54 ÉTATS, LE MAGAZINE DE L'AFRIQUE N°26 TOUS UNIS CONTRE DAECH

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N°26 mars / avril 2016 ÉDITION INTERNATIONALE

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ÉDITION INTERNATIONALE : FRANCE 3,80 € - DOM 4,80 € - RÉUNION 4,80 € - GUYANE 4,80 € - BEL 4,00 € - MAROC 22 MAD - TUN 4,4 TND - ZONE CFA 3100 - NIGER 3100 XAF - CAMEROUN 2700 XAF - SÉNÉGAL 2700 XAF - GAB 2700 XAF - CÔTE D’IVOIRE 2700 XAF - MALI 3100 CFA- ISSN 2258 - 0131


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COVER / SPECIAL REPORT

Glossaire........................................................................................................... 8 Chiffres clés ...................................................................................................... 9 Interview de Roland Marchal, chercheur au CNRS......................................... 10 Daech vs Al-Qaïda : la guerre est déclarée..................................................... 18 Boko Haram : Jonathan parti... vive Buhari ?.................................................. 22 Égypte : le Nord-Sinaï, une vie prise en otage................................................ 26 Shebabs : déterminés, actifs et efficaces........................................................ 32 Après la terreur................................................................................................ 36 Libye : une course contre la montre................................................................ 40 Babacar N'Diaye : «Tenir un langage de vérité»............................................. 44 Mokhtar Belmokhtar : un borgne qui voit loin.................................................. 48 Un jour à Tombouctou..................................................................................... 50

AFRICA INSIDE

Soudan : interview de Tijani Al-Sissi, président de l'autorité régionale du Darfour.................................................... 54 Coups d'État constitutionnels.......................................................................... 60 Lassa : alerte à la fièvre.................................................................................. 64 Algérie : et si c'était Hamrouche ?................................................................... 66 Ghana : Anas Aremeyaw Anas........................................................................ 70

AFRICA OUTSIDE

Tensions irano-saoudiennes............................................................................ 72 U.E. : la symphonie inachevable..................................................................... 76 Chine - Corée du Nord : je t'aime, moi non plus.............................................. 80

ÉCONOMIE

Tunisie : rencontre avec Salma Elloumi Rekik, ministre du Tourisme.......................84

CULTURE

Tourisme : Afrique confidentielle..................................................................................88 Petite Noir, pépite noire.................................................................................................92 Comic Republic.............................................................................................................94

Carte................................................................................................................ 96 Données sur l’Afrique...................................................................................... 97 Abonnement.................................................................................................... 98

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LE MAGAZINE DE L’AFRIQUE / THE AFRICA MAGAZINE

SOMMAIRE

Édito.................................................................................................................. 6 Introduction........................................................................................................ 7

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LA RÉDACTION EDITORIAL STAFF Email : contact@54etats.fr Site : 54etats.fr N° commission paritaire : 0714191439 N° ISSN : 2258-0131 Tirage : 20 000 exemplaires Société éditrice : Wolmer Communication SARL 5, rue du Capitaine Tarron 75020 Paris Tél. : 01 40 31 30 82 Siren : 751 081 159 R.C.S Bobigny Code APE : 58147 Directrice de la publication : Priscilla Wolmer priscilla.wolmer@54etats.fr Assistante de direction : Yaëlle Sebagh Directrice artistique : Magéna Aubert magena.aubert@54etats.fr

PRISCILLA WOLMER

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JENNA LE BRAS

Correspondante en Égypte Correspondent for Egypt @JennaLebras

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Journaliste Journalist john.harrison@54etats.fr @johnharrison197

SUSAN ALLEN MAURIN Traductrice Translator


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8h00 hasta las 16h00 Paseo Marítimo – Bata Guinea Ecuatorial

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Priscilla WOLMER

DIRECTRICE DE LA PUBLICATION, PUBLISHER

À travers les analyses de nos journalistes et de grands spécialistes de l’Afrique comme du terrorisme, à travers aussi des reportages exclusifs réunis par 54 États, à travers enfin un dossier essentiel pour comprendre la nature de cette nouvelle menace, son histoire et son étendue, ce numéro offre une vision riche et éclairée du terrorisme sur le continent. L’occasion bien évidemment d’évoquer Daech, concurrent direct d’Al-Qaïda, qui tente d’hameçonner les Boko Haram, Al-Chabab et autre Al-Mourabitoune. Là, sur l’échiquier mondial, le nouveau terrorisme promet désordre et chaos jusqu’à l’heure imminente où il sera déchu par tous ceux qui lui livrent une guerre sans relâche. Ensemble, nous remonterons aux origines de ces mouvements et expliquerons les différenciations et spécificité de ces groupes terroristes. Quelles sont leurs ambitions territoriales ? Comment se financent-ils ? Comment recrutent-ils ? Cela, sans oublier de traiter la souffrance des victimes et la crise humanitaire et sociale traversée par ceux pris au piège de terroristes convertis à un « faux islam » livré clé en main, dont la réalité sur le terrain est très loin de celle découverte via « l’imam internet ». Tous unis contre Daech est donc le thème de notre dossier rubrique Cover. Par ailleurs, dans Africa Inside, nous vous emmènerons une fois de plus au Soudan, pays sous embargo économique américain, abandonné de fait par les médias, mais que les journalistes de 54 États arpentent régulièrement en véritables spécialistes, cela afin de coller au plus près de la réalité de ce pays, et du processus de paix avéré dans la région du Darfour. Enfin, nous continuons notre tour d’horizon des grands dossiers géopolitiques du monde tel que les vives tensions irano-saoudiennes. Bonne lecture et merci de votre fidélité si chère à nos équipes. Priscilla WOLMER Directrice de la publication

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Through the analyses of our journalists and key specialists on Africa and terrorism, through exclusive reports assembled by 54 ÉTATS, through a file essential for understanding the nature of this new threat, our history and its scope, this issue offers a rich and enlightened perspective on terrorism on the continent. An opportunity, clearly, to cover Daesh, the direct competitor of Al-Qaeda and trying to ensnare the Boko Harams, Al-Shabaabs and other Mourabitounes. There, on the world stage, the new terrorism promises disruption and chaos until the point of being destroyed by those waging unrelenting war against it. Together, we will look at the origins of these movements and explain the differences and specifics of these terrorist groups. What are their territorial ambitions? How do they finance themselves? How do they recruit? And not forgetting the suffering of the victims and the humanitarian and social crisis of those caught in the trap by terrorists converted to a “false Islam” formulaically delivered but whose reality on the ground is very far from that of the “internet Imam”. All united against Daesh, is thus the theme of our Cover. Elsewhere, in Africa Inside, we take you once again to Sudan, a country under U.S. economic embargo, abandoned by the media, but whose land our 54 ÉTATS journalists regularly tread as veritable specialists, to report what’s really happening in the country, and the peace process in the Darfur region. Last but not least, we offer an overview of the world’s key geopolitical issues such as the hot Iran-Saudi tensions. Good reading and thank you for your loyalty, so valued by our teams. Priscilla WOLMER Publisher Translation by Linkin'men Ltd


Sandra WOLMER JOURNALISTE JOURNALIST

TERRORISME :

TERRORISM :

DÉRACINER LA TERREUR SEMER LES GRAINES DU FUTUR

ERADICATE TERROR SOW THE SEEDS OF FUTURE

Ils s’appellent Ansar Dine, AQMI, Boko Haram, Daech, AlChabab… et ont en commun de prôner une opposition entre les « mauvais » musulmans qui se seraient détournés des écrits du Prophète et les « bons » censés contribuer à la propagation de la « vraie » religion musulmane, au besoin par l’utilisation de la violence armée. Ils ont fini par s’ancrer sur le continent africain, portés par l’émergence dans les années 70/80 d’un djihadisme internationalisé à la faveur notamment de la reprise d’un courant de pensée axé sur une rénovation de l’Islam qui s’est diffusé, tout d’abord en Afrique du Nord puis ensuite en Afrique subsaharienne.

They’re called Ansar Dine, AQIM, Boko Haram, Daesh, AlShabaab... and what they have in common is their advocacy of an opposition between "bad" Muslims derailed from the writings of the Prophet, and “good” Muslims seen as contributing to the propagation of the "true" Muslim religion, by the use of armed violence if necessary. They ended up establishing roots on the African continent, driven by the emergence in the 1970s and ’80s of an internationalized jihadism promoting a renewal of Islam that first spread through North Africa and then through subSahara.

Ils s’appellent Ansar Dine, AQMI, Boko Haram, Daech, AlChabab… mènent leur entreprise de déstabilisation en déclinant notamment leur répertoire indicible de violence en Afrique, ou devrait-on plutôt dire au cœur des Afriques. Ces groupes terroristes implantés sur des zones déterminées appellent nécessairement des questionnements et des réponses propres à ces espaces spécifiques. Lesquels subissent en prime l’influence de dynamiques locales, régionales et mondiales ! Comment y répondre efficacement ? À hétérogénéité des situations, exhaustivité de l’action. Les experts ne cessent de le clamer ! La solution adéquate ne doit évidemment pas se cantonner à la sacro-sainte donne militaro-sécuritaire. Aux « va-t-en-guerre » de se placer dans une dimension idéologique en analysant les réalités démographiques, économiques, historiques et politiques. Chômage, défaillance du système éducatif, corruption, faiblesse étatique : les terreaux du terrorisme sont là ! Aux « va-t-en-guerre » de ne plus se contenter de lâcher ici et là des bombes, lesquelles déciment certes des djihadistes mais aussi des civils. Trop de civils. Sans pour autant éradiquer la menace… Sandra WOLMER, Journaliste

They’re called Ansar Dine, AQIM, Boko Haram, Daesh, AlShabaab... and run their destabilization business by unleashing their unspeakable repertoire of violence on Africa, or should I say on Africas.These terrorist groups rooted in their particular areas necessarily beg questions and responses specific to their catchment, which, besides, are under the influence of local, regional and global dynamics! How do we respond to them effectively? Experts continue to call for comprehensive action plans to suit every situation. The right solution is clearly not to confine ourselves to the sacrosanct military-security option. Instead of war-mongering, taking an ideological stance on demographic, economic, historical and political realities. Unemployment, a failed educational system, corruption, the weakness of State apparatuses: that’s where the breeding ground of terrorism lies! Instead of war-mongering, stop dropping bombs here and there, which certainly kills jihadists but also civilians. Too many civilians. Without eradicating the menace... Sandra WOLMER, Journalist Translation by Linkin'men Ltd

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Mouvement politico-religieux revendiquant un retour à l’islam des origines, fondé exclusivement sur le Coran et la Sunna selon la compréhension du Prophète et de ses compagnons. Plusieurs branches se confrontent, de la voie pacifique et pédagogue du « salafisme prédicatif » au mouvement djihadiste qui prône la violence.

Terme controversé aux multiples définitions, ce concept est aujourd’hui largement rattaché à une doctrine contemporaine au sein de l’islamisme qui prône l’utilisation de la violence pour la réalisation des objectifs religieux.

Ensemble des normes et règles doctrinales, sociales, culturelles et relationnelles édictées par la « Révélation ». Il est d’usage de désigner en Occident la charia par loi islamique. Une traduction très approximative puisque n’englobant que partiellement le véritable sens du mot. Le niveau, l’intensité et l’étendue du pouvoir normatif de la charia varient considérablement sur les plans historiques et géographiques.

Institution érigée après la mort du Prophète en 632 pour assurer l’exercice du pouvoir. Le dernier califat s’achève en 1923 avec la chute de l’empire ottoman. La volonté de restauration est aujourd’hui surtout présente chez les groupes djihadistes. À l’image de Daech.

À l’origine, terme qui désigne l’islam en tant que religion et civilisation. Au cours du XXe siècle, l’islamisme a acquis un sens presque exclusivement politique avant de qualifier l’islam fondamentaliste, traditionaliste et prosélyte, voire violent.

A religious-political movement advocating a return to original Islam principles, based exclusively on the Koran and the Sunnah as understood by the Prophet and his disciples. It is split into various streams, from the peaceful and educational “predicative Salafism” to the jihadist movement advocating violence.

A controversial term with multiple definitions, this concept now mainly reflects a contemporary doctrine within Islamism that advocates using violence to achieve its religious goals.

Set of doctrinal, social, cultural and relational rules based on “Revelation”. Sharia is often referred to in the West as Islamic Law. This is only a very approximate translation as it only partially captures the real meaning of the word. The degree, intensity and scope of Sharia normative authority varies greatly historically and geographically.

An institution formed after the death of the Prophet in 632 AD to exercise power. The last Caliphate ended in 1923 with the fall of the Ottoman Empire. It is mostly jihadists who want to restore the Caliphate today. Such as Daesh.

Originally a term referring to Islam as a religion and a civilization. Over the course of the 20th century, Islamism acquired an almost exclusively political meaning as a fundamentalist, traditional, proselytizing and indeed violent Islam. 8


DAECH C'EST... ENTRE 20 000 ET 30 000 COMBATTANTS Daech attire des milliers de jeunes étrangers originaires de 110 pays différents. Les principaux contingents viennent de Tunisie (6 000), d’Arabie Saoudite (2 500), de Turquie (2 200), de Jordanie (2 000), de Russie (2 400), de France (1 700). UN BUDGET ESTIMÉ ENTRE 1,2 ET 3 MILLIARDS DE DOLLARS Pétrole : 500 millions de dollars Taxes prélevées : 300 millions Agriculture : 200 millions Trafic d’antiquités : 100 millions Kidnappings : 40 millions Plus divers trafics et exactions

UN TERRITOIRE DE 300 000 KM2 En juin 2015, Daech contrôlait un espace au Moyen-Orient d’une superficie comparable à celle de l’Italie, regroupant près de 10 millions d’habitants. Une large partie de ce territoire est désertique.

DAESH: BETWEEN 20,000 AND 30,000 COMBATANTS

A TERRITORY OF 300 000 KM2

Daesh attracts thousands of young foreigners from 110 countries. The main contingents come from Tunisia (5,000), Saudi Arabia (2,275), Jordan (2,000), Russia (1,700), France (1,550).

In June 2015, Daesh controlled an area of land the size of Italy, with nearly 10 million inhabitants. Much of this territory is desert.

THOUSANDS OF VICTIMS

DES MILLIERS DE VICTIMES En 2014, Boko Haram est devenu le groupe terroriste le plus meurtrier, devant Daech. Les victimes attribuées à Boko Haram augmentent de 317 %, avec 6 644 morts, contre 6 073 pour Daech. Le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et l’Afrique sub-saharienne concentrent le plus de morts avec plus de 24 300 victimes sur les 32 685 dans le monde.

Sources : ONU, Soufan Group, Congres Americain, Institute for Economic and Peace

A BUDGET OF 1.2 TO 3 BILLION DOLLARS Oil: 500 million dollars Local taxation: 300 million Agriculture: 200 million Traffic in antiquities: 100 million Kidnapping: 40 million And many other forms of trafficking and abuses

In 2014, Boko Haram overtakes Daesh to become the most deadly terrorist group in the world. Deaths attributed to Boko Haram increased by 317% to 6,644. Daesh was responsible for 6,073 terrorist deaths. Middle-East and North Africa (MENA) and sub-Saharan Africa have the highest deaths in 2014 : more than 24,300 out of 32,685 in the world. Translation from French Linkin'men Ltd

Sources : ONU, Soufan Group, Congres Americain, Institute for Economic and Peace

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LEUR FORCE DE FRAPPE RÉSIDE DANS LEUR POPULARITÉ THEIR HITTING POWER LIES IN THEIR POPULARITY par Sandra Wolmer

L’Afrique les subit. Ajoutez à cela le triptyque « dynamique mondiale, dynamique régionale, dynamique locale », au sein desquelles elles évoluent. Ajoutez-y encore le territoire sur lequel elles agissent qui, somme toute, englobe plusieurs « Afriques » et vous obtenez l’un des nœuds gordiens qu’entend dénouer le continent africain : les mouvances djihadistes. Zoom avec Roland Marchal, chargé de recherche au CNRS (CERI-Sciences Po) et spécialiste de l’Afrique. 10

Africa is feeling it. Add to that the triple factor of "global dynamics, regional dynamics, local dynamics" that colours it. Add too the amount of territory that is now their base of operations, covering “many Africas”, and you see one of the Gordian knots that make up the African continent: the jihadist movement. Zoom on Roland Marchal, Research Officer at (CERI-Sciences Po) and Africa specialist.


LA COMPOSANTE MILITAIRE, LA PLUS SOUVENT ÉVOQUÉE, NE DOIT PAS CONSTITUER L’UNIQUE RÉPONSE

54 ÉTATS : L’Afrique est confrontée depuis des années à la violence du radicalisme djihadiste. Que se cachet-il derrière ce terrorisme aveugle ?

54 ÉTATS : Parleriez-vous d’un terrorisme afro-africain ? R. M. : Il y a une histoire de la violence sur le continent africain, qui n’est d’ailleurs pas une histoire spécialement musulmane. On est dans un moment de globalisation. Ce que je vois depuis 25 ans en Afrique, je le trouve ailleurs, dans certains conflits en Asie, en Amérique Latine ou au Moyen-Orient. Donc, je ne crois pas qu’il faille singulariser la situation sur le continent africain. Est-ce que ce sont des pratiques africaines ? Je ne le crois pas. Ce sont des pratiques globalisées. Hélas !

54 ÉTATS: For years, Africa has had to face the violence of jihadist radicalism. What lies behind this blind terrorism? Roland Marchal (R. M.): First of all, there is no universally accepted definition of terrorism. Secondly, some movements are labelled “terrorist” to deny them any form of political legitimacy. Terrorism is only a way of waging war. We therefore need to ask: Does Boko Haram really have a political aim? I’m not convinced. Do the Shebaabs have one? Possibly. As do some groups in the Sahel. If we look past the rhetoric of global jihadism, it’s difficult to clearly pin down what they want. What do they mean by the fight against Western corruption and domination? What do they want to replace it with? An Islamic or Sharia State?

© JBLiving

Roland Marchal (R. M.) : Premièrement, il n’existe pas une définition universellement acceptée du terrorisme. Deuxièmement, les mouvements dits « terroristes » sont labellisés de cette façon afin de leur dénier tout type de projet politique. Le terrorisme ne demeure qu’une façon de mener la guerre. On doit donc se demander : est-ce que Boko Haram a un véritable projet politique ? Je n’en suis pas convaincu. Est-ce que les shebabs en ont un ? Je peux le penser. Certains groupes dans le Sahel également. Au-delà de la rhétorique du djihadisme global, il demeure compliqué de clairement pointer leurs revendications. Qu’entendent-ils par la lutte contre la corruption, la domination de l’Occident ? Que veulent-ils faire à la place ? Instauration d’un État islamique ou de la charia ?

54 ÉTATS: Are you talking about Afro-African terrorism? R. M.: There’s a history of violence on the African continent, which is by the way not a particularly Muslim history. We’re in a period of globalization. What I’ve seen over the past 25 years in Africa, I’ve also seen in other countries, in some conflicts in Asia, Latin America and the Middle East. So I don’t think we should single out the situation on the African continent. Are they particularly African practices? I don’t think so. They’re pretty much global. Unfortunately!

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54 ÉTATS : Derrière l’idéologie, il n’y aurait rien de « naturel » à ce que ces groupes unissent leurs efforts ? R. M. : De mon point de vue, partagé par la plupart des universitaires, mettre sur le même plan et penser que le contact entre ces groupes implique d’emblée une coopération structurelle, organique, est une erreur majeure. Elle prouve que nous sommes dans un délire idéologique qui conduit à des politiques de lutte complètement aberrantes. Nos hommes politiques et leurs experts militaires ou sécuritaires veulent construire une menace. Ils constituent un système – en parlant d’arc du terrorisme, par exemple – plutôt que de décrire la réalité de révoltes locales.

© Jagz Mario

54 ÉTATS: Beneath the ideology, is there anything "natural" uniting these groups?

©The Global panorama

54 ÉTATS : Comment expliquer la capacité d’attraction toujours réelle d’AlQaïda ou celle grandissante de Daech en Afrique ? R. M. : En Occident, il y a quelques années, Nicolas Sarkozy déclarait la guerre à AQMI. Si vous avez beaucoup d’amertume envers la politique française, vous vous dites qu’AQMI, finalement, c’est le « bon cheval » pour porter votre révolte. De la même manière, Daech est perçu comme une espèce d’organisation globale extrêmement forte et riche. Ce qui me frappe, c’est qu’en Occident on a une vision très idéologique de ces groupes. En les traitant ainsi, ils deviennent une véritable alternative crédible et un moyen de révolte particulièrement puissant par rapport à ce que beaucoup de gens estiment être une domination indue des valeurs occidentales. Il faut être plus concret et expliquer que Daech n’est pas une réponse à la volonté de changer le système. 12

R. M.: From my point of view, which is shared by most academics, it’s a big mistake to put all these groups in the same basket and imply from the outset that there is some sort of structural, organic cooperation. We’re ideologically deluded if we think so, and it leads to totally bizarre policies for fighting them. Our politicians and their military and security experts want to construct a threat. They turn it into a system – by talking about the axis of terrorism, for example – rather than describing the reality of local revolts. 54 ÉTATS: How do you explain the still-real attraction of Al-Qaeda and the growing attraction of Daesh in Africa? R. M.: In the West, a few years ago, Nicolas Sarkozy declared war on AQIM. If you’re very bitter about French policies, you call yourself AQIM, it’s the "right horse" to back, to drive your revolt. In the same way, Daesh is seen as an extremely strong and wealthy global organization. What strikes me, is that the West has an extremely ideological view of these groups. By treating them in this way, they become a real and credible alternative and an extremely powerful method of revolt against what many people regard as undue domination by Western values. We need to look at the facts more, and explain that Daesh isn’t a response to the desire to change the system.


54 ÉTATS : Pour Daech, le continent africain est-il une cible prioritaire désormais ?

© Soosay

R. M. : L’État islamique sait que pour apparaître comme un ennemi global, il a besoin de créer des franchises locales, comme Al-Qaïda l’a fait. Il y a donc une politique pour essayer de recruter les groupes armés qui existent déjà en Afrique et qui se revendiquent du djihadisme. L’EI arrive avec un peu d’argent et toute la publicité que l’Occident lui fait et espère conquérir ces groupes. Le tout en essayant de prouver qu’Al-Qaïda n’a plus grande valeur marchande, ni publicitaire, ni effective en termes de combat. Il faut pourtant bien se rendre compte que c’est un peu plus compliqué. Les alliances qui ont été tissées avec Al-Qaïda sont des liens organiques de soutien, de logistique, qui fonctionnent bien. Pourquoi ces gens-là rompraient ces alliances ? Pour rejoindre ce Daech porté par un effet publicitaire ? Ces groupes ne sont pas dupes. 54 ÉTATS : Nous avons pourtant bien l’impression que Daech supplante désormais tous les autres ? R. M. : Boko Haram a été le premier à faire allégeance à l’EI. Mais Boko Haram, c’est quatre ou cinq factions différentes. Le département des médias de Boko Haram est aujourd’hui sur la même ligne que Daech. Pour le reste, tout n’est pas si clair. En Somalie, Daech a essayé de créer une scission. Les shebabs ont « réduit » ça en éliminant sans doute plus d’une centaine de combattants et quelques chefs militaires, pas les plus impressionnants. L’offensive de Daech va reprendre avec la volonté d’obtenir des allégeances mais il ne faut pas survaloriser ces dernières. L’essentiel n’est pas de se demander « Daech ou Al-Qaïda » car ce sont pratiquement les mêmes.

54 ÉTATS: For Daesh, is the African continent now a priority target? R. M.: Islamic State knows that in order to be regarded as a global enemy, it needs to create local franchises, like Al-Qaeda has done. One of its policies is therefore to try to recruit the armed groups that already exist in Africa and that claim they are jihadist. So IS shows up with a bit of money and all the publicity that the West has given it and hopes to win these groups over. All of which is to try to prove that Al-Qaeda no longer has much market value or publicity value and are useless fighters. But you have to realize that it’s a bit more complicated than that. The alliances forged with Al-Qaeda are organic, natural support and logistical links that work well. Why would they break them? To join Daesh for publicity reasons? These groups aren’t stupid. 54 ÉTATS: But we get the impression that Daesh is now supplanting all the others. R. M.: Boko Haram was the first to pledge allegiance to IS. But Boko Haram is four or five different factions. Boko Haram’s media department is now on the same line as Daesh. For the rest, it’s not as clear. In Somalia, Daesh tried to create a split. The Shebaabs “reduced” that by undoubtedly eliminating over a hundred fighters and military leaders, not the most impressive. The Daesh offensive will restart with the desire to obtain allegiances but we shouldn’t overrate these. What is essential is not to think "Daesh or Al-Qaeda" – they’re practically the same.

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54 ÉTATS : Quelle serait selon vous l’approche la plus pertinente à adopter ou, au contraire, l’écueil à absolument éviter pour lutter efficacement contre le terrorisme ?

54 ÉTATS: What do you think would be the best approach to adopt or, on the contrary, the pitfall to absolutely avoid, to fight terrorism effectively?

©Diario Critico Venezuela

R. M. : La composante militaire, la plus souvent évoquée, ne doit pas constituer l’unique réponse. Les populations à protéger imposent bien sûr à l’État un devoir d’intervention mais il faut aussi qu’il y ait une démarche proprement politique. Ce qui ne se résume pas à de grands discours sur la réconciliation nationale mais nécessite la mise en place d’une politique économique qui tienne compte des couches sociales particulièrement défavorisées. Faute de quoi, ces groupes auront encore un bel avenir devant eux. Boko Haram, pour le citer, est né d’une répression ultraviolente contre ses membres et l’assassinat en public de son chef. Après, il s’agit d’un phénomène classique d’escalade et il convient d’avoir une analyse beaucoup plus historique et sociologique pour essayer de le défaire. Il faut rappeler que les jeunes adolescentes qui se font sauter devant des commissariats, ce sont souvent des enfants dont les parents ont été tués par la police de façon inique.

UNDERSTAND WHY SOME SECTORS OF THE POPULATION FIND THEMSELVES ALIGNED WITH THESE MOVEMENTS

R. M.: The military component, which is the one most often invoked, should not be the only response. The populations to be protected impose on the State a duty to intervene but it must also pursue a genuine political solution. This does not mean big words about national reconciliation but implementing an economic policy that takes into account the social strata that are particularly disadvantaged. If not, these groups will still have a good future ahead of them. Boko Haram, in its own words, was born of the ultra-violent repression of its members and the public assassination of its head. After which, it was a classic phenomenon of escalation, and it needs a much deeper historical and sociological analysis to try to unravel it. It should be remembered that the young teens attacking police stations, are often the children of parents unjustly killed by the police.

©AMISOM Public Information

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©Magharebia

54 ÉTATS : Parmi les divers éléments qui expliquent l’actuelle non-éradication de ces mouvances, lequel attire tout particulièrement votre attention ?

54 ÉTATS: Of the various factors that explain the non-eradication, so far, of these movements, which attracts your attention in particular?

R. M. : Leur force de frappe réside dans leur popularité. Si de larges factions de la population haïssent ces groupes, d’autres segments voient en eux une manière de regagner un rapport de force avec le gouvernement. Il faut donc se donner le temps et les moyens de comprendre pour quelles raisons certaines couches de la population se retrouvent en convergence avec ces mouvements. Je pense notamment au MUJAO, le Mouvement pour l’unité et le djihad en Afrique de l’Ouest, né d’une scission d’une katiba d’AQMI, qui va chasser les Touaregs (non appréciés dans le nord du Mali), nouer des alliances avec des groupes locaux et finalement gouverner une ville. Alors évidemment, les violences et exactions commises par ce groupe ont été dénoncées, ce qui est légitime. Mais, en même temps il y a eu d’autres choses sur lesquelles personne n’a voulu s’arrêter car cela aurait obligé à aborder la question de la corruption d’un régime que nous avons soutenu à bout de bras pendant des années, à parler de l’armée malienne prétendument dépositaire de la souveraineté nationale qui rançonne la population au jour le jour. Ajoutez à cela toute une série de contextes et vous comprenez pourquoi un groupe qui aurait initialement dû se résumer, pour paraphraser une partie de nos militaires, à des « petits bandits de grands chemins », jouit soudainement d’une réelle popularité au point que, jusqu’à aujourd’hui, à Gao, vous avez des secteurs absolument minoritaires, c’est vrai, qui regrettent l’époque du MUJAO. Je ne suis évidemment pas d’accord avec cette appréciation mais je dis qu’il faut déconstruire cela. L’élimination du MUJAO passera par les véritables réponses qui seront apportées à ces critiques pour le bienêtre des populations, c’est-à-dire veiller à ce que l’armée fasse son métier en témoignant du respect à la population, veiller à ce que les forces de l’ordre respectent les lois qu’elles sont censées mettre en application, etc.

R. M.: Their hitting power lies in their popularity. If large factions of the population hated these groups, other segments would see in them a way of regaining some balance of power with the government. We therefore need to give ourselves the time and the means to understand the reasons why some sectors of the population find themselves aligned with these movements. I’m thinking mainly of MOJWA, the Movement for Oneness and Jihad in West Africa, an AQIM splinter group, who will hunt down the Touareg (not liked in Northern Mali), forge alliances with local groups and govern a city. Clearly, the violence and reprisals committed by this group have been condemned, which is right. But at the same time, there are other things that people don’t want to address as it would mean raising the issue of the corruption of a regime that we’ve supported at arm’s length for years, talking to the Mali army which claims to be the guardian of national sovereignty but holds the population to ransom day in day out. Add to that the whole series of contexts and you’ll understand why a group initially seen, to paraphrase some of our military, as “highway robbers”, suddenly enjoys real popularity to the extent that today in Gao you have sectors, small ones admittedly, that regret the MOJWA episode. Obviously, I don’t agree with this assessment but I do say we have to do some deconstruction because the elimination of MOJWA will require real answers to these criticisms for the wellbeing of the people, that is to say, ensure that the army does its job by manifestly respecting the population, ensure the forces of law and order respect the laws that they claim to be enforcing, and so on...

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54 ÉTATS : Les pays jusqu’ici épargnés par le terrorisme le resteront-ils ? R. M. : Il n’est pas du tout sûr que ces mouvements réussissent parce que dans certains cas ils vont être confrontés à une réponse beaucoup plus ferme et systématique des services de sécurité. Mais je crois aussi parce que les réalités sociales vont être différentes. De ce point de vue, le Sénégal est un cas intéressant parce que de tous les États concernés, c’est l'un des plus démocratiques, où la violence politique est restée très mineure. Le salafisme n’est pas la compréhension unique de l’islam et ce n’est pas la plus sympathique. Néanmoins, le salafisme n’a pas de répercussion immédiate sur l’utilisation de la violence ou du terrorisme. Il faut là aussi que le débat suive son cours à l’intérieur de l’islam.

54 ÉTATS: Will the countries that have been spared so far by terrorism remain so? R. M.: We can’t at all be sure that these movements will succeed, because in some cases they will be confronted by a much firmer and systematic response by the security services, but I think also because the social realities will be different. From that point of view, Senegal is an interesting case because, of all the States involved, it’s the most democratic, with very little political violence. Salafism is not the only interpretation of Islam and it’s not the most likeable, but Salafism has no immediate repercussions leading to violence or terrorism. It’s also important that the debate runs its course within Islam, and that Western reactions be somewhat better informed than we’ve seen since 2001.

©AMISOM Public Information

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54 ÉTATS : Lutte contre le terrorisme : un mythe ou une réalité ? R. M. : Moi ce qui me frappe, c’est l’abandon des hommes et des femmes politiques qui s’en remettent au militaire en pensant que les bombes lâchées ici et là finiront par régler le problème. Rhétoriquement, ils reconnaissent que cela ne suffit pas mais pratiquement, ils ne recourent qu’au militaire. Je travaille sur la Somalie depuis des années, depuis 1991, j’ai vu toute cette montée en puissance du terrorisme et du contre-terrorisme et j’attends toujours… Quand vous interrogez par exemple des diplomates occidentaux sur les fameuses politiques de réconciliation, ils vous répondent que ce versant politique renvoie au soutien apporté au gouvernement somalien. Et en quoi consiste ce soutien ? Appuyer la mise en place d’une armée censée éradiquer les shebabs. On reste complètement dans le paradigme militaire d’éradication. Cela ne fonctionne pas, il faut le dire ! En Somalie, la MINUS, force des Nations unies, rencontre de réels problèmes parce qu’elle tue de plus en plus de civils. Mais ça peut évoluer, l’échec n’est pas une fatalité.

©Magharebia

Nous sommes uniquement condamnés à essayer, encore et encore. Certes, nous avons des adversaires qui sont aussi des adversaires militaires. Même si nous les éradiquons, de véritables questions continuent à se poser. Certaines relèvent vraiment de l’islam et il incombe aux musulmans de s’en saisir puisque ces interrogations n’entrent pas dans le cadre d’un débat d’un État vis-à-vis d’une population. Mais il y a également beaucoup de questions qui relèvent des politiques, du fonctionnement routinier des États par rapport à des populations spécifiques et là, chacun dans sa société, doit pousser à des réformes pour que les choses se passent mieux. Encore faut-il accepter de poser le problème ! Quand vous avez un Premier ministre en France qui vous explique qu’il ne faut surtout pas chercher à comprendre parce que cela voudrait dire excuser, vous vous dites que le débat est mort-né. C’est quand même assez lamentable !

©Magharebia

54 ÉTATS: The fight against terrorism: myth or reality? R. M.: What strikes me, is the irresponsibility of both men and women politicians who advocate military solutions thinking that bombs will solve the problem once and for all. In their rhetoric, they acknowledge that it’s not enough, but in practical terms their only answer is the military. I’ve been working on Somalia for years, since 1991, I’ve seen the entire ramp-up in terrorism and counter-terrorism and I’m still waiting... When you ask Western diplomats, for example, about the famous politics of reconciliation, they reply that this policy approach harkens back to the support given to the Somali government. But what was this support? Answer: supporting the Somali government meant doing whatever was necessary to set up a Somali army to eradicate the Shebaabs. We’re still fully in the paradigm of military-led eradication. You have to admit it doesn’t work! In Somalia, the downside is that the UN force is encountering real problems because it’s killing more and more civilians.

But that may change, one fatality doesn’t mean failure. We only have to keep trying, again and again. Certainly, we have adversaries who are also military adversaries. Even if we eradicated them, real questions would remain. Some have to do with the true nature of Islam and it’s up to Muslims to grapple with that because such questions don’t form part of a debate about a State’s relationship with its population, but there are also many questions that relate to politics, to the routine operation of a State in relation to specific segments of its population and, there, every member of society has to push for reforms so that things work better. But the question has to be allowed to be posed in the first place! When you have a prime minister in France who advocates that we must not try to understand because that is tantamount to excusing it, you have to say the debate is still-born. A sad state of affairs. Translation from French Linkin'men Ltd 17


par John Harrison NOUS SOMMES LE 22 NOVEMBRE 2015, SOIT DEUX JOURS APRÈS LA PRISE D’OTAGES MEURTRIÈRE (22 MORTS) À L’HÔTEL RADISSON BLU DE BAMAKO AU MALI. LE GROUPE TERRORISTE FRONT DE LIBÉRATION DU MACINA (FLM) VIENT DE REVENDIQUER L’ATTAQUE. POURTANT, LA VEILLE, AL-MOURABITOUNE, LE MOUVEMENT DIRIGÉ PAR MOKHTAR BELMOKHTAR, AVAIT FAIT DE MÊME. CET IMBROGLIO, COCASSE S’IL N’ÉTAIT PAS TRAGIQUE, SYMBOLISE LA CONCURRENCE QUE SE LIVRENT LES DIFFÉRENTS GROUPES TERRORISTES SUR LE CONTINENT AFRICAIN. EN JEU, UNE VISION PARTICULIÈRE DU DJIHAD ET DE LA POLITIQUE DE LA TERREUR. MAIS SURTOUT UN LEADERSHIP CONTINENTAL, ENTRE RESPONSABLES DJIHADISTES. PLUSIEURS STRATÉGIES SONT DÉPLOYÉES POUR L’OBTENIR, DE LA PLUS VIOLENTE À LA PLUS « COMMERCIALE », DIGNE DES CHASSEURS DE TÊTE DANS LE MONDE DE L’ENTREPRISE.

© Steve Ludlum

by John Harrison

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IT’S NOVEMBER 22, 2015, TWO DAYS AFTER THE MURDEROUS HOSTAGE-TAKING (22 DEAD) AT THE RADISSON BLU HOTEL IN BAMAKO, MALI. THE TERRORIST GROUP MACINA LIBERATION FRONT (MLF) HAS JUST CLAIMED RESPONSIBILITY FOR THE ATTACK. BUT THE PREVIOUS EVENING, AL-MOURABITOUN, THE MOVEMENT LED BY MOKHTAR BELMOKHTAR, CLAIMED RESPONSIBILITY TOO. THIS CONUNDRUM, COMICAL IF IT WEREN’T SO TRAGIC, SYMBOLIZES THE RIVALRY BETWEEN THE VARIOUS GROUPS ON THE AFRICAN CONTINENT. AT STAKE IS THE PARTICULAR VISION OF JIHAD AND POLICY OF TERROR. AND ABOVE ALL, WHICH JIHADISTS WILL WEAR THE MANTLE OF CONTINENTAL LEADERSHIP. MANY STRATEGIES HAVE BEEN DEPLOYED TO GET THERE, FROM THE MOST VIOLENT TO THE MOST "COMMERCIAL", WORTHY OF CORPORATE HEADHUNTERS.


Après le Hezbollah et le Groupe islamiste armé (GIA) dans les années 80 et 90, Al-Qaïda devient la tête de file des mouvements terroristes durant la décennie 1995-2005. Avec une opération spectaculaire le 11 septembre 2001 contre le World Trade Center, un leader charismatique désigné ennemi public numéro 1 par les États-Unis, Oussama Ben Laden, et une politique de la terreur dirigée vers l’international, Al-Qaïda occupe l’espace médiatique. Daech, en quelques mois, va récupérer ce leadership du terrorisme. Sa stratégie : des attentats quotidiens et « locaux » et une communication basée sur la vidéo et les réseaux sociaux. Mais la concurrence fait rage.

After Hezbollah and the Armed Islamic Group (AIG) in the ’80s and ’90s, Al-Qaeda came to lead the lineup of terrorist groups in the ten years between 1995 and 2005. With a spectacular assault on September 11, 2001 against the World Trade Center, a charismatic leader touted by the United States as public enemy no. 1, Osama bin Laden, and a policy of terror directed at international operations, Al-Qaeda came to occupy the media space. In a few short months, Daesh would grab this terrorism leadership status for itself. Its strategy: daily, "local" attacks, and video- and social network-based communication. But the competition is fierce.

DAECH, EN QUELQUES MOIS, VA RÉCUPÉRER LE LEADERSHIP DU TERRORISME TOUS LES MOYENS SONT BONS

ANY WAY THAT WORKS

L’État islamique naît en 2006 et se développe à partir de ses bases, l’Irak puis la Syrie. À ses débuts, Daech n’évoque qu’à peine le djihad international. Le but est de se renforcer localement. À partir de la proclamation en juin 2014 du califat par Abou Bakr al-Baghdadi et surtout le ralliement de groupes terroristes en Afrique (Boko Haram au Nigeria et de la Wilaya de Cyrénaïque en Libye), l’État islamique (EI) change de stratégie, car il chasse sur les terres d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), notamment au Sahel. Pire, AQMI, et même certains musulmans, deviennent des ennemis s’ils ne veulent pas se rallier à son califat autoproclamé. L’État islamique veut étendre son influence sur le continent africain mais rencontre la résistance de nombreux groupes terroristes déjà bien implantés depuis des années. En Libye, selon une partie des spécialistes, Daech profiterait du chaos libyen pour installer dans le pays une nouvelle tumeur dont les métastases pourraient se répandre dans les pays voisins.

Islamic State was born in 2006 and spread out from its bases, Iraq and then Syria. In its early days, Daesh hardly ever mentioned an international jihad. Its aim was to develop local roots. But with the proclamation of the Caliphate by Abu Bakr al-Baghdadi in 2014 and especially the rallying of terrorist groups in Africa (Boko Haram in Nigeria and the Wilaya of Cyrenaica in Libya), Islamic State (IS) changed its strategy, as it was now on the hunting grounds of Al-Qaeda in the Islamic Maghreb (AQIM), notably the Sahel. Worse still, AQIM and certain other Muslims become enemies if they don’t want to rally to his self-proclaimed Caliphate. Islamic State wants to extend its influence on the African continent but is meeting resistance from numerous terrorist groups who have been well rooted for years. In Libya, according to some specialists, Daesh is taking advantage of the chaos there to establish a new tumour that could metastize into neighbouring countries.

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Au Mali, Ansar Dine et le FLM (liés à Al-Qaïda) ont fait de Daech leur ennemi commun. En Somalie, l’EI voudrait développer son « califat » sur les décombres de la guerre mais le territoire est déjà occupé par Al-Chabab, lié à Al-Qaïda. Les shebabs ont déjà prévenu : tout membre voulant rejoindre l’État islamique aura la tête tranchée. Une façon comme une autre de prévenir les défections. Pourtant, début janvier, Daech a tendu la main aux shebabs en les appelant à les rejoindre en Libye, comme ils l’avaient déjà fait en février 2015. Des poids lourds somaliens du monde musulman ont déjà rejoint l’EI, attirés par ce nouveau venu et géant du terrorisme. Pour Daech, c’est une autre façon de s’agrandir : attirer des groupes terroristes grâce à sa notoriété. Les observateurs évoquent même une prise en main de la Somalie grâce à « une campagne publicitaire efficace » et « une machine puissante de propagande », selon Matt Bryden, directeur du centre Sahan Research de Nairobi. Idem au Kenya, où Hussein Hassan, un ancien d’Al-Chabab, a prêté allégeance à Daech, ce qui permettrait à l’État islamique « de s’implanter au Kenya sans lever le petit doigt ». La proclamation du califat islamique a incité plusieurs organisations terroristes du nord de l’Afrique à prêter allégeance à Daech qui devient une sorte de holding du terrorisme. Toutefois, certains spécialistes n’y voient qu’un « coup marketing », une occasion de profiter de la « renommée » de Daech, sans toutefois bénéficier d’un soutien logistique ou financier de l’État islamique. Au-delà de leurs principes et de leur foi, les djihadistes restent pragmatiques. Ainsi, les méthodes de recrutement des groupes terroristes sont davantage terre-à-terre : rémunération, avantages matériels et logistiques et assouvissement sexuel. L’État islamique assure la formation de ses combattants qu’il rémunère entre 50 et 700 dollars par mois selon le poste, auxquels s’ajoutent des avantages en nature : vêtements, nourriture, une maison en zone sûre voire une femme. Les frappes de la coalition contre les sites pétroliers et la chute du cours du brut ont touché l’EI directement au portefeuille. Fin janvier, l’organisation terroriste a décidé de réduire de moitié le salaire de ses soldats.

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In Mali, Ansar Dine and the MLF (linked to Al-Qaeda) have made Daesh their common enemy. In Somalia, IS would like to create a small "Caliphate" from the wreckage of the war but the territory is already occupied by Al-Shabaab, linked to Al-Qaeda. The shabaabs have already warned: any member wanting to join Islamic State will be beheaded. One way at least of preventing defections. However, in early January, Daesh reached out to the shabaabs calling on them to join them in Syria, as they had previously done in February 2015. The Somalian heavyweights of the Muslim world had already joined IS, attracted by this giant newcomer to terrorism. For Daesh, it’s one more way of growing: attracting terrorist groups by its notoriety. Observers are even pointing to a takeover of Somalia via an "effective PR campaign" and "powerful propaganda machine", according to Matt Bryden, director of Sahan Research, a think-tank located in Nairobi. Same for Kenya, where Hussein Hassan, a former Al-Shabaab, has pledged allegiance to Daesh, which would permit Islamic State "to set up in Kenya without lifting a finger". The proclamation of the Islamic Caliphate has incited many terrorist organizations in North Africa to pledge allegiance to Daesh which is becoming a kind of "holding company" of terrorism. Nonetheless, some specialists see it only as a "marketing coup", an opportunity to make the most of Daesh’s "renown" without, however, benefiting from Islamic State logistical or financial support. Aside from their principles and their faith, the jihadists remain pragmatists. The terrorist groups’ recruitment methods are very down-to-earth: pay, benefits in the form of equipment and logistics (arms, fighter planes, etc.) and sexual gratification. Islamic State provides its fighters with training and pays them between 50 and 700 dollars a month depending on position, to which they add benefits in kind: clothing, food, a house in a safe area, even a woman.


MÊME TERRITOIRE ET, DORÉNAVANT, MÊME STRATÉGIE Historiquement, Al-Qaïda a toujours combattu les pays qu’il considère comme « ennemis de l’islam ». Principales cibles, les Occidentaux : New York en 2001, Madrid en 2004, Londres en 2005 ou Charlie Hebdo à Paris l’an passé. Il y a deux ans, Al-Qaïda menaçait la France et appelait à des attaques ciblées dans les lieux attirant un grand nombre de personnes, pour faire un maximum de victimes, comme les transports en commun, les musées ou… les stades de football. Une stratégie reprise à son compte par l’État islamique en novembre dernier au Stade de France et au Bataclan. Pourtant à l’opposé de sa tactique habituelle basée sur les attaques ciblées (surtout contre les chiites présentés comme des mécréants) et sur l’extension de leur territoire en Syrie et en Irak. Daech « internationalise » donc sa politique de la terreur et tue à l’aveugle. L’ennemi peut se trouver dans tous les pays et il faut « tuer n’importe qui, tous les mécréants sont des

cibles pour nous », comme le rappelle l’EI dans Dar al Islam, son magazine de propagande en français. Autre preuve de la mondialisation de la stratégie Daech : la diffusion d’une vidéo en mandarin appelant les musulmans de Chine à prendre les armes. Guerre armée, guerre stratégique, de position ou guerre de communication, tous les moyens sont bons pour obtenir le leadership du djihad continental voire mondial. Pourtant, les passerelles sont nombreuses entre les deux organisations, de l’idéologie à un certain mimétisme dans la terreur en passant par leur propagande dans les médias et les réseaux sociaux. Mais, pire que le mimétisme, c’est aujourd’hui plutôt une surenchère de la violence, une sorte de compétition meurtrière, que se livrent AQMI et Daech, chacun voulant prouver à l’autre sa puissance d’action et ainsi attirer et « débaucher » des combattants.

© Gerry Lauzon

SAME TERRITORY AND, GOING FORWARD, SAME STRATEGY Historically Al-Qaeda has always fought countries it regards as “enemies of Islam”. The main targets being the Western countries: World Trade Center in 2001, Madrid in 2004, London in 2005 and Charlie Hebdo in Paris last year. Two years ago, Al-Qaeda threatened France and called for targeted attacks in locations frequented by lots of people, to cause the maximum number of casualties, such as public transport, museums and... football stadiums. A strategy taken on board by Islamic State last November at Stade de France and Bataclan. Quite the opposite of its usual tactic based on targeted attacks (primarily against Shiites portrayed as unbelievers) and on extending their territory in Syria and Iraq. Daesh is thus "internationalizing" its policy of terror and death blindly. The enemy can be found in any country and you have to "kill anyone, doesn’t matter who, all unbelievers are targets for us,"

as lS says in Dar al Islam, its French-language propaganda magazine. Another proof of Daesh globalizing its strategy: a video broadcast in Mandarin calling on Chinese Muslims to take up arms. Armed warfare, strategic warfare, positional or communication warfare, all these means are valid to achieve leadership of the continental, even global jihad. However, there are many bridges between the two organizations, from ideology to a certain degree of borrowing and imitation, including their propaganda in the media and on social networks. But worse than imitation, is now the ramping up of violence, a kind of murderous competitiveness that AQIM and Daesh are mounting, each wanting to prove to the other its power in action and thereby attract, lure away, the other’s fighters. Translation from French Linkin'men Ltd

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BOKO HARAM par Sandra Wolmer

© Wikimédia

JONATHAN PARTI…

VIVE BUHARI ?

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© Chatham House London

JONATHAN’S GONE…

Au Nigeria… et ailleurs, pas une semaine ne s’écoule sans que la Jama’atu Ahlul Sunna Lidda’awati Wal Jihad (« communauté des disciples pour la propagation de la guerre sainte et de l’islam ») ne concrétise sa vision mortifère. Ce groupe djihadiste, plus connu sous le nom de Boko Haram (« rejet d’un enseignement perverti par l’occidentalisation ») ne cesse de défrayer funestement la chronique et, d'atrocités en atrocités, confronte toujours plus urgemment ce pays ouest-africain à la question de son éradication. Si l’ancien président Goodluck Ebele Jonathan n'a pas su apprécier et relever le défi qui lui était posé, son successeur Muhammadu Buhari semble au contraire plus que jamais déterminé à en découdre. Pour preuve, son empressement à déclarer le « K.O. technique » de la mouvance. Est-ce à dire que le glas aurait commencé à sonner pour cette mouvance radicale ?

In Nigeria... and elsewhere, not a week goes by without Jama’atu Ahlul Sunna Lidda’awati Wal Jihad ("the community of disciples for the propagation of holy war and Islam") manifesting its deadly vision. This jihadist group, better known as Boko Haram ("rejection of teachings perverted by Westernization"), never fails to ghoulishly hog the headlines and, with atrocity heaped upon atrocity, is confronting this West African country ever more urgently with the issue of its eradication. If former President Goodluck Ebele Jonathan wasn’t able to appreciate and tackle the challenges facing him, his successor Muhammadu Buhari seems on the contrary more than ever determined to fight it out. As proof, his eagerness to declare the "technical knockout" of the movement. Does this mean that the death knell has begun to sound for this radical movement?

LA FAUTE À GOODLUCK JONATHAN ?

GOODLUCK JONATHAN’S FAULT?

Du temps de Goodluck Jonathan (mai 2010 à mai 2015), Boko Haram a muté. Il s'est radicalisé et a fini par devenir ce quelque chose à la dangerosité et cruauté ineffables qui sème inlassablement insécurité et instabilité. Un aveu flagrant d’impuissance pour celui qui avait promis d'en expurger le pays ! Il n’en fallait pas plus pour raviver les vieux antagonismes alimentés par les soupçons d’instrumentalisation — au sud chrétien de dénoncer une tentative d’islamisation du pays tout entier conduite par les élites politiques du nord, désireuses d’étendre leur propre pouvoir afin d’in fine saper les fondements d’un gouvernement présidé par un chrétien. Au nord musulman de crier au discrédit jeté sur l’Islam afin de rendre effectifs la sécession du Sud pétrolier et le délestage du fardeau que constituent ces zones pauvres. À un point tel que Jonathan a tenu, en pleine campagne présidentielle en 2015 à les démentir publiquement : « Seule une personne folle peut insinuer que le président soutient Boko Haram ! »

During Goodluck Jonathan’s tenure (May 2010 to May 2015), Boko Haram changed. It became radicalized and ended up becoming something ineffably dangerous and cruel, relentlessly sowing insecurity and instability. A flagrant admission of powerlessness for someone who promised to rid the country of it. And little more was needed to revive age-old antagonisms fuelled by suspicions of manipulation – for the Christian South to condemn an attempt to Islamicize the entire country, led by Northern political elites looking to expand their own power to ultimately sap the foundations of a government presided over by a Christian. And for the Muslim North to decry the discredit heaped on Islam as a ploy by the oil-producing South to secede and shed the economic burden of the country’s impoverished regions. To the point that Jonathan was forced, right in the middle of the 2015 presidential campaign, to publicly deny: "Only a mad person can insinuate that the president is supporting Boko Haram!"


Quoi qu’il en soit, instrumentalisation ou pas, le leader africain au chapeau noir aura brillé par son incapacité à juguler la progression de la secte créée en 2002 par Mohammed Yusuf. La faute à qui, la faute à quoi ? Benjamin Augé, chercheur associé du Programme Afrique de l’Institut français des relations internationales (Ifri), pointe l'erreur de casting : « Je ne sais pas s’il a instrumentalisé Boko Haram. En tout cas, il s’en est suffisamment désintéressé pour que le groupe devienne ce qu’il était à la fin de son mandat. Par ‘désintéressé’, je veux dire que ce n’est pas lui mais, tout l’appareil militaire, qui a géré la chose. » Dès l'annonce de sa candidature en 2010, ce chrétien du sud issu de la minorité Ijaw, « extrêmement manipulable » a « souffert d'un réel déficit de légitimité ». Cet universitaire n'en menait finalement pas large face à l'appareil politico-militaro-sécuritaire qui « se moquait quasi-ouvertement de lui, le civil, statut rare pour un président nigérian ». Dans ces conditions, comment restaurer le lien de confiance avec une population écœurée par les exactions des forces de sécurité et les magouilles ? Comment riposter face à la disparition des milliards de dollars alloués à la Défense et à l'Intérieur qui a laissé les forces armées démunies et exsangues ? Comment remobiliser les soldats dont les défections sont légion du fait du non-versement des soldes ou faute d’une stratégie claire ? Comment reconstituer une chaîne de commandements délitée ? Comment envisager une coopération régionale entre services de sécurité lorsque les chefs d'État frontaliers, à commencer par le leader tchadien Idriss Déby Itno, s'agacent de ne pas « savoir qui appeler pour Boko Haram au Nigeria » ?

In any event, manipulation or no, the black-hatted African leader was conspicuous by his inability to curb the rise of the sect formed in 2002 by Mohammed Yusuf. Who’s to blame? What’s to blame? Benjamin Augé, associate research fellow with the Africa Program at the French Institute of International Relations (IFRI) points to a casting error: “I don’t know whether he ‘used’ Boko Haram. In any case, he was sufficiently disinterested for the group to become what it was at the end of his tenure. By ‘disinterested’ I mean that it wasn’t him but the entire military apparatus that managed to do so.” Since announcing his candidature in 2010, this “extremely manipulable” Southern Christian from the Ijaw minority has “suffered a real loss of legitimacy”. This academic ultimately wasn’t able to face down the political-military-security apparatus that “pretty-much openly mocked his civilian status, a status rare among Nigerian politicians”. In such conditions, how do you restore trust in a population disheartened by the excesses of the security forces and wheeler-dealing? What do you say to account for the disappearance of billions of dollars earmarked for the Departments of Defence and Interior that has left the armed forces resourceless and bled dry? How do you remobilize the soldiers who absconded in their thousands because they hadn’t been paid or disheartened by a lack of a clear strategy? How do you rebuild a creaky chain of command? How do you envisage regional cooperation between security services when the heads of neighbouring states – Tchad’s Idriss Déby Itno for one – tease that they don’t know “who to call to reach Boko Haram in Nigeria”?

© agentssansblogspot

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« Il ne faut pas oublier qu’entre 2009 et 2011, Boko Haram n’a pas pu résister sur le plan opérationnel aux assauts lancés par l’armée nigériane », relativise toutefois Samuel Nguembock, chercheur associé à l'Institut français des relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialiste des questions de sécurité en Afrique. Il précise : « Sa répression brutale a d’ailleurs été à l’origine de la fuite des principaux leaders du groupe terroriste. En 2011, les capacités opérationnelles de Boko Haram sur le sol nigérian étaient remarquablement réduites ». S'il a remporté quelques batailles, Goodluck Jonathan aura surtout perdu la guerre contre les maux endémiques du terrorisme et de la corruption. Un constat que Muhammadu Buhari ne veut évidement pas faire sien.

"Don’t forget, though, that between 2009 and 2011 Boko Haram wasn’t able operationally to withstand attacks by the Nigerian Army," says Samuel Nguembock, associate research fellow at the French Institute for International and Strategic Affairs (IRIS) and an African Security specialist. "Its brutal repression was also the reason that the terrorist group’s key leaders fled. By 2011, Boko Haram’s operational capabilities on Nigerian soil had been remarkably reduced." But although he won some battles, Goodluck Jonathan ended up losing the war against endemic terrorism and corruption. A verdict that Muhammadu Buhari clearly doesn’t want leveled at himself.

BUHARI OU L'ART DE LA RUPTURE AVEC LE « JE-M’EN-FOUTISME » INSTITUTIONNALISÉ

BUHARI OR THE ART OF BREAKING WITH INSTITUTIONALIZED “I DON’T GIVE A DAMN”

Musulman du nord, le nouveau chef d’État peut se targuer, à l’inverse de son prédécesseur, d’inspirer crainte et respect. Comme le mentionne Benjamin Augé, à la seule annonce de sa victoire aux présidentielles en avril 2015, alors même qu’il n’avait pas encore levé le petit doigt, certains trafics ont tout bonnement cessé ! C’est dire le charisme de l'ex-général putschiste qui ne manque pas de laisser transparaître les signes d’une solide reprise en main. À commencer par les limogeages à tire-larigot ! Dehors les chefs de l'armée de terre, de l'armée de l’air, de la marine ! Dehors le chef d’état-major des armées ! Dehors Sambo Dasuki, le conseiller national pour les questions de sécurité, lequel a en prime droit à un passage par la case prison puisqu'il aurait détourné la bagatelle de deux milliards de dollars destinés à la lutte contre le terrorisme. Ainsi, « les plus puissants du précédent gouvernement se retrouvent à des degrés divers en difficulté » constate le chercheur à l’Institut français des relations internationales.

A Northern Muslim, the new Head of State may, unlike his predecessor, boast of inspiring fear and respect. As Benjamin Augé says, simply the announcement of his winning the presidential elections in April 2015, put a stop to lots of illegal practices, without him lifting a finger to do so. Which speaks for the charisma of this former coup d’État General who never fails to demonstrate that it’s a strong hand taking over the wheel. Starting with firing people! Land, air and sea commanders! Chiefs of Staff! Sambo Dasuki, national security advisor, who earned his exit and his subsequent entry into prison by purportedly embezzling two billion dollars that had been earmarked for the fight against terrorism. Thus, “the most powerful people in the previous government are finding themselves in various degrees of difficulty,” says the IFRI scholar.

BUHARI, L'HOMME DE LA SITUATION ? 24

SEUL L'AVENIR LE DIRA.

© Jerome Starkey


© Jordi Bernabeu

Le grand ménage ne s'arrête évidement pas là ! Pour preuve, la délocalisation à Maiduguri du centre de commandement de l’armée nigériane. « Une mesure à première vue cosmétique, mais qui présente l'intérêt de rapprocher les généraux du théâtre des opérations situé dans le Nord-Est du pays, le fief de Boko Haram », commente Benjamin Augé. Citons encore le renforcement des liens diplomatiques avec le Niger, le Tchad, le Cameroun et le Bénin, impliqués eux aussi dans la lutte contre la secte terroriste. En outre, celui qui traîne un passé autoritaire a pour lui le fait de jouir d'une proximité avec les populations jeunes et délaissées du nord, de pouvoir diffuser une autre image de l'islam que celle véhiculée par la secte djihadiste, de penser en termes économiques puisqu'il entend investir dans les zones pauvres septentrionales du pays. Buhari, l'homme de la situation ? Seul l'avenir le dira. Néanmoins, dans sa chasse aux sorcières, le militaire réputé incorruptible, propulsé à la tête du Nigeria à la faveur d'une coalition, devra veiller à ne pas se tirer une balle dans le pied en s'attaquant « aux personnes qui ne sont pas totalement propres mais sans lesquelles il ne serait jamais devenu président » avertit Benjamin Augé. Ceux-ci « pourraient finalement bloquer le processus de vote au Parlement et au Sénat » des textes qui tiennent à cœur au chef de l’État.

And the big cleanup clearly isn’t stopping there. Proof of which is the command center of the Nigerian armed forces being moved to Maiduguri. "A cosmetic measure at first sight, but it’s to keep a tighter rein on the Command of the theater of operations in the Northeast of the country, the fief of Boko Haram," says Benjamin Augé. We can also cite the strengthening of diplomatic relations with Niger, Chad, Cameroon and Benin, who are all involved in the fight against the terrorist sect. Moreover, the one who is dragging the millstone of an authoritarian past enjoys proximity with the youth and forsaken of the North, he is able to deliver an image of Islam that is different from the jihadists’ and he is able to think in economic terms as he intends to invest in the poor northern parts of the country. Is Buhari the man of the hour? Only the future will tell.

BOKO, LE DÉBUT DE LA FIN?

Clearly, the leader of the economically most powerful State in Africa has lots to do. If Buhari hopes to prevent widespread insecurity and the international threat embodied by Boko Haram from taking root on his patch, he cannot content himself with seeing things simply through a military prism. The ex-General must, absolutely, as many experts recognize, take other factors into account: historical, social, ideological... Will his determination succeed in defining a governance strategy that matches the gravity of the situation? Clearly, that remains to be seen.

Assurément, le leader de la première puissance économique africaine a fort à faire ! Si Buhari veut éviter que l'insécurité générale et la menace de portée internationale incarnée par Boko Haram ne s'ancrent définitivement sur son sol, il ne pourra pas se contenter d'appréhender les choses sous le seul prisme militaire. L'ex-général devra absolument, comme le préconisent de nombreux experts, tenir compte d'autres dimensions : historique, sociale, idéologique… Sa détermination lui permettra-t-elle de définir une stratégie gouvernementale adaptée à la gravité de la situation ? Cela reste évidemment à confirmer.

Nevertheless, in its witchhunt the reputedly incorruptible military, propelled to lead Nigeria thanks to a coalition, will have to make sure it doesn’t shoot itself in the foot by attacking "people who aren’t totally clean but without whom he would never have become President," says Benjamin Augé. This "could ultimately block the process of voting-in a Parliament and Senate", drafts close to the Head of State’s heart.

BOKO, THE BEGINNING OF THE END?

Translation from French Linkin'men Ltd 25


© Gigi Ibrahim

par Jenna Le Bras

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Depuis plus de trois ans, les habitants du nord de la péninsule sont pris en tenaille entre des groupes sanguinaires qui ont prêté allégeance à l’organisation de l’État islamique et une armée égyptienne brutale qui sacrifie sa population dans une lutte anti-terroriste supposément efficace.

For over three years, the people living in the north of the peninsula have been caught between the bloodthirsty groups pledging allegiance to Islamic State, and a brutal Egyptian army sacrificing its population in a supposedly effective fight against terrorism.

Quand on demande à Amjad* de parler de la population du Nord-Sinaï, sa réponse est cinglante, cynique : « Quelle population ? La plupart des gens sont morts ou partis. » Il y a peu encore, il vivait avec ses parents et ses dix frères et sœurs à Moqataa, un petit village enclavé dans ce que les spécialistes appellent le « triangle », quadrillant Al-Arish, Rafah et Sheikh Zuweid. « Cette zone est la plus volatile d’Égypte, frontalière de Gaza et d’Israël, avec la plus importante densité de population bédouine du pays », explique Mohannad Sabry, spécialiste du Sinaï. « C’était le cheflieu des tunnels souterrains et de trafics en tout genre vers la bande de Gaza jusqu’en 2013, et c’est devenu la base arrière d’Ansar Beyt el Maqdis, qui a prêté allégeance à Daech en 2014 », précise l’auteur du livre Sinaï : Egypt's Linchpin, Gaza's Lifeline, Israel's Nightmare.

When asked about the people of North Sinai, Amjad’s* response is scathing, cynical: "What people? Most of them are dead or have left." Until recently he lived with his parents and ten brothers and sisters in Moqataa, a small village trapped in what commentators call the "triangle" formed by Al-Arish, Rafah and Sheikh Zuweid. "This is the most volatile area in Egypt, bordering Gaza and Israel, with the highest density of Bedouin in the country" explains Mohannad Sabry, a Sinai specialist. "It was the centre of the underground tunnel system and all kinds of traffic to the Gaza Strip until 2013, and has now become the base camp for Ansar Beyt el Maqdis, who pledged allegiance to Daesh in 2014," says the author of the book Sinaï: Egypt’s Linchpin, Gaza’s Lifeline, Israel’s Nightmare.


Pour la population, la vie y était simple pourtant : des petits boulots, des bicoques sans prétention et quelques terres cultivables. Mais Moqataa, comme une quinzaine de villes alentours, est désormais à l’abandon après la fuite de ses derniers habitants. Amjad est l’un de ces fantômes, forcés à l’exil, dont la voix est étouffée par les djihadistes qui décapitent les traîtres face caméra « pour l’exemple » et par le silence des médias qui ont interdiction de pénétrer le Nord-Sinaï depuis deux ans. « L’idée que des terroristes vivent reclus dans les montagnes et font des attaques éclairs, c’est un mythe , tranche le trentenaire au visage émacié, ils vivent parmi nous. Rien que dans ma famille, 47 personnes ont rejoint leurs rangs ».

C’EST LA GUERRE, LA VRAIE, L’ENNEMI EST PARTOUT

© El Jazy

For its people, life had been pretty basic: odd jobs, unremarkable shelters, and some farmable land. But Moqataa, like dozens of surrounding villages, now lie abandoned since their residents have fled. Amjad is one of these ghosts, forced into exile, whose voices are stifled by Jihadists who behead traitors on-camera "as an example" and by media silence, having been banned from the North Sinai two years ago. "The idea that terrorists hide in mountains and attack by moonlight is a myth," scoffs this 30-year old with an emaciated face, "They live right among us. In my family alone, 47 have joined their ranks."

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LA MENACE DAECH SE PROPAGE

THE DAESH MENACE IS SPREADING

Depuis trois ans et demi, et plus intensément depuis la destitution du président islamiste Mohamed Morsi en juin 2012, le Nord-Sinaï, terre aux influences soufies, fortement radicalisée par plusieurs grandes figures de l’extrémisme tels que Mohamed Hassan dans les années 2000, est devenu le théâtre d’une insurrection djihadiste sans précédent.

For the past two and a half years, and increasingly since the ousting of Islamist President Mohamed Morsi in June 2012, North Sinai, under Sufi influence and heavily radicalized in the noughties by leading extremists like Mohamed Hassan, has become the theatre of unpredicted Jihadist insurrection.

Responsables de nombreuses attaques meurtrières, visant principalement la police et l’armée, quelque 3 000 militants regroupés sous l’appellation Wilayat Sinaï (Province du Sinai - anciennement Ansar Beyt el Maqdis) prônent l’établissement du califat en Égypte et ont prêté allégeance à l’organisation de l’État islamique. Ceux-ci ont prouvé leur force en infiltrant plusieurs villes de la péninsule. En juin dernier, ils menaient une embuscade sur Sheikh Zuweid forçant l’armée égyptienne à déployer ses F-16 et bombarder sa population pour colmater leur avancée. Six mois plus tard, ils revendiquaient fièrement leur responsabilité dans le crash de l’avion de ligne russe tuant 224 personnes à bord.

Responsible for numerous murderous attacks, aimed mainly at the police and army, some 3,000 militants calling themselves Wilayat Sinaï (Province du Sinai - formerly Ansar Beyt el Maqdis) advocate the establishment of a Caliphate in Egypt and have pledged allegiance to IS. They have proven their power by infiltrating many towns in the peninsula. Last June, they raided Sheikh Zuweid forcing the Egyptian army to deploy its F-16s and bomb the population to block their advance. Six months later, they proudly claimed responsibility for the Russian plane crash with 224 on board.

« La situation dans le Sinaï est la pire que l’Égypte ait connu ces dernières décennies, affirme Mohannad Sabry, les autorités sont incapables de gagner cette guerre. La branche égyptienne de Daech est la plus puissante en dehors d’Irak et de Syrie », assure le spécialiste qui parle d’une armée totalement dépassée. « Les forces sur place sont incompétentes », appuie aussi Ahmed Sakr, qui a travaillé au sein du gouvernement jusqu’en 2013 pour mettre en place des politiques de développement dans la région, en vain. « Il y a un niveau de corruption indicible, une perte de temps et d’argent inimaginable malgré les fonds alloués, et les soldats envoyés sur le terrain sont de jeunes recrues peu entrainées ». « Le dernier exemple notoire en date, c’est cette visite officielle du ministre de la Coopération internationale. La délégation n’a même pas pu se rendre à Al-Arish. Sheikh Zuweid, n’en parlons même pas, ils ont été obligés de faire demi-tour avant », raconte Mohannad Sabry, incrédule. « Impossible pour eux d’aller plus loin en raison des attaques terroristes et l’incapacité de l’armée à protéger le convoi. C’est très révélateur de ce qui se passe là-bas ».

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"The situation in the Sinai is the worst that Egypt has known for decades," says Mohannad Sabry, adding: "The authorities are incapable of winning this war. The Egyptian branch of Daesh is the most powerful outside of Iraq and Syria," says this specialist, referring to an army that is totally overwhelmed. "The forces in place are incompetent," agrees Ahmed Sakr, who has worked in the government since 2013 to introduce development policies in the region, to no avail. "The level of corruption is indescribable, an unimaginable waste of time and money despite the funds allocated – and the soldiers sent into the field are young untrained recruits." "The latest notable example to date is the official visit by the Minister of International Cooperation: The delegation didn’t even manage to get to Al-Arish. At Sheikh Zuweid – say no more – it had to backtrack," says Mohanned Sabry, incredulous. "They found it impossible to go any further because of terrorist attacks and the army’s inability to protect the convoy. It’s very revealing of what’s happening there."


DOUBLE PEINE Salma, 25 ans est originaire de la tribu El-Swarka. Elle a passé toute son enfance à Sheikh Zuweid, ville de 70 000 âmes, considérée comme l’un des bastions du militantisme djihadiste. Comme Ajmad, elle a fui la ville à la suite des affrontements sanglants entre l’armée et la branche égyptienne de Daech en juin dernier. « C’est une zone de guerre,» affirme-t-elle. « Les militants utilisent leurs armes les plus sophistiquées et leurs hommes pour attaquer les positions de l’armée et tuent tous ceux qu’ils considèrent comme des ‘collabos’. Et en même temps, les militaires totalement sur les dents nous soupçonnent d’aider les terroristes, alors l’armée détruit nos maisons, nous arrête et nous tue sans autre forme de procès ».

LES HABITANTS SUBISSENT UNE DOUBLE PEINE : LA VIOLENCE DE L’ARMÉE ET CELLE DE DAECH

DOUBLY PAINFUL Salma is 25 years old and a member of the El-Swarka tribe. She spent her entire childhood in Sheikh Zuweid, a city of 70,000, regarded as a stronghold of jihadist militancy. Like Ajmad, she fled the town after the bloody confrontations between the army and the Egyptian branch of Daesh in June. "It’s a war zone," she says. "The militants are using the most sophisticated weapons as well as their people to attack armed positions and kill those they regard as ‘collaborators’. At the same time, crazed militants suspect us of helping terrorists, while the army is destroying our homes, arresting us and killing us without legal process," she says. © lighthousenewsus

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Dans l’immensité des terres arides, loin, bien loin des micros de télévisions et des ONG, interdites de séjour, les habitants du Sinaï subissent une double-peine : la violence de l’armée comme celle des militants de Daech. « Il y a entre 3 000 et 4 000 personnes qui vivent quotidiennement dans les clashs », s’alarme Moamar Sawarka, activiste et humanitaire, basé à Al-Arish. « C’est la guerre, la vraie, et pour les habitants, l’ennemi est partout. L’État ne leur apporte aucune aide, aucun soutien, bien au contraire. C’est devenu un no man’s land, les autorités ont démoli des milliers d'habitations, (Human Rights Watch estime leur nombre à plus de 3 500) soi-disant refuges de terroristes, elles ont coupé l’électricité pour rendre les communications plus d i f ficiles, il n’y a plus d’approvisionnement en eau, les gens récoltent l’eau de pluie, certains éléments de base, la nourriture, les médicaments, n’arrivent plus jusqu’aux villes à cause des checkpoints », s’insurge-t-il. « Les gens vivent dans la misère, appuie aussi Mohannad Sabry. Les hôpitaux ne fonctionnent plus, les infrastructures sont mortes, les écoles ont été démolies et les gens vivent avec un couvre-feu de 12 heures par jour. Ajoutez à ça les excès de violence invraisemblable de l’armée contre la population ».

Because in this vast arid expanse, beyond reach of TV news and NGOs who are banned from reporting, the people of Sinai are suffering a double sentence: the violence of the army, and that of Daesh militants. "Three to four thousand people a day are having to live with these clashes," says Mouammar Sawarka, an activist and humanitarian based in Al-Arish. "It’s war, real war, and for the people the enemy is everywhere. The government provides no help, no support... On the contrary it has become a no-man’s land with the government having demolished thousands of homes (Human Rights Watch estimates more than 3,500), people claiming to be refugees from terrorism, electricity cut off to disrupt communication, water supplies cut off, people collecting rainwater, and basics like food and medical drugs no longer reaching them because of checkpoints," she says. "People are living in deprivation and misery," says Mohannad Sabry. "The hospitals are closed, infrastructure is dead, schools have been demolished and people are living under a 12-hour-aday curfew. Add to that the army’s unimaginable violence against its people." 30


Une violence que l’on tait. Pire, que l’on nie. Mais qui est bien là, quotidienne. Amjad, pétri d’un brin de cynisme, sourit quand on lui parle de bavures. « C’est notre lot quotidien ». Il évoque les voitures de civils bombardées à l’aveugle et les jeunes enfants abandonnés dans des voitures quand les parents sont arrêtés lors de contrôles de police sur la route d’Al-Arish. « Il n’y a aucun respect des droits de l’homme, vous pouvez être une victime à tout moment. Et l’armée égyptienne est sans principe puisqu’elle se sait supportée par le monde entier dans sa lutte contre le terrorisme. Aujourd’hui, il y a plus d’innocents tués que de terroristes. Et pas seulement par les djihadistes. Quand les militaires ont le moindre doute, ils tirent, ils s’en fichent, ils se savent couverts. Quand l’erreur est découverte, on force les familles à signer des faux certificats de décès, et dans la presse, on se fait mousser d’avoir éliminer des terroristes », explique Mouammar Sawarka. Officiellement, « l’armée a totalement le contrôle de la région », comme le martèle le président Abdel Fatah al-Sissi qui dénonce à l’envi « la propagande de l’EI ». D’ailleurs, l’ancien maréchal à la tête du pays a fait passer un décret interdisant aux journalistes de communiquer des bilans différents de ceux publiés par les autorités. C’est l’omerta. « On a peur, assure Ajmad, on a peur car on est coincés au milieu. On est infiltrés par des terroristes qui menacent nos vies et en réponse, l’armée nous tue aveuglément ». « Ce n’est pas une guerre contre le terrorisme, c’est une guerre contre la population, dénonce Mouammar Sawarka. Elle n’a aucun moyen d’y échapper. Et les gens se taisent, car si vous parlez, vous serez le complice d’un camp ou d’un autre et on vous tuera ». *Certains noms ont été modifiés.

A violence that no one talks about. And all the worse because denied. But it’s there, every day. Amjad, raised in a well of cynicism, smirks when asked about blunders. "It’s our daily lot." He talks about ordinary cars bombed at whim and young children simply abandoned in cars when parents are arrested at checkpoints on the Al-Arish road. "There is no respect for human rights, you can be a victim at any time. And the Egyptian army doesn’t care as it knows the whole world supports it in its fight against terrorism. More innocents are dying today than terrorists. And not just at the hands of jihadists. When the military have the slightest doubt, they just open fire, make their official reports, and know they’re covered. If a mistake is revealed, families are forced to sign false death certificates, and the media sing the praises of eliminating terrorists," says Mouammar Sawarka. Because officially "the army is totally in control of the region," as President Abdel Fatah Al-Sissi keeps hammering home denouncing "IS propaganda". This former head of state had passed a decree banning journalists from saying anything that contradicts official pronouncements. It was the kiss of death. "We were scared," says Ajmad, "We were scared because we were caught in the middle. We were got at by terrorists who threatened our lives while the army just turned a blind eye. This isn’t just a war against terrorism, it’s a war against everybody," says Mouammar Sawarka. "There is no escape. And people don’t speak out, because if you do you are labelled as one or other supporter and you will be killed." Translation from French Linkin'men Ltd

© Présidence Égypte

AUJOURD’HUI, IL Y A PLUS D’INNOCENTS TUÉS QUE DE TERRORISTES

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© AMISOM2

par Hervé Pugi « Nous avons été capables de réduire leur contrôle à l’intérieur de la Somalie et nous avons affaibli les réseaux qui opéraient dans cette région d’Afrique de l’Est ». Pour le président Barack Obama, de passage au Kenya en juillet 2015, la communauté internationale est sur la bonne voie dans sa lutte contre les shebabs. Une vision un brin idéalisée de la situation. Plus encore à la découverte des différents rapports1 remis à l’Organisation des Nations unies (ONU) par le groupe de contrôle pour la Somalie et l’Érythrée.

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"We have been capable of reducing their control within Somalia and we have weakened the networks operating in this region of East Africa". In the opinion of President Barack Obama, visiting Kenya in July 2015, the international community is on the right track in its fight against Al-Shabaab. This somewhat idealistic vision of the situation appears even more unrealistic given the different reports1 presented to the United Nations Organization (UNO) by the Somalia and Eritrea Monitoring Group.


Quitte à décevoir le locataire de la Maison-Blanche, il y a un constat implacable et ce sont les experts chargés par l’ONU de suivre la situation dans la région qui le dressaient dès octobre 2014 : « la région n’a pas été assaillie par un groupe affilié à Al-Qaïda aussi déterminé, aussi actif et aussi efficace que les shebabs depuis l’époque où l’ancien groupe d’Al-Qaïda en Afrique de l’Est tenait le haut du pavé dans la corne de l’Afrique. » Un an plus tard, nouveau rapport, et les conclusions ne sont guère plus joyeuses. Ainsi, le mouvement « résurgent semble de plus en plus en mesure d’exploiter les failles de ses adversaires pour consolider son pouvoir, établir des administrations locales, assurer la sécurité et renforcer la confiance du public ». D’autant que le gouvernement fédéral somalien, par ses multiples exactions à travers le pays, offriraient sur un plateau aux shebabs l’opportunité de « recruter parmi les populations historiquement marginalisées ». La lecture du rapport remis à l’ONU en septembre 2015 est en ce sens particulièrement édifiante. Les experts renvoyant quasiment dos à dos le pouvoir en place à Mogadiscio, violent et corrompu mais soutenu par la communauté internationale, et les terroristes. C’est là une réalité. Et le groupe « onusien » de constater que « malgré́ l’accroissement constant des effectifs et du soutien financier nécessaires au déroulement de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) », les shebabs demeurent encore et toujours la principale menace à la paix et à la sécurité. Plus alarmant, « l’Armée nationale somalienne et les forces alliées sont mises à rude épreuve, ce qui rend les bases de plus en plus vulnérables à toute attaque ».

Even if it means disappointing the occupant of the White House, the observation provided by the experts commissioned by the UNO to monitor the situation in the region back in October 2014 was harsh: "the region has not been assailed by a such determined, active and effective Al-Qaeda-affiliated group as that of Al-Shabaab since the days when the old Al-Qaeda group in East Africa had the upper hand in the Horn of Africa." A year later, the conclusions of a new report are not much more optimistic. Thus, the "resurgent (movement) seems increasingly capable of exploiting the weaknesses of its opponents to consolidate its power, establish local administrations, ensure security and reinforce public confidence." Especially since, by perpetrating many acts of violence across the country, the Federal Government of Somalia is no doubt handing the opportunity to AlShaabab on a silver platter of "recruiting from among historically marginalized populations". The reading of the report, which was submitted to the UNO in September 2015, is particularly instructive in this regard. In the report, the experts lump together the terrorists and the violent, corrupt ruling power in Mogadishu, which is, nevertheless, supported by the international community. This is a reality. The "UN" group observes that "despite the steady increase in human resources and financial support necessary for running the African Union Mission in Somalia (AMISOM)," Al-Shabaab remains the major threat to peace and security. What is even more alarming is that "the Somali National Army and allied forces are overstretched, making the bases more vulnerable to attacks."

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© Abdurrahman Warsameh

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Pourtant, aucun doute pour les puissants de la planète, les shebabs ne remporteront pas cette guerre. Et pour cause, ils ne la livrent pas ! Le succès de l’opération Eagle ? Il reposerait notamment sur le fait « que les shebabs ne soient pas disposés à affronter militairement les forces alliées ». Les rapporteurs d’enfoncer le clou : les terroristes auraient « choisi de céder du territoire sans résistance ». Plus précisément, « plutôt que d’affaiblir Al-Chabab, le déplacement territorial du groupe des principaux centres urbains en Somalie l’a aidé à étendre sa présence dans la région de la corne de l’Afrique ».

Yet, there is no doubt in the minds of the world’s powerful leaders: Al-Shabaab will not win this war and for a good reason… they are not at war! Is this down to the success of Operation Eagle? It is more likely based, in particular, on the fact that "Al-Shababb is not willing to engage in a military confrontation with the allied forces". Rapporteurs go even further: the terrorists apparently "chose to cede some territory without any resistance". Specifically, "rather than weakening Al-Shabaab, the territorial movement of the group from major urban centres in Somalia has helped expand its presence in the region of the Horn of Africa."

Les experts sont formels : mis sous pression, les extrémistes ont su s’adapter pour adopter une stratégie fondée sur « une économie d’effort » tout en faisant preuve de « plus d’audaces dans ses opérations en s’attachant davantage à exporter sa violence au-delà̀ des frontières de la Somalie ». Le rapport de 2014 d’évoquer une « stratégie régionale » de la part d’un groupe « renaissant, suffisamment ferme pour s’aligner sur les stratégies des opérations transnationales d’Al-Qaïda et les mettre en œuvre, comme l’a prouvé sa capacité́ de lancer des attaques complexes et spectaculaires de grande envergure ». L’assaut du Westgate serait la preuve ultime que les shebabs ont appris les « ficelles du métier ».

Experts are formal: the extremists, who are under pressure, have been capable of adapting themselves and adopting a strategy based on "an economy of effort" while revealing themselves to be "increasingly daring in their operations by focusing more on exporting violence beyond the borders of Somalia." The 2014 report referred to a "regional strategy" developed by a "resurgent" group, which was "sufficiently tough to align itself and its activities with Al-Qaeda’s strategies of transnational operations, as proven by its ability to launch complex, spectacular and large-scale attacks". The Westgate assault is the ultimate proof that Al-Shabaab has learned the "tricks of the trade".


Les différents assassinats ciblés n’auraient euxmêmes pas eu l’effet escompté. Ce dont témoigne anonymement une source de renseignements de haut niveau dans la région pour qui « les cadres moyens du mouvement, très mal connus, sont si nombreux et idéologiquement motivés que l’organisation n’a aucun mal à remplacer les chefs assassinés ». Collecte d’informations, infiltration et attaques asymétriques, le groupe de contrôle présente les radicaux somaliens comme une force de déstabilisation aux bases arrières solidement établies. Des combattants doublés de véritables agents secrets, capables « d’induire en erreur » les services de renseignement étrangers au sujet de leur cible tout en exploitant à des fins propagandistes les opérations antiterroristes. Une présentation aux antipodes de la bande de débraillés, poseurs de bombes, dépeinte parfois. Alors, oui, véritablement, dans la lutte contre les shebabs, tout n’est pas aussi simple que le prétendent Barack Obama et ses alliés… Rapport du Groupe de contrôle pour la Somalie et l’Érythrée présenté conformément à la résolution 2111 (2013) du Conseil de sécurité (10 octobre 2014) Rapport du Groupe de contrôle pour la Somalie et l’Érythrée en application de la résolution 2182 (2014) du Conseil de sécurité (22 septembre 2015)

The various targeted assassinations themselves did not, apparently, achieve the desired effect. As states an anonymous source of high-level information in the area for whom "the largely unknown members of the movement’s middle management are so numerous and ideologically motivated that the organization has no trouble in replacing the leaders who have been killed". Information gathering, infiltration and asymmetric attacks… the monitoring group presents the Somali radicals as a true destabilizing force with sound, well-established rear bases. The fighters are also real secret agents, capable of « misleading » the foreign intelligence services about their target while at the same time using anti-terrorist operations for propaganda purposes. This presentation, as such, is diametrically opposed to the description of slovenly bombers, as they are sometimes portrayed. So, yes, indeed: in the fight against Shabaab, not everything is as simple as Barack Obama and his allies claim it to be... Translation from French Susan Allen Maurin

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Report of the Somalia and Eritrea Monitoring Group pursuant to Security Council resolution 2111 (2013) (10th October 2014)

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Report of the Somalia and Eritrea Monitoring Group pursuant to Security Council resolution 2182 (2014) (22nd September 2015)

A STRATEGY BASED ON "AN ECONOMY OF EFFORT"

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par John Harrison

© hdptcar

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AU-DELÀ DES BLESSURES PHYSIQUES ET PSYCHOLOGIQUES, LA POLITIQUE DE LA TERREUR ET LES ATTAQUES TERRORISTES RÉPÉTÉES ENTRAINENT DES GRAVES CONSÉQUENCES À LONG TERME SUR LES POPULATIONS, LES TERRITOIRES OU ENCORE SUR L’ÉCONOMIE DES PAYS TOUCHÉS. DÉPLACEMENTS DE POPULATIONS FUYANT LA VIOLENCE DES GROUPES TERRORISTES, FAMINE, ÉDUCATION LAMINÉE PAR LES FERMETURES D’ÉCOLES, ÉCONOMIE RAVAGÉE PAR LES ATTAQUES RÉPÉTÉES OU HAUSSE DE L’INSÉCURITÉ ET DES TRAFICS, LES MAUX SONT NOMBREUX ET LES CICATRICES PROFONDES.

IN ADDITION TO PHYSICAL AND PSYCHOLOGICAL TRAUMA, THE POLICY OF TERROR AND REPEATED TERRORIST ATTACKS ENTAIL SERIOUS LONG-TERM CONSEQUENCES FOR THE POPULATIONS, TERRITORIES AND ECONOMIES OF THE COUNTRIES AFFECTED. DISPLACED POPULATIONS FLEEING TERRORIST VIOLENCE, FAMINE, EDUCATION SHATTERED BY SCHOOL CLOSURES, ECONOMY RAVAGED BY REPEATED ATTACKS AND INCREASED INSECURITY AND TRAFFICKING, THE WOUNDS ARE MANY AND THE SCARS DEEP.

Difficile de chiffrer avec précision le nombre de réfugiés en Afrique qui cherchent à fuir le terrorisme. Rien que pour le pourtour du lac Tchad, cible récurrente de Boko Haram, le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) estime à 1,7 million le nombre de déplacés et de réfugiés, dont 1,4 pour le seul Nigeria. Depuis 2009, on estime à plus de 2 millions le nombre de Nigérians qui ont fui leur foyer. À l’intérieur d’un pays ou d’un continent, ces déplacements massifs de population déséquilibrent des régions entières, obligées de s’organiser pour gérer l’accueil de milliers voire de millions d’arrivants. La famine, déjà très inquiétante à cause de la sécheresse accentuée par le phénomène El Niño, serait fortement aggravée par le terrorisme. En effet, pas sûr que l’aide humanitaire parvienne à être acheminée dans ces régions sous contrôle de Boko Haram. Ni que le personnel d’associations humanitaires veuille s’aventurer dans ces zones à haut risque. Pour Laurent Bossard, directeur du secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, « crise sécuritaire et crise alimentaire font cause commune » pour fragiliser la situation de millions d’Africains de l’Ouest, car « elles se nourrissent mutuellement ».

It’s hard to tally accurately the number of refugees in Africa trying to flee terrorism. In the vicinity of Lake Chad alone, a recurring target of Boko Haram, the United Nations Refugee Agency estimates 1.7 million displaced and refugees, 1.4 million of them in Nigeria alone. Since 2009, an estimated 2 million Nigerians have fled their homes. In the interior of a country or continent, such massive population displacements unbalance entire regions, forced to make provisions to handle thousands or even millions of arrivals. Famine, already very worrying due to the drought accentuated by the El Niño effect, would be seriously aggravated by terrorism. There would be no certainty that humanitarian aid would even reach its destinations in regions under Boko Haram control. Nor would humanitarian association staff be willing to brave such high-risk zones. For Laurent Bossard, Sahel and West Africa Club Secretariat Director, "the security crisis and food crisis are joining forces" to imperil millions of West Africans as "they feed on each other".


La situation est similaire en Somalie et au Kenya, où les shebabs mènent une politique de la terreur et un conflit avec l’État islamique. Un rapport de l’ONU du Groupe de contrôle pour la Somalie et l’Érythrée précise que les deux tiers des 855 000 personnes nécessitant une aide humanitaire dans cette zone sont des déplacés. Pour affirmer leur autorité, les shebabs gênent par tous les moyens l’aide humanitaire, usant de la violence ou de la destruction même des denrées. Le rapport nous apprend qu’ils ont édifiés « des barrages sur les itinéraires de ravitaillement ou dans les villes stratégiques pour empêcher la livraison des marchandises ». Mais le rapport cible d’autres raisons empêchant le bon déroulement des opérations humanitaires : « les obstacles bureaucratiques, (…) la recherche de nouveaux profits (et) le blocage (ou) le détournement et le vol pur et simple » des aides par des fonctionnaires, du personnel d’ONG locales ou des entreprises extérieures.

The situation is similar in Somalia and Kenya, where the shabaabs are operating a policy of terror and of conflict with Islamic State. A UN Monitoring Group report on Somalia and Eritrea states that two-thirds of the 855,000 people needing humanitarian aid in this region are displaced persons. To establish their authority, the shabaabs are doing everything possible to disrupt humanitarian aid, using violence and even destroying the food supplies sent. The report reveals that they’ve built "roadblocks along supply routes or in strategic villages to prevent the goods from being delivered." But the reports also targets other reasons preventing humanitarian operations from succeeding: "Bureaucratic obstacles... the search for new profits, blocking, misappropriation and outright theft" of aid by local officials, local NGO staff, or foreign companies.

QUAND AQMI ASSURE LES CONVOIS DE DROGUE Par une sorte d’ironique cercle vicieux, l’insécurité née des attaques répétées des terroristes, engendre un autre type d’insécurité : la hausse des trafics. C’est bien connu, l’argent n’a pas d’odeur, même l’argent sale. Une agence gouvernementale des États-Unis a révélé il y a un an une relation entre les narcotrafiquants sud-américains et les membres d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Depuis 2010, les deux groupes se rencontreraient régulièrement. Le but ? Sécuriser par les djihadistes les passages de convois de cocaïne et de cannabis sur les côtes ouest africaines. Ce convoi a d’ailleurs un petit surnom : « l’autoroute A10 » car il suit le 10e parallèle entre la Colombie et l’Afrique. Les narcotrafiquants profitent des moyens des terroristes, de la vulnérabilité des États à mener efficacement des contrôles et ont un accès facilité vers l’Europe. Les djihadistes ont quant à eux un intérêt pécuniaire. Mathieu Guidère, spécialiste en géopolitique et en histoire immédiate du monde arabe et musulman, précise que « les trafiquants de drogues payent aux mouvements islamistes radicaux un droit de passage représentant 10 % de la valeur totale de la cargaison. Certains groupes armés « facturent » plus pour garantir la protection du convoi ».

CRISE SÉCURITAIRE ET CRISE ALIMENTAIRE SE NOURRISSENT MUTUELLEMENT

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LES ÉCOLES : LA CIBLE DE BOKO HARAM Autre conséquence du terrorisme, plus vicieuse, car aux effets sociaux considérables sur le long terme : la disparition progressive de l’éducation. L’école est la cible privilégiée de Boko Haram, dont le nom signifie « l’éducation occidentale est interdite (ou un péché selon les traductions) » en haoussa, première langue du nord du Nigeria. Selon l’UNICEF, dans le nord-est du pays, particulièrement touché par le groupe terroriste, plus d’un million d’enfants ont vu leur scolarité interrompue. Dans les médias, la mobilisation et l’indignation internationales se sont focalisées sur l’enlèvement des 276 lycéennes à Chibok en avril 2014. Par ailleurs, plus de 2 000 écoles ont dû fermer leurs grilles à la suite de violences terroristes. À cela s’ajoutent des centaines d’établissements attaqués, pillés, détruits ou incendiés et plus de 600 enseignants tués, toujours selon l’UNICEF. Malgré les actions sur place de l’organisation et de l’armée pour le retour à l’école des enfants, les établissements manquent de moyens, les classes sont surchargées et servent souvent d’accueil aux réfugiés. Alors que dans les zones dites « sûres », les classes sont vides, car les enfants ont peur d’y aller. Cette déscolarisation est un cercle vicieux car, selon Manuel Fontaine, directeur régional de l’UNICEF pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, « plus les enfants restent déscolarisés, plus ils ont de risques d’être victimes d’abus et d’être recrutés par des groupes armés ».

PLUS DE 2 000 ÉCOLES ONT DÛ FERMER LEURS GRILLES À LA SUITE DE VIOLENCES TERRORISTES

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SCHOOLS: BOKO HARAM’S TARGET Another consequence of terrorism, more vicious because of its considerable long-term social effects is the gradual disappearance of education. Schools are Boko Haram’s priority target – it’s very name means "Western education is banned" or "...is a sin" depending on the translation – in Hausa, the predominant language of Northern Nigeria. According to UNICEF, in the northwest of the country, particularly impacted by the terrorist group, more than a million children have had their schooling interrupted. In the media, international mobilization and indignation had focused on the kidnapping of 276 schoolgirls in Chibok in April 2014. Add to that the hundreds of establish38

ments attacked, pillaged, destroyed or burned down and more than 600 pupils killed, according to UNICEF. Despite local action by the UN and the army to get children back to school, the establishments lack the means, classes are overloaded and are often being used as refugee reception centres. Although in so-called “safe” zones, classes lie empty as the children are scared to go to school. This deschooling is a vicious circle as, according to Manuel Fontaine, UNICEF regional director for West and Central Africa, "the more that children are deprived of schooling, the more they are at risk of being victims of abuse and of being recruited by armed groups.”


Le terrorisme touche les États là où ça fait mal. La Tunisie en a fait l’amère expérience le 26 juin dernier et le tourisme, un des piliers de son économie, en a fait les frais. L’attentat de Sousse (38 morts) a entraîné des milliers d’annulation de séjours. La ministre tunisienne du Tourisme évalue l’impact économique à 450 millions d’euros minimum. Salma Elloumi Rekik nous confiait d’ailleurs récemment « une baisse de 50 % des touristes européens », avec des répercussions sur d’autres secteurs d’activités, comme « l’artisanat par exemple, (qui) emploie 360 000 personnes (…) Ces gens ont subi de plein fouet les effets de cette situation » (voir p. 84). Deux mois avant la Tunisie, c’est le Kenya et l’université de Garissa qui étaient frappés par des djihadistes shebabs. Conséquence : les parcs animaliers se sont vidés de leurs touristes et de leurs devises si précieuses pour l’économie nationale. Au-delà du tourisme, l’économie est touchée avec les destructions d’infrastructures et d’immeubles, qui induisent des coûts de déblaiement et de reconstruction. La baisse de confiance que connaissent les pays touchés a un lien sur les investissements directs étrangers, et si la confiance se perd très vite, elle met beaucoup de temps à se (re)gagner. Après chaque attentat au Mali, au Cameroun ou au Nigeria, les magasins baissent le rideau ou se vident de clients, et c’est la consommation (et la croissance) qui est en berne pour quelques jours. Autre aspect qui impacte directement les caisses des États africains : la lutte contre le terrorisme. Cette guerre a un coût élevé, en soldats, en personnel de sécurité et en moyens logistiques. Autant d’argent qui n’est pas injecté dans d’autres secteurs et leviers de développement.

WHEN AQIM GUARANTEES DRUG CONVOYS GET THROUGH By a kind of ironic vicious circle, the insecurity borne of repeated terrorist attacks is creating another type of insecurity: an increase in trafficking. It’s well known that money has no smell, even dirty money. A United States government agency revealed one year ago a link between South American drug traffickers and the members of Al-Qaeda in Islamic Maghreb (AQIM). The two groups have been meeting regularly since 2010. Why? For the jihadists to give the traffickers’ cocaine and cannabis shipments safe passage on the West African coast. This convoy by the way has a cute nickname: "the A10 highway" as it follows the 10th parallel from Colombia to Africa. The drug traffickers benefit from the terrorists’ resources, the inability of States to maintain effective controls, and from the resulting easier access to Europe. The jihadists, for their part, are interested in the money. According to Mathieu Guidère, a specialist in geopolitics and the immediate history of the Arab and Muslim world, "drug traffickers are paying radical Islamic movements a safe-passage royalty amounting to 10% of the total value of the cargo. Some armed groups ‘invoice’ more to protect the convoy."

Terrorism hits States precisely where it will do the most harm. Tunisia had a bitter experience last year on June 26, with tourism, one of the pillars of its economy, paying the price. The attack at Sousse (38 dead) led to thousands of holidays being cancelled. Tunisia’s Minister of Tourism assessed its economic impact at 450 million euros, minimum. Salma Elloumi Rekik also recently confided : "European tourism fell by 50%" with repercussions on other business sectors such as "our craft and artisan industry, which employs 360,000 people... They’ve borne the brunt of the effects of this situation" (see p. 84). Two months before Tunisia, it was Kenya and Garissa University that were hit by jihadist shebaabs. The consequence: zoos quickly emptied of tourists and their foreign currency so valuable to the national economy. Not just tourism, but the entire economy is impacted by the destruction of infrastructure and buildings, entailing massive clearance and rebuilding costs. The shattering of confidence within affected countries has an impact on direct foreign investment, and if that confidence suddenly plummets, it takes a long time to re-establish itself. After every attack in Mali, Cameroon or Nigeria, stores drew their shutters or saw customers disappear, and consumption (and growth) was sluggish for days. Another aspect that directly impacts the pockets of East Africans is the fight against terrorism. This fight is expensive, in terms of soldiers, security staff, and logistics. All of it is money not being injected into other sectors and development drivers. Translation from French Linkin'men Ltd 39


par Hervé Pugi

© NATO

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PENDANT QUE LES PUISSANCES OCCIDENTALES TENTENT DE TRAITER LE MAL EN IRAK ET EN SYRIE À COUP DE BOMBES, LE CANCER DAECH EST EN TRAIN DE MÉTASTASER DU CÔTÉ DE LA LIBYE. ENCORE CONTENUE, LA TUMEUR TERRORISTE RÉCLAME DE TOUTE URGENCE UN REMÈDE APPROPRIÉ, SOUS PEINE DE VOIR CE PAYS DÉPÉRIR UN PEU PLUS ENCORE. NOUS SOMMES ALLÉS À LA RENCONTRE DE JEUNES LIBYENS.

WHILE WESTERN POWERS ATTEMPT TO FIGHT EVIL IN IRAQ AND SYRIA WITH BOMBS, THE DAESH CANCER IS SPREADING TO LIBYA. AND ALTHOUGH STILL CONTAINED, THIS TERRORIST TUMOUR CALLS URGENTLY FOR AN APPROPRIATE REMEDY BEFORE THE COUNTRY WASTES AWAY FURTHER. WE’VE GONE TO MEET YOUNG LIBYANS

« La situation se dégrade clairement. Daech gagne en nombre aussi bien qu’en puissance. » Voilà les faits tels qu’ils sont perçus par une ancienne journaliste qui n’a rien perdu de ses réflexes professionnels. Fatim R. précise : « Tout le monde est inquiet, les Libyens comme les étrangers encore présents dans le pays. Personne ne tient à voir sa ville se transformer en une nouvelle Syrte. Près de 700 familles ont pris la fuite et toutes vivent désormais dans une grande misère. Ils considèrent toutefois que c’était la meilleure décision à prendre. » Pourtant, celle qui est aujourd’hui attachée à une administration tient à mettre les choses au clair : « Les membres de Daech ? Ce ne sont pas de vrais islamistes, pas plus que des partisans de Kadhafi et de sa famille comme on l’entend parfois. Ce sont principalement des étrangers : des Soudanais, des Tunisiens, des Yéménites, des Nigérians, des Éthiopiens… Il y aussi quelques Libyens, bien entendu, qui suivent l’État islamique soit pour l’argent soit parce qu’ils se sont fait laver le cerveau dans les mosquées de Syrte ou dans quelquesunes de Tripoli. »

"It’s obviously getting worse. Daesh is gaining people as well as power."These are just some of the perceptions gathered by a former journalist who still has all his journalistic instincts intact. Fatim R. says: "Everyone’s worried, the Libyans as well as the foreigners still in our country. No one wants to see their town turned into a new Sirte. Almost 700 families have fled and they are all now living in deep poverty. Despite which, they say it’s the best choice they could have made." Nonetheless, the now civil servant wants to set the record straight: "The members of Daesh? They’re not real Islamists, nor can they be seen as partisans of Gaddafi and of his family as it’s sometimes said. They’re mainly foreigners: Sudanese, Tunisians, Yemenis, Nigerians, Ethiopians... There are also Libyans, of course, who follow Islamic State either for money or because they’ve been brainwashed in the mosques of Sirte or Tripoli."


Au niveau des responsabilités, son camarade Mohamed F. ne manque pas pour sa part de pointer du doigt « le conflit en cours entre les gouvernements de Tripoli et de Tobrouk » qui a permis à Daech « de s’installer et de croître ». Le tout en bénéficiant d’alliances, notamment du côté de Benghazi, avec certaines factions de l’opération Aube de Libye. Une union de circonstance contre un ennemi commun : l’Armée nationale libyenne conduite par le général Haftar. Pour autant, Mohamed estime que les autorités post-révolution ont sous-estimé le problème alors qu’il n’était encore qu’un épiphénomène : « Le gouvernement a alors rejeté l’idée même de l’existence de Daech sur le sol libyen, explique agacé le trentenaire, il a prétexté que c’était là une ‘invention’ d’Aube de Libye. Un piège visant à éloigner ses forces loin de Tripoli pour pouvoir s’emparer de la capitale ». Une erreur de jugement ainsi qu’un sentiment de défiance que l’ensemble des Libyens paie chèrement aujourd’hui.

As for responsibility, his friend Mohamed F. isn’t slow at pointing the finger: "The present conflict between the Tripoli and Tobruk governments" is what has allowed Daesh "to take hold and grow." All with their own alliances, especially on the Benghazi side, with certain factions of Operation Libya Dawn. A coalition of convenience against a common enemy: The Libyan National Army led by General Haftar. Nonetheless, he believes the postrevolution authorities underestimated the problem when it was just an epiphenomenon: "The government had rejected the very idea of the existence of Daesh on Libyan soil," says the thirty-year-old irritatedly, "it claimed it was an ‘invention’ of Libya Dawn. A trap to keep its forces far away from Tripoli and to be able to seize the capital." An error of judgment and show of defiance that all Libyans are paying dearly for today.

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De même, les pays de la communauté internationale impliqués dans la chute du régime de Kadhafi n’échappent pas à la critique. Pour Ziad L., agent dans une mission diplomatique, aucun doute, « les puissances occidentales auraient dû mettre sur pied un gouvernement d’union nationale dès 2011 avec l’appui d’une puissante aide militaire sur le terrain ». Ce Tripolitain pure souche l’affirme haut et fort : « Les élections de 2012 étaient une grosse erreur. Le pays sortait d’une révolution, l’instabilité prédominait, nous faisions face à une multitude de groupes armés hors de tout contrôle, ce n’était pas le bon moment. » De toute évidence, la coalition internationale a fait preuve d’une impardonnable légèreté dans la finalisation du dossier libyen. « Il aurait fallu désarmer ces factions, créer une puissante force armée et que les étrangers assurent - au moins temporairement - la sécurisation de la Libye », renchérit ce diplômé qui réfute pour l’heure toute idée d’exil.

Reste maintenant à rattraper les errements d’un passé encore bien présent. Warda S. ne voit qu’une seule solution : « Une intervention militaire étrangère, comme en 2011. Même si ce ne sont que des frappes aériennes en coordination avec de sérieuses opérations sur le terrain conduites par des forces libyennes. » Bien que cette infirmière de formation avoue « ne pas être généralement convaincue par ce genre de pratique. Surtout lorsqu’il s’agit de lutter contre des terroristes. Je crains toutefois qu’il n’y ait guère d’autre solution pour retrouver une certaine stabilité ». Alarmiste ou simplement réaliste, elle soutient qu'il faut agir maintenant… « si ce n’est pas déjà trop tard ! La lutte contre le terrorisme est malheureusement devenue la priorité pour la Libye. À trop tarder, le pays finira par s’effondrer ! » 42

© Jerome Starkey

Likewise, the countries of the international community involved in the fall of Gaddafi’s regime don’t escape criticism. For Ziad L., a diplomatic agent of a mission, there is no doubt: "The Western powers should have set up a national union government in 2011 underpinned by a powerful military presence on the ground." This pure nativeborn Tripolitan who works at a diplomatic mission, says loud and clear: "The 2012 elections were a big mistake. The country was just coming out of revolution, instability was rife, we were faced with a multitude of armed groups totally out of control, it wasn’t the right time." Clearly, the international coalition showed unforgivable casualness in finalizing the Libyan issue. "It should have disarmed the factions, created a powerful armed force and – at least temporarily – ensured Libya’s safety and security" insists this diplomat who for the time being rejects any thought of exile. We now need to make up for the errors of the past that are still very with us today. Warda S. sees only one solution: "Foreign military intervention, like in 2011. Even if only air strikes, coordinated with major ground operations led by Libyan forces." Although this nurse by training says she is "not generally convinced this type of thing works, what’s most important is to fight the terrorists. I’m afraid there’s hardly any other solution to achieve stability." Alarmist or simply realist, she insists: we have to act now... "if it’s not already too late. Fighting terrorism has unfortunately become the priority for Libya. Much more delay and the country will end up collapsing." Translation from French Linkin'men Ltd


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© Jerome Starkey

BABACAR N’DIAYE « TENIR UN LANGAGE DE VÉRITÉ » "YOU HAVE TO TELL IT LIKE IT IS..."

Selon l'Institute for Economics and Peace, dans son rapport Global Terrorism Index 2014, AQMI, Boko Haram et Al-Shabab figurent dans le top 10 des groupes les plus actifs, violents et meurtriers depuis leur création. Cette indication montre le niveau de dangerosité de ces groupes qui ont déstabilisé des pays et des régions et qui contrôlent des pans entiers de territoires. Depuis quelques années, le continent africain est devenu le centre de gravité du terrorisme mondial.

The Institute for Economics and Peace, in its Global Terrorism Index 2014, ranks AQIM, Boko Haram and Al Shabaab among the Top 10 most active, violent and murderous groups since the index was created. This ranking shows how dangerous these groups are that have destabilized countries and regions and now control entire swathes of territory. For some years, the African continent has become the centre of gravity of global terrorism.

Les moyens colossaux des groupes djihadistes renforcent leur présence et leur capacité de nuisance dans la région sahélienne. Pendant des années, la prise d’otages a représenté pour des mouvances islamistes comme le MUJAO et AQMI l’activité la plus lucrative. « L’industrie de l’enlèvement » a généré des millions de dollars. En 2011, AQMI demandait à la France pour quatre otages enlevés à Arlit dans le nord du Niger la somme faramineuse de 90 millions d’euros ! Le paiement des rançons des premiers otages au Sahel par les Occidentaux a modifié considérablement le rapport de force. Boko Haram, de son côté, a pu constituer un butin de guerre avec de nombreux braquages de banques et le paiement de droits de protection d’hommes politiques et de particuliers fortunés au Nigeria.

The colossal resources of the jihadist groups bolster their presence and their ability to wreak havoc in the Sahel region. For years, hostage-taking has been the most lucrative activity for Islamist movements such as MUJAO and AQIM. The kidnapping industry has generated millions of dollars. In 2011, AQIM demanded from France the phenomenal amount of 90 million euros for four hostages kidnapped in Arlit in northern Niger. The West’s ransom payments for the first hostages in the Sahel considerably altered the balance of power. Boko Haram, for one, has been able to amass a war chest through numerous bank robberies and by extorting protection money from politicians and the wealthy of Nigeria.

BABACAR N’DIAYE EST DIRECTEUR-GÉNÉRAL ADJOINT DU CABINET DE CONSEIL IMPACT AFRICA CONSULTING ET EXPERT SUR LES QUESTIONS DE SÉCURITÉ ET DE TERRORISME EN AFRIQUE. 44

(BABACAR N’DIAYE IS DEPUTY CEO OF IMPACT AFRICA CONSULTING AND AN EXPERT ON SECURITY AND TERRORISM ISSUES IN AFRICA.)


À cela, il faut ajouter les trafics en tout genre auxquels s’adonnent les groupes terroristes. De là émerge une interrogation : que reste-t-il de l’idéologie qui sous-tend l’action des terroristes face à des pratiques qui relèvent plus de la criminalité que du « djihadisme » ? Est-on toujours dans le « terrorisme idéologique » ou dans une forme de « banditisme organisé » ? Il semble que le quotidien de certains groupes islamistes soit devenu celui de réseaux criminels portés sur le blanchiment d’argent, le trafic de cigarettes, d’armes légères, d’essence, de drogue et les filières d’immigration clandestine. Les groupes terroristes, notamment AQMI, ont également su profiter des faiblesses structurelles des États de l’arc sud-sahélien pour s’implanter et agir en toute impunité. Dans plusieurs situations, ils ont pris le relais dans la fourniture de services sociaux de bases aux populations locales. Certaines régions sont en effet marquées par la défaillance des pouvoirs centraux qui se traduit par une absence de politiques publiques dans les espaces éloignés des capitales. Sur le plan de la gouvernance politique, les questions récurrentes de corruption et d’enrichissements illicites ont créé une « dilacération » entre les gouvernants et les populations dans les zones les plus reculées. Le manque d’exemplarité de certains dirigeants de la région dans la gestion des deniers publics est un élément du discours radical transmis à une frange de la jeunesse désœuvrée. Cela renforce un sentiment d’exclusion sociale et donc de repli identitaire. Un profond sentiment d’abandon anime ces populations qui estiment que les élites sont loin de leurs préoccupations quotidiennes.

Add to that all the types of trafficking that terrorist groups are fond of. Which begs a question: What remains of the ideology underpinning the terrorists’ actions in the face of practices more indicative of criminality than jihadism? Is it ideological terrorism or just a form of organized banditry? It seems that the daily work of some Islamic groups has become indistinguishable from that of criminal networks, backed as they are by laundering money, smuggling cigarettes, small arms, fuel and drugs, and running illegal immigration networks. The terrorist groups, AQIM in particular, have managed to take advantage of the structural weaknesses of the States of the southern Sahel to set up base there and operate with total impunity. In many cases, they’ve even taken on the task of providing basic social services for local populations. Some regions, indeed, suffer from a failure of central power, reflected in the absence of public policies in areas remote from their capitals. In terms of governance, the recurring issues of corruption and embezzlement have created a disconnect between governments and populations in the most backward areas. The inability of some regional leaders to set an example in managing the public purse is a talking-point among fringe radicals and unemployed youth. This reinforces the feeling of social exclusion and thus the need to fall back on their own identity. A profound sense of abandonment drives these populations, who feel that their elites are far removed from their everyday concerns.

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La question du développement des États africains se pose donc dans ce contexte de guerre contre le terrorisme. L’émergence ne doit pas être un slogan de campagne. Il faut combler le gap entre les régions en matière de développement à tous les niveaux alors que l’État se doit d’être exemplaire dans la redistribution des richesses et trouver des mécanismes efficaces pour réduire la corruption massive. Sans oublier de mettre en place des politiques publiques qui touchent toutes les zones du pays. La lutte contre le chômage des jeunes est une autre réponse significative face à la menace terroriste.

The question of African development is thus set against the background of a war against terrorism. ”Emergence” has to be more than just a campaign slogan. We need to close the developmental gaps between regions at all levels, and the State must set an example in redistributing wealth and finding effective mechanisms for reducing massive corruption. Not to mention introducing public policies for every part of the country, even the remotest. Combating youth unemployment is another significant response in the face of the terrorist threat. How do you

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A

Comment réduire l’influence des terroristes et les empêcher de recruter auprès de la jeunesse africaine ? Cette problématique doit être un enjeu national pour chaque président africain. Il convient d’apporter les véritables solutions à cette jeunesse qui pourrait être tentée par le discours islamiste. Dans cet environnement, il est devenu aisé de développer un discours radical et de véhiculer une idéologie aux antipodes des préceptes mêmes d’une religion comme l’islam. Il est nécessaire d’affronter les groupes terroristes sur le terrain de l'idéologie et urgent de trouver des voies et moyens pour juguler le phénomène de la radicalisation auprès de cette tranche de la population qui absorbe cette idéologie extrémiste. La lutte contre l'obscurantisme religieux et les discours radicaux doit être une préoccupation dans les systèmes éducatifs des États de la région. 46

reduce the influence of terrorists and prevent them from recruiting African youth? This problem has to be a national issue for every African president. We need to provide real solutions for Africa’s youth, who may be tempted by Islamic rhetoric. In such an environment, it has become easy to develop a radical rhetoric and drive a polarizing ideology that is so at odds with the precepts of a religion like Islam. We need to confront terrorist groups on the ideological field, and urgently find ways and means to curb the phenomenon of radicalism that is splitting the population apart as it absorbs this extremist ideology. The fight against religious obscurantism and radical rhetoric must be forefront in the educational programs of the States in the region.Over the past fifteen years, African


En quinze ans, les pays africains ont dû s’adapter à une menace terroriste devenue permanente. Longtemps considéré comme un danger extérieur au continent, le terrorisme islamiste est devenu la principale source de préoccupation pour les États. La lutte contre le djihadisme a souvent été menée de manière individuelle. La volonté politique de combattre efficacement le terrorisme a même souvent fait défaut à certains États. Il fut aussi un temps où des dirigeants africains ont considéré le problème terroriste comme celui du voisin. Mais la donne a changé avec les événements récents.

countries have had to adapt to the terrorist threat that has now become ongoing. Long considered a foreign threat, nothing to do with the African continent, Islamist terrorism has become the main source of concern for African states. The fight against jihadism has often been waged alone. The political will to fight terrorism effectively has even often failed in some States. There was also a time when African leaders regarded the terrorist problem as their neighbours’ problem. But recent events have changed that. It is important to use the language of truth – tell it like

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Il est important de tenir un langage de vérité aux populations pour accroitre leur niveau de vigilance. Il est fort probable que nous assistions à des attaques terroristes dans des capitales jusqu’ici épargnées. Les autorités étatiques semblent prendre la mesure des choses et c’est déjà un élément positif dans le dispositif sécuritaire. Une bonne coordination et une réponse commune sont les seuls gages d’un succès dans la lutte contre le terrorisme en Afrique. Tous les pays doivent avoir le même niveau d’implication dans les stratégies de lutte contre ce fléau.

it is – for people to up their vigilance. It is highly likely that we’ll be seeing terrorist attacks in capital cities that have been spared so far. State authorities seem to have taken the measure of things, which is an encouraging factor in the security stakes. Good coordination and joint response are the only guarantees of success in the fight against terrorism in Africa. All countries have to have the same level of commitment in the strategies to fight this scourge. Translation from French Linkin'men Ltd 47


by Hervé Pugi

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okhtar Belmokhtar, c’est l’histoire d’un djihadiste propulsé au rang de légende par… ses adversaires. Annoncé mort à de multiples reprises, celui dont la tête est mise à prix (5 millions $) par Washington est aussi dans la ligne de mire de l’État islamique (EI). Une gloire de plus pour celui qui « ne rêve que d’une chose : mourir en martyr ».

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Insaisissable, Mokhtar Belmokhtar l’est assurément. Le cerveau de l’attaque contre le complexe gazier d’In Amenas, dans le sud de l’Algérie en janvier 2013, a déjà connu plusieurs vies. À tout juste 43 ans, « Khaled » fait ses premières armes en Afghanistan en 1991. À défaut de s’illustrer au combat, le natif de Ghardaïa apprend et revient avec la conviction que l’avenir appartient à l’islamisme radical. En 1993, celui qui aura gagné le surnom du « borgne », pour avoir laissé un œil dans son expédition afghane, lance sa katiba et s’impose rapidement comme un chef influent du GIA. Pas le moins barbare non plus. Paradoxalement, le borgne s’avère visionnaire. Dès 1998, il tisse des premiers liens avec un Al-Qaïda perplexe face à la tournure des événements algériens. Belmokhtar l’est tout autant et, combat perdu, commence à lorgner vers d’autres horizons. Pour les services de renseignement occidentaux, il devient une préoccupation permanente : Niger, Mauritanie ou Sénégal, son ombre plane. Un pouvoir de nuisance qui lui donne une place à part, sorte de chien fou, au sein du GSPC, futur Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Transformé en Mister Marlboro par les services algériens, soucieux de le discréditer, c’est dans l’enlèvement d’étrangers que « MBM » se spécialise. Un moyen de financer ses coups d’éclats. Son nouveau terrain de chasse ? Le Mali. Jouant de ses relations et contractant des mariages claniques avantageux, Belmokhtar joue des coudes, quitte à déranger ses partenaires algériens, pour intégrer au sein d’AQMI des leaders islamistes d’Afrique subsaharienne. 48

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okhtar Belmokhtar, a Jihadist turned into a (quasi) legend by... his adversaries. Reported dead many times, Washington has put a 5 million dollar price on his head, and he is in the IS line of fire. All the more glory for someone who "dreams of only one thing: to die a martyr".

No doubt about it, Mokhtar Belmokhtar is hard to catch. The brain of the attack on the In-Amenas gas facility (some 40 dead) in southern Algeria in January 2013, had already led several lives. Now 43 years old, “Khaled” first took up arms in 1991 in Afghanistan. Unable to prove himself in combat, the native of Ghardaïa decided that the future belongs to radical Islamism. In 1993, having earned the moniker “One-Eye” after losing an eye in an expedition in Afghanistan, he launched his own katiba guerilla band, swiftly establishing himself as an influential leader of the armed Islamic group. And no less barbarous for all that. Paradoxically, however, the one-eyed proved himself a visionary. In 1998, perplexed by the turn of events in Algeria, he began forging links with Al-Qaeda. The battle lost, Belmokhtar began to long for new horizons. For Western intelligence services, he became an obsession: Niger, Mauritania and Senegal – his shadow fell far and wide. With a power to do harm that sets him apart, a kind of mad dog in the midst of the Salafist Group for Call and Combat (GSPC), the future Islamic Maghreb Al-Qaeda (AQIM). Turned into Marlboro Man by Algerian intelligence services keen on discrediting him, “MBM” specialized in kidnapping foreigners, one way of funding his destiny... His latest hunting ground? Mali. Using his relations and setting up advantageous clan marriages, Belmokhtar is rubbing shoulders, even if it means hitting on his Algerian partners, so as to enroll leading Sub-Saharan Islamists into AQIM.


Stratège d’une rare intelligence, la personnalité de Khaled Abou Al-Abbas, son nom de guerre, divise dans ses propres rangs. La rupture est consommée fin 2012. Belmokhtar fonde son propre groupe, « Les Signataires par le sang », devenu Al-Mourabitoune après sa fusion avec les Maliens du MUJAO. Au Mali, sa garde rapprochée tombe sous les balles, victime d’une campagne d’élimination ciblée. Tous sauf lui qui, depuis la Libye, a réitéré son allégeance à Al-Qaïda alors qu’un cadre d’Al-Mourabitoune avait pris l’initiative de se tourner vers l’EI. Une rivalité qui franchit un nouveau cap avec la publication par Daech, en été 2015, d’un avis de recherche à l’encontre de celui qui s’est entre-temps autoproclamé chef d'Al-Qaïda en Afrique de l'Ouest et rallié… AQMI.

© zabielin

With his rare strategic intelligence, the personality of Khaled Abou Al-Abbas, his nom de guerre, is hard to pin down. The break came in late 2012. Belmokhtar formed his own group, "Les Signataires par le Sang" [Blood Brothers], which became Al-Mourabitoune after its merger with Malians from Mujao. In Mali, his bodyguards were shot, victims of a targeted hit. Since Derna, everyone but Belmokhtar has reiterated their allegiance to Al-Qaeda while a certain section of Al-Mourabitoune has on its own initiative turned to IS. A rivalry that sets a new game plan, with the publication by IS in summer 2015 of a Wanted Notice for the person who in the meantime was the self-proclaimed head of Al-Qaeda in West Africa and had formed the AQIM. Translation from French Linkin'men Ltd 49


A day in Timbuktu

© Aljaz

by John Harrison

En ce 14 février, la vie à Tombouctou a retrouvé son calme. Une quiétude toutefois privée de toute sérénité. Yeni et Rashidi ont décidé de ne pas fêter leur 15e anniversaire de vie commune. Pas d’humeur. De toutes façons, plus personne ne célèbre grand-chose depuis l’arrivée des fanatiques, il y a un an. Comme souvent, les rues sont désertes. Seules les forces de police et de surveillance du califat (FPSC) patrouillent sur les pistes sableuses entre les habitations. Journée ordinaire dans la ville, métamorphosée, aux 333 saints. Comme chaque jour, Yeni décide de se rendre à pied à l’école coranique, pour essayer de voir son fils, même quelques instants. Elle profite de notre présence masculine pour sortir, les femmes seules ne sont pas autorisées à se promener dans la rue. Son hijab mal ajusté laisse entrevoir quelques mèches de cheveux. Aussitôt réprimandée par les membres du FPSC, quelques coups de bâton s’abattent sur sa chair déjà endolorie pour ce manquement à une obligation coranique… selon eux. Yeni souffre en silence, une nouvelle fois, mais laisse échapper quelques larmes. « Les femmes et les enfants sont les premières victimes de l’État islamique (EI). Les islamistes font une fixation sur nos vêtements, nos voiles qui doivent toujours en cacher davantage. Depuis que l’EI a débarqué, des femmes ont disparu, d’autres restent cloîtrées chez elles, toutes ont perdu le sourire », murmure prudemment la mère de famille en continuant sa route.

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It’s February 14 and life in Timbuktu is calm again. A stillness far from serene, though. Yeni and Rashidi have decided not to celebrate their 15th anniversary together. They’re not in the mood. In any case, no one celebrates anything much any more since the fanatics arrived a year ago. The streets are deserted, as they often are. Only the Caliphate police and surveillance forces (FPSC) patrol the sandy trails between habitations. An ordinary day in the city, utterly transformed, once known as the city of 333 saints. Like every day, Yeni decides to walk to the Koranic school, to try to see her son, even if only fleetingly. She takes advantage of us males being with her to go out, as women aren’t allowed to walk down the street alone. Her hijab, slightly askew, leaves a few strands of hair visible. Immediately reprimanded by members of the FPSC, a few strokes of the cane onto already aching flesh for this transgression of Koranic law... according to them. Yeni suffers in silence, yet again, but lets a few tears escape. "Women and children are the first victims of Islamic State (IS). The Islamists are obsessed about our clothing, our veils that always have to hide everything. Since ISIS arrived, the women have disappeared, others remain cloistered at home, everyone has stopped smiling," murmurs this mother, prudently under her breath, continuing on her way.


Elle parvient finalement face aux ruines de la grande mosquée Djingareyber, autrefois connue et reconnue pour sa grandeur et son architecture. Tombée lors des bombardements et des combats contre la coalition, sa disparition a ému le monde entier. Des célèbres manuscrits qu’elle abritait, il ne reste qu’un Coran du XIIIe siècle, écrit sur un parchemin en peau de gazelle. Tout le reste a été brûlé par les islamistes. Tout comme ont été détruits les 16 mausolées qui accueillent les sépultures d’une partie des 333 saints de la ville, remparts symboliques de la cité.

PLUS DE 400 ENFANTS PRENNENT DES COURS SUR LE MANIEMENT DES ARMES COMME SUR L’IDÉOLOGIE SALAFISTE

La quadragénaire attend devant la grille de la madrasa, ouverte il y a quatre mois. En fait, il s’agit davantage d’un camp de Daech pour former les futurs soldats. Plus de 400 enfants prennent des cours sur le maniement des armes comme sur l’idéologie salafiste. « Avant, ici, il y avait un des plus grands lycées du Mali. Ceux qui y passaient devenaient ensuite les meilleurs ingénieurs, les meilleurs professeurs du pays. Ils sont tous partis vers l’Europe, avant l’arrivée des islamistes. Maintenant, c’est devenu comme une prison pour enfants », commente Yeni. Elle demande en vain à voir son fils de 12 ans, Danjuma. « C’est le seul enfant qu’il me reste. Il y a deux ans, les terroristes ont enlevé ma fille de 15 ans, Basma. Depuis, plus de nouvelles, mais je ne me fais guère d’illusions… » Enlevées, violées puis revendues sur les marchés, le sort des jeunes femmes dans le pays est désastreux. Les chefs se réservent le droit de garder les plus belles.

© Emilio Labrador

She finally arrives at the ruins of the great mosque Djingareyber, once known and recognized for its grandeur and its architecture. Destroyed in the bombings and fighting against the coalition, its disappearance moved the whole world. Of the famous manuscripts that it housed, only one 13th century Koran remains, written on gazelle parchment. All the rest were burned by the Islamists. Just like the 16 mausoleums were destroyed that housed the sepulchres of some of Timbuktu’s 333 saints, ramparts symbolic of the city.

© UN photo

The forty-year-old waits by the front gate of the Madrasa, opened four months ago. It’s actually a Daesh training camp for future soldiers. Over 400 children take courses in handling weapons and in Salafist ideology. "This used to be one of the biggest high schools in Mali. Its graduates became the best engineers, the best teachers in the country. They all went to Europe, before the arrival of the Islamists. Now, it’s become a prison for children," says Yeni. She asks in vain to see her 12-yearold son, Danjuma. "It’s the only child I have left. Two years ago, the terrorists took away my 15-year-old daughter, Basma. Since then, no news, but I have no illusions…" Abducted, raped then sold on the markets, the fate of young women in this country is disastrous. The chiefs reserve the right to keep the prettiest for themselves. 51


Sur le chemin du retour, Yeni aperçoit un attroupement, à deux pas de la toute nouvelle Banque centrale islamique (BCI) censée produire les pièces de monnaie de l’EI – le « dinar d’or » – les billets n’ayant aucune valeur, ils servent au commerce parallèle ou aux trafics avec les étrangers. Une trentaine de badauds ont l’obligation de regarder la décapitation d’un kâfir, un mécréant, un chiite cette fois, décidée par le Conseil de la charia et validée par le comité pour l’encouragement de la vertu et la prévention du vice. Les décisions de justice appliquées publiquement (décapitation, lapidation, crucifixion, etc.) sont quasi-quotidiennes et maintiennent la population dans la peur. « Cette application stricte de ‘leur’ charia me répugne », ose susurrer Yeni en hâtant le pas. De retour à la maison, l’ancienne boulangère raconte ses déboires à son mari, Rashidi, employé la semaine au service de ramassage des ordures. Voyant le dos lacéré de sa femme, il explose, en serrant les dents : « C’est de pire en pire. Au début, ils ont tout fait pour qu’on ne prenne pas peur. Pour nous amadouer, ils ont organisé des distributions de ballons de foot et des concours de récitation du Coran. Ils disaient avoir des projets pour soutenir l’économie locale. Certains étaient même soulagés, pensant naïvement que leur situation allait s’améliorer. On paye toujours nos impôts, mais directement à l’EI, on a toujours de l’eau, de l’électricité, des banques, une Poste… Pourtant, rien ne change sinon les mentalités.»

LES UNIVERSITAIRES, LES INGÉNIEURS, LES ÉRUDITS, LES INTELLECTUELS, TOUS ONT FUI LE MALI

© ANKE

On the way back home, Yani spots a crowd, next to the brand new Islamic Central Bank (ICB) set up to produce IS coins – “gold dinars”. As paper money is now valueless, they are used for parallel trade and traffic with foreigners. Some thirty onlookers are forced to watch the beheading of a kafir, an infidel, a Shiite this time, sentenced by the Sharia Council and approved by the Committee for the Promotion of Virtue and the Prevention of Vice. Publicly enforced sentences (beheading, stoning, crucifixion, etc.) are almost daily events and keep the population in a state of fear. "This strict application of ‘their’ Sharia revolts me," whispers Yeni picking up her pace. Once back home, the former baker recounts her woes to her husband, Rashidi, employed as a garbage collector. Seeing his wife’s lacerated back, he explodes, gritting his teeth: "It’s going from worse to worse. At first, they did everything they could to allay fears. To appease us, they handed out footballs and organized Koran recital competitions. They said they had projects to support the local economy. Some people were even relieved, naively thinking that their situation would improve. We still pay our taxes, but directly to IS now, we still have water, electricity, banks, a post office... Nothing’s changed, apart from the mentality." 52


Les habitants de Tombouctou ont vite déchanté. Boko Haram, en s’alliant avec Daech pour la conquête du pays, a obtenu la fermeture de toutes les écoles. Les universitaires, les ingénieurs, les érudits, les intellectuels, tous ont fui le Mali. « Je ne conseille à personne de tomber malade ! Les médecins ont disparu, ironise Rashidi. Les chantiers sont au point mort. À son arrivée, l’EI avait commencé à construire des routes. Mais sans ingénieur pas facile ». Sans argent non plus d’ailleurs. Depuis la proclamation du califat, un embargo international a été décrété sur tous les produits : pétrole, hydrocarbures, production agricole… L’EI est exsangue et survit, un peu, en commerçant avec les pays peu regardants et, surtout, grâce à son « butin de guerre » : la saisie des avoirs des territoires envahis et la revente (illégale) d’œuvres d’art et archéologiques pillées lors des combats. « Ce n’est pas une question d’argent, conclut Rashidi. L’EI a supprimé la musique, il a détruit la culture, il a tué tout plaisir. Franchement, vous avez déjà vu un membre de l’EI sourire ? Oui, quand il assassine… Entre nous, nous nous posons la question : qu’allons-nous devenir ? En 2016, la coalition internationale n’a pas bougé pour intervenir en Libye, alors que Daech menaçait. Aujourd’hui, c’est trop tard… ». Voilà une fiction inspirée de faits malheureusement bien réels mais c’est surtout déjà là le quotidien de tant des gens. Pas seulement en Syrie ou en Irak…

en

© Jurg

The inhabitants of Timbuktu soon became disenchanted. Boko Haram, by allying with Daesh to conquer the country, succeeded in closing all the schools. Academics, engineers, scientists, scholars, intellectuals, they all fled Mali. "I wouldn’t advise anyone to get sick... The doctors have all disappeared,” smirks Rashidi. Construction is dead. When IS arrived, they started building roads. But with no engineers…" And no money either. Since the proclamation of the Caliphate, an international embargo was imposed on all products: petrol, hydrocarbons, agricultural production... IS is bled dry but surviving, marginally, by trading with less than scrupulous countries and, mostly, by claiming the “spoils of war”: seizing the assets of the invaded territories and (illegally) selling works of art and architectural artefacts plundered during the fighting. "It’s not a question of money, says Rashidi. IS has banned music, destroyed the culture, killed off all pleasure. Be honest, have you ever seen a member of IS smile? Oh yes, when he’s assassinating someone... Between you and me, we have to ask the question: what will become of us? In 2016, the international coalition hasn’t budged to intervene in Libya, although Daesh was threatening it. Now, it’s too late...” This is a fictional account inspired by facts that are unfortunately all too real and already the daily lot of so many people. Not only in Syria and Iraq.… © MINUSMA

Translation from French Linkin'men Ltd 53


By Sandra Wolmer

I

I Y A UN AN, L’ÉQUIPE DE 54 ÉTATS SE RENDAIT AU DARFOUR POUR S’ENTRETENIR AVEC TIJANI ALSISSI, PRÉSIDENT DE L’AUTORITE RÉGIONALE DU DARFOUR POUR ÉVOQUER LES DIVERSES ÉVOLUTIONS DE LA RÉGION. CETTE FOIS-CI, CELUI QUI DIRIGE LE MOUVEMENT POUR LA LIBÉRATION ET LA JUSTICE NOUS LIVRE SES IMPRESSIONS SUR LA SITUATION AU DARFOUR, AU SOUDAN, MAIS AUSSI CHEZ LE VOISIN DU SUD. ZOOM.

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O

NE YEAR AGO, THE 54 ÉTATS TEAM WENT TO DARFUR TO MEET TIJANI AL-SISSI, CHAIRMAN OF THE DARFUR REGIONAL AUTHORITY, TO DISCUSS THE VARIOUS DEVELOPMENTS IN THE REGION. THIS TIME, THE LEADER OF THE LIBERATION AND JUSTICE MOVEMENT SHARES HIS IMPRESSIONS OF THE SITUATION IN DARFUR, SUDAN AND SOUTH SUDAN. FOCUS.

54 ÉTATS : Il y a un an, lorsque nous vous avons interviewé, vous évoquiez un Darfour pacifié ? Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?

54 ÉTATS: One year ago, when we interviewed you for the first time, you were speaking about a pacified Darfur. Is this still the case today?

Tijani Al-Sissi (T. A-S.) : En ce qui concerne le Darfour, tout observateur pourra se rendre compte des grandes transformations intervenues depuis la mise en œuvre du Document de Doha pour la Paix au Darfour (DDPD). La sécurité a sans aucun doute été grandement améliorée. Des changements cruciaux s’y sont produits depuis plus de trois ans maintenant, le plus important d’entre eux étant le contrôle qu’exerce désormais l’État sur la situation sécuritaire dans les grandes villes, notamment les capitales, ainsi que dans les localités. Nous devons maintenant préserver cette amélioration dans la région. D’ailleurs, les acteurs politiques, qu'il s'agisse des gouverneurs, des autorités darfouries ou bien encore du gouvernement fédéral, font preuve à cet égard d’une grande détermination. Ceci permettra réellement de normaliser la situation au Darfour.

Tijani Al-Sissi (T. A-S.): As far as Darfur is concerned, any observer can see that there have been some great changes since the implementation of the Doha Document for Peace in Darfur (DDPD). Security has, undoubtedly, greatly improved. In the past three years, there have been some significant changes, the most important one being the control the State now exerts over the security situation in major towns, notably in capitals and localities. We now need to maintain this advancement in the region. Moreover, political actors, be they governors, Darfuri authorities or even federal authorities, have demonstrated their great determination in this respect. This will definitely help to normalize the situation in Darfur.


J’EXHORTE LE GOUVERNEMENT DU SOUDAN DU SUD À NE PAS SOUTENIR LES REBELLES DU DARFOUR.

© frederic Dimeo

54 ÉTATS : De quelle manière la situation au Soudan du Sud se répercute-t-elle sur le Darfour ?

54 ÉTATS: What is the impact of the situation in South Sudan on Darfur?

T. A-S. : Le Soudan du Sud a été un refuge sûr pour les rebelles darfouris au cours des trois dernières années. Les territoires du Sud-Soudan ont été utilisés par les rebelles du Darfour, à savoir le Justice and Equality Movement (JEM) ainsi que le Sudan Liberation Army-Minni Minawi (SLAMN) pour lancer des attaques au Darfour. Les évènements des derniers mois, qui se sont achevés avec la défaite des JEM au Goz Dongo, ont montré qu’ils avaient franchi les frontières du Soudan. Le fait que les rebelles se réfugient au Soudan du Sud, qu’ils y établissent des bases et qu’ils lancent des attaques contre le Darfour signifie ni plus ni moins que la situation affecte le Darfour. Il est regrettable que le plus jeune État africain se trouve impliqué dans une guerre civile découlant des rivalités entre Salva Kiir et l’ancien vice-président Riek Machar. Nous formions il y a quelques années un seul pays, un seul peuple. Nous aurions souhaité que la séparation et donc la situation soient plus douces et paisibles parce que les effets de tout conflit au Soudan du Sud se font plus ou moins ressentir au Nord. Comme vous pouvez le constater, de nombreux réfugiés ont franchi nos frontières au Sud pour se rendre au Soudan. Espérons que le conflit au Soudan du Sud s’achève sinon nous devrons nous attendre à un flux continuel de réfugiés. Il est dans notre intérêt, dans celui du Soudan, comme dans celui du Soudan du Sud, de contenir le conflit et de faire en sorte que nous puissions vivre en paix ensemble. Il y a énormément de choses que nous pouvons réaliser, nos deux pays partagent de nombreux intérêts communs. J’exhorte le gouvernement du Soudan du Sud à ne pas soutenir les rebelles du Darfour.

T. A-S.: South Sudan has been a safe haven for the Darfur rebels over the past three years. The territories of South Sudan have been used by the Darfur rebels, namely the Justice and Equality Movement (JEM), as well as the Sudan Liberation Army-Minni Minawi (SLA-MM) to launch attacks in Darfur. The events of recent months, which ended with the defeat of JEM in Goz Dongo, proved that they had crossed the border in Sudan. So, the fact that rebels are taking refuge in South Sudan, establishing bases there and launching attacks against Darfur ultimately means that the situation is clearly affecting Darfur. Regrettably, the youngest African state is involved in a civil war arising from the rivalry between Salva Kiir and the former Vice President, Riek Machar. A few years ago, we formed one country, one people. We would have liked the separation and consequently, the situation to be more smooth and peaceful because the effects of any conflict in South Sudan are more or less felt in the North. As you can see, a great number of refugees have crossed our southern borders into Sudan. Let’s hope that the conflict in South Sudan comes to an end otherwise, we can expect a continuous flow of refugees. It is in our interest and that of Sudan and South Sudan to contain the conflict and to ensure that we can live in peace together. There are so many things we can achieve; our two countries share many common interests. I am urging the government of South Sudan not to support the Darfur rebels.

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54 ÉTATS : Comment gérez-vous l'arrivée des réfugiés en provenance du Soudan du Sud ? T. A-S. : La fourniture des services nécessaires pour permettre leur retour au Soudan constitue notre principale préoccupation. Les réfugiés du Soudan du Sud sont arrivés au Soudan en tant que citoyens. Le minimum que nous puissions faire est de les considérer en tant que tels. Non pas comme des citoyens de pays étrangers mais comme des citoyens soudanais comme ils avaient coutume de l'être. 54 ÉTATS : Que pensez-vous de l’accord du Soudan du Sud signé en août 2015 à Juba censé mettre fin à la guerre civile qui mine le pays ? T. A-S. : Je pense que tout accord pouvant mettre fin à l’actuel conflit au Soudan du Sud doit, sans aucun doute, être applaudi. Espérons que les parties en guerre seront capables de maîtriser toute objection à l’accord au vu de la fragilité du nouvel État et de la très forte polarisation tribale, ethnique. Nous nous attendons à ce que des objections soient formulées de part et d’autre. Espérons que les pays de l'IGAD (Autorité intergouvernementale pour le développement en Afrique de l’Est) et la communauté internationale exerceront des pressions sur les parties concernées de façon à contenir ces groupes. Si le conflit persiste dans les zones marquées par la présence de nombreux groupes ethniques, dans les zones où la guerre a débuté sur ces fondements, cela mettra en péril la paix non seulement au Soudan du Sud mais également dans les pays voisins, en premier lieu, le Soudan, l’Ouganda et le Kenya. C’est pourquoi les pays de l’IGAD doivent faire preuve de vigilance quant à la mise en œuvre de l’accord.

54 ÉTATS: How are you handling the arrival of refugees from South Sudan? T. A-S.: Providing the necessary services to enable them to return to Sudan is our main concern. South Sudanese refugees arrived in Sudan as citizens. The least we can do is to consider them as such. Not as citizens of foreign countries but as the Sudanese citizens they used to be.

© frederic Dimeo

54 ÉTATS: What do you think of South Sudan’s agreement, which was signed in Juba in August 2015 and was supposed to put an end to the civil war undermining the country?

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T. A-S.: I think that any agreement that can bring an end to the current conflict in South Sudan is something that, without a doubt, should be applauded. Hopefully, the warring parties will be able to handle any objections to the agreement in view of the fragility of the new State and the very strong ethnic, tribal polarization. We do expect objections to be raised from either side. But let’s hope that the member countries of IGAD (Intergovernmental Authority on Development in East Africa) and the international community will put pressure on the parties concerned to contain these groups. If the conflict persists in areas marked by the presence of numerous ethnic groups, in areas where the war started for ethnic reasons, then it will jeopardize peace not only in South Sudan but also in neighbouring countries and first and foremost, Sudan, Uganda and Kenya. This is why the IGAD member countries must be extremely vigilant with regard to the implementation of the agreement.


LE SOUDAN EST TOUJOURS INTACT. LE SOUDAN EST TOUJOURS DEBOUT. LE SOUDAN EST EN ORDRE DE MARCHE ET LES SOUDANAIS SOUHAITENT PRÉSERVER LEUR PAYS. 54 ÉTATS : Soudan du Sud, Libye, Centrafrique, pensez-vous que ces pays génèrent du chaos au Darfour ? T. A-S. : Comme je l’ai expliqué précédemment, le Soudan du Sud envenime clairement la situation sécuritaire au Darfour. Le Tchad participe à l'amélioration de la situation, notamment par le biais du déploiement de troupes mixtes qui gardent les frontières : c'est là une expérience positive. En ce qui concerne la République centrafricaine, je crois que les autorités du pays ne maîtrisent pas parfaitement leur territoire. Des groupes armés franchissent nos frontières pour se rendre en Centrafrique. La situation est comparable à celle de la Libye : de nombreux groupes originaires du Darfour sont allés combattre en Libye. La situation que je viens de dépeindre est très préoccupante et peut constituer une sérieuse menace régionale et internationale. Lorsque des groupes armés commencent à passer les frontières pour pénétrer un pays en conflit et y combattre, cela n'augure rien de bon et vous pouvez être certains que les pays voisins pâtiront tôt ou tard de cette situation. Je veux dire par là que le Tchad, le Soudan, la Tunisie ou la Libye, doivent à cet égard faire preuve de vigilance. Ces groupes peuvent notamment en arriver à conduire des activités liées à divers trafics (drogues, armes, en particulier). 54 ÉTATS : Diriez-vous que le soutien apporté par l'Union africaine a jusqu'à présent été suffisant ? T. A-S. : Depuis l'accord d'Abuja au début des années 2000, qu'elle a d'ailleurs initié, et les négociations de Doha, l'Union africaine (UA) a apporté tout le soutien possible quant à la question du conflit au Darfour. L'UA continue de soutenir le Darfour et de s'impliquer sur cette question à travers la mise en œuvre de l'accord d'Abuja ou les négociations de Doha. L'Union africaine fait partie de la MINUAD (Mission de Nations Unies au Darfour) et reste préoccupée tant par ce qui se passe au Soudan du Sud que dans les autres parties du continent.

54 ÉTATS: South Sudan, Libya, and the Central African Republic: do you think that these countries are creating chaos in Darfur? T. A-S.: As I explained earlier, South Sudan is clearly aggravating the security situation in Darfur. Chad is involved in improving the situation, notably with the deployment of mixed troops guarding the borders; this is a positive experience. As far as the Central African Republic is concerned, I believe that the country’s authorities are not fully in control of their territory. Armed groups are crossing our borders to reach the Central African Republic. The situation is comparable to that in Libya: many groups from Darfur in particular have gone to fight in Libya. The situation I have just described is very worrying and can constitute a serious regional and international threat. When armed groups start crossing borders to enter a country in conflict and fight there, this does not augur well and you can be certain that the neighbouring countries will suffer sooner or later from this situation. What I am saying is that Chad, Sudan, Tunisia and Libya must be vigilant in this regard. These groups may notably become involved in activities related to various forms of trafficking (drugs and weapons, in particular). 54 ÉTATS: Would you say that the support from the African Union has been sufficient up to now? T. A-S.: Since the Abuja agreement in the early 2000s, which, by the way, was initiated by the African Union, and the Doha negotiations, the African Union has lent all possible support to the issue of the conflict in Darfur. The African Union (UA) continues to support Darfur and to be involved in this issue by implementing the Abuja agreement and the Doha negotiations. The UA is part of UNAMID (United Nations Mission in Darfur) and remains concerned by what is happening in South Sudan as well as in other parts of the continent.

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NOS DEUX PAYS, QUI ÉTAIENT AUTREFOIS UN, PARTAGENT DE NOMBREUX INTÉRÊTS COMMUNS.

54 ÉTATS : En tant que président de l’Autorité régionale du Darfour, quelles sont vos priorités ? T. A-S. : Les priorités sont, premièrement, la reconstruction et le développement auxquels le conflit de ces dernières années a porté préjudice. Deuxièmement, le retour des déplacés qui, pour bon nombre d'entre eux, espèrent revenir dans leur région d'origine. Bien sûr, tous ne reviendront pas. Certains sont désormais urbanisés et continueront de vivre dans de nombreuses autres zones. Ceci étant dit, leur retour dépend de la fourniture de services qui sera ou non proposée dans leur région d'origine. Troisièmement, la viabilité du processus de paix à travers la mise en œuvre d'un programme sécuritaire. Nous espérons mettre fin aux conflits tribaux.

54 ÉTATS: As Chairman of the Darfur Regional Authority, what are your priorities? T. A-S.: The top priorities are reconstruction and development, which have been adversely affected by the conflict of these recent years. Secondly, the return of the IDPs, the majority of whom hope to return to their region of origin. Not all of them will return, of course. Some are now urbanized and will continue to live in many other areas. That being said, their return depends on the supply of services that will or will not be offered in their region of origin. The third priority is ensuring the viability of the peace process through the implementation of a security program. We hope to put an end to tribal conflicts.

© frederic Dimeo

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54 ÉTATS : Pensez-vous que l'embargo économique imposé au Soudan vous prive d'un développement économique et par conséquent de la paix ? T. A-S. : Absolument. Nous pâtissons, que ce soit à l'échelle du Darfour ou à l'échelle nationale, indéniablement et énormément des sanctions imposées par les États-Unis. J'espérais et j'espère une levée de ces sanctions. Il nous est extrêmement difficile d'obtenir des fonds pour la mise en œuvre d'un programme de reconstruction et de développement du simple fait de ces sanctions. Il est extrêmement difficile pour la population du Darfour de se déplacer à l'intérieur et en dehors de la région ou de fournir les produits et services dont ils ont besoin du simple fait de ces sanctions. Au niveau national, leur impact se fait évidemment sentir en termes de transfert de fonds. La disponibilité du financement en provenance de sources internationales est mise en péril, et pour être parfaitement honnête, les sanctions empêchent le développement du Soudan. 54 ÉTATS : Il y a un an, vous sembliez très optimiste. Estce toujours le cas aujourd'hui ? T. A-S. : Je reste très optimiste quant à l'avenir du pays. De nombreux États africains ont fait face à des défis similaires à ceux auxquels nous sommes confrontés depuis quelques années et se sont effondrés. Contrairement à eux, le Soudan est toujours debout. Le Soudan est en ordre de marche et les Soudanais souhaitent préserver leur pays. Par conséquent, je suis persuadé que les Soudanais parviendront à surmonter les difficultés qu'ils vivent depuis ces trois dernières années. La conduite du dialogue national nous aidera assurément à relever nos défis. 54 ÉTATS: Do you think that the economic embargo imposed on Sudan is depriving you of economic development and, consequently, peace? T. A-S.: Absolutely. We are severely and undeniably suffering, both across Darfur and on a national scale, from the sanctions imposed by the United States. I have been hoping and am still hoping that the sanctions will be lifted. It is extremely difficult for us to obtain funds for the implementation of a reconstruction and development program simply because of these sanctions. It is extremely difficult for the people of Darfur to travel within and beyond the region, or to provide the products and services they need simply because of these sanctions. At the national level, their impact is particularly obvious as far as the transfer of funds is concerned. The availability of funding from international sources is jeopardized, and to be perfectly honest, the sanctions are preventing Sudan’s development. 54 ÉTATS: One year ago, you seemed very optimistic. Is this still the case today? T. A-S.: I remain very optimistic about the future of the country. Many African countries have had to face challenges similar to those we have been facing over the last few years and they have collapsed. Unlike them, Sudan is still holding its own. The country continues to function and the Sudanese people want to preserve their country. Therefore, I am convinced that the Sudanese will manage to overcome the difficulties they have been experiencing over the past three years. The conduct of national dialogue will certainly help us meet our challenges. English proofreading by Susan Allen Maurin

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Le temps des coups d’État militaires en Afrique est (presque) révolu. Depuis que l’Union africaine (UA) a menacé de ne reconnaître aucun gouvernement arrivé au pouvoir par la voie des armes, les chefs d’État africains doivent, pour accéder ou rester au sommet du pays, se confronter aux urnes. Bonne nouvelle ! Sauf que les dirigeants qui ne veulent pas passer la main comme le prévoit leur Constitution n’hésitent pas à changer les textes pour prolonger leur règne sans partage. Et à chaque fois, l’opposition et les médias sont réduits au silence, plus ou moins violemment.

COUPS D'ÉTAT CONSTITUTIONNELS

LE CHANGEMENT, CE N'EST PAS MAINTENANT ! par John Harrison

© Museveni Flickr

CHANGE, NOT RIGHT NOW!

L’année 2016 est une année de scrutins en Afrique. Une quinzaine d’élections présidentielles et/ou législatives seront organisées sur un continent placé sous haute surveillance et sous le signe du renouvellement. Enfin, dans certains pays, le changement, ce n’est pas forcément pour maintenant. Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies l’a d’ailleurs rappelé fin janvier devant l’Union africaine : « Les dirigeants ne devraient jamais utiliser des changements de Constitution antidémocratiques ou des failles juridiques pour s’accrocher au pouvoir. Nous avons tous vu les conséquences tragiques de leurs actes. » En effet, nombre de nations africaines sont frappées ces derniers mois de « constitutionnite » aigüe. Les symptômes touchent les pays dirigés par des présidents qui s’accrochent à leur trône par tous les moyens. Manœuvres fourbes, tours de passe-passe légaux, ces dirigeants trafiquent les textes, jouent avec les calendriers et les lois pour contourner les obstacles les empêchant de se présenter encore et encore.

by John Harrison

The era of military coups d’État in Africa has (nearly) passed. Since the African Union (AU) threatened not to recognize any government that comes to power by force of arms, the African heads of states, to access or to remain in power, have been turning to the polls. Good news! Except that the leaders who don’t want to hand over as provided in their Constitutions aren’t hesitating to change any wording necessary to prolong their reign without sharing. And, each time, the opposition and the media are reduced to silence, more or less violently. This year, 2016, is a year of elections in Africa. Some fifteen presidential and/or legislative elections will be organized on a continent under close scrutiny and claiming signs of renewal. But, in some countries, change isn’t necessarily going to happen now. As UN Secretary-General Ban Ki-Moon said addressing the African Union in late January: "Leaders should never use antidemocratic Constitutional changes or legal loopholes to cling to power. We have all seen the tragic consequences of doing so." In fact, a number of African nations have been shaken in recent months by acute "constitutionitis". The symptoms affect the countries led by presidents who are clinging to their thrones by any means. Through deceitful manoeuvring and legal gimmicks, these leaders tamper with wording, juggle deadlines and laws to circumvent the obstacles preventing them from standing again and again. 60


Au Congo-Brazzavile, Denis Sassou Nguesso, au pouvoir entre 1979 et 1992 et depuis 1997 - soit 32 ans de règne sur les 37 dernières années ! - devait, selon les textes, céder sa place aux prochaines élections. Mais, à 72 ans, il ne veut pas lâcher les rênes du pays. Qu’à cela ne tienne, son gouvernement organise un référendum pour changer le nombre de mandats et supprimer la limite d’âge pour les candidats à la présidence, fixée à 70 ans. Des dispositions inscrites dans la Constitution que le Président a lui-même voté en 2002. Résultat : plus de 92 % des votants (de source… officielle) autorisent Sassou Nguesso à se représenter. Au Rwanda, Paul Kagame devait rendre son tablier au mois de décembre de cette année. En poste depuis 2000, le président a lancé une « consultation » pour modifier la Constitution, lui permettant ainsi de se présenter une troisième fois après ses victoires en 2003 (95 % des voix) et 2010 (93 %). « Consultation » largement en sa faveur : 3,8 millions de voix « pour » et… une dizaine de « contre ». Devant ce plébiscite, Kagame a donc décidé fin décembre de se présenter pour 2017. Ces modifications dans les textes lui permettent même d’être potentiellement président du Rwanda jusqu’en… 2034 ! Ces changements constitutionnels ne sont pas sans danger pour l’équilibre d’un pays. Au Burundi, l’accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation, qui a mis un terme à des années de guerre civile, limite le nombre de mandats présidentiels à deux. Pourtant, le président Pierre Nkurunziza s’est présenté en avril dernier pour un troisième mandat. Une provocation et un affront pour l’opposition. Depuis une dizaine de mois, le pays est plongé dans la violence (voir 54 États n°25). Parfois, les protestations des opposants sont trop fortes. Ainsi, en République démocratique du Congo, Joseph Kabila, au pouvoir depuis 2001, a dû renoncer à modifier la loi électorale qui lui empêchait de se présenter une troisième fois en décembre 2016. Autre tactique : gagner du temps. Du coup, la date de prochaines élections n’est toujours pas arrêtée. Les partisans de Kabila demandent un recensement avant le prochain vote. Or, ce recensement pourrait prendre entre deux et quatre ans !

CES DIRIGEANTS TRAFIQUENT LES TEXTES, JOUENT AVEC LES CALENDRIERS POUR CONTOURNER LES OBSTACLES LES EMPÊCHANT DE SE PRÉSENTER ENCORE ET ENCORE

© Thierry Ehrmann

In Congo-Brazzavile, Denis Sassou Nguesso, in power between 1979 and 1992 and since 1997 – which means 32 years in power out of the past 37! – should have, according to the terms of the constitution, stood down at the next elections. But at age 72, he doesn’t want to let go the reins of power. Despite that, his government is organizing a referendum to change the number of terms that a president can hold office and remove the age limit for presidential candidates, which is currently 70. These provisions are written into the Constitution that the President himself voted for in 2002. The result is that more than 92% of voters (according to official sources) are in favour of Sassou Nguesso standing again. In Rwanda, Paul Kagame should have relinquished his post in December. In power since 2000, the current president launched a “consultation” to amend the Constitution, to permit him to stand for a third term after his victories in 2003 (95% of votes) and 2010 (93%). A "consultation" heavily in his favour: 3.8 million votes "for"... and a mere dozen "against". On the strength of this plebiscite, Kagame decided in late December to stand for 2017. These amendments to the texts even allow him to potentially be the president of Rwanda until 2034! Such constitutional changes can seriously unbalance a country. In Burundi, the Arusha Peace and Reconciliation Agreement, which ended years of civil war, limits presidents to two terms of office. Nonetheless, President Pierre Nkurunziza stood last April for a third term. A provocation and an affront to the opposition. For some ten months, the country has been plunged in violence (see 54 États n.25). Sometimes, opposition protests are too strong. Thus, in the Democratic Republic of the Congo, Joseph Kabila, in power since 2001, had to promise not to amend the electoral law that prevented him from standing for a third term in December 2016. Another tactic is to stall for time; for example, by not always specifying the date of the next elections. Kabila’s partisans are asking for a census before the next vote. But the census could take two to four years! 61


Les exemples ne manquent pas. En Ouganda, Yoweri Museveni a fait modifier la Constitution dès 2005 pour rester en place. À l’heure où nous imprimons, impossible de savoir s’il sera à nouveau élu en février, mais il y a fort à parier qu’il dirigera le pays encore quelques temps. Idem pour les doyens du pouvoir en Afrique en ce moment : Obiang en Guinée équatoriale, José Edouardo dos Santos en Angola et Mugabe au Zimbabwe - plus de 35 ans de pouvoir pour chacun d’entre eux. Trois présidents qui ont « amendé » leur Constitution pour rester en place.

Toutefois, certains chefs d’État africains donnent l’exemple, respectent les textes, jouent le jeu de l’alternance et acceptent de partir sans rechigner. Au Nigeria, Jonathan Goodluck a accepté sa défaite en mai 2015. Respect de la Constitution aussi en Namibie, au Bénin ou aux Comores où l’alternance est dans les textes. En Algérie, Abdelaziz Bouteflika, en fin de règne aujourd’hui, veut modifier la loi fondamentale pour limiter les mandats - alors qu’il l’a « bidouillée » dans son propre intérêt dans le passé. Des projets de limitation des mandats présidentiels sont aussi dans les tuyaux en Côte d’Ivoire ou au Liberia. Mais en terme de maturité démocratique, le Ghana fait figure d’exemple sur le continent, avec des institutions fortes et des dirigeants responsables. À confirmer toutefois en cette année de scrutin.

© Democracy chronicles

We’re not short of examples. In Uganda, Yoweri Museveni had the Constitution amended in 2005 so as to remain in power. At time of going to press, it is impossible to know if he will be re-elected in February, but it’s a strong bet that he’ll be leading the country for some time yet. The same goes for the doyens of power in Africa at the moment: Obiang in Equatorial Guinea, José Edouardo dos Santos in Angola, and Mugabe in Zimbabwe – more than 35 years in power for each of them. Three presidents who have "amended" their Constitution to remain in power. 62

However, some African heads of state provide a shining example, respecting Constitutional provisions, playing the power-swapping game, and leaving office gracefully. In Nigeria, Jonathan Goodluck accepted his defeat in May 2015. Respect for the Constitution too in Namibia, Benin and the Comoros, where alternation is enshrined in law. In Algeria, Abdelaziz Bouteflika, at the end of his reign now, wants to amend the basic law limiting terms of office – although he had "tweaked" it in his interest in the past. Proposals to limit presidential terms of office are also in the pipeline in Côte d’Ivoire and Liberia. But in terms of democratic maturity, Ghana is the shining example on the continent, with strong institutions and responsible leaders. Or we’ll see, at any rate, in this year of elections.


Si une Constitution n’a rien d’immuable et doit s’adapter à la société, une perfide manipulation de ces textes à des fins politiques néfastes doit être dénoncée. La tenue de référendums (le symbole ultime de la démocratie !) pour demander au peuple de changer la Constitution est une évidence. Mais ces référendums ne sont pas démocratiques. L’opposition n’a aucun moyen de s’exprimer pleinement, les conditions « normales » de scrutin ne sont que rarement réunies et le résultat de ces votes, qui ont souvent la forme de plébiscite, est écrit d’avance. Dans tous les pays où les chefs d’État « trafiquent » les textes ou les calendriers, les médias indépendants sont muselés, les campagnes d’intimidation féroces voire violentes, les manifestations réprimées et, parfois, les opposants mis derrière les barreaux. Il faut se garder toutefois de toujours se poser en donneur de leçon face aux « bidouillages » législatifs africains. Les Occidentaux sont souvent persuadés que leur modèle est transposable à tous les pays. La démocratie ne se fait pas en un jour, et la stabilité d’un État passe parfois par une « pérennité » du pouvoir. C’est en tout cas cet argument qu’utilise volontiers Kagame, fier de son bilan et présenté comme « l’homme fort » du Rwanda et l’artisan de sa reconstruction sur les ruines du génocide. Cette volonté farouche de rester au pouvoir coûte que coûte prouve une chose : ces « dinosaures » qui accumulent les mandats présidentiels et les années de règne n’ont pas assuré ou « formé » la relève, quitte à manquer leur rendez-vous avec l’Histoire de leur pays.

DES PROJETS DE LIMITATION DES MANDATS PRÉSIDENTIELS SONT AUSSI DANS LES TUYAUX EN CÔTE D’IVOIRE OU AU LIBERIA © Elvert Barnes

Although there is nothing about a Constitution that can’t be changed, and it adapts to society, underhand manipulation of their provisions for political ends must be condemned. An obvious ploy is to hold referendums (the ultimate symbol of democracy!) to ask the people to amend the Constitution. But such referendums aren’t democratic. The opposition has no way of expressing itself fully, election conditions are rarely “normal”, and the voting results, often in the form of a plebiscite, are recorded in advance. In all the countries whose heads of state tamper with wording or deadlines, the independent media are muzzled, intimidation campaigns are ferocious and even violent, demonstrations are banned, and opponents sometimes put behind bars. We have to be careful, however, about always claiming to teach Africans who are “tweaking” laws how they should behave. The West often assumes that its models can be transposed to any country. Democracy isn’t built in a day, and the stability of a State can sometimes require a prolongation of power. In any case, that’s the argument used by Kagame, proud of his record and presented as the “strong man” of Rwanda and the architect of its reconstruction from the ruins of genocide. This unrelenting desire to stay in power cost-what-may proves one thing: the “dinosaurs” who accumulate presidential mandates and years in power haven’t provided for or “formed” a succession plan, at the risk of losing their place in the History of their country. Translation from French Linkin'men Ltd © Elektra Grey Photography

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par Hervé Pugi

© Institut Pasteur

Alors que le virus Ebola, que l’on pensait éradiqué, a fait son retour en Sierra Leone en janvier, l’Afrique voit se préciser une nouvelle menace sanitaire : la fièvre de Lassa. De 40 à 60 Nigérians auraient succombé à cet autre virus depuis août 2015. Le Bénin a également enregistré, en début d’année, ses premières victimes. Endémique dans certaines régions d’Afrique de l’Ouest et asymptomatique dans 80 % des cas, cette fièvre hémorragique foudroyante est déjà une vieille ennemie du continent. Découverte en 1969 dans une ville qui lui a donné son nom, Lassa, la maladie tuerait chaque année entre 5 000 et 6 000 personnes sur les 100 000 à 300 000 cas recensés par l’Institut Pasteur. Son origine est directement liée aux urines et excréments des rongeurs, du type rats et musaraignes. Avec des symptômes proches de ceux constatés pour la grippe, la malaria, la dysenterie ou la fièvre jaune, le diagnostic s’avère relativement compliqué à établir. D’autant que la période d’incubation peut atteindre trois semaines. Au Nigeria, le ministre de la Santé le reconnaît, son pays « fait face à une nouvelle épidémie » et si celle-ci n’est « pas inhabituelle », ce qui l’est « c’est le grand nombre de morts ». Isaac Adewole de regretter en outre des manquements dans la

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chaîne de dépistage : « La situation dans l’État du Niger est préoccupante parce qu’il y a eu des morts inhabituels en août et ils n’ont été rapportés que trois à quatre mois plus tard. » Le gouvernement a prévenu : tout non signalement dans le futur conduirait à des sanctions. Au Bénin, c’est le secrétaire général du ministère de la Santé qui a confirmé la menace en indiquant que tout serait mis en œuvre pour isoler les malades et rechercher leurs éventuels contacts. Car si Christian Boni Chaffa n’a pas manqué de déconseiller à ses concitoyens de « consommer les rongeurs, les céréales et les tubercules impropres », celui-ci n’est pas sans savoir que ce virus de la même famille qu’Ebola peut se transmettre par contact interhumain (sang, salive, sueur, selles, vomissures). L’absence de vaccin et de traitement adapté pourraient donc conduire à un nouveau drame sanitaire. Du coup, à Kano, principale ville du nord du Nigeria, les ventes de raticides explosent. Elles auraient été multipliées par quatre depuis le début de l’année. Clairement, c’est une chasse aux rats qui s’organise dans les États touchés. Une guerre toutefois bien vaine tant que certaines mesures d’assainissement n’auront pas été prises. La question de la gestion des déchets, propre à bien des pays africains, se pose plus que jamais avec une certaine urgence.


With the Ebola virus, thought to have been eradicated, having returned to Sierra Leone in January, Africa is facing a new public health threat: Lassa fever. Between 40 and 60 Nigerians have succumbed to Lassa since 2015. Benin also reported its first victims at the start of the year. Endemic in some regions of West Africa and asymptomatic in 80% of cases, this debilitating hemorrhagic fever is an old enemy on the continent. Discovered in 1969 in the town after which it is named, Lassa, the disease has killed 5,000 to 6,000 people a year out of the 100,000 to 300,000 cases recorded by the Pasteur Institute. Its origin is directly linked to the urine and faeces of rodents such as rats and shrews. With symptoms similar to flu, malaria, dysentery and yellow fever, the diagnosis is relatively complicated to pin down. All the more so because the incubation period can be up three weeks. In Nigeria, the Health Minister recognizes that his country "is facing a new epidemic" and although it is "not unusual", what is unusual is "the large number of deaths". Isaac Adewole also points to shortcomings in the screening program: "The situation in Niger is worrying because there were an unusual number of deaths in August and they were not reported until three to four months later." The government has warned: any non-reporting in the future would lead to sanctions. In Benin, the Secretary-General of the Health Ministry confirmed the danger, indicating that all steps would be taken to isolate the ill and to seek out anyone they may have come in contact with. Although Christian Boni Chaffa has not failed to advise his fellow countrymen against "eating unclean rodents, cereals and tubers", he also knows that this virus, of the same family as Ebola, can be transmitted by human contact (blood, saliva, sweat, faeces, vomit). The absence of a vaccine and appropriate treatment could thus lead to a new public health crisis. In Kano, the main city in northern Nigeria, sales of rat poison have suddenly exploded, quadrupling since the start of the year. The affected countries are clearly out to organize a rat hunt. A war, however, fought in vain so long as certain sanitation measures aren’t taken. The problem of waste management, applicable to many African countries, is now more than ever urgent.

© Nicolas Beaumont

ASYMPTOMATIQUES

© Julien Harneis

Translation from French Linkin'men Ltd

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par Hervé Pugi

LA PRÉSIDENTIELLE DE 2014 EN ALGÉRIE EST ENCORE TOUTE FRAÎCHE. POURTANT, LA QUESTION DE LA SUCCESSION D’ABDELAZIZ BOUTEFLIKA EST DÉJÀ PRÉSENTE DANS BIEN DES ESPRITS. UN TRAVAIL DE LOBBYING SE FAIT AUTOUR DE POTENTIELS CANDIDATS. PARMI LES NOMS QUI CIRCULENT AVEC INSISTANCE, CELUI DE MOULOUD HAMROUCHE, « FILS DU SYSTÈME »… THE 2014 PRESIDENTIAL ELECTION IN ALGERIA IS STILL FRESH. YET, THE QUESTION OF ABDELAZIZ BOUTEFLIKA’S SUCCESSION IS ALREADY PRESENT IN MANY MINDS. LOBBYING ACTIVITIES OF POTENTIAL CANDIDATES ARE UNDERWAY. AMONG THE NAMES THAT ARE CONSTANTLY COMING UP IS THAT OF MOULOUD HAMROUCHE, "SON OF THE SYSTEM"…

HAMROUCHE SAIT QU’UNE RUPTURE TROP BRUSQUE N’EST NI POSSIBLE NI SOUHAITABLE.

© Rachic Hakka

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Le fait de gloire de Mouloud Hamrouche ? Celui d’avoir été le chef du gouvernement dit des « réformateurs » qui a présidé à la destinée de l’Algérie entre septembre 1989 et juin 1991. Une politique d’ouverture malheureusement concomitante de la montée en puissance du Front islamique du salut (FIS), à l’origine de la meurtrière et sanglante « décennie noire ». Son histoire ? Celle d’un mélomane de la politique dont la grande symphonie reste à ce jour inachevée. Cela reste aussi un sacré caillou dans sa chaussure selon ses détracteurs qui n’ont de cesse de lui reprocher d’avoir « abandonné la rue aux islamistes ». Pourtant, ses soutiens se veulent catégoriques et n’hésitent pas à le qualifier de « seul recours crédible pour remettre l’Algérie debout ». Alors que le prochain scrutin présidentiel est attendu pour 2019, cet ancien du FLN aspirerait donc à revenir par la grande porte : 30 ans après son passage au pouvoir. Ce « fils du système », ainsi qu’il s’est un jour lui-même qualifié, a pris le temps. Celui d’observer l’évolution du monde et de son pays. Un recul qui l’aurait conduit à décider de ne surtout pas griller ses cartouches en tentant de s’opposer à l’indéboulonnable clan Bouteflika. « Pas question de jouer à l’idiot utile, comme a pu le faire Ali Benflis, explique-t-on dans son entourage, l’espace politique pour une quelconque alternative n’existait pas ». La donne devrait prochainement changer. La fin du règne Bouteflika pourrait-elle être le renouveau de la démocratie algérienne ? Dur à croire tant le système paraît verrouillé, malgré le grand ménage effectué ces dernières années du côté du DRS. Pourtant, nos interlocuteurs l’affirment, à 73 ans, cet éternel réformateur représenterait donc toujours la modernité dans une classe politique ankylosée : « même chez les gradés, notamment les plus jeunes, il existe un désir de changement et Hamrouche apparaît comme une personnalité capable d’assurer une transition en douceur entre le système actuel et un nouveau plus libéral ».

SON HISTOIRE ? CELLE D’UN MÉLOMANE DE LA POLITIQUE DONT LA GRANDE SYMPHONIE RESTE À CE JOUR INACHEVÉE. © Souhil

What exactly is Mouloud Hamrouche’s merit? That of having been the head of the government of "reformers", who presided over the destiny of Algeria between September 1989 and June 1991. Unfortunately, a policy of openness coincided with the rise in importance of the Islamic Salvation Front (ISF), responsible for the deadly and bloody "black decade". What do we know about this man? That he’s someone for whom politics are music to his ears, but whose great symphony remains unfinished to this day and this remains a thorn in his side according to his detractors who constantly criticize him for having "let the Islamists overrun the streets". However, his supporters are adamant and do not hesitate to describe him as the "only credible solution to get Algeria back on its feet". The next presidential election being due in 2019, this former National Liberation Front (FLN) member is apparently keen on making his comeback: 30 years after his stint in power. This "son of the system", as he one day described himself, has taken his time… the time to observe the developments in the world and in his country. Stepping back and taking stock of the situation led him to take the decision not to run out of options by trying to oppose the ever-present Bouteflika clan. "There’s no question of playing the useful idiot, as did Ali Benflis", explains his entourage, "there was no political space for any alternative". The situation should soon change. Could the end of Bouteflika’s reign lead to the revival of Algerian democracy? It is hard to believe since the system seems so tightly controlled, despite considerably cleaning up the DRS in recent years. Nevertheless, our interlocutors argue that this 73 year-old eternal reformer still represents modernity in a stiff political class: "even among officers, especially the younger ones, there is a desire for change and Hamrouche appears as someone who is capable of ensuring a smooth transition between the current system and a new, more liberal one". 67


C’est là le principal argument de ceux qui défendent le natif d’El Harrouch. Hamrouche connaît le système et les hommes qui le composent. Il n’ignore rien de leurs attentes ni de leurs craintes. Il sait surtout qu’une rupture trop brusque dans la gouvernance du pays, aussi imparfaite soit-elle, n’est ni possible ni souhaitable. L’Algérie, toujours traumatisée par les fantômes d’un passé pas si lointain, ne peut (ni ne veut) se permettre une aventure « à la tunisienne ». Non, ce que défendrait l’ancien maquisard de la guerre de libération, à en croire ses partisans, c’est de donner du temps au temps pour mettre de l’ordre dans les affaires algériennes.

This is the main argument of those who defend the native of El Harrouch. Hamrouche knows the system and the men who are part of it. He is fully aware of their expectations or fears. Above all, he knows that an abrupt change in the way the country is governed, however imperfect it may be, is neither possible nor desirable. Algeria, which is still traumatized by the ghosts of a not so distant past, cannot afford (and does not want) a "Tunisian-style" adventure. No, the intention of this former resistance fighter of the war of liberation is, according to his supporters, to give things time in order to attend to Algerian affairs.

© Souhil

« Quel autre homme politique algérien peut aujourd’hui casser cette approche autocentrée, algéro-algérienne ? Nos dirigeants ont une vision anachronique de la diplomatie, de l’économie et de la société. Cela ne peut plus durer. Tout le monde constate désormais que la seule rente pétrolière ne pourra suffire à assurer la prospérité du pays et de ses citoyens », s’insurge l’un des protagonistes qui ajoute : « elle ne pourra même bientôt plus remplir les poches de ceux qui s’en goinfrent ». Mouloud Hamrouche, « un homme de stature internationale », lui apparaît comme le seul ayant l’envergure, la connaissance et l’expérience pour sortir le pays de l’ornière. Reste maintenant à savoir quel candidat la présidence et le système coopteront dans les prochaines années. Si ceux-ci le font, bien évidemment. Et puis, surtout, l’accueil que réservera le peuple algérien à Mouloud Hamrouche. À condition que celui-ci se décide sérieusement à replonger dans les méandres de la si complexe et piégeuse politique algérienne. Rien ne serait encore arrêté mais certains se mobilisent déjà !

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"What other Algerian politician today can reverse this typical Algerian, inward-looking approach? Our leaders have an anachronistic vision of diplomacy, economy and society. We cannot go on like this any longer. Everyone now realizes that oil revenues alone will not be enough to ensure the prosperity of the country and its citizens", protests one of the protagonists, who adds: "soon, they will even be insufficient to fill the pockets of those who benefit most from this income". In his opinion, Mouloud Hamrouche, "a man of international stature", is the only one with the calibre, knowledge and experience to pull the country out of the rut. It now remains to be seen which candidate the presidency and the system will co-opt in the coming years, if, indeed, they do and especially, how the Algerian people will welcome Mouloud Hamrouche. Provided that the latter decides to seriously delve into the intricacies of complex and tricky Algerian politics. For the moment, it would seem no decision has been made, but some are already getting ready! Translation from French Susan Allen Maurin


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OU L’ART D’EMPÊCHER LA JUSTICE DE CORROMPRE EN ROND OR THE ART OF PREVENTING BRIBERY-BASED JUSTICE par Sandra Wolmer

© Anas Aremeyaw Anas

Il s’appelle Anas Aremeyaw Anas. Passé maître dans l’art du grimage et de l’interprétation, il devient tour à tour femme, prêtre catholique, policier… et même rocher ! Paré de sa caméra cachée, il infiltre, tourne, accumule les images compromettantes. Et ce, pour simplement contraindre les autorités à juger idoinement les corrompus et autres criminels. Récemment, ce très redouté et réputé journaliste d’investigation ghanéen qui opère depuis plus de 15 ans, sous anonymat en masquant son visage, a encore frappé ! La judicature du Ghana, elle, a tremblé !

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His name is Anas Aremeyaw Anas. Past master of the art of disguise and performance, he turns into a woman, Catholic priest, police officer... and even a rock! With his hidden camera, he infiltrates, shoots, collects compromising pictures. All this, simply to force the authorities to judge the corrupt and other criminals appropriately. Recently, this feared and respected Ghanaian investigative journalist who has plied his trade for over 15 years, anonymously and masking his face, has hit again! The Ghanaian courts are trembling!


HARO SUR LA JUSTICE GHANÉENNE !

RETROUVEZ ICI L'INTÉGRALITÉ DE L'INTERVIEW

© nova3web

© manbeastextraordinaire

Son film Ghana in the Eyes of God, Epic of Injustice (ndlr : Ghana dans les yeux de Dieu, épopée d’une injustice) a produit l’effet d’une bombe et n’aura laissé personne indemne. Ni la petite nation ouest-africaine dont le système judiciaire était érigé en parangon de probité, ni la population désormais en état de choc, ni évidemment le système judiciaire qui se trouve au cœur d’un tsunami ! Au terme de deux années d’enquête, ce « James Bond du journalisme » aura compilé près de 500 heures de témoignages. Celui qui exerce aussi le métier d’avocat avait d’ailleurs préalablement pris soin, pour la bonne conduite de ses investigations, d’obtenir auprès du procureur général la garantie d’une immunité conformément à la loi protégeant les dénonciateurs de délits criminels. Conscient des menaces de poursuites pesant sur les médias ghanéens qui auraient pris le parti de présenter son documentaire, il aura la clairvoyance de privilégier des projections publiques à l’échelle nationale plutôt qu’une simple diffusion télévisée. Toujours est-il qu’en remettant au cours du mois d’août dernier sa bande d’enregistrement à Georgina Theodora Wood, la présidente de la Cour Suprême ghanéenne, Anas Aremeyaw Anas a révélé le plus grand scandale qui ait jamais entaché la justice de son pays !

Résultat des courses : après le visionnage de ses images montrant juges et autres personnels de la justice accepter des pots-de-vin et extorquer des fonds en contrepartie de décisions plus clémentes ou de l’obtention de postes, le Conseil de la magistrature s’est saisi de l’affaire pour prononcer quelques semaines plus tard le limogeage de 20 juges pour corruption ! Fidèle à sa devise « désigner, dénoncer, emprisonner », ce justicier n’en est pas à son premier coup puisqu’il a infiltré des dizaines de milieu et mis au jour autant d’affaires de corruption et crime organisé en cherchant par la suite à faire appliquer systématiquement les sanctions appropriées. Convaincu que le journalisme d’investigation doit aller au-delà de la simple information pour contribuer au « mieux-être » de la société, en choisissant de donner cette fois-ci un coup de pied dans la fourmilière judiciaire, l’homme dont le visage n’est connu que d’un petit nombre, appelle à une remise en question : que penser d’une démocratie où les juges se jouent sans aucun scrupule de la justice et de ses institutions? Pas sûr que les incriminés s’en soucient… D’ailleurs, pour échapper aux conséquences de leurs actes, certains d’entre eux n’ont-ils pas exigé qu’Anas Aremeyaw Anas fasse tomber le masque ?

HUE & CRY FOR GHANAIAN JUSTICE! His film Ghana in the Eyes of God, Epic of Injustice was a bombshell and spared no one. Neither the small West African nation whose judicial system had been touted as a paragon of probity, nor the population now in a state of shock, nor clearly the judicial system which found itself in the heart of a hurricane! After a two-year investigation, this “James Bond of journalism” had compiled nearly 500 hours of testimony. The one who is also a lawyer has been careful, for the sake of the investigation, to obtain from the public prosecutor a guarantee of immunity in accordance with the law protecting whistleblowers of criminal behaviour. Mindful of the threat of court action against any Ghanaian media that may have been involved in presenting his documentary, he had the foresight to screen a public viewing nationally rather than just a televised broadcast.In submitting his recording to Georgina Theodora Wood, the president of Ghana’s Supreme Court, Anas Aremeyaw Anas revealed the biggest scandal ever to taint the courts in his country! Result of the investigation: after viewing his images showing judges and other court staff accepting sweeteners and extorting funds in return for lenient rulings and job appointments, the Judicial Council held a hearing at the end of which it fired 20 judges for corruption. True to his motto "name, shame and jail" this righter of wrongs is no novice, having infiltrated dozens of situations and exposed corruption and organized crime, to ensure that appropriate penalties are applied.

© Flagstaff House Communications Bureau

Convinced that, to contribute to the wellbeing of society, investigative journalism should do more than just inform, giving this time the judicial anthill a kick, the man whose real face is known only to a few, begs the question: what to think of a democracy where judges operate with no scruples about justice and its institutions? Not sure though that criminals care... Besides, to escape the consequences of their actions, haven’t some of them demanded that Anas Aremeyaw Anas let his mask down? Translation from French Linkin'men Ltd 71


© Al Jazeera English

LE PAROXYSME DE TROP ?

Entre ces deux-là, le torchon brûlait déjà. La bousculade meurtrière du pèlerinage de La Mecque du 24 septembre dernier, auquel l’Iran aura payé le plus lourd tribut, a évidemment jeté de l’huile sur le feu. L’exécution du cheikh Nimr Baqer al-Nimr, ardent défenseur de la minorité chiite et farouche opposant à l’Arabie Saoudite aura fini par enflammer la poudrière. Résultat : la rupture des relations diplomatiques est désormais consommée. Difficile de faire pire sur ce plan ! De là à jouer les oracles en prédisant une troisième guerre du Golfe…

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A PAROXYSM TOO FAR? Tensions between them were already high. The deadly pilgrim stampede in Mecca on September 24, with Iranians paying the heaviest price, clearly fuelled the fire. The execution of Sheik Nimr Baqir al-Nimr, a vocal defender of the Shiite minority fiercely opposing Saudi Arabia, lit the powderkeg. It resulted in the breaking off of diplomatic relations. Hard to think of a worse outcome... It's not enough to act like an oracle predicting a third Gulf war...


PRÉOCCUPANT… VOUS AVEZ DIT PRÉOCCUPANT ? Sur la scène moyen-orientale, deux théocraties tentent historiquement d’infliger à l’autre un KO : une Arabie Saoudite, sunnite, traditionnellement soutenue par les monarchies du Golfe et les Occidentaux à l’égard desquels un Iran chiite, considéré des décennies durant comme appartenant à l'Axe du Mal, s’inscrit en faux. Alors en quoi le regain de tensions, né de la décapitation de ce dignitaire religieux, serait-il éminemment plus inquiétant que les précédents ? Loin de céder au catastrophisme, le géopolitologue Frédéric Encel écarte très clairement le plus noir des scenarii : « Du point de vue de la stabilité de la région, d’une montée des extrêmes, tout dépend de ce que l’on appelle inquiétant. Il n’y a pas un risque de guerre entre ces deux pays. La nature de leur affrontement rappelle la guerre froide ; c’est-à-dire que les Iraniens et les Saoudiens ne se battent pas ensemble. Ils ne veulent, ne peuvent pas et ne savent pas se battre. Ils ne le feront pas. Les Iraniens seraient d’ailleurs bien stupides de s’attaquer à un État qui se trouve toujours sous alliance américaine. » Mais alors, où donc le bât blesse ? Et le maître de conférence à Sciences Po Paris de répondre : « Il y a une crispation liée à la perte de sang-froid du régime saoudien (…) qui voit tous ses voyants passer au rouge (…) et démontre en réalité un véritable cas de faiblesse. »

IL Y A UNE CRISPATION LIÉE À LA PERTE DE SANG-FROID DU RÉGIME SAOUDIEN

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WORRYING… DID YOU SAY WORRYING? In the Middle East, two theocracies have historically vied to knock each other out: Sunni Saudi Arabia traditionally supported by Gulf monarchies and the West, to which Shiite Iran — considered for decades as belonging to the Axis of Evil — stands opposed. So why should the renewed tensions, caused by the beheading of a religious dignitary, be any more worrying than any others before? Far from giving in to disastermongering, geopolitics scholar Frédéric Encel roundly dismisses the darkest scenarios : "From the point of view of regional stability, and the rise of extremism, it all depends on what you call worrying. There is no risk of war between these two countries. Their standoff resembles the Cold War, ie., the Iranians and Saudis aren’t actually coming to blows. They don’t want to fight, and can’t, don’t know how to. They won’t do it. Iran wouldn’t be so stupid as to attack a country that’s still a US ally." Aye, there’s the rub. The Paris Political Science lecturer adds: "There is a certain increase in tension connected with the Saudi regime losing its composure... seeing all its warning systems lighting up red... and showing weakness."

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LORSQUE LE VENT COMMENCE À TOURNER… Effectivement. Depuis un certain temps, le royaume saoudien laisse transparaître des signes annonciateurs de ce qui ressemble à s’y méprendre à un début de déliquescence. Quel que soit l’angle considéré, celui qui ne doit son influence et ses alliances qu’à son statut de gardien de l’orthodoxie sunnite et de premier producteur de pétrole au monde voit ses fondations vaciller. Sur le plan économico-financier, la politique de baisse des prix du baril et de hausse des volumes de production, « lui garantit, comme le souligne Frédéric Encel, un équilibre budgétaire mais entame sérieusement ses capacités d’investissements et d’achats », pourtant indispensables. Autant dire qu’avec cette stratégie, « le pays se tire une balle dans le pied ! »

Sur le plan militaire, rien n’est gagné ! Lorsque Riyad ne subit pas certaines situations — le maintien au pouvoir de Bachar el-Assad et l’intervention conséquente des Russes ont définitivement entamé sa tranquillité — elle se distingue par la prise d’initiatives malheureuses : accusant Téhéran de complicité avec les rebelles houthis au Yémen, elle y a engagé une guerre coûteuse, ratée et continue de s’engluer dans ce bourbier. En outre, à l’heure où les Occidentaux, ses fidèles alliés, s’emploient à éradiquer Daech, le royaume saoudien semble éprouver de plus grandes difficultés à combattre d’une main ce qu’elle a contribué à créer de l’autre. Certes, le régime des Saoud « a pris peur le jour où dépassant leur maître, ces fondamentalistes se sont retournés contre lui en pointant du doigt son insuffisance dogmatique », ce qui l’a encouragé à participer à leur élimination. Pour autant, ce ralliement l’exonère-t-il de sa responsabilité dans l’émergence de l’islamisme radical ? Rien n’est moins sûr. Et que dire de sa décision de maintenir l’exécution du cheikh Nimr Baqer al-Nimr, alors qu’il y avait un début de processus de négociation pour envisager des sorties de crise en Syrie et au Yémen ? Les tensions qui s’en sont ensuivies alimentent les conflits qui s’y déroulent — par le biais desquels elle affronte d’ailleurs par procuration son ennemi juré iranien — et in fine réduisent à peau de chagrin les efforts déployés jusqu'ici pour parvenir à leur règlement politique.

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WHEN THE WIND SHIFTS... Truth be told, for some time the Saudi Kingdom has left signs that could be interpreted as the beginnings of decay. Any way you look at it, as it owes its influence and alliances only to its status as the guardian of Sunni orthodoxy and the world’s leading oil producer, it is seeing its base waver. Economically and financially, the drop in barrel oil price and the increase in output volumes, "guarantees," as Frédéric Encel says, "that it can balance its budget but seriously undermines its investment and purchasing clout" which are, however, essential. This amounts to saying that, with this strategy, "the country has shot itself in the foot."

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Militarily, no wins. While Riyadh doesn’t have to cope with certain situations – Bashar el-Assad's continuing hold on power and the resulting intervention by Russia weakened definitively its peaceful existence – It has been conspicuous by its taking of unfortunate decisions: accusing Teheran of complicity with Houthi rebels in Yemen, it waged war there that is costly, seemingly hopeless and continues to keep it stuck in a quagmire. Besides, at a time when the United States and the West, its faithful allies, are busy eradicating Daesh, the Saudi Kingdom seems to be facing massive problems fighting with one hand what it has helped create with the other. Certainly, the Saudi regime "got scared the day that these fundamentalists, more extreme than their masters, took it upon themselves to condemn its lack of dogmatism", which encouraged it to participate in their eradication. But for all that, does this uprising exonerate it from responsibility for the emergence of radical Islamism? Who knows. And what of its decision not to back down from the execution of Sheik Nimr Baqir al-Nimr, while negotiations had begun for ways to exit from the crises in Syria and Yemen. The resulting tensions fuelled the resulting conflicts – which also gave it a way of attacking its sworn enemy Iran – ultimately undermining the efforts put forward to reach a political settlement.


Sur le plan diplomatique, Riyad n’est pas franchement mieux inspirée. En s’entêtant à faire vibrer la corde de la sempiternelle opposition chiite/sunnite, l’Arabie Saoudite joue un jeu dangereux. Comme le souligne Thierry Coville, spécialiste de l’Iran et chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), « depuis la chute de Saddam Hussein, on voit la région de plus en plus dominée par l’Iran ». Une posture que les Saoudiens se plaisent à exploiter. « Le discours de l’Arabie Saoudite n’est absolument pas d’avoir un dialogue avec les chiites. On nous sert la soupe d’un affrontement chiite/ sunnite alors qu’il y a plein d’endroits où ils vivent en harmonie. Même si leur religion est différente ils ne sont pas destinés à s’étriper ». Et d’expliquer qu’il faut cesser de mettre dos à dos ces deux « pôles » car l'opposition chiite/sunnite stricto sensu ne revêt aucune pertinence. En revanche, instrumentaliser le fait religieux au profit d’intérêts stratégiques et politiques peut contribuer à la radicalisation selon le chercheur de l’IRIS : « La stratégie de l’Arabie Saoudite qui consiste à se présenter comme le défenseur de la communauté sunnite attaquée par les chiites ne va pas dans le sens de la lutte contre l’État islamique. » Voilà qui est dit ! Ajoutez à cela la signature en juillet dernier de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran et le retrait relatif des Américains du Moyen-Orient et vous obtenez une Arabie Saoudite indéniablement et durablement crispée !

On the diplomatic front, Riyadh frankly has never been more inspired. Determined to do everything it can to keep the perennial Shiite/Sunni conflict going, Saudi Arabia is playing a dangerous game. As Thierry Coville emphasizes, an Iran specialist and scholar at the Paris Institute for International and Strategic Relations, "Since the fall of Saddam Hussein, the region has been increasingly dominated by Iran." A situation that the Saudis are more than happy to exploit. "Saudi Arabia’s position is that it has absolutely no interest in dialogue with the Shiites. So we’re told that like it or lump it the Shiites and Sunnis are at each other's throats but there are lots of areas where they live in harmony. Just because they are different religions, it doesn’t mean they’re destined to tear each other’s guts out." And explains why they should stop being implacable enemies because Shiite/Sunni opposition is actually pointless. Indeed, using the religion card to promote strategic and political interests can contribute to radicalization, says Encel: "Saudi Arabia’s strategy to present itself as the defender of the Sunni community attacked by Shiites makes no sense in terms of fighting Islamic State." So there! Add to that the signing last July of the nuclear agreement with Iran, and America's retreat from the Middle East, and you get a Saudi Arabia undeniably and perennially on tenterhooks.

… VERS LE GÉANT PERSE Inquiétant, préoccupant, catastrophique. Tels sont les adjectifs choisis pour qualifier l’actuel degré de cordialité des relations irano-saoudiennes. Mais, tout bien considéré, le problème se situe-t-il vraiment là ? Rivalité aidant, quoi de plus normal pour deux frères ennemis de traverser des périodes de tensions plus ou moins exacerbées ? Si l’exécution du cheikh Nimr Baqer alNimr a clairement attisé les tensions dans la région, cette condamnation à mort s’avère surtout symptomatique de la nervosité du régime saoudien. En effet, celui qui, sur fond de guerre froide, lutte inlassablement contre son rival chiite pour cimenter son leadership et l’influence sunnite au niveau régional, ne peut que constater avec fébrilité et impuissance que la réintégration de l’Iran dans le giron international est en marche. Même si elle ne sera pas effective à très court terme, compte tenu des séquelles laissées par les sanctions économiques, la perspective d’une future alliance avec Téhéran venant se substituer à celle qui existe actuellement avec Riyad ne semble plus ubuesque. Comme le souligne Frédéric Encel, « longtemps considérée comme une solution, l’Arabie Saoudite, matrice idéologique et financière du wahhabisme le plus extrême, est devenue un problème ». De quoi fatalement inciter les Occidentaux à lorgner du côté perse ! C’est là le pire cauchemar des Saoudiens… et il pourrait se concrétiser.

... TOWARDS THE GIANT: PERSIA Disturbing, worrying, catastrophic. These are the words used to describe the degree of cordiality in Iran-Saudi relations. But all things considered, is that actually true? Isn’t healthy rivalry just part of the normal relations between siblings in tense and difficult times? Although the execution of Nimr Baqir al-Nimr clearly stirred up tensions in the region, his death sentence was symptomatic of the Saudi regime’s nervousness. In fact, against the backbround of a cold war, implacably fighting against its Shiite rival to cement its leadership and Sunni influence across the region, it cannot but frustratingly and powerlessly stand by and watch Iran being integrated into the bosom of the international community. Even if it isn’t effective in the short term, given the repercussions of economic sanctions, the prospect of a future alliance with Teheran to replace its existing relationship with Riyad, no longer seems bizarre. As Encel says: "Long regarded as the solution, Saudi Arabia, the ideological and financial home of the most right-wing Wahhabism, has become a problem." Why fatally incite the United States and the West to set their sights on Persia. That’s the worst possible nightmare for the Saudis... and it could happen. Translation from French Linkin'men Ltd 75


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LA SYMPHONIE INACHEVABLE… AN UNACHIEVABLE SYMPHONY... by Hervé Pugi

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IL Y A CEUX QUE L’ON ENVISAGE DE METTRE À LA PORTE, LES GRECS, ET CEUX QUE S’IMAGINENT ÉVENTUELLEMENT LA PRENDRE, LES BRITANNIQUES. L’UNION EUROPÉENNE (UE), CHAMPIONNE DE L’ÉLARGISSEMENT TOUS AZIMUTS, EN EST LÀ DE SA « CONSTRUCTION ». FRAGILISÉ, L’ÉDIFICE CONTINENTAL N’A CESSÉ DE SE LÉZARDER AU FIL DES ANS. UNE ÉVIDENCE S’IMPOSE : À FORCE DE « POUSSER LES MURS », LES FONDATIONS PLOIENT DANGEREUSEMENT. TROP DE MONDE DANS LA MAISON EUROPE ? PLUS QU’UNE QUESTION LÉGITIME… Il fut un temps où les écoliers européens n’avaient guère que douze capitales, familières, à placer sur une carte de ce qui était alors la Communauté économique européenne. Ça, c’était avant que la machine s’emballe, que le rideau de fer s’écroule et que l’idéal d’un continent en paix mute en un désir, jamais assouvi, de toute-puissance économique. De 12 en 1986, le nombre d’États membres a grimpé à 28 en 2013. Voilà désormais que l’UE négocie avec la Serbie, (re)discute avec la Turquie et lorgne vers une Ukraine jusque-là chasse gardée russe. Preuve ultime de l’attractivité de l’Union ! Oui mais, dans le même temps, les frontières s’hérissent de barbelés et les nationalismes flambent à nouveau. Drôle de triomphe ! À force de regarder toujours plus loin, c’est un fait, les Européens se sont eux-mêmes perdus de vue. À moins qu’ils ne se soient jamais trouvés en vérité. Une bonne fois pour toutes, une monnaie unique ne fondera jamais une identité ! N’en déplaise aux banquiers à la vue basse de Francfort. Aujourd’hui, l’horizon continental n’offre au regard du citoyen lambda qu’un immense marché commun sur lequel le seul sigle € règne en maître. Au diable les grands idéaux, ils ont été ensevelis sous une avalanche de mesures techniques douloureusement financées et allègrement subventionnées. De fait, cochons payeurs comme cochons qui s’en dédisent, tous grouinent en cœur pour traîner dans la boue le drapeau aux douze étoiles dorées auquel ils ont pourtant tant aspiré dans un passé plus ou moins proche.

EUROPEAN UNION: ARE THOSE WHO WANT TO KICK OUT THE GREEKS, AND THOSE WHO SEE THEMSELVES EXITING, LIKE THE BRITISH. THEREIN LIES THE LITMUS TEST OF THE "CONSTRUCTED" EUROPEAN UNION (EU), A CHAMPION OF EXTENDING BOUNDARIES. WEAKENED, THIS CONTINENTAL INSTITUTION HAS NOT FAILED TO RISE FROM THE DEAD OVER THE YEARS. THE EVIDENCE, HOWEVER, IS COMPELLING: BY PUSHING OUT ITS WALLS, ITS FOUNDATIONS ARE FAILING DANGEROUSLY. TOO MANY PEOPLE IN THE EUROPEAN HOME? A MORE-THAN-LEGITIMATE QUESTION... There was a time when European schoolchildren only had to learn 12 capital cities, which everyone knew, and locate them on a map which was at the time the European Economic Community. That was before the machine went wild, the Iron Curtain came crashing down, and the ideal of a continent in quiet peace with a single unsatisfied goal of overwhelming economic power. From 12 in 1986, the number of Member States rose to 28 in 2013. Now we see the EU negotiating with Serbia, (re)discussing terms with Turkey and hoping that the Ukraine, Russia’s former hunting ground, will join. Ultimate proof of the attractiveness of the Union! Yes, but at the same time, borders are sprouting barbed wire and nationalism is flaring up again. A phony success?

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© Charle

Taking a longer view, it’s a fact that Europeans have lost their vision – unless they never actually had it in the first place. Once and for all: a single currency will never forge an identity! Which will not please backroom bankers in Frankfurt. Today, the Continental vision offers the man-in-the-street only a massive common market in which the euro reigns supreme. To hell with grand ideals, they’ve been buried under an avalanche of painful technical measures and massively subsidized. And the little people who are putting up with it, like the little people who aren’t, grumble from the heart and are dragging the 12-star flag through the mud, which they had at one time believed in and aspired to, to a greater or lesser extent. 77


L’UTOPIE D’UNE EUROPE DES PEUPLES

THE UTOPIA OF A EUROPE OF PEOPLES

L’identité européenne. Voilà la grande question. Plus encore en ces jours difficiles qui voient le « socle de valeurs », si cher aux représentants de l’institution, voler en éclats. Le principe de solidarité entre les États n’a pas résisté à la vague des migrants. L’intransigeance allemande, pourtant complice du méfait sur le dossier grec, a ravivé bien des stigmates et certains dirigeants à l’est, dévoilant leur âme restée toute soviétique, votent allègrement des lois liberticides. Quant aux « historiques », France en tête, ils en sont à dépoussiérer ce faux débat sur l’identité... nationale. Non sans y introduire un zeste acide de xénophobie qui fait le bonheur d’une extrême-droite, europhobe, porteuse du grand projet d’un retour à l’ordre ancien. À mettre dans le même sac, tout ce que le continent compte de régionalistes, ces nationalistes déguisés, qui applaudissent à tout rompre une Écosse en rupture d’un royaume de moins en moins uni ou une Catalogne en passe de se débarrasser d’une autre couronne. En Belgique, la Flandre suit la même voie… Allez bâtir une Europe des peuples avec ça…

The European identity. That’s the big question. Even more so in these difficult days that are seeing the “bedrock of values”, so dear to the representatives of the institution, falling apart. The principle of solidarity between the States has not withstood the flood of immigrants. German instransigence, so complicit in mishandling the Greek fiasco, has revived prejudices and attitudes to the East, showing its true colours reminiscent of the Soviet bloc, voting to restrict human freedoms. As for “history”, France more than any country has to rid itself of the fictional debate about national identity. Not without, however, introducing an acid touch of xenophobia that makes an extreme Rightist happy as a Europhobe, advocating a wholesale return to the “the way it was”. This includes the bag of regionalists, nationalists in disguise, calling for an independent Scotland or Catalonia. In Belgium, Flanders is taking the same route... Go build a Europe of people with that...

À y regarder de plus près, le Vieux Continent ne l’est par certains aspects finalement guère plus, par exemple, que la jeune Amérique. L’unité italienne ? 1871. Le démembrement de l’Autriche-Hongrie ? 1918. La fin de l’Espagne franquiste ? 1975. La réunification allemande ? 1990. Ce ne sont là que quelques marqueurs, non exhaustifs mais évocateurs, de la tortueuse histoire contemporaine continentale jalonnée de bouleversements politiques majeurs. Entre alliances et mésalliances, idéologies et idéaux, fraternisations et discordes, l’ADN des nations a connu mille mutations mais aucune n’a encore abouti à l’émergence du sentiment d’un destin commun qui lierait un Finlandais à un Maltais et un Portugais à un Bulgare. De fait, le principe même de « citoyenneté européenne » a été réduit à la seule participation électorale (même si les référendums ne valent que s’ils vont dans le sens souhaité) et la simple obéissance à la loi.

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Looking more closely, yes, in some aspects the Old World isn't really much older than the younger America. Italian unification? 1871. The dismemberment of the Austro-Hungarian Empire ? 1918. The end of Franco’s Spain? 1975. German Unification? 1990. These, however, are only markers – non-exhaustive but evocative – in the tortuous history of the continent’s latest journey milestoned by major political upheavals. Between alliances and betrayals, ideologies and ideals, fraternisations and disagreements, national DNAs have undergone thousands of mutations but none have yet resulted in the emergence of a sentiment of common destiny that could link Finland to Malta and Portugal to Bulgaria. Indeed, the very principle of “European citizenship” has been reduced to merely electoral participation (and referendums don’t even count when they go against official intentions) and simply obeying the law.


RULE, BRITANNIA ! Hier, l’Union européenne a envisagé de rendre ses drachmes à la Grèce. Sans que cela ne soit forcément perçu comme une tragédie du côté d’Athènes. Aujourd’hui, c’est la Grande-Bretagne – cette soliste talentueuse qui a toujours privilégié le God save the Queen à l’Ode à la joie – qui n’exclut pas de s’insulariser comme au bon vieux temps. En tout cas, ils seraient en ce moment une majorité de Britanniques à vouloir conserver comme unique lien avec le continent le seul tunnel sous la Manche. Comment pourrait-il en être autrement lorsque la convention de Schengen ou l’euro ne leur apparaît que comme une forme d’exotisme ? Que veulent-ils sinon la mort de l’Europe sociale et la reprise en main des frontières ? Il faut dire que la splendeur des Trente glorieuses est passée et la moribonde eurozone n’inspire rien aux partisans du Rule, Britannia. « Business prime! », hurlent ceux-là pour qui l’Union européenne ne serait donc qu’une affaire de gros sous. Qui pour leur rappeler cette devise : in varietate concordia1 ? Malheureusement, pas grand monde… 1

unis dans la diversité

RULE, BRITANNIA!

© Laurea

Just recently, the European Union considered giving Greece back its drachmas. Which wasn’t regarded as an Athenian tragedy. Now, it’s the UK – a gifted soloist always preferring God Save the Queen to Ode to Joy – not ruling out going it alone like in the good old days. In any case, a majority of Britons would want to keep the Channel Tunnel as their only tie to the Continent. What can we do differently, now that Schengen and the Euro seem an exotic dream? What do they want if not the death of a European society and the reinstatement of borders? It must be said that we’re no longer in the Glorious Days of the European experiment and that the moribund eurozone no longer inspires the partisans of Rule Britannia. "Business rules!" shout supporters of the European Union who see it all as just a money thing. Who, however, will stand up for the motto: in varietate concordia?1 Unfortunately, not many... Translation from French Linkin'men Ltd 79


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JE T’AIME, MOI NON PLUS 10 janvier 2016, la Corée du Nord annonce la réussite de son premier essai de bombe à hydrogène, dite bombe H. Si les experts sont plus que sceptiques sur la véracité de ce test, les condamnations internationales fusent. Avec cette annonce faite deux jours après l’anniversaire de Kim Jong-un, le dirigeant suprême nord-coréen nargue la planète et se moque clairement de l’interdiction de poursuivre son programme nucléaire et des menaces de sanctions. Alliée historique de la Corée du Nord, la Chine a elle aussi condamné cet essai, mais du bout des lèvres. Pour des raisons politiques et surtout stratégiques, l’empire du Milieu ne peut pas se fâcher avec son voisin nord-coréen. Nous avons rencontré Antoine Bondaz, docteur en Sciences politiques de Sciences Po Paris et ancien chercheur au Carnegie-Tsinghua Center à Pékin, pour faire le point sur cette relation floue et pourtant très claire.

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Chaud. Froid. Chaud. Froid. Les liens qui unissent la Chine et la Corée du Nord ne sont pas un long fleuve tranquille. « La relation bilatérale est loin d’être idéale. Nous sommes très loin de l’image véhiculée dans la presse de la Chine et de la Corée du Nord comme alliées indéfectibles se respectant mutuellement », nous précise Antoine Bondaz. Diplomatiquement, le principal allié de la République populaire démocratique de Corée est bien la Chine, qui l’a soutenue militairement lors de la guerre de Corée. Le Traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle signé en 1961 lie les deux pays sur bien des domaines. Ça, c’est pour le chaud. Le froid vient justement des provocations nord-coréennes : directes, comme le rapt de bateaux de pêche chinois, ou indirectes et qui peuvent déstabiliser la région, comme les tirs de missile ou le programme nucléaire nord-coréen, qui irrite profondément Pékin.

I LOVE YOU... ME NEITHER On January 10, 2016 North Korean announced it had successfully detonated its first hydrogen or “H” bomb. Although experts were more than sceptical about the veracity of the claim, international condemnation came thick and fast. With this announcement just two days after his birthday, the country’s supreme leader Kim Jong-un taunted the world, thumbing his nose at the UN Security Council ban on North Korea conducting future nuclear tests, and the threat of international sanctions. A traditional ally of North Korea, China also joined in the condemnation, although paying little more than lip service. This is because for political and above all strategic reasons, Beijing can’t afford to fall out with its North Korean neighbour. We went to meet Antoine Bondaz, a Political Science Paris Ph.D. and former scholar at the Carnegie–Tsinghua Center in Beijing, to cast light on this fuzzy yet clear relationship. Warm. Cold. Warm. Cold. The links connecting China and North Korea aren’t a peacefully flowing river. "The bilateral relationship is far from ideal. We’re a long way from the image portrayed in Chinese and North Korean media of them as staunch, mutually supportive allies," says Bondaz. Diplomatically, the Democratic Republic of North Korea’s main ally is certainly China, which has supported it militarily since the Korean War. The Treaty of Friendship, Co-operation and Mutual Assistance signed in 1961 links the two countries in certain fields. So much for the warmth. The cold comes from North Korean provocations: direct ones, like its seizure of Chinese fishing boats; and indirect ones which could destabilize the region, like its missile launches and nuclear program, which deeply irritate Beijing.

© APEC 2013

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Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en mars 2013, les relations entre les deux pays sont plus que tendues et particulièrement fraîches. Mais le lien ne cèdera pas, ne gèlera pas. Car Pékin ne peut pas faire grand-chose devant Kim Jong-un qui, de toute façon, se moque des remontrances verbales de son voisin comme de sa première chemise à col mao. Si la Chine soutient, à bout de bras parfois, son voisin nord-coréen, c’est qu’elle n’a aucun intérêt à le voir disparaître. « La stabilité de la région est la priorité des priorités pour la Chine », confirme Antoine Bondaz. Les États-Unis sont les principaux alliés militaires de la Corée du Sud, où ils ont installé des bases militaires et quelque 30 000 soldats américains. Selon des récents sondages, « 70 % des Sud-Coréens souhaiteraient conserver cette alliance, même en cas d’effondrement de la Corée du Nord ». La disparition de la Corée du Nord et la naissance d’une Corée unifiée, c’est la possibilité pour Washington de positionner ses troupes à la frontière chinoise. De quoi donner des aigreurs d’estomac à Xi Jinping, qui préfère un voisin bruyant et indiscipliné à un voisin un peu trop curieux. Selon Antoine Bondaz, « la Chine souffre d’un complexe d’insécurité vis-à-vis des États-Unis, notamment sur le plan militaire. Sur la façade maritime, coeur de la puissance chinoise, les Chinois ont le sentiment que les Américains les encerclent, et c’est une réalité. Washington dispose d’alliances avec le Japon, la Corée du Sud, les Philippines et la Thaïlande. Les États-Unis se rapprochent aussi de Singapour, de l’Indonésie et depuis peu du Viêt Nam ». Seule la Corée du Nord fait tampon. « Une Corée unifiée deviendrait le premier pays allié des ÉtatsUnis avec une frontière terrestre avec la Chine, au plus proche de Pékin. Pour cette dernière, ce serait une nouvelle donne stratégique, synonyme pour l’heure de trop d’incertitudes ». Lorsque Pyongyang s’agite un peu trop, Pékin râle, tape un peu sur les doigts, mais pas trop fort. « La Chine peut se fâcher contre son voisin. Elle l’a déjà fait et le fait régulièrement, précise le docteur en Sciences politiques, mais la Chine ne peut clairement pas se permettre d’abandonner la Corée du Nord ! Cela reviendrait in fine à un effondrement du régime et la Chine n’y a aucun intérêt ».

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Since Xi Jinping took the helm in March 2013, relations between the two countries have been more tense and decidedly frosty. But the link won’t collapse and relations aren’t about to freeze, because Beijing can’t do a lot about Kim Jong-un and anyway dismisses its neighbour’s pretensions as not caring two hoots about them. Although China backs its North Korean neighbour, at arm’s length sometimes, it’s because it has no interest in its troublesome neighbour disappearing. "The priority of priorities for China is regional stability," says Bondaz. The United States is South Korea’s main military ally, having installed military bases and some 30,000 US soldiers in the country. According to recent surveys, "70% of South Koreans want to keep this alliance, even if North Korea collapses." The disappearance of North Korea and the birth of a unified Korea would make it possible for Washington to position its troops along China’s border. The prospect of which makes Xi Jinping viscerally uneasy, preferring a noisy and undisciplined neighbour to one who’s too curious. According to Bondaz, "China suffers from an insecurity complex when it comes to the United States, especially militarily. On the maritime front, the core of China’s power, the Chinese feel that the Americans have them encircled, and that’s true. Washington has alliances with Japan, South Korea, the Philippines and Thailand. The US is also forging closer ties with Singapore, Indonesia and just recently Viet Nam." The only buffer that China has is North Korea. "A unified Korea would become the first-ever US ally to have a land border with China, and so close to its capital. For Beijing this would constitute a new strategic reality with, for the time being, too many uncertainties." Whenever Pyongyang gets a bit too agitated, Beijing moans and gives it a slap on the wrist, but not too hard. "China may get mad at its neighbour. It’s already done so and does it regularly," says the Political Science Ph.D., "but it clearly can’t allow itself to abandon North Korea. That would ultimately lead to the Pyongyang regime collapsing and China has no interest in that."


Après l’essai de la bombe H début janvier, la Chine, membre permanent du Conseil de sécurité, préserve son allié et continue de penser que le dialogue est plus efficace que des sanctions. Notamment économiques qui, pour le moment, n’ont que très peu d’effets. Isolée dans la région, « surtout suite au retour au pouvoir des conservateurs en Corée du Sud en 2008, qui ont fait stagner le commerce intercoréen », la Corée du Nord ne commerce qu’avec la Chine ou presque : 70 % de son commerce extérieur se fait avec l’empire du Milieu. Pour le moment, les tentatives de Pyongyang pour se rapprocher d’autres grandes puissances comme la Russie pour diversifier ses débouchés et attirer des investissements ne rencontrent pas un grand succès. Mais elles soulignent la dépendance de la Corée du Nord envers son grand frère chinois et la nécessité pour Kim Jong-un de trouver d’autres partenaires économiques. Si la Chine est le meilleur allié (économique) de la Corée du Nord, ce n’est pas non plus la poule aux oeufs d’or. « La perfusion est manifeste : la Chine veut maintenir en vie la Corée du Nord », mais ne parvient pas à l’influencer, « ce qui irrite de nombreux Chinois ». La Corée du Nord peutelle utiliser son programme nucléaire comme un outil de marchandage - du type « aidez-nous et nous arrêtons nos essais » - pour trouver de nouveaux débouchés économiques ? « Cette analyse très répandue en Occident depuis 20 ans me semble erronée », corrige Antoine Bondaz. Pire, « elle a permis en partie la nucléarisation du pays. Or, objectivement, la Corée du Nord n’a jamais rien obtenu après ses essais », sinon le renforcement des sanctions. La priorité de la dénucléarisation du pays est au coeur du désaccord majeur entre la Chine et les États-Unis. Un désaccord « qui limite toute coopération stratégique entre les deux pays. La Chine priorise la stabilité du régime nord-coréen sur la dénucléarisation. Les États-Unis priorisent la dénucléarisation du pays sur un effondrement du régime. Les deux pays sont incapables de se mettre d’accord ». C’est donc lorsque le pouvoir est fragile en Corée du Nord que le soutien de la Chine est le plus fort. Depuis que le régime est stable (début 2012), Pékin prend ses distances avec Pyongyang et affiche clairement et officiellement ses critiques. Mais pas d’abandon possible. « Comme j’essaie souvent de l’expliquer, les deux pays sont des otages mutuels, résume Antoine Bondaz. La Corée du Nord a besoin de la Chine pour survivre et ne pas s’effondrer. Et stratégiquement, la Chine a besoin que la Corée du Nord survive, c’est-à-dire garantir la stabilité du régime ».

After the H bomb test in early January, China, a permanent member of the Security Council, protected its alliance and continued to advocate dialogue as more effective than sanctions. Especially economic sanctions, which for the time being are having little effect. Isolated in the region, "especially after conservatives returned to power in South Korea in 2008, which caused interKorean trade to stagnate," North Korea now trades only with China, or nearly so: 70% of its foreign trade is with its massive northern neighbour. For the time being, Pyongyang’s attempts to approach other major powers such as Russia to diversify its trade outlets and attract investment have met with little success. But they underscore North Korea’s dependency on its Chinese sibling and Kim Jong-un’s need to find other economic partners. Although China is North Korea’s best economic ally, it’s no longer a goose laying golden eggs. “The transformation is palpable: China wants to keep North Korea alive," but isn’t managing to influence it, "a fact that irritates many Chinese." Can North Korea use its nuclear program as a bargaining tool – as in "help us and we’ll stop testing" – to find new economic opportunities and outlets? "This interpretation, very widely shared in the West for 20 years, to me seems mistaken," says Bondaz. Worse, "It is partially responsible for permitting the nuclearization of the country. If we look at it objectively, North Korea has never obtained anything after its tests," apart from tighter sanctions. Prioritizing the denuclearization of the country lies at the heart of the major disagreement between China and the United States. A disagreement "that limits any strategic cooperation between the two countries. For China, the stability of the North Korean regime takes priority over denuclearization. For the United States, denuclearizing the country takes priority over regime collapse. The two powers can’t come to an agreement." This is why China’s support for North Korea is strongest when Pyongyang is weakest. Since the regime stabilized in early 2012, Beijing has been keeping its distance from Pyongyang, criticizing it officially and vocally so. But abandoning it is out of the question. Bondaz sums up: "As I’ve often tried to explain, the two countries are in hostage to each other. North Korea needs China if it is to survive and not collapse. And, strategically, China needs North Korea’s survival, which means regime stability." Translation from French Linkin'men Ltd

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Minister of Tourism Salma Elloumi Rekik

© Highlights

par Hervé PUGI

AVEC LES DRAMATIQUES ATTENTATS DE TUNIS ET DE SOUSSE, 2015 RESTERA ASSURÉMENT UNE ANNÉE NOIRE POUR LE SECTEUR TOURISTIQUE EN TUNISIE. POURTANT, PAS QUESTION DE BAISSER LES BRAS. SALMA ELLOUMI REKIK, MINISTRE DU TOURISME ET DE L’ARTISANAT, ENTEND PROFITER DE CETTE CRISE POUR INSUFFLER UN NOUVEAU SOUFFLE À CETTE ACTIVITÉ CRUCIALE POUR L’ÉCONOMIE DU PAYS. 54 ÉTATS EST PARTI À SA RENCONTRE.

« Nous traversons la crise la plus importante qu’ait connu notre pays et cela se ressent logiquement sur ce secteur crucial pour la Tunisie qu’est le tourisme ». Ton posé, regard décidé, aucun signe d’abattement apparent chez Salma Elloumi Rekik. Pourtant, en prenant ses fonctions au sein du ministère du Tourisme et de l’Artisanat, l’ancienne députée de la première circonscription de Nabeul n’imaginait certainement pas l’annus horribilis que vivrait son secteur. Les drames du musée du Bardo en mars et de la station balnéaire de Port El-Kantaoui en juin 2015 auront mis à mal ce fleuron de l’économie nationale. Le constat est là : « Nous avons enregistré une baisse de 50 % des touristes européens. Au global, cette chute des entrées atteint 26 %. » Avec des conséquences qui vont bien au-delà du seul secteur hôtelier, « il s’agit de toute une chaîne. L’artisanat, par exemple, emploie 360 000 personnes, dont 80 % de femmes basées à travers tous le pays. Ces gens ont subi de plein fouet les effets de cette situation ». 84

WITH THE DRAMATIC ATTACKS IN TUNIS AND SOUSSE, 2015 WILL SURELY REMAIN A BLACK YEAR FOR TUNISIA’S TOURIST INDUSTRY. HOWEVER, THERE IS NO QUESTION OF GIVING UP. SALMA ELLOUMI REKIK, MINISTER OF TOURISM AND HANDICRAFT, INTENDS TO TAKE ADVANTAGE OF THIS CRISIS TO GIVE THIS ACTIVITY WHICH IS SO CRUCIAL TO THE COUNTRY’S ECONOMY, A SECOND WIND. 54 ÉTATS WENT TO INTERVIEW HER.

"We’re going through the worst crisis the country has ever known and it impacts an industry that is crucial for Tunisia – tourism." Steady voice, determined look, no sign of wavering in Salma Elloumi Rekik’s demeanour. But when taking on the job of Minister of Tourism and Handicrafts, the former parliamentary representative for the biggest electoral district of Nabeul certainly never imagined the annus horribilis that this industry was about to experience. The drama at Bardo Museum in March and the beach resort of Port El-Kantaoui in June 2015 shattered this jewel of its national economy. The verdict was: "Tourist numbers from Europe fell by 50%, and overall by 26%" with consequences extending far beyond the hospitality sector: "It hits the entire value chain. Handicrafts, for example, employ 360,000 people, 80% of them women all across the country. These people have taken the full brunt of this situation."


Autant dire qu’il y a du pain sur la planche. Pas de quoi effrayer celle qui est également la trésorière du parti Nidaa Tounes. « En période de crise, il est surtout important de faire le bilan de la situation. De constater les points forts et les points faibles de l’activité. C’est l’occasion de restructurer le secteur, de revoir certaines choses », avant de préciser : « nous avons d’abord pris des mesures pour sauver l’activité à court terme mais aussi pour élaborer une stratégie à moyen et à long terme.» Plus qu’une nécessité, un impératif en vérité. Si l’économie tunisienne dans son ensemble vise à une diversification, le secteur du tourisme n’échappe pas à cette tendance lourde. « Nous avons pendant très longtemps proposé un tourisme à 90 % balnéaire. Nous avons des plages magnifiques, c’est vrai, et c’est un produit important qui doit continuer à exister, mais nous devons aussi être capables d’offrir d’autres choses », explique la native de la capitale avant de décliner : « Tourisme culturel, écologique, saharien, sportif, médical mais aussi d’affaires. Nous avons des projets en ce sens ». Diversification de l’offre mais aussi de la clientèle. Les Européens tournent le dos à la Tunisie ? Pas question de céder à la panique, la ministre a le regard tourné vers d’autres débouchés : « Le tourisme est un secteur en croissance dans le monde entier, de l’ordre de 4 à 5 % par an. On estime à 1 milliard le nombre de touristes en 2015. Cette activité représente 9 % du revenu mondial. Dès qu’un pays commence à se développer, les citoyens commencent à voyager. C’est le cas, par exemple, de la Chine, premier marché émetteur en 2015 avec 100 millions de touristes. Même constat pour l’Inde et quelques autres. Ce sont des marchés d’envergure auxquels il faut nous intéresser. »

© 54états

OFFERING MORE THAN JUST BEACH RESORTS

It goes without saying that there is a lot of work to do. Not really much to worry about though, given the Nidaa Tounes Party’s constituency and backing. "What is important in a crisis, first and foremost, is to take stock of the situation. Identify the strengths and weaknesses of your business. It’s an opportunity to restructure the sector and review key aspects." Then moves on: "We have, first, taken steps to rescue business in the short term as well as developing a mid- and long-term strategy." More than a necessity, it is in truth an imperative. Although the Tunisian economy as a whole is aiming at diversification, the tourism industry cannot escape this appalling trend. "For a very long time 90% of our tourism has been seaside resorts. We have magnificent beaches, it’s true, and it’s a key feature that must continue to exist, but also have to be able to offer other things..." says the native of the capital before explaining: "...such as cultural, ecological, Sahara, sports, medical, and business tourism. And we have set up projects to do so." Not just product diversification, but customer diversification too. Are Europeans turning their backs on Tunisia? No question of giving in to panic, though, the Minister has her sights set on other opportunities: "The tourist industry is growing by 4% to 5% a year worldwide. There will be an estimated 1 billion tourists on the planet in 2015, with tourism accounting for 9% of the global economy’s revenue. As soon as a country starts to develop, its people start to travel. That’s the case for example in China, the country with the most outbound tourists in 2015 with 100 million Chinese travellers. India and a few other countries report similar statistics. These are massive markets that we need to tap." 85


Salma Elloumi Rekik le concède toutefois, l’important dans un premier temps est « de reconstruire l’image de la Tunisie » avec comme priorité la sécurité. « Des accords ont été passés avec un certain nombre de pays pour sécuriser les frontières et les zones touristiques. Un grand travail a été effectué avec des experts allemands pour mettre en place un référentiel sécurité très complet. Notre objectif est d’arriver à atteindre un niveau de sécurité équivalent à celui qui existe en Europe. Même si nous avons vu à Paris que le risque zéro n’existe pas ». L’occasion pour la ministre de glisser un mot sur ces pays qui, fin juin 2015, ont déconseillé à leurs concitoyens de se rendre en Tunisie : « Je comprends la position de

ces États. Pour autant, au regard des événements qui se sont déroulés dans d’autres pays, je constate que cette recommandation n’a pas forcément été prodiguée. Ceux qui ont ‘interdit’ la Tunisie à leurs ressortissants ont, sans le vouloir, joué le jeu des terroristes. » Alors, oui, la Tunisie est en crise mais Salma Elloumi Rekik a foi dans le futur : « La Tunisie est un petit pays qui possède un grand peuple. Ce que nous avons obtenu est déjà énorme mais ce n’est pas encore suffisant. Nous avons encore bien des défis à relever. Nous sommes une jeune démocratie mais je ne doute pas que nous allons réussir à dépasser cette période difficile pour construire une nouvelle Tunisie, moderne et ouverte sur le monde. »

© Denis jarvis

Salma Elloumi Rekik concedes, however, that the first step is to "rebuild Tunisia’s image" with security and safety as the priority: "We have signed agreements with a certain number of countries to secure our borders and tourist areas. We have done a lot of work with German experts to install comprehensive security systems. Our goal is to achieve a level of security equivalent to Europe’s, although we saw in Paris that there is no such thing as zero risk." The Minister also took the opportunity to say a few words about countries whose governments, in late June 2015, advised their people against travelling to Tunisia: "I understand their position. But given the events that 86

have also happened in other countries, I can’t agree that their recommendations are warranted. Those who ‘ban’ their nationals from visiting Tunisia are, without wanting to, playing into the hands of the terrorists." So yes, Tunisia is in crisis but Salma Elloumi Rekik has faith in the future: "Tunisia is a small country with a great people. What we have achieved so far is tremendous but it’s not enough. We still have many challenges to tackle. We are a young democracy but I have no doubt that we will succeed in getting past this difficult period, to build a new Tunisia that is modern and open to the world." Translation from French Linkin'men Ltd


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Ce désert semi-aride, dont le nom signifie « grande soif » ou « lieu sans eau » reste l’un des ultimes territoires sauvages d’Afrique. C’est la terre des Sans (aussi appelés Bochimans), présents dans la région depuis 44 000 ans ! Plusieurs parcs naturels se partagent les 900 000 km2 de cette étendue unique entre Botswana, Afrique du Sud et Namibie. À découvrir une flore unique et une trépidante vie sauvage (lions, éléphants, hyènes, suricates, antilopes…) This semi-arid desert, of which the name means "the great thirst" or "a waterless place" remains one of the ultimate wild lands in Africa. It is the land of the San people (also called Bushmen) who have been present in the region for 44 000 years! Several parks share the 900 000 km2 of this unique expanse between Botswana, South Africa and Namibia. The Kalahari Desert is home to unique flora and vibrant wildlife (lions, elephants, hyenas, meerkats, antelopes...)

© Fede

Avec ses îles et ses eaux claires, sis au sud de l’immense lac Malawi, ce parc national classé par l’UNESCO abrite plusieurs centaines d’espèces de poissons, presque toutes endémiques. Ce « Galapagos » aquatique et… africain a tout d’un paradis pour les plongeurs. Ce lac est le second plus profond de la planète. Pour ceux qui préfèrent garder la tête hors de l’eau, ses rives sont jalonnées de villages. Là résident les populations Nyassa, Manda ou Ngoni. Located south of the huge Lake Malawi, this UNESCO-listed National Park, with its islands and clear waters, is host to several hundreds of fish species, nearly all of which are endemic. This aquatic and… African "Galapagos" is a diver's paradise. The lake is the second deepest in the world. For those who prefer to keep their heads above water, its shores are dotted with villages, which are home to the Nyasa, Manda and Ngoni populations.

© Abby Sasser

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Le paysage karstique du Tsingy de Bemaraha s’est formé voilà maintenant 160 millions d’années. Un glissement tectonique ancestral dont découle un panorama exceptionnel fait d’éperons calcaires tourmentés et d’harmonieuses collines ondulées. La gorge de la rivière Manambolo n’est pas la dernière des merveilles. Côté faune, nombre d’espèces rares et menacées ont trouvé refuge dans ce lieu unique. Difficile d’échapper, évidemment, aux « stars » que sont les lémuriens.

© Robin Lee

Tsingy de Bemaraha’s karstic landscape was formed 160 million years ago. An ancient tectonic shift created a breath-taking panorama of razorsharp, limestone spikes and harmonious, rolling hills. The gorge of the Manambolo River is another natural wonder. As far as wildlife is concerned, many rare and endangered species have found refuge in this unique place. It is clearly difficult to avoid the "stars" here… the lemurs.

© Ralph Kränzlein

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La pittoresque Ouarzazate connaît une rivale sans commune mesure en la personne d’AïtBen-Haddou. Sur les contreforts du Haut Atlas, ce Ksar est le plus réputé de la vallée de l’Ounila. Si les plus anciennes constructions ne sont pas antérieures au XVIIe siècle, elles sont les témoins d’un héritage séculaire. La myriade d’habitations en terre, qui se pressent derrière des murailles aux imposantes tours d’angles, brille par son authenticité architecturale unique.

© Xiquinho Silva

© Sarah Murray

Picturesque Ouarzazate has a rival just out of this world: Ait Ben Haddou. Nestling in the foothills of the High Atlas, it is the most famous ksar in Ounila Valley. Although the oldest buildings do not date back to before the 17th century, they are, nevertheless, the witnesses of an ancient heritage. Behind the walls with their imposing corner towers, the multitude of tightly packed clay dwellings with their unique architectural authenticity are particularly striking. Translation from French Susan Allen Maurin

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by John Harrison

À L’IMAGE DE SA MUSIQUE, YANNICK ILUNGA, ALIAS PETITE NOIR, EST UN SACRÉ MÉLANGE. NÉ EN BELGIQUE D’UN PÈRE CONGOLAIS ET D’UNE MÈRE ANGOLAISE, IL A ÉTÉ ÉLEVÉ EN AFRIQUE DU SUD, OÙ IL PARTAGE À 25 ANS SON TEMPS AVEC LONDRES. SANS FRONTIÈRES, COMME SA MUSIQUE. Entre les genres tout d’abord. Plus jeune, Petite Noir écoute du violent : métal, heavy metal, hardcore, punk. Mais le cocon familial baigne tous les jours dans la musique africaine. Depuis toujours, les artistes et groupes anglo-saxons (de Paul Simon à Vampire Weekend en passant par The Talking Heads) ont pioché dans les musiques noires pour s’ouvrir de nouveaux horizons. L’inverse semblait donc logique : la musique (africaine) de Petite Noir fouille dans l’histoire de la musique anglo-saxonne pour créer un univers unique et passionnant. Sur son premier album (La Vie Est Belle/Life Is Beautiful sorti en fin d’année dernière), on y croise donc de l’afro-beat, mais aussi du hip-hop dans le flow, du funk par moments et même du post-punk. Le tout baigne surtout dans une new-wave toute personnelle. Tellement personnelle que Petite Noir a inventé un terme pour désigner ce savant mélange : la noir wave. Plus qu’un genre à part entière, la noir wave se présente comme un état d’esprit, une sorte de concept. « C’est la new wave de l’esthétique africaine. C’est un mouvement de personnes libres d’esprit, pas seulement de musiciens, cela s’étend à l’art en général », explique l’artiste. La liberté, sans frontières.

© Petite Noir

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Pas de frontières entre les émotions non plus. Petite Noir souffle le chaud et le froid sur son premier album. Tour à tour solaire puis glacial, optimiste puis désespéré, il marie les styles et évoque la question de l’identité, lui qui est le fruit du sang de l’Afrique, d’une éducation mixte et d’une sensibilité à la culture occidentale. Sûr de lui, difficile à cerner (voire à interviewer parfois), Yannick Ilunga peut agacer, mais sa musique parle pour lui : passionnante, foisonnante, sa noir wave ouvre le champs des possibles et promet de belles années à son ambassadeur. Au final, La Vie Est Belle/Life Is Beautiful confirme tous les espoirs placés en Petite Noir depuis son maxi et ses performances live. Sur des rythmiques africaines, une guitare remarquable entre mille, une basse parfois ronde parfois claquante et des accents de funk et de cuivres accompagnent une voix grave dans un groove oscillant entre pop et trip-hop. Outre dans sa musique, l’Afrique se dévoile dans les visuels de l’artiste, et dans ses superbes clips, notamment celui de Down tourné à Lubumbashi, en République démocratique du Congo, où l’artiste a vécu quelques temps. À voir, à écouter, à suivre, l’erreur grammaticale est pardonnée.

© Petite Noir

JUST LIKE HIS MUSIC, YANNICK ILUNGA, ALIAS PETITE NOIR, IS ONE HECK OF A BLEND. BORN IN BELGIUM TO A CONGOLESE FATHER AND ANGOLAN MOTHER, HE GREW UP IN SOUTH AFRICA WHERE NOW, AT THE AGE OF 25, HE SHARES HIS TIME BETWEEN CAPE TOWN AND LONDON. BORDERLESS, LIKE HIS MUSIC. Between genres, it must be said. In his younger days, Petite Noir loved listening to violent stuff: metal, heavy metal, hardcore, punk. But his family cocoon kept him bathed daily in African music. Eventually – as English artists and groups (from Paul Simon to The Talking Heads and Vampire Weekend) have always drawn from black music to open new horizons – it seemed logical to do the reverse: Petite Noir’s (African) music draws from the history of Anglo-American sounds to create a unique and exciting universe. With his first album (La Vie Est Belle/Life Is Beautiful released late last year), he bridges Afrobeat, hip-hop flow, funk at times, and even post-punk. And all bathed in a uniquely personal new-wave sound. So personal that Petite Noir has invented a term to describe this smart blend: noirwave. More than just a genre of its own, noirwave is a mindset, a kind of concept. "It’s the new wave of African esthetics. It’s a movement of individuals who are free spirits – and not just musicians, it extends to art in general," he explains. Freedom without borders. No boundaries between emotions any more. Petite Noir blows hot and cool in his new album: in turn superhot then glacial, optimistic then despairing, he blends styles and evokes the question of identity, himself the result of African blood with a mixed education and sensibilities attuned to Western culture. Self-confident, tough to fathom (and even to interview sometimes), Yannick Ilunga may unsettle but his music speaks for itself: passionate, pithy, his new wave extends the field of possibilities and promises a great future for its ambassador. Ultimately, La Vie Est Belle/Life Is Beautiful confirms all the hopes vested in Petite Noir since his debut hit and live performances – with African rhythms, guitar to die for, a bass in turns mellow and jarring, with hints of funk, and brass backing a deep voice in a groove oscillating between pop and trip-hop. And not just in his music, Africa is also everpresent in the artist’s visuals and in his superb clips, especially in Down featuring Lubumbashi in the Democratic Republic of the Congo, where the artist lived for some time. An artist to watch, listen to, and follow – and excuse the grammatical error. Translation from French Linkin'men Ltd 93


COMIC REPUBLIC OU L’ART DE DONNER À L’AFRIQUE SES SUPERS-HÉROS par Sandra Wolmer

© Comic Republic

La fabrique de supers-héros serait-elle l’apanage des Américains ? Que nenni ! Jide Martins nous le prouve implacablement ! À Lagos, entouré de son équipe, le fondateur de Comic Republic, une start-up nigériane spécialisée dans la création de bandes dessinées, s’emploie depuis 2013 à faire naître et vivre des êtres aux pouvoirs surnaturels a-fri-cains ! Plus jeune, Jide Martins s’en remettait à Spiderman ou Batman pour trouver les réponses à ses questionnements. Inutile d’aller chercher plus loin son envie d’africaniser cette manie ! Un désir qu’il a fini par concrétiser en offrant aux populations du continent des icônes africaines jusqu’ici inexistantes auxquelles elles peuvent désormais s’identifier ! La démarche pourrait en outre presque s’apparenter à une forme de combat politique tant ces personnages fantastiques sont vecteurs de questions profondément contemporaines. Il est ainsi question d’identité nigériane (les super-héros portent des noms nigérians, s’expriment notamment en yoruba, la langue d’une des trois principales ethnies du pays, ont vu le jour et ont grandi sur le continent africain, territoire de leur combat), de dépassement de certains stéréotypes (non, les blancs ne détiennent pas le monopole du super-héroïsme), de parité des sexes (la Comic Republic tient ses super-héroines !) et de construction d’un avenir meilleur. En tout cas, si elle ne se réclame d’aucun militantisme politique, l’initiative de Jide Martins est avant tout humaine. « J’ai voulu montrer aux Nigérians et, plus généralement, aux citoyens de ce monde que nous sommes capables de devenir bien plus que ce que nous pensons être ». Les lecteurs, des « amoureux du genre littéraire qui ont su garder un cœur d’enfant » dixit le jeune PDG nigérian, se recrutent désormais par milliers dans le monde entier. La plateforme de téléchargement gratuite (s’il vous plaît !) n’est certainement pas étrangère à cet engouement. Tunde Jaiye, Joshua Martins, Marcus Chigozie, Toye Oluwadare, Ireti. Jade Waziri, Avonome, Eru, Aje sont dans la place, Spiderman, Batman, Wonder Woman n’ont plus qu’à bien se tenir ! www.thecomicrepublic.com

© Comic Republic

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COMIC REPUBLIC OR THE ART OF GIVING AFRICA ITS SUPERHEROES by Sandra Wolmer

Is the superhero factory just an American thing? Heck no, and Jide Martins proves it hands down. In Lagos, surrounded by his team, the founder of Comic Republic, a Nigerian start-up specializing in creating cartoons, has been busy since 2013 imagining and bringing to life A-fri-can beings with superpowers! In his youth, Jide Martins used to turn to Spiderman and Batman to find the answers he was looking for. So there was no point searching further his desire to Africanize his obsession. A desire that he ended up turning into reality by offering the continent’s people hitherto nonexistent African icons with whom they could now identify. This idea could also almost turn into a form of political battle to the extent that these fantastic characters are vectors for profoundly contemporary issues. Take the issue of Nigerian identity for example (the superheroes have Nigerian names and speak Yoruba, the language of one of the three main ethnic groups in the country, were born and grew up on the African continent, their field of combat), the shattering of certain stereotypes (no, whites don’t have a monopoly on superheroism), gender equality (Comic Republic has superheroines too!) and building a better future. In any case, while not identifying with any particular political activism, Jide’s initiative is first and foremost human. "I wanted to show Nigerians, and generally the whole world, that we can become a lot more than we think we are." Readers, "lovers of a literary genre that reawakens the child in us" are flocking to cartoons by the thousands the world over, says the young Nigerian CEO. The website with its free (would you believe it!) download link is certainly no stranger to this infatuation. With Tunde Jaiye, Joshua Martins, Marcus Chigozie, Toye Oluwadare, Ireti, Jade Waziri, Avonome, Eru and Aje now on the scene, Spiderman, Batman and Wonder Woman had better behave! www.thecomicrepublic.com

© Comic Republic

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Plus d’1 milliard d’habitants très inégalement répartis sur 30 415 873 km2, soit 20 % des terres émergées ou 55 fois la France.

MEDITERRANEAN SEA

Tunis

Algiers Rabat

TUNISIA Tripoli

NORTH ATLANTIC OCEAN

MOROCCO Cairo

ALGERIA

LIBYA

EGYPT RED SEA

MAURITANIA

Nouakchott

CAPE VERDE Praïa

Khartoum SUDAN

NIGER

Dakar SENEGAL Bamako

GAMBIA Banjul

GUINEA

GUINEA-BISSAU

MALI

Conakry

IVORY COAST GHANA

Freetown

SIERRA LEONE

Yamoussoukro

Monrovia

LIBERIA

TOGO

Djibouti Addis Ababa

NIGERIA

Porto-Novo Malabo

CENTRAL AFRICAN REPUBLIC

Juba

Yaoundé

UGANDA

REP. OF GABON THE

EQUATORIAL GUINEA

CONGO

Brazaville

Kampala

DEM. REP. OF THE CONGO

Libreville

Mogadishu

KENYA

INDIAN OCEAN

Nairobi

Kigali

Kinshasa

SOMALIA

ETHIOPIA

SOUTH SUDAN

CAMEROON Bangul

SAO TOME

G

DJIBOUTI

N’Djamena

Abuja

Accra Lomé

ERITREA

CHAD

Niamey Ouagadougou

BURKINA FASO BENIN

Asmara

RWANDA

Bujumbura

ANGOLA

BURUNDI

TANZANIA Dar es Salaam Luanda

SOUTH ATLANTIC OCEAN

SEYCHELLES COMOROS

ANGOLA ZAMBIA Lusaka

Lilongwe

Harare

ZIMBABWE

MOZAMBIQUE

NAMIBIA Windhoek

Moroni

MALAWI

Antananarivo

MADAGASCAR

BOTSWANA Pretoria

Gaborone

Mbabane Maseru

SOUTH AFRICA

Maputo

SWAZILAND

LESOTHO

REPÈRES PAYS PAR PAYS : POP : population (en millions d’habitants, 2012) IDH : classement des pays en fonction de l’indice de développement humain établi par le Programme des Nations unies pour le développement (2013) du 1e au 47e : très élevé – du 48e au 94e : élevé – du 95e au 141e : moyen – du 142e au 187e : faible PIB/HAB. : produit intérieur brut par habitant en nominal établi par le FMI (en dollars, 2013) SUP : superficie 96


AFRIQUE AUSTRALE

AFRIQUE DU SUD

ANGOLA

53,1 POP : 118 IDH : 6621 PIB/HAB : 1 221 037 SUP :

BOTSWANA

20,8 149 5964 1 246 700

LESOTHO

2 109 7120 581 730

MALAWI

2,2 162 1 290 30 355

MOZAMBIQUE

NAMIBIE

26,4 178 593 799 380

16,8 174 223 118 484

SWAZILAND

1,2 148 3473 17 364

2,3 127 5636 824 270

ZAMBIE

ZIMBABWE

15 141 1845 752 612

14,5 156 1007 390 757

AFRIQUE CENTRALE

BURUNDI

POP : IDH : PIB/HAB : SUP :

CAMEROUN

10,4 180 303 27 834

CENTRAFRIQUE

22 152 1 331 475 442

CONGO

4,7 185 334 623 000

GABON

1,7 112 12 326 267 667

4,5 140 3 223 342 000

GUINÉE ÉQUATORIALE

RDC

SOMALIE

SOUDAN

1,1 144 20 605 28 051

RWANDA

12,1 151 704 26 338

70 186 388 2 345 409

SAO-TOMÉ ET-PRINCIPE

0,2 142 1625 1 001

TCHAD

13,2 184 1218 1 284 000

AFRIQUE DE L'EST

DJIBOUTI

POP : IDH : PIB/HAB : SUP :

ÉRYTHRÉE

0,9 170 1 593 23 200

ÉTHIOPIE

6,5 182 544 117 600

KENYA

98 173 518 1 104 300

OUGANDA

45,5 147 1 316 580 367

38,8 164 623 236 860

10,8 600 637 657

38,7 166 1 941 1 790 000

SOUDAN DU SUD

11,7 1 289 644 329

TANZANIE

50,7 159 719 947 300

AFRIQUE DE L'OUEST

BÉNIN

POP : IDH : PIB/HAB : SUP :

BURKINA FASO

10,3 165 805 112 622

NIGER

NIGERIA

POP : 16,6 IDH : 187 PIB/HAB : 447 SUP : 1 264 000

CAP-VERT

18 181 711 275 500

CÔTE D'IVOIRE

SÉNÉGAL

187 152 3 082 923 773

GAMBIE

20,8 171 1 332 322 463

0,5 123 3 633 4 033

SIERRA LEONE

14,5 163 1 048 196 007

GHANA

1,9 172 453 11 295

26,4 138 1 871 238 537

GUINÉE BISSAU

1,7 177 567 36 125

GUINÉE

12 179 560 245 857

LIBERIA

4,3 175 479 111 370

MALI

15,7 176 646 1 241 231

TOGO

6,3 183 805 71 740

6,9 166 637 56 785

MAGHREB ET MOYEN-ORIENT

ALGÉRIE

ÉGYPTE

POP : 39 IDH : 93 PIB/HAB : 5 606 SUP : 2 381 741

LIBYE

84,2 110 3 243 1 002 000

MAROC

6,2 55 10 702 1 759 500

MAURITANIE

33,4 129 3 160 446 550

3,9 161 1 126 1 030 700

TUNISIE

11,1 90 4 317 162 155

OCÉAN INDIEN

COMORES

POP : IDH : PIB/HAB : SUP :

0,8 159 928 1 862

ÎLE MAURICE

1,3 63 8 120 1 865

MADAGASCAR

23,5 155 463 592 000

SEYCHELLES

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N°25 janv

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