54 ÉTATS, LE MAGAZINE DE L'AFRIQUE N°24 SPÉCIAL ISLAM EN AFRIQUE

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N°24 nov / déc 2015 ÉDITION INTERNATIONALE

M 01939 - 24 - F: 3,80 E - RD

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ÉDITION INTERNATIONALE : FRANCE 3,80 € - DOM 4,80 € - RÉUNION 4,80 € - GUYANE 4,80 € - BEL 4,00 € - MAROC 40 DH - ALGÉRIE : 394,3 DZA - TUN 6,8 DT - ZONE CFA 3100 - NIGER 3100 XAF - CAMEROUN 2700 XAF - SÉNÉGAL 2700 XAF - GAB 2700 XAF - CÔTE D’IVOIRE 2700 XAF - MALI 3100 CFA- ISSN 2258 - 0131

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HORA DE APERTURA Apartamento lujoso frente al mar 30 m2 – 1 200 000 F CFA al mes 60 m2 – 2 200 000 F CFA al mes

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Apartamento clásico frente a la ciudad 30 m2 – 1 000 000 F CFA al mes 60 m2 – 2 000 000 F CFA al mes

Directora administrativa Liliana BOGADO +240 222 04 91 96 eus1926@gmail.com

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COVER / SPECIAL REPORT

Carte.................................................................................................................. 8 Les grandes lignes de l'islam.......................................................................... 10 Islam en Afrique : un afrocentrisme................................................................. 14 Interview de Hassan Makki, universitaire soudanais....................................... 18 À la conquête des terres et des cœurs........................................................... 20 Peut-on se passer des islamistes ?................................................................. 22 Islam et Afrique : à l'épreuve de la colonisation.............................................. 26 Le voile islamique mis à nu............................................................................. 32 Islam face à la modernité................................................................................ 38 L'étonnant retour de la polygamie................................................................... 44 L'arabe plus qu'une langue............................................................................. 46 Reportage au Soudan : Umm Dawban, l'esprit communautaire..................... 50 Les 7 merveilles de l'islam en Afrique............................................................. 54

AFRICA INSIDE

Côte d'Ivoire : faible engouement pour la présidentielle.................................. 58 Libye, cette encombrante voisine.................................................................... 62

AFRICA OUTSIDE

Inde : ces autres intouchables......................................................................... 66 Nucléaire iranien : la fin d'un marathon diplomatique...................................... 70

CULTURE

Les jours et les nuits de l'arbre cœur ............................................................. 74

Carte................................................................................................................ 76 Données sur l’Afrique...................................................................................... 77 Abonnement.................................................................................................... 78

54etats.fr

LE MAGAZINE DE L’AFRIQUE / THE AFRICA MAGAZINE

SOMMAIRE

Édito.................................................................................................................. 6 Introduction........................................................................................................ 7

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Email : contact@54etats.fr Site : 54etats.fr N° commission paritaire : 0714191439 N° ISSN : 2258-0131 Tirage : 20 000 exemplaires Société éditrice: Wolmer Communication SARL 5, rue du Capitaine Tarron 75020 Paris Tél. : 01 40 31 30 82 Siren : 751 081 159 R.C.S Bobigny Code APE : 58147 Directrice de la publication : Priscilla Wolmer priscilla.wolmer@54etats.fr

LA RÉDACTION EDITORIAL STAFF

Directrice de la rédaction : Sandra Wolmer sandra.wolmer@54etats.fr Directrice artistique : Magéna Aubert magena.aubert@54etats.fr Assistantes directrice artistique : Cindy Le Lay / Faly Quénéa Direction marketing et diffusion : Mercuri Presse

PRISCILLA WOLMER

SANDRA WOLMER

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HERVÉ PUGI

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Priscilla WOLMER

DIRECTRICE DE LA PUBLICATION, PUBLISHER

L’islam, la dernière des religions monothéistes, fait son irruption en Afrique au VIIe siècle pour s’imposer en quatorze siècles sur une large part du continent. Les conquérants vont entrer par l’Égypte, armes à la main. Dans leur sillage, commerçants et lettrés importent une civilisation, éclairée, qui va s’enraciner dans la culture africaine.

Islam, the youngest of monotheist religions, arrived in Africa in the seventh century, and until now has remained the standard in a large part of the continent. Heavily armed conquerors entered through Egypt. In their wake, traders and intellectuals brought with them an enlightened civilization that took root in African culture.

Aujourd’hui, l’islam en Afrique fait les gros titres. Boko Haram, Al-Qaïda, Chebabs et Daech sèment mort et désolation. Il faut pourtant aller au-delà de ces préjugés pour appréhender la réalité de cette religion. Tout l’intérêt de ce dossier spécial. Une « Cover » qui a vocation à battre en brèche bien des idées reçues.

These days, Islam makes major headlines. Boko Haram, Al-Qaïda, the Shebab and Daesh are spreading death and desolation. We must, however, look beyond our established ideas about radical Islam to grasp the reality of this religion. Herein lies the interest of this “special edition” which intends to break down many pre-conceived ideas.

Existe-t-il un islam spécifiquement africain ? Quel impact a pu avoir la colonisation sur l’islam ? L’islamisme est-il réellement un danger ? Le voile est-il musulman ? Autant de thématiques (et bien d’autres) décryptées avec l’aide de chercheurs émérites : Bruno Nassim Aboudrar, François Burgat, Gilles Holder, Abdoul Aziz Kébé, Pierre Larcher, Hassan Makki et Rodrigue Nana Ngassam. Pas besoin d’experts en revanche pour prédire le résultat (inconnu au moment du bouclage) de la présidentielle en Côte d’Ivoire. Notre correspondant à Abidjan vous explique pourquoi ce scrutin est joué d’avance. Quant à la Tunisie, tout le monde s’accorde à dire qu’une partie de son avenir se joue en… Libye. Sa propre sécurité en dépend.

There is no need for experts, however, to forecast the outcome of the presidential election in Ivory Coast (still unknown at deadline for this edition). Our correspondent in Abidjan explains why this election has been decided in advance. As for Tunisia, every body agrees that a part of its future is being played out in Libya. Its own security depends on this.

Enfin, à l’international, coup de projecteur sur l’Iran. Derrière l’accord sur la question nucléaire, c’est un géant de la géopolitique qui revient dans le concert des nations. Là, les lumières de Barah Mikaïl, directeur de recherche à la FRIDE et professeur associé à l’université Saint Louis Madrid, nous sont indispensables !

Lastly, on the international scene, the spotlight is on Iran. Behind the agreement on nuclear weapons, a major player has returned to the geopolitical arena of powerhouse nations in this world. Barah Mikaïl, director of Research at the FRIDE institute and associate professor at Saint Louis University in Madrid, has shed some valuable light on this subject!

En clair, chers lecteurs, toute l’équipe de la rédaction du magazine 54 ÉTATS s’est pleinement mobilisée pour vous proposer un numéro particulièrement riche. Il sera bien temps, pour vous comme pour nous, de souffler avec les fêtes de fin d’année qui approchent à grand pas !

To sum up, dear readers, the entire editorial team of 54 ÉTATS Magazine has worked very hard to be able to offer you a particular rich issue. It will soon be time for us and for you all to enjoy the end-of-year festivities that are approaching!

Priscilla WOLMER Directrice de la publication 6

Does a specifically African Islam exist? How has colonization impacted on Islam? Does Islamism really represent a danger? Is the veil really Muslim? These questions have been deciphered with the help of leading researchers: Bruno Nassim Aboudrar, François Burgat, Gilles Holder, Abdoul Aziz Kébé, Pierre Larcher, Hassan Makki et Rodrigue Nana Ngassam.

Priscilla WOLMER Publisher Translation by Brett KLINE


Sandra WOLMER

DIRECTRICE DE LA RÉDACTION, EXECUTIVE EDITOR

Le lien entre l’Afrique et l’islam vaut mieux que les quelques raccourcis et poncifs habituels dont sont coutumiers ce continent tout autant que cette religion. Parler de l’islam en Afrique, c’est aborder un pan entier de l’identité africaine. C’est surtout faire ressurgir une histoire que certains s’évertuent à faire débuter avec une insupportable colonisation castratrice sous couvert de « mission civilisatrice ». Le Caire, Kairouan, Tombouctou ou Harar, l’islam – plus qu’une religion, une civilisation en vérité – apporta sa lumière à l’Afrique voilà quatorze siècles de cela. Une lueur que personne, malgré les soubresauts du temps, ne parvint à mettre sous l’éteignoir. Surtout, une flamme intense que l’obscurantisme de quelques barbares ignares, se prétextant défenseur d’une foi dont ils ignorent tout, ne parviendront à faire vaciller. Soyons clair, l’islam n’est pas un problème pour l’Afrique. C’est tout juste une problématique comme il y en a des centaines d’autres. C’est aussi, peut-être… sûrement, une réponse, une solution aux maux que connaissent certaines régions du continent. À condition que les musulmans eux-mêmes relèvent le défi de la modernité. Une question de volonté et de temps. Ayons confiance en l’avenir. Loin des mille fantasmes et préjugés, sans tabou surtout ni passion excessive, il convient d’évoquer l’islam tel qui est. Riche et complexe mais surtout porteur d’une histoire, de valeurs et d’une civilisation qui mérite le plus grand respect. Tout comme l’Afrique d’ailleurs… Sandra WOLMER, Directrice de la rédaction

The link between Africa and Islam deserves a lot more than the usual shortcuts and clichés to which this continent and religion are accustomed. Speaking about Islam in Africa means dealing with a major part of African identity. It consists above all in resurrecting a history whose beginnings some people try hard to identify with unbearable, suffocating colonization, under the guise of a “civilizing mission”. In Cairo, Kairouan, Timbuktu and Harar, Islam was more than a religion. It was a civilization that shone its light on Africa some fourteen centuries ago. And nobody could keep this light from shining, throughout the ups and downs of centuries of time. Above all, it is a brilliant light that the obscurantism of a few savage barbarians pretending to be defenders of a faith of which they are totally ignorant will not be able to weaken. Let us be clear, Islam does not pose a problem for Africa. It is simply one of hundreds of difficult situations. It could also have, in fact, it certainly does have, answers and solutions to the ills that plague some parts of the continent. But Muslims themselves must rise up to the challenges of the modern era. And this is just a matter of will and time. Let us maintain our trust in the future. Islam should be seen as it really is, far from all the fantasies and preconceived ideas, with no taboos or excessive passion. It is rich and complex, but above all contains the history and values of a civilization that deserves the greatest respect. As does Africa itself... Sandra WOLMER, Executive editor Translation by Brett KLINE 7


MEDITERRANEAN SEA

99,5%

99,9%

TUNISIA

MOROCCO

97,9% ALGERIA

NORTH ATLANTIC OCEAN

96,6%

99,1%

94,9%

LIBYA

MAURITANIA

94,4% MALI

98,4%

55,3%

NIGER

CHAD

EGYPT RED SEA

90% 96,4% GAMBIA

50%

SENEGAL

84,4%

GUINEA-BISSAU GUINEA

78%

90,7%

36,6%

SUDAN

ERITREA

61,6%

DJIBOUTI

BURKINA FASO

23,8%

37,5%

96,9%

BENIN

23,8%

TOGO G IVORY SIERRA LEONE 12% COAST 15,8% GHANA LIBERIA

8,5%

48,8% NIGERIA

< 1% EQUATORIAL GUINEA

18,3%

6,2%

CENTRAL AFRICAN REPUBLIC

SOUTH SUDAN

CAMEROON

SOMALIA

ETHIOPIA

11,5%

< 1%

11,2% REP. GABON OF THE CONGO

99,8%

34,6%

UGANDA

INDIAN OCEAN

9,7%

1,5%

1,8%

KENYA

RWANDA

DEM. REP. OF THE CONGO

2,8%

35,2%

BURUNDI

TANZANIA

13%

SOUTH ATLANTIC OCEAN

< 1%

MALAWI

< 1%

ANGOLA

98,6% COMOROS

ZAMBIA

< 1% < 1%

< 1% NAMIBIA

ZIMBABWE

BOTSWANA

3%

MADAGASCAR

18%

MOZAMBIQUE

< 1% 1,7% SOUTH AFRICA

SWAZILAND

< 1%

INDIAN OCEAN

LESOTHO

Territoire composé majoritairement de populations de confession musulmane Territoire mixte composé de musulmans et de non-musulmans Territoire où la population musulmane est minoritaire Désert du Sahara 8

%

Part de musulmans dans la population totale ( en % / 2010 )

Islam comme religion d'État

@ Nicolas Keraudren, 2015. Sources : Gulf 2000 project, Pew research center


À l’heure où l’on s’inquiète de l’urgente nécessité de faire émerger un « islam de France » et de former des imâms conscients de leur environnement laïque, nombreux sont les regards qui se tournent vers celui qui pourrait en être la meilleure incarnation : l’imam de Bordeaux, Tareq Oubrou. 9


LES GRANDES LIGNES DE L'ISLAM par Hervé Pugi

© Dynamosquito

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CALENDRIER

LES 5 PILIERS DE L’ISLAM « L’islam est bâti sur cinq piliers », ce hadith est à l’origine des devoirs les plus notables que tout musulman doit mettre en application pour vivre pleinement sa foi. Une approche rituelle pleinement adoptée par le sunnisme.

PROFESSION DE FOI (ou Chahada)

La Chahada témoigne de l’unicité (tawhid) de dieu et de la mission prophétique de Mohammed par l’affirmation : « j’atteste qu’il n’ y a pas de divinité en dehors de dieu et que Mahomet est l’envoyé de dieu ».

LA PRIÈRE (ou Salat)

Cinq prières par jour sont prescrites : à l’aube, à midi, au milieu de l’après-midi, au coucher du soleil et dans la soirée. Lien direct entre Dieu et le croyant, celles-ci doivent être réalisées en direction de La Mecque et, plus précisément de la Kaaba.

L’AUMÔNE (ou Zakât)

Cette aumône dite « légale », que certains qualifient aussi d’impôt (initialement récoltée par les États), est destinée aux plus nécessiteux selon des dispositions précises. Elle a aussi pour but de détacher le fidèle des vices inhérents aux biens matériels.

LE JEÛNE DU MOIS DE RAMADAN (ou Saoum)

Lorsque le mois de Ramadan point, les musulmans s’abstiennent de manger, de boire et d’avoir des rapports sexuels de l’aube jusqu’au coucher du soleil. Une pratique censée conduire à la compassion envers ceux qui ont faim.

LE PÈLERINAGE À LA MECQUE

Les musulmans font démarrer leur calendrier à partir de l’émigration (hijra) de Mohammed et de ses disciples de La Mecque à Médine le 16 juillet 622 de l’ère chrétienne. À cette date débute l’an 1 de l’hégire (1AH). Le calendrier musulman est un calendrier lunaire, composé de 354 jours. Il y a donc 11 jours de moins que dans une année solaire.

LES MOIS MOUHARRAM SAFAR RABIA AL AWAL RABIA ATH-THANI JOUMADA AL OULA JOUMADA ATH-THANIA RAJAB CHAABANE RAMADAN CHAWWAL DHOU AL QI’DA DHOU AL-HIJJA

QUELQUES FÊTES MUSULMANES ... NAISSANCE DU PROPHÈTE Le Mawlid, aussi connu sous le nom de Mouloud, est une fête religieuse célébrant la naissance du prophète. Il s’agit d’une commémoration qui connut bien des vicissitudes puisqu’elle fut de nombreuses fois autorisée, puis supprimée.

JEÛNE DU RAMADAN Cette période de jeûne revêt de multiples significations. Il s’agit notamment de marquer son obéissance à Dieu. L’aspect fondamental de cette fête est sans doute la volonté de montrer son désir de se conformer à la tradition.

AÏD EL-FITR L’Aïd el-Fitr est la commémoration marquant la fin du jeûne du Ramadan. Cette célébration est l’expression du pardon accordé par Allah aux musulmans qui ont su montrer leur soumission afin d’expier leurs péchés.

(ou Hajj)

AÏD EL-KÉBIR

Tout musulman, pour peu qu’il soit physiquement et financièrement en capacité, se doit de se rendre au moins une fois dans sa vie à La Mecque. C’est entre le 8 et le 13 du mois lunaire de Dhou al-hijja que se déroule le grand pèlerinage.

L’Aïd-el-Kébir est l’une des célébrations les plus importantes liées à la foi musulmane. Il s’agit d’une commémoration de la soumission d’Abraham (Ibrâhîm en arabe) à la volonté de Dieu réclamant le sacrifice de son fils Ismaël. 11


A GENERAL OUTLINE OF ISLAM By Hervé Pugi

THE FIVE PILLARS OF ISLAM "Islam is based on five pillars", this hadith is at the source of the most significant duties that all Muslims must fulfill to live in faith. This is a spiritual approach fully adopted by the Sunnis.

PROFESSION OF FAITH (or Chahada)

The Chahada professes to the uniqueness and oneness of God (tawhid) and Mohammed’s prophetic mission by affirming: "I attest that there is no God but God and that Mohammed is his prophet".

PRAYER

(or Salat) Per day, five prayers are prescribed: at dawn, midday, mid-afternoon, at dusk and in the night. These prayers are a direct link between God and believers and should be performed facing the direction of Mecca and, more specifically, the Kaaba.

ALMS

(or Zakât) These so-called "legal" alms that some are calling taxes (initially collected by the Muslim countries), are intended for the most needy according to specific provisions. These alms also serve to protect the faithful from materialistic vices.

FASTING DURING THE MONTH OF RAMADAN

(or Saoum) During the month of Ramadan, Muslims abstain from eating, drinking and having sexual relations from dawn until dusk. This practice is supposed to guide one towards compassion for those who go hungry.

PILGRIMAGE TO MECCA (or Hajj)

Every Muslim, who is physically and financially able, must make at least one visit in his/her lifetime to Mecca. It is between the eighth and thirteenth of the lunar month of Dhou al-hijja that the pilgrimage takes place.

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LA GRANDE MOSQUÉE DE KAIROUAN, TUNISIE

SOME MUSLIM HOLIDAYS… CALENDAR The Muslim calendar starts from Mohammed’s emigration with his disciples from Mecca to Medina on July 16, 622 C.E. This date marks the start of the first year of Hegira (1AH). The Muslim calendar is lunar and contains 354 days, leaving it 11 days short of a solar year.

MONTHS MOUHARRAM SAFAR RABIA AL AWAL RABIA ATH-THANI JOUMADA AL OULA JOUMADA ATH-THANIA RAJAB CHAABANE RAMADAN CHAWWAL DHOU AL QI’DA DHOU AL-HIJJA

THE PROPHET’S BIRTHDAY

The Mawlid, also known as Mouloud is a religious holiday celebrating the birth of the prophet. It’s a holiday that has seen many ups and downs as it has been authorized and forbidden numerous times.

RAMADAN FASTING

This period of fasting is important in multiple ways. It is mainly an expression of obedience to God. The fundamental purpose of this holiday is without a doubt the willingness to show one’s desire to conform to tradition.

AÏD EL-FITR

Aïd el-Fitr marks the end of fasting for Ramadan. This celebration is about the expression of Allah’s forgiveness of Muslims who were able to show their submission in order to atone for their sins.

AÏD EL-KÉBIR

Aïd-el-Kébir is one of the most important celebrations in the Muslim faith. It commemorates Abraham’s (Ibrâhîm in Arabic) submission to God’s will requesting the sacrifice of his son Ismaël Translation from French: Rachel Wong

© Luksz Janyst

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© Mark52

© HONGQI ZHANG

par Sarah Nedjar © Jasminko Ibrakovic

© Nicolas Jalibert

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© Hector Conesa


L’ISLAM EST L’UNE DES PREMIÈRES RELIGIONS D’AFRIQUE. AVEC PRÈS DE 450 MILLIONS DE FIDÈLES, LE CONTINENT COMPTE UN QUART DE LA POPULATION MUSULMANE MONDIALE. À L’HEURE DE LA REVENDICATION D’UNE IDENTITÉ AFRICAINE, DIFFICILE DE LAISSER SUR LE BORD DE LA ROUTE LA CROYANCE DE PRÈS DE 50 % DE LA POPULATION DU CONTINENT. L’ISLAM, C’EST AUJOURD’HUI TOUT AUTANT UN ENJEU POLITIQUE ET CULTUREL À L’ÉCHELLE ÉTATIQUE QU’UNE LIGNE DE VIE À SUIVRE AU QUOTIDIEN POUR DE TRÈS NOMBREUX AFRICAINS. MAIS EXISTE-T-IL UN ISLAM SPÉCIFIQUE À L'AFRIQUE ?

ISLAM IS ONE OF THE MOST WIDELY PRACTISED RELIGIONS IN AFRICA. WITH NEARLY 450 MILLION FOLLOWERS, A QUARTER OF THE WORLD’S MUSLIM POPULATION RESIDES ON THE AFRICAN CONTINENT. AT A TIME WHEN THERE IS A STRONG DEMAND FOR AN AFRICAN IDENTITY, IT IS DIFFICULT TO DISREGARD THE FAITH OF ALMOST 50% OF THE CONTINENT’S POPULATION. ISLAM IS NOW AS MUCH A POLITICAL AND CULTURAL ISSUE ON A STATE LEVEL AS IT IS A LIFELINE IN THE EVERYDAY LIVES OF A GREAT NUMBER OF AFRICANS. BUT IS THERE A SPECIFIC, AFRICAN ISLAM?

« Il n’y a pas plusieurs islams en Afrique, il y a des Africains qui pratiquent l’islam ». D’une affirmation, Gilles Holder balaie d’un revers de manche l’idée même d’un islam spécifique au continent. En tout cas, il apporte un bémol majeur à cette présentation. « L’islam c’est un livre, une foi, un prophète, mais aussi un corpus de savoir, une injonction, un aspect juridique de la tradition prophétique, et tout cela, tous les musulmans le partagent », s’empresse de préciser l’anthropologue de l’Institut des mondes africains (IMAF) avant de renchérir : « l’idée d’un islam africain en soi est une globalisation et une simplification qui conduit à particulariser l’islam, ce que les musulmans africains eux-mêmes rejettent. Il y a un islam mais des musulmans et il est normal qu’un Malien ne vive pas la foi, ou la conception sociale de celle-ci, de la même manière qu’un Somalien ». Pourtant, les préjugés ont la vie dure. Les musulmans d’Afrique sont ainsi souvent taxés de pratiquer un rite où s’entremêlent coutumes ancestrales antéislamiques et religion musulmane. Un syncrétisme supposé particulièrement stigmatisé et stigmatisant. Là encore, Gilles Holder s’insurge : « l'islam pratiqué par les Africains subsahariens n’est pas plus folklorique que dans n’importe quelle région du monde. C’est une vision discriminante. Il faut rendre aux musulmans africains ce qu’ils prétendent : c’est-à-dire être musulmans et pratiquer leur religion selon les dogmes ». Comprendre par là qu’il faut savoir s’extirper de l’imaginaire collectif qui tend à placer les fidèles africains en marge de la Ummah. Pour beaucoup, le sud de la ligne sahélienne marquerait l’entrée dans une sorte de périphérie du monde arabo-musulman, dont le Maghreb serait partie prenante de par son « arabité » tout en l’éloignant d’une « africanité » partagée dans la conduite de la vie religieuse. Sans parler d’un contexte historique toujours pesant qui a conduit à opposer ces deux espaces géographiques pourtant historiquement interconnectés. Le plus bel exemple de ces échanges reste l’âge d’or connu par Tombouctou. « Les élites musulmanes participent à l’élaboration générale du savoir et du corpus historique de l’islam au même titre que n’importe quel musulman », rappelle ainsi le chercheur à l’IMAF.

"There are not several Islams in Africa; there are many Africans who practise Islam". In just one sentence, Gilles Holder brushes aside the whole idea of an Islam that is specific to the continent. Anyway, he considerably plays down this interpretation. "Islam is a book, a faith, a prophet but also a body of knowledge, an injunction and a legal aspect of the prophetic tradition, all of which is recognized by all the Muslims", quickly points out the anthropologist at the Institute of African Worlds (IMAF) before adding: "the idea of an African Islam in itself is a globalization and trivialization leading to differentiate Islam; a notion that Muslim Africans themselves reject. There is one Islam but many Muslims and it is quite normal that a Malian does not practise his faith or consider the social conception of Islam in the same way as a Somalian". However, prejudices die hard. Muslims in Africa are often accused of practising a rite that intermingles pagan, ancestral customs and the Muslim religion, which is a presumed syncretism that is particularly stigmatized and stigmatizing. Again, Gilles Holder protests: "Islam practised by sub-Saharan Africans is no more outlandish than in any other region of the world. This is a discriminatory standpoint. We must let African Muslims be what they are asking to be, which is to be Muslims and to practise their religion according to the dogma". This means that we need to extricate ourselves from the collective imagination that tends to place faithful Africans on the fringe of the Ummah. For many, the area south of the Sahelian belt marks the entry into a kind of periphery of the ArabMuslim world, to which the Maghreb, with its “Arab identity” belongs, while distancing itself from a shared "Africanity" in the conduct of religious life. Not to mention a troublesome historical context, which has caused conflict between these two geographical zones that are, nevertheless, historically connected. The best example of these exchanges remains Timbuktu’s golden age. "The Muslim elites participate in the overall development of knowledge and the historical corpus of Islam just like any other Muslim", recalls the IMAF researcher.

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INTÉRIEUR DE L'ÉCOLE CORANIQUE À MEKNES, MAROC

© Pawel Opaska

L’étiquette d’un islam Noir, dont « la genèse, est coloniale », rappelle Gilles Holde, colle toujours à l’Afrique subsaharienne. Pourtant, il convient de rappeler que celle-ci « a été énoncée par un capitaine français pour spécifier justement ce qu’aujourd’hui on a tendance à appeler religions traditionnelles africaines. Une manière de connoter la question du Noir. » Une tradition de pensée qui voudrait qu’animisme et rites antéislamiques corrompent la pureté de la foi musulmane. La question de l’islam Noir peut aussi s’expliquer dans une optique orientaliste. Celle-ci envisageant les spécificités sociales et culturelles de l’Afrique subsaharienne comme un exotisme. Là encore, l’anthropologue est catégorique : « il ne faut pas croire que la Tunisie, par exemple, soit plus formaliste dans sa façon de vivre l’islam que les pays au sud du Sahara. L’islam y est présent depuis un millénaire, notamment venu par le nord, et y a produit des expressions et configurations sociales de la religion qui lui sont spécifiques. Les fidèles subsahariens sont en droit de revendiquer leur pleine et entière légitimité en tant que musulmans ».

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The label of a Black islam, of which the "genesis is colonial", points out Gilles Holder, is always associated with sub-Saharan Africa. However, it is important to point out that it "was put forward by a French captain to define what we tend to call today traditional African religions. It is a way of alluding to the Black issue". There is a tradition of thought, which claims that animism and pre-Islamic rites corrupt the purity of the original Muslim faith. The issue of a Black islam can also be explained from an orientalist point of view, which considers the social and cultural specificities of sub-Saharan Africa to be unconventional. Here again, the anthropologist is categorical: "it should not be assumed that Tunisia, for example, practises Islam in a more formal way than countries south of the Sahara. Islam has been present there for a millennium, notably coming from the north, and it has produced its own, specific social expressions and configurations of the religion. The sub-Saharan faithful are entitled to claim their full legitimacy as Muslims."


© elwynn

L’enjeu actuel se trouve toutefois ailleurs. L’Afrique est un continent dynamique et l’islam participe à ce mouvement. Les grands savants et intellectuels subsahariens s’imposent dans la communauté islamique internationale, prônant la légitimité de l’islam que l’Afrique vit au quotidien mais pas seulement. « Un certain nombre d’élites africaines tiennent à exister et à énoncer leur propre vision en tant que musulmans dans ce monde, à commencer dans leur pays, clarifie le chercheur de l’IMAF. Il s’agit aussi d’un afrocentrisme qui vise les classes populaires, celles qui n’ont pas accès à la connaissance savante, qui ne sont pas arabisées, qui ne sont d’ailleurs pas souvent francisées ou anglicisées puisqu’elles parlent dans leurs langues nationales. Cet afrocentrisme permet de faire le lien entre être musulman et être Africain ». L’islam occupe de fait une place prééminente dans l’espace public. Elle prend la forme d’associations, de nouvelles confréries et porte maintenant plus que jamais sa voix sur la scène politique. « Je ne sais si les musulmans africains vivent un islam épanoui mais ils vivent un islam dynamique à travers la revendication de leur islamité. Les musulmans osent désormais se mêler des affaires de la cité. Il y a pour eux des ressources pour envisager l’avenir autrement que par un fatalisme de soumission au modèle occidental, d’une gouvernance qui n’évolue pas, de la corruption, des détournements... À tort ou à raison, l’islam est considéré comme un facteur d’avenir en Afrique ». Voilà donc une spécificité de l’islam en Afrique : la religion – souvent taxée de passéisme – est désormais le moteur de l’identité africaine mais aussi synonyme d’avenir et de progrès.

The current challenge lies elsewhere. Africa is a dynamic continent and Islam is part of this dynamism. The great sub-Saharan scholars and intellectuals are assertive in the international Islamic community and advocate, though not exclusively, the legitimacy of Islam, which is part of everyday life in Africa. "A certain number of African elites are keen to exist and develop their own concept as Muslims in this world, starting in their own country, clarifies the IMAF researcher. And it is also about Afrocentrism, which targets the working classes that do not have access to scholarly knowledge, are not Arabized, and that are, more often than not, neither Frenchified nor Anglicized, since they speak in their national languages. This Afrocentrism provides the bond between being Muslim and being African ". Indeed, Islam occupies a prominent place in the public sphere in the form of associations, new brotherhoods and now, more than ever, is making its voice heard in the political arena. "I do not know if African Muslims live a totally fulfilling Islam but they do live a dynamic Islam by claiming their Islamic identity. Muslims now dare to get involved in city matters. There are ways for them to envisage the future differently, other than by consenting to a fatalistic submission to the Western model of governance that does not change; corruption, embezzlement ... Rightly or wrongly, Islam is considered a promising factor for the future in Africa". So, here is a particularity of Islam in Africa: religion - often accused of traditionalism – has now become the driving force of African identity, as well as synonymous with the future and progress. Translation from French: Susan Allen Maurin 17


« NOUS SOMMES EN CRISE CAR NOUS SOMMES ASSIÉGÉS ! » "WE ARE FACING A CRISIS BECAUSE WE ARE UNDER SIEGE!" par Hervé Pugi

Depuis plusieurs décennies, le professeur Hassan Makki est à la tête du Centre de recherche des études africaines à l’université internationale d’Afrique de Khartoum. C’est là que nous sommes allés à sa rencontre pour parler de l’islam sur le continent et au Soudan. 54 ÉTATS : L’islam et l’Afrique, c’est une longue histoire. Diriez-vous que l’islam est une partie de l’identité africaine ? Hassan Makki (H. M.) : Bien entendu. Historiquement, l’islam a été introduit en Afrique avant même qu’il ne le soit à Médine où le prophète a fini par prendre ses quartiers. L’islam est arrivé lors de la première immigration en Abyssinie (NDLR : en 615), que l’on appelle aujourd’hui l’Éthiopie. Soit tout juste cinq ans après le début de la révélation. Cela fait donc 14 siècles que l’islam est solidement ancré sur ce continent. Il y a un autre lien entre la péninsule arabique et l’Afrique. Nous savons ainsi qu’Abraham, l’ancêtre commun des Juifs et des Arabes, était marié à Agar, une Africaine (NDLR : servante égyptienne, mère d’Ismaël). On peut donc dire que les Arabes trouvent en partie leurs origines en Afrique. 54 ÉTATS : Existe-t-il un islam spécifique à l’Afrique ? Peut-on parler d’un islam africain ? H. M. : À vrai dire, il y a surtout plusieurs courants qui s’y sont propagés. Historiquement, les Africains sont malékites. Ils suivent la jurisprudence de Mâlik Ibn Anas mais l’islam a aussi prospéré par le soufisme. Notre islam est celui des savants malékites et soufis même si, aujourd’hui, nous sommes confrontés au fondamentalisme et à une minorité islamiste qui en sait finalement très peu sur la religion. La seule chose qu’ils savent, c’est qu’ils sont musulmans. Alors, ils tentent d’en apprendre plus ici ou là. 54 ÉTATS : Beaucoup de personnes ont l’habitude d’opposer le monde arabo-musulman et le reste de l’Afrique. Pourquoi cette distinction et existe-t-elle vraiment ? H. M. : Parce que ce sont des ignorants ! Il faut observer où les Arabes sont localisés en Afrique : en Égypte, en Algérie, au Maroc, en Mauritanie, en Tunisie, en Libye mais ils sont aussi au Soudan, à Djibouti ou en Somalie. Nous dénombrons approximativement pas moins de 300 millions d’arabo-musulmans sur le continent. Reste que ceux qui utilisent l’arabe pour pratiquer leur culte sont près de 700 millions. Il y a entre eux une interaction, des liens, une imbrication. 54 ÉTATS : Le monde musulman, pas seulement en Afrique, est secoué par bien des troubles. Comment expliquez-vous cela ? H. M. : Je pense que c’est une réaction à ce que les colons ont fait à l’Afrique. Puis, il faut se souvenir de ce que les Américains ont fait en Somalie. En 1991, George Bush, le père, a annoncé qu’il allait « restaurer l’espoir » (NDLR : référence à l’opération militaire « Restore Hope »). Au final, ils ont détruit le gouvernement, ils ont créé le vide et maintenant les Shebab et d’autres tentent de le combler. De fait, beaucoup d’attaques dans cette partie du monde, commises par les gouvernements occidentaux, ont été de grossières erreurs. 18 © Sandra Wolmer

© He


Professor Hassan Makki has been head of the research center of African studies at the International University of Africa in Khartoum for several decades. This is where we went to meet him to talk about Islam in Africa and Sudan.

54 ÉTATS: Islam and Africa share a long history. Would you say that Islam is a part of African identity? Hassan Makki (H. M.): Of course. Historically speaking, Islam was introduced into Africa before being introduced into the Medina, where the Prophet finally set up his headquarters. Islam arrived with the first migration to Abyssinia (editor’s note: in 615), which is now known as Ethiopia; just five years after the beginning of revelation. This means that Islam has been deeply entrenched in Africa for 14 centuries. There is another connection between the Arabian Peninsula and Africa. We know that Abraham, the common ancestor of both Jews and Arabs, was married to Hagar, an African (editor’s note: an Egyptian maid and Ishmael’s mother). So, we can say that Arabs have some of their origins in Africa.

ervé Pugi

54 ÉTATS: Is there a specific Islam in Africa? Can we speak of an African Islam? H. M.: To be honest, several trends have emerged in Africa. From a historical point of view, Africans are Malikis. They follow the case law of Malik Ibn Anas but Islam has also prospered through Sufism. Our Islam is that of Maliki scholars and Sufis, even though today we are facing fundamentalism and an Islamist minority, which ultimately knows very little about religion. The only thing they know is that they are Muslims. So they are trying to learn more, here and there. 54 ÉTATS: Many people have the habit of considering the Arab-Muslim world and the rest of Africa as opposed. What is the reason for this distinction and does it really exist? 54 ÉTATS : D’un autre côté, diriez-vous que le monde musulman est confronté à une crise du savoir ? H. M. : Nous sommes en crise car nous sommes assiégés ! Je ne comprends pas pourquoi les puissances occidentales ne se préoccupent des Arabes que pour le pétrole ou la sécurité d’Israël. C’est ça le problème, ils ne s’intéressent pas aux droits de l’Homme dans les pays arabes. Ils ne se préoccupent pas de la démocratie ou du bien-être du monde musulman. Ils troquent les droits de l’Homme au profit de leurs visées stratégiques. Ils font comme si la dignité humaine n’était uniquement due qu’aux Occidentaux. 54 ÉTATS : Quel est votre sentiment lorsque vous entendez Washington dire que le Soudan soutient le terrorisme ? H. M. : Le Soudan n’a pas bombardé la Libye. Le Soudan n’a pas envahi l’Irak. Le Soudan n’a pas détruit la Syrie. Tout ça, c est de la propagande et c’est exagéré bien sûr. 54 ÉTATS : Si vous deviez qualifer l’islam pratiqué au Soudan, que diriez-vous ? H. M. : C’est l’islam soufi. Il tend à faire grandir les émotions dans son esprit, à s’impliquer vis-à-vis de Dieu, à surpasser les difficultés de la vie. C’est tout à la fois une expérience et une réflexion spirituelle. 54 ÉTATS : Quelle est la place de la religion, selon vous, dans la société soudanaise ? H. M. : Elle est très importante. Pour moi, par exemple, je ne peux pas fermer l’œil si je n’ai pas fait mes prières. Parce que la journée terminée, j’ai besoin de quelque chose pour nourrir mes émotions, pour dépasser mes craintes et mes tourments. Je trouve cela, ce soulagement, en me connectant à l’amour de Dieu. @rvpugi

H. M.: Because they are ignorant! It is important to observe where Arabs are located in Africa: Egypt, Algeria, Morocco, Mauritania, Tunisia, Libya, but they are also in Sudan, Djibouti and Somalia. According to calculations, there are no less than approximately 300 million Muslim Arabs on the continent. Nevertheless, those who use Arabic to practice their religion are nearly 700 million. There is an interaction between them, connections, an intertwining. 54 ÉTATS: There is significant turmoil in the Muslim world, not only in Africa. What is your explanation? H. M.: I think it’s a reaction to what the settlers did in Africa. We must also remember what the Americans did in Somalia. In 1991, George Bush, the father, declared he would “restore hope” (editor’s note: reference to the military operation “Restore Hope”). In the end, they destroyed the government and left a void that Al-Shabaab and others are now trying to fill. Indeed, many attacks in this part of the world, carried out by Western governments, were grave errors. 54 ÉTATS: On the other hand, would you say that the Muslim world is facing a crisis of knowledge? H. M.: We are facing a crisis because we are under siege ! I do not understand why the Western powers are only concerned about Arabs when it is a question of oil or Israel’s security. That is the problem; they are not interested in human rights in Arab countries. They do not care about democracy or welfare in the Muslim world. They trade human rights for their strategic aims. They behave as though only Westerners deserve human dignity. 54 ÉTATS: What are your feelings when you hear Washington declare that Sudan supports terrorism? H. M.: Sudan has not bombed Libya. Sudan has not invaded Iraq. Sudan did not destroy Syria. It is propaganda and it’s exaggerated, of course. 54 ÉTATS: If you had to describe how Islam is practised in Sudan, what would you say? H. M.: It is Sufi Islam. It aims at nurturing spiritual feelings, getting closer to God, overcoming the difficulties in life. It is both an experience and a spiritual reflection. 54 ÉTATS: In your opinion, what is the place of religion in Sudanese society? H. M.: It is very important. In my case, for example, I cannot go to sleep if I have not prayed. Once the day is over, I need something to fuel my emotions and to help me overcome my fears and anxieties. I find this relief by connecting myself to the love of God. @rvpugi Translation from French: Susan Allen Maurin 19


À LA CONQUÊTE DES TERRES ET DES CŒURS par Hervé Pugi

Plus que de simples conquérants, les Arabes déferlant sur l’Afrique, via le Maghreb dès le VIIe siècle, ont pu tout logiquement apparaître comme les porteurs d’un message révolutionnaire : celui du progrès. Loin de se lancer dans une politique de la terre brûlée, cet islam naissant et – bientôt – triomphant allait trouver dans cette région du monde un terreau suffisamment riche pour planter la graine d’une religion qui s’épanouit, malgré les vicissitudes et les soubresauts du temps, depuis maintenant près de quatorze siècles. Partis à la conquête des terres comme des cœurs, les conquérants arabes ont su, selon les circonstances, habilement manier le sabre comme le livre. Avec bien moins de violence d’ailleurs qu’il se dit parfois. N’en déplaise à certains. Guerre, il y eut ! Combats, nombreux furent ! L’antique Ifrîqiya, dépendance romaine quasi autonome, était évidemment à ce prix : celui de la violence. Mais si vaincre est une chose, se faire accepter des populations locales en est une autre. Un état de fait qui a pu se vérifier tout au long de l’Histoire. Les autochtones ne pouvaient pourtant qu’adhérer à ce que l’on peut qualifier de « projet de vie » du monde musulman. La domination byzantine. Les querelles dogmatiques incessantes du monde chrétien. Un trinitarisme officiel guère compatible avec l’esprit des lieux. Quoi de plus logique finalement, sur la façade méridionale de la Méditerranée, que le vent de changement ayant soufflé depuis cet Orient, si loin et si proche à la fois, ait pu sembler libérateur ? D’autant que les Arabes n’étaient pas franchement de sinistres inconnus sur le continent africain. Leurs caravanes sillonnaient les pistes en quête d’or, d’esclaves et d’autres denrées rares. Cet islam, certains en avaient entendu parler. Ces musulmans, ils les côtoyaient parfois directement, notamment dans les comptoirs que ceux-ci fondèrent tout le long de la côte est-africaine. Alors, pourquoi le nier ? Avec l’islam, tout devenait plus simple : un Dieu, un prophète, un code de valeurs (mais aussi d’honneur) et un système social égalitaire et solidaire dans un contexte aux normes évidemment bien différentes d’aujourd'hui. Si tous ne furent pas sensibles au message du sceau des prophètes, certains comprirent tout l’intérêt qu’ils avaient à tirer des nouveaux arrivants. On se convertit aussi pour échapper à l’impôt, pour s’affranchir des chaînes de l’esclavage ou pour commercer. La promulgation de l’arabe comme langue officielle, la mise en place d’une administration stable et la tolérance en cours envers les autres cultes, moyennant la Jizya, ont ainsi pleinement participé à l’implantation et à l’essor de l’islam en Afrique. @rvpugi

by Hervé Pugi

THE ARAB WARRIOR WITH A SWORD IN ONE HAND AND A KORAN IN THE OTHER, SURGING FORWARD FROM THE MIDDLE EAST, IS THE "BARBARESQUE" IMAGERY THAT HAS PENETRATED MINDS OVER THE CENTURIES. WHAT IF WE WERE TO REVISIT THIS THEME THROUGH A DIFFERENT LENS? More than simple conquerors, the Arabs forging ahead through Africa, through the Maghreb from the 7th century, appeared as bearers of a revolutionary message: progress. This fledgling and soon triumphant Islam was going to find in this region of the world a sufficiently rich breeding ground in which to plant its religious seed that has blossomed, despite the trials and tribulations of time for nearly fourteen centuries. Set off on a conquest for lands as well as hearts, the Arab warriors found out, according to circumstances, how to manage the sword as skillfully as the book. And with far less violence than has sometimes been said. But war did rage! There were many battles! In order to invade ancient Ifrîqiya, a nearly autonomous region of the Roman empire, the price was obvious: violence. But if winning were one thing, persuading local populations to accept them was another. This state of affairs that has proven itself again and again all throughout history. The natives could only adhere to what could be considered the “life project” of the Muslim world. This was the time of Byzantine domination and the incessant dogmatic bickering of the Christian world. It ushered in an official Trinitarianism hardly compatible with the spirit of the place. What could ultimately be more logical on the southern coast of the Mediterranean than the wind of change blowing from East, at the same time so far yet so close, that could be considered liberating? Especially since the Arabs were, quite frankly, not evil strangers on the African continent. Their caravans furrowing the slopes in search of gold, slaves and other rare commodities. Some had heard people speak of this Islam. They had directly rubbed shoulders with these Muslims notably at the shops they founded all along the East African coast. So why fight it? With Islam, everything was becoming simpler: one God, one prophet, one code of values (but also honor) and an egalitarian and united social system in a context with clearly different norms to today. And if not everyone were sensitive to the message of the seal of the prophets, some understood what was to be gained from the new arrivals. They also converted to escape taxes, to shed the chains of slavery or to trade. The promulgation of Arab as the official language, the establishment of a stable administration and the ongoing tolerance towards other religions, through the Jizyah (tax on non-Muslims), have also clearly contributed to the planting and rise of Islam in Africa. @rvpugi Translation from French: Rachel Wong

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© Guillaume Delisle North West Africa

LE GUERRIER ARABE DÉFERLANT DU MOYEN-ORIENT AVEC UN SABRE DANS UNE MAIN ET LE CORAN DANS L’AUTRE, VOILÀ UNE IMAGERIE « BARBARESQUE » QUI A IMPRÉGNÉ LES ESPRITS AU COURS DES SIÈCLES. ET S’IL FALLAIT REVISITER CETTE IMAGE SOUS UN PRISME DIFFÉRENT ?



© Sabry Khaled

par Hervé Pugi

« C’EST UN MOT DANGEREUX... QUI FAIT PLUS DE BRUIT QU’IL N’APPORTE DE LUMIÈRE », VOILÀ EN PRÉAMBULE LA PRÉCISION QUE NE MANQUE JAMAIS D’APPORTER FRANÇOIS BURGAT, CHERCHEUR À L’INSTITUT DE RECHERCHES ET D’ÉTUDES DU MONDE ARABE ET MUSULMAN (IREMAM) LORSQU’ON ABORDE LE SUJET DE L’ISLAMISME AVEC LUI. LE TOUT EN PRÉCISANT QU’IL « FAUDRAIT SANS DOUTE APPRENDRE À S’EN PASSER SI L’ON VEUT APERCEVOIR LA MATRICE RÉELLE – POLITIQUE ET NON RELIGIEUSE – DES TURBULENCES DE CE MONDE ». POURTANT, PARLONS-EN UNE NOUVELLE FOIS !

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"IT’S A DANGEROUS WORD WHICH MAKES MORE NOISE THAN IT ENLIGHTENS", HERE IN THE INTRODUCTION IS THE PRECISION THAT FRANÇOIS BURGAT NEVER FAILS TO BRING. HE IS A RESEARCHER AT THE INSTITUTE OF ISLAMIC STUDIES AND RESEARCH (IREMAM) IN AIX EN PROVENCE, WHEN WE APPROACHED THE SUBJECT OF ISLAMISM WITH HIM. WHILE SPECIFYING THAT "IT WOULD UNDOUBTEDLY BE NECESSARY TO LEARN TO LIVE WITHOUT IT IF WE WANT TO GET A GLIMPSE OF THE REAL MATRIX - POLITICAL AND NON-RELIGIOUS – OF TURMOIL IN THIS WORLD." ANYWAY, LET'S TALK ABOUT IT ONCE AGAIN!


L’OCCIDENT FABRIQUE D’UNE MAIN DES DJIHADISTES QU’IL DIT VOULOIR COMBATTRE DE L’AUTRE MAIN. La question de l’islamisme interroge, interpelle, inquiète au point de transformer les plus sérieux débats en véritables cafés du commerce, tant la notion a perdu son essence derrière des amalgames qui font trop souvent rimer islamisme avec terrorisme. « Une méprise en fait, éventuellement une méconnaissance, pour ne pas dire une paresse intellectuelle, à moins qu’il ne s’agisse simplement de mauvaise foi. » La formule avait déjà trouvé sa place dans un article, consacré au même sujet, rédigé par votre serviteur sur le numéro spécial Libye (n°20). Pour François Burgat, étudier « rationnellement » l’islamisme, c’est avant tout tenter de « cerner le phénomène en l’associant d’abord à une dynamique de nature identitaire plus que religieuse » pour en arriver à désigner les islamistes « comme étant, avant tout, ceux qui entendent réaffirmer la légitimité et l’universalité du « parler musulman ». Une réhabilitation d’un lexique endogène bien plus que sacré d’ailleurs. Le chercheur de l’IREMAM d’avancer dans sa réflexion : « l’islamisme, c’est tout à la fois une réaction et une continuité. Les islamistes prolongent la démarche nationaliste en s’inscrivant dans une approche qui consiste à limiter les manifestations de la domination occidentale. Les nationalistes l’on fait sur le terrain politique pour parvenir à l’indépendance. Les premières élites nationalistes l’ont fait sur le terrain économique et cela a donné des nationalisations. Les islamistes, tout en occupant ce double terrain, le font aussi sur le registre culturel et symbolique. » Pour quel message au final ? « Ils nous disent que dorénavant pour s’exprimer ils emploieront de façon privilégiée un lexique qui est extrait de leur patrimoine historique, sans plus passer par les catégories suggérées ou imposées par le biais de la colonisation ».

Because the question of Islam interrogates, calls out and causes worry to the point of transforming the most serious debates into real places of discussion so much so that the notion lost its essence amongst the confusion which too often associates Islam with terrorism."An error in fact, possibly ignorance, not to say intellectual laziness, unless it is simply a question of bad faith." This idea has already found its place in an article, dedicated to the same subject, in the special issue called Libya ( n°20 ). For François Burgat, to "rationally" study Islam, is primarily "to focus on the phenomenon by firstly associating it with a more identity than religious dynamics" to show Islamists "as being, before anything else, those who intend to reaffirm the legitimacy and the universality of "speaking Muslim." A rehabilitation of an endogenous lexicon which is more than sacred. And the researcher at IREMAM advances in his reflection: "Islamism, is a reaction and a continuity all at the same time. The Islamists extend the nationalist initiative in line with an approach which consists of limiting demonstrations of western domination. The nationalists do this on the political terrain to reach independence. The first elite nationalists did it on the economic terrain and it caused nationalizations. While occupying this double terrain, the Islamists also do it on the cultural and symbolic register." For what message in the end? "They tell us that from now on, to express themselves they will use a lexicon in a favored manner which is extracted from their historical heritage without using the suggested or imposed categories via colonization".

LES RÉGIMES ARABES AUTORITAIRES ONT VENDU AUX OCCIDENTAUX L’IDÉE DU SPECTRE DU RADICALISME ISLAMIQUE

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© Mig R

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Un décryptage qui ne passe pas forcément dans l’opinion publique mais, plus inquiétant encore, auprès des élites politiques occidentales. Si parler d’islamisme éveille tumulte et brouhaha, parler avec les islamistes a des faux airs de pacte avec le diable ! « L’Occident a une appréciation émotionnelle du phénomène. Nous ne communiquons qu’avec des interlocuteurs musulmans qui disent dans la langue que l’on comprend ce que l’on a envie d’entendre. Cela ne suffit pas… Si nous avons Daech aujourd’hui, c’est aussi parce que les Occidentaux n’ont jamais été capables de faire confiance au tissu médian que l’on pourrait appeler les « islamistes républicains ». On ne veut d’autre position politique que celle à notre image. C’est ignorer une donne. Mais vouloir fabriquer de soi-disantes sociétés civiles en Orient qui communieraient avec l’Occident dans l’excommunication des islamistes, c’est là une grave erreur ». Un positionnement qui interpelle forcément car, comme l’explique François Burgat : « l’Occident envoie un message qui fabrique des djihadistes. Il fabrique d’une main des djihadistes qu’il dit vouloir combattre de l’autre main ». Pour comprendre ce qui nous a conduit à une telle situation, il n’y a pas besoin de beaucoup creuser : « les régimes arabes autoritaires ont vendu aux Occidentaux l’idée du spectre du radicalisme islamique comme seule alternative à leur pouvoir. Ils ont donc été soutenus pendant des décennies parce que cette idée a été intériorisée. La crainte de voir ces autoritarismes se faire remplacer par d’autres plus terribles encore a pesé ». Pourtant, comme le précisait Hatem M’Rad, professeur de Science politique à Tunis dans une précédente publication, « on ne peut ni refuser d’associer les islamistes à la politique, ni les considérer comme des partenaires peu sérieux. Ce n’est pas un choix culturel, mais politique ». Les expériences radicalement opposées actuellement vécues par l’Égypte et la Tunisie ne révèlent pas autre chose. « Quand on dit islam politique, conclut François Burgat, on dit Abou Bakr al-Baghdadi mais également Rached Ghannouchi. S’il y aura forcément dans le futur une centralité du lexique politique islamique, l’usage qui en sera fait variera surtout en fonction de contingences extrêmement profanes. Si tout se passe bien, l’islam politique connaîtra des expressions particulièrement libérales. En revanche, s’il doit faire face à une tempête de répressions et de contraintes, on risque effectivement de voir surgir - au bout du tunnel - des monstres du type des membres de Daech ». Voilà qui est dit… @rvpugi

A deciphering which is not necessarily accepted by the public opinion but, more disturbingly still, nor by western political elites. If speaking about Islamism awakens turmoil and hubbub, to speak with Islamists looks a bit like a pact with the devil! "The West has an emotional appreciation of the phenomenon. We communicate only with Muslim interlocutors who say what we want to hear in a language that we understand. This is not enough … If we have Daech today, it is also because the Westerners were never capable of trusting the ordinary Muslim which we could call the "republican Islamists. "We don’t want political positions other than those that reflect who we are. It means ignoring a given fact. But wanting to create so-called civil societies in the East which would unite with the West in the excommunication of Islamists, this is a serious mistake." A questionable position because, as François Burgat explains it: "The west sends a message which makes jihadists. On one hand we create jihadists and on the other we want to fight them." But to understand what led us to such a situation, there is no need to dig a lot: "the authoritarian Arabic regimes sold the idea of the threat of radical Islam to Westerners, as the only alternative in their power. For decades they were thus supported because this idea was interiorized. The fear of seeing these dictators replaced by more terrible ones loomed large." Even so, as specified by Hatem M’Rad, Professor of Political Science in Tunis, in our previous publication, "we cannot refuse to associate Islamists with politics nor can we consider them as not serious partners. It is not a cultural choice but a political one." The radically opposed experiences currently taking place in Egypt and Tunisia do not say anything else. "When we say political Islam, concludes François Burgat, we say Abou Bakr al-Baghdadi but also Rached Ghannouchi. If there is going to be a centrality of the Islamic political lexicon in the future, the practice of it which will especially vary, according to extremely profane contingencies. If everything goes well, political Islam will know particularly liberal expressions. On the other hand, if it has to make a storm of repressions and constraints, we risk seeing the appearance of monsters, resembling Daech members, at the end of the tunnel." That is what is said … @rvpugi Translation from French: Nadine Visagie


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© Sandra Wolmer

par Sandra Wolmer

AFRIQUE ET ISLAM ? AFRIQUE, ISLAM ET CHRÉTIENTÉ ? DE QUELLE FAÇON LA CONFRONTATION ENTRE ISLAM ET CHRISTIANISME A-T-ELLE DÉFINI LA PLACE OCCUPÉE PAR L’ISLAM DANS CET ESPACE GÉOGRAPHIQUE ? COMMENT LES DYNAMIQUES RELIGIEUSES SE SONT-ELLES EXPRIMÉES SOUS LA COLONISATION ? LE PROFESSEUR ABDOUL AZIZ KÉBÉ, ISLAMOLOGUE, RESPONSABLE DU CENTRE DE RECHERCHE ISLAM, SOCIÉTÉS ET MUTATIONS À L’UNIVERSITÉ DE DAKAR, MET EN PERSPECTIVE LES ÉLÉMENTS QUI ONT CONTRIBUÉ À FAÇONNER L’ISLAM TEL QU’IL SE PRÉSENTE AUJOURD’HUI SUR LE CONTINENT.

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AFRICA AND ISLAM? AFRICA, ISLAM AND CHRISTIANITY? HOW HAS THE CONFRONTATION BETWEEN ISLAM AND CHRISTIANITY DEFINED THE PLACE OF ISLAM IN THIS GEOGRAPHICAL ZONE? HOW WERE RELIGIOUS DYNAMICS EXPRESSED DURING COLONIZATION? PROFESSOR ABDOUL AZIZ KEBE, ISLAMIC SCHOLAR AND HEAD OF THE ISLAM, SOCIETIES AND CHANGES RESEARCH CENTER AT DAKAR UNIVERSITY, PUTS INTO PERSPECTIVE THE ELEMENTS THAT HAVE SHAPED ISLAM AS IT STANDS TODAY ON THE CONTINENT.


54 ÉTATS : L’évangélisation de l’Afrique a-t-elle été au cœur de la « mission civilisatrice » des puissances coloniales ? Abdoul Aziz Kébé (A. A.K) : Du point de vue de la propagande et de la perception que les élites musulmanes ont de la colonisation, il y a une corrélation entre la colonisation et l’évangélisation. Il est difficile d’effacer cette perception pour plusieurs raisons. Il y a le fait que le christianisme est venu en Afrique dans les « bagages » des colonisateurs. Peut-être même est-il venu avec les trafiquants d’esclaves ? Il y a ensuite les politiques de discrimination positive au profit des populations autochtones converties au christianisme. Cette discrimination était accompagnée d’une politique d’affaiblissement de l’islam, dans ses institutions de transmission de savoirs et d’éducation, et auprès des dirigeants locaux. Il y a là à n’en point douter un conflit de « cultures » et de « civilisation » et une politique qui va dans le sens d’encourager la « culture » du colonisateur et sa « civilisation » en passant par l’évangélisation et la scolarisation. Dans tous les cas, les différents textes de l’administration coloniale française en Afrique de l’Ouest expriment clairement que l’islam était un obstacle à la mission civilisatrice. Que ce soit dans les territoires à majorité musulmane comme le Soudan, la Somalie, Zanzibar, ou dans les espaces où l’islam n’était pas majoritaire comme le Tanganyika, le Kenya, l’Ouganda et le Mozambique, il y a eu une coopération étroite entre l’Église et les colons pour réduire l’influence de l’islam par l’évangélisation des non-musulmans, l’introduction de l’école laïque et la prise de décrets et règlements pour réduire le temps de l’enseignement islamique. Même si l’évangélisation n’était pas au cœur de la mission civilisatrice de l’Europe, il est difficile de les dissocier.

© Jasmin Merdan

54 ÉTATS: Was the evangelization of Africa at the heart of the "civilizing mission" of the colonial powers? Abdoul Aziz Kébé (A. A. K.): In terms of propaganda and perception that Muslim elites have of colonization, there is a correlation between colonization and evangelization. It is difficult to alter this perception for several reasons. There is the fact that when the settlers came to Africa, Christianity was part of their “luggage”. Perhaps it even accompanied the slave traders? Then, there are the positive discrimination policies in favour of the indigenous populations who converted to Christianity. This discrimination was accompanied by a weakening of political Islam in its teaching and educational institutions, as well as with the local leaders. There is no doubt that this resulted in a clash of “culture” and “civilization” with a policy that exhorted the colonizer’s “culture” and “civilization” through evangelism and schooling. In any case, the various texts of the French colonial administration in West Africa clearly express that Islam was an obstacle to the civilizing mission. Whether in areas with a Muslim majority, like Sudan, Somalia, Zanzibar, or in regions where Islam was not the main religion, as in Tanganyika, Kenya, Uganda and Mozambique, there was a close cooperation between the Church and the settlers to reduce the influence of Islam through the evangelization of non-Muslims, the introduction of secular schools and the enforcement of decrees and regulations to reduce the time of Islamic teachings. Although evangelization was not at the heart of Europe’s civilizing mission, it is difficult to dissociate them.

LIEU SAINT ISLAMIQUE

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54 ÉTATS : Peut-on parler d’un choc religieux culturel qui ne s’exprime qu’au détriment des musulmans ? A. A. K. : Il y a effectivement une confrontation entre deux cultures, deux civilisations. Au moment où l’Europe entrait en contact avec l’Afrique – au XVe siècle pour les besoins de la traite des esclaves et à l’issue de la controverse de Valladolid – en Afrique de l’Ouest, l’empire du Ghana avait vu l’animisme cohabiter avec l’islam sans heurts. Les souverains songhaï avaient contribué à donner à l’islam un rayonnement appréciable a travers des politiques culturelles qui ont contribué à multiplier les foyers d’éducation, à former des élites qui produisaient des œuvres importantes appréciées partout. Tout le monde a entendu parler de l’ébullition intellectuelle à Tombouctou et dans les villes similaires. Il en fut ainsi jusqu’à l’arrivée des Européens, amenant avec eux leur religion et leur école, ces instruments qui contribuent à investir la conscience et la raison. Or, ils ont trouvé l’islam non pas seulement comme religion, mais comme culture et comme associé à la gestion de l’État là où il n’exerçait pas le pouvoir. Lorsque la colonisation s’est implantée, elle a commencé par montrer son hostilité à l’islam, à la culture islamique, à la langue et à la littérature arabe. Les différentes politiques de discrimination et de marginalisation que les colonisateurs ont eu à appliquer continuent à laisser ses marques et ses séquelles dans les sociétés à majorité musulmane. Les élites islamisées, les lettrés arabophones continuent à se sentir exclus, comme au temps des colonisateurs. 28

54 ÉTATS: Can we speak of a religious-cultural clash that is detrimental to the Muslims? A. A. K: There is indeed a clash between two cultures, two civilizations. At the time when Europe came into contact with Africa - in the fifteenth century for the purposes of the slave trade and following the outcome of the Valladolid debate - the Ghana Empire had witnessed the peaceful coexistence of animism and Islam in West Africa. The Songhai rulers had helped to give Islam a significant influence through cultural policies that contributed to increase the number of education centres and the training of the elites, which produced important works appreciated everywhere. Everyone has heard of the intellectual ferment in Timbuktu and in similar cities. It was as such until the Europeans arrived with their religion and education, these instruments, which contribute to developing the conscience and the mind. But, they discovered an Islam that was not only a religion but also a culture, associated with the administration of the State where it had no authority. Once the settlement was established, it began showing its hostility to Islam, the Islamic culture, the Arabic language and literature. The various policies of discrimination and marginalization applied by the colonizers left their marks and aftereffects in Muslim-majority societies. The Islamized elites and Arabic-speaking scholars continue to feel excluded, as in the days of the settlers.


54 ÉTATS : Quel est le rôle joué par l’islam dans les mouvements d’indépendance ? A. A. K. : Il n’y a pas un schéma unique. Si nous prenons le cas de l’Afrique de l’Est, les musulmans ont joué les premiers rôles dans les mouvements nationalistes. Au Soudan et en Somalie, l’islam a été au premier rang de la lutte anticoloniale. Au Mozambique aussi d’autant que les Portugais étaient très durs contre eux. Dans cette partie de l’Afrique, les confréries – Qadriya, Tijaniyya, Shadhiliyya, etc. – ont eu un rôle déterminant. En Afrique de l'Ouest, il y a eu moins de mouvements musulmans engagés dans cette lutte. Cependant, les confréries y sont dans une certaine mesure en s’alliant avec les leaders politiques. Au Sénégal, les confréries ont plutôt suivi les grands leaders dans les péripéties ayant mené aux indépendances. Les grands khalifes de la Tijaniyya et de la Mouridiyya ont plutôt supporté la tendance modérée qui était partisane de la négociation. Les jeunes intellectuels formés dans les écoles des pays arabes, eux, influencés par les nationalistes arabes, se sont regroupés dans l’Union culturelle musulmane (UCM). Ceux-ci ont fait cause commune avec les partisans de l’indépendance immédiate. Nous avons donc deux positions : une position loyaliste aux autorités coloniales et aux dirigeants partisans de la communauté franco-africaine (Tijaniyya, Mouridiyya, Collectivité Leboue). Une autre plutôt radicale, favorable à l’indépendance, celle des jeunes « arabisants ». Cette différence reste encore avec ses séquelles et ses marques.

54 ÉTATS: What is the role of Islam in independence movements? A. A. K.: There is no single pattern. If we take the case of East Africa, the Muslims played leading roles in nationalist movements. Islam was at the forefront of the anti-colonial struggle in Sudan and Somalia. The same can be said for Mozambique, especially as the Portuguese were very hard on them. Brotherhoods - Qadriya, Tijaniyya, Shadhiliyya, etc. - played a determining role in this part of Africa. There were fewer Muslim movements involved in this struggle in West Africa. However, the brotherhoods there played a role to some extent by allying themselves with political leaders. In Senegal, the brotherhoods followed the great leaders in the events that led to independence. The great caliphs of Tijaniyya and Mouridiyya supported the moderate trend, which was in favour of negotiation. The young intellectuals educated in schools in Arab countries, themselves influenced by Arab nationalists, came together in the Muslim Cultural Union (MCU). They sided with the advocators of immediate independence. So, we have two positions: one that is loyal to the colonial authorities and the leaders that are in favour of the Franco-African community (the Tijaniyya, Mouridiyya, Lebou Community). The other, which is more radical and pro-independence, is that of the young “Arabists”. This difference, with its aftereffects and marks, still persists.

LA COUPOLE DU DÔME DU ROCHER SUR LE MONT DU TEMPLE À JÉRUSALEM, ISRAËL © Jean-Louis Zimmermann

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Š Lucian Coman

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54 ÉTATS : Quel impact pour la place de l’islam dans ces pays libérés ?

54 ÉTATS : What is the impact of Islam in these liberated countries?

A. A. K. : Le clivage entre partisans du soufisme et partisans du réformisme islamique est encore vif. Dans certaines sociétés, comme au Nigeria et dans une certaine mesure au Niger, ces différends ont provoqué des tensions et des conflits meurtriers. Le mouvement Izala, Jamâ’at Izâlat al-Bid’a wa Iqâmat as-Sunna, donne rien que dans son intitulé les contours du conflit qui va s’installer dans la société. D’un côté, les partisans de ce mouvement vont prétendre être la communauté de la sunna alors que les autres, les soufis et leurs partisans, sont des innovateurs. Il s’ensuit donc une attitude de rejet et d’exclusion réciproque. Sur le plan politique, les confrères vont plutôt prendre une attitude d’accommodation avec les États et les régimes qui se succèdent là où les réformistes adoptent une attitude critique. De ce point de vue, ces derniers continuent à critiquer l’attitude tiède des confréries par rapport aux États africains qui poursuivent la politique coloniale concernant la marginalisation de l’islam. Ce qui a entraîné le regroupement des organisations réformistes le plus souvent dans des hauts conseils islamiques ou des regroupements des organisations dites sunnites.

A. A. K.: The rift between the supporters of Sufism and those of Islamic reformism is still deep. In some societies, such as in Nigeria and to some extent in Niger, these differences have caused tension and deadly conflicts. Simply the name of the Izala movement, Jama’at Izalat al Bid’a Wa Iqamat as Sunna, outlines the conflict that is going to take place in the society. On one side, the supporters of this movement claim to be the community of the Sunna, while the others, the Sufis and their supporters, are innovators. The consequence is thus a negative attitude and mutual exclusion. On the political level, the brotherhoods tend to adopt an attitude of accommodation towards the States and the successive regimes whereas the reformists’ approach is more critical. From this point of view, the latter continue to criticize the lukewarm attitude of the brotherhoods in regard to the African States that pursue the colonial policy concerning the marginalization of Islam. The result of which was the coalition of reformist organizations, mostly in Islamic High Councils or groups of so-called Sunnite organizations.

En remettant sur le tapis la problématique de l’éducation, de l’intégration de la religion dans le système éducatif, en dénonçant les lois et règlements qui protègent la femme, en dénonçant la laïcité de l’État, l’antagonisme entre élites arabophones et élites europhones remonte à la surface. 54 ÉTATS : Comment expliquer que cet antagonisme puisse ainsi perdurer ? A. A. K. : Pour les musulmans engagés dans les mouvements réformistes, les sociétés africaines à majorité musulmane ne sont pas encore indépendantes puisque l’islam reste exclu de l’exercice du pouvoir et de la définition des politiques. Ce point de vue n’est pas exclusif des réformistes musulmans, les partisans du soufisme ne sont pas loin de partager cet avis. Si l’on devait évaluer le rapport de l’islam contemporain par rapport à l’héritage colonial, on pourrait dire qu’aujourd’hui l’islam vit une sorte de continuité. Sa position dans la société est restée la même du point de vue institutionnel. Il ne participe pas au jeu politique, en tout cas pas de manière formelle et constitutionnelle. Dans presque tous les pays, les États ont opté pour la laïcité. Sur un autre plan, l’islam est surveillé à cause des velléités qui lui sont prêtées de conquérir le pouvoir et l’exercer. Les réformistes sont partisans de l’islam politique et le slogan « l’islam est la solution » est largement diffusé. Cette surveillance est moins marquée par rapport aux confréries qui sont plutôt partisanes de l’accommodation et du respect de l’autorité. Sur le plan de l’éducation, l’enseignement coranique est laissé entre les mains des communautés musulmanes. Là où l’État intervient, c’est pour rapprocher cette école du système de l’enseignement public. Ce qui ne tranquillise pas les élites musulmanes qui voient là une volonté de minimiser l’impact de l’enseignement religieux, de le laïciser. Enfin, concernant les droits humains, en particulier les droits de la femme et de l’enfant, les mêmes lignes de confrontation sont demeurées claires. Les élites voient dans la promotion des droits humains un moyen de violer les enseignements religieux, de faire reculer le droit @SandraWolmer1 islamique et son application.

By bringing up again the issue of education, the integration of religion into education, by condemning the laws and regulations that protect women, by condemning the secular nature of the State, the antagonism between Arab-speaking and European-speaking elites resurfaces. 54 ÉTATS: What is the explanation for this on-going antagonism ? A. A. K.: For the Muslims engaged in reform movements, African societies with a Muslim majority are not yet independent, as Islam remains excluded from the exercise of power and policy making. This opinion is not exclusively that of Muslim reformists ; supporters of Sufism are not far from sharing this opinion. If one was to evaluate the relationship of contemporary Islam in relation to the colonial legacy, we could say that today, Islam is experiencing a kind of continuity. Its position in society has remained the same from an institutional point of view. It does not participate in politics, at least not formally and constitutionally. In almost every country, the States have opted for secularism. At another level, Islam is monitored because of its alleged tendencies to gain and exercise power. The reformists are supporters of political Islam and the slogan "Islam is the solution" is widely disseminated. This monitoring is less pronounced in regard to the brotherhoods, which are more in favour of accommodation and respect for authority. In terms of education, Koranic teaching is left in the hands of Muslim communities. And when the State intervenes, it is to bring this schooling closer to the public education system. This is something that does not reassure the Muslim elites, who see this as an intention to minimize the impact of religious education and secularize it. Finally, concerning human rights and in particular, the rights of women and children, the same confrontation lines remain clear. The elites see in the promotion of human rights, a means of violating religious teachings, cur@SandraWolmer1 bing Islamic law and its application. Translation from French: Susan Allen Maurin

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"LE VOILE N'EST PAS UNE OBLIGATION DANS LA RELIGION MUSULMANE" 32


par Arnaud Longatte

par Arnaud Longatte

LE VOILE ISLAMIQUE EST UN SYMBOLE FORT DANS LES SOCIÉTÉS D’APPARTENANCE À LA RELIGION MUSULMANE. MAIS QUE SAIT-ON EXACTEMENT DE L’ORIGINE DU PORT DU VOILE ? ET QUE SIGNIFIE-T-IL ? EXPLICATIONS ET DÉCRYPTAGES AVEC BRUNO NASSIM ABOUDRAR, PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ DE LA SORBONNE NOUVELLE À PARIS.

THE ISLAMIC VEIL IS A STRONG SYMBOL IN SOCIETIES IDENTIFYING WITH THE MUSLIM RELIGION. BUT WHAT DO WE KNOW EXACTLY ABOUT ITS ORIGINS? AND WHAT DOES IT SIGNIFY? EXPLANATIONS AND DECRYPTIONS WITH BRUNO NASSIM ABOUDRAR, PROFESSOR AT THE UNIVERSITY SORBONNE NOUVELLE (PARIS III) IN PARIS.

Quelle étrangeté que ce bout de tissu, cette étoffe, ce voile qui, quand on le porte, revêt une signification symbolique d’appartenance à une religion. Ce voile qui, tel un torchon qui brûle, rend visible l’invisible : en effet, dans la mesure où sa fonction première est de cacher, il est de plus en plus visible dans l’espace public. Paradoxe d’un signe qui appartient à l’espace intime et marche sur les plates-bandes de l’espace social.

How strange that this bit of fabric, this veil, that when we wear it, carries such a symbolic significance of religious belonging. This veil that makes visible the invisible: in fact, to the extent that its first function is to hide, it is becoming increasingly visible in public space. It is the paradox of a symbol which belongs to the intimate space and invades into the social space.

Qu’essaie-t-il de nous montrer, finalement, ce voile ? Nous montre-t-il qu’il cache le corps, la beauté des femmes ? Ne voile-t-il pas simplement le regard des hommes sur elles ? Dans un monde où le regard est omniprésent et omnipotent, ne faut-il pas regarder par-delà les apparences, par-delà le visible ? Le voile au départ n’était nullement islamique. « Il est attesté en premier lieu dans le Nouveau Testament, précisément dans la première épitre aux Corinthiens de saint Paul, dans laquelle il exige que les femmes portent le voile pendant le culte », explique Bruno Nassim Aboudrar. Il n’est donc devenu un symbole musulman à proprement parler que très tard, à la fin du XIXe siècle et au cours du XXe siècle. Mais jusque-là, le voile n’a pas de fonction symbolique, il a seulement une fonction pratique, qui consiste pour les femmes à ne pas être visibles. « C’est chez les chrétiens qu’il symbolise la soumission de la femme à l’ordre divin et à l’homme », nous apprend encore le professeur Aboudrar.

What exactly is this veil trying to show us? It shows us that it hides the body, women’s beauty? Does it not simply veil the women from the looks from men? In a world where looking is ever present and omnipotent, should we not look beyond appearances, beyond what is visible? In the beginning the veil was not at all Islamic. "It was first recorded in the New Testament, specifically in Saint Paul’s first letter to the Corinthians, in which he asks the women to wear a veil during worship", explains Bruno Nassim Aboudrar. It did not then become a Muslim symbol, strictly speaking, until very late, at the end of the nineteenth century and beginning of the twentieth century. But until then, the veil did not have a symbolic function, it only had a practical function, for women to not be visible. "It is the Christians who made it a symbol of women’s submission to divine order and man", advises Professor Aboudrar.

© Rabah Seghir

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LA POLÉMIQUE DU VOILE Le voile suscite la polémique un peu partout dans le monde : intégral, il est interdit tout récemment au Tchad, pour cause d’attentats terroristes, mais aussi en France. La spécificité de la polémique liée au voile islamique dans l'hexagone tient à sa longue histoire coloniale. Dès 1830, en Algérie, les Français supportent très mal que les femmes soient voilées et le fait qu’ils ne voient pas les femmes leur est désagréable. Mais, à l’époque, d’après Bruno Nassim Aboudrar, « la République française protège le port du voile et même l’exige car elle garantit le droit musulman de la personne ». Ensuite, « le voile devient au contraire un symbole de la résistance algérienne et là les Français exigent que les femmes soient dévoilées pour qu’elles appartiennent à une république que l’on souhaite unie », précise-t-il encore. Le voile n’est pourtant pas une obligation et particulièrement pas dans la religion musulmane. « Dans le Coran, le voile est un simple moyen, un simple conseil. Il est recommandé aux croyantes de porter le voile pour qu’on les reconnaisse et qu’on ne les ennuie pas. C’est un moyen de se signaler comme appartenant à la classe dominante et de ne pas être embêtée ou traitée comme une esclave », explique encore M. Aboudrar.

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THE CONTROVERSY OF THE VEIL The veil generates a bit of controversy everywhere in the world: it has most recently been banned in Chad for terrorist bombs, but also in France. Specifically, the controversy tied to the Islamic veil holds fast to France’s long colonial history. Since 1830, in Algeria, the French have struggled with the sight of veiled women and the fact that they cannot see the women is unpleasant to them. But, at the time, according to Bruno Nassim Aboudrar, "The French Republic protects the choice to wear the veil and even demands it because it guarantees the Muslim rights of a person". So, "the veil has become on the contrary a symbol of Algerian resistance and this is why the French demand that they do not veil themselves, because they belong to a republic that wants to be united", he explains. Nevertheless, the veil is not an obligation and particularly not within the context of the Muslim religion. "In the Koran, the veil is a simple method, a simple tip. It is recommended to believers that they wear the veil in order to be recognized and left undisturbed. It is a way to signal that they belong to the dominating class and to not be bothered or treated as a slave", says Mr. Aboudrar.

BRUNO NASSIM ABOUDRAR

© Marshmallow

Bruno Nassim Aboudrar est professeur d’esthétique et de théorie de l’art à l’université Sorbonne Paris-III et a publié chez Flammarion un essai intitulé Comment le voile est devenu musulman, 256 pages. Prix éditeur : 20 euros.

“Bruno Nassim Aboudrar is a professor of aesthetics and art theory at the University Sorbonne Paris-III and Flammarion-published author of the essay titled Comment le voile est devenu musulman, 256 pages. Publisher price : 20 euros.

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LE VOILE EXPRIME UNE GESTION DU REGARD ET DU VISIBLE Pour Bruno Nassim Aboudrar, « dans les sociétés musulmanes traditionnelles, il y a une très grande ascèse du regard et c’est quelque chose qui nous est globalement inconnu. Il y a un verset du Coran qui demande aux hommes comme aux femmes de baisser le regard en présence l’un de l’autre. Et il y a d’une manière générale une gestion du regard, du visible, qui est une gestion au plus près, au plus rigoureux, avec très peu de liberté laissée au regard. On a des systèmes de clôture, d’enfermement, tout un régime de visibilité qui est absolument le contraire du régime de visibilité occidental qui est très favorable au regard et qui est toujours en train de le servir, de le permettre. C’est un système qui a été longtemps très ascétique et dont le voile évidemment faisait partie. » Dans une sorte d’extrapolation du débat soulevé par le voile, une recrudescence de polémiques se fait jour à propos de tenues vestimentaires : jupes trop courtes ici, trop longues là, tenues indécentes pour les uns, liberté pour les autres. En définitive, l’espace public, en Afrique, en Orient ou en Occident, s’est métamorphosé en un espace d’expressions, toutes plus ou moins cryptées ou sujettes à des interprétations, parfois fantaisistes. Le corps, unique temple restant dans la jungle du monde, était le dernier rempart contre l’affichage intempestif des signaux de tous ordres dont est jonchée notre planète : murs, écrans et même tissus ont été colonisés par des messages, des advertisement qui nous donnent l’ordre d’acheter, de consommer, y compris une pensée prémâchée. Là où des individus s’affichent avec des corps tatoués, voire scarifiés, des corps « percés », liant leur identité à des pratiques ancestrales venues d’Océanie ou bien d’Afrique et affirmant leur individualité aux yeux de tous, on trouve également les signes ostentatoires d’appartenance à un groupe comme le port du voile dans la communauté musulmane. Le même signifiant qui ne porte pourtant pas le même signifié selon l’individu : liberté pour les unes, oppression pour les autres. Dans la jungle des signes, encore une fois : tout est affaire de regard…

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THE VEIL EXPRESSES THE MANAGEMENT OF GAZE AND VISIBILITY For Bruno Nassim Aboudrar, "in traditional Muslim societies, there is an extreme sense of asceticism in regards to gaze and it is something that is globally unknown to us. There is a verse in the Koran that asks the men as well as the women to lower their gaze in the presence of one another. And there is in a general way a management of the act of looking, of visibility that is very rigorous, with very little freedom left in regards to how we look at one another. We have systems of fencing in, of enclosures, all a regime of visibility that is absolutely contrary to the regime of Western visibility that is very favorable to looking that is always serving it, allowing it. It’s a system that has for a long time been very ascetic to which the veil has obviously played a part." In a sort of extrapolation from the debate raised by the veil, an escalation in controversies is surfacing regarding appropriate dress: skirts too short here, too long there, indecent outfits for some, freedom for others. Ultimately, the public space, in Africa, the East and the West, has evolved into a space of expression, all more or less encrypted or subject to interpretations, sometimes fantasies. The body, a remaining singular temple in the jungle of the world, was the last bastion against the untimely display of all kinds of signals with which our planet is littered: walls, screens. And even fabrics have been colonized by messages, by advertising that orders us to buy and consume including preconceived thoughts. Where individuals advertise with their tattooed bodies, even sacrificed, "pierced" bodies, tying their identity to their ancestral practices coming from Oceania or even Africa and affirming their individuality in all eyes, we also find ostentatious signs of belonging to a group similar to wearing a veil in the Muslim community. The same signifying yet not wearing the same signified according to the individual (this is really confusing): liberty for some, oppression for others. In the jungle of signs, one more time: everything is a matter of looks… Translation from French: Rachel Wong 37


© Keith Levit

par Sandra Wolmer

UAND ON DIT ISLAM, ON N’A RIEN DIT »*. ASSURÉMENT. QUAND ON DIT ISLAM, ON S’INTERROGE. ÉGALEMENT. QUAND ON DIT ISLAM, ON S’AVENTURE INÉVITABLEMENT SUR UN TERRAIN GLISSANT TANT « CETTE NOTION CONSTITUE D’EMBLÉE UN PIÈGE EN DÉSIGNANT À LA FOIS UNE ATTITUDE À L’ÉGARD DU DIVIN, UN SYSTÈME RELIGIEUX ET UNE CULTURE HISTORIQUE »*. CERTES, MAIS PAS SUFFISANT TOUTEFOIS POUR FAIRE TAIRE LES VOIX DE PLUS EN PLUS NOMBREUSES À RÉCLAMER SON AGGIORNAMENTO : DÉMOCRATIE, DROITS DE L’HOMME, LAÏCITÉ… CONFRONTÉ AU DÉFI DE LA MODERNITÉ, L’ISLAM DOIT SATISFAIRE UN BESOIN IMPÉRIEUX, CELUI DE SE REPENSER RATIONNELLEMENT EN S’AFFRANCHISSANT DU SEMPITERNEL FREIN « SACRO-RELIGIEUX ». IMPOSSIBLE ? RÉFLEXION AVEC RODRIGUE NANA NGASSAM, DOCTORANT EN ÉTUDES INTERNATIONALES À L’UNIVERSITÉ DE DOUALA (CAMEROUN) ET CHERCHEUR AU GREPDA (GROUPE DE RECHERCHES SUR LE PARLEMENTARISME ET LA DÉMOCRATIE EN AFRIQUE) ET MEMBRE ÉTUDIANT DE LA SOCIÉTÉ QUÉBÉCOISE DE DROIT INTERNATIONAL (SQDI). 38

HEN WE SAY ISLAM, WE HAVE NOT SAID ANYTHING".* CERTAINLY. WHEN WE SAY ISLAM, WE ARE QUESTIONING OURSELVES. ALSO. WHEN WE SAY ISLAM, WE ARE INEVITABLY SKATING ON THIN ICE BECAUSE "THIS NOTION IS A TRAP, SINCE IT DENOTES AN ATTITUDE TOWARDS THE DIVINE, A RELIGIOUS SYSTEM AND A HISTORICAL CULTURE, ALL AT THE SAME TIME".* INDEED, YET IT IS NOT SUFFICIENT TO SILENCE THE INCREASINGLY NUMEROUS VOICES, WHICH DEMAND ITS AGGIORNAMENTO: DEMOCRACY, HUMAN RIGHTS, SECULARISM ... WHEN FACING THE CHALLENGE OF MODERNITY, ISLAM NEEDS TO SATISFY A COMPELLING NEED, WHICH IS THAT OF A RATIONAL THINKING BY OVERCOMING THE PERENNIAL, "SACROSANCT" OBSTACLE. IMPOSSIBLE? WE DISCUSS THIS ISSUE WITH RODRIGUE NANA NGASSAM A PH.D. STUDENT IN INTERNATIONAL STUDIES AT DOUALA UNIVERSITY (CAMEROON), RESEARCH FELLOW AT GREDPA (RESEARCH GROUP ON PARLIAMENTARIANISM AND DEMOCRACY IN AFRICA) AND STUDENT MEMBER OF SQDI (QUEBEC SOCIETY OF INTERNATIONAL LAW).


QUID DU RAPPORT ENTRE ISLAM ET MODERNITÉ ? La question du rapport entre islam et modernité est aussi ancienne que la confrontation entre l’Europe des Lumières et le monde arabo-musulman. Depuis, et en prolongement de la Renaissance qui éveilla l’Europe de son assoupissement du Moyen-Âge, la modernité est la façon d’être, de penser, de vivre, de se gouverner, de se repérer dans le monde, des Européens. Le passage à la modernité coïncide avec l’émergence d’un sujet humain conscient de son autonomie et avec la victoire d’une approche rationnelle de tous les phénomènes de la nature et de la société. Le débat autour d’un islam « réformé », imprégné de modernisme, concerne le destin même de cette religion dans le monde contemporain au moins en Occident. Son enjeu, en effet, c’est celui de son avenir dans des sociétés qui sont sous le signe à la fois de la modernité et de cette crise de la modernité dont la postmodernité est devenue l’indice. Le débat n’est pas seulement historique et sociologique, il est aussi théologique. Cette modernité de l’islam se pose en termes de rupture avec les mythes fondateurs, avec un retour à un islam pur et dur, du temps du prophète et des pieux ancêtres, et à ses potentialités révolutionnaires. Cela concerne également les rapports entre la religion et le pouvoir civil, la question de l’autonomie des personnes et de leur liberté religieuse, une autre manière de voir les rapports de l’homme et de la femme, un autre usage de la raison critique à l’égard des dogmes fondamentaux de la religion musulmane. Il y a là un défi fondamental sur la nécessité de concilier l’absolu de la vérité révélée et la modernité comprise comme raison critique et raison démocratique.

The question of the relationship between Islam and modernity is as ancient as the confrontation between the European Age of Enlightenment and the ArabMuslim world. Since then, and in the continuity of the Renaissance, which drew Europe out of its Medieval slumber, modernity is about how Europeans act, think, live, govern and get their bearings in the world. The transition to modernity coincides with the emergence of a human subject, who is conscious of his autonomy and with the victory of a rational approach to all of nature and society’s phenomena. The debate surrounding a “reformed” Islam imbued with modernism concerns the very fate of this religion in the contemporary world, at least in the West. In fact, the issue at stake is its future in societies that are based on both modernity and the crisis of modernity of which postmodernity has become the benchmark. The debate is not only historical and sociological; it is also theological. The question of a modern Islam raises the issues of dispelling founding myths, the comeback of a hardline Islam, as in the times of the Prophet and the pious ancestors and its revolutionary potential. This also concerns the relationship between religion and civil power, the question of the autonomy of individuals and their religious freedom, another way of seeing the relationships of man and woman and another use of critical reason with respect to the fundamental tenets of the Muslim religion. The essential challenge is the necessity to reconcile the absolute revealed truth with an understanding of modernity in terms of critical reasoning and democratic rationale.

« IL NE S’AGIT PAS DE BRADER LES VALEURS DE L’ISLAM OU SES PRINCIPES EN MATIÈRE DE FIDÉLITÉ RELIGIEUSE MAIS DE LES ADAPTER AUX SITUATIONS DE NOUVEAUTÉ »

© J0sh

WHAT ABOUT THE RELATIONSHIP BETWEEN ISLAM AND MODERNITY?

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CETTE MODERNITÉ DE L’ISLAM SIGNIFIE-T-ELLE UNIQUEMENT UNE LUTTE CONTRE L’ISLAMISME RADICAL, L’ABOLITION DES GOUVERNANCES THÉOCRATIQUES, UNE AMÉLIORATION DU STATUT DE LA FEMME, DU RESPECT DES DROITS DES MINORITÉS ? Au-delà de cette réalité plurielle qui invite l’islam à l’ouverture, il faut aussi purifier l’imaginaire. Aujourd’hui certains musulmans projettent sur l’autre une image qui se nourrit de schèmes stéréotypés, de frustrations et de craintes ancestrales. Cette manière de croire, de penser mais aussi de faire, doit évoluer à travers une pensée sérieuse et responsable des sociétés musulmanes. Cela implique une transformation profonde des modes de vie et des mentalités. Il ne s’agit pas de brader les valeurs de l’islam ou ses principes en matière de fidélité religieuse mais de les adapter aux situations de nouveautés tant dans le domaine social que culturel ou politique. Aussi, on a besoin d’un certain type de citoyen musulman qui apprend à concilier son appartenance à la communauté musulmane et son appartenance à la société civile dans le respect de sa légitime autonomie.

SHOULD THIS MODERN ISLAM ONLY BE CONSIDERED AS A STRUGGLE AGAINST RADICAL ISLAMISM AND A FIGHT FOR THE ABOLITION OF THEOCRATIC GOVERNANCE, AN IMPROVEMENT IN THE STATUS OF WOMEN AND RESPECT FOR MINORITY RIGHTS? Beyond this plural reality, which calls for a more open-minded Islam, a break with fundamentalism and the ideology of compulsory truth, an improvement in the status of women and the respect for minority rights, the imagination needs to be purified. Today, some Muslims portray others as nurturing stereotyped patterns, frustrations and ancestral fears. Muslim societies must seriously and responsibly address this way of believing, thinking and also acting in such a way that it enables it to evolve. This implies a profound transformation in lifestyles and mentalities. It is not about selling off the values of Islam or its principles of religious loyalty but adapting them to new situations, both in the social sphere and the cultural and political fields. Also, we need a certain type of Muslim citizen who learns how to conciliate his membership in the Muslim community and his involvement in civil society, while respecting his legitimate autonomy.

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© Zanini H

« IL Y A LÀ UN DÉFI FONDAMENTAL SUR LA NÉCESSITÉ DE CONCILIER L’ABSOLU DE LA VÉRITÉ RÉVÉLÉE ET LA MODERNITÉ COMPRISE COMME RAISON CRITIQUE ET RAISON DÉMOCRATIQUE »


À EN CROIRE LE CHEIKH TAHA JABIR AL-ALWANI, PROFESSEUR D’ÉTUDES ISLAMIQUES À L’ACADÉMIE MILITAIRE ET IMAM D’UNE DES CÉLÈBRES MOSQUÉES DE BAGDAD, NOMBRE DE MUSULMANS AURAIENT UNE VISION TROP MANICHÉENNE DE LEUR RELIGION, PARTAGÉE UNIQUEMENT ENTRE CE QUI SERAIT HARAM (INTERDIT) ET HALAL (AUTORISÉ). COMMENT L’EXPLIQUER ? C’est une vision manichéenne, mais c’est elle qui régit désormais une partie de la population humaine sur Terre. Cette approche gagne du terrain dans de nombreux pays y compris en Occident ainsi que parmi les jeunes, dans la mesure où elle promeut une compréhension de l’islam qui se réduit à une vision en noir et blanc (halal/haram). Cette vision binaire du monde (les musulmans contre les autres, le bien contre le mal, la pureté religieuse protégée contre l’engagement politique corrupteur) a façonné, à travers les années, un état d’esprit religieux basé sur l’isolement, la défensive et des jugements virulents. Cela devient alors du communautarisme, c’est-à-dire l’existence de communautés vivant selon des règles particulières, différentes de celles applicables à tous. Le clignotant s’allume alors, lorsque des musulmans exigent que des interdits ou des préceptes religieux musulmans s’appliquent à l’ensemble de la population, ou même à la seule partie qui relève de la religion musulmane. Il y a là un problème d’interprétation des textes fondamentaux, notamment le Coran et les Hadiths (paroles et faits) du prophète Mohammed. Les gens sont noyés dans toutes sortes d’ignorances (al-jahiliyya) dans leur religion et dans toutes sortes d’égarements au point où la vérité des règles islamiques semble se diluer dans les passions des uns et des autres ou dans les prêches des oulémas ou des cheikhs autoproclamés. Selon la tradition musulmane, Allah aurait en effet interdit certaines choses : non pas pour en priver les hommes, mais pour leur bien, à la manière dont un père protégerait ses enfants. Les raisons données pour ces différentes interdictions sont surtout des hypothèses, car Allah seul, pour les musulmans, connaît les vraies raisons. Aussi, l’interprétation des textes sacrés ne doit pas remettre en question toute la société ni le vivre ensemble. Au contraire, elle doit être adaptée aux différents contextes et répondre par l’ouverture plutôt que par la crispation. Notes bibliographiques : Nana Ngassam Rodrigue • « Du Yémen à la Libye : Quelle solution au conflit libyen ? », in « Le Yémen : Victime collatérale de la crise systémique arabe », Géostratégiques n° 45, Juillet 2015. • « Géopolitique du terrorisme en Afrique » (1/2), in « Russie. La nouvelle génération de chars », Défense et Sécurité Internationale, n° 117, septembre 2015. • « Géopolitique du terrorisme en Afrique » (2/2), in « Armée chinoise. Ce que nous apprend le défilé du 3 septembre », Défense et Sécurité Internationale, n° 118, Octobre 2015.

AREN’T THE MUSLIMS WHO, ACCORDING TO SHEIKH TAHA JABIR AL-ALWANI (PROFESSOR OF ISLAMIC STUDIES AT THE MILITARY ACADEMY AND IMAM IN ONE OF THE FAMOUS MOSQUES OF BAGHDAD) HAVE AN OVERLY MANICHEAN VIEW OF THEIR RELIGION WHICH COMES DOWN TO SIMPLY DIFFERENTIATING WHAT IS HARAM (PROHIBITED) AND HALAL (ALLOWED), LACKING IN UNDERSTANDING? It is a Manichean view, but it is this view that now governs part of the human population on earth. This approach is gaining ground in many countries, including in the West, as well as among the young, in so far as it encourages an understanding of Islam, which is reduced to an overly simplistic standpoint (Halal-Haram). This binary vision of the world (Muslims against the others, good against evil, protected religious purity against corrupting political commitment) has, over the years, shaped a religious state of mind based on isolation, a defensive position and virulent judgments. This then becomes communalism, that is to say, the existence of communities living under specific rules that differ from those applicable to everyone. The light starts flashing when Muslims demand that anything that is banned or Muslim religious laws be applied to the entire population, or even just part of the population that comes under the Muslim religion. There is a problem here concerning the interpretation of the fundamental texts, including the Koran and the Hadiths (words and facts), attributed to Muhammad, the Prophet. People are caught up in all forms of religious ignorance (al-Jahiliyya) and in all kinds of aberrations, to the point where the truth of Islamic rules are seemingly diluted in the face of each other’s passions or in the preaching of the Ulama or self-appointed Sheikhs. According to Muslim tradition, Allah would indeed have prohibited certain things: not with the intent to deprive men but for their own good, in the same way as a father would protect his children. The reasons given for various bans are mostly hypotheses because for Muslims, only Allah knows the real reasons. So, the interpretation of sacred texts should not question any society or community life. Instead, it must be adapted to different contexts and respond to open-mindedness other than with the tension.

Notes bibliographiques : Nana Ngassam Rodrigue • “From Yemen to Libya: What solution for the Libyan conflict?”, in “Yemen: collateral victim of the overall Arab-world crisis”, Géostratégiques n° 45, July 2015. • “Geopolitics of terrorism in Africa” (1/2), in “Russia. The new generation of tanks”, Défense et Sécurité Internationale, n° 117, September 2015. • “Geopolitics of terrorism in Africa” (2/2), in “Chinese army. What the September 3rd parade teaches us”, Défense et Sécurité Internationale, n° 118, October 2015.

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EN RÉSUMÉ, QUELS SONT LES ÉLÉMENTS QUI RENDRONT POSSIBLE UNE CONCILIATION ENTRE ISLAM ET MODERNITÉ ? L’irruption de la modernité, qui a bousculé en Occident les structures religieuses et sociales archaïques, se pose comme un défi aux structures sociales et mentales du monde musulman et le pousse à résorber le retard accusé. Au contact de la modernité, les musulmans peuvent progresser dans leur humanité, en épurant et en approfondissant leur façon de comprendre et de vivre leur religion. Ceci implique un double mouvement : d’une part, une revalorisation de la raison et de la méthode scientifique dans l’exégèse du texte sacré, le Coran, dans l’application de la charia et dans la réflexion théologique. D’autre part, une revalorisation de la personne humaine, dans sa vocation libre et autonome par rapport à la communauté des croyants, l’Ummah. Cette transformation devrait aboutir à moderniser la religiosité et à faire émerger le musulman moderne qui serait à la fois individu et citoyen, pas uniquement un musulman qui se contente du « bricolage » d’une harmonie artificielle entre la modernité matérielle et la clôture d’une pensée dogmatique passéiste. Cependant, cette évolution se heurte à l’opposition des milieux religieux conservateurs, qui rencontre un écho important d’un bout à l’autre du monde musulman et cela n’a pas cessé jusqu’à ce jour. Les Frères musulmans, le wahhabisme, les mouvements djihadistes, tous s’inscrivent dans une confrontation avec la modernité confondue avec un Occident considéré comme immoral et dominateur. Si ces courants accaparent la scène socioreligieuse et revendiquent, avec les institutions de l’islam officiel, le monopole du discours islamique, ils restent prisonniers d’une idéologie de combat qui ne permet pas un dépassement du blocage intellectuel et sociopolitique dans lequel s’est installé le monde musulman. @SandraWolmer1 *Citations de Nadine Picaudou, historienne, spécialiste du Proche-Orient.

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IN SHORT, WHAT ARE THE ELEMENTS THAT WILL ENABLE ISLAM AND MODERNITY TO BE RECONCILED? The irruption of modernity, which shook up archaic religious and social structures in the West, stands as a challenge to the social and mental structures of the Muslim world and is pushing this world to catch up. Muslims can develop their humanity by improving and deepening their understanding and practising their religion while being in contact with modernity. This involves two actions: on the one hand, a revaluation of the rationale and the scientific method in the exegesis of the sacred text, the Koran, in the application of the Sharia and theological reflection, and on the other hand, a revaluation of the human person as a free and autonomous being in relation to the community of believers, the Ummah. This transformation should lead to the modernization of the religious aspect and to help modern Muslims emerge, both as individuals and citizens, and not Muslims who can live with a “makeshift” harmony between materialistic modern times and an out-dated, dogmatic way of thinking. However, this development faces opposition from conservative, religious circles and it finds resonance within the Muslim world where such opposition is continuing to this day. The Muslim Brotherhood, Wahhabism and Jihadist movements are all part of a confrontation with a modernity that is identified with the West, considered immoral and domineering. Although these schools of thought dominate the socioreligious scene and claim, along with the official Islamic institutions, the monopoly of Islamic discourse, they remain prisoners of an ideology of combat that does not enable them to transcend the intellectual and socio-political impasse that exists in the Muslim world. @SandraWolmer1 Translation from French: Susan Allen Maurin


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L’ÉTONNANT RETOUR DE LA

POLYGAMIE par Clivia Potot-Delmas

LA POLYGAMIE QUI AVAIT TENDANCE À SE MARGINALISER SÉDUIT DE NOUVEAU L’AFRIQUE. PLUS QU’UNE QUESTION DE RELIGION, LA COUTUME PROFITE D’UN CLIMAT SOCIÉTAL DIFFICILE POUR FAIRE SON GRAND RETOUR AU SOMMET DES ÉTATS. Quatre. C’est le nombre d’épouses officielles du charismatique président sud-africain, Jacob Zuma. Fer de lance des polygames du continent, ce chrétien fermement attaché à ses origines zouloues participe au retour en grâce de la polygamie sur le continent. À 73 ans, le chef d’État a toujours défendu sa situation matrimoniale évoquant des différences culturelles et un souci de transparence. Pourtant, en 2010, selon une étude réalisée par TNS, 75 % des Sud-Africains, hommes comme femmes, désapprouvent la pratique. Ces dernières années, l’opinion publique avait beaucoup évolué quant à la pratique de la polygamie. Associations féministes, intellectuels et militants des droits de l’Homme cherchaient à recentrer le débat, non pas sur la condamnation de la polygamie en elle-même, mais sur l’assujettissement des femmes qu’elle entraîne. Difficile pour les mariées, face à la pression sociale, de contester un second voire un troisième mariage.

DU FAIT RELIGIEUX AU FAIT SOCIAL Les coutumes ont la vie dure. Sur le continent africain, où certaines traditions ancestrales faisaient office de loi tacite jusqu’à la colonisation et l’intronisation des règles écrites, la coutume reste très largement suivie. Souvent réduite à une simple question de religion, la polygamie africaine relève en réalité de nombreux facteurs sociaux et économiques. « Épousez qui vous plaira parmi des femmes, deux, trois, quatre. Si vous craignez de ne pas les traiter avec égalité n’en épousez qu’une, c’est là la conduite la plus proche de la justice » (Coran IV, verset 3). Des paroles du Coran qui tendraient à autoriser la polygynie, mais la condition est posée : l’homme polygame doit traiter avec la plus stricte égalité ses épouses. Une injonction jugée impossible. Un autre verset précise, « vous ne pouvez jamais traiter également vos femmes, quand bien même vous le désireriez ardemment » (Coran IV, verset 129). Réduire la polygamie à l’islam est un non-sens à plusieurs titres. D’abord, parce que cette religion ne la prône pas mais aussi parce que ce régime matrimonial est répandu dans les sociétés africaines à majorité chrétienne. Laurent Gbagbo, ex-président de la Côte d’Ivoire, luimême chrétien, n’a pas hésité à prendre une seconde épouse originaire du nord du pays. Une union pour apaiser les tensions dans cette région et y asseoir son influence. La polygamie, arme diplomatique ? 44

THE SURPRISING RETURN OF

POLYGAMY by Clivia Potot-Delmas

A PRACTICE WHICH PREVIOUSLY LEANED TOWARD MARGINALIZATION, POLYGAMY IS ONCE AGAIN FASHIONABLE IN AFRICA. MORE THAN A QUESTION OF RELIGION, THE CUSTOM IS THRIVING OFF OF A DIFFICULT SOCIAL CLIMATE TO MAKE ITS GRAND RETURN TO THE TOP ON THE CONTINENT. Four. This is the official number of wives of the charismatic South African president, Jacob Zuma. This Christian firmly committed to his Zoulou background is spearheading the polygamy trend on the continent. At 73 years of age, the head of state has always defended his marriages citing cultural differences for the sake of transparency. Yet, in 2010, according to a study by TNS, 75 % of South Africans, men as well as women, disapproved of the practice. In the last few years, public opinion regarding polygamy has evolved substantially. Feminist associations, intellectuals and human rights activists, looking to refocus the debate, not on the condemnation of polygamy itself, but on the subjection of the women it involves. It is difficult for the wives, facing social pressures, to protest a second or even third marriage.

FROM RELIGIOUS MATTERS TO SOCIAL REALITY Old habits die hard. On the African continent, where ancestral traditions quietly functioned as law until colonization and the induction of written rules, custom is still largely leading the way. Often reduced to a simple question of religion, African polygamy in reality reveals a number of social and economic factors. "Marry as you see fit among the women, two, three, four. If you are worried about not treating them equally, then only marry one, as that is the most just behavior" (Koran IV, verse 3). Some words from the Koran would seem to authorize polygamy but under certain conditions: polygamous men must treat their wives equally. An impossible deemed injunction. Another verse specifies: "you can never treat your wives equally, even when you would earnestly like to do so" (Koran IV, verse 129). Reducing polygamy to a strictly Islamic tradition is incorrect on many levels. Firstly because this religion does not advocate it but also because this marriage regime is widespread among mostly Christian African societies. Laurent Gbabo, ex-president of the Ivory Coast, a Christian, did not hesitate to take a second wife from the north of the country. This union allowed him to ease tensions in the region and to establish his influence there. Polygamy: a diplomatic weapon?


Si la pratique n’a jamais totalement disparu du continent, c’est aussi pour des raisons sociales. En zone rurale, elle permet au chef de famille de s’assurer de la main d’œuvre sur les exploitations agricoles et de se garantir de couler de vieux jours paisibles à l’abri du besoin grâce à ses enfants. La mortalité infantile, encore trop importante sur le continent africain, contribue également à pérenniser la polygamie. Malgré les forts taux de croissance enregistrés sur le continent ces dernières années, l’Afrique reste rurale et pauvre. Une misère que les femmes cherchent à fuir par le mariage tant il leur est difficile d’aspirer à une ascension sociale en dehors des liens du mariage. Véritable nouveauté, certains intellectuels, pourtant les premiers à avoir décrié cette pratique, y reviennent aujourd’hui, participant du retour aux valeurs traditionnelles en période de crise. Plutôt épargnée par la crise économique qui secoue l’Europe et le monde depuis 2008, l’Afrique en a toutefois subi les conséquences. La chute des prix des matières premières en général et des hydrocarbures en particulier affaiblit les économies africaines. La donne a changé. Les jeunes femmes, par peur de ne pas trouver d’époux et de ne pouvoir subvenir seules à leurs besoins, se résignent plus rapidement à épouser un homme déjà marié à une ou plusieurs femmes. En mars 2014, au Kenya, les députés ont légiféré sur la polygamie. La loi prévoit qu’un homme puisse épouser autant de femmes qu’il le souhaite sans en informer sa première épouse. Junet Mohammed, parlementaire kenyan, balaye les critiques de l’opposition. « Quand vous épousez une femme africaine, elle doit savoir que la deuxième va suivre, puis la troisième (...). C'est l'Afrique ». Qu'en pensent ces dames ?

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RETOUR EN FORCE

STRONG RETURN If the practice never totally vanished form the continent, it is also due to social reasons. In rural areas, it allows the head of the family to ensure labor on the farms and to guarantee living out their old age comfortably thanks to their children. Infant mortality, still a huge issue on the African continent, contributes to the perpetuation of polygamy. Despite strong growth rates in the last few years, 4 % in 2013, Africa remains rural and poor. It is a misery that the women search to escape by marrying as it is difficult for them to rise socially outside the bonds of marriage. Interestingly, it is the intellectuals, the first to have protested this practice, who are returning to it today, participating in the return to traditional values in times of crisis. Despite being spared by the economic crisis that has been shaking Europe and the world since 2008, Africa has been suffering from the consequences of it. Falling prices of raw materials in general, and of hydrocarbons in particular, is weakening the African economy. The situation has changed. Young women, out of fear of not finding a husband nor being able to support themselves on their own, more readily accept a union with a man already married to one or several women. In March 2014, Kenyan deputies adopted legislation on polygamy. The law stipulates that a man may marry as many women as he wishes without informing his first wife. Junet Mohammed, Kenyan parliamentarian, brushes off criticism. "When you marry an African woman, she should know that the second one is coming, and then the third (...). This is Africa". What do these ladies think about this? Translation from French: Rachel Wong

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© Elif Damla

P L U S I S

A R A B IC

Q U 'U N E

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L A N G U E J US T

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L A N G UAG E?

par Hervé Pugi CINQ FOIS PAR JOUR, L’ADHAN RETENTIT DANS L’ENSEMBLE DU MONDE MUSULMAN. AUX QUATRE COINS DE LA PLANÈTE, C’EST EN ARABE QUE L’IMMUABLE APPEL À LA PRIÈRE EST LANCÉ PAR LE MUEZZIN. POUR TOUT FIDÈLE, LA LANGUE ARABE CONFINE AU SACRÉ MAIS, DES PAROLES DU CORAN PRONONCÉES DANS LES MOSQUÉES AUX DISCUSSIONS DE RUE AU MOYEN-ORIENT ET EN AFRIQUE DU NORD, IL EXISTE UN GRAND ÉCART LINGUISTIQUE ENTRE DIALECTE ET CLASSICISME. ON FAIT LE POINT AVEC PIERRE LARCHER, PROFESSEUR DE LINGUISTIQUE ARABE À L’UNIVERSITÉ AIX-MARSEILLE ET ENSEIGNANT-CHERCHEUR À L’INSTITUT DE RECHERCHES ET D’ÉTUDES SUR LE MONDE ARABE ET MUSULMAN (IREMAM). 46

FIVE TIMES A DAY, THE ADHAN RESOUNDS IN THE ENTIRE MUSLIM WORLD. ACROSS THE GLOBE, IT IS IN ARABIC THAT THE MUEZZIN ANNOUNCES THE IMMUTABLE CALL TO PRAYER. FOR THE WORSHIPPERS, ARABIC IS A SACRED LANGUAGE BUT BETWEEN THE WORDS OF THE KORAN PRONOUNCED IN THE MOSQUES AND THE LANGUAGE IN THE STREETS OF THE MIDDLE EAST AND NORTH AFRICA, THERE IS A LARGE LINGUISTIC GAP BETWEEN DIALECT AND CLASSICAL ARABIC. PIERRE LARCHER, ARABIC LINGUISTICS PROFESSOR AT THE UNIVERSITY OF AIX-MARSEILLE AND PROFESSOR-RESEARCHER AT THE INSTITUTE FOR RESEARCH AND STUDIES ON THE ARAB AND MUSLIM WORLD (IREMAM), PROVIDES US WITH AN UPDATE ON THIS TOPIC.


54 ÉTATS : L’arabe, sous sa forme littérale, est une langue supposée « pure », à en croire ses plus fervents défenseurs. Toutefois, une pureté originelle n’exclut-elle pas de fait l’expression de la modernité ?

54 ÉTATS: Arabic, in its literal form, is, according to its most fervent defenders, a supposedly “pure” language. However, doesn’t an original purity rule out the expression of modernity?

Pierre Larcher (P. L.) : L’arabe que nous appelons en français « littéral », « littéraire » ou encore « classique » est appelé en arabe même al-lugha al-fushâ, à peu près « la manière la plus châtiée de parler ». À l’origine, le terme de fasîh, dont fushâ est l’élatif (le correspondant de notre comparatif/superlatif) féminin ne qualifie pas la langue comme « pure », mais celui qui parle comme « éloquent ». Au fil du temps, la fasâha (la qualité de fasîh) en est venue à désigner la correction grammaticale. Cela vient rappeler qu’à l’origine, il n’y a jamais de langue pure mais un ensemble, plus ou moins vaste, de données, elles-mêmes plus ou moins hétérogènes, dont les grammairiens extraient ou mieux abstraient une grammaire. C’est le résultat de cette construction qu’on appelle une langue « classique ». Il est vrai aussi que, dans le domaine arabe, l’état classique est pris pour l’état « originel » à préserver, les dialectes étant vus comme des « corruptions ». Cette attitude conservatrice n’a jamais empêché l’arabe, tel qu’il s’écrit réellement, de présenter depuis toujours des « écarts » par rapport à la norme, ni d’évoluer…

Pierre Larcher (P. L.): The Arabic, which we call “literal”, “literary” or “classical” in French, is called al-lugha al-Fusha in Arabic, meaning roughly “the most refined manner of speaking”. Originally, the term Fasih, of which Fusha is the feminine elative (i.e. the equivalent of our comparative/superlative), does not qualify the language as “pure”, but the speaker as “eloquent”. Over time, the Fasaha (the quality of Fasih) has come to designate grammatical correctness. This is a reminder that initially, there is never a pure language but a more or less extensive collection of data, which itself is more or less heterogeneous, and from which grammarians extract, or better, abstract, grammar. What we call “classical” language is the result of this construction. It is also true that where Arabic is concerned, the classical form is taken for the “original” form to be preserved whereas dialects are seen as "corruptions". This conservative attitude has never prevented Arabic, as it is actually written, from breaking away from the literary norm, or from evolving…

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54 ÉTATS : L’émergence de l’arabe littéral, sous sa forme codifiée, apparaît intimement liée à deux phénomènes : l’apparition (et l’essor) de l’islam et la prépondérance du Coran dans la société musulmane. De fait, peut-on dire que, de par sa vocation à véhiculer le message divin, l’arabe est bien plus qu’une langue : une identité à part entière ? P. L. : Nul ne peut nier que le Coran est et reste le texte de référence. Mais il convient de rappeler plusieurs choses. D’abord, l’arabe existe avant le Coran, et comme langue (plusieurs siècles avant l’islam) et comme écriture (au moins un siècle avant lui). Ensuite, le Coran existe avant la grammaire. Il est documenté soit de manière épigraphique (inscriptions du Dôme du Rocher à Jérusalem) soit par des fragments de papyrus à partir de la 2e moitié du VIIe siècle, alors qu’il faut attendre la fin du VIIIe siècle pour avoir, avec le Kitâb de Sîbawayhi, un premier traité complet de grammaire. La codification de la langue n’est liée que pour moitié à l’établissement du corpus coranique. Elle est liée pour une autre moitié à la décision du calife omayyade ‘Abd al-Malik d’en faire la langue de la chancellerie impériale. C’est cette codification qui en fait une langue de référence, à la fois religieuse et politique, véhicule de la culture savante. Au moment où elle est codifiée, elle n’est déjà plus, si tant est qu’elle ne l’ait jamais été, la langue de personne ! C’est dire que l’on ne peut parler de l’arabe comme identité, soit nationale (l’arabe, langue de la « nation arabe »), soit religieuse (l’arabe, langue du Coran et de l’islam), que comme d’une identité plus rêvée que réelle, produits de l’idéologie ou de la théologie… Une fois encore, dans la réalité, l’arabe classique n’est la langue maternelle de personne et la majorité des musulmans de par le monde, n’étant pas arabophones, ne savent d’arabe que les mots qui sont passés dans leurs langues pour des raisons religieuses. 54 ÉTATS : Si l’on accepte le caractère sacré de l’arabe, une question se pose : peut-on réformer la langue du Coran ? Et, une seconde interrogation émerge : s’accrocher au langage originel n’est-il pas une forme de fondamentalisme parmi tant d’autres ? P. L. : Pour un linguiste, il n’y a pas de langue sacrée, seulement des textes que telle ou telle fraction de l’humanité considère de la sorte. Mais un linguiste concédera bien volontiers que si une langue devient le véhicule d’un tel texte, elle subira un processus de sacralisation. L’arabe n’est pas un cas unique. Cela s’est produit avec l’hébreu ou le sanskrit. Ce n’est pas moi qui nierai l’existence d’un fondamentalisme linguistique : la moindre proposition de réforme se heurte aussitôt à une levée de boucliers. Mais, ce qu’il faut bien voir, c’est qu’il se nourrit de mythes, non de réalités. Ainsi, la langue du Coran est identifiée, de manière péremptoire, avec la lugha al-fushâ. Pourtant, les philologues médiévaux avaient déjà reconnu que le ductus (rasm) coranique, sans points diacritiques ni voyelles, qui constitue le texte proprement dit du Coran, attestait bien des traits qu’un linguiste d’aujourd’hui qualifierait, les uns, de préclassiques, les autres de carrément non classiques. Ce n’est pas la langue du Coran qu’il faut réformer : ce sont les représentations théologico-idéologico-mythologiques que l’on s’en fait…

54 ÉTATS: The emergence of written Arabic, in its codified form, appears closely linked to two phenomena: the emergence (and expansion) of Islam and the preponderance of the Koran in Muslim society. In fact, could one say that by virtue of its purpose to convey the divine message, Arabic is much more than a language; it’s an identity in its own right?

BE L’ARAIQUE N OSE, CORA E N CH EST U’ARABE L IQUE CLAESASUTRE, UN BE L’ARARNE E E. MOD ISIÈM O R T UNE

SI LE SÉ PREN TATS A LA D ÉCISIENT ION D PRO LES D MOUVOIR E IA CE SE LECTE RÉVO RAIT UNE S, LUTI ON.

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P. L.: No one can deny that the Koran is and remains the text of reference. But, we must keep several things in mind. First of all, Arabic existed before the Koran, both as a language (several centuries before Islam) and a script (at least a century before Islam). Next, the Koran existed before grammar. It is documented either in the form of epigraphs (inscriptions on the Dome of the Rock in Jerusalem) or on fragments of papyrus from the second half of the seventh century but, it was not until the end of the eighth century, with Sibawayh’s Kitab, that the very first, complete book on Arabic grammar was written. The codification of the language is only half connected to the establishment of the Koranic corpus. The other half is connected to the decision of the Umayyad Caliph, Abd al-Malik, to make it the language of the Imperial Chancellery. It is this codification that makes it a language of reference, both religious and political and thus, a vehicle of highbrow culture. From the moment it is codified, it is no longer, if indeed it ever was, the language of anyone! This means that one can only speak about Arabic as an identity, either national (Arabic, the language of the "Arab nation"), or religious (Arabic, the language of the Koran and Islam) in relation to an identity that is more unreal than real, a product of ideology or theology… Again, in reality, classical Arabic is the mother tongue of no one and the majority of Muslims around the world, not being Arabic speakers, are only familiar with the Arabic words that have become part of their languages for religious reasons. 54 États: If we accept the sacredness of Arabic, the question is: can we reform the language of the Koran? Which leads to a second question: is not clinging to the original language a form of fundamentalism among many others? P. L.: For a linguist, there is no sacred language, only texts that a certain fraction of humanity consider as such. But a linguist willingly concedes that if a language becomes the vehicle of such a text, it will undergo a sanctification process. Arabic is not a unique case. This happened with Hebrew or Sanskrit. It is not I who will deny the existence of a linguistic fundamentalism: any reform proposal immediately meets with protest. But, it is important to see that it feeds on myths, not realities. Thus, the language of the Koran is identified, peremptorily, with al-lugha al-Fusha. However, medieval philologists recognized that the Koranic ductus (rasm) without diacritics or vowels, which is the actual text of the Koran, did possess characteristics, some of which a linguist today would call pre-classical and others, positively unconventional. It is not the language of the Koran that needs to be reformed but rather our theological-ideological-mythological perceptions of it…


54 ÉTATS : Dans les faits, un arabe dit « classique » s’oppose à un arabe dit « dialectal ». Est-il juste, selon vous, de lier la pratique littérale aux pouvoirs politiques et à la religion des docteurs de la loi lorsque le parler local aurait à voir avec la vie de tout un chacun et un islam plus populaire ?

54 États : In fact, there is a dichotomy between so-called "classical" Arabic and what is known as "dialectal" Arabic. Do you think it’s right to link literal practise to political powers and the religion of the doctors of law when local dialect plays a role in everyone’s lives and a more popular Islam?

P. L. : Cette dualité linguistique que vous décrivez est résumée par un mot technique, emprunté par la linguistique arabe à la linguistique néo-grecque, celui de diglossie. Les associations qui sont faites avec ces deux variétés ont surtout cours au Maghreb, où existe un courant revendicatif en faveur de la dâriga (langue « courante »), ce qu’on appelle la ‘âmmiyya (langue « vulgaire ») au Machreq. Cette revendication n’a trouvé nulle part de traduction dans les faits. Cela n’empêche pas l’extension du dialectal à l’écrit d’une part, l’émergence, sous l’effet de la massification de l’enseignement, qui fait qu’un nombre plus grand que jamais d’arabophones a aujourd’hui accès à l’arabe standard, d’un arabe infiniment variable et très hétérogène d’autre part. Pour moi, c’est cet arabe-là qui, plus que la diglossie, constitue la réalité linguistique d’aujourd’hui. Cet arabe-là, je vous l’accorde, n’est pas facile à décrire et encore moins à enseigner.

P. L.: The linguistic duality you are talking about can be summarized in a technical term, taken by Arabic linguistics from modern Greek, which is that of diglossia. The association of these two forms is particularly prevalent in the Maghreb, where there is a protest movement in favour of dâriga ("everyday" language), which is called ‘âmmiyya ("vulgar" language) in the Mashreq. Nowhere has this claim been brought into practise. That does not prevent, on the one hand, the expansion of written dialect and on the other hand, the emergence of an infinitely variable and heterogeneous Arabic, as a result of the increase in mass education, meaning that a greater number than ever of Arabic speakers has access to standard Arabic. For me, it is this Arabic, more than diglossia, which is the linguistic reality of today. This Arabic, I grant you, is not easy to describe, let alone teach.

54 ÉTATS : Dans la lignée de la question précédente, refonder l’arabe – en passant de la centralité et l’éloquence à une parole utile et innovante – pourrait-il avoir comme impact de briser d’autres garde-fous que la seule pratique linguistique ? P. L. : Si les États arabes prenaient la décision de promouvoir les vernaculaires (autrement dit les « dialectes ») au rang de véhiculaires, en l'érigeant en langue de l’école, du pouvoir et de son administration, des médias, de la littérature (tout domaine où les dialectes sont déjà présents, dans des proportions variables, mais de manière officieuse, non officielle), ce serait une révolution sans précédent ! Ce serait mettre fin à ce qu’on a pu appeler la schizoglossie (schizophrénie linguistique) arabe. Ce serait mettre fin aussi à la fiction de l’arabe « langue de la nation arabe » : les dialectes, devenus langues nationales, seraient dans la même relation que les langues romanes, slaves ou scandinaves entre elles. Et, last but not least, ce serait relativiser le poids des clercs. J’ajouterai deux choses. Si une telle révolution devait se produire, ce serait par le bas, sous la pression populaire venant à bout de la résistance des pouvoirs politiques et des gardiens du Temple. En même temps, il faut se demander pourquoi elle ne s’est pas produite. Comme suggéré, cela tient, selon moi, au fait que les arabophones ont déjà réagi à leur manière, en instaurant une espèce de continuum entre les deux pôles de la diglossie. 54 ÉTATS : En conclusion, débattre sur le classicisme ou le modernisme d’une langue ne revient-il pas à s’interroger sur sa bonne compréhension ? P. L. : Il y a la langue et il y a le texte. L’arabe coranique est une chose, l’arabe classique une autre, l’arabe moderne une troisième. Ce serait évidemment un progrès décisif que de réhistoriciser l’arabe, plutôt que d’en faire, à la manière des constitutions arabes qui le proclament, sans autrement le qualifier, « langue officielle », une espèce d’essence éternelle… Comme en serait un d’enseigner un arabe plus en rapport avec la réalité, c’est-à-dire faisant une plus grande part à l’évolution et à la variation. Réhistoriciser la langue contribuerait certainement à historiciser la lecture qui est faite du texte. Cela dit, les représentations que l’on se fait de la langue, si elles pèsent, ne sont pas vraiment la cause ; elles sont tout autant l’effet. Elles ne font que signaler que ce monde reste en attente de l’émergence d’une pensée véritablement critique, prélude à un processus de dédogmatisation. Mais, là-dessus, un linguiste n’a rien à dire... @rvpugi

54 États: In line with the previous question, could reforming Arabic – by switching from centrality and eloquence to useful and innovative speech – lead to the elimination of other safeguards, other than that of linguistic practise? P. L.: If Arab states take the decision to promote the vernacular (i.e. the "dialects") to the rank of lingua franca, by making it the language of schools, authority and its administration, media, literature (all the fields in which dialects are already present, in varying proportions, but informally, unofficially), it would be an unprecedented revolution! It would put an end to what is known as Arabic schizoglossia (linguistic schizophrenia); it would also put an end to the myth of Arabic as the "language of the Arab nation" : the relationship between dialects, which would become national languages, would be the same as that between Romance, Slavic or Scandinavian languages. And, last but not least, it would minimize the influence of clerics. I would add two things. If such a revolution were to occur, it would start at the bottom, with public pressure overcoming the resistance of the political powers and the guards of the Temple. At the same time, we should ask ourselves why the revolution has not occurred. In my opinion and as suggested, this is due to the fact that Arabic speakers have already responded in their own way, by establishing a kind of continuum between the two poles of diglossia. 54 États : In conclusion, doesn’t the debate about the classicism or modernism of a language come down to questioning whether it is correctly understood ? P. L.: There is the language and there is the text. Koranic Arabic is one thing, classical Arabic another and thirdly, there is modern Arabic. ‘’Rehistoricizing’’ Arabic would obviously be a decisive breakthrough, rather than making it a kind of eternal essence, in the manner of Arab constitutions which, without qualifying it otherwise, declare it the "official language". One would teach an Arabic language that is more in line with reality, that is to say, taking a larger part in evolution and variation. ‘’Rehistoricizing’’ the language would certainly help historicize the reading of the text. That said, the representations we have of language, if they count, are not really the cause; they are as much the effect. They merely suggest that this world is waiting for the emergence of truly critical thinking, which is the prelude to a de-dogmatization process. But on that, a linguist has nothing to say. ... @rvpugi

Translation from French : Susan Allen Maurin 49


par Hervé Pugi

© Hervé Pugi

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IL FAUT S’EXTIRPER DE KHARTOUM ET S’ÉCHAPPER SUR UNE QUARANTAINE DE KILOMÈTRES POUR PARVENIR JUSQU’À UNE PETITE LOCALITÉ DES PLUS COMMUNES AU SOUDAN. LÀ, TOUT AUTOUR D’UNE SOBRE MOSQUÉE OUVERTE AUX QUATRE VENTS, QUELQUES MAUSOLÉES AUX TONS CHATOYANTS VOIENT LEURS SILHOUETTES SE DESSINER SUR UN CIEL D’UN AZUR PROFOND. SOUS LE SOLEIL DE PLOMB, SEULES QUELQUES LANCINANTES PSALMODIES RETENTISSENT DANS LA LANGUEUR D’UN MOMENT COMME IL Y EN A TANT D’AUTRES. PETITE BALADE AU CŒUR DE LA CONFRÉRIE QADIRIYA BADIRIYA D’UMM DAWBAN.

ONE NEEDS ONLY TO PULL OUT OF KHARTOUM AND DRIVE ABOUT 40 KILOMETERS TO ARRIVE AT A CLUSTER OF BUILDINGS, LIKE SO MANY IN SUDAN. AND HERE, SEVERAL SHIMMERING, AQUAMARINE GREEN MAUSOLEUMS STAND AROUND A SIMPLE MOSQUE SURROUNDED BY OPEN SPACE. THEIR FACADES STAND OUT AGAINST A DEEP BLUE SKY. UNDER A RELENTLESS SUN, HAUNTING CHANTS CAN BE HEARD IN SEQUENCES OF TIME THAT LANGUISH, LIKE THE ONES THAT WILL FOLLOW. THIS IS THE HEART OF THE QADIRIYA BADIRIYA BROTHERHOOD OF UMM DAWBAN.

A COMMUNAL MINDSET, OPEN AND KIND-HEARTED. Il suffit de quelques pas dans les allées de terres battues pour pénétrer au cœur de l’école coranique. Épicentre de la vie d’une confrérie soufie qui trouve ses racines dans le lointain Irak. Agglutinés dans de petites salles obscures ou éparpillés, à même le sol sous de précieux préaux, plusieurs dizaines d’enfants et d’adolescents s’astreignent au long et fastidieux apprentissage du Coran. Ils sont habituellement plusieurs centaines mais, à l’heure de la fournaise estivale, nombre d’entre eux ont rejoint leur famille. Ceux qui n’en ont pas la possibilité poursuivent leur enseignement. Several steps through the packed dirt alleyways are enough to reach the heart of the madrassa, the Koranic school. This is the center of life in a Sufi brotherhood that has its roots in faraway Iraq. Gathered in small darkened rooms or spread out along the covered ground are dozens of children and youngsters immersed in long tedious Koranic lessons. Normally they number in the hundreds, but during the height of the summer heat, many have gone home to their families. Those without the possibility of doing so are carrying on their studies.

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©Hervé Pugi ©Hervé Pugi

©Hervé Pugi ©Hervé Pugi

Le Coran a beau être sacré, les plus jeunes composent avec les moyens du bord. Des feuillets déchirés et cornés passent de main en main, d’autres se penchent avec plus ou moins d’assiduité sur des planchettes en bois sur lesquelles ont été couchées les paroles transmises par le prophète. Accroupis, les yeux rivés sur leurs textes, qu’ils aient 8 ou 16 ans, ils répètent inlassablement les mêmes mots, imperceptiblement les mêmes phrases. Le tout en se balançant de haut en bas. « C’est du par cœur », reconnaît l’un des professeurs qui précise : « ils apprennent de la fin au début ! » Explication : les sourates se font de plus en plus courtes au fur et à mesure que l’on avance dans le Coran. Ces étudiants viennent du Darfour, de Centrafrique, de Somalie ou encore du Tchad, entre autres pays. Des régions souvent en crise. Il convient de le souligner.

The Koran is certainly a sacred text, but learning conditions are very basic. Worn and torn pages are handed down amongst some, while others study from wooden planks on which the words of the prophet have been scrawled. Crouched over, their eyes focused on the texts, whether eight or sixteen years old, they repeat the same words over and over, and then the same sentences, all while bending up and down from the waist. "It is learning by heart", admits one of the teachers, who explains, "They learn from end to beginning." The explanation: the Suras are increasingly shorter as the reading of the Koran continues. These students come from Darfur, Central African Republic, Somalia and from Chad, among other countries. These are often crisis-filled regions. It is important to note that. 52


À Umm Dawban, ces jeunes trouvent surtout et avant tout un toit et une pitance. Gracieusement. Des conditions de vie modestes, presque spartiates, où chaque instant se partage avec son frère. Dans cet esprit communautaire, ouvert et bienveillant, la vie est invariablement rythmée par les cinq appels à la prière. L’apprentissage du Coran meuble le quotidien et révèle quelques vocations. Ce que nous confirme l’un des cheikhs : « certains passent un an avec nous, d’autres restent un peu plus longtemps. Nous destinons à de plus grandes études ceux qui montrent un potentiel dans l’apprentissage mais surtout la compréhension du Coran. Les autres reprennent le cours de leur vie… » At Umm Dawban, they are given above all a roof and simple meals… and they are grateful. Living conditions are modest, even Spartan. Every moment is shared with their brothers. In this communal mindset, open and kind-hearted, life is set to the rhythm of the five daily calls to prayer. Learning the Koran fills the daily routine and can reveal certain talents. This was confirmed by one of the sheiks: “Some of them spend a year with us; others stay a bit longer. We orient those who show potential in their learning towards higher studies, especially those with an aptitude for understanding the Koran. The others return to their routines in life…”

ALL UNITED IN THEIR FERVOR, A MIX OF MEDITATION AND REVERENCE. À la tombée de la nuit, toute la communauté se trouve réunie au pied de la mosquée. Assis en cercle, autour d’un bûcher, le temps s’arrête alors que le silence envahit le site. Les visages sont graves et fermés. Tous unis dans la même ferveur, entre méditation et recueillement. Soudain, le nom de Dieu retentit dans l’obscurité, repris en cœur par l’ensemble des fidèles. Un Dikhr lancinant psalmodié encore et encore de longues minutes durant jusqu’à ce que le silence enveloppe une nouvelle fois l’assemblée. Fin de la célébration. Si les aînés retournent vaquer à leurs occupations, les plus jeunes n’en ont pas terminé. Rangés en file indienne, à la modeste lueur d’un unique réverbère et des luminaires de la mosquée, les shebabs reprennent leur apprentissage. De bons étudiants que ces gamins pleins de vie ? Le verdict d’un professeur ne se fait pas attendre : « ça dépend mais, vous savez, ce sont des enfants… » Le temps de cet échange suffit à remarquer les dissipés : dans le rang, les plus facétieux chahutent à coup de coran. Quoi de plus sacré que la jeunesse ?

©Hervé Pugi

@rvpugi When night falls, the entire community gathers in the mosque. They sit in a circle around a fire. A deep silence reigns. Time stands still. Their faces are serious, like closed doors. They are united in their fervor, a mix of meditation and reverence. Suddenly, the name of god fills the dusk, spoken as one by all the faithful. The words, the Dikhr, are repeated in a striking melody over and over, until silence takes over the gathering. The ceremony has ended. While the elders return to their business at hand, the youngest have more work to do. In single file, under the feeble rays of a lamp-post and the mosque lighting, the shebab, the youth, return to their studies. Can these lively children be good students? A teacher is quick to respond, saying: “it depends, but you know, they are children…” And in that short moment, distraction set in. The rowdiest children in the line are using their Korans to disrupt the others. What can be more sacred than youth? @rvpugi

Translated by Brett Kline 53


AL-AZHAR (Cairo/Egypt)

par Hervé Pugi

L’AFRIQUE COMPTE PLUS DE 450 MILLIONS DE MUSULMANS. SANS SURPRISE, LE CONTINENT ABRITE QUELQUES LIEUX D’UNE IMPORTANCE PARTICULIÈRE DANS L’ISLAM. PRÉSENTATION DE SEPT MERVEILLES QUI SONT AUTANT DE LIEUX DE RÉVÉRATION DU MESSAGE DU PROPHÈTE.

by Hervé Pugi

THERE ARE CURRENTLY OVER 450 MILLION MUSLIMS LIVING IN AFRICA. THIS SHOULD COME AS NO SURPRISE AS THE CONTINENT IS HOME TO SOME SITES WHICH ARE PARTICULARLY IMPORTANT TO ISLAM. WE GET A CLOSER LOOK AT SEVEN WONDERS THAT ARE ALL HOLY SITES OF THE PROPHET’S MESSAGE OF REVELATION. © Sonofwalrus

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ABUJA

(Nigeria)

© FOCAC

CHINGUETTI (Mauritania)

© Graham Askey

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HARAR

(Ethiopia)

© Raja

© Mariusz Kluzniak

KAIROUAN

(Tunisia)

© Andrew Watson

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TOMBOUCTOU (Mali)

© Raja

TOUBA (Sénégal)

© Claudia Venhorst

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by Hermann Djea

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SI EN 2010 LA CAMPAGNE PRÉSIDENTIELLE A SUSCITÉ DE L’ENGOUEMENT, CETTE ANNÉE LE CONSTAT EST AUTRE. HORMIS LES AFFICHES ET BANDEROLES, DIFFICILE D’APPRÉHENDER L’AMBIANCE QUI RÈGNE HABITUELLEMENT DANS LES CAPITALES AFRICAINES LORS DES CAMPAGNES ÉLECTORALES. REPORTAGE.

WHEREAS IN 2010, THE IVORIAN PRESIDEN­ TIAL POLL PROVOKED A GREAT DEAL OF EXCITEMENT, THIS YEAR THE SITUATION APPEARS TO BE VERY DIFFERENT. ASIDE FROM THE PRESENCE OF POSTERS AND BANNERS, IT IS DIFFICULT TO PUT A FINGER ON THE ATMOSPHERE USUALLY GENE­ RATED BY ELECTORAL CAMPAIGNS IN AFRI­ CAN CAPITAL CITIES. REPORT.

ADO PARTOUT !

LES AUTRES CANDIDATS AUX ABONNÉS ABSENTS Il est minuit ce vendredi 9 octobre lorsqu’officiellement la Commission électorale indépendante (CEI) donne le top départ pour la campagne présidentielle. Au petit matin à travers la capitale économique, des affiches de 12 m2, des affiches A4 ou même des banderoles de candidats sont visibles sur les grandes artères. Mais un constat se dégage très vite. ADO (Alassane Dramane Ouattara) partout ! Nombreux sont les Abidjanais qui ont noté l’omniprésence du chef de l’État sortant sur les panneaux publicitaires qui parsèment les rues de la ville. Les autres candidats, quant à eux, sont aux abonnés absents. Seules ces affiches font remarquer que le pays est en campagne. Comparaison n’est certes pas raison mais la réalité est palpable. En 2010, au regard des trois candidats de poids qui s’affrontaient lors de cette véritable première élection inclusive, les Ivoiriens bougaient dans tous les sens. Chacun voulant positionner son « champion ». Un scrutin sans a priori en dépit de la situation héritée du coup d’État manqué de 2002. Cinq années après, le décor est autre et le contexte différent. Une certaine morosité frappe la campagne et cela nul ne peut le dédire. Prévisible vu l’échec de l’opération de révision du fichier électoral au mois de juillet dernier. En effet, il y a fort à parier que nombre d’Ivoiriens se désintéressent de ce scrutin parce que les stigmates de la crise postélectorale demeurent. C’est le cas de Sylvain, le quart de siècle passé, qui dit vaquer tranquillement à ses occupations ce premier jour de campagne. Il soutient pour sa part que ce manque d’engouement résulte du fait que « les ivoiriens dans leur grande majorité sont déçus de la politique en Côte d’Ivoire après le sort qui a été réservé à Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. Plus personne ne juge nécessaire d’y accorder de l’importance. » À lui s’ajoutent ceux qui croient dur comme fer que le jeu est déjà biaisé, que les candidats en lice ne feront que de la figuration. Le candidat sortant vise une réélection dès le premier tour.

It was at midnight on Friday October 9th that the Independent Electoral Commission (IEC) officially announced the opening of the electoral campaign. In the early hours of the morning, across the Ivorian economic capital, 12 square meter posters, and A4 format posters or even banners portraying candidates were visible along major thoroughfares. But the striking thing was that Alassane Dramane Ouattara (ADO) was everywhere! Many residents of Abidjan have noticed the incumbent head of state’s widespread presence on advertising panels across the city’s streets, unlike the other candidates who are nowhere to be seen. These posters are the only indication that a campaign is underway in Ivory Coast. Even if comparison does not constitute evidence, a kind of tangible reality is emerging. Considering that the 2010 presidential poll saw three major candidates facing off and above all constituted the first real election, it provoked much excitement among Ivorians, each of them eager to see his "man" come out on top. That election appeared not to have any preconceived ideas, in spite of the situation arising out of the 2002 failed coup. Five years later, the background has changed, the context is different. This presidential campaign is a gloomy one. Nobody can deny it. This was foreseeable, considering the failure of attempts to revise registration procedures last July. In fact, many Ivorians are unlikely to show any interest in these elections, due to the stigma of the 2010 post-electoral crisis. Among them, Sylvain, a young man in his twenties, who says that he is going about his daily business quietly on this first day of campaign. He explains his lack of interest in this election, noting that "the overwhelming majority of Ivorians feel disappointed with the policies implemented by the government following what happened to Laurent Gbagbo and Charles Blé Goudé; Most people feel the election has no value." And then there are those people who believe that the dice are loaded and that candidates have an insignificant role to play, considering that the incumbent president is seeking a victory in the first round of voting.

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L’AMBIANCE DANS LES FIEFS D' ALASSANE OUATTARA À la vérité, il n’y a que dans le camp du candidat Ouattara que la campagne bat son plein. Il y a lieu de le dire après un tour dans des communes acquises à sa cause. Abobo, Attécoubé, Koumassi, et même Yopougon naguère considéré comme bastion de Laurent Gbagbo, une seule couleur domine, celle du RHDP. Dramane, commerçant sanglé d’un T-shirt et d’une casquette à l’effigie de son candidat Alassane Ouattara ne peut contenir sa joie. De son avis, « il n’y a pas match ». Aucun des huit candidats en lice n’arrive « à la cheville de son candidat ». Comme lui beaucoup d’autres restent convaincus qu’il n’y aura pas de second tour et qu’au soir du 25 octobre déjà « la fête peut commencer ». En revanche, les adversaires de Alassane Ouattara sont inaudibles. Pis, leurs affiches hormis le spécimen gratuit offert par la CEI sont quasi-inexistantes. Au point que certains ironisent en disant qu’ils font campagne pour Alassane Ouattara. Aussi jusque là, les ivoiriens demeurent-ils dans l’expectative quant à la participation effective des membres de la Coalition Nationale pour le Changement (CNC). La CNC qui avait donné au chef de l’État un ultimatum de 48 heures dont le non-respect impliquerait la non-participation de ses membres. Mamadou Koulibaly ayant retiré sa candidature, quid de Charles Konan Banny et de Kouadio Konan Bertin ? Une chose est sûre, le candidat du RHDP, lui, part très confiant.

ELECTION FEVER IN ALASSANE OUATTARA’S CAMP Frankly speaking, it is only in the Ouattara camp that a real election camping is taking place; After touring cities supporting him, Abobo, Attécoubé, Koumassi and even Yopougon, formerly considered to be a Laurent Gbagbo stronghold, one color dominates, that of the RHDP (Rally of Houphouetists for Democracy and Peace). Dramane, a shopkeeper wearing a T-shirt and cap with the figure of his candidate, Alassane Ouattara, cannot retain his enthousiasm. According to him, "there is no competition" and none of the eight appointed candidates "can hold a candle to Ouattara". Like him, many others are fully convinced that there will not be a second round and that "the festivities will begin" on the night of October 25th. In contrast, Alassane Ouattara’s adversaries are remaining silent. Even worse, except from the free print-outs provided by the IEC, their posters are practically non-existent, to the point that some people are saying ironically that the others are also campaigning for the incumbent Ivorian president. Consequently, right up until now, Ivorians are still very uncertain about the real participation by members of the National Coalition for Change (NCC). The NCC had given the head of state a 48-hour ultimatum, and any show of disrespect would lead its members to suspend their participation. And after Mamadou Koulibaly withdrew his candidacy, the question being raised is: will Charles Konan Banny and Kouadio Konan Bertin do the same? One thing is certain, the RHDP candidate and current leader in Ivory Coast has no reason to doubt the election results. 60


ATTENTION AU SPECTRE DE 2010 ! 2010 est derrière mais ses effets semblent résister au temps. À quelques jours de la présidentielle nombre d’ivoiriens affichent une certaine crainte. Un sentiment légitime après ceux de 2010 et qui vient être conforté avec le bras de fer que se livrent opposition et gouvernement. L’on se souvient que l’opposition dans sa grande majorité a toujours récusé le président de la CEI, Youssouf Bakayoko pour ses accointances avec le chef de l’Etat mais surtout pour son rôle présumé dans la crise postélectorale. Un problème auquel aucune solution n’a été proposée. Bien au contraire, la confiance du gouvernement lui a été accordée. Hormis cela, l’opposition avait souhaité des discussions avec le gouvernement. Une doléance reléguée aux calendes grecques. Ce bras de fer, il ne faut pas se voiler la face perdure et la suite on l’a vue. Deux candidats ont systématiquement suspendu leur participation à un scrutin pour disent-ils « ne pas donner caution à des élections truquées ». Si ces deux là ont eu le courage d’abandonner, deux demeurent dans la course. Et de surcroît, ils sont membres de la CNC. Qu’en sera-t-il après le 25 octobre ? Telle est l’interrogation qui rejaillit sur toutes les lèvres à un moment où les candidats sillonnent le pays à conquête d’un électorat. La psychose quant à elle se fait grandissante. Les ivoiriens dans leur grande majorité prennent déjà leurs dispositions. C’est le cas de ce sexagénaire rencontré à une gare routière qui a décidé de regagner son village situé au centre du pays. « Non pas pour y faire campagne mais pour se reposer et attendre la fin de la présidentielle », dit-il. Lui, qui a encore en souvenir les souffrances et humiliations subies lors de la crise passée. En effet, l’exode a déjà commencé pour ceux qui n’accordent ni crédit ni importance au scrutin du 25 octobre. Jean Vincent, gérant de gare routière confirme que depuis le début du mois d’octobre, les départs vers l’intérieur du pays se sont multipliés au point de constater l’insuffisance de son parc automobile. D’un autre côté, il y a ceux qui choisissent de rester sur place pour prendre part ou non au vote. Si pour l’instant le climat est relativement calme en dépit des menaces de l’opposition, rien ne présage d’un quelconque conflit postélectoral. Mais comme on le dit, la prudence est mère de sûreté. @rvpugi Au moment où nous mettons sous presse ce numéro, le résultat des élections n’est pas encore connu.

WATCH OUT THE 2010 SPECTRE! While 2010 is a thing of the past, its consequences are very present today: A few days away from the presidential election, many Ivorians are displaying a certain amount of fear. That feeling is normal, given the violence of 2010 and the current stand-off between the opposition and government. It should be recalled that a large majority of the opposition has always objected to the IEC chairman, Youssouf Bakayoko, due to his relationship with the head of state but, above all, because of his alleged role in the post-electoral crisis. No solu­tion to this problem has ever been proposed. On the contrary, he has the trust of the government. In addition, the opposition has sought discussions with the government, but that request has been sidetracked indefinitely. There is no point here in denying reality, the stand-off is continuing, and we know what happened next in the past. Two candidates have systematically suspended their participation in this vote in an effort to, as they put it, "not give the stamp of democracy to flawed elections". While those two candidates had the courage to drop out, two others are still taking part in the Presidential race. In addition, they are CNC members. What will happen after October 25th? That is the question on everyone’s lips, as the candidates travel across the country to win over voters. In the meantime, a certain psychosis is spreading. The overwhelming majority of Ivorians have already made their arrangements, as is the case for this sixty year old man encountered in the bus station, for example. He has decided to go back to his village located in the centre of the country. "Not to campaign but to have a rest and wait until the end of the presidential election," as he puts it. He cannot forget the suffering and humiliation endured during the 2010 crisis. Thus, those who believe that the October 25th poll is neither credible nor important have already begun their exodus. Jean Vincent, a bus station manager, confirms that since the beginning of October, departures to the interior of the country have sharply increased, to the point where there are no longer enough buses. Others are choosing to stay where they are, whether or not they participate in the election. Currently the atmosphere is rather calm in spite of threats from the opposition. There are no signs of impending post-electoral conflict. But as the saying goes, it pays to be discrete. @rvpugi Translated by Brett Kline At press time, election results are still unknown.

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par Hervé Pugi

Confrontée à la barbarie terroriste, la Tunisie n’est pas sans savoir que la menace intérieure trouve essentiellement ses racines au-delà de ses frontières. Ce sont quelque 5 500 ressortissants tunisiens, selon l’estimation d’experts des Nations unies, qui auraient rejoint les rangs des groupes djihadistes sur tous les points chauds de l’Afrique et du Moyen-Orient. Direction l’Irak, la Syrie et bien évidemment la Libye. Autant dire que la paix et la stabilité chez cette turbulente voisine sont plus que souhaitées. Il en va de la sécurité de tout un pays et de son peuple.

Faced with the terrorist barbarity, Tunisia is well aware that the internal threat has its roots beyond its borders. According to an estimate by United Nations experts, almost 5 500 Tunisian nationals would have joined the ranks of jihadist groups in all the troubled zones in Africa and the Middle East in the aim of joining the conflicts in Iraq, Syria and, of course, Libya. It is fair to say that peace and stability in this turbulent, neighbouring country are more than desirable. The security of an entire country and its people is at stake.

© Rabah

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© Zabielin


Sabeur Khachnaoui, Yassine Abidi et Seifeddine Rezgui, tous étaient Tunisiens. Ces trois noms auraient pu être ceux de simples victimes de la violence aveugle des terroristes. Ils sont en réalité ceux des bourreaux d’une soixantaine d’innocents, au musée du Bardo (Tunis) puis dans la station balnéaire d’El-Kantaoui près de Sousse. Ils sont surtout devenus l’incarnation d’une connexion sanglante entre la Tunisie et la Libye. Avant eux, un certain Ahmed Rouissi s’était déjà fait connaître. Les assassinats en 2013 des activistes politiques de gauche Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi portaient la signature de cet ancien d’Ansar Al-Charia, rallié par la suite à l’État islamique, qui a trouvé la mort à Syrte en mars 2015. Le trait d’union entre ces quatre hommes, c’est le camp de Sabratha, cité libyenne située sur le littoral de la Tripolitaine, à tout juste une centaine de kilomètres de la frontière avec la Tunisie. Roussi l’a dirigé et les trois exécuteurs des basses œuvres y sont passés. Comme tant d’autres jeunes tunisiens qui y auraient reçu une macabre formation militaire, à en croire Rafik Chelly, secrétaire d’État chargé de la sûreté nationale. Le Groupe de travail des Nations unies sur l’utilisation de mercenaires avance le chiffre de 1 000 à 1 500 Tunisiens actifs en Libye (contre 4 000 en Syrie). Une proportion inquiétante, plus encore au regard d’autres données. Voilà tout juste quelques mois, le Premier ministre Habib Essid avait annoncé que 15 000 ressortissants susceptibles de rejoindre les rangs de l’État islamique (et d’autres groupes terroristes) avaient été interceptés. Prévenir les départs est une chose, maîtriser les retours en est une autre. Les autorités tunisiennes auraient déjà placé en détention 625 combattants (potentiels) en provenance d’Irak, 500 autres arrivant de tous horizons seraient également sous surveillance rapprochée selon les informations communiquées. Ceux qui passent au travers des mailles du filet sont autant de dangers potentiels. Saber Khachnaoui, Yassine Abidi and Seifeddine Rezgui were all Tunisians. These three names could have been those of mere victims of indiscriminate, terrorist violence. They are, in fact, the names of the executioners of sixty innocent people at the Bardo Museum (Tunis) and at the seaside resort of El Kantaoui, near Sousse. They have notably become the personification of the bloody connection between Tunisia and Libya. Before them, a certain Ahmed Rouissi had already made a name for himself. The murders in 2013 of the left wing political activists, Chokri Belaid and Mohamed Brahmi, bore the mark of this former Ansar Al-Sharia member, who later joined the Islamic State and was killed in Sirte in March 2015. The connection between these four men is the camp in Sabratha, a Libyan city located on the coast of Tripoli, just a hundred kilometers from the border with Tunisia. Rouissi had been in charge of this camp, the same one where the three executors of the dirty work had been trained and where many other young Tunisians have received a gruesome military training, according to Rafik Chelly, the Secretary of State for National Security. The United Nations Working Group on the use of mercenaries puts the figure at between 1 000 and 1 500 Tunisians who are active in Libya (as against 4 000 in Syria). An alarming proportion and even more so in relation to other data. Just a few months ago, the Prime Minister, Habib Essid, announced that almost 15 000 nationals, who were no doubt intending to join the ranks of the Islamic State (and other terrorist groups) had been intercepted. Preventing departures is one thing, controlling their return to the country is another. It would seem that the Tunisian authorities have already placed 625 (potential) fighters from Iraq in detention, another 500 from all walks of life and backgrounds are also under close surveillance according to information made available. Those who slip through the safety net are all potential dangers. 63


Qui se souvient de la « décennie noire » connue par l’Algérie durant les années 1990 ? C’est le spectre qui hante l’esprit de bien des dirigeants, pas seulement au Maghreb d’ailleurs, en analysant la menace djihadiste. Tous ces « nationaux » partis combattre sous d’autres cieux et qui pourraient revenir, avec armes et bagages, semer la terreur dans leurs propres contrées d’origine. Comme certains « Afghans », radicalisés, l’ont fait en Algérie. Pas de guerre civile en vue du côté de la Tunisie. En l’espace de quatre ans, le peuple tunisien – malgré quelques brebis galeuses – a fait preuve d’une incroyable solidarité pour relever chaque défi se dressant dans son cheminement vers la démocratie. C’est d’ailleurs ce qui fait de ce pays une cible de choix pour ceux qui veulent imposer leur totalitarisme obscurantiste à la face du monde. Si l’énorme majorité des victimes des attentats du Bardot et de Sousse sont étrangères, c’est bien la Tunisie que les terroristes ont voulu abattre. En vain. Pourquoi le nier ? La fière Tunisie doit, de toute évidence, prendre le temps de cerner les failles, de scruter les âmes noires et de comprendre le mal-être qui pousse une partie de ses enfants à se dessiner un futur où un au-delà fantasmé vaut bien le sacrifice du présent. Il ne faudrait pas que le terreau de la saine révolte devienne celui du fanatisme forcené. Cette nécessaire introspection effectuée, reste une évidence bien cruelle. Tout ce que pourront entreprendre le gouvernement et les forces de sécurité de la Tunisie – que ce soit au niveau préventif, législatif ou sécuritaire – ne sera que goutte d’eau dans l’océan sans une collaboration active de leurs homologues libyens. Toutefois, face à l’effondrement de la Libye, à qui parler ? À ce parlement de Tobrouk impuissant qui ne contrôle pas même son armée ? À la mouvante et hétéroclite coalition Fajr Libya dont personne n’a jamais réellement compris qui elle était ? Le gouvernement d'union nationale en gestation est plus qu'une nécessité pour la Tunisie et pour cause. Pendant qu’on s’égosille à Skhirat, Bruxelles, Genève ou Alger, les terroristes préparent certainement leur prochain coup...

© Brian Stewart-Coxon

Who remembers the "Black Decade" in Algeria in the 1990s? When analyzing the jihadist threat, this is the spectre that haunts the minds of many leaders and not just in the Maghreb. All these "nationals" who have left their homeland to fight in other countries could return, lock, stock and barrel, to spread terror in their own countries. In the same way as some radicalized "Afghans" did in Algeria. There is no civil war in sight in Tunisia. Over the past four years, the Tunisian people - despite a few bad apples – have displayed unstinting solidarity to meet every challenge standing in the path towards democracy. Moreover, this is what makes the country a prime target for those who want to impose their obscurantist totalitarianism in the face of the world. Although the vast majority of victims in the Bardo and Sousse attacks were foreign, it was indeed Tunisia that the terrorists wanted to bring down. In vain.

Why deny it? Clearly, proud Tunisia needs to take the time to identify the flaws, scrutinize the wicked souls and understand the malaise that is encouraging some of its children to envisage a future where an imaginary afterlife is well worth the sacrifice of the present. The land of the legitimate revolt must not become a breeding ground for zealous fanaticism. Once this essential introspection has been done, another harsh fact remains. Everything that the government and the Tunisian security forces undertake – whether on a preventive, legislative or security level - will only be a drop in the ocean without an active collaboration with their Libyan counterparts. However, with the collapse of Libya, with whom can they converse ? Tobruk’s powerless Parliament that does not even control its army? The unstable and heterogeneous Fajr Libya coalition, which nobody has never really understood what it was? The national unity government being formed is more than a simple necessity for Tunisia. While we are shouting ourselves hoarse in Skhirat, Brussels, Geneva and Algiers, the terrorists are no doubt preparing their next move… 64


© Denis Spilet

LES TUNISIENS SONT OTAGES

DE LA GUERRE CIVILE LIBYENNE Symbole de cette encombrante Libye, dont l’on veut se prémunir car on ne trouve personne avec qui discuter, le fameux projet de mur de sable annoncé fin juillet. Une muraille, devant courir sur 168 des 450 kilomètres de la frontière commune entre les deux pays, censée « endiguer la menace terroriste » d’après le Premier ministre Essid. Une modeste précaution, à tout de même cinq millions d’euros, vaut mieux que rester les bras ballants avanceront certains. Pourtant, l’histoire nous l’a appris : aucun mur n’est jamais ni assez haut ni assez long pour contrer une menace. Personne ne l’ignore. En définitive, il convient de reconnaître que, autant que leurs voisins, les Tunisiens apparaissent comme les otages d’une guerre civile à laquelle personne – en tout cas pas ceux qui ont quelques responsabilités dans la situation – ne semble réellement s’intéresser. La Tunisie, elle, a accueilli et accueille toujours tant d’enfants venus de Tripoli et d’ailleurs en quête d’un refuge face aux violences. Vraiment, il n’y a plus de temps à perdre. Il faut une Libye stable pour qu’un avenir radieux se profile en Tunisie. C’est là l’intérêt de tous ! @rvpugi

A symbol of this troublesome Libya, which Tunisia wants to protect itself from because it has no one to talk to, is the famous sand wall project announced at the end of July. The wall will stretch over 168 of the 450 kilometers of the common border between the two countries in the aim of "stemming the terrorist threat", according to Prime Minister Essid. This modest precaution, that will cost no less than five million Euros is, according to some, a better alternative to remaining idle. Yet, as everyone knows and as history has taught us… no wall is ever high enough or long enough to counter a threat. Ultimately, one has to recognize the fact that, just like their neighbors, the Tunisians seem to be the hostages of a civil war in which nobody - certainly not those who have some responsibility in addressing the situation - really seems interested. Tunisia has received and continues to receive just as many children from Tripoli and elsewhere who are seeking refuge from the violence. There really is no time to lose. Libya needs to be stable so that Tunisia can look forward to a bright future. It is in the interest of everyone ! @rvpugi Translation from French: Susan Allen Maurin 65


INDIA

CES AUTRES INTOUCHABLES THOSE OTHER UNTOUCHABLE PEOPLE par Clivia Potot-Delmas

À MUMBAI, IL EXISTE UN ENDROIT SUR LA MER, DOMAINE DE DIEU. LA MOSQUÉE HAJI ALI DARGAH ACCUEILLE CHAQUE JOUR LES MUSULMANS DE LA CAPITALE ÉCONOMIQUE DE L’INDE. DE LOIN, L’ENDROIT SEMBLE PARADISIAQUE, LE MINARET DE L’ÉDIFICE BRILLE DANS LA LUMIÈRE DU COUCHANT ET SE RÉVERBÈRE DANS L’EAU OFFRANT AUX GUIDES TOURISTIQUES LEURS PLUS BELLES PHOTOGRAPHIES. DE PRÈS, LA RÉALITÉ SAISIT À LA GORGE. L’INDE, ÉTAT POURTANT SÉCULAIRE, MARGINALISE SES MUSULMANS.

IN MUMBAI, THERE IS A PLACE ON THE SEA, GOD’S DOMAIN. EVERY DAY, THE HAJI ALI DARGAH MOSQUE WELCOMES MUSLIMS FROM MUMBAI, THE ECONOMIC CAPITAL OF INDIA. FROM FAR, THIS PLACE SEEMS HEAVENLY, THE BUILDING’S MINARET GLIMMERS IN THE LIGHT OF THE SETTING SUN AND OFF THE WATER PROVIDING TOUR GUIDES WITH THE PERFECT PHOTO OPPORTUNITY. UP CLOSE, HOWEVER, THE REALITY IS STARTLING. SECULAR INDIA IS MARGINALIZING ITS MUSLIMS.

© Juliana Verdier

Sur la longue jetée de 500 mètres qui mène à la mosquée, les miséreux se pressent demandant l’aumône aux touristes et aux croyants. Les chèvres d’une maigreur maladive cherchent parmi les déchets que la mer rejette sur la côte, recouvrant les rochers d’une épaisse couche noire de crasse. Accessible uniquement à marée basse, la mosquée Haji Ali Dargah, construite en 1431 sur un îlot au sud de la ville par un riche marchand converti à l’islam, est un joyau de l’architecture islamique indienne et abrite le tombeau de son fondateur. Elle peut accueillir les jours de cultes jusqu’à 40 000 personnes. Une affluence qui accélère le délabrement de l’ouvrage. Le reste du temps, la mosquée est autant un lieu de culte qu’un lieu de vie. Des familles entières s’y retrouvent pour manger à même le sol, se laver dans l’eau sale qui entoure la mosquée ou simplement discuter et passer le temps. 66

Along the 500-meter pier that leads to the mosque, the poor and destitute gather and ask for alms from the tourists and the pious. The malnourished and shockingly thin goats search amongst the litter that the sea washes up on the coast, blanketing the rocks with a thick black layer of filth. Accessible only at low tide, the Haji Ali Dargah Mosque, constructed in 1431 on an island in the south of the city by a wealthy merchant converted to Islam, is an Indian and Islamic architectural gem and houses the tomb of its founder. On days of worship it can welcome up to 40,000 people. This is an influx that hastens the dilapidation of the site. The rest of the time, the mosque is as much a place of worship as it is a part of life. Entire families meet there to share a meal while sitting on the floor, wash in the dirty water that surrounds the mosque or simply converse and pass the time.


UNE POPULATION MARGINALISÉE En 2001, lors du dernier recensement, 13,4 % de la population indienne était musulmane, soit près de 140 millions d’individus, ce qui fait de l’Inde le troisième pays musulman au monde. Pour la majorité, ils appartiennent aux couches très pauvres de la société. Une situation qui trouve une explication historique. À partir de la partition des Indes en 1947 et pendant de nombreuses années, beaucoup d’entre eux ont fui vers le tout nouveau Pakistan, État musulman. En 1963, on estimait le nombre de déplacés à 7,5 millions. Il s’agissait des croyants les plus aisés, ceux financièrement capables d’envisager le voyage et de construire une nouvelle vie ailleurs. Avec les violences de 1992 et de 2002, le nombre de déplacés a encore augmenté, accroissant par la même occasion le fossé financier entre les hindous et les musulmans indiens. Gouffre qu’il n’est pas facile de combler. Ces musulmans indiens, moins alphabétisés, sont donc moins salariés. Ils ne représentent même pas 5 % des effectifs des chemins de fer, premier employeur du pays. Les discriminations que subissent les musulmans aggravent leur situation. Dans l’immobilier par exemple, il leur devient difficile de trouver des logements dans des zones mixtes. Une islamophobie croissante dans les classes moyennes hindoues qui contribue toujours plus à les marginaliser. Les disciples de Mohammed trouvent à se loger dans des ghettos dans lesquels prolifèrent les groupes extrémistes. Des dérives intégristes dénoncées par les autorités hindoues, renforçant la haine de l’autre. Le serpent se mord la queue. © Juliana Verdier

A MARGINALIZED POPUL ATION In 2001, as of the last census, 13.4 % of the Indian population was Muslim, nearly 140 million individuals, making India the third largest Muslim county in the world. The majority belong to the very poorest of Indian society; a situation that has a historical explanation. At the moment of the partition of India in 1947 and continuing for numerous years, many Muslims fled towards the newly formed Pakistan, the Muslim country. In 1963, it is estimated that the number of displaced people hovered around 7.5 million. These were the better-off believers; those who were financially capable of making the journey and building a new life elsewhere. With the violence of 1992 and the pogroms of 2002, the number of displaced people rose again, further widening the financial gap between Hindu and Muslim Indians. This gap is not easy to fill. These remaining are less literate and thus less compensated. They don’t even represent 5% of the railway workforce, the country’s number one employer. The discriminations that oppress the Muslims further aggravate their situation. Within housing for example, it becomes difficult for them to find a home in mixed zones. There is a growing Islamophobia amongst middle-class Hindus that continues to feed their marginalization. Disciples of Mohammed find housing in ghettos in which extremist groups proliferate. Fundamentalist abuses denounced by Hindu authorities are reinforcing the hate of the other. It is a vicious cycle.

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NARENDRA MODI,

LE PREMIER MINISTRE QUI INQUIÈTE

© Juliana Verdier

Si l’Inde est constitutionnellement un État séculaire qui reconnaît la pratique de toutes les religions, les bouleversements politiques récents risquent de modifier cet équilibre. Lors des élections législatives de 2014, le Parti du Congrès, fondé par le Mahatmah Gandhi, a essuyé une défaite sans précédent. C’est Narendra Modi, issu du Bharatiya Janata Party (BJP), parti nationaliste hindou, qui devient chef du gouvernement en décrochant la majorité absolue à la Lok Sabha, la chambre basse du Parlement indien. Le Premier ministre multiplie les déclarations pour tenter de rassurer l’opinion. « Personne dans ce pays n’a le droit de discriminer pour des raisons religieuses. Arrêtons de nous battre entre communautés. Les hindous et les musulmans doivent s’unir pour lutter contre la pauvreté. Mon gouvernement n’a qu’une religion, c’est l’Inde avant tout », a-t-il affirmé, rappelant les principes constitutionnels du pays. De belles déclarations qui ne convainquent pas, et pour cause. Narendra Modi fait partie du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), une organisation nationaliste hindoue paramilitaire surpuissante. Elle compterait quelque 40 000 antennes à travers tout le pays. Plusieurs fois interdite au cours de l’Histoire, le RSS renaît de ses cendres avec l’un de ses enfants au pouvoir.

NARENDRA MODI,

THE PRIME MINISTER WHO WORRIES If India is constitutionally a secular country that recognizes the practice of all religions, the recent political upsets risk compromising this balance. During the 2014 legislative elections, the Congress Party, founded by Mahatmah Gandhi suffered an unprecedented defeat. It’s Narendra Modi, from the Bharatiya Janata Party (BJP), the national Hindu party, who is becoming head of the government in loosening the absolute majority of Lok Sabha, the lower house of Indian parliament. The prime minister is stepping up his statements to try to reassure public opinion. “No one in this country has the right to discriminate for religious reasons. We must stop the fighting between the communities. The Hindus and Muslims must unite to fight poverty. My government has only one religion, and that is India above all else”, he recently affirmed recalling the constitutional principles of the country. These are beautiful declarations that are not convincing, and for good reason. Narendra Modi is part of the Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), a super powerful, paramilitary, nationalist Hindu organization. This organization has some 40,000 branches across the entire country. Banned several times during the course of history, the RSS is rising from the ashes with one of its brethren in power.

© Juliana Verdier

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LES DISCIPLES DE MOHAMMED TROUVENT À SE LOGER DANS DES GHETTOS DANS LESQUELS PROLIFÈRENT LES GROUPES INTÉGRISTES

© Juliana Verdier

Les premières mesures du Premier ministre n’ont pas été de nature à rassurer la communauté musulmane. Les programmes scolaires ont été modifiés pour y intégrer les textes sacrés de l’hindouisme. Les rapprochements entre les notions de citoyenneté et de religion ne s’arrêtent pas là. La ministre des Affaires étrangères a proposé de faire du Gita, un des livres sacrés de l’hindouisme, le livre national indien. Pour les musulmans indiens, restent les rêves de paillettes. À Bollywood, les acteurs les plus en vus sont tous musulmans. Mais à y regarder de plus près, dans les productions, les héros sont hindous et les méchants très souvent musulmans. Tout un symbole. Quand le soleil se couche sur la mosquée Haji Ali Dargah, pour les fidèles, l’ascension sociale reste un rêve bien lointain.

The first actions of the prime minister were not reassuring for the Muslim community. The scholastic programs were modified to integrate sacred Hindu texts. Reconciliations between the notions of nationality and religion do not stop there. The minister of foreign affairs proposed Gita, one of the sacred books of Hinduism, the national Indian book. For the Indian muslims, there still remain the glittery dreams. In Bollywood, the most visible actors are all Muslims. But look a little closer: in all of the productions the heroes are Hindu and the bad guys are very often Muslim. Very symbolic. As the sun sets on the Haji Ali Dargah Mosque, social ascension for the faithful remains a faraway dream. Translation from French: Rachel Wong 69


LA FIN D'UN MARATHON DIPLOM

THE END OF A DIPLOMATIC MA

ATIQUE

RATHON

par Sandra Wolmer © FrodeRamona

DOUZE ANS ! C’EST LE TEMPS QU’IL AURA FALLU AVANT DE VOIR L’IRAN ET LES MEMBRES PERMANENTS DU CONSEIL DE SÉCURITÉ DE L’ONU PLUS L’ALLEMAGNE (LES « 5+1 ») SORTIR LE DOSSIER NUCLÉAIRE IRANIEN DE L’IMPASSE. LE 14 JUILLET DERNIER À VIENNE, CE MARATHON DIPLOMATIQUE PRENAIT PACIFIQUEMENT FIN GRÂCE À LA CONCLUSION D’UN ACCORD. HISTORIQUE ! S’IL INTERDIT LA FABRICATION DE LA BOMBE ATOMIQUE IRANIENNE, INSTAURE DES MÉCANISMES DE VÉRIFICATION ET D’INSPECTION LES PLUS DRASTIQUES EN CONTREPARTIE D’UNE LEVÉE DES SANCTIONS EN VIGUEUR DEPUIS 2006, LE TEXTE NÉGOCIÉ POUR L’ESSENTIEL PAR TÉHÉRAN ET WASHINGTON, SIGNE ÉGALEMENT LE COME-BACK DU GÉANT PERSE DANS L’ARÈNE INTERNATIONALE. UN RETOUR EN GRÂCE ? ÉCLAIRAGES AVEC BARAH MIKAÏL, DIRECTEUR DE RECHERCHE À LA FRIDE*, PROFESSEUR ASSOCIÉ À L’UNIVERSITÉ SAINT LOUIS – MADRID.

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TWELVE YEARS! THIS IS THE TIME IT TOOK BEFORE SEEING IRAN AND THE PERMANENT MEMBERS OF THE UN SECURITY COUNCIL PLUS GERMANY (THE “5 + 1”) FINALLY SUCCEED IN BREAKING THE DEADLOCK SURROUNDING THE IRANIAN NUCLEAR ISSUE. ON 14TH JULY IN VIENNA, THIS DIPLOMATIC MARATHON ENDED WITH THE SIGNING OF AN AGREEMENT - AN HISTORIC EVENT! WHILE IT PROHIBITS THE MANUFACTURE OF THE IRANIAN ATOMIC BOMB AND IMPOSES THE MOST DRASTIC AUDIT AND INSPECTION MECHANISMS IN EXCHANGE FOR A LIFTING OF THE SANCTIONS IN FORCE SINCE 2006, THE TEXT NEGOTIATED MAINLY BY TEHRAN AND WASHINGTON ALSO MARKS THE RETURN OF THE PERSIAN GIANT TO THE INTERNATIONAL SCENE. A COMEBACK? BARAH MIKAIL, DIRECTOR OF RESEARCH FOR FRIDE (FOUNDATION FOR INTERNATIONAL RELATIONS AND FOREIGN DIALOGUE) AND EXTERNAL LECTURER AT SAINT LOUIS UNIVERSITY IN MADRID, SHEDS SOME LIGHT ON THE SUBJECT.


DE L'IRAN DANS

© Adobe of Chaos

54 ÉTATS : L’accord sur le nucléaire iranien a finalement abouti : est-ce que cela tient uniquement à la personnalité des présidents américain et iranien prompts à l’ouverture ? À un assouplissement de la politique intérieure iranienne ? À un changement de contexte régional et international ? À une question d’opportunisme économique ? En résumé, pourquoi cet accord est-il intervenu à ce moment précis ? Barah Mikaïl (B. M.) : On ne sait pas encore quels sont les véritables facteurs qui ont permis aux négociations sur le nucléaire iranien d’aboutir en l’état actuel des choses. Néanmoins, certains éléments peuvent d’ores et déjà être soulignés. D’un côté, la nature des changements intervenus aux États-Unis et en Iran ces dernières années, avec la fin des ères Bush et Ahmadinejad et l’arrivée de Barack Obama et de Hassan Rouhani à la présidence, a tranché avec le radicalisme et le ton belliqueux qui prévalaient auparavant. De même, la personnalité des négociateurs, surtout côté iranien avec l’exemple du ministre des Affaires étrangères Javad Zarif, a sûrement permis l’instauration d’un meilleur climat de confiance. Enfin, n’oublions pas que l’Iran a accepté des termes sur les conditions de développement de son programme nucléaire qui sont de nature à rassurer ses interlocuteurs. Dans la globalité, les États-Unis voulaient parvenir à un accord avec les Iraniens, des années de tensions et d’animosité n’ayant réglé en rien leur contentieux. Sur le fond, il fallait cependant que cette bonne volonté soit suivie d’un assouplissement côté iranien. Cette conjonction a rendu possible la situation que nous vivons maintenant.

54 ÉTATS: An agreement on the Iranian nuclear issue has finally been reached : can this be put down to the personality of both the American and Iranian presidents, who were keen to open the negotiations ? To an easing of Iran’s domestic policy? To a change in the regional and international contexts? To a matter of economic opportunism? In short, why hadn’t this agreement been reached before ? Barah Mikaïl (B. M.): As things stand, the real factors that enabled the negotiations on the Iranian nuclear issue are, as yet, unknown. Nevertheless, certain aspects can already be highlighted. On the one hand, there are the changes that have occurred in the United States and Iran in recent years, with the end of the Ahmadinejad and Bush eras and the arrival of Barack Obama and Hassan Rouhani, whose Presidencies are in sharp contrast with the former radicalism and belligerent rhetoric that used to prevail. Similarly, the personality of the negotiators, especially on the Iranian side with the example of the Foreign Affairs Minister, Javad Zarif, was no doubt conducive to fostering a better climate of trust. Finally, we mustn’t forget that Iran agreed to terms regarding the development of its nuclear program, which most likely reassured its counterparts. On the whole, the United States wanted to reach an agreement with the Iranians, given that years of tension and animosity hadn’t settled their dispute in any way. However, it was really necessary for this good will to be followed by flexibility on the Iranian side. The current situation is the result of this combination.

© Ethan Bloch

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54 ÉTATS : Suffit-il d’un accord pour passer de la qualité de pays défini comme appartenant comme à l’« Axe du Mal » à nouvel acteur (majeur ?) de la scène internationale ? B. M. : La réintégration de l’Iran dans le « giron de la communauté internationale » comme le dit l’expression dédiée n’est pas encore acquise, mais elle est très clairement engagée. Il faudra cependant voir comment les termes de cet accord seront respectés, et comment les orientations politiques et stratégiques de l’Iran s’accommoderont des attentes de l’ensemble des membres permanents du Conseil de sécurité, pour parapher ce fait. L’Iran ne fait plus partie de l’Axe du Mal depuis le départ de l’ancien président George Bush du pouvoir ; cette qualification était en effet d’ordre rhétorique, non juridique. Mais le fait pour l’Iran de devenir un acteur majeur dépendra de la manière par laquelle Téhéran développera ses moyens et ses politiques et renforcera son pouvoir économique. Cependant, force est de constater qu'à travers cet accord, l’Iran va pouvoir renforcer sa stature au niveau régional comme international. 54 ÉTATS : Arc chiite versus communauté sunnite : pertinence de la question vis-à-vis de l’accord ? B. M. : La mise en opposition de deux mondes, l’un chiite, l’autre sunnite, me semble être pour l’essentiel une vue de l’esprit. Les Iraniens comptent sur des alliances politiques plutôt que sur des alliances basées sur les affiliations confessionnelles. Ils sont certes alliés avec le Hezbollah libanais chiite ou les Forces de mobilisation populaire en Irak, également une formation à majorité chiite. Mais ils ont aussi, ou ont eu suivant le cas, des relations avec le Jihad islamique et le Hamas palestinien, tous deux sunnites. Il n’y a donc pas d’arc chiite stricto sensu. Du côté des pays arabes, certains d’entre eux promeuvent des alliances amenées à contrer l’Iran qu’ils voient comme fer de lance d’un « monde chiite », comme pour l’Arabie Saoudite à la stratégie de laquelle s’est jointe notamment la Jordanie. Mais leurs alliances restent motivées par le politique, et non par le confessionnel. Ainsi, la mise en opposition de deux mondes, l’un sunnite, l’autre chiite, ne me paraît pas pertinente. Par contre, l’instrumentalisation du religieux au profit d’objectifs politiques et stratégiques est un fait. Cette situation est dangereuse en ce sens qu’elle peut contribuer à la radicalisation et au repli de certaines populations sur des bases confessionnelles.

© Alice

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54 ÉTATS: Is an agreement enough for a country, which was considered as being part of the Axis of Evil, to become a new (major ?) player on the international scene ? B. M: The reintegration of Iran into the international community is yet to come, but it is very clearly under way. However, before any ratification, it remains to be seen if the terms of the agreement will be respected and whether Iran’s political and strategic moves meet the expectations of all the permanent members of the Security Council. With the departure of the former President, George Bush, Iran was no longer considered as part of the Axis of Evil; indeed, this description was purely rhetorical, not legal. But the fact that Iran could become a major player will depend on the manner in which Tehran develops its resources and policies and strengthens its political and economic power. It is obvious, however, that everything indicates, under the terms of this agreement, that Iran will be able to enhance its stature on both regional and international levels. 54 ÉTATS: The Shiite Arc versus the Sunni community: is this point relevant as far as the agreement is concerned ? B. M.: In my opinion, placing two worlds, one Shiite, the other Sunni, in opposition with each other is mainly a figment of the imagination. The Iranians rely on political alliances rather than those based on sectarian affiliations. They are certainly allies with the Lebanese Shiite Hezbollah or the Popular Mobilization Forces in Iraq, which is also an organisation with a Shiite majority. But they also have, or have had as appropriate, relations with the Palestinian Islamic Jihad and Hamas, both Sunnis. So, strictly speaking, there is no Shiite Arc. As for the Arab countries, some of them are promoting alliances in the aim of countering Iran, which they see as the spearhead of a "Shiite world," as is the case for Saudi Arabia with the strategy to which notably Jordan has adhered. But their alliances are motivated by politics, not faith. So, placing two worlds, one Sunni and the other Shiite, in opposition with each other does not seem relevant to me. On the other hand, religious manipulation in favour of political and strategic objectives is a fact. This situation is dangerous in that it can contribute to the radicalisation and decline of certain populations on a religious basis.


54 ÉTATS : Comment expliquer que l’Iran puisse être perçu comme un élément déstabilisateur ? B. M. : L’Iran est largement impliqué dans des conflits importants du MoyenOrient. En témoignent, entre autres, ses soutiens au régime de Bachar al-Assad en Syrie, aux Forces de mobilisation populaire en Irak, et bien sûr au Hezbollah au Liban. Ce soutien se fait donc à des forces peu en odeur de sainteté auprès de beaucoup de gouvernements occidentaux. En ce sens, la nature des alliances régionales de l’Iran paraît s’inscrire en faux avec ce que souhaiteraient beaucoup de pays occidentaux, les États-Unis en tête, pour la région. C’est pourquoi on accuse souvent Téhéran de déstabiliser la région. 54 ÉTATS : Quel va être le basculement des alliances au niveau régional ? Doit-on s’attendre à une rivalité Arabie Saoudite/Iran exacerbée ? Comment les monarchies pétrolières perçoivent-elles la réapparition de l’Iran ? B. M. : Il est trop tôt pour déterminer la nature de l'évolution des alliances régionales. Il est exagéré de penser que l’Iran pourrait se transformer en acteur déterminant du jour au lendemain. Les problèmes économiques de l’Iran, le temps que devrait prendre la levée officielle des sanctions, et le fait que l’Iran ait beaucoup à faire sur le plan interne dans un contexte de désaccords fréquents entre différentes factions politiques, fait que son ascension régionale prendra du temps. Mais, à terme, il me paraît assez clair que l’Iran va renforcer ses capacités régionales. La majorité des monarchies pétrolières ne voit pas cela d’un œil favorable, c’est le moins que l’on puisse dire. C’est pourquoi une forme d’alliance sacrée semble être en train de s’installer entre elles, au nom de la défense de leurs intérêts et de leur intégrité territoriale. Pour premier effet, on voit déjà que les dépenses militaires moyennes de ces pays sont en claire augmentation. 54 ÉTATS : Peut-on véritablement parler d’un retour en grâce de l’Iran sur la scène internationale ? B. M. : Il est encore trop tôt pour parler d’un retour en grâce de l’Iran sur la scène internationale, mais celui-ci est en gestation. Il faudra juste voir s’il prendra plutôt deux ou vingt ans. Mais, au-delà des symboles, le fait pour beaucoup de compagnies, occidentales comme non occidentales, d’être dès à présent dans les starting-blocks aux fins de profiter des opportunités d’investissement qui vont s’ouvrir, montre que l’Iran a d’ores et déjà opéré un retour en grâce sur la scène internationale économique.

54 ÉTATS: How would you explain the fact that Iran can be considered as a destabilizing element? B. M.: Iran is heavily involved in major conflicts in the Middle East ; as demonstrated by its support, among others, to Bashar al-Assad’s regime in Syria, the Popular Mobilization Forces in Iraq, and, of course, Hezbollah in Lebanon. Consequently, this kind of military support is not well looked upon by many Western governments. For this reason, the nature of Iran’s regional alliances seems to take issue with what many Western countries, led by the United States, have in mind for the region. That is why Tehran is often accused of destabilizing the region 54 ÉTATS : What sort of alliance shifting can be expected on a regional level ? Can we expect the Saudi Arabia/ Iran rivalry to flare up ? How do the oil monarchies look upon the resurgence of Iran? B. M. : It is too early to comment on how regional alliances will develop. It is an exaggeration to think that Iran could become a key player overnight. Taking into account Iran’s economic problems, the time it takes for the sanctions to be officially lifted and the fact that Iran has much to do on an internal level against a background of frequent clashes between different political factions, its regional ascension will take some time. But, ultimately, it seems pretty clear to me that Iran will strengthen its regional influence. The fact that the majority of the oil monarchies take a dim view of this is the least we can say. That is why a sort of sacred alliance between them seems to be in the making in order to safeguard their interests and territorial integrity. The first consequence we are witnessing is the significant increase in these countries’ average military expenditure. 54 ÉTATS : Can we really speak of an Iranian comeback on the international scene ? B. M. : It is too early to speak of an Iranian comeback on the international scene, but it is in the making. It remains to be seen if it will take two or twenty years. But, beyond the symbols, the fact that many companies, be them Western or non-Western, are already on the starting blocks in order to take advantage of new investment opportunities, shows that Iran has already made a comeback on the international scene. @SandraWolmer1 Translation from French: Susan Allen Maurin

@SandraWolmer1 © DR

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LE FRUIT D’UNE GRANDE QUÊTE HUMAINE, ARTISTIQUE, POÉTIQUE ET MUSICALE

Les Jours et les Nuits de l’Arbre Cœur est une œuvre symphonique écrite pour la langue arabe mêlant musique classique, chant lyrique, poésie et danse créée par Tarik Benouarka, auteur, compositeur, poète et dramaturge franco-algérien. À travers cette œuvre originale qu’il a dédiée à un orchestre symphonique unique au monde, Al Nour Wal Amal, l’artiste livre un hymne à la liberté, à l’humanité, à l'art de vivre, à la musique et distille une seule envie celle de se retrouver au pied de son arbre. Entourée d’artistes internationaux, cette formation principalement constituée de musiciennes égyptiennes non-voyantes, fera indéniablement vibrer la salle Gaveau, temple de la musique classique, à l’occasion d’une soirée caritative au profit de l’Institut national des jeunes aveugles. Rendez-vous le 5 novembre 2015. « Ces femmes, ces musiciennes d’Al Nour Wal Amal, m’ont donné une grande leçon sur la musique et sur la vie. L’idée même que la musique peut changer le monde et la vie des gens est pour un créateur quelque chose de très émouvant et très touchant car quelque part c’est le graal que l’on cherche à faire cueillir, que l’on cherche à faire venir dans toute œuvre. Et ces femmes me l’ont offert à l’opéra du Caire, le 30 septembre dernier. C’était pour moi un très grand honneur », a souligné Tarik Benouarka. @SandraWolmer1

METTANT EN SCENE

THE FRUIT OF A MAJOR SEARCH INTO HUMAN, ARTISTIC, POETIC AND MUSICAL AFFAIRS Days and Nights of the Heart Tree is a symphonic work written to be performed in Arabic, mixing opera singing, poetry and dance created by Tarik Benouarka, a Franco-Algerian author, composer, poet and playwright. Through this original work which he has dedicated to a symphony orchestra, unique in the world, Al Nour Wal Amal, the artist offers an hymn to freedom, to humanity, to the art of living music and one powerful desire: that of sitting under his tree. Including an international group of performers, this unique orchestra, composed mainly of blind, Egyptian female musicians, will undoubtedly make the Salle Gaveau, a French classical music center, vibrate. The occasion will be a charitable event organized for the National Institute of Blind Youth. See you on November 5th 2015. "These women, these musicians of Al Nour Wal Amal, have taught me a great lesson on music and life. The very idea that music can change the world and people’s lives is for any writer something really moving. In a way, this is the holy grail we are seeking, that we want to be present in every piece of work. And these women offered me this gift in the Cairo Opera House on September 30th. It was a huge honour for me!". Tarik Benouarka.

AL NOUR WAL AMAL ORCHESTRE UNIQUE AU MONDE DE MUSICIENNES EGYPTIENNES NON-VOYANTES

Translated by Brett Kline @SandraWolmer1

UN OPERA DE

TARIK BENOUARKA

AVEC

RACHA RIZK-SOPRANO / RAGAA ELDIN-TENOR FARES EL HELOU-CONTEUR

DIRECTION D'ORCHESTRE MOHAMED SAAD BASHA MISE EN ESPACE : GILBERT DÉSVEAUX CONCEPTION, REALISATION DU FILM ET COSTUME DESIGN : ALAIN LAGARDE

PARIS SALLE GAVEAU

JEUDI 5 NOVEMBRE 2015 20H

PR CONTACT: CATHERINEBENDAYAN.COM.RP@GMAIL.COM / TEL +33 6 14 06 52 63

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Plus d’1 milliard d’habitants très inégalement répartis sur 30 415 873 km2, soit 20 % des terres émergées ou 55 fois la France.

MEDITERRANEAN SEA

Tunis

Algiers Rabat

TUNISIA Tripoli

NORTH ATLANTIC OCEAN

MOROCCO Cairo

ALGERIA

LIBYA

EGYPT RED SEA

MAURITANIA

Nouakchott

CAPE VERDE Praïa

Khartoum SUDAN

NIGER

Dakar SENEGAL Bamako

GAMBIA Banjul

GUINEA

GUINEA-BISSAU

MALI

Conakry

IVORY COAST GHANA

Freetown

SIERRA LEONE

Yamoussoukro

Monrovia

LIBERIA

TOGO

Djibouti Addis Ababa

NIGERIA

Porto-Novo Malabo

CENTRAL AFRICAN REPUBLIC

Juba

Yaoundé

UGANDA

REP. OF GABON THE

EQUATORIAL GUINEA

CONGO

Brazaville

Kampala

DEM. REP. OF THE CONGO

Libreville

Mogadishu

KENYA

INDIAN OCEAN

Nairobi

Kigali

Kinshasa

SOMALIA

ETHIOPIA

SOUTH SUDAN

CAMEROON Bangul

SAO TOME

G

DJIBOUTI

N’Djamena

Abuja

Accra Lomé

ERITREA

CHAD

Niamey Ouagadougou

BURKINA FASO BENIN

Asmara

RWANDA

Bujumbura

ANGOLA

BURUNDI

TANZANIA Dar es Salaam Luanda

SOUTH ATLANTIC OCEAN

SEYCHELLES COMOROS

ANGOLA ZAMBIA Lusaka

Lilongwe

Harare

ZIMBABWE

MOZAMBIQUE

NAMIBIA Windhoek

Moroni

MALAWI

Antananarivo

MADAGASCAR

BOTSWANA Pretoria

Gaborone

Mbabane Maseru

SOUTH AFRICA

Maputo

SWAZILAND

LESOTHO

REPÈRES PAYS PAR PAYS : POP : population (en millions d’habitants, 2012) IDH : classement des pays en fonction de l’indice de développement humain établi par le Programme des Nations unies pour le développement (2013) du 1e au 47e : très élevé – du 48e au 94e : élevé – du 95e au 141e : moyen – du 142e au 187e : faible PIB/HAB. : produit intérieur brut par habitant en nominal établi par le FMI (en dollars, 2013) SUP : superficie 76


AFRIQUE AUSTRALE

AFRIQUE DU SUD

ANGOLA

53,1 POP : 118 IDH : 6621 PIB/HAB : 1 221 037 SUP :

BOTSWANA

20,8 149 5964 1 246 700

LESOTHO

2 109 7120 581 730

MALAWI

2,2 162 1 290 30 355

MOZAMBIQUE

NAMIBIE

26,4 178 593 799 380

16,8 174 223 118 484

SWAZILAND

1,2 148 3473 17 364

2,3 127 5636 824 270

ZAMBIE

ZIMBABWE

15 141 1845 752 612

14,5 156 1007 390 757

AFRIQUE CENTRALE

BURUNDI

POP : IDH : PIB/HAB : SUP :

CAMEROUN

10,4 180 303 27 834

CENTRAFRIQUE

22 152 1 331 475 442

CONGO

4,7 185 334 623 000

GABON

1,7 112 12 326 267 667

4,5 140 3 223 342 000

GUINÉE ÉQUATORIALE

RDC

SOMALIE

SOUDAN

1,1 144 20 605 28 051

RWANDA

12,1 151 704 26 338

70 186 388 2 345 409

SAO-TOMÉ ET-PRINCIPE

0,2 142 1625 1 001

TCHAD

13,2 184 1218 1 284 000

AFRIQUE DE L'EST

DJIBOUTI

POP : IDH : PIB/HAB : SUP :

ÉRYTHRÉE

0,9 170 1 593 23 200

ÉTHIOPIE

6,5 182 544 117 600

KENYA

98 173 518 1 104 300

OUGANDA

45,5 147 1 316 580 367

38,8 164 623 236 860

10,8 600 637 657

38,7 166 1 941 1 790 000

SOUDAN DU SUD

11,7 1 289 644 329

TANZANIE

50,7 159 719 947 300

AFRIQUE DE L'OUEST

BÉNIN

POP : IDH : PIB/HAB : SUP :

BURKINA FASO

10,3 165 805 112 622

NIGER

NIGERIA

POP : 16,6 IDH : 187 PIB/HAB : 447 SUP : 1 264 000

CAP-VERT

18 181 711 275 500

CÔTE D'IVOIRE

SÉNÉGAL

187 152 3 082 923 773

GAMBIE

20,8 171 1 332 322 463

0,5 123 3 633 4 033

SIERRA LEONE

14,5 163 1 048 196 007

GHANA

1,9 172 453 11 295

26,4 138 1 871 238 537

GUINÉE BISSAU

1,7 177 567 36 125

GUINÉE

12 179 560 245 857

LIBERIA

4,3 175 479 111 370

MALI

15,7 176 646 1 241 231

TOGO

6,3 183 805 71 740

6,9 166 637 56 785

MAGHREB ET MOYEN-ORIENT

ALGÉRIE

ÉGYPTE

POP : 39 IDH : 93 PIB/HAB : 5 606 SUP : 2 381 741

LIBYE

84,2 110 3 243 1 002 000

MAROC

6,2 55 10 702 1 759 500

MAURITANIE

33,4 129 3 160 446 550

3,9 161 1 126 1 030 700

TUNISIE

11,1 90 4 317 162 155

OCÉAN INDIEN

COMORES

POP : IDH : PIB/HAB : SUP :

0,8 159 928 1 862

ÎLE MAURICE

1,3 63 8 120 1 865

MADAGASCAR

23,5 155 463 592 000

SEYCHELLES

0,09 71 14 918 455 77


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