest of the world? B. M. A: Yes, this is our interest and we are open to this idea. We do not understand the point of these sanctions. Every country is free to act according to what it considers politically relevant. I do think it would be natural to remove these sanctions. Our country is peaceful, institutional and very civilized. We really do not understand these sanctions… Translation from French: Rachel WONG 87
Ministre du pétrole minister M. Mohamed Awadh
PÉTROLE / OIL
© José Colas
LE SOUDAN TOUCHÉ MAIS PAS COULÉ !
par Hervé PUGI
VÀ PRÈS DE QUATRE ANS QUE LE SOUDAN S’EST VU AMPUTÉ DE SES TERRITOIRES DU SUD. UN CAS RARE DANS L’UNIVERS DE LA GÉOPOLITIQUE QUI A FAIT DU PRINCIPE D’INTANGIBILITÉ DES FRONTIÈRES UN VÉRITABLE DOGME. UNE EXCEPTION D’AUTANT PLUS SURPRENANTE QUE KHARTOUM A VU LA MAJEURE PARTIE DE SES RECETTES PÉTROLIÈRES S’ÉVAPORER AVEC LE SOUDAN DU SUD. COMMENT SE RELÈVE-T-ON DE LA PERTE D’UNE TELLE MANNE ? ÉLÉMENTS DE RÉPONSE DE MAKKAWI MOHAMED AWADH, MINISTRE SOUDANAIS DU PÉTROLE.
Dans un pays frappé par les sanctions économiques, imposées par les États-Unis, il est savoureux de rappeler que l’histoire du pétrole au Soudan est intimement liée à une companie… américaine. C’est en effet Chevron qui, au tout début des années 80, avait mis en lumière le potentiel pétrolier du Soudan, avant de plier bagage. « Les sanctions ont débuté juste après », se souvient Makkawi Mohamed Awadh qui, au passage, explique qu’il ne comprend pas « jusqu’à maintenant pourquoi les Américains agissent ainsi… » Ce que le ministre du Pétrole sait en revanche c’est que « tout allait pour le mieux », dans son secteur en tout cas, jusqu’à la création du Soudan du Sud en juillet 2011. Et pour cause, « 80 % du pétrole se trouve au sud », explique un ministre qui, loin de pleurer sur son sort, tient à mettre l’accent sur les avancées connues par son pays : « Cette année, la production devrait monter à 140 000 barils par jour contre 100 000 après la séparation. » Une augmentation significative qui va de pair avec une politique d’investissements permettant « un travail de prospection et de récupération » qui, assurément, porte ses fruits. Du coup, « si certains blocks déclinent, de nouveaux permettent de tirer la production vers le haut ». 88
IT HAS BEEN NEARLY FOUR YEARS SINCE SUDAN HAS LOST ITS SOUTHERN TERRITORY. THIS IS A RARE CASE IN THE GEOPOLITICAL WORLD FOR A COUNTRY THAT HAS DELIBERATELY MADE THE INTANGIBILITY OF ITS BORDERS A RULE. EQUALLY SURPRISING IS THAT KHARTOUM SAW THE MAJOR PART OF ITS RESERVES DISAPPEAR WITH SOUTH SUDAN. HOW CAN THE SUDAN BOUNCE BACK FROM THE LOSS OF SUCH A PRECIOUS RESOURCE? MAKKAWI MOHAMED AWADH, MINISTER OF SUDAN, RESPONDS.
In a country beaten down by economic sanctions imposed by the United States, it is interesting to remember that Sudan’s history is intimately tied to a company…an American one. It was actually Chevron who, in the beginning of the ‘80s, had put the spotlight on the potential in Sudan, before packing its bags. "The sanctions started just after", remembers Makkawi Mohamed Awadh who explained that he doesn’t understand "even now why the Americans acted in the way that they did …" What the minister did know is that "all was well ", in his sector, until the creation of South Sudan in July 2011. Understandably, as "80 % of the is found in the south", explains the minister who, far from bemoaning this fact, would like to highlight the known advances in his country: "This year, production should increase to 140,000 barrels per day compared to the 100,000 after the separation." A significant increase that goes hand in hand with an investment policy allowing "exploration and recovery work" which, assuredly, will bear fruit. As a result, "if certain obstacles come down, we will be able to ramp up production again".
CONDAMNÉS À S’ENTENDRE ? Incontournable, le Soudan le reste. Pas seulement en sa qualité de pays producteur. Car si la quasi-totalité des ressources pétrolières est bien passée au sud, « les pipelines et les infrastructures sont en revanche bien restés au Soudan », s’empresse de préciser le ministre qui souligne que « le Soudan du Sud est un pays enclavé. Sans port ni même accès à la mer. Tout leur pétrole, mais pas seulement, passe par PortSoudan ». De là à dire que les deux pays sont condamnés à s’entendre, il n’y a qu’un pas ! Pour autant, vous ne ferez pas dire à Makkawi Mohamed Awadh qu’il existe une quelconque tension entre le Soudan et son voisin : « nous travaillons en totale coordination avec mon homologue. Je me rends à Juba, il se déplace à Khartoum. Nous nous respectons ». Aussi, n’allez surtout pas parler à M. Mohamed Awadh du projet de pipeline devant relier, notamment, le Soudan du Sud à Djibouti. Le ministre l’affirme, il n’est « au courant de rien quant à ce projet » et ne voit pas « pourquoi le Soudan du Sud voudrait de ce pipeline ». Pour le ministre, les bonnes relations tissées suffiraient à pleinement consommer une union que beaucoup présentent, tout au plus, comme un mariage de raison.
DOOMED TO REACH AN AGREEMENT?
PRIX DU BARIL ? UN CASSE-TÊTE… Pas besoin d’être un spécialiste pour savoir que le prix du baril de pétrole a connu une chute, aussi continue que vertigineuse, au cours des derniers mois. Impossible de ne pas interroger Makkawi Mohamed Awadh sur la question pour une réponse… paradoxale ! « De fait, pour le Soudan, la baisse des cours a des impacts, aussi bien positifs que négatifs. D’une part, depuis la sécession, notre seule production ne nous permet pas de satisfaire la demande intérieure. Nous devons importer et les prix bas nous sont donc favorables. D’autre part, les compagnies qui exploitent notre pétrole ont besoin de vendre leur production à un bon prix. Notamment car cet argent permet de financer les investissements indispensables. De ce point de vue, c’est une perte. » Alors, baril à moitié plein ou à moitié vide ? À chacun de se faire une idée…
Undefeated, Sudan remains standing. And not only in its capacity as a producer country. Because if nearly all of the resources are in the south (South Sudan), "the pipelines and infrastructure are all in Sudan (the north)", the minister hastens to specify and stress that "South Sudan is a landlocked country. Without a port nor access to the sea. All of their , and anything else, must go through Port-Sudan". This is not to say that the two countries are doomed to reach an agreement, it will just take some tenacty ! Provided that you will not tell Makkawi Mohamed Awadh that there is tension between Sudan and its neighbor: "we work in total cooperation with my counterpart. I go to Juba, they come to Khartoum. We respect each other". Furthermore, you will certainly not talk to M. Mohamed Awadh about the pipeline project that will link them, notably, South Sudan to Djibouti. The minister affirms that he is not "aware of anything regarding this project" and does not see "why South Sudan would want this pipeline". For the minister, good close relations would be enough to fully consummate a union that largely resembles nothing more than a marriage of reason. Translation from French: Rachel WONG
PRICE OF A BARREL? A HEADACHE… You don’t need to be an expert to know that the price of a barrel of has fallen dramatically, and continues to do so in a staggering way, during the course of the last few months. It is impossible not to probe Makkawi Mohamed Awadh about this. Here is his paradoxical response! "Indeed, for Sudan, the fall in stock prices has had its impacts, positive as well as negative. On one hand, since the secession, relying on just our production does not allow us to satisfy the interior demand. We must import and so the low prices are favorable to us. On the other hand, companies that exploit our need to sell their product at a good price. Notably because this money permits the financing of indispensible investments. From this viewpoint, it’s a loss". So, is the barrel half full or half empty? It is in the eye of the beholder… 89
UNE AGRICULTURE ENCORE EN FRICHE © Alexandre Blot Luca
par Alexandre Blot Luca LONGTEMPS DÉLAISSÉE AU PROFIT DU PÉTROLE PAR LE GOUVERNEMENT, L’AGRICULTURE NATIONALE SOUFFRE ÉGALEMENT DES CONSÉQUENCES DE L’EMBARGO AMÉRICAIN. REPORTAGE AU CŒUR DE LA GEZIRA, « LE GRENIER DU SOUDAN ».
« Souriez, vous êtes à Wad Madani ». Après plusieurs heures de route au travers des paysages ocres et arides soudanais, la Gezira et ses champs à perte de vue ouvrent enfin leurs portes. Surnommé « le grenier du Soudan » pour la fertilité de ses sols, cet État situé au sud de Khartoum regroupe la quasi-totalité des capacités agricoles du pays. Il bénéficie d’un programme de développement depuis 1925 permettant d’irriguer les 840 000 hectares de terres bordées par le Nil bleu et le Nil blanc. Ici se cultivent du coton, du sorgho, du blé, des tournesols, des oignons et autres variétés telles que des carottes et des aubergines. Mais depuis l’embargo américain, les agriculteurs locaux ont bien du mal à garder la tête hors de l’eau. Les coûts de production ont considérablement augmenté, alors que les revenus n’ont cessé de décroître. « Nous souffrons d’un manque de technologie et d’assistance qui affecte considérablement la production, confie Mohammad Abdelmagid Kuku, secrétaire général du « projet Gezira ». À titre d’exemple, nous utilisons encore le bâton pour trouver de l’eau. Il y a également le problème des insectes qui coûte beaucoup d’argent. Nous avons besoin de nouveaux dispositifs pour encourager la diversification et lutter contre les insectes avec des pesticides ».
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AGRICULTURE LAGS BEHIND IN DEVELOPMENT NEGLECTED FOR YEARS IN FAVOR OF MORE LUCRATIVE , NATIONAL AGRICULTURE ALSO SUFFERED AS A CONSEQUENCE OF THE AMERICAN EMBARGO. REPORTING FROM THE HEART OF GEZIRA, "THE BREADBASKET OF AFRICA ".
"Smile ! You are in Wad Medani". After crossing several hundred kilometers of ochre and arid Sudanese landscape, we arrive in Gezira where its fields spread forth as far as the eye can see. Nicknamed "the breadbasket of Africa" for its fertile s, this state lies south of Khartoum comprising nearly the entirety of the country’s agricultural capacity. Since 1925, it has benefited from a development program permitting the irrigation of the 840,000 hectars of land between the two rivers, White Nile and Blue Nile. Here, cotton, sorghum, wheat, sunflowers, onions and other varieties such as carrots and eggplants are cultivated. But after the American embargo, the local farmers struggled to stay afloat. Production costs have increased considerably, and revenues have not stopped shrinking. "We suffer from a lack of technology and assistance that significantly affects production, says Mohammad Abdelmagid Kuku, general secretary of of "Projet Gezira". For example, we still use a stick to find water. There is also the insect problem which costs us a lot of money. We need new systems to encourage diversification and to combat the insects with pesticides".
Affaiblis par les sanctions, les 130 000 agriculteurs employés par le gouvernement doivent également faire face au manque de moyens alloués par l’État. Dans un hangar, une dizaine de pompe d’irrigation en provenance de Syrie sont toujours dans l’attente d’être installées. Et cette situation pourrait encore durer. « Le ministre des Finances nous a dit que ce n’était pas la priorité », regrette Mohammad Abdelmagid Kuku. À quelques centaines de mètres de là, une écluse mécanique témoigne de la vétusté des installations. Chaque jour, ils sont plusieurs à la soulever à bout de bras. Un labeur éprouvant pour les fermiers mais ô combien important. « Sans ce canal, qui va jusqu’à Khartoum, il n’y a pas d’irrigation et donc pas de vie, raconte Zen, ingénieur civil. Nous avons tout construit pierre après pierre ». Stratégique pour l’agriculture, ce cours d'eau de 108 kilomètres l’est aussi pour la vie quotidienne. Les habitants du village y pêchent, y font leur lessive quand les moutons s’y rafraichissent. Le tout sous un soleil frôlant les 45°C.
© Alexandre Blot Luca
Weakened by the sanctions, the 130,000 government-employed farmers also face a lack of funding. In a shed, a dozen irrigation pumps brought in from Syria are still waiting to be installed. And this situation could continue. "The Finance minister told us that this was not a priority", regrets Mohammad Abdelmagid Kuku. About 100 meters from there, a mechanical lock stands witness to the dilapidation of installations. Every day, there are several to raise. A difficult work for the farmers but not the least important. "Without this canal, that flows to Khartoum, there is no irrigation and so, no life, says Zen, civil engineer. We built everything stone by stone". Agriculturally strategic, this 108 kilometers stream is equally important for daily life. Village residents fish and do their washing there while it also provides a means to water their sheep. And above all, it provides relief under the blistering sun where temperatures regularly hover around 45°C.
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« NOUS COMMENÇONS À RELEVER LA PENTE » L’État soudanais a longtemps privilégié les revenus du pétrole avant de voir les puits d’hydrocarbure s’évaporer lors de l’indépendance du Soudan du Sud. Il cherche depuis à développer son agriculture par tous les moyens, même si une véritable stratégie se fait attendre. « Nous avons besoin d’un véritable plan marketing, souligne Mohammad Abdelmagid Kuku. Avant, l’État ne faisait pas vraiment ce qu’il fallait pour développer l’agriculture. Nous avons connu des moments très difficiles, mais aujourd’hui nous commençons à relever la pente et les moyens qui nous sont alloués augmentent ». Preuve de sa bonne volonté, le gouvernement d’Omar el-Béchir cherche à attirer les capitaux étrangers. En décembre dernier, le ministre des Investissements, Moustafa Osman Ismail, a ainsi confirmé l’allocation de près de 40 000 hectares de terres arables à l’Égypte. De trois milliards de dollars actuellement, les investissements égyptiens devraient ainsi passer à onze milliards dans les prochaines années. Si la situation tend à s’améliorer tant bien que mal sur le terrain, celle des centres de recherche agricole reste très impactée par les sanctions. Avec dix centres de recherche répartis dans tout le pays et près de six cents chercheurs, l’Agricultural research corporation (ARC) fait figure de référence. Créée en 1902, elle est le bras technique du gouvernement et concourt à la création de cultures hybrides, à l’amélioration des techniques agricoles et à la protection des cultures contre les maladies et autres insectes. Depuis les restrictions, elle a vu ses moyens d’actions considérablement diminués. Les 24 millions de livres soudanaises (4 millions de dollars) versés par le ministre des Finances ne sont aujourd’hui pas suffisants. La fuite des fonds internationaux n’y est pas étrangère. « Notre croissance est considérablement affectée. Par exemple, nous manquons de pièce de rechange, d’équipements alors que nous avons besoin de machines très sophistiquées pour faire avancer notre travail », explique le professeur Kamal Elsiddig Ahmed, directeur de l’ARC de Wad Medani. Malgré ce handicap, l’Agricultural research coporation persiste à améliorer ses domaines d’expertise, notamment en matière de recherche génétique et d’irrigation, l’eau étant un enjeu majeur dans ce pays aride. L’ARC collabore également avec d’autres pays africains et se tourne vers les pays émergents asiatiques, comme l’Inde ou la Chine, alors que les portes des grands colloques européens lui sont désormais fermées. À l’image de la société civile soudanaise, les protagonistes du monde de l’agriculture préfèrent l’optimisme et espèrent que cet embargo ne sera bientôt plus qu’un mauvais souvenir. En attendant cette hypothétique bonne nouvelle, « nous continuons à nous battre », souffle Mohammad Abdelmagid Kuku, se remémorant des épreuves qu’il sera bien difficile d’oublier. 92
"WE ARE STARTING TO CLIMB BACK UP THE SLOPE"
© Alexandr
e Blot Luca
The Sudanese government has for a long time favoured oil for revenue while watching hydrocarbon wells evaporate after its independence from South Sudan. It has since looked for ways to develop agriculture by all means, even if it means waiting for a real strategy. "We need a real marketing plan, emphasizes Mohammad Abdelmagid Kuku. Before, the government really didn’t do much of what was needed to develop agriculture. We have been through very difficult times, but today we are starting to climb back up the slope and the funding has increased". As proof of its goodwill, Omar el-Béchir’s government is looking to attract foreign capital. Last December, the Investments minister, Moustafa Osman Ismail, confirmed close to 40,000 hectars of arable land in Egypt. Currently at three billion dollars, Egyptian investments should increase to 11 billion dollars in the coming years.
If the situation manages to improve for better or for worse on the land, agricultural research centers remain very impacted by the sanctions. With ten research centers spread throughout the country and close to 600 researchers, the Agricultural Research Center (ARC) is a leading reference. Created in 1902, it is the technical arm of the government and contributes to the creation of hybrid crops, technical agricultural improvements and the protection of crops against disease and pests. Since these restrictions, it has seen its course of action considerably dimished. The 24 million Sudanese pounds (4 million USD) allocated by the Finance minister today are not sufficient. The flight of international funding is not unusual here. "Our growth is considerably affected. For example, we need replacement parts, equipment, we need very sophisticated machines to advance out work", explains professor Kamal Elsiddig Ahmed, director of the ARC in Wad Medani. Despite this handicap, the ARC persists in improving its areas of expertise, notably in genetic research and irrigation, water being a major stake in this arid country. The ARC also collaborates with other African countries and is turning to emerging countries, like India and China, as the large European colloquiums are, going forward, closed to them. Reflecting Sudanese civil society, leaders of the agricultural world prefer optimism and hope that this embargo will soon be no more than a bad memory. While waiting for this hypotehtical good news, "we continue to fight", says Mohammad Abdelmagid Kuku, recalling hardships that will be very difficult to forget. Translation from French: Rachel WONG 93
© Arnaud Longatte
THE EMBARGO
par Arnaud LONGATTE
Affectant l’ensemble des secteurs d’activité du pays, l’embargo économique pèse inexorablement de façon très lourde sur le Soudan. Le domaine de la santé n’est pas épargné et, en définitive, ce sont les malades qui souffrent le plus gravement du manque d’équipements des structures hospitalières. Reportage exclusif à Khartoum, la capitale, où maladie grave rime très souvent avec condamnation à mort… pour cause de matériel défectueux ! 94
Affecting the overall picture of the country’s activity sectors, the embargo relentlessly weighs down on Sudan. The area of health is not spared and, ultimately, it is the sick who suffer the most from the lack of hospitals and equipment. Exclusive report in Khartoum, the capital, where one would not want to be fall ill … and where faulty equipment invariably spells a death sentence!
Les Américains auraient des choses à reprocher aux Soudanais, en particulier qu’ils soutiendraient le terrorisme. C’est ce qui a motivé en partie l’embargo économique dont souffre le pays depuis l’année 1997. En dépit des dénégations des autorités soudanaises, des tentatives de négociations élaborées en haut lieu et des « exigences » des États-Unis auxquelles se soumet Khartoum, rien n’a changé : cela fait dix-huit ans que le pays vit dans une quasi-autarcie. Derrière cette étiquette se cache une réalité bien plus sombre, dans laquelle on découvre un pays miné par un isolement forcé et qui s’efforce, malgré tout, de survivre. Et le mot n’est pas trop fort, en particulier quand on s’intéresse de plus près aux répercussions que cet embargo peut avoir dans le domaine de la santé. Au Soudan, du fait des sanctions économiques, les séquelles irréversibles occasionnées au matériel médical l’empêchent d’assurer sa fonction de diagnostic ou de soin. C’est lors d’une rencontre à l’hôpital Ibn Sina dans la capitale avec le ministre de la Santé de l'État de Khartoum, M. Mamoun Homeida, que la rédaction du magazine 54 États a pu se rendre compte de l’impact terrible de l’embargo et de ses conséquences. À notre arrivée, nous sommes surpris de la vétusté de cet hôpital public, où l’on ne peut que constater un certain état de délabrement : vitres cassées, peintures craquelées, on peut penser à un lieu à l’état d’abandon. C’est en passant devant les salles d’attente pleines à craquer que l’on comprend que l’hôpital fonctionne et que seuls les patients sont abandonnés… à leur triste sort par une structure à l’agonie.
© Arnaud Longatte
The Americans would hold grudges against the Sudanese, particularly because they believe that the Sudanese support terrorism. And this is the reason behind the economic embargo under which the country has suffered since 1997. Not withstanding denials by the Sudanese authorities, attempts at high-level, elaborate negotiations and American "demands" to which the Sudanese government submitted, nothing changed : it’s been 18 years that the country has been living in a quasi-autocracy. Behind the scenes they hide a much more sombre reality, in which we discover a country eroded by forced isolation and that strives, in spite of all, to survive. And this word is not too strong, especially when we look more closely at the repercussions that this embargo is having within healthcare. In Sudan, as a result of the embargo, the irreversible aftermath to medical supplies prevent functions of diagnosis or care to be carried out. Therefore it is at a meeting at the Ibn Sina Hospital in Khartoum, with the Khartoum State minister of health, M. Mamoun Humeida, that 54 États could begin to understand the terrible impact of the embargo and its consequences. Upon our arrival, we were surprised at the dilapidation of this public hospital, where we cannot but note a certain state of disrepair: broken glass, peeling paint; it called to mind complete abandonment. It is in passing through the fully packed waiting rooms that we understand that the hospital does function and that only its patients are abandoned… to their fate by a dying hospital.
Docteur Mona, chef de service oncologie de l’Hôpital Ibn Sina de Khartoum © Arnaud Longatte
LES PATIENTS MEURENT ET NOUS NE POUVONS RIEN FAIRE POUR EUX Mamoun Homeida, ministre de la Santé de l’État de Khartoum
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© Arnaud Longatte
Au cours d’une réunion improvisée avec M. Mamoun Homeida et ses collaborateurs, la tension reste palpable. En effet, le ministre tient des propos exacerbés à l’encontre des États-Unis et de leur embargo, expliquant que tout le matériel médical, acheté parfois plusieurs millions de dollars, se trouve en état de mort clinique, car la maintenance nécessaire pour son bon fonctionnement n’est pas effectuée par les constructeurs « respectant » scrupuleusement l’embargo ordonné par les autorités américaines. C’est ainsi que se meurent les machines à dialyse, IRM et autres scanners dans des salles se transformant en morgue pour instruments de haute technologie. Triste constat que dénoncent ces professionnels de la santé, impuissants à soigner leurs malades comme ils le devraient ou comme ils l’auraient pu, si les machines avaient fonctionné correctement et pointant du doigt les Américains, coupables à leurs yeux de « laisser mourir les Soudanais ». Le ministre va même plus loin, les accusant d’être « de vrais terroristes ». Car, dit-il, « les États-Unis se vantent d’être le pays de la liberté, de la défense des droits de l’homme et de la dignité humaine, mais c’est cela même qu’ils bafouent car cet embargo prive les Soudanais de la liberté fondamentale de l’accès aux soins et, en cela, c’est criminel, car les patients meurent et nous ne pouvons rien faire pour eux ».
During this impromptu meeting with M. Mamoun Humeida and his staff, the tension remains palpable. In fact, the minister has exacerbated words for the Americans and their embargo, explaining that all medical supplies, recently bought and worth millions of dollars, are to be found in a clinically dead state, because the maintenance required for them to work is not carried out by the manufacturers « respecting» the embargo ordered by the American authorities.
© Arnaud Longatte
It is in this way that the dialysis machines, the MRI and other scanners lie useless in a room that is transforming into a morgue for high tech instruments. It is a sad realization that condemns these medical professionals, powerless to heal their sick as they should or could have, if the machines had worked correctly, and pointing their fingers at the Americans, guilty in their eyes for "letting the Sudanese die". The minister goes even further, accusing the Americans of being "the real terrorists", referring to them of what the Sudanese have been accused. Because, he says, "The Americans boast of being the country of freedom, of defending human rights and human dignity, but it is exactly that that they offend, because this embargo deprives the Sudanese of the fundamental freedom of access to care and that is criminal, because the patients are dying and we can do nothing for them".
DES MACHINES QUI ONT COÛTÉ PRÈS DE 2 MILLIONS DE DOLLARS PIÈCE SONT À L’ARRÊT POUR CAUSE DE DÉFAUT DE MAINTENANCE 96
Le docteur Mona, éminente oncologue soudanaise, nous explique alors que, concernant les malades atteints de cancer, la situation est dramatique car les machines permettant de diagnostiquer la maladie ou l’état d’avancement de celle-ci, de même que les appareils de radiothérapie, pour leur traitement, sont à l’arrêt, ce qui signifie qu’aucune prise en charge des patients n’est possible. Elle se désole de voir les malades s’amasser dans les salles d’attente sans pouvoir leur apporter l’aide dont ils ont besoin. « À notre grand regret, nous ne pouvons, pour la plupart d’entre eux, que les renvoyer chez eux où ils finiront par mourir », nous confiet-elle. Un sentiment d’impuissance, mêlé de révolte, qu’il est aisé de partager, puisque les services de santé publique sont plongés dans un coma artificiel, alors même que les moyens ne manquent pas, que le personnel est qualifié et que l’accès aux soins est gratuit pour les patients, qu’ils soient soudanais ou étrangers. Cet embargo, aux effets pervers, distille un poison violent qui terrasse, lentement mais sûrement, une population déjà isolée du reste du monde et dont les plus faibles, les malades, meurent dans l’indifférence des pays qui ont fait naître leur détresse.
LE CAS D’AL-SHIFA
UNE FABRIQUE DE MÉDICAMENTS DÉTRUITE PAR UN BOMBARDEMENT AMÉRICAIN Comme si cela ne suffisait pas, les Américains ont bombardé (un mort et dix blessés), le 20 août 1998, l’usine de médicaments Al-Shifa pharmaceutical factory située en plein centre-ville de Khartoum. Ces derniers soutenaient que cette usine développait des armes biologiques et chimiques de destruction massive pour le compte de Ben Laden. Et pourtant, juste avant le tir des missiles américains, le Soudan avait renouvelé ses offres de traquer les membres du réseau Ben Laden. En réalité, l’usine fournissait au Soudan 60 % de ses médicaments et avait des contrats avec l’ONU pour la fabrication de vaccins. Elle fut entièrement détruite et le site est encore aujourd’hui dans l’état où l’ont laissé les missiles américains : un amas de pierres et de ferraille.
THE CASE OF AL-SHIFA
A MEDICINE FACTORY THAT WAS DESTROYED BY AN AMERICAN BOMBING As if this were not enough, on August 20, 1998, the Americans bombed (one deceased and ten injured people) the Al-Shifa medicine factory located in the heart of downtown. Khartoum. The Americans maintain that this factory was developing biological weapons and chemicals of mass destruction for Bin Laden. And yet, just before launching American missiles, the Sudan renewed its offers to track members of the Bin Laden group. In reality, the factory provided 60% of Sudan’s medicines and had contracts with the UN to manufacture vaccines. It was entirely destroyed and the site is now in such a state where the missiles are still lying on the ground : a cluster of rocks and scrap metal.
Dr. Mona, a distinguised Sudanese oncologist, explains that regarding the cancer patients, the situation is dramatic because the machines allow them to diagnose their illness or how advanced along they are, even though the radiotherapy machines, for their treatment, are not working which means that no treatment plan can be put into place for the patients. She is distressed to see sick patients gathering in the waiting rooms without being able to provide them with the care that they need. "Much to our regret, we cannot, for most of them, do anything but send them home to die", she confides to us. There is a feeling of powerlessness, mixed with revolt, that is easy to share as the public health services are plunged into an artificial coma, although they do not lack the means as the staff is qualified and the access to the care is free for the patients, whether they be Sudanese or foreigners. A population already isolated from the rest of the world where the weakest, the sick, die from the indifference of countries from which their distress was born. © Arnaud Longatte
Translation from French: Rachel WONG 97
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par Arnaud LONGATTE
APRÈS UNE PÉRIODE DE RÉCESSION EN 2012 DUE À LA PERTE DES TROIS QUARTS DE SES IMPORTANTS REVENUS PÉTROLIERS LORS DE LA SÉCESSION FAITE AVEC LE SOUDAN DU SUD, LE SOUDAN EST EN PASSE DE RETROUVER UNE STABILITÉ ÉCONOMIQUE. C’EST LE RÉSULTAT D’UNE DIVERSIFICATION DE L’ÉCONOMIE NATIONALE QUI SE CONCENTRE AUJOURD’HUI SUR D’AUTRES SECTEURS COMME LE MINERAI, L' AGRICULTURE OU ENCORE L’ÉLEVAGE. EN OUTRE, L’ASSAINISSEMENT DES FINANCES, AINSI QUE L’ALLÈGEMENT DES SANCTIONS ÉCONOMIQUES DE LA PART DES ÉTATS-UNIS PERMETTENT AUJOURD’HUI À L’ÉTAT SOUDANAIS D’ENTREVOIR UN AVENIR PLUS CLÉMENT.
Le Soudan a eu du mal à se remettre de la sécession de juillet 2011 qui a vu la création du Soudan du Sud, car la production pétrolière, provenant essentiellement du Sud, a bénéficié pour une grande partie au tout nouvel État. Cependant, grâce au développement des secteurs agricole et minier, la croissance du PIB soudanais est passée de 1,4 % en 2012 à 3,6 % en 2013. Un taux ralenti en 2014, suite à l’assainissement des finances, mais qui devrait remonter à 3,8 % en 2015. L’inflation du pays reste cependant élevée : 36,2 % en 2013, puis 26,8 % en 2014. Une tendance baissière qui devrait se confirmer en 2015 à 23,2 %, sous l’effet combiné de l’arrangement financier transitoire (TFA) conclu avec le Soudan du Sud, la création de valeur ajoutée dans les secteurs manufacturier, agricole et minier, ce dernier point étant soutenu par l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI). 98
AFTER A PERIOD OF RECESSION IN 2012, OWING TO THE LOSS OF THREE QUARTERS OF ITS SUBSTANTIAL REVENUES FOLLOWING THE SECESSION OF SOUTH SUDAN, SUDAN IS NOW ON ITS WAY TOWARD ECONOMIC STABILITY. THIS IS THE RESULT OF THE DIVERSIFICATION OF THE SUDANESE ECONOMY, WHICH IS NOW FOCUSING ON OTHER SECTORS SUCH AS ORE, AGRICULTURE AND EVEN LIVESTOCK. FURTHERMORE, FINANCIAL STABILITY ALONG WITH THE EASING OF ECONOMIC SANCTIONS BY THE UNITED STATES MEANS THAT THE COUNTRY CAN NOW LOOK FORWARD TO A BRIGHTER FUTURE.
Sudan had a hard time dealing with the secession of July 2011 that brought about the creation of South Sudan because the major part of the production, coming mainly from the South, largely benefited the new State. Nevertheless, thanks to the development of the agricultural and mining industries, Sudan’s GDP rose from 1.4 % in 2012 to 3.6 % in 2013. Following the implementation of the financial stabilization program, the growth rate slowed down in 2014 but is expected to rise again to 3.8% in 2015. Although the country’s inflation rate remains high: 36.2 % in 2013 and 26.8 % in 2014, this downward trend is expected to continue with an inflation rate of 23.2 % in 2015, thanks to the combined effect of the Transitional Financial Arrangement (TFA) with South Sudan and the creation of added value in the industrial, agricultural and mining sectors, which is supported by the United Nations Industrial Development Organization (UNIDO).
Le ministre soudanais de l’Investissement, Mustafa Osman Ismail, a déclaré début mars la création de huit zones libres pour l’investissement au Soudan dans différents domaines dont ceux liés aux activités industrielles, minières, financières, agricoles et touristiques. Des avantages préférentiels sont prévus afin d’attirer les investisseurs étrangers. Par ailleurs, l’annonce a été faite par le Bureau de contrôle des actifs étrangers du Trésor américain (OFAC) que les sanctions dont souffre le Soudan vont être allégées. Cela permettra au pays d’importer du matériel et des logiciels de communication à usage privé, tels que les smartphones et les ordinateurs portables. Donald Booth, le représentant spécial américain au Soudan, a précisé que cette décision « vise à contribuer au bien-être de la population soudanaise et à intégrer le Soudan dans la communauté numérique mondiale ». De nombreux projets de partenariats ont été lancés récemment, dont celui de la construction du nouvel aéroport de Khartoum, conclu en décembre dernier avec la Chine qui assurera la direction des travaux de ce nouveau terminal de 86 000 m2 pouvant permettre le transit de 7,5 millions de passagers par an. Ce dispositif est financé par la Banque chinoise d’import-export sous la forme d’un prêt sur 20 ans et les travaux devraient durer environ 3 ans et demi qui, pour 40 % d’entre eux, devraient être réalisés par des entreprises soudanaises. Le Soudan espère voir dans ce projet le développement des exportations de biens soudanais vers les pays du Golfe et vers l’Afrique. Jetant les bases d’un nouveau partenariat international, le Soudan s’inscrit aujourd’hui dans un élan de croissance et de développement. S’il ajoute à cela un véritable effort en matière de politique de l’emploi et dans la mise en place des infrastructures comme l’accès à l’eau ou l’électricité et le développement du réseau routier, le pays pourrait bien amorcer un nouveau virage, le modelant comme l’un des pays modernes de l’Afrique de demain.
At the beginning of March, the Sudanese Investment Minister, Mustafa Osman Ismail, announced the creation of eight free trade zones for investment in Sudan in various domains including the industrial, mining, financial, agricultural and tourism sectors, accompanied by preferential benefits in order to attract foreign investors. Furthermore, the Office of Foreign Assets Control of the U.S. Treasury Department (OFAC) has announced the easing of sanctions against Sudan. Consequently, the country will be able to import equipment and communication software for personal use, such as smartphones and laptops. Donald Booth, the U.S. Special Envoy to Sudan, said that this decision supports our « aim to contribute to the welfare of Sudanese citizens and to integrate Sudan in the global digital community ». One of the many partnership projects recently launched includes the construction of Khartoum’s new airport. The contract was signed last December with China, which will supervise the work of this new terminal covering 86,000 m2 and that will have the capacity of handling 7.5 million passengers annually. The project is being financed by the Export and Import Bank of China in the form of a 20-year loan. It will take about 42 months for the building to be finished and 40% of the construction work will be contracted out to Sudanese companies. Sudan is hopeful that this project will lead to increased exports of Sudanese goods to the Gulf countries and Africa. By laying the foundation for a new international partnership, Sudan now has the impetus for growth and development. In addition, thanks to a real effort in the domain of employment policy, the establishment of certain infrastructures enabling access to water and electricity, as well as the development of the road network, the country could well be at a turning point in its history and on its way to becoming one of Africa’s modern countries of tomorrow. Translation from French: Rachel Wong
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SUDAN OPERATES TODAY IN A BURST OF GROWTH AND DEVELOPMENT 99
par Gaëlle NGAKO
NOMBREUSES SONT LES CÉLÉBRITÉS QUI ONT ADOPTÉ LA NAPPY ATTITUDE. SOLANGE KNOWLES, ERYKAH BADU, NOÉMIE LENOIR, « NOTRE FRENCHY », COMPTENT AU RANG DES FIDÈLES ADEPTES DE CE MOUVEMENT FLORISSANT. À LA VILLE COMME À LA SCÈNE, CES FEMMES ONT FAIT LE CHOIX D’ARBORER AVEC FIERTÉ ET SANS COMPLEXE LEURS CHEVEUX NATURELS. RETOUR SUR CE PHÉNOMÈNE.
LA REVANCHE DES BOUCLES Le terme Nappy découle de la contraction des mots anglais « natural » et « happy ». Il désigne toutes ces personnes qui ne désirent plus encombrer leur chevelure avec des extensions ou encore dénaturer leur texture avec des produits chimiques en tout genre tel que le défrisage. Bien plus qu’une tendance mode, ce phénomène né outre-Atlantique, désormais présent à l’échelle mondiale, correspond à un réel état d’esprit. Pour certaines, le port de cheveux naturels symbolise en quelque sorte l’estime de soi. On dit souvent que les cheveux d’une femme font toute sa beauté, donc il paraît essentiel d’assumer et surtout de les aimer, qu’ils soient lisses, bouclés, crépus, longs ou courts. Et oui mesdames, vous êtes belles comme vous êtes ! Alors pourquoi céder aux dictats imposés par la société ?
N°1
Les cheveux naturels requièrent un minimum de soin et le moins que l’on puisse dire est qu’aujourd’hui les produits consacrés au Nappy ne manquent pas. Voici notre TOP 3 des gammes de produits capillaires conçues pour cheveux bouclés à crépus.
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SHEA MOISTURE Cette marque américaine propose plusieurs gammes de produits comprenant shampoing, masque, crème à base d’huile de coco, de savon noir, d’huile d’argan ou encore de beurre de karité. Un concentré d’essences naturelles qui bonifie le cheveu et aide à la pousse. Ces produits sont disponibles dans tous les salons MixBeauty. Prix : entre 12 € et 16 €
N°3
N°2
GARNIER ULTRA DOUX à l’aloé vera et au karité pur Garnier n’est pas en reste face à la tendance Nappy. La grande marque propose notamment la gamme Ultra Doux alliant l’aloé vera, plante réputée pour ses vertus hydratantes et adoucissantes, à l’huile de karité pur, reconnue pour ses propriétés hautement nutritives et réparatrices. Prix : entre 9 € et 12 €
MIZANI SUPREME OIL Le chouchou des professionnels de la coiffure, la marque du groupe l’Oréal a marié dans une nouvelle gamme 8 huiles sur-concentrées aux vertus prodigieuses pour une matière capillaire nourrie, réparée, éclatante de beauté. Vous trouverez les produits de cette gamme sur le site officiel Mizani. Prix : entre 16 € et 23 €
par Gaëlle NGAKO
La tendance masculine est en perpétuelle évolution. Déjà au 17e siècle, les « FOP », ces littéraires anglais férus de mode, lançaient les hostilités en se posant en véritables précurseurs. Les derniers en date dont le nom résonne à tout va, sont les HIPSTERS et les YUM (Young Urban Males) ou YUMMIES. Mais qui se cache derrière cette nouvelle génération d’hommes ?
YUM !
Voici l’ultime terme employé pour désigner cette nouvelle jeunesse dorée ne reculant devant aucun caprice, lorsque qu’il s’agit d’être à la pointe de la mode. Tout bon yummy qui se respecte se doit d’être habillé par les marques de luxe de la tête aux pieds, d’avoir une coiffure irréprochable et une barbe de trois jours bien taillée, d’être toujours « busy » tel un trader l’oreille vissée au dernier smartphone en vogue. Cet acronyme de Young Urban Males renvoie également à l’exclamation anglaise YUM (MIAM en français), vous savez celle que l’on a coutume de prononcer lorsque l’on s’apprête à déguster un met irrésistible. Ne serait-ce d’ailleurs pas l’effet que les yummies produisent auprès de la gente féminine ? Autant dire qu’ils portent bien leur nom !
COMMENT ADOPTER
LE LOOK YUMMY ? Rien de plus simple ! La première règle est d’avoir un bon compte en banque, le reste n’est que formalité. Le yummy de base n’apparaît en public qu’en costume Armani ou Hugo Boss avec un stylo Montblanc délicatement glissé au creux de la poche externe. En cas d’intempéries, il se parera de son trench-coat Burberry. Homme constamment pressé, il a pour habitude de régulièrement jeter un œil sur sa Rolex. Il ne se sépare jamais de son porte-documents Longchamp et arbore une mise en beauté (coiffure et barbe) dans l’ère du temps pour garder cette touche de modernité. À l’antipode du yummy se trouve le hipster. Cet homme à la pilosité extrêmement développée et à l’allure de bûcheron délicieusement négligée. Il faut savoir que l'étymologie de ce mot est tout autre. À l’origine, il désignait ainsi les amateurs blancs de jazz et de bepop, deux styles musicaux qui ont connu leur âge d’or. Le New York Times avait alors proposé une définition de ce style vestimentaire.
COMMENT ADOPTER
LE LOOK HIPSTER ? Un hipster digne de ce nom arpente toutes sortes de friperies, marchés aux puces et autres vide-greniers à la recherche de l’accessoire mode ultime ou du vêtement qui donnera le ton final à son look. Lunettes de vue XXL du grand-père, chemise à carreaux, montre à gousset, tatouages ou piercing sont ses meilleurs amis. 101
HERVÉ TÉLÉMAQUE par Gaëlle NGAKO
PROTAGONISTE EMBLÉMATIQUE DU MOUVEMENT DE LA FIGURATION NARRATIVE, L’ARTISTE FRANÇAIS D’ORIGINE HAÏTIENNE HERVÉ TÉLÉMAQUE RETRACE SON PARCOURS À TRAVERS UNE RÉTROSPECTIVE DE SES ŒUVRES. UNE TRAVERSÉE, RÉPARTIE EN HUIT SALLES, À LAQUELLE SE MÊLENT PEINTURES SUR TE, COLLAGES, OBJETS ET ASSEMBLAGES. SÉQUENCE PORTRAIT.
HERVÉ TÉLÉMAQUE 25 FÉVRIER - 18 MAI 2015 Centre Pompidou GALERIE DU MUSÉE ET GALERIE D’ART GRAPHIQUE NIVEAU 4
Un patchwork artistique D’Haïti son pays natal à Paris en passant par New York : ainsi se déclinent les sources d’inspiration d’Hervé Télémaque. Des lieux chargés d’histoire qui, tout au long de sa carrière artistique, ont nourri son imagination et lui ont permis de créer un éventail d’œuvres. On retrouve alors dans ces peintures, des références à de grandes figures de l’art, telles que Vincent Van Gogh, Marcel Duchamp ou encore Arshile Gorky, peintre américain à qui Télémaque rend hommage à la fin de sa rétrospective. Outre la peinture qui a marqué son entrée dans le monde de l’art, Hervé Télémaque explore d’autres formes d’expression. Il s’accapare ainsi des objets du quotidien puis les assemble en créant une atmosphère dont émane un récit. Chacune de ses œuvres renvoie à une idéologie. Il porte particulièrement dans ses créations, un regard ironique sur la « négritude », la culture haïtienne et la politique française, thèmes qu’il traite notamment dans « Petit célibataire un peu nègre et assez joyeux », huile sur te datant de 1965 ou dans le tableau « Fonds d’actualité » de 2002, dans lequel y est référencé l’ancien président français, Jacques Chirac. À découvrir absolument ! 102
LE MAGAZINE DE L’AFRIQUE
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FLÂNERIE AUCŒUR DE LA
NAMIBIE
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Bien que peu souvent mis en lumière, ce pays d’Afrique australe qui borde l’océan Atlantique, possède pourtant ses atouts charme. Des lieux idylliques, uniques, d'une authenticité incroyable qui vous exalteront dans une atmosphère atypique.
UNE "TERRE PROMISE" AU PATRIMOINE NATUREL SPECTACULAIRE Laissez-vous émerveiller, dans un premier temps, par les dunes rouges ardentes du plus vieux désert au monde. S'étendant à perte de vue sur l’intégralité du flanc ouest du pays, le désert du Namib, qui occupe une superficie avoisinant les 81 000 km2, offre un panorama exceptionnel que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. Situé dans une région des plus arides où le thermomètre atteint facilement les 50°C et où la présence humaine se fait rare, le désert du Namib regorge de petites merveilles rarissimes. On y découvre une végétation mêlée au sable fin. Pour profiter pleinement de ce périple, rien de mieux que de séjourner dans l'une des onze villas du luxueux hôtel Lodge Little Kulala Camp. Délaissez les dunes pour une immersion au cœur du parc national d’Etosha. Avec un peu de chance, vous y admirerez la crinière d’un lion, les longues et fines cornes d’un oryx gemsbok, le cou longiligne d’une girafe ou même les légendaires rayures du zèbre. La savane namibienne abrite une riche faune sauvage se faufilant dans les herbes hautes ou se prélassant entre deux baobabs. Enchantement garanti.
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L'Afrique
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ez Trabelsi
s'invite au
TOUR DE FRANCE ! par Moez TRABELSI
TION DU TOUR DE FRANCE, LAQUELLE SE DÉROULERA DU SAMEDI 4 JUILLET AU DIMANCHE 26 JUILLET 2015. POUR LA TOUTE PREMIÈRE FOIS DE L’HISTOIRE, L’AFRIQUE Y SERA REPRÉSENTÉE.
Née en 1997, MTN-Qhubeka obtient le statut « d’équipe continentale professionnelle » en 2013, une première pour un peloton africain. Cette année, l’écurie participera au Tour de France : inédit pour une formation du continent ! « Cela va accélérer la progression du cyclisme africain », espère Christian Prudhomme, le directeur de l’épreuve. Après sa participation au dernier Tour d’Espagne, l’équipe s’est considérablement renforcée à l’intersaison avec notamment les arrivées d’Edvald Boasson Hagen, l’un des hommes forts de l’équipe Sky mais aussi de Natnael Berhane, Tyler Farrar ou encore Theo Bos. « L’équipe a encadré ses jeunes éléments par des coureurs d’expérience, pour continuer à grandir. MTN-Qhubeka a un beau projet de développer le vélo jusque dans les townships », explique Christian Prudhomme.
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Au-delà de ces recrues sportives, l’équipe a énormément misé sur l’expérience dont peuvent se prévaloir son staff et sa direction, pour lui permettre d’évoluer au niveau international. L’une des arrivées phares est celle de Brian Smith en tant que manager général. Doug Ryder, manager sportif de l’équipe, déclare que « Brian Smith a été très performant en prenant des équipes débutantes pour en faire des écuries qui peuvent rivaliser avec les meilleures du monde. Il travaille avec les coureurs de manière à ce qu’ils soient unis et motivés pour qu’ils aient de bonnes performances et qu’ils croient en eux pour réaliser des performances qui semblent être hors de leur portée. L’intérêt qu’il porte aux coureurs, aux équipes et aux évènements (notamment grâce à son travail de commentateur) lui confère une excellente connaissance du cyclisme. Ces compétences sont exactement ce dont notre équipe africaine a besoin pour continuer d’avoir un impact sur le cyclisme mondial ». La participation de cette équipe au Tour de France ouvre non seulement un nouveau chapitre pour elle, mais également pour le cyclisme africain en général. Leur premier parrain, MTN, est une société de télécommunication. Qhubeka dont le nom signifie « progresser » en zoulou est une organisation à but non lucratif. Elle vient en aide aux enfants des communautés rurales en leur fournissant des vélos et des moyens de transports scolaires écologiques. La médiatisation qu’engendre le plus grand événement international du cyclisme constitue une opportunité incroyable car il permettra de sensibiliser les gens à ce projet. MTN-Qhubeka se dirige vers la compétition avec de grandes ambitions, Doug Ryder nous confie : « Nous enverrons la meilleure équipe possible, celle qui sera la mieux préparée pour affronter le parcours du Tour. La course est très compliquée cette année et se scinde en deux parties : l’une allant d’Utrecht à Vannes (du nord-est au nord-ouest) et l’autre allant de Pau à l’Alpe d’Huez (du sud-ouest au sud-est) avant la dernière étape entre Sèvres et les Champs-Elysées. Donc la première partie correspondra à nos recrues européennes et la seconde partie, aux coureurs africains. Nous voulons aller au Tour et essayer de remporter une étape, pour décrocher un maillot de leader, tel que celui du classement par points et celui du meilleur jeune car nous pensons avoir les coureurs pour cela ».
© StiehlPhotography
MTN-QHUBEKA, ÉQUIPE CYCLISTE SUDAFRICAINE, PARTICIPERA À LA 102e ÉDI-
NATNAEL
BERHANE
LE NOUVEAU VISAGE DU CYCLISME AFRICAIN par Moez TRABELSI
NATNAEL BERHANE POURRAIT DEVENIR LE PREMIER COUREUR NOIR AFRICAIN À PARTICIPER AU PRESTIGIEUX TOUR DE FRANCE ! CET ÉRYTHRÉEN DE 24 ANS PASSERA UN NOUVEAU CAP DANS SA CARRIÈRE POUR SE CONFRONTER À LA CRÈME DU CYCLISME MONDIAL. RETOUR SUR UN INCROYABLE PARCOURS, DIGNE DES PLUS GRANDS. 54 ÉTATS : Que ressentez-vous à l’idée de prendre part au Tour pour la première fois ? Natnael Berhane (N. B.) : Pour le moment, je ne sais pas si je participerai à la course car c’est l’équipe qui prend la décision. Mais j’adorerais être sélectionné. Le Tour de France reste la plus grande course à laquelle tout coureur rêve de participer. Faire partie de la sélection constitue pour moi une grande source de motivation. 54 ÉTATS : Quels sont vos objectifs personnels ? N. B. : C’est difficile à dire car mes ambitions personnelles dépendent de l’équipe qui sera sélectionnée pour le Tour. 54 ÉTATS : Quels sont les objectifs de l’équipe sachant que vous vous appuyez sur une équipe robuste réunissant à la fois de jeunes talents et des coureurs expérimentés ? N. B. : Le but de l’équipe est d’obtenir une victoire en étape et peut être un maillot spécial. Avec cette équipe, nous avons les moyens de réaliser ces objectifs. 54 ÉTATS : Pensez-vous que le cyclisme africain est sous-coté ? N. B. : Je pense que de plus en plus de personnes mesurent le potentiel et l’importance du cyclisme africain. Quelques années auparavant, les gens ne pensaient pas que les coureurs africains constitueraient une force à prendre en compte. Cela a beaucoup changé. Durant le Tour de Langkawi (Malaisie), nous étions l’équipe vers laquelle tous les regards se tournaient et je pense également qu’en Europe de plus en plus d’équipes nous connaissent. 54 ÉTATS : Quelle importance à cette participation au Tour pour les autres équipes africaines? N. B. : Je pense que c’est très important. Je me souviens quand Robbie Hunter a gagné une étape au Tour de France en 2007. J’étais alors adolescent mais je me suis dit « Il vient d’Afrique et il a gagné au Tour, c’est incroyable ». Depuis lors, le cyclisme a beaucoup progressé en Afrique. Ce sport est très populaire en Afrique en Éythrée et dans beaucoup d’autres pays. Maintenant, aller au Tour avec une équipe africaine donnera au cyclisme du continent un nouvel élan et motivera certainement beaucoup de personnes à s’investir dans cette discipline. Avec l’équipe MTN-Qhubeka p/b Samsung, nous voulons aider à mobiliser les gens autour de cette pratique sportive. Je pense que notre invitation au Tour de France sera, à cet égard, précieuse. Les vélos changent la vie et cet événement majeur nous motive d’autant plus à diffuser ce message.
PALMARÈS
2011
(centre mondial)
Champion d’Afrique sur route Champion d’Afrique sur route espoir Champion d’Afrique du contre-la-montre par équipes
2012 Champion d’Afrique sur route Champion d’Afrique sur route espoir Champion d’Afrique du contre-la-montre par équipes Élu cycliste africain de l’année
2013 (Team Europcar)
Champion d’Afrique du contre-la-montre par équipes Vainqueur du Tour de Turquie Sportif africain de l’année
2014 Champion d’Érythrée du contre-la-montre Premier africain vainqueur du Tour du Gabon Premier africain lauréat de la Tropicale Amissa Bongo
2015 (MTN-Qhubeka) Champion d’Afrique du contre-la-montre par équipes 107
UN CONTINENT, 54 ÉTATS Plus d’1 milliard d’habitants très inégalement répartis sur 30 415 873 km2, soit 20 % des terres émergées ou 55 fois la France.
SOUTH SUDAN
REPÈRES PAYS PAR PAYS : POP : population (en millions d’habitants, 2012) IDH : classement des pays en fonction de l’indice de développement humain établi par le Programme des Nations unies pour le développement (2013) du 1e au 47e : très élevé – du 48e au 94e : élevé – du 95e au 141e : moyen – du 142e au 187e : faible PIB/HAB. : produit intérieur brut par habitant en nominal établi par le FMI (en dollars, 2013) SUP: superficie
108
AFRIQUE AUSTRALE
AFRIQUE DU SUD
ANGOLA
53,1 POP : 118 IDH : 6621 PIB/HAB : 1 221 037 SUP :
BOTSWANA
20,8 149 5964 1 246 700
LESOTHO
2 109 7120 581 730
MALAWI
2,2 162 1 290 30 355
MOZAMBIQUE
NAMIBIE
26,4 178 593 799 380
16,8 174 223 118 484
SWAZILAND
1,2 148 3473 17 364
2,3 127 5636 824 270
ZAMBIE
ZIMBABWE
15 141 1845 752 612
14,5 156 1007 390 757
AFRIQUE CENTRALE
BURUNDI
POP : IDH : PIB/HAB : SUP :
CAMEROUN
10,4 180 303 27 834
CENTRAFRIQUE
22 152 1 331 475 442
CONGO
4,7 185 334 623 000
GABON
1,7 112 12 326 267 667
4,5 140 3 223 342 000
GUINÉE ÉQUATORIALE
RDC
SOMALIE
SOUDAN
1,1 144 20 605 28 051
RWANDA
12,1 151 704 26 338
70 186 388 2 345 409
SAO-TOMÉ ET-PRINCIPE
0,2 142 1625 1 001
TCHAD
13,2 184 1218 1 284 000
AFRIQUE DE L'EST
DJIBOUTI
POP : IDH : PIB/HAB : SUP :
ÉRYTHRÉE
0,9 170 1 593 23 200
ÉTHIOPIE
6,5 182 544 117 600
KENYA
98 173 518 1 104 300
OUGANDA
45,5 147 1 316 580 367
38,8 164 623 236 860
10,8 600 637 657
38,7 166 1 941 1 790 000
SOUDAN DU SUD
11,7 1 289 644 329
TANZANIE
50,7 159 719 947 300
AFRIQUE DE L'OUEST
BÉNIN
POP : IDH : PIB/HAB : SUP :
BURKINA FASO
10,3 165 805 112 622
NIGER
NIGERIA
POP : 16,6 IDH : 187 PIB/HAB : 447 SUP : 1 264 000
CAP-VERT
18 181 711 275 500
CÔTE D'IVOIRE
SÉNÉGAL
187 152 3 082 923 773
GAMBIE
20,8 171 1 332 322 463
0,5 123 3 633 4 033
SIERRA LEONE
14,5 163 1 048 196 007
GHANA
1,9 172 453 11 295
26,4 138 1 871 238 537
GUINÉE BISSAU
1,7 177 567 36 125
GUINÉE
12 179 560 245 857
LIBERIA
4,3 175 479 111 370
MALI
15,7 176 646 1 241 231
TOGO
6,3 183 805 71 740
6,9 166 637 56 785
MAGHREB ET MOYEN-ORIENT
ALGÉRIE
ÉGYPTE
POP : 39 IDH : 93 PIB/HAB : 5 606 SUP : 2 381 741
LIBYE
84,2 110 3 243 1 002 000
MAROC
6,2 55 10 702 1 759 500
MAURITANIE
33,4 129 3 160 446 550
3,9 161 1 126 1 030 700
TUNISIE
11,1 90 4 317 162 155
OCÉAN INDIEN
COMORES
POP : IDH : PIB/HAB : SUP :
0,8 159 928 1 862
ÎLE MAURICE
1,3 63 8 120 1 865
MADAGASCAR
23,5 155 463 592 000
SEYCHELLES
0,09 71 14 918 455 109
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