N°22 juillet / août 2015 ÉDITION INTERNATIONALE www.54etats.fr
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Jean-Louis
ÉDITION INTERNATIONALE : FRANCE 3,80 € - DOM 4,80 € - RÉUNION 4,80 € - GUYANE 4,80 € - BEL 4,00 € - MAROC 40 DH - ALGÉRIE : 394,3 DZA - TUN 6,8 DT - ZONE CFA 3100 - NIGER 3100 XAF - CAMEROUN 2700 XAF - SÉNÉGAL 2700 XAF - GAB 2700 XAF - CÔTE D’IVOIRE 2700 XAF - MALI 3100 CFA- ISSN 2258 - 0131
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Carte : élections présidentielles........................................................................ 7 Jean-Louis Borloo : électrification de l'Afrique................................................... 8
AFRICA INSIDE
Élections en Afrique : l'œil de l'expert.............................................................. 18 Élections présidentielles en Guinée Conakry.................................................. 22 Côte d'Ivoire : une présidentielle sous haute tension...................................... 26 Burundi / Rwanda : quid du 3e mandat présidentiel aux pays aux mille collines...30 Gabon : Ali le mal-aimé................................................................................... 34 Hatem M'Rad : " Il n'y a pas d'autre recette que le dialogue pour construire la démocratie "............................................. 38 Somaliland : le 55e État du continent.............................................................. 44 Réfugiés : Libye, l'antichambre de la mort...................................................... 46 Être albinos... en Afrique................................................................................. 50 Affaire El-Béchir : nouveau pied de nez à la CPI !.......................................... 54
AFRICA OUTSIDE
Yémen : une impasse politique et confessionnelle......................................... 56 Mathieu Guidère : " Il y a une guerre de religion au sein de l'Islam ".............. 58 Daech : une machine à cash !......................................................................... 60 Crise vénézuélienne....................................................................................... 64 Brésil : le cas Dilma Rousseff.......................................................................... 68
ÉCONOMIE
Yara international pénètre le marché zambien................................................ 72 Bayer CropScience : vive les fermes africaines du futur !............................... 74 Zambie : la Future Farm d' AGCO................................................................... 76
TOURISME
Bienvenue à Djerbahood !............................................................................... 80 Zambie : poésie en terre sauvage................................................................... 84 Carte................................................................................................................ 88 Données sur l’Afrique...................................................................................... 89 Abonnement.................................................................................................... 90
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LE MAGAZINE DE L’AFRIQUE / THE AFRICA MAGAZINE
SOMMAIRE
COVER / SPECIAL REPORT
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Certains présidents, conscients d’avoir été plus que mauvais, se font discrets, d’autres extrapolent et promettent plus encore, en empruntant au passage le nez de Pinocchio ; quand une troisième catégorie tente de passer en force pour un troisième mandat. Les plus sages ? Peut-être ceux qui décideront de laisser choisir le peuple librement, via des élections démocratiques réelles et non truquées. Mais, in fine, ne faudrait-il pas se demander si l’Afrique est réellement faite pour la démocratie ? Faut-il nécessairement calquer le modèle européen ? C’est l’objet traité dans la rubrique Africa inside. 54 États vous promet d’ores et déjà, dans un prochain numéro, de traiter la question sous tous ses aspects. Pour l'heure, nos journalistes, experts et chercheurs ont souhaité exposer quelques études de cas passées ou à venir : Égypte, Côte d’Ivoire, Guinée, Gabon, RDC et Burundi. Chaque cas ayant sa spécificité. Voilà qui vous laisse de quoi emporter de la lecture pour vos vacances d’été. Nous vous encourageons d’ailleurs à visiter la Zambie, destination rêvée pour les safaris. Au nom de toute la rédaction, nous vous souhaitons, chers lecteurs, de bonnes vacances.
Priscilla WOLMER Directrice de la publication
"No democracy without light ". Dear Jean-Louis Borloo is certainly right about his idea to bring electricity to the continent. It is a fantastic driver of growth for Africa, Europe, the Mediterranean and the rest of the world. So, yes, all eyes are on Africa. An Africa that quivers with uncertainty and with good reason, from now until 2017, three quarters of the continent will face presidential elections. The balance sheet will reveal right or wrong and, for all of the current heads of the African nations, results on strategic goals on change and growth will be demanded…by the people, by the international community and by opponents ready for anything to take over the presidential office. Certain presidents, conscious of having been more than bad, will maintain a lower profile, others will assess and promise, once again lying through their teeth and a third category will attempt to force through a third term. The wisest? Maybe those that will decide to let the people choose freely, through truly democratic elections that are not rigged. But, in the end, shouldn’t we be asking ourselves if Africa is really cut out for democracy? Must it copy the European model? We tackle this question in the section Africa inside and already, 54 États has planned a follow-up issue considering this and the surrounding story. In this issue, our journalists, experts and researchers wished to explore case studies past or to still to come: Egypt, Côte d’Ivoire, Guinea, Gabon, DRC and Burundi, every single one a unique and specific scenario. We hope you will enjoy taking this issue along for your summer reading. We also encourage you to visit Zambia, a dream destination for safaris. On behalf of all of our editorial staff, we wish you a pleasant holiday.
Priscilla WOLMER Publisher - owner of the publication
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DIRECTRICE DE LA PUBLICATION, PUBLISHER
« Pas de démocratie sans lumière ». Il a raison ce cher Jean-Louis Borloo avec son idée d’électrification du continent. C’est un levier de croissance formidable pour l’Afrique, l’Europe, la Méditerranée et le reste du monde. Alors oui, tous les projecteurs sont tournés vers l’Afrique. Une Afrique qui tremble et pour cause, d’ici à 2017, les trois quarts du continent feront face à des élections présidentielles. La balance des comptes tombera juste ou pas et, pour tous les chefs d’États africains en poste, des résultats sur les objectifs stratégiques en matière de changement et de croissance seront exigés… par le peuple, par la communauté internationale et par les opposants prêts à tout pour s’asseoir sur le fauteuil présidentiel.
Priscilla WOLMER
ÉDITO EDITORIAL
ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES OCÉAN ATLANTIQUE NORD MER MÉDITERRANÉE
TUNISIE MAROC
ALGÉRIE
ÉGYPTE
LIBYE
R ME
SAHARA OCCIDENTAL
E UG RO
MAURITANIE
CAP-VERT
MALI NIGER TCHAD
SÉNÉGAL GAMBIE GUINÉE BISSAU
SOUDAN
BURKINA FASO
GUINÉE
MER D'OMAN
ÉRYTHRÉE
DJIBOUTI NIGERIA
CÔTE D'IVOIRE
SIERRA LEONE LIBERIA
CAMEROUN
KENYA
RWANDA
OCÉAN INDIEN
RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
GUINÉE ÉQUATORIALE
SO
OUGANDA
ON UC P. D
GABON
RÉ
SAO TOMÉET-PRINCIPE
IE
AL
M
GO
TOGO BÉNIN
ÉTHIOPIE
SOUDAN DU SUD
RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE
GHANA
BURUNDI TANZANIE SECHELLES COMORE MALAWI
MAYOTTE
ZIMBABWE NAMIBIE
Élections passées
Z
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M
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BOTSWANA
AR
ZAMBIE
SC
ANGOLA
MA DA GA
OCÉAN ATLANTIQUE SUD
MAURICE RÉUNION
2015 SWAZILAND
Élections futures 2015
2016
2017
AFRIQUE DU SUD
LESOTHO
Présidents ANGOLA : José Eduardo dos Santos (1979)
NIGERIA : Muhammadu Buhari (2015)
BÉNIN : Thomas Boni Yayi (2006)
RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE : Catherine Samba-Panza (2014)
BURKINA FASO : Michel Kafando (2014)
RÉPUBLIQUE DU CONGO : Denis Sassou Nguesso (1997)
BURUNDI : Pierre Nkurunziza (2005)
RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Joseph Kabila (2001)
CAMEROUN : Paul Biya (1982)
RWANDA : Paul Kagamé (2000)
CAP-VERT : Jorge Carlos Fonseca (2011)
SAO TOMÉ ET PRINCIPE : Manuel Pinto da Costa (2011)
COMORES : Ikililou Dhoinine (2010)
SEYCHELLES : James Michel (2004)
CÔTE D’IVOIRE : Alassane Ouattara (2011)
SOMALIE : Hassan Sheikh Mohamoud (2012)
GABON : Ali Bongo (2009)
SOUDAN : Omar el-Béchir (1993)
GAMBIE : Yahya Jammeh (1994)
SOUDAN DU SUD : Salva Kiir (2011)
GHANA : John Dramani Mahama (2012)
TANZANIE : Jakaya Mrisho Kikwete (2005)
GUINÉE : Alpha Condé (2010)
TCHAD : Idriss Déby Itno (1991)
GUINÉE EQUATORIALE : Teodoro Obiang Nguema Mbasogo (1979)
TOGO : Faure Essozimna Gnassingbé (2005)
MALAWI : Peter Mutharika (2014)
ZAMBIE : Edgar Lungu (2015) 7
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par Priscilla WOLMER
« TIENS REGARDE JACQUELINE, Y’A LE MINISTRE, JEAN-LOUIS BORLOO », C’EST AINSI, DANS DES TERMES UN BRIN POPULAIRE, QUE LES FRANÇAIS IDENTIFIENT CELUI QUI FUT CINQ FOIS MINISTRE*, SANS INTERRUPTION DE 2002 À 2010. CE MICK JAGGER DE LA POLITIQUE EST DEVENU AU FIL DES ANNÉES UNE L'ANCIEN PRÉSIDENT DU PARTI RADICAL ET DE L’UNION DES DÉMOCRATES ET INDÉPENDANTS (UDI) REPRÉSENTAIT AVANT TOUT UN ESPOIR POUR REDORER LE BLASON DE CETTE FRANCE SUICIDAIRE. MANQUE DE BOL LE 30 AVRIL 2014, UNE PNEUMONIE AIGUË MET UN POINT FINAL À SA CARRIÈRE POLITIQUE ET À TOUS SES MANDATS EN COURS. MAIS QUI NE CONNAÎT PAS LE DICTON « ANIMAL POLITICUS UN JOUR, ANIMAL POLITICUS TOUJOURS… » ? LE TEMPS NOUS LE DIRA. POUR L’HEURE, JEAN-LOUIS BORLOO, FILS DE LUCIEN BORLOO, COURSIER D’ORIGINE BELGE ET DE MAURICETTE ACQUAVIVA, PRESQUE CENTENAIRE DE HAUTECORSE, A LE VENT EN POUPE. FRAIS COMME UN GARDON, IL SYMBOLISE DORÉNAVANT LA LUMIÈRE ! « QUAND ON FRÔLE LA MORT, NUL NE PEUT AVOIR PLUS DE SENS QUE LA VIE. », CONFIE-T-IL À 54 ÉTATS, EN APARTÉ. ALORS, BIEN QUE LE GOUVERNEMENT SOCIALISTE N’INCARNE PAS AVEC FORCE SA VISION DE LA POLITIQUE, C’EST AUX CÔTÉS ET AVEC LE SOUTIEN TOTAL DU PRÉSIDENT FRANÇOIS HOLLANDE QUE JEAN-LOUIS BORLOO, ENVOYÉ SPÉCIAL DE L’ÉLYSÉE POUR L’AFRIQUE, S’EN VA, AIDÉ PAR LE GÉNIE CIVIL FRANÇAIS, EN
PRÉSENTER SON PROJET D’ÉLECTRIFICATION POUR LE CONTINENT AFRICAIN. ET N’EST PAS JEANLOUIS BORLOO QUI VEUT ! EN TROIS MOIS, CE N’EST PAS MOINS DE QUARANTE CHEFS D’ÉTAT SUR LES 54 QUE COMPTE LE CONTINENT QUI LUI ONT OUVERT LES BRAS ET POUR CAUSE, « L’AFRIQUE EST EN PANNE, FAUTE D’ÉLECTRICITÉ. » CE PRO DES COUPS DE TÊTE, DRIBBLES ET TACLES, QUI UN JOUR SAUVA LE CLUB DE VALENCIENNES, LA VILLE OÙ IL FUT MAIRE, EN Y INJECTANT 500 000 EUROS, OFFICIE AU 31, RUE DE PENTHIÈVRE, SIÈGE DE SA FONDATION POUR L'ÉNERGIE EN AFRIQUE. LE PROGRAMME DE SA FONDATION BÉNÉFICIERA DE « 4 MILLIARDS D'EUROS DE SUBVENTIONS PAR AN PENDANT 12 ANS ET 200 MILLIARDS EN PRÊTS ». «SANS LUMIÈRE, PAS DE DÉMOCRATIE. L’ÉNERGIE, C’EST LA VIE ET COMMENT POURRAIT-ON VIVRE SANS CELLE-CI ? NUL ÉTAT NE PEUT SE DÉVELOPPER DANS LE NOIR », MARTÈLE-T-IL EN CONTINU SUR LES ONDES, DEPUIS SON GRAND COME-BACK. UN CONSTAT CLAIR ET INHABITUEL MAIS L’HOMME POSSÈDE CE FRANC-PARLER. UN AURA QUI A SU CHARMER SA SECONDE ÉPOUSE, LA JOURNALISTE BÉATRICE SCHÖNBERG, CÉLÈBRE VISAGE DE FRANCE 2 OÙ, JUSQU’EN MAI 2007, ELLE PRÉSENTAIT LE JOURNAL. À L’AUBE DE SES 65 ANS, JEANLOUIS BORLOO SEMBLE INDUBITABLEMENT ÊTRE « L’HOMME LUMIÈRE » ET POUR LUI QUI A POUR HABITUDE DE FIXER LE TEMPO, L’AFFAIRE SE CORSE. DANS MOINS DE SIX MOIS, C’EST LA CONFÉRENCE DES NATIONS UNIES SUR LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES À PARIS (COP21), UN COCHE À NE PAS LOUPER SI CE PROJET D’ÉLECTRIFICATION DE L’AFRIQUE VEUT, SANS JEU DE MOTS, VOIR LE JOUR ! HAUT LES CŒURS ! * Il est successivement ministre délégué à la Ville (2002-2004), ministre de l'Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale (2004-2005), ministre de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement (2005-2007), ministre de l'Économie, des Finances et de l'Emploi (2007), ministre d'État, ministre de l'Écologie (2007-2010).
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by Priscilla WOLMER
"HEY LOOK JACQUELINE, THERE’S THE MINISTER, JEAN-LOUIS BORLOO " IT IS IN THIS WAY, WITH A FAMILIAR TONE, THAT THE FRENCH IDENTIFY THE MAN WHO SERVED FIVE TIMES AS MINISTER, WITH NO BREAK IN SERVICE FROM 2002 TO 2010. THIS POLITICAL MICK JAGGER HAS BECOME FROM THIS BACKGROUND AND WITHIN THE CURRENT CONTEXT WHERE FRANCE LACKS ANY SIGNIFICANT POINT OF REFERENCE ON THE GLOBAL STAGE, THIS FACE, WHO WAS PRESIDENT OF THE RADICAL PARTY AND THE UNION OF DEMOCRATS AND INDEPENDENTS (UDI), REPRESENTS THE PEOPLE’S HOPE TO POLISH THE IMAGE OF ITS LOST COUNTRY. HARD LUCK FOR FRANCE, AN ACUTE PNEUMONIA PUT AN END TO HIS POLITICAL CAREER AND ALL OF HIS CURRENT MANDATES ON APRIL 30, 2014. BUT WHO DOESN’T KNOW THE SAYING? ONCE A POLITICIAN, ALWAYS A POLITICIAN…" ONLY TIME WILL TELL. FOR NOW, JEAN-LOUIS BORLOO, SON OF LUCIEN BORLOO, BELGIAN COURIER AND MAURICETTE ACQUAVIVA, A CORSICAN APPROACHING HER ONE HUNDREDTH BIRTHDAY, HAS WIND IN HIS SAILS. FIT AS A FIDDLE, HE NOW REPRESENTS LIGHT. "WHEN WE BRUSH UP AGAINST DEATH, NOTHING CAN HAVE MORE MEANING THAN THIS", HE CONFIDES TO 54 ÉTATS. SO, WHILE THE SOCIALIST GOVERNMENT DOES NOT EMBODY HIS POLITICAL VISION, IT IS ON THE SIDELINES, WITH TOTAL SUPPORT FROM PRESIDENT FRANÇOIS HOLLANDE, THAT JEAN-LOUIS BORLOO, SPECIAL ENVOY OF THE ELYSÉE FOR AFRICA, AIDED BY FRENCH CIVIL ENGINEERING, GOES AS
TO PRESENT HIS ACCESS TO ELECTRICITY PROJECT FOR THE AFRICAN CONTINENT. AND IT’S NOT JUST JEAN-LOUIS BORLOO WHO WANTS THIS TO HAPPEN! IN THREE MONTHS, NO LESS THAN FORTY HEADS OF STATE OVER THE 54 COUNTRIES THAT MAKE UP THE CONTINENT HAVE OPENED THEIR ARMS TO HIM IN SUPPORT OF THE CAUSE, "AFRICA IS OUT OF ORDER, NO ELECTRICITY." THIS PRO OF HEADERS, DRIBBLES AND PASSES, WHO ONE DAY IN HISTORY SAVED THE VALENCIENNES CLUB, THE CITY WHERE HE WAS MAYOR, INJECTED 500,000 EUROS TO DATE FROM 31, RUE DE PENTHIÈVRE, WHERE HIS FOUNDATION FOR ENERGY IN AFICA IS LOCATED. HIS FOUNDATION’S PROGRAM WILL BENEFIT FROM "4 BILLION EUROS IN GRANTS PER YEAR, FOR 12 YEARS, AND 200 BILLION IN LOANS". "NO LIGHT, NO DEMOCRACY. ENERGY IS LIFE. HOW CAN WE LIVE WITHOUT IT? NO COUNTRY CAN DEVELOP IN THE DARK" HE INSISTS TO THE MEDIA SINCE HIS GRAND COME-BACK. A CLEAR AND UNUSUAL OBSERVATION BUT THE MAN IS ALL ABOUT STRAIGHT-TALK. IT WAS PRECISELY THIS STRAIGHTTALK THAT CHARMED HIS SECOND WIFE, THE JOURNALIST BÉATRICE SCHÖNBERG, CELEBRATED FACE OF FRANCE 2, WHERE UP UNTIL JUNE 2007, SHE PRESENTED THE NEWS. AT THE DAWN OF HIS 65TH YEAR, JEAN-LOUIS BORLOO SEEMS TO UNDOUBTABLY BE THE MAN OF LIGHT AND FOR HIM, WHO IS USED TO SETTING THE PACE, BUSINESS SURGES ON. IN LESS THAN SIX MONTHS THE UNITED NATIONS CONFERENCE ON CLIMATE CHANGE WILL TAKE PLACE IN PARIS (COP21), AN OPPORTUNITY NOT TO BE MISSED IF THIS AFRICAN ACCESS TO ELECTRICITY PROJECT WISHES TO SEE (EXCUSE THE PUN) LIGHT OF DAY! HAVE COURAGE! *He was successively Minister of the City (2002-2004), Minister of Employment, Labor and Social Cohesion (2004-20005), Minister of Employment, Social Cohesion and Housing (2005-2007), Minister of Economy, Finance and Employment (2007) and Minister of State and Minister of Ecology (2007-2010).
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ÉLECTRICITÉ POUR TOUS UN ENJEU CRUCIAL POUR L’AVENIR DE L’AFRIQUE, DE L’EUROPE ET DE LA MÉDITERRANÉE À l’exception d’une faible partie de l’Asie du Sud-Est et de l’Inde, l’accès à l’électricité est universel, sauf en Afrique. Triste singularité du continent ! L’Afrique compte un milliard d’habitants, dont 50 % ont moins de 25 ans et 600 millions n’ont pas accès à l’électricité et à l’énergie. Horizon 2040, le continent atteindra plus de 2 milliards d’habitants. La croissance économique du continent (5 % en 2013) est liée de manière incontournable à son électrification totale. Cette électrification détermine l’accès à l’eau potable, à la santé, à l’éducation, à l’emploi, à l’agriculture, aux NTIC et, in fine, à la stabilité. Une course contre la montre est enclenchée pour que les ressources énergétiques du continent et sa puissance démographique deviennent une force et non plus un frein à sa croissance. Au-delà de la dimension humaine, cet enjeu prioritaire pour l’Afrique et ses dirigeants nécessite, d'après les experts, la mise en place d’un « plan lumière » massif, décisif, majeur et stratégique. Un défi en termes de croissance et d’équilibre territorial. C’est ce challenge que Jean-Louis Borloo propose à l’Afrique, l’Europe, la Méditerranée et le reste du monde. La démographie croissante du continent pèsera de manière dramatique, comme objet de déstabilisation massif et conflictuel. « Un exode rural s’intensifiera vers les sous-régions africaines disposant d’un niveau correct d’électrification ainsi que vers l’Europe et le bassin méditerranéen. » dixit Jean-Louis Borloo. De fait, certaines villes africaines se transformeront, impuissantes, en véritables chaudrons urbains. Quant au bassin méditerranéen et à l’Europe, l’immigration galopante – liée aux réfugiés climatiques, environnementaux, politiques et autres déplacés portés par la soif, la faim et la pauvreté – , se multipliera par vagues croissantes et davantage incontrôlables. Un partenariat « gagnant-gagnant » pourrait être soutenu autour d’un « plan lumière » où les États émetteurs de CO2 financeraient l’électrification de l’Afrique. « Le continent n’émet quasiment pas de CO2 mais est victime des conséquences du changement climatique. », informe Tumesine Rhoda Peace, commissaire africaine au changement climatique et au developpement. La gravité de l’impact du dérèglement climatique sur la vulnérabilité de l’agriculture, les sécheresses, les difficultés de l’accès à l’eau, la fréquence irrégulière des pluies, les inondations, la perturbation des écosystèmes et la déforestation sera considérable.
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ELECTRICITY FOR ALL A CRUCIAL CHALLENGE FOR THE FUTURE OF AFRICA, EUROPE AND THE MEDITERRANEAN With the exception of a small percentage of Southeast Asia and India, access to electricity is universal, except in Africa. This is a sad fact unique to the continent! Of Africa’s one billion inhabitants, 50% are under the age of 25 and 600 million have no access to electricity or energy. Looking ahead to 2040, the continent’s population is expected to swell to over 2 billion inhabitants. The continent’s economic growth (5% in 2013), is irrevocably linked to its access to electricity. This electricity will determine access to clean water, healthcare, education, employment, agriculture, IT, and ultimately, stability. A race against the time has begun to harness the continent’s energy resources and its demographic power to become a force, and not a hindrance to its growth. Beyond the human dimension, this prioritized issue for Africa and its leaders, needs a massive, decisive, and strategic "light plan" to be put into place. This is definitely a challenge in terms of growth and territorial balance. It is this challenge that Jean-Louis Borloo proposes to Africa, Europe, the Mediterranean and the rest of the world as the growing population of the continent will weigh down in a dramatic way as a massive destabilizing and divisive element. "A rural exodus will intensify towards the African sub-region, which is more developed with electrical access, as well as towards Europe and the Mediterranean basin ", according to Jean-Louis Borloo. In fact, certain African towns will helplessly transform into urban cauldrons. As for the Mediterranean basin and Europe, runaway immigration tied to political, environmental and climate change refugees and other displaced people driven by thirst, hunger and poverty will multiply in growing waves of uncontrollable numbers. A "win-win" situation could be secured around a "light plan" where CO2 emitting countries finance the access to electricity of Africa. "The continent emits practically zero CO2 but is sadly a victim of the consequences of climate change", informs Tumesine Rhoda Peace, African commissioner to climate change and development. The gravity of the impact of climate change on the vulnerability of agriculture, droughts, access to water, irregular rainfall, floods, ecosystem disruption and deforestation will be massive.
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Force est de constater que la course entre la démographie et l’installation électrique est actuellement perdue. L’objectif d’électrification projeté par les plans de développement inhérents à chaque État africain n’a pas encore été atteint pour des raisons diverses et variées. Jean-Louis Borloo ne souhaite nullement s’attarder sur les raisons politiques, militaires, économiques, culturelles ou autres qui ont freiné jusqu’ alors l’électrification du continent et cela malgré les initiatives extérieures d’aide au développement des ONG et fondations d’entreprise, et autres outils puissants contrôlés de manière multilatérale ou bilatérale par la Banque mondiale, la Banque africaine de développement (BAD), l’Agence française de développement (AFD), la Banque islamique de développement (BID) la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), et la banque allemande KfW.
LE CHAÎNON MANQUANT : L’ÉLECTRIFICATION Le plan lumière de Jean-Louis Borloo offrira une croissance de 10 à 15 % par an pendant 20 à 25 ans soit, à terme, une électrification quasi totale de l’Afrique. La mise en action de ce « plan lumière pour tous » pourrait améliorer la croissance africaine et européenne de manière simultanée. La croissance européenne gagnerait ainsi 1,5 à 2 %, d'après certaines prévisions. Pour se faire, la volonté commune et unanime des présidents africains de créer une agence de soutien au « plan lumière pour tous » est primordiale. « L’électrification de l’Afrique doit se faire par les Africains, pour les Africains, par des financements émanants des États dits développés et émetteurs de CO2 », martèle Jean-Louis Borloo. À quoi servirait une agence africaine pour l'électrification? Cette agence, en véritable « hub », permettra la convergence de tous les financements nécessaires, subventions publiques et projets rentables. Ainsi, les acteurs opérant pour favoriser l’énergie renouvelable, l’efficacité énergétique ou la remise en état des installations existantes de distribution et d’acheminement ou de production de l’électricité convergeront par l’Agence africaine pour l’électrification.
THE MISSING LINK : ACCESS TO ELECTRICITY It is clear that there is a severe disconnect between the population and the installation of electricity. The access to electricity objective proposed in the plans for inherent development in each African country has not yet been achieved for various reasons. Jean-Louis Borloo does not wish to linger over political, military, economic, cultural or other reasons that have, up until now, slowed the continent’s access to electricity despite foreign aid initiatives to develop NGO and corporate foundations, and other powerful tools controlled in a bilateral or multilateral way by the World Bank, the African Development Bank (ADB), the French Development Agency (AFD), the Islamic Development Bank (IDB), the European Bank for Reconstruction and Development (EBRD) and the German bank KFW.
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Jean-Louis Borloo’s light plan will offer growth of 10 to 15% per year over 20 years to 25 years ultimately result in near total access to electricity of Africa. The action plan of this "light for all program" could speed African and European growth simultaneously. Europe would grow, for example, by 1.5 to 2%, according to forecasts. To do this, a collective and unanimous desire from the African presidents to create a support agency for this "light program for all" is paramount. "Africa’s access to electricity must be implemented by the Africans, for the Africans, through funding coming from developed and carbon-emitting countries", as Jean-Louis Borloo puts it. What would be the purpose of an African agency for access to electricity? This agency, a true "hub", will allow the convergence of all necessary funding, public grants and profitable ventures. This way, in order to foster renewable energy and energy efficiency, the rehabilitation of existing obsolete distribution and delivery installations or electricity production, the operating stakeholders will converge at the African agency for electrification.
© Arnaud Longatte
CONCLUSION Jean-Louis
BORLOO « LA LUMIÈRE AMÈNE LA PAIX ET LA DÉMOCRATIE » “LIGHT BRINGS PEACE AND DEMOCRACY” par Alexandre BLOT LUCA
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JEAN-LOUIS BORLOO A PRÉSENTÉ EN MARS DERNIER SA FONDATION « ÉNERGIES POUR L’AFRIQUE ». RETIRÉ DE LA VIE POLITIQUE FRANÇAISE, L’ANCIEN MINISTRE DE L’ÉCOLOGIE SOUHAITE SORTIR LE CONTINENT AFRICAIN DE L’OBSCURITÉ DANS LAQUELLE IL EST PLONGÉ. RENCONTRE. 54 États : M. Borloo, vous avez présenté en mars dernier votre plan pour l’électrification de l’Afrique. D’où vous est venue l’idée d’un tel projet ? Jean-Louis Borloo (J.-L.B) : C’est avant tout une idée africaine. Depuis quelques années, les dirigeants africains ont érigé l’énergie en priorité absolue. Elle est devenue un préalable aux autres domaines que sont la santé publique, l’accès à l’eau ou encore la sécurité. On ne part donc pas de zéro. La nouveauté date véritablement de 2009 avec l’idée d’un plan systématique reposant sur une méthodologie et des moyens. Nous l’avions conçu avec l’ancien Premier ministre éthiopien Meles Zenawi, décédé depuis. En décembre 2009, l’ONU a même approuvé la mise en place d’un Fonds vert à destination des pays africains. Mais rien n’a été fait.
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LAST MARCH JEAN-LOUIS BORLOO PRESENTED HIS ENERGY FOR AFRICA FOUNDATION. RETIRED FROM FRENCH POLITICS, THE FORMER ECOLOGY MINISTER WISHES TO DELIVER THE AFRICAN CONTINENT FROM THE DARKNESS IN WHICH IT IS LOST. MEETING.
54 ÉTATS: Mr Borloo, last March you presented your plan to bring electricity to Africa. From where did the idea for such a project come? Jean-Louis Borloo (J.-L.B) : This is, above all, an African idea. For years, African leaders have identified this as an absolute priority. It became a prerequisite for other domains such as public health, access to water and even security. So, we aren’t starting from zero. The newness began in 2009 with the idea of a systematic plan based on a method and means. We designed it with the former prime minister of Ethiopia Meles Zenawi, who has since passed away. In December of that same year, the UN approved Green funds for African countries to begin. But nothing was done.
54 États : Quel est l’objectif de votre « plan Marshall pour l’Afrique » ? J.-L.B : L’objectif est d’électrifier 90 % du continent d’ici 2025, contre 30 % aujourd’hui. Tous les ans, il y a 10 millions d’Africains en plus qui n’ont pas accès à l’énergie. À ce phénomène démographique s’ajoute la percée des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Vous imaginez ces jeunes massés sur les routes à chercher de la lumière ? On a un continent où 5 zones géographiques sur 50 regroupent 87 % de la croissance et 90 % des financements internationaux au développement. C’est un déséquilibre qui n’est pas tenable. 54 États : Électrifier le continent africain va demander beaucoup de moyens financiers. Comment comptez-vous les réunir ? J.-L.B : Le problème, c’est que le pouvoir d’achat industriel, économique ou domestique en Afrique ne permet pas d’amortir les investissements de production et de distribution d’énergie. Il faut donc une part de subventions, de l’ordre de 5 milliards d’euros par an sur dix ans, pour rendre bankable le projet. L’Europe en a largement les moyens. C’est donc vers elle que nous allons nous tourner. Elle s’y est engagée de toute façon. 54 États : Après le lancement de votre fondation, la prochaine étape de votre plan est la création d’une agence africaine pour l’électrification. Quand va-t-elle sortir de terre et quel serait son rôle ? J.-L.B : Aujourd’hui, il n y a pas d’agence qui fédère les compétences. L’agence viendra en soutien des pays et des sous-régions. Ce sera une sorte de banque spécialisée, de guichet unique qui soutiendra des opérations et qui rajoutera des compléments de subventions pour concrétiser les projets. Elle sera également dotée d’un outil d’ingénierie publique d’environ 200 personnes et sera pilotée par un Africain. L’idéal serait de la réaliser avant le sommet sur le climat prévu à Paris en décembre.
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54 ÉTATS: What is the objective of your “African Marshall Plan”? J.-L.B: The objective is to bring electricity to 90 % of the continent by 2025, versus the 30 % today. Year after year, over ten million Africans are without access to energy. Add to this demographic phenomenon the breakthrough of new information and communication technologies. We are a continent where five geographic zones out of 50 account for 87 % of the growth and 90 % of the international funding for development. It is an inequality that cannot endure. 54 ÉTATS: Bringing electricity to the African continent will require a lot of financial means. How do you plan on gathering them? J.-L.B: The problem is that the industrial, economic or domestic purchasing power in Africa does not allow the depreciation of investments of production and energy distribution. So it needs a portion of the grant, of five billion euros a year over ten years, to make the project bankable. Europe has the means. So we are going to look to them. In any case, Europe is committed there. 54 ÉTATS: After the launch of your foundation, the next step of your plan is the creation of an African agency for electricity. When will this get off the ground and what will be your role? J.-L.B: Today there is no agency that brings these qualities together. The agency will come in support of countries and its regions. It will be a kind of specialized bank, of a single counter which will come to support operations and compliment the subsidies to solidify the projects. It will also be fitted with a public engineering tool of around 200 people and will be steered by an African. It would be ideal to get this established before the climate summit in Paris in December.
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54 ÉTATS: During these last few months, you met with most of the African heads of state. Do you feel genuine support from their part and a true desire to move forward?
54 États : Ces derniers mois, vous avez rencontré la majorité des chefs d’État du continent. Sentez-vous un franc soutien de leur part et une réelle volonté d’avancer ? J.-L.B : Tous les dirigeants africains sont déterminés. C’est leur projet, leur envie. Victor Hugo disait : « Une idée juste finit par s’imposer quand le moment est venu ». C’est le cas aujourd’hui et ils l’ont bien compris. 54 États : Quelle position peut endosser l’Europe dans l’électrification du continent africain ? Quelles conséquences peut-elle avoir sur l’économie européenne ? J.-L.B : C’est une opportunité incroyable. Aujourd’hui, la croissance africaine est de 5 %. Si l’on arrive à un taux d’équipement avoisinant les 80 % sur le continent, les économistes prévoient une croissance de l’ordre de 15 % sur une période de 20 à 25 ans. 10 % de croissance africaine, c’est 1,5 à 2 % de croissance en Europe. Cela pourrait permettre de créer plusieurs millions d’emplois. Si l’on n’y arrive pas, c’est la déstabilisation et le fascisme assurés avec les tensions que l’on connaît aujourd’hui. 54 États : Vous définissez l’électricité comme « l’enfant des vieilles nations ». Quel serait selon vous le visage d’une Afrique électrifiée à l’heure où elle traverse une période marquée par le terrorisme et l’insécurité ? J.-L.B : Un continent où la beauté sera aussi belle la nuit, où l’exode rural ne sera plus aussi massif car les habitants auront accès à l’eau et à l’éducation. Les femmes pourront accoucher la nuit, les enfants pourront aller à l’école. La lumière, c’est la vie. « Obscurité et obscurantisme, c’est le même mot », disait François Bozizé. La lumière amène la paix et la démocratie.
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J.-L.B: All of the African leaders are determined. It is their project, their desire. Victor Hugo said: “A just idea finally takes root when the right moment arrives”. It’s the case today and they understand that. 54 ÉTATS: What position does Europe assume in bringing electricity to the African continent? What are the possible consequences to the European economy? J.-L.B: It’s an incredible opportunity. Today African growth is 5 %. If we manage a household rate approaching 80 % on the continent, economists predict a growth of 15 % over a period of 20 to 25 years. 10 % of African growth, that’s 1.5 to 2 % of growth in Europe. That could allow for the creation of several million jobs. If we don’t get there, we will surely see destabilization and fascism with the tension that we already face today. 54 ÉTATS: You define electricity as “the child of old nations”. Describe your vision of an Africa with electricity at a time when the continent is transitioning through a period marked by terrorism and insecurity? J.-L.B: A continent whose beauty will also be beautiful in the night, where the rural exodus will no longer be as massive because its inhabitants will have access to water and education. The women will be able deliver their babies at night, the children will be able to go to school. Light is life. “Darkness and obscurity, it’s the same word”, said François Bozizé. Light brings peace and democracy.
UN PARI OSÉ ! , il avait dit : s de son ami Meles Zenawi Émotion. En 2009, aux côté enhague « va dans le Cop de met som le », « Sans initiative forte à l’Afrique jamais, il garantit aujourd’hui mur ». Plus convaincu que Un pari osé ! ale. tion sna tran taxe une un financement pérenne via , sans lui, nt contraints d’admettre que Ceux qui le critiquent sero d’essayer. En Éthiopie, ite mér le ns moi au a Il rien ne changera. la célèbre l avait effectuée en haut de lors d’une visite spirituelle qu’i ir vu « des avo ent, urem écœ c ave t église orthodoxe, il racontai bois jusqu’à 40 kilos et marcher de omplir femmes porter des fagots mesure de la tâche à acc plus de 20 kilomètres, une Très enthousiastes, les . e » tiqu rgé éne nce vers l’indépenda is Sassou Ali Bongo Ondimba, Den présidents de la CEEAC Idriss Déby Itno et o sog Mba ema Ngu e met, au Nguesso, Teodoro Obiang uis Borloo, lors du 16 som avaient validé avec Jean-Lo courageusement par l’homme. ée Tchad, fin mai, l’initiative port e sommet de peu avant la tenue du 25 Dans une suite logique, un se battait pour loo Bor uis n-Lo Jea urg, l’Union africaine à Johannesb la CEDEAO, d’État de la CEEAC et de imposer auprès des chefs était de leur e l’idé t, effe En son projet. la déclaration solennelle de er par les ministres des port faire la de et nt ume faire signer ce doc Sud, mais és le 11 juin, en Afrique du Affaires étrangères dépêch toutes les grin cha de u pea à it rédu a l'affaire Omar el-Béchir/CPI ! s aléa ses et vie la Ah, questions à l'ordre du jour... continue et é par Jean-Louis Borloo Pour autant, le projet port agone possède les Hex « L’ . déjà uit réjo s'en sports, l'économie française du monde : eau, déchets tran et de plus grands énergéticiens e liqu pub nce ssa pui la e de nucléaire. C’est l’allianc rgétique iers… ». En clair, ce pari éne l’inspiration des arts et mét pour les Africains. Et qui que is nça Fra les r pou nt est aussi importa réchauffer le ça participera peut-être à sait ? Si tout cela aboutit, en 2017. En e land Hol is nço Fra ire réél inue le cœur des Français pour e qui réveille l’emploi et dim vers effet, une économie reboosté ant tend s urne des s lléger le poid chômage ne pourrait qu’a une droite extrême.
Emotion. In 2009, alongside his friend Meles Zenawi, he had said: "Without strong initiative", the Copenhagen Summit "is going nowhere". More convinced than ever, he guaranteed today in Africa long term financing by way of a transnational tax. A daring gamble! Those who criticize him will have to admit that without him, nothing will change. He at least deserves to try. In Ethiopia, at a spiritual visit that he had made on top of the famous Orthodox Church, he explained with disgust, having seen "women carrying bundles of wood weighing up to 40 kilos and walking more than 20 kilometers, a measured task to complete towards energy independence". Very enthusiastic, the CEEAC presidents : Ali Bongo Ondimba, Denis Sassou Nguesso, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, Idriss Deby Itno, had nonetheless validated the initiative courageously brought by Jean-Louis Borloo to the 16th summit in Chad at the end of May. As a logical consequence, a bit before the gathering of the 25th African Union Summit in Johannesburg, Jean-Louis Borloo fought to get the heads of state of the ECCAS and ECOWAS on board for his project. The idea was to get them to sign the solemn declaration and have it carried by the dispatched ministers of foreign affairs on June 11 in South Africa, but the Omar el-Béchir/ICC case overshadowed all items on the day’s agenda… an unexpected turn of events! However, Jean-Louis Borloo’s project marches on and the French economy is already getting excited about it. "France has the greatest energy operators in the world: water, waste transport, nuclear. It is the alliance of public power and the inspiration of engineering… ". In other words, this energetic gamble is as important for the French as it is for the Africans. And who knows? If all of this goes through, it could perhaps play a role in softening the French to re-elect François Hollande in 2017. A rebooted economy that wakes up employment and reduces unemployment can only shift the weight of the ballot boxes leaning towards the extreme-right. Special report translated by Rachel Wong 17
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« LES AFRICAINS DOIVENT SE DÉTACHER DES SCHÈMES DE L’AFRO-PESSIMISME POUR ŒUVRER À LA PROMOTION D’UN IDÉAL POLITIQUE PROPRE AU CONTINENT AFRICAIN »
"AFRICANS MUST BREAK AWAY FROM THE STIGMA OF AFRO-PESSIMISM AND WORK TO PROMOTE THEIR OWN, SPECIFIC, POLITICAL IDEALS FOR AFRICA"
Rodrigue Nana Ngassam, doctorant en études internationales à l’université de Douala (Cameroun), chercheur associé au Groupe de recherche sur le parlementarisme et la démocratie en Afrique (GREPDA), chercheur associé à la Société africaine de géopolitique et d’études stratégiques (SAGES) et membre étudiant de la Société québécoise de droit international (SQDI).
Nana Ngassam Rodrigue, a Ph.D. student in International Studies at Douala University (Cameroon), research fellow at GREDPA (Research Group on Parliamentarianism and Democracy in Africa), research fellow at the African Society of Geopolitical and Geostrategic Studies (SAGES) and student member of SQDI (Quebec Society of International Law).
L’AGENDA POLITIQUE AFRICAIN 2015-2018 SOUS LE PRISME DE L’AGENDA ÉLECTORAL
THE INFLUENCE OF THE ELECTORAL AGENDA ON THE 2015-2018 AFRICAN POLITICAL AGENDA
UN PASSÉ COLONIAL PRÉSENT
THE IMPACT OF COLONIAL LEGACY ON PRESENT-DAY AFRICA
Les strates successives d’expériences de participation et de compétitions politiques en Afrique sont le produit des pratiques précoloniales. Celles-ci ont tracé une voie qui délimite les trajectoires potentielles de la démocratie électorale en Afrique. Sauf que ces legs n’ont pas tous le même degré d’influence car leurs effets sur la liberté de manœuvre postindépendance ont été variables en intensité et en orientation. Au maximum, l’influence du passé colonial en Afrique a donné la direction et déterminé les choix des processus électoraux de la période postcoloniale. Pris dans ce sens, il n’est pas superflu de dire qu’il demeure toujours difficile et coûteux de se démarquer du modèle colonial. Le système colonial a été purement et simplement perverti par des élections incohérentes, trahissant au minimum un chevauchement entre l’ingérence démocratique et la problématique de la légitimité des gouvernants, en passant par la fragilité du processus démocratique et la contestation du verdict des urnes.
The consecutive, step-by-step experiences in relation to participation and political competition in Africa are the product of pre-colonial practices. They traced the path that has defined the potential trajectories of electoral democracy in Africa. However, these legacies do not all have the same degree of influence as their effects on the freedom of manoeuvre following independence have proved to vary in intensity and orientation. At most, the influence of Africa’s colonial past steered the course and determined the choice regarding the electoral processes of the post-colonial period. Given the context, and to be quite frank, it is still difficult and expensive to break away from the colonial model. The colonial system was purely and simply perverted by inconsistent elections, betraying, at the very least, the overlapping between democratic interference and the issue of the legitimacy of governments, via the fragility of the democratic process and the contestation of election results. 19
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DES TENDANCES RÉGIONALES DIFFÉRENCIÉES
DIFFERENT REGIONAL LEANINGS
Celles-ci sont différentes selon les pays, qu’il s’agisse de l’enracinement local de la culture de l’alternance politique ou de l’évaluation de son effectivité. En Afrique francophone, les consultations électorales se sont banalisées dans la quasi-totalité des États. Les élections ne vont pas nécessairement de pair avec des changements de pouvoir ou une libéralisation politique, ou même encore avec une grande stabilité politique. Dans certains États de cette zone comme le Cameroun, l’Algérie, le Tchad où l’État de droit est limité, la modification des règles constitutionnelles est allée de pair avec des fraudes électorales, le choix des systèmes électoraux et des modes de scrutin, le contrôle de la validation des résultats, l’instrumentalisation d’une démocratie factice. Dans les pays africains anglophones et lusophones, on constate une nette amélioration des processus électoraux par rapport aux années antérieures, même si le virus de la fraude y garde toujours une force indéniable. La voie à suivre est indiquée par le noyau dur des pays africains qu’on retrouve en haut des classements reconnus en matière de démocratie et de bonne gouvernance : Cap-Vert, Afrique du Sud, Ghana, Namibie, Zambie, Botswana, île Maurice, Seychelles, Lesotho. Dans ces États, le système électoral a évolué de manière progressive et avisée dans le cadre d’institutions nationales indépendantes, neutres et impartiales. La mise en place d’institutions fortes à la place des hommes forts a permis de garantir un équilibre entre la compétition et l’ordre, la participation et la stabilité, la contestation et le consensus. Par ailleurs, la dernière élection présidentielle au Nigeria qui a vu la victoire de Muhammadu Buhari sur Goodluck Jonathan est un signal fort au reste des chefs d’États africains qui envisagent de se maintenir au pouvoir contre le gré des dispositions constitutionnelles librement consenties. Cette perspective concerne également ceux qui organisent les élections pour ne pas les perdre. Á l’évidence, la qualité de l’expérience électorale nigériane signifie au minimum que la démocratie continue à gagner du terrain dans les esprits, malgré les performances contrastées de quelques pays africains dans les domaines du développement économique et social, voire de la stabilité politique et de la sécurité des populations.
They are different in different countries and depend on the importance of local cultural heritage, political change or the assessment of its effectiveness. In French-speaking Africa, elections have become commonplace in almost every State. Elections do not necessarily go hand in hand with changes in power or political liberalization, or even with great political stability. In some French-speaking countries, like Cameroon, Algeria, Chad, where the rule of law is limited, the change in constitutional rules has been associated with electoral fraud, the choice of electoral and voting systems, the control of the validation of the results, the instrumentalisation of an artificial democracy. In English-speaking and Portuguese-speaking African countries, a significant improvement of electoral processes has been observed over the past years, even though fraud remains rife. The hard core of African countries that can be found in the top rankings of those that have been recognized for their democracy and correct governance are setting the example by leading the way: Cape Verde, South Africa, Ghana, Namibia, Zambia, Botswana, Mauritius, Seychelles, Lesotho. The electoral system in these States has evolved gradually and sensibly within the framework of independent, neutral and impartial national institutions. The establishment of strong institutions instead of strong men has helped ensure a balance between competition and order, participation and stability, challenges and consensus. Furthermore, the last presidential election in Nigeria, which saw the victory of Muhammadu Buhari over Goodluck Jonathan, is a strong signal to the rest of the African leaders whose aim is to stay in power against the will of consensual constitutional provisions. This prospect also concerns those who organize elections in order not to lose. Obviously, the quality of the Nigerian electoral experience means that democracy is, at least, continuing to gain ground in public opinion, despite the mixed performances of some African countries in the areas of economic and social development and even political stability and human security.
Rodrigue Nana Ngassam, auteur de : « Insécurité aux frontières du Cameroun », Études, n°4203, Mars 2014, p. 7-16. « La Menace de Boko Haram », Géopolitique Africaine, n°52 Troisième trimestre 2014, 03 Novembre 2014, p. 147-157. « Le Cameroun sous la menace de Boko Haram », in Le Monde Diplomatique, n° 730, janvier 2015, p. 12-13. « Élections présidentielles au Nigeria : Les enjeux du scrutin », Revue Défense Nationale, Tribune n° 610, 05 Février 2015, p. 1-6.
Rodrigue Nana Ngassam, author of: « Insécurité aux frontières du Cameroun », Études, n°4203, Mars 2014, p. 7-16. « La Menace de Boko Haram », Géopolitique Africaine, n°52 Troisième trimestre 2014, 03 Novembre 2014, p. 147-157. « Le Cameroun sous la menace de Boko Haram », in Le Monde Diplomatique, n° 730, janvier 2015, p. 12-13. « Élections présidentielles au Nigeria : Les enjeux du scrutin », Revue Défense Nationale, Tribune n° 610, 05 Février 2015, p. 1-6.
UNE DÉMOCRATIE ÉLECTORALE À RECULONS Les États africains se sont résolument engagés à travers l’Union africaine (UA) à instaurer la gouvernance démocratique et la paix en Afrique. Á cet effet, les 54 États membres de l’Union africaine ont adopté des instruments importants relatifs à la paix, à la démocratie et à des élections crédibles. Si la tenue d’élections est importante, il est tout aussi crucial de faire en sorte que les processus électoraux soient sous-tendus par une culture d’élections transparentes et démocratiques, mais aussi par des groupes dynamiques de la société civile jouant le rôle d’opposition. Et c’est là le fond du problème. Les États africains ont du mal à s’arrimer aux standards internationaux, tout en peinant à s’approprier les principes fondamentaux de la démocratie électorale. Les circonstances dans lesquelles les élections sont tenues doivent évoluer. Il devient quasi impératif de mettre en place des institutions appropriées, des organismes indépendants et impartiaux chargés de la gestion des élections, et de garantir l’implication des partis politiques et des organisations de la société civile à toutes les étapes du processus électoral. De même, la question de la limitation du nombre de mandats présidentiels constitue aussi, un autre levier sérieux pour accélérer la démocratisation du continent africain. Ce n’est qu’après de tels changements que l’on pourra espérer une évolution des pratiques de gouvernance démocratique en Afrique.
UN RENOUVEAU DÉMOCRATIQUE À CONQUÉRIR Je dirais que cela représente un défi pour les États africains. Ces élections constituent une étape importante pour la renaissance politique de l’Afrique. Et elles pourraient ouvrir une nouvelle période comme le fut celle de l’instauration du multipartisme entre 1990 et 1993. Ceci dit, les Africains doivent se détacher des schèmes de l’afro-pessimisme pour œuvrer à la promotion d’un idéal politique propre au continent africain. Il est temps de mettre un terme à plusieurs années d’effondrement de l’État et de démentir les clichés faisant de l’Afrique un continent allergique à la démocratie. L’échec est donc à exorciser, sous peine de faire marche arrière ou de retomber, plus encore dans les travers du passé, 50 ans après les indépendances.
AN ELECTORAL DEMOCRACY LACKING IN MOMENTUM African states are strongly committed, via the African Union (AU), to establishing democratic governance and peace in Africa. For this purpose, the 54 member states of the African Union have adopted important instruments relating to peace, democracy and credible elections. It is not only important to hold elections ; it is equally crucial to ensure that electoral processes are underpinned by a culture of transparent and democratic elections, as well as by dynamic, civil society groups acting as the opposition. And this is the crux of the problem. African states are having difficulty aligning themselves with international standards, while also struggling to assume the principles of electoral democracy. The circumstances in which elections are held must change. It has become almost essential to establish appropriate institutions, independent and impartial bodies to manage the elections and to ensure the involvement of political parties and organizations of civil society at every stage of the electoral process. Similarly, the question of limiting the number of presidential terms also constitutes another important catalyst for accelerating the democratization of Africa. It is only after such changes that we shall be able to hope for an evolution of democratic governance practices in Africa.
RESTORING DEMOCRACY
Nana NGASSAM RODRIGUE
I would say that it is a challenge for African states. These elections are an important step in the political renewal of Africa and one which could mark the start of a new period, as did the establishment of a multi-party between 1990 and 1993. That being said, Africans must break away from the stigma of Afro-pessimism and work to promote their own, specific, political ideals for Africa. It is time to put an end to years of State collapse and to prove that the image of Africa as a continent that is averse to democracy is a misrepresentation. There is no room for failure, otherwise there is the risk of regression and even reversion to past errors, 50 years after independence. Translation from French : Susan Allen Maurin
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APRÈS LUI, C’EST LUI ? AFTER HIM, IT'S HIM? par Arnaud LONGATTE
ALPHA CONDÉ, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DE GUINÉE CONAKRY AU POUVOIR DEPUIS 2010
« APRÈS LUI, C’EST LUI ». C’EST TOUT SIMPLEMENT LE SLOGAN AFFICHÉ DANS LES RUES DE CONAKRY POUR LA RÉÉLECTION DU PRÉSIDENT. COMME S’IL N’ÉTAIT PAS NÉCESSAIRE DE LE NOMMER. UNE ÉVIDENCE QUI NE FAIT PAS L’UNANIMITÉ, CAR LE BRAS DE FER AVEC L’OPPOSITION A PROVOQUÉ DE MULTIPLES TENSIONS DANS LE PAYS DEPUIS QUELQUES MOIS. MALGRÉ TOUT, DANS LA PERSPECTIVE DE L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE PRÉVUE EN OCTOBRE PROCHAIN, L’ACTUEL PRÉSIDENT FAIT FIGURE DE GRAND FAVORI.
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"AFTER HIM, IT’S HIM". THIS IS THE SIMPLE SLOGAN POSTED ALL OVER THE STREETS OF CONAKRY FOR THE RE-ELECTION OF THE PRESIDENT. AS IF IT WERE UNNECESSARY TO NOMINATE HIM. SENTIMENTS WHICH ARE NOT UNIVERSALLY ACCEPTED, BECAUSE FOR MONTHS THE STRONG-ARM TACTICS FROM THE OPPOSITION HAS BEEN PROVOKING TENSION IN THE COUNTRY. DESPITE ALL, FOR THE ANTICIPATED ELECTION NEXT OCTOBER, THE CURRENT PRESIDENT IS THE FIRM FAVORITE.
L’accession au pouvoir du « professeur » Alpha Condé a été un parcours difficile. Il prend part à la première élection multipartite du pays en 1993, après trente ans de régime autoritaire. Il est vaincu par le président Lansana Conté, alors même que les observateurs dénoncent un climat de fraude. Lors des élections suivantes en 1998, il se présente à nouveau mais se fait arrêter et emprisonner avant la fin du scrutin. Cette détention se maintiendra pendant plus de vingt mois et suscitera de vives protestations sur la scène internationale. Amnesty international dénonce alors une violation des droits de l’homme et Alpha Condé reçoit aussi le soutien de chefs de diplomatie étrangers. Jacques Chirac, alors pensionnaire de l'Élysée, ainsi que de nombreux autres présidents, demandent officiellement sa libération. Une chanson du chanteur Tiken Jah Fakoly, au titre de Libérez Alpha Condé, devient l’hymne des prisonniers politiques africains. Il est finalement libéré le 18 mai 2001, dans le cadre d’une grâce présidentielle. Il se lance alors dans une action politique visant le retour à un pouvoir civil et la tenue d’élections libres et transparentes. C’est en février 2010 qu’il annonce de nouveau qu’il est candidat pour les élections de juin. Arrivé en deuxième position du premier tour, avec 18 % des voix, il finit par l’emporter au deuxième tour, par l’entremise d’un report des voix rocambolesques avec 52,52 % des votes et il est investit président de la République de Guinée le 21 décembre 2010. En référence à son emprisonnement, il ambitionne de devenir le « Mandela de la Guinée » et promet d’unifier et de développer le pays.
The rise to power of "professor" Alpha Condé was a difficult journey. He took part in the first multi-party election of the country in 1993, after thirty years of authoritarian rule. He was defeated by President Lansana Conté, even though observers denounced it as fraudulent. During the following elections in 1998, he ran again but was arrested and imprisoned before the voting ended. This detention would continue for more than twenty months and sparked huge protests on the international scene. Amnesty International denounced it as a violation of human rights and Condé also received support from heads of foreign diplomacy. Jacques Chirac, then French Head of State, as well as numerous other presidents, officially demanded his release. A song by singer Tiken Jah Fakoly, titled Release Alpha Condé, has become an anthem for African political prisoners. He was finally released on May 18, 2001, in a presidential pardon. He then threw himself into political action with a view to return to civil power and free and fair elections. In February 2010, he announced again his candidacy for the June elections. Coming in second after the first round, with 18 % of the votes, he ended up in the second round, with 52 % of the votes and he was inaugurated as president of the Republic of Guinea on December 21, 2010. In reference to his imprisonment, he aspires to become the "Mandela of Guinea" and promises to unite and develop the country. 23
À la veille de l’élection présidentielle qui devrait avoir lieu en octobre prochain, l’heure est venue de faire le bilan du premier mandat d’Alpha Condé en tant que président. Celui-ci est mitigé. En effet, depuis 2011, des manifestations de l’opposition ont été réprimées très durement, faisant une cinquantaine de victimes. C’est ainsi que le président a reçu fin mai le chef de file de l’opposition, Cellou Dalein Diallo, du parti Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), afin de renouer le dialogue et surtout de mettre un terme à la crise politique qui secoue le pays depuis plusieurs mois.
On the eve of the presidential election which should take place next October, the time has come to reflect on Alpha Condé first term as president. And opinion is mixed. Since 2011, opposition demonstrations were harshly suppressed, resulting in fifty-odd victims. It was in this way that the president received at the end of May the opposition leader Cellou Dalein Diallo, from the Union of Democratic Forces of Guinea (UFDG), in order to renew dialogue and above all to bring an end to the political crisis that has been gripping the country for several months.
D’autre part, l’apparition du virus Ebola en Guinée a ralenti la croissance du pays : selon la Banque mondiale, s'établissant autour de 2,3 % au début de l’épidémie, le taux de croissance tombera à 1,3 %. Les prévisions pour 2015 tablent toutefois sur une croissance annuelle à 4,1 %. En outre, l’inflation, qui était galopante – autour de 21,5 % en 2010 – finira par retomber à environ 9,3 % fin 2014. Faisant écho à l’une de ses déclarations où Alpha Condé avait dit aux dirigeants africains que « L’Afrique est assise sur une bombe prête à éclater à tout moment et cette bombe, c’est la jeunesse », le gouvernement guinéen a lancé au mois de mai une grande consultation nationale auprès de la jeunesse, intitulée « Nos jeunes ont du talent ». Cette initiative est une première en Afrique. Les jeunes Guinéens de 15 à 35 ans sont ainsi interrogés dans tout le pays, mais aussi ceux de la diaspora, pour rendre compte de leurs souhaits, de leurs revendications et doléances. Une façon de « libérer la parole des jeunes » et d’entendre ce qu’ils ont à dire. Cette consultation devrait être suivie de mesures prises par l’État guinéen pour répondre à ces attentes, lesquelles ne pourront pas être toutes exaucées comme l'ont tempéré les membres du gouvernement lors de la conférence de lancement en précisant qu’il s’agissait tout d’abord de connaître les desideratas de la jeunesse.
On the other hand, the appearance of the Ebola virus in Guinea has slowed the growth of the country: according to the World Bank, while the rate of growth was about 2.3 % at the moment of the outbreak, it fell to 1.3 %. The 2015 forecasts still call for an annual growth of up to 4.1 %. Furthermore, inflation, which was soaring– around 21.5 % in 2010 – ended up dropping again to around 9.3 % at the close of 2014. Echoing one of Alpha Condé’s statements which was delivered to African leaders that "Africa is sitting on a bomb that is ready to explode at any moment, and this bomb is youth", the Guinean government launched in May a large national consultation on youth, titled "Our young people have talent" . It should be noted that this initiative is the first in Africa. Young Guineans age 15-35 within the country are addressed, but also addressed are those of the disapora, to take into account their wishes, demands and grievances. It is a way of getting the young people to speak out and understanding what they have to say. This consultation should be followed by measures taken by the Guinean government to respond to these expectations. However, at the launching conference, members of the government clarified that first of all they would like to examine the wishes of the young people and that Guinea could not respond to all of their expectations.
UNE PRIORITÉ : EBOLA Le président Alpha Condé a choisi la lutte contre le virus Ebola comme priorité absolue. Il multiplie en effet les déplacements à l’étranger afin de trouver toujours plus d’aide afin d’éradiquer cette terrible maladie. À ce jour, la Banque mondiale a débloqué une enveloppe de 46 millions de dollars et le FMI, lui, a déboursé 41 millions de dollars au titre de l’aide d’urgence. La BAD a également mis la main à la poche, avec l’octroi d’un montant de 825 millions de dollars en faveur des trois pays les plus touchés par l ‘épidémie, dont la Guinée. Pour le président Alpha Condé : « le virus Ebola a dévasté le système de santé mais a mis aussi notre économie à genoux ». C’est ce qui justifie à ses yeux que la lutte contre l’épidémie, ainsi que la relance de l’économie soient ses principaux objectifs d’ici l’échéance de l’élection, prévue en octobre.
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Dans un pays où, de sources officielles, 60 % de la jeunesse est sans emploi, la principale exigence sera sans doute de trouver un travail. Un membre de l’ONG « Guinée d’avenir », Balde Mauraden, voudrait que l’État s’occupe des jeunes diplômés sans emploi. Selon lui, « nous sommes formés mais laissés face à ce problème de l’emploi ». Une jeune étudiante de Conakry, Safiatou, « voudrait bien qu’il y ait des résultats. Il y a des projets qui attirent l’attention, mais après on n’en entend plus parler ». Interrogé par 54 États, le ministre guinéen de la Jeunesse Moustapha Naïté a toutefois précisé que l’emploi n’est pas le seul besoin des jeunes et que parfois ils voudraient « simplement disposer d’outils mieux adaptés pour travailler sur les champs ou pour la pêche ». C’est ainsi que se présente la dernière ligne droite en vue de l’élection du prochain président de la Guinée. Entre lutte contre le virus Ebola, apaisement des tensions et dialogues avec l’opposition, relance de l’économie et communication institutionnelle, le président Alpha Condé a un calendrier bien chargé. Dans la mesure où il n’a effectué qu’un seul mandat de cinq ans, que les violences occasionnées lors de manifestations n’ont pas atteint un seuil d’intolérance pour la communauté internationale, il n’est rien qui pourrait rétrécir l’autoroute qui se présente devant l’actuel président en vue de sa réélection. Mais, sait-on jamais…
In a country where, from official sources, 60 % of the young people are unemployed, the main request will be without a doubt to find a job. A member of the NGO "Guinea of the Future", Balde Mauraden, would like the country to take care of young unemployed graduates. According to him, "we are educated but left facing an employment problem" A young student from Conakry, Safiatou, " would really like for there to be results. There are projects that are getting a lot of attention, but afterwards we never hear about them anymore". Questioned by 54 États, the Guinean minister of youth Moustapha Naïté nevertheless pointed out that employment is not the young people’s only need and that sometimes they would like "simply to have better adapted tools with which to work in the fields or to fish". This is how we reach the final stage of the election of the next president of Guinea. Between fighting against the Ebola virus, appeasing the tension and dialogue with the opposition, jumpstarting the economy and institutional communication, President Alpha Condé has a packed agenda. And yet, considering he has served only one term during the five years and that occasional violence from demonstrations have not pushed the threshold of tolerance for the international community, the path to re-election looks wide and clear. But, one never knows… Translation from French: Rachel Wong
A PRIORITY: EBOLA President Alpha Condé has chosen the fight against the Ebola virus as his number one priority. He is increasing his trips abroad in order to find even more aid in eradicating this terrible disease. To date, the World Bank has made available 46 million dollars and the FMI, has contributed 41 million dollars towards emergency aid. The BAD has also dug deep into its pockets with a grant of 825 million dollars for the three most affected countries including Guinea. For President Alpha Condé: "the Ebola virus has devastated the health system but also brought our economy to its knees". This is what justifies in his eyes the fight against the epidemic as well as the revival of the economy being the main objectives from now until the election deadline, scheduled in October.
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CÔTE D’IVOIRE,
une présidentielle sous haute tension a tense presidential election par Alexandre BLOT LUCA
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Cinq ans après l’élection mouvementée d’Alassane Ouattara, la Côte d’Ivoire s’apprête à revivre une nouvelle fièvre électorale en octobre prochain. Mais le pays est-il vraiment prêt pour ce nouveau test ? Éléments de réponse.
It’s been five years since the rocky election of Alassane Ouattara, and the Côte d’Ivoire is ready to relive a new electoral fever next October. But is the country really ready for this new test? Possible answers.
Confortablement installé dans son bureau du Palais du Plateau à Abidjan, Alassane Ouattara peut envisager l’avenir avec sérénité. Sauf surprise, il devrait conserver son fauteuil présidentiel pour un nouveau mandat de cinq ans lors des élections d’octobre prochain. Une échéance aux allures de test que certains opposants considèrent de fait comme une mascarade électorale, dans un pays encore traumatisé par les événements de 2010. « Comment peut-on organiser des élections quand il y a encore 850 prisonniers politiques et qu’un peu plus de 3000 personnes sont en exil », s’insurge ainsi Stéphane Kipré, président de l’Union des nouvelles générations.
Comfortably seated in his office in the Presidential Palace of the Plateau in Abidjan, Alassane Ouattara can envision the future in peace. No surprise, he should hold on to his presidency for another five-year term at the election next October; a tense timeline which certain opponents view as an electoral masquerade, in a country still reeling from the events of 2010. "How can we organize an election when there are still 850 political prisoners and a little over 3000 people in exile" protests Stéphane Kipré, president of the Union of New Generations.
Estimant que la Côte d’Ivoire « va droit dans le mur », l’homme d’affaires reconverti en politique jure que les « dés sont pipés dès le départ. Il est impossible de faire campagne, de tenir des meetings et d’aller dans les territoires acquis au président ». Il dénonce les supposées manœuvres politiciennes du camp Ouattara : « La Commission électorale indépendante, qui est à la base de la crise de 2010, est complètement acquise à Ouattara. On ne peut également pas aller à une élection lorsque le président du Conseil constitutionnel est remplacé six mois avant par un partisan du pouvoir en place. » (ndlr : Francis Wodié, en place depuis juillet 2011, a démissionné. Il a été remplacé par Mamadou Koné, précédemment président de la Cour suprême et réputé proche de Ouattara)
Gauging that the Côte d’Ivoire "is up against a wall", the former businessman swears that "the deck is stacked from the beginning. It’s impossible to run a campaign, to hold meetings and go to the territories acquired by the president". He denounces the alleged political maneuvers of the Ouattara camp: "The Independent Electoral Commission, which is at the base of the 2010 crisis, is completely owned by Ouattara. We cannot head into an election when the president of the Constitutional Council is replaced six months before the election by a political supporter of the established power." (ed : Francis Wodié, who held the role from July 2011, resigned. He was replaced by Mamadou Koné, previously president of the Supreme Court and reputed to be close to Ouattara).
Sauver le soldat Gbagbo Si l’ombre et l’influence de Laurent Gbagbo plane assurément sur ce jeune homme de 35 ans aujourd’hui en exil, ses arguments sont révélateurs de la situation tendue qui prévaut encore dans le pays. Le lancement en mai dernier d’une Coalition nationale pour le changement composée de treize figures politiques ivoiriennes, parmi lesquelles l’ancien président de l’Assemblée nationale Mamadou Koulibaly ou encore l’ex-Premier ministre Charles Konan Banny, en est l’illustration. Exigeant « la libération des prisonniers politiques, notamment du président Laurent Gbagbo », cette nouvelle formation n’a pas encore désigné de candidats pour la présidentielle. Elle souhaite avant tout « dire au gouvernement qu’il va falloir négocier les conditions » des élections comme l’a déclaré M. Koulibaly à la presse, ce dernier assurant : « Nous sommes (…) pour des élections transparentes, nous ne sommes pas contre quelqu’un. »
Alassane Ouattara, président de la République de Côte d’Ivoire depuis 2011
Save the soldier Gbagbo If Laurent Gbagbo’s shadow and influence hover assuredly over this young man of 35 years today in exile, his arguments are revealing of the tense situation that still prevails in the country. Last May, the launch of the National Coalition for Change composed of thirteen Ivorian political figures, among them the former president of the National Assembly Mamadou Koulibaly and the ex-Prime Minister Charles Konan Banny. Demanding "the liberation of political prisoners, notably of President Laurent Gbagbo", this new formation has not yet designated presidential candidates. Above all it wishes to "tell the government that it will need to negotiate the conditions" of the elections as Mr. Koulibaly declared to the press "We are (…) for transparent elections, we are not against anyone."
Laurent Gbagbo, ex-président de la République de Côte d’Ivoire
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Dans cette campagne, un leitmotiv revient sans cesse dans la bouche de milliers d’Ivoiriens : la libération de Laurent Gbagbo. Emprisonné depuis quatre ans à La Haye, l’ancien homme fort du pays peut toujours compter sur cette rancœur, tenace, qu’entretiennent ses soutiens à l’encontre de l'actuel président. Cet antagonisme entre Gbagbo et Ouattara, dont le point culminant est la guerre électorale que se sont livrés les deux protagonistes en 2010, dépasse les simples influences politiques et repose avant tout sur des rivalités régionales historiques. « C’est un ressentiment qui remonte à très loin, confirme Jean-Pierre Dozon, anthropologue spécialiste de l’Afrique. Pendant la période coloniale, une partie de l’Ouest du pays a été mise à l’écart. Laurent Gbagbo représentait la revanche de ces gens-là, mais il n’a pas su en tirer partie pour se hisser au dessus de la mêlée ». Divisée tant intrinsèquement que politiquement, la Côte d’Ivoire semble assise sur des braises prêtes à s’enflammer à la moindre étincelle. Conscient de cette situation, Alassane Ouattara a d’ores et déjà promis qu’il quitterait son poste au terme de son deuxième mandat si d’aventure il est réélu. À moins qu’une majorité d’électeurs n’en décide autrement et précipite un peu plus tôt que prévu le départ de l’ancien membre du FMI. Réponse fin octobre.
In this campaign, one motto is on the lips of thousands of Ivorians: the liberation of Laurent Gbagbo. Imprisoned for the past four years in La Haye, the former leader of the country can always count on this resentment and tenacity that feeds his supporters against the newly-elected president. This antagonism between Gbagbo and Ouattara, which culminated in the electoral war carried out in 2010, surpasses simple political influences and rests above all on historic regional rivalries. "It’s a resentment that goes way back, confirms Jean-Pierre Dozon, an anthropologist specializing in Africa. During the colonial period, a western part of the country was excluded. Laurent Gbagbo represents the retaliation of these people, but he has not managed to fully take advantage of this to rise above the rest". Intrinsically divided as well as politically, the Côte d’Ivoire seems sat on embers ready to burst into flames at the slightest spark. Conscious of this situation, Alassane Ouattara is reacting swiftly and has already promised that he will reign from his position at the end of his second term in the event that he is re-elected, unless a majority of voters do not decide otherwise and hasten the departure of the former FMI member a little earlier than expected. We will have an answer at the end of October. Translation from French: Rachel Wong
Le FPI miné par les divisions
The FPI is weakened by divisions
Depuis la chute de son fondateur et symbole, il est bien difficile de déterminer qui dirige vraiment le Front populaire ivoirien (FPI). Si Laurent Gbagbo tente toujours d’assumer son rôle de cadre depuis sa prison de Scheveningen, certains membres du parti se verraient bien calife à la place du calife. À quelques mois de la présidentielle, le parti fondé en 1982 a bien désigné un candidat unique en la personne de Pascal Affi N’Guessan lors d’un congrès qui s’est déroulé en mai dernier. Seule personne en lice, l’ancien ministre de l’Économie, de l’Industrie et des Finances a déclaré qu’il acceptait cette mission non pas par choix, mais par devoir. « Mon premier devoir c’est de continuer la lutte pour que Laurent Gbagbo retrouve la liberté [mais] aussi de donner une espérance à la Côte d’Ivoire. » Mais cette nomination parvient mal à cacher les dissensions internes que doit affronter le parti. Depuis plusieurs mois, deux camps s’affrontent sur le plan politique et judiciaire : les partisans de Laurent Gbagbo, qui ont fait de sa libération une condition sine qua non à la participation aux élections et l’ont même désigné comme leur candidat, et les soutiens de Pascal Affi N’Guessan, bien décidés à mener leur leader jusqu’à l’échéance finale. La formation d’une nouvelle coalition de l’opposition, avec laquelle certaines pontes du parti n’excluent pas de nouer des alliances, ne devrait rien arranger. Depuis sa cellule, Laurent Gbagbo doit bien regretter le temps où il était le leader incontesté et incontestable de son parti.
Since the decline of its founder and symbol, it is difficult to determine who really leads the Ivorian Popular Front (FPI). If Laurent Gbagbo is still trying to assume his executive role from prison in La Haye, certain members of his party will be hoping to take the leading part away from the true leader. A few months away from the presidential election, the party founded in 1982 has found a unique candidate in Pascal Affi N’Guessan at a convention that took place last May. The only candidate in the running, the former minister of economy, industry and finance declared that he accepted this mission not by choice, but because of duty. "My first duty will be to continue the fight for Laurent Gbagbo’s freedom [but] also to bring hope to the Côte d’Ivoire." But this nomination has a hard time hiding the internal friction that the party faces. For several months, two camps have been competing against each other on the political and judicial plan: Laurent Gbagbo supporters, who have made his freedom a condition sine qua non in the participation in the elections and even designated him as their candidate, and the Pascal Affi N’Guessan supporters, committed to leading their candidate to the final date. The formation of a new coalition of the opposition, with which certain big players of the party do not hold back from making alliances, should not sort anything out. From his golden cage, Laurent Gbagbo must really regret the time when he was the undisputed and indisputable leader of his party.
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QUID DU 3e MANDAT PRÉSIDENTIEL AUX PAYS AUX MILLE COLLINES © Alexandre Blot Luca
par Sandra WOLMER
CES DEUX NATIONS ONT EN COMMUN UNE FRONTIÈRE, UNE COMPOSITION ETHNIQUE (HUTU, TUTSI), UNE LANGUE (LE KINYARWANDA ET LE KIRUNDI SONT PARENTS PROCHES), UNE FORTE DENSITÉ DE POPULATION, UN PASSÉ COLONIAL (SOUS TUTELLE ALLEMANDE PUIS BELGE), UNE RELIGION (À DOMINANTE CHRÉTIENNE), DES ÉVÈNEMENTS DE TRISTE MÉMOIRE GÉNÉRÉS PAR L’EXACERBATION DE CLIVAGES POLITICO-ETHNIQUES ET DES CONSTITUTIONS QUI INTERDISENT À LEURS PRÉSIDENTS SORTANTS DE BRIGUER UN TROISIÈME MANDAT. MAIS ALORS QU’AU RWANDA, L’ALTERNANCE AU POUVOIR SEMBLE PERÇUE À LA QUASI-UNANIMITÉ COMME CRÉATRICE DE CHAOS, LA NON-ALTERNANCE A D’ORES ET DÉJÀ PLONGÉ LE BURUNDI DANS DES ÉPISODES DE VIOLENCE. ZOOM SUR CETTE FAUSSE GÉMELLITÉ.
BURUNDI LE MANDAT DE LA DISCORDE Le pays des mille et une collines vit une grave crise politique depuis le 26 avril 2015, date à laquelle Pierre Nkurunziza a officiellement été investi par son parti, le Conseil national pour la défense de la démocratie–forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), comme candidat à l'élection présidentielle. Contre l’avis de la société civile de Bujumbura, des membres de son propre camp, de l’Église catholique, de ses partenaires extérieurs, de la communauté internationale, l’homme a décidé de ne pas renoncer à ce troisième et dernier mandat. Une obstination assurément aveugle. 30
WHAT ABOUT THE THIRD PRESIDENTIAL TERM IN THE LAND OF A THOUSAND HILLS?
by Sandra WOLMER
THESE TWO NATIONS HAVE MANY ASPECTS IN COMMON INCLUDING: A BORDER, AN ETHNIC COMPOSITION (HUTU, TUTSI), A LANGUAGE (KINYARWANDA AND KIRUNDI ARE CLOSELY RELATED), A DENSE POPULATION, A COLONIAL PAST (UNDER GERMAN THEN BELGIAN RULE), A RELIGION (MAINLY CHRISTIAN), TRAUMATIC EVENTS CAUSED BY THE EXACERBATION OF POLITICAL AND ETHNIC DIVIDES AND CONSTITUTIONS WHICH FORBID THEIR OUTGOING PRESIDENTS TO RUN FOR A THIRD TERM. BUT WHILE IN RWANDA, THE ALTERNATION IN POWER IS QUASIUNANIMOUSLY PERCEIVED AS THE CREATOR OF CHAOS, THE NON-ALTERNATION ALREADY PLUNGED BURUNDI INTO EPISODES OF VIOLENCE. A CLOSER LOOK AT THE FALSE PAIRING OF THESE TWO COUNTRIES.
BURUNDI THE TERM OF DISCORD The Land of a Thousand and One Hills has been experiencing a serious crisis since April 26th, 2015, when Pierre Nkurunziza was officially entrusted by his party, the National Council for the Defense of Democracy - Forces for the Defense of Democracy (CNDD-FDD), as candidate for the presidential election in June. Against the opinion of Bujumbura’s civil society, members of his own camp, the Roman Catholic Church, his external partners and the international community, the man decided not to renounce his third and last term. His is a serious case of blind ambition.
DU DÉVERROUILLAGE CONSTITUTIONNEL Dès 2014, Pierre Nkurunziza soumet à l’Assemblée nationale un projet de révision constitutionnelle qui, contre toute attente, sera retoqué. Qu’à cela ne tienne ! Ses partisans martèlent alors que ce dernier ayant été élu en 2005 conformément à un mandat spécial au suffrage universel indirect et non pas au scrutin direct comme en 2010, la limitation énoncée par la Constitution ne lui serait pas applicable. Ce qui lui permettrait de disputer une troisième course à la présidentielle. Saisie sur ce point, la Cour constitutionnelle burundaise valide officiellement sa candidature le 5 mai 2015. Il n’en fallait pas plus pas moins pour provoquer l’ire immédiate des opposants, lesquels crient à une inféodation au pouvoir en place et intensifient leur mobilisation pour contraindre le président sortant à renoncer. Mais le terme renoncement sied-il à cet ancien maquisard qui va jusqu’à ignorer l’esprit et la lettre des Accords d’Arusha (lesquels énoncent « Nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels »), dont s’inspire l’actuelle Constitution burundaise. Lesdits accords, dont la signature avait été obtenue en 2000 à l’arrachée par Nelson Mandela, ont marqué la fin de la guerre civile entre la majorité hutu (85 %) et la minorité tutsi (14 %) longtemps au pouvoir qui ravagea le pays de 1993 à 2006 (plus de 300 000 morts) et ont consacré le principe d’un partage ethnique du pouvoir. Assurément, l’homme ne brille que par son entêtement et semble vouloir jouer son va-tout en troquant l’appropriation du pouvoir contre la dégradation de la situation sécuritaire.
CONSTITUTIONAL UNLOCKING From 2014, Pierre Nkurunziza submits a project of constitutional revision to the National Assembly, which contrary to all expectations, will be rejected. Even so, his supporters hammer that while the latter have been elected in 2005 in accordance with a special mandate in the indirect universal suffrage and not by direct vote as in 2010, the limitation expressed by the constitution would not be applicable to him. Which would allow him to dispute a third presidential race. In reference to this point, the Burundian Constitutional Court adjudicated on this issue by officially validating his candidacy on the 5th of May, 2015. Nor more and no less was needed to provoke immediate wrath from the opponents who declared it pandering to the power in place and who intensify their movement to oblige the outgoing president to renounce his candidacy. But does the term renunciation really apply to a man who goes as far as ignoring the spirit of the Arusha Accords (which testify "No one can hold more than two presidential terms"), which guides the current Burundian constitution. The signature for the aforementioned agreements had been difficultly obtained by Nelson Mandela in 2000, which marked the end of the civil war between the Hutu majority (85 %) and the Tutsi minority (14 %). The latter had been in power for a long time, a power which ravaged the country from 1993 until 2006 (more than 300 000 deaths) and established the principle of an ethnic sharing of power. Certainly, the man shines only from his stubbornness and seems to want to stake everything on exchanging the appropriation of power for the degrading security situation. 31
DE L’ENLISEMENT DE LA CRISE En effet, depuis le 26 avril, la capitale burundaise est devenue le théâtre quotidien de manifestations ternies par le nombre croissant de morts et de blessés. La répression s’y accentue (coupure des trois radios publiques, suspension des émissions politiques, blocage des réseaux sociaux, fermeture d’universités…) au point de laisser craindre le pire comme le soulignait il y a quelques semaines au micro de France 24 Gratien Rukindikiza, du rassemblement de la diaspora burundaise en France « Le Burundi se trouve avec les Imbonerakure (ndlr : jeunes militants du parti du chef de l’État) dans une situation prégénocidaire. Il faut le dire ce qui se prépare au Burundi, c’est catastrophique ! ». L’ONU porte à plus de 100 000 le nombre de Burundais à s’être réfugiés par crainte des violences et mesures répressives au Rwanda, en RDC ou en Tanzanie… Lesquels observent, non sans inquiétude, la situation de ce voisin susceptible de devenir le facteur de déstabilisation de tout un espace émergent économiquement. Ces troubles ne sont pas non plus sans faire ressurgir le spectre d’évènements de triste mémoire. À ceci près que la contestation ne se situe plus sur un plan ethnique, Hutu comme Tutsi venant grossir les rangs des contestataires, mais politique comme l’indique le journaliste-photographe burundais Teddy Mazina : « Pour le moment, il n’y a pas d’ethnisme. Le parti au pouvoir a essayé d’ethniciser et de tenir un discours en disant que les Tutsi étaient ceux qui ne voulaient pas d’un troisième mandat et voulaient récupérer le pouvoir. Mais la population n’y croit pas (…) la majorité des gens dans la rue ne sont pas des Tutsi. Ce sont des gens qui vivent dans les mêmes quartiers, qui ont les mêmes problèmes et qui ont la même aversion de cette idée de troisième mandat ».
STAGNATION OF THE CRISIS Since April 26th, the Burundian capital became the scene of daily demonstrations, stained by the increasing number of wounded and dead people. This highlights repression (blocking three public radio stations, blocking social networks, the closure of universities...) to the point of creating fears for the worst as was highlighted a few weeks ago to France 24 by Gratien Rukindikiza, of the Gathering of the Burundian Diaspora in France, emphasizes: "Burundi finds itself with Imbonerakure (editor’s note: young activists from the presidential party) in a pre-genocidal situation. It is necessary to say that what is coming to Burundi, is catastrophic!" The UN reports more than 100,000 Burundians have already taken refuge, for fear of violence and repressive measures, in Rwanda, in the DRC or in Tanzania … who observe, with concern, that their neighbors’ situation is susceptible of becoming a destabilization factor within the space of emerging economically. Its troubles are a reminder of the tragic events of the past, except that the dispute is no longer based on ethnicity, (Hutu and Tutsi make up protesters), but now it’s political as indicated by the Burundian journalist-photographer Teddy Mazina: "At the moment, there is no ethnicity." The party in power tried to blame it on ethnicity by saying that the Tutsi did not want a third term because they wanted to take back the power. But the population does not believe it (…) the majority of people in the street are not Tutsi. It is people who live in the same areas, who have the same problems and who have the same aversion of this idea of a third term."
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PRÉSIDENTIELLES RWANDAISES : IRA OU N’IRA PAS ? Accès à l’éducation, développement des infrastructures, lutte contre la corruption, augmentation des revenus, réduction des inégalités fondées sur le sexe, promotion des énergies durables... En 15 ans, Paul Kagamé aura réussi le tour de force de transformer son pays sorti exsangue et traumatisé du génocide de 1994 (800 000 morts parmi la minorité Tutsi selon l’ONU) en un modèle économique africain. La constitution empêchant l’homme fort du pays de se représenter aux élections de 2017, une seule et unique question anime de nombreux esprits : qu’adviendra-t-il du Rwanda en l’absence de Paul Kagamé ? Ce dernier a botté en touche en affirmant « 2017, c'est l'affaire du peuple ». Réponse certes laconique mais suffisamment éloquente pour permettre à ses détracteurs d’y voir une ouverture à un amendement constitutionnel par voie référendaire et une stratégie de préservation d’un monopartisme démocratique acquis au Front patriotique rwandais (FPR). Dans un climat préélectoral, particulier, marqué par la disparition ou le décès d’opposants, des voix s’élèvent pour dire que ce petit pays d’Afrique de l’Est qui peut de se targuer de véritables exploits économiques, parachèverait son redressement en opérant un virage politique plus démocratique. Rendez-vous pris en 2017 au pays des mille collines.
DU CLIMAT POLITIQUE… APAISÉ ?
A PEACEFUL POLITICAL CLIMATE?
Dans un contexte si agité, la perspective de tenue d'élections « pacifiques, transparentes, inclusives et crédibles » semble s’éloigner. Une éventualité qui préoccupe d’ailleurs depuis des mois la communauté internationale, laquelle aura d’ailleurs dépêché sur place des envoyés spéciaux. Mais Union européenne comme ONU ont fini par baisser les bras en mettant respectivement un terme à leur mission d’observation et de promotion du dialogue entre gouvernement et opposition. L’assassinat de Zedi Feruzi, chef de file du parti burundais de l’opposition, Union pour la paix et le développement (UPD) Zigamibanga, et de son garde du corps le 23 mai à Bujumbura ne sera pas allé non plus dans le sens d’un apaisement. Un meurtre somme toute symptomatique de l’ostracisme dans lequel est plongée l’opposition : obstacles à la conduite de la campagne, à l’enregistrement des candidats, exil, emprisonnement, assassinat des contestataires… Difficile dans ces conditions de trouver une place sur l’échiquier politique burundais.
Within such a turbulent context, the prospect of holding "peaceful, transparent, inclusive and credible" elections seem to recede. A future possibility that has been a concern for the international community for months, that will also hasten special envoys. The European Union, like the UN, respectively, has given up on ending its mission of observation and promotiom of dialogue between the government and the opposition. The assassination of Zedi Feruzi, leader of a Burundian opposition party, Union for Peace and Development UPD Zigamibanga, and of his bodyguard on the 23rd of May in Bujumbura is certainly not reassuring. An assassination symptomatic of the ostracism in which the political opposition is immersed. It is difficult to find a place in the Burundian political scene when faced with obstacles to run campaigns such as the registration of candidates and the exile, the detention and assassination of opponents.
Si consécutivement aux recommandations du sommet des chefs l’État d’Afrique de l’Est sur la crise burundaise (qui s’est d’ailleurs déroulé en l’absence du principal intéressé), un nouveau calendrier électoral reportant les législatives et communales au 29 juin et la présidentielle au 15 juillet a été adopté, pour autant l’embellissement polico-démocratique rêvé est loin de se concrétiser. Le pays semble tout droit se diriger vers ce que Thierry Vircoulon, directeur pour l'Afrique centrale de l'International Crisis Group et auteur d'un rapport sur la situation au Burundi, appelle un « pourrissement politique ». Ce qu’atteste le refus du pouvoir de revenir sur la question de la légitimité du troisième mandat. Ce que corrobore le boycott des législatives et de la présidentielle annoncé par les partis d’opposition. Ce que confirme la non prise en compte des demandes de reprise de dialogue entre les parties et de fixation consensuelle du calendrier électoral exprimées par l’Union africaine lors de son 25e sommet à Johannesburg.
Following the recommendations of the summit of the East Africa heads of state on the Burundian crisis (which has taken place in the absence of a key player), a new electoral calendar indicating the legislative and municipal news on June 29 and the presidential election on July 15 was adopted, so long as the fruition of the political-deomcratic dream is far off.The country seems to be heading straight towards what Thierry Vircoulon, director for Central Africa’s International Crisis Group, and author of a report on the situation in Burundi, calls "political decay." This is attested by the refusal of the power to reconsider the question of legitimacy of a third presidential term. This is supported by the boycott of legislation and of the presidential election announced by the opposition parties. This is confirmed by the exclusion of requests to restart dialogue between the parties and of the consensual setting of an electoral calendar expressed by the African Union at its 25th summit in Johannesburg.
À l’heure où la population africaine exprime son ras-le-bol quant à la volonté de ses présidents de se maintenir aux plus hautes fonctions à vie, Pierre Nkurunziza a choisi vaille que vaille de partir à l’assaut de ce troisième mandat. Tant pis pour les Accords d’Arusha fondateurs de la paix burundaise et de l’actuelle Constitution, tant pis pour la stabilité régionale à commencer par celle de son propre pays. Quid de l’intérêt du peuple, de la nation, de l’ouverture politique et démocratique ? S.E.M. Dieudonné Ndabarushimana, ambassadeur du Burundi en France, confiait tout récemment à l’équipe de 54 ÉTATS regretter la publication de rapports tendant, selon lui, à diaboliser le gouvernement du Burundi et à façonner négativement l’opinion internationale et régionale. Et d’ajouter : « Dans tous les cas le dialogue et les urnes restent les meilleures voies pour pouvoir sortir de cette impasse. (…) Nous espérons qu’avec toutes les initiatives régionales et internationales, des Nations unies et des communautés sous-régionales, que l’on puisse quand même aboutir le plus rapidement possible à une voie de sortie, à ouvrir le dialogue et à maintenir ce qu’il faut maintenir, c’est-à-dire la nation et la continuité des institutions ». Dont acte.
At a time when the African population is sick and tired of presidents remaining in the highest positions for life, Pierre Nkurunziza chose somehow to leave at the onset of this third term. Too bad for the Arusha Accords, founders of the Burundian peace and current constitution, too bad for the regional stability to begin with the stability of its own country. What about the interest of the people, the nation, and political and democratic openness? S.E.M. Dieudonné Ndabarushimana, ambassador of Burundi in France, confided everything recently to the 54 ÉTATS team regretting the publication of reports that seem, to him, to demonize the Burunian government and negatively shape international and regional opinion. He adds: "In all cases, the dialogues and the polls remain the best paths to be able to move past this impasse. (…) We hope that with all the regional and international initiatives, from the United Nations and the sub-regional communities, that we can find as quickly as possible a way out, to open up dialogue and maintain what we need to maintain, which is to say the nation and the continuity of institutions". Noted. Translation from French: Nadine Visagie Last minute modifications: Rachel Wong 33
GABON ALI LE MAL-AIMÉ
ALI THE UNPOPULAR par Arnaud LONGATTE
© Wikimédia
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ALI BONGO TIENT LES RÊNES DU GABON DEPUIS 2009. SUCCESSEUR DE SON PÈRE OMAR, QUI PRÉSIDA À LA DESTINÉE DU PAYS PENDANT 42 ANS, LE « FILS DE » SE CONFRONTERA AUX URNES L’ANNÉE PROCHAINE. LA PRÉSIDENTIELLE DE 2016 ? POUR CERTAINS, ELLE EST DÉJÀ JOUÉE. MAIS LE BILAN DE BONGO EST PLUS QUE MITIGÉ ET LE PAYS A VU SON ÉCONOMIE SE FRAGILISER, TANDIS QU’UNE CONTESTATION, ÉTOUFFÉE DANS L’ŒUF, PEINE À SE FAIRE ENTENDRE. ENFIN, LE PRÉSIDENT EST AUJOURD’HUI AUX PRISES AVEC DES « AFFAIRES » QUI FONT SCANDALE, ENTACHANT TOUJOURS PLUS L’IMAGE D’UN HOMME QUI PERD PEU À PEU TOUTE LA LÉGITIMITÉ QUE LUI AURA LÉGUÉE FEU SON PÈRE.
ALI BONGO HAS HELD THE REINS OF GABON SINCE 2009. SUCCESSOR TO HIS FATHER OMAR, WHO PRESIDED OVER THE DESTINY OF THE COUNTRY FOR 42 YEARS, THE SON WILL CONFRONT THE POLLS NEXT YEAR. WHAT WILL BE THE OUTCOME OF THE 2016 ELECTION? FOR SOME, IT IS ALREADY DECIDED. BUT ALI’S RATING IS MORE THAN MIXED AND THE COUNTRY SAW ITS ECONOMY WEAKEN, AND A CONTESTATION, THWARTED AT AN EARLY STAGE, BARELY MAKES ITSELF HEARD. FINALLY, THE PRESIDENT IS TODAY DEALING WITH SOME "BUSINESS" THAT IS CAUSING QUITE A SCANDAL, FURTHER STAINING THE IMAGE OF A MAN LOSING, LITTLE BY LITTLE, ALL THE LEGITIMACY THAT HE WILL INHERIT FROM HIS FATHER.
Sorti vainqueur d’une élection contestée, Ali avait fait la promesse de grands travaux, de faire naître un « Gabon émergent ». Son chantier pharaonique de marina, à Libreville, le mal-nommé « champ triomphal » d’une superficie de 42 hectares et au budget titanesque de (seulement) 450 millions d’euros, s’est vu rebaptisé ironiquement en « dune du Pilat » par les Gabonais de la diaspora, en référence à la plus haute dune d’Europe – entendez par là que le chantier, à l’arrêt, avec ses monticules de sable et de blocs de ciment, fait maintenant partie du paysage.
Emerged as the victor of a disputed election, Ali had made the promise of major projects, of delivering an "emerging Gabon". His draconian marina project, in Libreville, the poorly named « triumphal field » of 42 hectares and mammoth budget of (only) 450 million euros, was ironically re-christened as "Pilat’s dune" by the diaspora people of Gabon, in reference to the tallest dune in Europe–understanding that from then on, the site, on hold, with its mounds of sand and blocks of cement, has become a part of the permanent landscape.
Le mandat présidentiel d’Ali Bongo touche à sa fin et n’a pas suscité l’engouement escompté. Bien au contraire, les espoirs de tout un peuple sont déçus. Pire : il semblerait que la situation du Gabon s’est dégradée depuis l’accession au pouvoir du président. Le pays regorge pourtant de richesses naturelles et sa population, d’à peine plus d’un million et demi d’habitants, n’arrive toujours pas à se nourrir correctement. En outre, le bilan économique du pays est tragique. En cause, la chute des prix du pétrole, qui a grevé le budget de l’État, mais aussi et surtout une gestion catastrophique des deniers publics. Résultat : les caisses de l’État sont désespérément vides et l’économie gabonaise est arrivée pratiquement en cessation de paiement. Le gouvernement a d’ailleurs émis en septembre dernier un emprunt obligataire pour tenter de maintenir l’équilibre financier du pays.
Ali Bongo’s presidential term is reaching its end and it did not manage to exceed expectations. On the contrary, the people were left rather disappointed. Even worse: it would seem that the situation in Gabon has degraded since the president took office. The country still contains plenty of untapped natural resources and the population, barely 1.5 million inhabitants, still does not manage to properly feed itself. Furthermore, the country’s economic report is tragic. Specifically, the plummeting oil prices, which have burdened the country’s budget, but also catastrophic management of public funds. Result: The national treasury is desperately empty and the economy of Gabon is just about unable to make its payments. The government furthermore issued last September a bond loan to try to maintain the country’s financial stability.
LES CAISSES DE L’ÉTAT SONT
© Bruno Ben MOUBAMBA
DÉSESPÉRÉMENT VIDES
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La légitimité d’Ali mise à mal
Ali’s undermined legitimacy
Pour compléter ce tableau, déjà sombre, des « affaires » viennent encore écorner l’image de ce président. Les médias français ont fait des « révélations » sulfureuses à son sujet. Le très polémique Mediapart a notamment publié un rapport qui accuse directement le président de détourner les fonds publics du Gabon par l’entremise d’une société de participation, la holding Delta Synergie, et dont il serait l’un des principaux bénéficiaires. Plusieurs émissions télévisées en France ont également mis au jour le train de vie royal de la famille Bongo, qui dépense des millions en divertissements. Le président Ali Bongo est en quête d’une légitimité qu’il a du mal à trouver auprès des Gabonais. Le poids du long règne de feu son père Omar semble peser assez lourdement sur ses épaules. Charismatique, respecté bien que craint, Omar Bongo était considéré comme le « père de la nation », ce que ne peut pas prétendre son fils Ali. Lors des événements tragiques de Charlie Hebdo en France, il avait demandé à être placé en tête de cortège, comme s’il était encore en quête d’une certaine reconnaissance.
To complete the painting, already gloomy, some "business" is surfacing to tarnish the image of the president. French media have made dizzying "discoveries" on this subject. The very controversial Mediapart has notably published a report that directly accuses the president of misappropriating Gabon public funds by means of a participating corporation, the Delta Synergie holding, of which he would be one of the main beneficiaries. Many television programs in France have also highlighted the lifestyle of the royal family Bongo, which allocates millions for their entertainment. The president Ali Bongo is seeking a legitimacy which is lacking in the eyes of the people of Gabon. The heft of the long reign of his father Omar seems to weigh heavily on his shoulders. Charismatic and respected although feared, Omar Bongo was considered the "father of the nation", something that cannot be said about his son Ali. During the tragic events of Charlie Hebdo in France, he had asked to be put at the head of the procession, as if he were still searching for a certain recognition.
Récemment, le décès de l’opposant André Mba Obame et ses obsèques à Libreville, en avril dernier ont suscité une vive émotion dans le pays. En effet, il était considéré par les Gabonais comme le « président élu ». Candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2009 – dont les résultats ont été vivement contestés – et gravement malade, il avait dû abandonner sa carrière politique. Une marée humaine est venue lui rendre hommage lors d’une marche le jour de ses funérailles. Une manière silencieuse qu’ont eue les Gabonais de montrer à Ali Bongo le peu d’estime qu’ils ont de lui. « Le mécontentement est global », soupire une étudiante gabonaise de la diaspora dont la famille est restée au pays. « On est fatigués du clan Bongo. Les Gabonais attendent de leur président qu’il fasse son travail correctement et ce n’est pas le cas d’Ali », précise-t-elle.
Recently, the death of the opposing André Mba Obame and his funeral in Libreville last April have sparked great emotion in the country. Indeed, he was considered by the people of Gabon to be the "elected president ". Unlucky candidate at the 2009 presidential election– whose results were heavily contested– and deeply ill, he had to abandon his political career. A human tide arrived to pay homage to him in a march on the day of his funeral. A silent way that the people of Gabon used to show Ali Bongo the little respect that they have for him. "Discontent is global", sighs one student from the Gabon diaspora whose family stayed in the country. "We are tired of the Bongos. The people of Gabon expect their president to do his job properly and this is not the case for Ali", he explains.
« ON A LE SENTIMENT QU’ALI
BONGO NOUS TIENT EN OTAGE »
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"WE FEEL LIKE ALI BONGO IS HOLDING US HOSTAGE"
© Rob Whittaker
En effet, alors qu’il avait promis à plus ou moins long terme pour chaque province un hôpital et une université, rien n’a été fait. La principale université du pays – la faculté Omar Bongo de Libreville – est dans un état déplorable. « C’est une poubelle vivante, des cochons s’y promènent en toute liberté et les chambres des étudiants sont de véritables capharnaüms », raconte encore un autre Gabonais. On peut toutefois reconnaître que, dans le cadre de sa politique, Ali Bongo a réalisé un certain nombre de projets, dont le « Gabon vert », qui consistait à mettre en avant les parcs nationaux, de même que le plan « Gabon industrie », qui a permis de faire en sorte que le bois gabonais soit transformé dans le pays.
Although he had promised, in the more or less long term, a hospital and a university for each province, nothing has been done. The main university of the country– the Omar Bongo University– is in a sad state. "It is a living garbage dump, pigs freely roam all over it and the classrooms are in total shambles", says another resident of Gabon. We can nonetheless acknowledge that, in terms of his foreign policy, Ali Bongo has realized a certain number of projects, such as "Green Gabon", which consisted of pushing forward national parks, and even the "Gabon industry" program, which ensured a Gabon forest to be transformed in the country.
« L’économie du Gabon est clouée au sol, à l’image de la compagnie Gabon airlines, mise en liquidation en 2013 » "L’économie du Gabon est clouée au sol, à l’image de la compagnie Gabon airlines, mise en liquidation en 2013"
© Wikimédia
Quand on interroge cette jeunesse sur ses intentions de vote, la réponse est sans appel : « Les Gabonais n’iront pas voter. Il n’y a aucune confiance dans les institutions ni dans les candidats, martèle-t-elle. On pense qu’Ali va rester, mais on aimerait que cela change, on aimerait qu’il parte. On a le sentiment qu’Ali Bongo nous tient en otage », entend-on encore.
When we speak to the young people about their voting intentions, they respond: "The people of Gabon will not come out to vote. We have no confidence in the institution nor the candidates, they say. We think that Ali is going to remain, but we would like that to change, we’d like him to leave. We feel like Ali Bongo is holding us hostage", they say.
L’opposant nouvellement déclaré Jean Ping (ancien président de la commission de l'Union africaine), lorsqu’il affirme que l’élection présidentielle de 2016 est jouée d’avance et que l’actuel président sera, de toute manière, proclamé gagnant, menace de s’y opposer « par tous les moyens ». Mais les Gabonais n’ont pas la culture des armes et il est peu probable qu’un soulèvement vienne changer la donne. Pour le peuple gabonais, le seul moyen reste encore les urnes. Encore faut-il que des élections véritablement transparentes soient organisées. Sans parler du manque de crédibilité de cette obscure opposition. Pour cela, une assistance de la communauté internationale pourrait être une aide salutaire, à condition qu’elle puisse accompagner efficacement le processus électoral.
The opposing party has nominated Jean Ping (ex-chairman of the African Union Commission), who affirms that the 2016 election is already decided and the actual president will be, in any event, proclaimed the victor, and threatens to oppose him "by all means". But the people of Gabon do not have a gun culture and it is very likely that an uprising will erupt to change the story. For the people of Gabon, the only way left is the polls. Still, the elections must be truly transparent and organized. Not to mention the lack of credibility of this obscure opposition. For that, international community assistance could be a healthy help, on the condition that it would effectively usher through the electoral process.
L’alternance surgira-t-elle au détour des urnes ? Comment Ali Bongo, le mal-aimé, pourra-t-il trouver la légitimité lors d’un second mandat, alors même qu’il a déjà beaucoup déçu depuis qu’il est président. Seul le temps nous le dira.
Is change waiting at the polls? How will Ali Bongo, the unpopular one, find the legitimacy for a second term when he has already caused so much disappointment since taking office? Only time will tell. Translation from French: Rachel Wong 37
par Hervé PUGI
FERS DE LANCE DE CE QUE L’ON A APPELÉ EN 2011 LE « PRINTEMPS ARABE », L’ÉGYPTE ET LA TUNISIE ONT POURTANT CONNU DEPUIS DES TRAJECTOIRES OPPOSÉES. POUR REVENIR SUR CES DESTINS SINGULIERS, NOUS AVONS DEMANDÉ À HATEM M’RAD, PROFESSEUR DE SCIENCE POLITIQUE À LA FACULTÉ DES SCIENCES JURIDIQUES, POLITIQUES ET SOCIALES DE TUNIS, DE DÉCRYPTER LE PASSÉ, LE PRÉSENT ET – POURQUOI PAS ? – LE FUTUR DE CES PAYS…
SPEARHEADS IN WHAT IS KNOWN AS THE “ARAB SPRING” OF 2011, EGYPT AND TUNISIA, IN THE PAST, HAVE TRAVELED OPPOSING TRACKS. REFLECTING BACK, WE ASKED HATEM M’RAD, PROFESSOR OF POLITICAL SCIENCE AT THE FACULTY OF JUDICIAL, POLITICAL AND SOCIAL SCIENCES OF TUNIS TO DECIPHER THE PAST AND PRESENT OF THESE COUNTRIES AS WELL AS GLIMPSE INTO THEIR FUTURES… © Zeinab Mohamed
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54 ÉTATS : Quatre ans après les soulèvements en Égypte et Tunisie, ces États ont suivi des chemins radicalement différents. Transition démocratique d’un côté contre retour à une autocratie militaire de l’autre. Ces scénarios vous semblaient-ils prévisibles ? Hatem M'Rad (H. M.) : Je crois en toute honnêteté que nul ne pouvait les prévoir avec précision. Les révolutions tunisienne et égyptienne ont été soudaines, elles ont surpris tous les observateurs. On sait maintenant avec un peu de recul que le point fort de la Tunisie, c’est le caractère civil de l’État et semi-séculier de la société mais aussi la mentalité réformiste, le pacifisme, le pragmatisme. D’ailleurs, la lutte pour la démocratie a toujours été le fait des organisations civiles. Les islamistes, peu populaires en Tunisie pour leurs procédés violents, avaient peu d’influence. Par contre, le point central de l’Égypte, c’est l’armée et le poids des islamistes dans la société. La Tunisie n’a pas une tradition militaire. Elle n’est pas un pays de front. Elle a toujours défendu la légalité internationale. En revanche, l’Égypte est une puissance régionale qui a toujours eu son mot à dire dans les conflits régionaux. L’armée fait dans ce pays la politique et elle l’a toujours fait. Depuis le coup d’État de Nasser, l’Égypte se veut le gendarme de la région. Par ailleurs, la véritable menace islamiste, en quantité et en qualité, existe beaucoup plus en Égypte qu’en Tunisie. Pour toutes ces raisons, on pouvait craindre le retour en force de l’armée dans une Égypte qui a essentiellement été gouvernée par des militaires. On pouvait aussi penser que la révolution serait irréversible et, après l’élection de Morsi, que le pays irait vers plus de démocratie. Ce ne fut pas le cas.
© Globovison
54 ÉTATS: Four years after the uprisings in Egypt and Tunisia, these countries diverged to radically different paths. Democratic transition for one and a military autocracy for the other. Were these predictable scenarios? Hatem M'Rad (H.M.): I believe in all honesty that no one could have accurately foreseen this. The Tunisian and Egyptian revolutions were sudden, they surprised everyone. Taking a step back we now know that the strong point in Tunisia is the civil character of the country and the semi-secularism of the society, but also the reformist mentality, pacifism and pragmatism. Elsewhere, the battle for democracy has always been fought by civil organizations. Islamists, not very popular in Tunisia due to their violent methods, hold little influence. On the other hand, the central point in Egypt is the army and the weight of Islamists in society. Tunisia does not have a military tradition. It is not a battlefront country. It has always defended international law. In contrast, Egypt is a regional power and has always had a say in regional conflicts. The army wields political power in this country and always has. Since Nasser’s coup, Egypt wants to police the region. Furthermore, Islamist threat, in quantity and quality, exists much more in Egypt than in Tunisia. For these reasons, we can fear the return of the army in Egypt, which is essentially governed by soldiers, in full force. But, we could also have speculated that the revolution would be irreversible and after the election of Morsi, that the country would lean more toward democracy. This proved not the case.
© Amine Ghrabi
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54 ÉTATS : La société civile tunisienne semble avoir joué un rôle de contrepoids face aux risques de dérive, notamment lors de l’arrivée au pouvoir d’Ennahdha. Est-ce votre sentiment ? H. M. : La société civile a contrebalancé la majorité islamiste après l’élection de la Constituante en octobre 2011 et elle continue à jouer ce rôle encore aujourd’hui face au gouvernement de coalition, du moins lorsque l’occasion s’y prête. Elle a pratiqué une résistance musclée parce qu’elle a constaté que la majorité à l’Assemblée nationale constituante tendait progressivement à introduire une islamisation rampante dans la société à travers des pratiques et réformes parcellaires. Le tout clôturé par les assassinats politiques, notamment de Lotfi Nagdh, Mohamed Brahmi et Chokri Belaïd. C’est la société civile qui a poussé Ennahdha, en l’absence d’un grand parti de l’opposition à ce moment-là, à abandonner la charia comme source normative dans la Constitution, l’idée du Conseil supérieur islamique ou celle déroutante de complémentarité de la femme. Elle l’a encore poussé à adopter les principes de l’État civil, de la liberté de conscience mais aussi à renforcer les libertés publiques et la neutralité des mosquées. Elle a donc joué un rôle historique à inscrire dans la mémoire collective du pays.
54 ÉTATS: Tunisian civil society seems to have played a counterbalancing role given the risks of abuse, notably since Ennahdha has come into power. Do you agree? H.M.: Civil society offset the Islamist majority after the Constituent election in October 2011 and it continues to play this role today facing the coalition government, at least when the opportunity arises. It displayed strong resistance because it found that the majority of the national constituent assembly was introducing a rampant Islamic extremism in society through practices and fragmented reforms. Everything closed after the political assassinations, notably of Lotfi Nagdh, Mohamed Brahmi and Chokri Belaïd. Civil society pushed Ennahdha, in the absence of a large opposition party at the time, to abandon Sharia law as a prescriptive source in the constitution, the Islamic superior council idea of women’s complementarity. It pushed again to adopt the principle of a civil state, of freedom of conscience, but also to reinforce the public liberties and neutrality of the mosques. It has played a historic role in the collective memory of the country.
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© Sabry Khaled
54 ÉTATS : Concernant Ennahdha, de nombreux observateurs ont salué le pragmatisme de ce parti qui avait pourtant éveillé bien des craintes. Peut-on dire, aujourd’hui, que les Frères musulmans sont des acteurs politiques comme les autres dans le paysage politique tunisien ? H. M. : Ennahdha se rapproche petit à petit des autres partis laïcs, il est en train de tirer les enseignements de ses échecs dans le cadre du gouvernement de la troïka. Il veut rassurer l’opinion laïque interne et la communauté internationale, les convaincre qu’il croit maintenant au jeu démocratique et aux institutions civiles, qu’il est devenu un parti moderne qui adhère aux droits de l’homme et aux libertés publiques, qu’il rejette le recours à la force, qu’il admet l’alternance pacifique et les solutions de compromis. Les islamistes estiment même qu’ils sont ceux qui ont fait le plus de compromis depuis la révolution. Cela dit, Ennahdha a fait le plus de concessions parce que les dérives des islamistes étaient les plus notables et les plus extrêmes sur la scène politique. Les islamistes cherchaient à introduire des pratiques et des rites à caractère wahhabite, un islam guerrier, étranger à la tradition tunisienne d’un islam sunnite malékite, doux et tolérant.
Abdel Fattah al-Sissi, président de la République arabe d'Égypte
© Herv
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© Khalid Albiah
54 ÉTATS: Concerning Ennahda, many observers welcomed the party’s pragmatism that nevertheless stirred fear. Can we say, today, that the Muslim Brotherhood are political players just like others in the Tunisian political landscape?
KEEP THE MIDDLE EAST CLEAN
L’ARMÉE ÉGYPTIENNE A LES MOYENS ET LA FORCE D’IMPOSER
AL-SISSI
À LA TÊTE DE L’ÉTAT, MAIS JUSQU’À QUAND ?
H.M.: Ennahdha is little by little approaching other secular parties, he is learning from his mistakes in the framework of a troika government. He wants to reassure the internal secular opinion of the international community; to convince them that he now believes in the democratic game and in civil institutions, that he belongs to a modern party, adheres to human rights and public liberties, rejects the use of force and accepts peaceful alternation and solutions of compromise. The Islamists even believe that they are the ones who have accepted the most compromises since the revolution. That said, Ennahdha made the most concessions because the Islamists abuses were the most notable and the most extreme on the political scene. The Islamists are searching to introduce Wahhabi practices and rites, a warrior Islam, foreign to the Tunisian tradition of Malakite Sunni Islam, which is mild and tolerant.
RETROUVEZ EN INTÉGRALITÉ L'INTERVIEW DE HATEM M'RAD SUR 54ETATS.FR 41
ENNAHDHA SE RAPPROCHE PETIT À PETIT DES AUTRES PARTIS LAÏCS Rached Ghannouchi, leader du parti islamiste tunisien Ennahdha © Brookings Institution
54 ÉTATS : À votre avis, la politique du tout répressif, actuellement menée par le président al-Sissi, n’entraîne-t-elle pas l’Égypte dans un cercle vicieux ? Comprendre par là que rejeter la composante islamiste dans la clandestinité engendre forcément une radicalisation.
54 ÉTATS: In your opinion, completely repressive politics are being led by President al-Sissi; isn’t this creating a vicious circle for Egypt? Understanding that from there rejecting the Islamist component which is driven underground will cause a radicalization.
H. M. : Ni en Tunisie au temps de Bourguiba et de Ben Ali, ni en Égypte à l’ère de Moubarak, on n’a pu venir à bout des islamistes par la répression sécuritaire. Il faudrait chercher en Égypte une solution institutionnelle et définitive, acceptée par tous, islamistes et laïcs. Un régime politique ne peut pas exister et durer en permettant à 50 % de la population de soumettre l’autre 50 % à sa volonté. On ne peut pas refuser d’associer les islamistes à la politique et ne pas les considérer comme des partenaires sérieux. Ce n’est pas un choix culturel, mais politique. Et la politique doit tenir compte des rapports de force. Or, les islamistes en Égypte, comme en Tunisie, sont une force sociologique, culturelle et politique indéniable. La seule victoire contre les Frères musulmans doit résulter des procédés démocratiques. Le libéral Essebsi et l’islamiste Ghannouchi l’ont compris en Tunisie : il n’y a pas d’autre recette que le dialogue pour construire la démocratie après une longue période despotique. La politique ne se traite pas dans les prisons ou par des procès, elle se fait par le dialogue et le compromis. En Tunisie, Ben Ali a mis artificiellement 30 000 islamistes en prison. Et après ? Ils sont revenus par la grande porte ! Il faut faire avec, c’est un risque à jouer. Mais on peut le faire avec de bons arrangements solidement négociés. On doit expliquer aux islamistes qu’ils ont toujours le choix d’accepter les règles de la démocratie, de participer aux élections, et que l’État n’acceptera pas la violence, le fanatisme religieux, l’intolérance. Mais encore faut-il que le pouvoir lui-même en donne l’exemple. Et le problème en Égypte, c’est qu’à part l’armée et les islamistes, il n’y a pas un grand parti libéral, laïc ou centriste, qui permet de faire des choix proprement politiques.
H.M.: Neither in Tunisia during the time of Bourguiba and Ben Ali, nor in Egypt in Mubarak’s era, could the Islamists be controlled by security crackdowns. We will have to search in Egypt for an institutional and definitive solution, accepted by all, Islamic and secular. A political regime cannot exist and endure by allowing 50 % of the population to subject the other 50 % to its will. We cannot refuse to associate Islamists with politics and not consider them as committed partners. It’s not a cultural choice, but rather a political one. And the politics must consider power relations. Yet, Islamists in Egypt, like in Tunisia, are an undeniable sociological, cultural and political power. The only victory against the Muslim Brotherhood should result in democratic processes. The liberal Essebsi and Islamic Ghannouchi have understood this in Tunisia: there is no solution other than dialogue to build democracy after a long despotic period. Politics is not handled in prisons or by trials, it is made from dialogue and compromise. In Tunisia, Ben Ali falsely put 30,000 Islamists in prison. And then what happened? They came back through the main door! We have to live with that, it’s a risk to play. But, we can do it with good, solidly negotiated arrangements. We must explain to the Islamists that they always have the choice to accept democracy’s rules, to participate in elections, and that the country will not accept violence, religious fanaticism, intolerance. But again, power itself must give an example of it. And the problem in Egypt is that apart from the army, there is no big liberal party, secular or centrist, that would allow for making strictly political choices.
54 ÉTATS : On sait que le pouvoir politique dans certains pays est intimement lié à l’armée, c’est le cas notamment en Algérie ou en Égypte, comment expliquer que tel n’est pas le cas en Tunisie ? H. M. : La chance de la Tunisie, c’est qu’elle a été gouvernée depuis l’indépendance par un État civil et un chef politique autocrate, réaliste, pragmatique et progressiste, qui a su imposer une tradition, une culture et des institutions civiles dans le pays. Bourguiba disait après sa déposition par Ben Ali : « la seule fois où j’ai désigné un Premier ministre d’origine militaire, il a fait un coup d’État contre moi ». Dans les pays arabes, on n’avait le choix qu’entre le régime militaire ou religieux. La Tunisie était peut-être, avec le Liban, un des rares États civils dans la région. La chance de la Tunisie, c’est aussi que le parti qui a lutté contre la colonisation, le Destour, était un parti civil, libéral, qui prônait la modernité et le progrès. La Tunisie moderne n’était pas issue d’une guerre de libération nationale conduite par un parti révolutionnaire, faisant la part belle aux militaires, comme en Algérie. Les Tunisiens ne sont pas révolutionnaires, leurs partis non plus. La Tunisie n’est pas non plus issue d’un coup d’État militaire semblable à celui de Nasser en Égypte. 42
54 ÉTATS: We know that the political power of certain countries is intimately linked to the military, this is notably the case in Algeria or in Egypt. How do you explain how this is not the case for Tunisia? H.M.: Tunisia’s luck is that it was governed since its independence by a civil state and a politically autocratic, realistic, pragmatic and progressive leader who established a tradition, a culture and civil institutions in the country. Bourguiba said after his deposition by Ben Ali: “the only time I designated a prime minister of military origins he instigated a coup d’État against me”. In Arab countries there is no choice between a military or religious regime. Tunisia was perhaps, along with Lebanon, one of the rare cases of civil states in the region. Tunisia is also lucky that the party that fought against colonization, the Destour, was a civil and liberal party that advocated for modernity and progress. Modern Tunisia is not the result of a war of national liberation driven by a revolutionary party, touting the soldiers, like in Algeria. Tunisians are not revolutionaries and neither are their political parties. Tunisia did not come from a military coup d’État either like that of Nasser in Egypt.
54 ÉTATS: Is it bold to suggest that Bourguiba’s heritage counted for something in the current and smooth political transition?
H. M. : C'est un fait : l’ombre de Bourguiba n’a jamais été aussi présente. Déjà, pendant la révolution, on a parlé de revanche posthume, car les jeunes internautes qui l’ont boosté étaient eux-mêmes le résultat de la politique éducative de bourguiba. Puis, dans la lutte contre les islamistes au pouvoir, les partis et l’opinion ont défendu l’identité tunisienne, la liberté des femmes, l’égalité des sexes, l’État civil face aux prétentions passéistes d’Ennahdha, toujours au nom du Bourguibisme. Maintenant avec la victoire électorale de Nida Tounès, le parti qui se veut l’héritier de ces valeurs et de cette politique, Bourguiba finit par revenir symboliquement au pouvoir. On disait de son vivant qu’il est du genre d’hommes politiques qui ont toujours des rendez-vous avec l'Histoire. C’est encore le cas.
H. M.: It is a fact that never was the shadow of Bourguiba this present. Already, during the revolution, there was talk of posthumous revenge, because young Internet users who propelled this were themselves the result of Bourguiba politics. Then, in the battle against Islamists in power, the parties and the opinion defended the Tunisian identity, women’s rights, gender equality and the civil state faces Ennahdha claims of the past, always in the name of Bourguibism. Now, with the electoral victory of Nida Tounès, the party that wants to be the successor of these values and politics, Bourguiba will end up returning symbolically to power. They say he was the kind of political man who always had meetings with history. It is still the case.
54 ÉTATS : Enfin, dans le même ordre d’idée, doit-on s’attendre à un règne d’al-Sissi comparable à celui de Moubarak ou celui-ci vous semble-t-il prêt à jouer pleinement le jeu démocratique ?
54 ÉTATS: So, following this logic, should we expect an al-Sissi reign comparable to Mubarak’s where this one is ready to play the democratic game?
© Ramy Raoof
54 ÉTATS : Est-il osé d’avancer que l’héritage de Bourguiba a pesé dans le bon déroulement actuel de la transition politique ?
H. M. : L’armée égyptienne a les moyens et la force d’imposer al-Sissi à la tête de l’État, mais jusqu’à quand ? Le risque de conflagration générale guette à l’horizon. Un peuple qui a goûté à l’exercice de certaines libertés aura du mal à accepter qu’al-Sissi, malgré ses mérites, soit la parfaite réplique de Moubarak. Surtout que la société civile, qui l’a parrainé, l’a accepté surtout pour écarter les islamistes du pouvoir et non pour remettre en cause les droits et libertés et devenir un autocrate. Les puissances et l’opinion internationale peuvent aussi ne pas accepter les dérives d’un nouvel autoritarisme. Ce que l’on peut craindre, c’est que la population, comme en Tunisie autrefois, s’habitue à la stabilité factice, sans démocratie, pour peu qu’on arrive à faire taire les islamistes.
H. M.: The Egyptian army has the methods and the strength to establish al-Sissi as head of state but until when? The risk of general conflagration scans the horizon. A people who have tasted the exercising of certain liberties will have a hard time accepting al-Sissi, despite his merits, to be the perfect replica of Mubarak. Above all the civil society that sponsored it, also accepted it to keep the Islamists out of power and not to call into question rights and liberties and become autocratic. International powers and opinion also cannot accept a new authoritarianism’s abuses. What we can fear is that the population, like in Tunisia previously, will get used to the artificial stability, without democracy, provided that we manage to silence the Islamists. Translation from French: Rachel WONG 43
SOMALILAND LE 55e ÉTAT DU CONTINENT THE 55th NATION ON THE CONTINENT par Hervé Pugi
Africa and its borders! This is a huge debate owing all to a contested and contestable colonial heritage. It is even more contentious following the recently breached international sacrosanct principle of inviolability. What will it mean to open horizons in Somaliland? Unusual story on the destiny of the potential 55th nation of the continent.
© YoTuT
L’Afrique et ses frontières ! Large débat qui doit tout à un héritage colonial contestable et contesté. Plus encore après que le sacro-saint principe international d’intangibilité a été allègrement bafoué récemment. De quoi ouvrir quelques horizons au Somaliland ? Récit du destin hors norme du potentiel 55e État du continent.
Au commencement étaient deux États qui, au sortir de la coloIn the beginning, there were two nations that after breaking free nisation, se sont trouvés – presque naturellement – liés. Mohafrom colonization, were found to be almost naturally linked. Momed Hagi Mohamoud, du Département d’études politiques et hamed Hagi Mohamoud, from the department of international internationales de l’université de Warwick, raconte : « Quatre and political studies at the University of Warwick, explains: "four États ont été combinés. Syrie et Égypte sont devenus la nations were merged. Syria and Egypt became the United République arabe unie entre 1958 et 1961. Ces peuples Arab Republic between 1958 and 1961. These people were vivent désormais côte à côte en ayant mis sur pied une living side by side having established an economic and socoopération économique et sociale. Les deux autres États cial cooperation. The two other nations in question were concernés sont le Somaliland et la Somalie. Cette union Somaliland and Somalia. This political union has held on politique a tenu péniblement plus de trois décennies. » painfully for more than three decades." « Péniblement », voilà qui en dit long sur le "Painfully", a word that speaks volumes sentiment (et les ressentiments) qu’a fait naître about the feeling and resentments that were ce mariage forcé donnant corps au concept de born from a forced marriage to define "GreaPOURQUOI LE MONDE « Grande Somalie ». Un rêve qui a tourné au ter Somalia". A dream that morphed into a TOURNE-T-IL LE DOS À UN cauchemar selon l’universitaire : « ce fut trente nightmare according to the scholar: "It has ans d’injustice. La population a dû en passer been thirty years of injustice. The popuÉTAT PACIFIQUE, DÉMOpar une longue guerre meurtrière pour finalelation had to endure a long and bloody CRATIQUE ET DE DROIT ? ment retrouver sa souveraineté au début des war to finally reclain its sovereignty in années 90 ». Autrement dit une certaine autothe beginning of the ‘90s". Sovereignty, nomie, à défaut d’une véritable indépendance. meaning a distinct autonomy, failing real inEt ce quart de siècle de rupture aurait quelque chose d’exemdependence. plaire à en croire Mohamed Hagi Mohamoud : « C’est une exAnd these twenty-five years of break-up would provide sopérience à part entière, faite de paix, de démocratie (avec mething exemplary in which Mohamed Hagi Mohamoud bede véritables alternances) et de développement éconolieves: "It is an integral experience, made from peace, demique. Le tout sans aucune aide extérieure. L’histoire du mocracy (with real cycles) and economic development. Somaliland est unique, et cette singularité mérite d’être Everything without any external help. Somaliland’s history étudiée, car elle pourrait – elle devrait en fait – mener les is unique, and this singularity deserves to be studied, beautres nations à donner un sens à la question de la reconcause it could, in fact it should, bring other nations to make naissance ». sense of the idea of recognition". 44
© YoTuT
Paradoxale communauté internationale...
International and paradoxical community…
Ce dernier point interroge forcément. Ce modèle de réussite ne trouvant que peu d’écho auprès de la communauté internationale qui applaudit d’une part mais craint de l’autre que ce nouveau précédent ne donne quelques idées sécessionnistes sur le continent… Paradoxal lorsqu’on se souvient du rôle que certains pays, États-Unis en tête, ont joué dans l’indépendance du Soudan du Sud. À côté de cela, le chercheur pointe du doigt le rôle des voisins, comme l’Éthiopie ou Djibouti, « tiraillés entre la tranquillité que leur apporte à leurs frontières un État pacifique comme le Somaliland et l’ombre que pourrait leur faire ce même pays, d’un point de vue économique ». Et Mohamed Hagi Mohamoud de l’affirmer : « le Somaliland ne présente aucun danger majeur en matière de sécurité ». Un sacré contraste avec le chaos qui peut régner en Somalie voisine : « Nous avons d’un côté l’enfer somalien, avec un gouvernement fédéral illégitime, et de l’autre la paisible démocratie du Somaliland. Et, paradoxalement, la communauté internationale soutient pleinement une Somalie affaiblie qui n’a de cesse de clamer que le Somaliland fait pleinement partie de son intégrité territoriale. Nous parlons d’un gouvernement qui ne contrôle que la moitié de sa capitale, ce qui a uniquement été rendu possible par l’apport de troupes africaines de l’AMISOM ! » De fait, le Somaliland attend son heure, ce qui n’est pas sans éveiller une certaine perplexité auprès de la population : « Les questions que le peuple se pose sont nombreuses : pourquoi le monde tourne-t-il le dos à un État pacifique, démocratique et de droit alors que la Corne de l’Afrique connaît le chaos politique, les crises humanitaires, le terrorisme, les conflits tribaux et la piraterie ? Et, surtout, qu’est-ce qui empêche la reconnaissance du Somaliland comme 55e État africain ? Estce des raisons légales ou… politiques ? » Les réponses tardent à venir…
This last point certainly raises some questions. This success model garners little support from the international community who applaud on one hand, but on the other pray that this new precedent does not give others on the continent secessionist ideas… It is paradoxical because we remember the role that certain countries, the United States is immediately called to mind, have played in the independence of South Sudan. In addition, the researcher points out the role of its neighbors, such as Ethiopia or Djibouti, "torn between the tranquility that is brought to their borders by a peaceful nation like Somaliland and the shadow that this same country could cast on them, from an economic point of view". And Mohamed Hagi Mohamoud affirms: "Somaliland presents no major danger in matters of security". A sacred contrast with the chaos that can reign in neighboring Somalia: "We have on one side Somalian hell with an illegitimate federal government, and on the other the peaceful democracy of Somaliland. And paradoxically, the international community plainly supports the weakened Somalia which insists that Somaliland is clearly part of its territory. We are talking about a government that only controls half of its capital, which was only made possible by bringing in AMISOM troops!" As it is, Somaliland is biding its time, which is not without arousing a certain perplexity in its population: "The people are asking a lot of questions: why is the world turning its back on a peaceful, democratic and lawful nation while the horn of Africa is rife with political chaos, humanitarian crises, tribal conflicts and piracy? And above all, what is impeding the recognition of Somaliland as the fifty-fifth African nation? Are these legal reasons…or political ones?" We await the answers… Translation from French: Rachel Wong 45
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Š Ericsson
LANCÉES SUR LES FLOTS COMME ON JETTE UNE BOUTEILLE À LA MER, CE SONT DES CENTAINES D’EMBARCATIONS BRINGUEBALANTES QUI VOGUENT, DEPUIS LES CÔTES LIBYENNES, VERS LES RIVAGES D’UN VIEUX, TRÈS VIEUX CONTINENT AUSSI AIGRI QUE DÉMUNI. L’EUROPE, VOILÀ L’ELDORADO FANTASMATIQUE TANT DÉSIRÉ POUR DES MILLIERS DE RÉFUGIÉS DÉSESPÉRÉS. ET POUR CAUSE…
© Europa Commission
par Hervé Pugi
PITCHED ONTO THE WAVES LIKE BOTTLES THROWN CARELESSLY INTO THE SEA, THERE ARE HUNDREDS OF RICKETY BOATS, JUST AS EMBITTERED AS THEY ARE DEPRIVED, THAT SAIL FROM LIBYAN COASTS TOWARD THE ANCIENT SHORES OF A VERY OLD CONTINENT. WELCOME TO EUROPE, THE FANTASY EL DORADO SO DESIRED BY THOUSANDS OF DESPERATE REFUGEES. BUT WHY…
© Michael Swan
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© Frans Devriese
© Xander & Pieter Stockmans
Alors que l’Union européenne (UE) s’est enfin mise en ordre de bataille, allouant des ressources supplémentaires aux opérations de recherche et de sauvetage, tout en persistant à affirmer ne pas pouvoir assumer « toute la misère du monde » dans ses frontières, les dirigeants de l’UE comme l’opinion publique semblent voir dans ces migrants, et notamment ceux ayant trouvé en la Méditerranée un cimetière sans sépulture, une tragédie bien trop monotone pour s’en émouvoir plus que de raison. L’avenir de ces réfugiés, souvent entassés dans des conditions désastreuses sur la petite île italienne, submergée, de Lampedusa interroge forcément. Toutefois, au milieu de nombre de débats nauséabonds, qui prend le temps de renifler le parfum fétide accompagnant la route vers l’exil ? Qu’ils viennent d’Érythrée, de Syrie, du Nigeria ou d’ailleurs, tous (ou presque) doivent se frotter à la dure réalité d’une Libye sans foi ni loi. C’est en tout cas ce qui ressort du rapport publié par Amnesty International, le lundi 11 mai 2015, intitulé Libya is full of cruelty: Stories of abduction, sexual violence and abuse from migrants and refugees. Et parce que quelques témoignages valent toujours mieux que de grandes envolées lyriques, il convient de s’arrêter sur les dires de ceux qui ont vécu l’enfer libyen. Migrants et réfugiés l’affirment, les passeurs considèrent ces malheureux « comme des esclaves » et les traitent « comme des animaux », enfermés dans une pièce surpeuplée et sale, sans toilettes, sans couvertures ni matelas, et nourris uniquement de morceaux de pain sec. « En fait, ils gèrent un business. Ils vous retiennent, pour que vous leur versiez de l’argent… Si vous ne répondez pas à leurs questions, ils vous frappent à coups de tuyaux en plastique », explique une de ces victimes.
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Tout aussi édifiant, plus encore en réalité, l’horreur qui attend les femmes. Une Nigériane raconte ainsi son calvaire : « ils nous ont emmenés quelque part en dehors de la ville, dans le désert, ils ont attaché les mains et les pieds de mon époux à un poteau, et m’ont tous violée sous ses yeux. Ils étaient onze au total ». Même destin pour celles qui s’en remettent aux autorités locales et se voient confinées dans des centres de détention. L’un d’elle témoigne que les gardes « nous frappaient à l’aide de tuyaux derrière les cuisses. Ils frappaient même les femmes enceintes. La nuit, ils venaient dans nos chambres. Certaines femmes ont été violées. C’est pour ces raisons que j’ai décidé de partir en Europe. J’ai trop souffert en prison ». Voilà la réalité et, aucun doute, il y a autant d’histoires cauchemardesques de cet acabit qu’il y a de réfugiés. Toutes ces atrocités n’empêchent toutefois pas une quantité non négligeable de décideurs politiques de vouloir cantonner, voire reconduire, ces échoués de la vie dans ce pays plongé dans la plus grande anarchie. Identifier, capturer et détruire des bateaux, comme l’envisage l’UE, reviendrait somme toute à cacher la poussière sous le tapis. Pourtant – et comment donner tort à Amnesty International ? – il serait peut-être temps que les États européens balaient devant leur porte : « Mener des actions contre les passeurs, sans offrir d’itinéraire sûr de remplacement aux migrants et réfugiés qui veulent désespérément fuir le conflit en Libye ne résoudra pas le problème, précise Philip Luther, directeur du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient de l’ONG. La communauté internationale a regardé la Libye s’enfoncer dans le chaos depuis la fin de l’intervention militaire menée par l’OTAN en 2011. Les dirigeants du monde doivent assumer leurs responsabilités et les conséquences. Les demandeurs d’asile et les migrants comptent parmi les personnes les plus vulnérables et le monde ne saurait fermer les yeux sur leurs souffrances. »
© Marshmallow
© Xander & Pieter Stockmans
While the European Union (EU) finally rose to the occasion, allocating supplementary resources to operations of search and rescue, all while insisting that they cannot assume responsibility for "all of the world’s misery" on its borders, the directors of the EU, mirroring public opinion, seem to view these migrants, and notably those being found in the Mediterranean, as a cemetery without graves and a far too monotonous tragedy over which to become overly emotional. These refugees, overwhelmed and often crammed into disastrous conditions on the little Italian island of Lampedusa, are certainly questioned about their futures. However, in the midst of a number of queasy debates, who takes the time to smell the fetid stench accompanying the road to exile? Whether they come from Eritrea, Syria, Nigeria or elsewhere, all of them (or nearly all) must confront the harsh reality of hopeless and lawless Libya. In any case, this is what stands out from the report Libya is full of cruelty: Stories of abduction, sexual violence and abuse from migrants and refugees published by Amnesty International on Monday, May 11, 2015. And because a handful of witnesses are always worth more than grand theatrics, it is worth pausing to consider the reports of those who lived through Libyan hell. Migrants and refugees affirm that the smugglers consider these unfortunate people "like slaves" and treat them "like animals" confined in a dirty and crowded room, without access to a toilet, without blankets or mattresses and sustained only by pieces of dry bread "In fact, they are running a business. They keep you, so that you will pay them money…If you do not answer their questions, they hit you with a plastic pipe", explains one of the victims. Also enlightening, even more in reality, is the horrors that await the women. One Nigerian woman shares her ordeal: "they took us somewhere outside of the city, in the desert, they tied the hands and feet of my husband to a post, and raped me right in front of him. There were eleven of them in total". Same fate for those who were recovered by the local authorities and saw themselves confined to detention centers. One of them says that the guards "hit the backs of our thighs with plastic pipes. They even hit pregnant women. At night, they came into our rooms. Some women were raped. This is why I decided to leave for Europe. I have suffered too much in prison".
There you have it, the reality, and without a doubt there are just as many nightmarish stories of this caliber as there are refugees. All of these atrocities do not prevent, however, a considerable amount of political decision-makers to want to limit, if not escort back, these stranded souls to this country of total lawlessness. To identify, capture, and destroy boats, as the EU envisions it, would amount to sweeping the dust under the rug. However– and how can Amnesty International be wrong? – it would perhaps be time that the European countries put their own houses in order: "Taking on action against the smugglers, without offering an itinerary of secure replacement for the migrants and refugees that desperately want to flee the conflict in Libya will not solve the problem, says Philip Luther, director of the North Africa and Middle East NGO program, the international community saw Libya sink into chaos since the end of military intervention brought by NATO in 2011. Decision-makers of the world must assume their responsibilities and the consequences. Asylum-seekers and migrants count amongst the most vulnerable people and the world cannot close its eyes to their suffering." Translation from French: Rachel WONG 49
© LarsPlougmann
Propos recueillis par Sandra WOLMER
MEURTRES ET MUTILATIONS… TEL EST LE SORT BIEN TROP SOUVENT RÉSERVÉ AUX PERSONNES ATTEINTES D’ALBINISME DANS DE NOMBREUSES RÉGIONS D’AFRIQUE. ALORS QU’UNE VAGUE D’ÉLECTIONS S’ABAT SUR LE CONTINENT, LA CHASSE AUX ALBINOS AFRICAINS REDOUBLE D’INTENSITÉ COMME L’ÉTAYENT LES RÉCENTES ATROCITÉS RECENSÉES EN TANZANIE. L’ANTHROPOLOGUE NINOU CHELALA REVIENT POUR 54 ÉTATS SUR UN PHÉNOMÈNE SCIENTIFIQUE DONT LA MÉCONNAISSANCE ET L’INCOMPRÉHENSION CONFINENT CES ÊTRES BLANCS NÉS DE PARENTS NOIRS DANS UN ESPACE OÙ TOUT N’EST QUE PRÉJUGÉS ET DISCRIMINATIONS.
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MURDERS AND MUTILATIONS… THIS IS FAR TOO OFTEN THE FATE AWAITING PEOPLE AFFECTED WITH ALBINISM IN NUMEROUS REGIONS OF AFRICA. WHILE A WAVE OF ELECTIONS FALLS OVER THE CONTINENT, THE HUNT FOR AFRICAN ALBINOS FORTIFIES IN INTENSITY AS IS CLEAR FROM THE ATROCITIES REPORTED IN TANZANIA. THE ANTHROPOLOGIST NINOU CHELALA TALKS TO 54 ÉTATS ABOUT A SCIENTIFIC PHENOMENON WHERE MISCONCEPTION AND INCOMPREHENSION CONFINE THESE WHITE BEINGS BORN TO BLACK PARENTS IN A SPACE OF PREJUDICE AND DISCRIMINATION.
54 ÉTATS : Quels commentaires vous inspire cette phrase « l’ambivalence caractérise l’albinos africain » ? Ninou Chelala (N. C.) : L’albinos est le seul individu de descendance africaine à être blanc. Il est en réalité tout à fait noir mais il est blanc. C’est le premier paradoxe de l’albinisme en Afrique. L’autre paradoxe va se poser en termes de représentation de la beauté. Alors que cet être blanc devrait s’ériger en parangon de beauté dans une société où une peau claire reste plus belle qu’une peau trop foncée, l’albinos qui possède la peau la plus claire des Africains demeure pourtant le moins beau d’entre eux. L’albinos africain va nourrir tout un imaginaire collectif fondé sur des légendes de la création du monde qui lui confèrent une nature mi-humaine mi-surnaturelle. La naissance d’un enfant albinos va souvent engendrer honte, mépris dans le cercle familial et peut même aller jusqu’à l’infanticide (descendant d’une source surnaturelle, il ne ferait pas partie du monde des humains et serait donc restitué à son monde d’origine). Souvent considéré comme étant la résultante d’une transgression des règles de vie, il va être mis au ban de la société (rejet de la mère nécessairement fautive, rejet de l’enfant). Et, là encore, se pose un autre paradoxe : alors qu’il est perçu comme porteur de malchance, la société va malgré tout lui prêter des pouvoirs magiques au point que certaines parties (cheveux, ongles, membres, organes, etc.) de son corps vont véritablement être prisées dans le cadre de pratiques ésotériques pour obtenir quelque chose de positif (récupérer une femme perdue, s’enrichir, remporter des élections).
© Wikipédia
54 ÉTATS: What does the phrase "the ambivalence towards African albinos" mean to you? Ninou Chelala (N. C.): Albinos are the only individuals of African descent to be white. They are in reality completely black, but they are white. This is the first paradox of albinism in Africa. The other paradox focuses around the representation of beauty. While these white beings would be heralded as the paragon of beauty in a society where light skin is considered more beautiful than dark, albinos however, remain the least beautiful on the spectrum. African albinos feed a collective imagination based on legends that identify them as half-human and half-supernatural. The birth of an Albino baby is often accompanied by shame, contempt within the family circle and can even lead to infanticide (coming from a supernatural source, it would not be a part of the human world and would then be restored to its original world). Often considered as being the result of a transgression of societal norms, he/she will be ostracized from society (rejection by the mother ultimately spelling total rejection of the infant by others). And there again is the other paradox: Although he/she is perceived as a bad omen, society will believe them to possess magical powers to the point that certain parts of their body (hair, nails, limbs, organs, etc.) will be prized in esoteric practices to obtain positive outcomes (winning back a woman, getting rich, winning elections).
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L’ALBINOS EST LE SEUL INDIVIDU DE DESCENDANCE AFRICAINE À ÊTRE BLANC.
IL EST EN RÉALITÉ TOUT À FAIT NOIR MAIS IL EST . C’EST LE PREMIER PARADOXE DE L’ALBINISME EN AFRIQUE.
54 ÉTATS : La société africaine est-elle prête à faire une place aux albinos ? Les albinos ont-ils une chance de s'y construire en tant qu’individu ? N. C. : Il faut savoir que leur quotidien n’est que complication : trouver un mari ou une femme, trouver un emploi et même mourir reste compliqué. Ils finissent bien souvent avec des cancers de la peau généralement très douloureux et non soignés qui les contraignent à se cacher. On ne les voit pas souvent mourir, ce qui entretient le mythe de leur immortalité. L’exclusion commence sur les bancs de l’école où considérés comme des êtres un peu fantomatiques, ils sont placés au fond de la classe alors que leur vision très mauvaise ne leur permet pas de déchiffrer le tableau. Dès lors, l’enfant albinos va développer un complexe d’infériorité qui l’isolera ou, au contraire, l’amènera à redoubler d’efforts pour se faire une place au sein de la société.
54 ÉTATS: Is African society ready to make a place for albinos? Do albinos stand a chance of building a place for themselves in society as individuals? N. C.: You must know that their daily lives are nothing but complications: finding a husband or wife, finding a job and even dying is complicated. They often end up with painful and untreated skin cancers that they develop trying to hide it. As albinos are commonly rejected, lead solitary lives and subsequently die alone, rarely does the community learn of an albino death, and this further perpetuates the myth of their immortality. The exclusion begins by being ostracized at school where they are thought of as being a bit ghostly, they are then placed in the back of the classroom but their poor vision does not allow them to read off the blackboard. From then on albino children develop an inferiority complex that isolates them and forces them to double their efforts to make their places within society. 51
54 ÉTATS : Peut-on espérer une amélioration significative de la situation des albinos ? N. C. : Oui, grâce au travail des associations. Auparavant, personne ne se préoccupait de la perdition des albinos en Afrique. Aujourd’hui, les choses ont évolué grâce au travail des associations. La première a été celle de Salif Keïta (créée dans les années 90). Je trouve d’ailleurs admirable que celles-ci aient pu se monter sans attendre un soutien européen. Les associations ont fourni aux albinos un cadre propice aux rencontres, échanges, partages d’expérience, réflexions. Je pense notamment à l’association Asmodisa Cameroun, créée et portée par Jean-Jacques Ndoudoumou, un albinos influent. Bien qu’elle n’existe plus, cette structure a énormément contribué au changement de la perception sociale de l’albinisme et à la diffusion d’informations sur l’hygiène de vie que cette pathologie génétique impose. Les associations ont permis d’aller dans le sens d’une démarginalisation de l’albinos en combattant la méconnaissance scientifique de l’albinisme.
54 ÉTATS: Is there hope for significant improvements for the albinos’ situation? N. C.: Yes, thanks to the work of some associations. Previously, no one worried about the distress of albinos in Africa. Today, things are changing thanks to the work of some associations. The first was Salif Keïta’s (created in the ‘90s). I find it admirable that they were able to set themselves up without having to wait for European support. The associations have provided albinos with a network of contacts, exchanges, experience-sharing reflections. There is also Asmodisa Cameroun’s association, notably created by Jean-Jacques Ndoudoumou, an influential albino. Although it no longer exists, this structure contributed enormously to the change in societal perception of albinism and the spread of information about health practices linked to this genetic disease. The associations have gone beyond a sense of albino empowerment by fighting scientific ignorance about albinism.
Salif Keïta, chanteur et musicien malien de renommée mondiale.
© Baynham Goredema
De façon plus concrète, la société a pu comprendre que l’albinisme venait des deux parents, et non pas uniquement de la mère et que le soleil brûle (ce qui n’était absolument pas une évidence). Le travail de sensibilisation a permis de faire en sorte que les enfants albinos puissent mieux suivre à l’école, aller à l’université et bénéficier d’un meilleur accompagnement médical.
In more concrete terms, society could understand that albinism comes from two parents, and not only from the mother, and that the sunlight burns them (which wasn’t completely obvious). Raising awareness allows for albino children to perform better in school, go on to university and benefit from a better medical follow-up.
Les gouvernements africains commencent à mieux les considérer, cela va permettre de faire des transpositions politiques et, en même temps je l’espère, permettre aux organisations d’obtenir davantage de financements.
African governments are starting to address them better, this will allow them to make political implementations and, at the same time I hope, allow the organizations to take advantage of funding.
Auparavant, personne ne se préoccupait de la perdition des albinos en Afrique. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, ce qui constitue une très belle avancée. 52
Before, no one worried about the distress of albinos in Africa. This is no longer the case today, which shows great progress.
54 ÉTATS : Quelle solution préconiser face aux atrocités dont sont victimes les albinos ? N. C. : Je suis contre les prononcés de condamnation à mort. Je ne pense pas que ce soit la clé du problème. La solution passe, à mon sens, par un véritable engagement des gouvernements africains afin de favoriser la sensibilisation, de développer le suivi médical, d’instaurer des nouvelles pratiques au sein même des écoles et des hôpitaux. Je crois davantage en ce genre de soutien plutôt qu’en l’adoption de lois visant à interdire la sorcellerie. La sorcellerie ne se réduit pas à des choses abominables mais est porteuse d’énormément de croyances, de traditions qui ne doivent pas non plus passer à la trappe. L’idée est donc vraiment d’aller vers de la sensibilisation assortie d’une sanction.
54 ÉTATS: What solution can you prescribe for the atrocities to which albinos fall victim? N. C.: I am against death sentences. I don’t think that this is the key to the problem. To me, the solution is a commitment by governments to promote awareness, develop medical monitoring, to initiate new practices within schools and hospitals alike. I believe more in this kind of support than the adoption of laws banning witchcraft. Witchcraft is not limited to abominable things but carries with it beliefs, traditions that should not be abandoned. The idea is really to move towards awareness accompanied by a penalty. Translation from French: Rachel WONG
© Swiatoslaw Wojtkowiak
Ninou Chelala, auteur de : L'ALBINOS EN AFRIQUE La blancheur noire énigmatique
L’albinisme est une maladie génétique récessive autosomique où les deux parents (père et mère, car on accuse souvent la mère) sont porteurs de la “tare” c’est-à-dire hétérozygotes. Leur descendance donnera 1 enfant sur 4 albinos, 1 enfant sur 4 sain (non porteur) et 2 enfants sur 4 hétérozygotes comme les parents. L’étude de grandes séries permet de retrouver ces proportions mendéliennes. Une union entre hétérozygotes peut en effet ne pas retrouver ces proportions : ne pas avoir d’albinos ou en avoir 4 ! C’est le hasard qui joue ou la roulette russe… Les mariages entre consanguins (on parle d’endogamie) favorisent l’apparition des maladies récessives autosomiques. Ils sont plus fréquents en Afrique qu’en Europe d’où ce contraste. On recense 1/20 000 naissances en Europe et cela peut aller jusqu’à 1/1000 au Mali et 1/143 chez les Amérindiens du Panamá (Gunadule). Dr Pascale Jeambrun, ethnologue travaillant sur l'albinisme
Ninou Chelala, author of : ALBINOS IN AFRICA The enigmatic black whiteness
Albinism is an autosomal recessive genetic disease where the two parents (father and mother, as the mother is often solely blamed) are carriers of the “tare,” or heterozygotes. Their descendants will result in one baby out of 4 albino, 1 baby out of 4 healthy (non-carrier) and 2 babies out of 4 heterozygotes like the parents. The study of large sets allow us to reach these Mendelian proportions. A union between heterozygotes can, in effect, not reach these proportions: not have any albinos or have 4 of them! This is the risk of playing Russian roulette…Marriages between blood relations (inbreeding) increases the odds of autosomal recessive genetic diseases that are more common in Africa then in Europe by contrast. Approximately 1 out of 20,000 births in Europe compared to 1 out of 1000 in Mali and 1 out of 143 indigenous Panamanians (Gunadule). Dr Pascale Jeambrun, ethnologist studying albinism.
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par Hervé PUGI
LE 25E SOMMET DE L’UNION AFRICAINE AURA ÉTÉ MARQUÉ PAR L’IMBROGLIO EL-BÉCHIR. MAIS PLUS QUE L’INTERDICTION – TEMPORAIRE – FAITE AU PRÉSIDENT SOUDANAIS DE QUITTER LE SOL SUD-AFRICAIN, CET ÉPISODE ROCAMBOLESQUE SYMBOLISE L’INCROYABLE FOSSÉ S’ÉTANT CREUSÉ ENTRE LE CONTINENT AFRICAIN ET UNE COUR PÉNALE INTERNATIONALE (CPI), PLUS ISOLÉE ET IMPUISSANTE QUE JAMAIS.
« La Cour peut présenter à tout État sur le territoire duquel une personne est susceptible de se trouver une demande (…) tendant à ce que cette personne soit arrêtée et lui soit remise (…) Les États Parties répondent à toute demande d’arrestation et de remise conformément aux dispositions du présent chapitre et aux procédures prévues par leur législation nationale ». Difficile de faire plus explicite que l’article 89-1 du statut de Rome de la Cour pénale internationale. Un traité dont est signataire l’Afrique du Sud, tout comme 33 autres pays africains. Pourtant, moins de 24 heures après la saisie de la Haute Cour de Pretoria par l’ONG Southern Africa Litigation Center, Omar el-Béchir redécollait pour Khartoum en toute impunité. Entre obligation vis-à-vis de la CPI et fidélité aux grands principes d’une Union africaine remontée contre La Haye, Jacob Zuma a choisi. Pourtant, la Cour l’a publiquement révélé : le 28 mai, elle avait rappelé à l’Afrique du Sud son obligation statutaire de faire appliquer les mandats d’arrêt diffusés en 2009 et 2010 contre le président soudanais pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. En vain.
EL-BÉCHIR OU CPI,
POUR QUI L’AVENIR S’ASSOMBRIT ?
© HervéPugi
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De fait, comment ne pas considérer l’affaire el-Béchir comme un nouveau camouflet pour la juridiction supranationale ? Un de plus, ajouteront les plus cyniques qui rappelleront sans vergogne que la CPI avait dû refermer début décembre 2014 le dossier Uhuru Kenyatta, président du Kenya soupçonné de crime contre l’humanité, sans passer par la case jugement. Le tout sous les quolibets et les hallalis de nombreux chefs d’États africains. Quelques semaines plus tard, devant le Conseil de sécurité des Nations unies, Fatou Bensouda annonçait la suspension des enquêtes sur le Darfour. Faute de soutien de la communauté internationale. Ce pied de nez sera-t-il celui de trop pour la procureure gambienne ? Si personne ne remettra en cause le concept même de la CPI, les récents « ratés » vécus mettent plus que jamais en exergue les limites de l’institution basée aux Pays-Bas, abandonnée par une grande partie du continent qui l’avait pourtant portée aux fonts baptismaux. Instrument contre l’Afrique pour les uns, hochet des puissants pour les autres, plus que le destin d’Omar el-Béchir, c’est bien la question de l’avenir de la Cour qui se pose désormais tant celle-ci semble n’avoir d’autre utilité que de juger... les vaincus. Indubitablement, son futur s’inscrit en pointillés, de moins en moins visibles. Plus encore après le désaveu manifeste d’un pays aussi important que l’Afrique du Sud, considéré jusque-là comme un modèle de respect des règles démocratiques.
by Hervé PUGI
THE 25TH AFRICAN UNION SUMMIT WILL BE REMEMBERED BY THE EL-BÉCHIR IMBROGLIO. BUT MORE THAN THE INDICTMENT– TEMPORARY – AGAINST THE SUDANESE PRESIDENT TO NOT LEAVE SOUTH AFRICAN SOIL, THIS BIZARRE EPISODE SYMBOLIZES THE UNBELIEVABLE GAP THAT IS WIDENING BETWEEN THE AFRICAN CONTINENT AND THE INTERNATIONAL CRIMINAL COURT (ICC), NOW MORE ISOLATED AND IMPOTENT THAN EVER. "The Court may transmit a request for the arrest and surrender of a person, together with the material supporting the request outlined in article 91, to any State on the territory of which that person may be found and shall request the cooperation of that State in the arrest and surrender of such a person. States Parties shall, in accordance with the provisions of this Part and the procedure under their national law, comply with requests for arrest and surrender". It is difficult to be clearer than Article 89-1 of the Rome Statute of the International Criminal Court. A treaty to which South Africa is a signatory, along with 33 other African countries. Nevertheless, less than 24 hours after the seizure of Pretoria’s High Court by NGO Southern Africa Litigation Center, Omar el-Béchir took off for Khartoum with impunity. Between obligation to the ICC and loyalty to the fundamental principles of an African Union rising against La Haye, Jacob Zuma has chosen. Even so, the court publicly revealed: on May 28, it reminded South Africa of its statutory obligation to have arrest warrants from 2009 and 2010 applied to the Sudanese president for war crimes, crimes against humanity and genocide. Clearly ICC’s gesture was made in vain.
© ICC
EL-BÉCHIR OR ICC:
FOR WHOM DOES THE FUTURE SHINE BRIGHTER? How is it not possible to consider the el-Béchir case a new slap in the face of supranational jurisdiction? It certainly is, the most cynical will say, who will shamelessly remember that in the beginning of December 2014 the ICC had had to close the case on Uhuru Kenyatta, president of Kenya suspected of crimes against humanity, without ruling. All under slurs and outrage from numerous African heads of state. A few weeks later, in front of the United Nations Security Council, Fatou Bensouda announced the suspension of investigations on Darfour. Why? Lack of support from the international community. Will this mockery be too much for the Gambian prosecutor? If no one will dispute this, not even the ICC, the recent "failures" highlight more than ever the limits of an institution based in the Netherlands, abandoned by a large part of the continent that had nevertheless brought it to be sanctioned. An instrument against Africa for some, a rattle for the mighty for others, the world is less interested in the fate of Omar el-Béchir than the future of the court that now seems to have no other purpose than to judge…the losers. Undoubtedly, its future is written along dotted lines, harder and harder to see…especially after flying in the face of a country as important as South Africa considered until then to be a model of respect for democratic regulations. Translation from French: Rachel WONG 55
© Ferdinand Reus
YEMEN par Alexandre BLOT LUCA et Moez TRABELSI
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DEVENU TOTALEMENT INCONTRÔLABLE, LE YÉMEN EST AUJOURD’HUI DÉCHIRÉ PAR LES RIVALITÉS. L’AVÈNEMENT DES HOUTHIS, UNE MINORITÉ CHIITE DU NORD-OUEST DU PAYS, A MÊME POUSSÉ L’ARABIE SAOUDITE ET SES ALLIÉS SUNNITES À INTERVENIR.
SPIRALING OUT OF CONTROL, TODAY’S YEMEN IS TORN BETWEEN RIVALRIES. THE EMERGENCE OF THE HOUTHIS, A SHIITE MINORITY IN THE NORTHWEST OF THE COUNTRY, HAS EVEN PUSHED SAUDI ARABIA AND ITS SUNNI ALLIES TO INTERVENE.
Ils étaient en passe de devenir les maîtres du pays. Profitant du printemps arabe et d’une insurrection fatale au président de l’époque Ali Abdallah Saleh pour revenir sur le devant de la scène politique, les Houthis ont même fait mieux : ils se sont emparés de la capitale, Sanaa, le 21 septembre 2014, avant de prendre la direction d’Aden. Des conquêtes que son grand voisin, l’Arabie saoudite, ne pouvait laisser passer. Aidé de huit autres pays arabes, dont l’Égypte et le Qatar, le royaume a pris les rênes d’une coalition aérienne.
They were in the process of becoming the leaders of the country. Taking advantage of the Arab Spring and a fatal uprising against Ali Abdallah Saleh, the president at the time to return to the political scene, the Houthis took it one step further: they seized the capital, Sana’a, on September 21, 2014, before heading toward Aden. These were victories that its powerful neighbor, Saudi Arabia, could not let slip by unnoticed. Assisted by eight other Arab countries, including Egypt and Qatar, the kingdom took the reins of an aerial coalition.
Objectif : empêcher l'implantation totale des rebelles houthis, soutenus par l’Iran, et ainsi contrecarrer les plans de Téhéran. Car si d’aventure le Yémen tombait intégralement aux mains de cette rébellion issue de la guerre de Saada, c’est un nouveau pays qui se précipiterait dans l’escarcelle du régime des mollahs, après la Syrie, le Liban et l’Irak. Une domination que l’Arabie saoudite ne peut accepter dans ce qu’elle considère comme sa base arrière, alors que la rivalité confessionnelle et stratégique entre ces deux nations islamiques s’étale au grand jour. Pour Mathieu Guidère, islamologue et spécialiste du monde arabe, « le cas yéménite est une illustration de la confessionnalisation accrue des conflits dans le monde arabe. À l’origine, il s’agit d’un soulèvement populaire mais l’étiquetage confessionnel des acteurs a fait basculer le pays dans la guerre civile à caractère religieux. Ainsi, les Houthistes bénéficient du soutien de l'Iran chiite malgré des divergences doctrinales de fond. À l'inverse, les sunnites bénéficient du soutien de l'Arabie saoudite alors qu'ils font partie d'une branche bien plus modérée de l'islam sunnite. Cette imposition de la grille confessionnelle rend la situation explosive et risque de plonger le pays, comme en Syrie et en Irak, dans les affres de la guerre civile totale de tous contre tous. »
Objective: to prevent Houthi rebels, supported by Iran, from taking control of the country and thus counteracting Tehran’s plans. Because if by any chance Yemen fell into the hands of this rebellion following the Sa’dah War, it would give rise to a new country under mullah regime, after Syria, Lebanon and Iraq. This would be a domination that Saudi Arabia could not accept in what it consider its home front while the sectarian and strategic rivalry between these two Islamic nations would unfold one day. For Mathieu Guidère, Islamic scholar and Arab world specialist, "the Yemeni case is an illustration of the growing number of sectarianism conflicts in the Arab world. From the start, it was about a popular uprising but the sectarian labeling of the players made the country topple into a civil war of a religious nature. This way, the Houthis benefit from Iran’s Shiite support despite the doctrinal divergences. In contrast, the Sunnis benefit from Saudi Arabia’s support while being a part of a far more moderate branch of Sunni Islam. This imposition of the sectarian grid makes the situation explosive and risks thrusting the country into torments of total civil war of all against all like in Syria and in Iraq."
© Gerry & Bonni
Dans ce chaos, les organisations terroristes que sont Al-Qaïda et l’État islamique ne se sont pas fait prier pour tirer leur épingle du jeu. Après l’implantation des troupes d’Ayman al-Zawahiri en 2009, c’est au tour des ouailles d’Abou Bakr al-Baghdadi d’essayer de se frayer un chemin dans cette brèche. Une situation à laquelle on pouvait s’attendre, comme l’explique Mathieu Guidère : « Al-Qaïda comme l’État islamique ont toujours joué la carte confessionnelle en se présentant comme les défenseurs des sunnites contre les prétentions de l’Iran chiite. Le fait que cette confessionnalisation devienne une réalité aujourd’hui bénéficie donc prioritairement à ces organisations. Mais on sait que dès que la crise sera passée, elles risquent de se retourner contre ceux-là mêmes qui les ont instrumentalisés. Personne ne peut prétendre maîtriser le monstre confessionnel qui peut renaître des cendres de la guerre civile ». L’Arabie saoudite, qui a déjà fort à faire pour lutter contre le terrorisme sur son territoire, est prévenue.
Within this chaos, terrorist organizations Al-Qaeda and the Islamic State are happy to seize their opportunity. After the implementation of Ayman al-Zawahiri’s troops in 2009, it is now Abou Bakr al-Baghdadi’s flock’s turn to try to find the road through this gap. A situation for which one could wait, as Mathieu Guidère explains it: "Al-Qaeda, like the Islamic State has always played the sectarian card in presenting itself as defenders of the Sunnis against the claims of Iran’s Shiites. The fact that this sectarianism is becoming a reality today primarily benefits these organizations. But we know that once the crisis is over, they risk going back to fighting against the same ones who exploited them. No one claiming to tame the sectarian beast can do it without re-igniting the cinders of civil war". Saudi Arabia, who has already had a hard time fighting against terrorism has been warned. Translation from French: Rachel WONG 57
© imgkid.com
« IL Y A UNE GUERRE DE RELIGION AU SEIN DE L’ISLAM » “AT THE HEART OF ISLAM RAGES A RELIGIOUS WAR” par Hervé PUGI
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MATHIEU GUIDÈRE, ISLAMOLOGUE ET SPÉCIALISTE DE GÉOPOLITIQUE ET D’HISTOIRE IMMÉDIATE DU MONDE ARABE ET MUSULMAN, NOUS OFFRE UN SALUTAIRE ÉTAT DU MONDE ARABE. ENTRETIEN AVEC UN SPÉCIALISTE QUI BAT EN BRÈCHE BIEN DES IDÉES REÇUES.
MATHIEU GUIDÈRE, ISLAMIC SCHOLAR AND SPECIALIST IN GEOPOLITICS AND HISTORY OF THE ARAB AND MUSLIM WORLD, OFFERS US A HEALTHY LOOK AT ÉTAT DU MONDE ARABE. INTERVIEW WITH AN EXPERT WHO CHALLENGES IDEAS.
54 ÉTATS : Votre livre État du monde arabe est un vaste tour d’horizon, qui d’hier à aujourd’hui, s’intéresse à cet « Orient compliqué » si schématisé de nos jours. Quelle était votre intention en vous lançant dans l’écriture de cet ouvrage ?
54 ÉTATS: Your book, État du monde arabe is a vast tour of the horizon, which in the past and through today, considers this “complicated Orient” which is so schematic of our time. What was your objective in producing this work?
Mathieu Guidère (M. G.) : Ce livre répond à un double objectif : d’une part, faire un état des lieux des pays arabes qui explique les racines des situations actuelles et les dynamiques en cours ; d’autre part, dissiper un certain nombre de malentendus et de mauvaises perceptions de phénomènes pourtant anciens et parfaitement explicables. Le livre se veut également un recueil de repères clairs pour le citoyen lambda et un outil de travail pour les journalistes noyés dans le flux continu des informations quotidiennes concernant les pays arabes.
Mathieu Guidère (M.G.): This book responds with a two-fold objective: on one hand, to make an assessment of Arab countries that explains the roots of our current situations and the dynamics at play; and on the other hand, to dispel a certain number of misunderstandings and negative perceptions of phenomenons nevertheless ancient and perfectly explicable. The book is a collection of clear benchmarks for the ordinary citizen and a useful work for journalists drowing in the continuous flux of day-to-day information regarding Arab countries. État du monde arabe (De Boeck) par Mathieu Guidère.
54 ÉTATS : Il ressort de la lecture de votre ouvrage que le monde arabe, en général, et l’islam, en particulier, est d’une incroyable diversité. Pensez-vous que nos décideurs, politiques notamment, ont bien conscience de cet état de fait au moment de se lancer dans des guerres ou des interventions dans cette région du monde ?
54 ÉTATS: Your work seems to suggest that the Arab world, in general, and Islam, in particular, is made up of incredible diversity. Do you think that our decision-makers, notably the political ones, are aware of this factual situation while rushing into wars or interventions in this region of the world?
M. G. : Tout le problème est là, les hommes politiques ne lisent pas beaucoup les écrits des experts et ne font pas la politique en fonction de leurs lectures... quand ils lisent. Ils agissent en fonction de logiques partisanes ou d’intérêts nationaux qui peuvent être contradictoires, ce qui rend les décisions compliquées, parfois aléatoires et souvent émotionnelles ou carrément contre-productives. 54 ÉTATS : De même, on peut légitimement se demander si plus qu’un « choc des civilisations », comme l’avancent certains, nous n’assisterions pas surtout à une guerre « des » islams. Est-ce votre opinion ?
M.G.: That is the whole problem, politicians are not reading much of the experts’ writing and are not acting according to what they read... when they do. They act according to partisan logic or national interests which can be contradictory, which lead to complicated decisions; sometimes random and often emotional or simply counter-productive. 54 ÉTATS: Likewise, we can legitimately ask ourselves if rather than facing a "clash of civilizations", as some insist, we can above all not aid in a war against Islam. Is this your view? M.G.: This book is structured around a strong idea: today at the heart of Islam rages a religious war ; comparable to that which rocked France and Europe at the start of the Renaissance in the 16th century. This war is about the Sunnis against the Shiites and it pits the heart of Islam’s Sunni majority, the Muslim Brotherhood, against the Salafists. Each of these powers is supported politically, militarily and financially by influential countries (Egypt, Turkey, Saudi Arabia, Qatar, Iran…) that are angling to promote their vision of Islam in the face of a more or less structured armed Islamic opposition, comprised of the Maghreb where, historically, Sunni Islam of the Malakite branch dominates and where pretty much no Shiites exist. We have to maintain the spirit of this internal war within Islam in order to avoid total ethnocentrism. Thus, the attacks in the Western world are really only collateral damage from this internal Islamic war. Far from being a war against the West, it is first a war of Muslims against Muslims, which globalization only served to internationalize so that each side feels directly targeted. The first victims and the most numerous are Muslims. Translation from French: Rachel Wong
M. G. : Ce livre est structuré autour d'une idée forte : il existe aujourd' hui une guerre de religion au sein de l'islam, analogue à celle qui a secoué la France et l'Europe au début de la Renaissance au XVIe siècle. Cette guerre oppose d’un côté les sunnites aux chiites et d’un autre côté, elle oppose au sein de l’islam sunnite majoritaire, les Frères musulmans aux salafistes. Chacun de ces courants est soutenu politiquement, militairement et financièrement par des États influents (Égypte, Turquie, Arabie saoudite, Qatar, Iran…) qui cherchent à promouvoir leur vision de l’islam face à une opposition islamiste armée de plus en plus structurée, y compris dans les pays du Maghreb où domine pourtant, historiquement, l’islam sunnite de la branche malékite et où il n’existe quasiment pas de chiites. Il faut garder présent à l’esprit cette guerre interne à l’islam pour éviter tout ethnocentrisme. Ainsi, les attentats en Occident ne sont en réalité qu’un dommage collatéral de cette guerre interne à l’islam. Loin d’être une guerre contre l’Occident, c’est d’abord une guerre des musulmans contre des musulmans, que la mondialisation n’a fait qu’internationaliser de sorte que chacun se sent directement visé. Les premières victimes et les plus nombreuses sont musulmanes.
© Citizen59
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par Hervé PUGI
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« LES ÉTATS-UNIS NE POURRONT DÉFAIRE L’ÉTAT ISLAMIQUE PAR LA SEULE FORCE MILITAIRE », VOILÀ UN CONSTAT ÉTONNANT, SURTOUT VENANT DE LA PART D’UN GÉNÉRAL… AMÉRICAIN. EN L’OCCURRENCE, JOHN R. ALLEN, ÉMISSAIRE SPÉCIAL DU PRÉSIDENT POUR LA COALITION CONTRE L’ÉTAT ISLAMIQUE. UN ÉTAT DE FAIT PARTAGÉ PAR LE CONGRESSIONAL RESEARCH SERVICE (CRS) QUI A PUBLIÉ, MI-AVRIL, UN ÉTONNANT RAPPORT INTITULÉ ISLAMIC STATE FINANCING AND U.S. POLICY APPROACHES. L’OCCASION DE DÉCOUVRIR UN GROUPE TERRORISTE À L’INNOMMABLE BARBARIE PARVENU À SE STRUCTURER COMME UNE VÉRITABLE ENTREPRISE…
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"THE UNITED STATES WILL NOT BE ABLE TO DEFEAT THE ISLAMIC STATE BY MILITARY FORCE ALONE", A SURPRISING OBSERVATION, ESPECIALLY COMING FROM AN AMERICAN GENERAL. IN THIS CASE, THE WORDS WERE SPOKEN BY GENERAL JOHN R. ALLEN, SPECIAL ENVOY TO THE PRESIDENT FOR THE COALITION AGAINST THE ISLAMIC STATE. IT IS A STATE OF AFFAIRS SHARED BY THE CONGRESSIONAL RESEARCH SERVICE (CRS) WHICH PUBLISHED, IN MID-APRIL, A SHOCKING REPORT TITLED ISLAMIC STATE FINANCING AND U.S. POLICY APPROACHES. GET A CLOSER LOOK AT A TERRORIST GROUP OF UNSPEAKABLE EVIL THAT HAS SUCCEEDED IN STRUCTURING ITSELF INTO A FULL-BLOWN BUSINESS…
John R. Allen, émissaire spécial du président pour la coalition contre l’État islamique
Il est loin le temps où Oussama Ben Laden, du fond d’une grotte des environs de Tora Bora, faisait passer ses messages délirants via des cassettes VHS de mauvaise qualité. Clairement, tout le monde a un peu tout dit sur les « superproductions » estampillées Daech qui, intérêt pour le moins scabreux, affolent la toile depuis maintenant trop longtemps. Reste que si les George Lucas du prétendu djihad font le « buzz », il en faut toutefois bien plus pour financer les actions, exactions en vérité, d’Abou Bakr al-Baghdadi et ses troupes. Carla E. Humud, analyste des affaires africaines et du Moyen-Orient, Robert Pirog, spécialiste de l’économie énergétique, et Liana Rosen, experte dans le domaine de la criminalité internationale liée aux narcotiques, se sont penchés sur les sources de financement de Daech. Pour en arriver à des constats particulièrement détonants. Si les combattants de l’État islamique sont souvent perçus comme des bêtes sauvages, force est de constater que certains de ces loups n’ont rien à envier à ceux qui ont fait de Wall Street leur tanière. Au point de faire prospérer leur business de manière exponentielle en un laps de temps record. Ainsi, le document du CRS se veut formel : d’un million de dollars généré chaque mois par le groupe en janvier 2009, la même somme était thésaurisée – chaque jour – cinq ans plus tard !
Long gone are the days when Osama Bin Laden, hidden deep in a cave around Tora Bora, was sending delusional messages via poor quality VHS tapes. At this point, just about everything has been said about the ISIS "superproductions" that have been causing panic for quite some time now. However it is worth considering that while the George Lucas of so-called jihad creates the "buzz", it takes more than that to finance the actions of Abou Bakr al-Baghdadi and his troops. Carla E. Humud, analyst of African and Middle Eastern affairs, Robert Pirog, energy economy specialist, and Liana Rosen, expert in the domaine of international crime linked to narcotics, are focused on ISIS’s financial sources. In their research, there have surfaced some particularly explosive findings. If the fighters of the Islamic State are often perceived as savage beasts, it is clear that some of these wolves have nothing to envy as they have made a proper Wall Street of their den, to the point of making their business prosper at an exponential rate in record time. Thus, the CRS document intends to be formal: of one million dollars generated every month by the group in January 2009, the same amount was hoarded untouched– every day – five years later! 61
Alors, certes, cela a été dit, répété, martelé : l’État islamique n’a rien d’un État et ne représente en rien l’islam. Si le second point ne se discute pas, il n’en est pas de même quant au premier. De fait, Daech a poussé son organisation (criminelle) à un haut degré de sophistication, usant de la diversification de ces activités (illégales) pour s’approvisionner en espèces sonnantes et trébuchantes. Le tout avec un art maîtrisé de la gestion qui a permis au califat de valider un… budget de 2 milliards de dollars pour l’année 2015 avec l’espoir de dégager un excédent de 250 millions. Concrètement, l’État islamique lutte sur plusieurs fronts économiques à la fois. Le pétrole, maintes fois évoqué, n’est ainsi qu’une manne parmi tant d’autres. Majeure toutefois, même si – hors de tout circuit – la ressource pétrolière est quelque peu bradée. Il a ainsi été rapporté, relatent nos experts, que « le pétrole de l’État islamique a été vendu 18 $ le baril à la frontière turque alors que le cours du Brent affiché 107 $. » La dépréciation des tarifs des produits pétroliers, avec une chute de moitié depuis juin 2014, n’aurait de fait pas arrangé les affaires des commerciaux de Daech. De là à affirmer que le tout a été orchestré pour en arriver à affaiblir le califat… Une autre source importante de revenus est le trafic d’antiquités. D’un côté, des barbares fracassent des vestiges immémoriaux. De l’autre, certains ont compris le profit qu’il y avait à en tirer. Entre propagande idéologique et pragmatisme économique, l’équilibre est parfait. Pas question de faire l’impasse sur les 100 millions de dollars annuels, selon des officiels américains, que rapporterait ce commerce illicite qui aboutirait… en Europe. En outre, certains témoignages laissent à penser que des fouilles, plus ou moins sauvages, auraient toujours cours sur le territoire des terroristes qui prélèveraient une taxe de 20 à 50 % auprès des équipes d’excavation. Quand ils ne gèrent pas tout le réseau de contrebande eux-mêmes… Mais si l’État islamique fait aujourd’hui fructifier son capital, c’est qu’il a débuté dans les affaires avec un joli magot. À en croire le Trésor américain, ce n’est pas moins d’un demi milliard de dollars, en liquide, qui serait tombé dans l’escarcelle du califat en 2014. Des fonds récupérés dans les coffres des banques des villes conquises. Il faut ajouter à ce gangstérisme tout naturel les 33 à 45 millions de dollars, selon les Nations unies, rançonnés dans le même temps dans le cadre de l’activité lucrative de l’enlèvement. Rien de bien étonnant comme on ne sursaute guère en découvrant que les auteurs du CRS pointent du doigt certains donateurs, a priori des particuliers, issus des monarchies du Golfe ou de pays européens.
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© LeeAnn Heringer
So, certainly, it’s been said, repeated, drilled in: The Islamic state is not a state and it does not represent Islam. If naysayers could question the second point, they could not do the same for the first. In fact, Daech pushed its organization (criminal) to the highest level of sophistication, using a diversity of activities (illegal) to provide itself with cold, hard cash. All carried out with a meticulous flair for management that has allowed the caliphate to validate a budget of 2 billion dollars for 2015 with the hope of clearing a surplus of 250 million. Significantly, the Islamic State fights on several economic fronts at the same time. Oil, repeatedly mentioned, is only one manna among others. It is major, however, even if the oil resource is somewhat sold off. Thus it was reported, recounted by our experts, that "Islamic State oil was sold at $18 a barrel at the Turkish border while the price of Brent crude oil was at $107." The depreciation of oil product rates, with the prices slashed by half in June2014, would not have affected Daech’s commercial affairs. From there, it must be affirmed that everything was orchestrated to end up weakening the caliphate… Another important source of revenue is the sale of antiques. On one hand, the barbarians smash immemorial vestiges. On the other, certain people have understood the profit that there is to gain from them. Between ideological propaganda and economic pragmatism, the balance is perfect. It’s not a question of ignoring the annual 100 million dollars , according to the American officials, who would report on this illicit business that would end…in Europe. Furthermore, certain witnesses suggest that excavations, more or less savage, would always prevail in terrorist territory that would collect a tax of 20 % to 50 % among excavation teams. These are the results of not managing the entire network themselves… But the Islamic State today makes its capital bear fruit and it debuted in its business with a big pot of money. If you believe the US Treasury, no less than half a billion dollars in cash fell into the hands of the caliphate in 2014. These were funds recuperated in the bank vaults of conquered cities. Add to this completely natural gangsterism the 33 to 45 million dollars, according the United Nations, ransomed at the same time within the framework of the lucrative activity of kidnapping. Not surprising as we hardly blink an eye when we discover that the CRS authors indicate certain donors, a priori particular ones, coming from monarchs from the Gulf and European countries.
En sus, fort de ses possessions territoriales, l’État islamique a su se muer en véritable percepteur d’impôts. Cheminer sur les routes du califat ? Rien d’impossible. « Des chauffeurs ont rapporté avoir versé entre 200 et 1 000 $ pour transporter des marchandises en échange d’un laissez-passer ». Les commerces ? Les pharmacies de Mossoul reversent entre 10 et 35 % du prix des médicaments vendus alors que, du côté de Racca, 20 $ sont récoltés tous les deux mois auprès des commerçants au titre de la fourniture d’électricité ou de l’eau. Étudier a aussi un prix : de 22 à 65 $ selon son niveau scolaire. Enfin, certains membres de la communauté chrétienne d’Orient ont expliqué les alternatives s’offrant à eux : se convertir à l’islam ou payer la jizya, censée leur assurer la sécurité. Le prix ? De la moitié d’une once d’or pure à quelques dollars versés chaque mois. Les Yazidis, considérés comme polythéistes, la pire des mécréances, n’ont pas cette « chance ». Plus surprenant encore, les fonctionnaires syriens et irakiens seraient autorisés à récupérer leur dû hors des frontières du califat, moyennant une commission allant jusqu’à 50 % du salaire. Et voilà quelques centaines de millions d’euros qu’il faut ajouter aux 360 millions de dollars récupérés annuellement du fait des taxes, extorsions et saisies d’actifs. De quoi financer de généreux salaires pour ses combattants : de 400 à 600 $ par mois lorsque le salaire minimal en Syrie s’établirait actuellement entre 68 et 103 $. Et des combattants du Front al-Nosra de l’affirmer : leurs frères et cousins « combattent pour l’État islamique car ils paient mieux ». Tout bêtement…
In addition, reinforced by its territorial possessions, the Islamic State succeeded in transforming itself into an authentic tax collector. Walking along the roads of the caliphate? Nothing is impossible. "Some drivers reported having paid from $200 to $1000 to transport goods in exchange for access passes". The businesses? The Mossoull pharmacies pay 10 % to 35 % of the price of medicine sold while on the Racca side, $20 are taken every two months from electricity and water merchants. Studying also has a price: from $22 to $65 according to academic level. Finally, certain members of the Eastern Christian community explained alternatives that were offered to them: convert to Islam or pay jizya, to allegedly assure their safety. The price? From half an ounce of pure gold to a few dollars each month. Yazidis, considered polytheistic, the worst of the infidels, don’t have this "luck". Even more surprising, the Syrian and Iraqi public servants would be authorized to collect their dues outside the borders of the caliphate, with a commission ranging up to 50 % of their salaries. And there you have it, some hundreds of millions of euros that must be added to the 360 million dollars recovered annually as a result of taxes, extortions and seizures of assets. To finance the generous salaries for their soldiers: from $400 to $600 a month while the minimum wage in Syria currently ranges from $68 to $100. And as some fighters from al-Nosra Front affirm: their brothers and cousins "fight for the Islamic State because they pay better". Obviously… Translation from French: Rachel WONG 63
CRISE VÉNÉZUÉLIENNE Diario critico de Venezuela ©
par Paula VÁSQUEZ LEZAMA
VENEZUELAN CRISIS FROM THE LEGACY OF CHAVEZ TO THE COLLAPSE OF MADURO
L’État vénézuélien est en faillite. La profonde crise économique qui affecte le pays trouve ses racines dans l’échec d’un modèle de gestion de l’État même. Les Vénézuéliens vivent d’une manière très brutale les conséquences d’une crise qui est plus d’ordre structurel que conjoncturel et dont les causes vont bien au-delà de la baisse des prix du pétrole.
The Venezuelan State is bankrupt. The profound economic crisis which affects the country is rooted in the failure of a management model by the state itself. Venezuelans are suffering the brutal consequences of a crisis which is due more to structural than cyclical factors and of which the cause go far beyond the drop in the price of petrol.
L’augmentation des salaires de 30 % annoncée le 1er mai par le président Nicolas Maduro ne se traduira pas par une augmentation du pouvoir d’achat des travailleurs. L’inflation va atteindre, selon les meilleurs analystes, 120 % d’ici la fin de l’année. En 2014 les prix des produits alimentaires ont presque doublé et l’inflation était de 95 %. Et plus on est pauvre, plus on consacre ses revenus à l’achat de denrées alimentaires. Ainsi, la population vénézuélienne vit en ce moment une situation d’appauvrissement massif.
The 30 % increase in salaries that were announced on the first of May by President Nicols Maduro will not increase workers’ purchasing power. According to expert analysts, the inflation is going to reach 120 % by the end of the year. In 2014 the price of food products almost doubled and inflation reached 95 %. And the poorer you are, the more your income will be devoted to the purchase of foodstuffs. Thus, the Venezuelan population is currently living in a state of massive impoverishment.
La réduction des inégalités sociales, présentée comme principale réussite des deux gouvernements successifs du président Hugo Chavez (1998-2013), n’a pas été durable. Entre 2004 et 2007 la pauvreté a en effet pu être réduite grâce à la mise en place des Misiones, ces programmes sociaux basés sur des transferts d’argent à la population la plus démunie, emblème de la politique sociale de la « révolution bolivarienne » de Chavez. Ces politiques de redistribution directe du revenu pétrolier ont été possibles grâce au boom pétrolier qui a eu lieu entre 2004 et 2008.
The reduction of social inequalities, presented as the main success of both successive governments of president Hugo Chavez (19982013), was not sustainable. Between 2004 and 2007 poverty was indeed reduced thanks to the implementation of Misiones, these social programs based on the distribution of money to the most deprived people in the population, is the emblem of Chavez’ socialism and the "Bolivarian revolution". These policies of direct redistribution of the oil income were possible thanks to the oil boom which took place between 2004 and 2008.
"THE VENEZUELAN STATE IS BANKRUPT"
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But the situation today shows that the Misiones aren’t able to compensate for the strong deterioration of the living conditions of the Venezuelans. These programs still distribute food and grants to single and poor mothers, provide healthcare and grant social housing, among others activities. But a recent study conducted by two national universities shows that these programs noticeably reduced the scope of their coverage. They only reach 2 million people, meaning that they lost 20 % of their beneficiaries compared to 2007. The inefficacy in their implementation, the politicization of the assignment criteria and the corruption greatly affects the Misiones, banner of chavismo today. This situation arouses a feeling of great disappointment at the heart of the population.
La profonde crise économique est la conséquence d’un modèle de développement qui a anéanti la production des entreprises nationales et qui a créé un système de contrôle d’échanges de devises favorisant la corruption. L’application du contrôle d’accès aux devises explique en grande partie les pénuries alimentaires, de médicaments voire de produits comme des pneus par exemple, qui affectent la population et rendent la vie quotidienne très difficile. En effet, l’économie vénézuélienne est une économie importatrice. C’est un capitalisme d’État, rentier, qui dépend presque exclusivement de la vente du pétrole, principale richesse du pays. La dépendance du revenu pétrolier s’est accentuée dans la dernière décennie et contrôler la manne de devises du pétrole est la clef du pouvoir économique et politique. Aujourd’hui, la plupart des denrées alimentaires consommées par les Vénézuéliens sont importées et les mécanismes par lesquels le gouvernement octroie les devises destinées à l’achat des produits étrangers sont extrêmement corrompus. Des faux importateurs ont ramassé d’énormes fortunes, avec la complicité de fonctionnaires du gouvernement.
The profound economic crisis is the consequence of a model of development which annihilated the production of state-owned companies and which created a system for currency controls that favors corruption. The controlled access to foreign currencies largely explains the shortage of food, medication and products like tires, for example, that affect the population and make daily life very difficult. In fact, the Venezuelan economy is based on importation. It is driven by state capitalism, which depends almost exclusively on the sale of oil, the main wealth of the country. The dependence of oil income has increased in the last decade and controlling this income is the key to economic and political power. Today, most of the foodstuffs consumed by the Venezuelans are imported and the mechanisms by which the government grant the currencies intended for the purchase of foreign goods are extremely corrupted. False importers have collected enormous fortunes, with the complicity of government officials.
Dans ce contexte, le mécontentement et l’exaltation de la population grandissent. Depuis février 2014, le pays vit des émeutes et des manifestations récurrentes. Celles du mois de février et de mars 2014 ont fait 43 morts et 878 blessés1. La crise sociale est certes devenue politique mais paradoxalement cette vague de manifestations n’a pas débouché sur une opposition plus articulée. Les manifestations et leur répression démesurée dans les rues des principales villes du pays entre février et juin 2014 ont certes marqué les esprits. Mais elles n’ont laissé derrière elles qu’un sentiment de grande frustration parce que celles-ci n’ont pas conduit à des mobilisations politiques capables de représenter une alternative. Dans les rues, l’indignation face à une situation perçue comme injuste est palpable.
In this context, the dissatisfaction of the population is growing. Since February, 2014, the country is experiencing riots and recurring demonstrations. In February and March last year, it caused 43 deaths and injured around 8781. The social crisis has certainly become political but paradoxically this wave of demonstrations did not result in a more articulated opposition. The demonstrations and their disproportionate repression certainly impacted the main cities of the country between February and June. However, they left a feeling of great frustration as these demonstrations did not lead to political mobilizations capable of representing an alternative. In the streets there is a tangible feeling of indignation in the face of a situation that is perceived as unfair.
Diario critico de Venezuela ©
Mais la situation aujourd’hui montre bien que les Misiones n’arrivent pas à compenser la forte détérioration des conditions de vie des Vénézuéliens. Encore aujourd’hui ces programmes distribuent de la nourriture, allouent des sommes d’argent aux mères de familles célibataires et pauvres, dispensent des soins de santé et octroient des logements sociaux, entre autres activités. Mais une étude récente élaborée par deux universités nationales montre que ces programmes ont sensiblement réduit l’ampleur de leur couverture. Elles n’atteignent que 2 millions de personnes, c’est-à-dire qu'elles ont perdu 20 % de leurs bénéficiaires par rapport à 2007. L’inefficacité dans leur implémentation, la politisation des critères d’assignation et la corruption marquent aujourd’hui les Misiones, bannière du chavisme. Cette situation suscite un sentiment de grande déception au sein de la population.
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S’ajoute à cela un gouvernement devenu, entre 2014 et 2015, plus dur et plus autoritaire. L’équipe de Nicolas Maduro, successeur d’Hugo Chavez, a survécu à la crise de 2014 sans s’ouvrir à aucune négociation avec ceux qui le contestent. Tout au contraire, la répression est devenue le mot d’ordre de la politique officielle. Une résolution du ministère de la Défense autorise depuis quelques mois la répression des manifestations de rue avec des armes à feu. Tous les centres de distribution de nourriture, des marchés, hypermarchés et lieux de distribution publics sont militarisés pour réprimer ce que le gouvernement appelle la « guerre économique », c’est-à-dire la revente des produits au marché noir. Les Vénézuéliens doivent aujourd’hui patienter jusqu’à huit heures dans des files d’attente sous surveillance militaire. Il est interdit de prendre des photos ou de filmer avec un téléphone portable ce qui s'y passe, au risque d’être arrêté par les soldats. Margarita Lopez Maya2, analyste de la vie politique et sociale vénézuélienne, signale ainsi un grand paradoxe. Bien que le mécontentement social soit immense, les gens hésitent à regagner la rue. Les protestations de l’an dernier ont coûté très cher aux opposants mais n’ont eu que très peu de résultats. Par rapport aux actions dans la rue, les opportunités politiques de l’opposition se sont sensiblement réduites. La déception du chavisme est très importante mais la création d’une nouvelle conscience politique qui puisse la canaliser n’est pas encore d’actualité. En tout cas, Nicolas Maduro n’a jamais su combler le vide politique laissé par Hugo Chavez et la prestation du président ne fait que décevoir les bases, fidèles pendant quinze ans au projet révolutionnaire et à son chef si charismatique. Au sein du bloc officiel, l’union sacrée des différents groupes et partis politiques qui soutenait le président Chavez s’effondre. Les tribunes des sites web « chavistes », comme Aporrea par exemple, véhiculent des critiques virulentes à l’adresse du gouvernement Maduro. Ce n’est pas pour autant que cette dissidence se transforme en une alternative politique. En tout cas pas encore. Diosdado Cabello, président de l’Assemblée nationale et homme dur du régime, n’est pas un personnage consensuel. Bien au contraire. C’est lui que les chavistes lambdas, interviewés dans la rue, désignent comme étant le principal coupable de la situation actuelle. Pour beaucoup de Vénézuéliens, Diosdado Cabello est devenu le visage de ce pouvoir qui s’est enrichi, selon des sources de plus en plus vérifiables, de manière illicite3.
[1] https://www.amnesty.org/en/documents/amr53/1239/2015/en/ (consulté le 19 mai 2015) [2]http://prodavinci.com/2015/02/12/actualidad/de-febrero-2014-a-febrero-2015-como-politizar-lo-social-por-margarita-lopez-maya-aunanodel12f/ (consulté le 19 mai 2015) [3] Voir l’article paru dans « The Wall Street Journal »l le 18 mai 2015 http://lat.wsj.com/articles/SB11038535837 373284215604580648993253798612?tesla=y. ainsi que les déclarations de l’ex-magistrate Mildred Camero http://runrun.es/nacional/actualidad/147152/venezuela-es-un-narcoregimen-entrevista-con-mildred-camero-ex-presidenta-de-conacuid-por-ronna-risquez-ronnarisquez.html (consulté le 19 mai 2015).
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Add to this a government that became harsher and more authoritarian between 2014 and 2015. Nicolas Maduro’s team, successor of Hugo Chavez, survived the crisis of 2014 without being open to any negotiation with those who disputed it. On the contrary, repression became the political watchword. A few months ago, the Ministry of Defense authorized a resolution to repress street protests with firearms. All the distribution centers of food, markets, hypermarkets and public places of distribution are militarized to repress what the government calls the "economic war" that is, the resale of products on the black market. Today the Venezuelans have to wait up to eight hours in lines under military surveillance. It is forbidden to take photos or to film what happens in a line, as you could be arrested by the soldiers. Margarita Lopez Maya2, political and social analyst of Venezuelan life, highlights a big paradox. Although the social dissatisfaction is immense, people hesitate to get back to the street. Last year’s protests were very costly to the opponents but had few results. Compared to the actions in the street, the political opportunities of the opposition were noticeably reduced. The disappointment of chavismo is very important but the creation of a new political consciousness which can channel it is not still on the cards. In any case, Nicolas Maduro has never known how to fill the political void left by Hugo Chavez and the performance of the president is only disappointing the grassroots who have been faithful to the revolutionary project and its charismatic boss for the past 15 years. At the heart of the official regime, the holy alliance of the various groups and the political parties which supported president Chavez are collapsing. The "pro-Chavez" forums such as Aporrea for example, conveys vicious criticism towards Maduro’s government. It does not necessarily mean that this dissidence becomes a political alternative, in any case not yet. Diosdado Cabello, president of the National Assembly and tough man of the regime, is not a consensual character, on the contrary. According to ordinary Chávez supporters interviewed in the streets, he is mainly to blame for the current situation. For many Venezuelans, Diosdado Cabello has become the face of this power that has been gaining ground, according to increasingly verifiable sources, in an unlawful way3. Translation from French: Rachel WONG
[1] https://www.amnesty.org/en/documents/amr53/1239/2015/en/ (accessed May 19, 2015). [2] http://prodavinci.com/2015/02/12/actualidad/de-febrero-2014-a-febrero-2015-como-politizar-lo-social-por-margarita-lopez-maya-aunanodel12f/ (accessed May 19, 2015). [3] See the article published in "The Wall Street Journal" on May 18, 2015 http://lat.wsj.com/articles/SB 11038535837373284215604580648993253798612?tesla=y, as well as statements from ex-magistrate Mildred Cameo http://runrun.es/nacional/actualidad/147152/venezuela-es-un- (accessed May 19, 2015). Amanda Perobelli ©
Paula Vásquez Lezama est docteur en anthropologie sociale et ethnologie à l’École des hautes études en sciences sociales et chargée de recherche au CNRS Paula Vásquez Lezama has a Ph.D in social anthropology and ethnology from the École des Hautes Études en Sciences Sociales (French School for Advanced Studies in the Social Sciences) and is a researcher at CNRS (French National Center For Scientific Research). DR ©
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LE CAS DILMA ROUSSEFF THE CASE OF DILMA ROUSSEFF Propos recueillis par Sandra WOLMER
« Celui qui ne saute pas est un toucan* ! » Ne boudant pas son plaisir, c’est en ces termes que Dilma Rousseff savourait sa victoire au second tour des élections présidentielles et se gaussait de son adversaire politique, l’économiste libéral, candidat du Parti social-démocrate brésilien (PSDB), Aécio Neves. Mais ça, c’était en octobre 2014 !
"Whoever does not jump is a toucan*!" It is in these terms and with much delight that Dilma Rousseff savored her victory in the second round of the presidential elections by mocking her political opponent, the liberal economist and candidate of the Brazilian Social Democratic Party (PSDB), Aécio Neves. But that was in October 2014!
Peu d’eau aura finalement coulé sous les ponts avant que la foule ne déferle dans les rues brésiliennes et ne crache sa colère en scandant « Dehors Dilma ! Dehors le PT ! » consécutivement à la révélation du scandale de corruption Petrobras. La parenthèse enchantée se sera refermée de façon cinglante. Et ça, c’était au début du mois d’avril 2015… soit à peine sept mois après la réélection à la tête du Brésil de cette ancienne militante d’extrême gauche. En déclarant vouloir être « une bien meilleure présidente que jusqu'à présent », la dauphine de Lula n’ignorait certainement pas les défis et difficultés qui l’attendaient. De là à imaginer qu’elle cristalliserait aussi rapidement toutes les tensions au point de voir une partie des Brésiliens réclamer sa destitution, quitte à faire intervenir l’armée…
It was not long before the crowd started taking to the Brazilian streets and expressing its anger by chanting "Get out Dilma! Get out PT!" following the corruption scandal involving the oil company, Petrobras. This period, that had begun very positively, was to come to a very antagonistic end at the beginning of April 2015… barely seven months after the re-election of this former left-wing activist as head of Brazil. By declaring that she wanted to be "a much better president than I have been up to now", the successor to Lula was most certainly aware of the challenges and difficulties that lay ahead. But it was without envisaging the possibility that she would exacerbate the tensions so quickly and to such an extent that part of the Brazilian population would demand her dismissal, even if it meant bringing in the army…
Première femme à la tête de ce géant sud-américain, en l’emportant le 26 octobre 2014, Dilma Rousseff a définitivement inscrit sa formation, le Parti des travailleurs (PT), dans l’Histoire. Jusqu’à présent aucune formation politique n’avait emporté quatre élections présidentielles consécutives. Malheureusement, aussi inédits que soient ces faits, il en faudra nécessairement plus pour redorer son image. Sans doute le sait-elle mieux que quiconque. Malmenée dans la rue, contestée au sein même de sa propre coalition et désavantagée par la morosité du contexte économique, celle qui a à cœur de s’améliorer aura fort à faire. * Toucan : nom donné aux adhérents du Parti de la social démocratie brésilienne (PSDB), parti d'opposition au parti des travailleurs au pouvoir
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Dilma Rousseff is the first woman President of this South American giant and by winning the elections of 26th October 2014, her Workers’ Party (PT) will go down in history. Up to then, no other political party had ever won four consecutive presidential elections. Unfortunately, however, it will take more than this unrivaled achievement for the President to rehabilitate her image. Moreover, she probably knows that better than anyone else. Harassed on the streets, challenged even within her own coalition and disadvantaged by a sluggish economic environment, this woman, who is determined to do better, certainly has a lot on her plate. *Toucan: name given to adherents to the Brazilian Social Democracy Party (PSDB), the opposition party to the ruling Workers’ Party (PT).
Laurent Delcourt, sociologue, historien et chercheur au Centre tricontinental (CETRI) nous éclaire sur le casse-tête « dilmien ».
Laurent Delcourt, sociologist, historian and researcher at the Tricontinental Centre (CETRI – Centre Tricontinental) sheds some light on the puzzling "Dilma" case.
54 ÉTATS : Le candidat du Parti social démocrate brésilien (PSDB), Aécio Neves, a fait campagne sur le thème de la corruption qui n’a alors pas semblé trouver un véritable écho auprès de la population brésilienne. Comment expliquez-vous cette vague de protestations déclenchées par le scandale Petrobras ?
54 ÉTATS: The candidate of the Brazilian Social Democratic Party (PSDB), Aécio Neves, made corruption the central theme of his campaign, which, at the time, was not echoed among the Brazilian population. How would you explain this wave of protests triggered by the Petrobras scandal?
Laurent DELCOURT (L. D.) : L’ampleur de cette contestation peut s’expliquer par une augmentation de la sensibilité de la population brésilienne à la question de la corruption. La corruption est un sport politique au Brésil. Près des deux-tiers des parlementaires sont soupçonnés d'avoir été impliqués dans des histoires de corruption. Dans l'affaire touchant la Petrobras, il faut toutefois relativiser le rôle du PT. Certes, le trésorier du PT est directement mis en cause dans ce détournement en potsde-vins de 2 milliards de dollars, mais la grande majorité des accusés sont issus d'autres partis, appartenant à une très large coalition. Le trésorier du PT est accusé d’avoir reçu ce type de dessous-de-table mais parmi les accusés, figurent également des membres d’autres partis, des membres de la coalition.
Laurent DELCOURT (L.D.): The magnitude of this protest movement can be explained by an increase in the sensitivity of the Brazilian population to the issue of corruption. Corruption is a political sport in Brazil. Nearly two-thirds of the members of Parliament are suspected of having been implicated in the corruption. In the case involving Petrobras, we must nevertheless put the role of PT into perspective. Admittedly, the treasurer of PT is directly questioned in these kickbacks and bribery of 2 billion dollars, but the vast majority of accused come from other parties belonging to a very large coalition. The PT treasurer is accused of receiving this type of kickback but among the accused, there are also members of other parties, members of the coalition.
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54 ÉTATS : Dressez-vous un portrait-type des contestataires ? L.D. : Oui. Il s'agit de militants appartenant aux couches moyennes de la société brésilienne. Mais l'essentiel est ailleurs. On assiste depuis quelques temps, à l'émergence d’une droite radicale et mouvementiste qui s’apparente au Tea Party des États-Unis, et ce, depuis les fameuses journées de juin 2013. Il y a quelques mois à peine, ce mouvement ne mobilisait que quelques centaines de militants dans la rue contre plusieurs dizaines de milliers actuellement. Ces militants se mobilisent et mobilisent surtout les classes moyennes contre la corruption. Cette mobilisation anti-corruption a basculé très vite en une mobilisation anti-PT. Cette droite reprend un argumentaire qui n’est pas sans rappeler celui qui dénonçait les menaces communistes dans les années 60. On retrouve derrière cet « antiPTisme » une sorte de rejet de toute entité liée à la gauche en général mais aussi un rejet des politiques sociales mises en place par le PT. Il s’avère très commode pour cette nouvelle droite de voir à travers le scandale de corruption, l’opportunité de mettre à mal le parti qui est au pouvoir depuis douze ans. 54 ÉTATS : Existe-t-il une proposition de changement véritable ? L. D. : Non, il n’y a aucune alternative réelle actuellement. On assiste plutôt à un glissement vers des coupes budgétaires, une contraction des politiques publiques, une réduction des filets sociaux qui avaient été tissés notamment depuis l’arrivée de Lula en 2003 et une diminution des dépenses sociales. Le gouvernement a tendance à suivre les indications des grands acteurs économiques qui trouvent avantage dans les mesures prises. 54 ÉTATS : Le présidentialisme de coalition ne va-t-il pas en un sens précipiter la perte de Dilma Rousseff ? L. D. : Oui, d’une certaine manière. Cela fait des années que le parti de Dilma Rousseff espère lancer une réforme politique générale mais pour ça il faut évidemment avoir l’aval du pouvoir législatif qui n’a jamais été aussi conservateur depuis le retour de la démocratie en 1985. Dilma Rousseff doit composer avec cette réalité, quitte à dénaturer ses propres options politiques. Au Brésil, toute initiative politique passe obligatoirement par un long marchandage. Le PT doit traiter par exemple avec des partis qui ne s'inscrivent pas du tout dans sa ligne politique, comme le Parti progressiste, membre de la coalition mais situé à la limite de l'extrême droite. Et parfois ces marchandages donne lieu à un véritable « achat » de vote. Le PT lui-même qui dénonçait cette pratique y est tombé. Hyper morcellé, le Congrès brésilien rassemble à peu près une trentaine de partis avec lesquels il faut négocier et dont la plupart s’apparentent à des entreprises politiques adossées à des intérêts personnels. D’une certaine manière, certains politiciens les utilisent comme instrument de consolidation de leur influence et de leurs propres intérêts, parfois, économiques.
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54 ÉTATS : Can you describe the typical profile of the protesters? L. D.: Yes. He is a political activist belonging to the Brazilian middle class. But this is not the key issue. We have been helping, for quite some time, the emergence of a radical, right-wing movement, akin to the Tea Party in the United States, which began with the famous June Days in 2013. Just several months ago, this movement had only managed to mobilize a few hundred activists in the streets but that number has now increased to tens of thousands. These activists are not only mobilizing themselves ; they are also mobilizing the middle classes against corruption. The anti-corruption mobilization has quickly turned into an anti-PT mobilization. This rightwing rationale reiterates a line of thought which is similar to the one that denounced the communist threat in the 1960s. Behind this "anti-PTism", there is a kind of rejection of any entity associated with the left in general, as well as the rejection of any social policies implemented by the PT. It is very convenient for this new, right-wing party to use the corruption scandal as an opportunity to undermine the party, which has been in power for twelve years. 54 ÉTATS: Is there any proposal for a real change? L.D.: No, currently, there is no real alternative. Instead, there is a shift towards budget cuts, a contraction of public policy, a reduction of the social safety nets, that had been established with the arrival of Lula in 2003, and a reduction in social spending. The government tends to follow the indications of the major economic actors that benefit from the measures taken. 54 ÉTATS: Is it not possible that the ruling coalition could, in a sense, precipitate the downfall of Dilma Rousseff? L.D.: Yes, in a way. Dilma Rousseff’s party has been hoping to launch an overall policy reform for years but obviously, it is necessary to have the endorsement of the legislative authority, which has never been so Conservative since the return of democracy in 1985. Dilma Rousseff has to contend with this reality, even if it means adjusting her own policy options. In Brazil, all political initiatives pass through a long bargaining process. The PT must, for example, deal with parties that are in no way in line with its policy, such as the Progessive Party, member of the coalition but leaning to the very extreme right. And sometimes this bargaining leads to a blatant "buying" of the vote. The PT itself has been denouncing this practice and yet has fallen prey to it. The Brazilian Congress is extremely divided and is made up of about thirty parties with which it is necessary to negotiate; most of which are political enterprises involving personal interest. In a certain way, some politicians use them as an instrument to consolidate their influence and their own interests, sometimes economic.
Delcourt L. (2015), «Un Tea Party tropical ? L'inquiétant réveil de l'ultra-droite au Brésil» (à paraître dans Recherches internationales, Paris) Delcourt L. (2015), «Brésil, éveil d'une puissance», in Politique, n° 90, mai-juin.
54 ÉTATS : Dilma Rousseff peutelle devenir « une bien meilleure présidente » ? L. D. : Ce n’est pas gagné tout simplement parce qu’elle est très contestée. Depuis quelques mois, on assiste dans la plupart des grandes villes du Sud du pays à la multiplication de manifestations demandant la destitution de Dilma Rousseff . À la base de ces mobilisations, il y a notamment des mouvances liées à l'extrême droite et même des militants de partis membre de la coalition gouvernementale. Contestée dans la rue par sa droite, Mme Rousseff l'est aussi sur sa gauche. Le PT étant devenu très minoritaire dans ce gouvernement, compte tenu des pressions économiques, elle a intégré dans son gouvernement des personnes qui ont une vision radicalement opposée à la plupart des militants de base du PT, sur le plan notamment de la stratégie économique à adopter, laquelle est désormais nettement plus libérale. La frustration a gagné les rangs du PT, seul parti à avoir une assise militante. D’une certaine manière, sous la pression du marché et des membres de sa coalition, Dilma Rousseff a pratiquement abandonné après avoir été élue les revendications du PT pour aller dans le sens des membres de sa coalition. Mais avait-elle le choix ? Le PT n’a jamais été aussi minoritaire (70 parlementaires sur les 513 que compte le Congrès brésilien) dans un gouvernement, d’où la difficulté de mettre en place des mesures qui correspondent au programme initial. 54 ÉTATS : La destitution de Dilma Rousseff est-elle envisageable ? L. D. : Non. La destitution est réclamée par une minorité d’organisations, de collectifs et de groupuscules qui sont fortement ancrés à droite voire à l’extrême droite. La plupart des grandes formations de l’opposition, en particulier le PSDB, clament haut et fort qu’elles veulent éviter ce genre de situation qui rappelle des évènements de sinistre mémoire, notamment le coup d’État militaire de 1964
54 ÉTATS: Can Dilma Rousseff become "a much better President"? L.D.: The task will not be easy because she is highly contested by the right. For several months, we have been helping, in most of the big cities in the south of the country, the proliferation of protests demanding the removal of Dilma Rousseff. At the base of these mobilizations, there are movements linked to the extreme right and even activists of member parties of the governmental coalition. Mrs Rousseff is under pressure from street demonstrations on her left as well as on her right. Taking into account that the PT has become a very small minority in this government and given the economic pressures, she has included people in her government who have a radically opposed vision to that of the most basic PT militants, in terms of economic strategy to adopt, that is now clearly more liberal. Frustration is gaining ground among the ranks of the PT, the only party to have a militant base. In some ways, under pressure from the market and the members of her coalition and after having been elected, Dilma Rousseff practically abandoned the demands of the PT in order to be in line with the members of her coalition. But did she have a choice? PT members have never been so greatly outnumbered in a government (70 parliamentarians out of 513 in the Brazilian Congress), making it difficult to implement the measures that correspond to the initial program. 54 ÉTATS: Is it possible that Dilma Rousseff could be dismissed? L.D.: No. Her dismissal is demanded by a minority of organizations and small groups with strong right-wing, if not farright, leanings. The major opposition political parties and notably the PSDB, vehemently stress that they want to avoid this kind of situation, which is a reminder of sinister past events, and in particular, the military coup of 1964. Translation from French Susan Allen Maurin
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PUBLIREPORTAGE
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ara International, leader mondial de la production et de la commercialisation d’engrais minéraux, s’apprête à pénétrer le marché zambien. Cette arrivée s’inscrit précisément dans une dynamique de partenariat avec la Future Farm d’AGCO. Yara fournit produits et solutions qui abonnissent les ressources du sol. Il s’ensuit une mise à disposition aux exploitants de l’essentiel du foncier qui leur permet in fine de bénéficier d’une croissance durable et responsable. Les engrais, programmes de nutrition des cultures et technologies de Yara, augmentent les rendements, optimisent la qualité des produits et réduisent l’impact environnemental des pratiques agricoles. Depuis sa création, Yara a été le premier à promouvoir des principes agronomiques sains. Grâce à une approche multiforme alliant la gestion des nutriments, de l’eau et du sol avec des formations destinées aux exploitants, les clients de Yara ont la garantie de se voir proposer le meilleur de ce que le secteur a à offrir en termes de produits, de solutions et de savoir-faire. L’agriculture durable a eu jusqu’ici un impact significatif sur l’environnement et sur la sécurité alimentaire. Les engrais et programmes de nutrition des cultures de Yara contribuent à produire la nourriture nécessaire à la satisfaction des besoins alimentaires d’une population mondiale croissante. Le tout à un coût minime pour l’environnement. Ses solutions professionnelles réduisent les émissions polluantes, améliorent la qualité de l’air et contribuent à la conduite d’opérations sûres et efficaces. Cette passion vouée à l’exemplarité des pratiques agricoles fait de Yara le partenaire idéal pour la Future Farm d’AGCO. Yara continuera d’y jouer un rôle essentiel en formant les exploitants zambiens aux meilleures pratiques en matière de nutrition des cultures.
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ara International, the world’s largest producer and marketer of mineral fertilizers, is set to enter the Zambian market. This coincides with its partnership with AGCO Future Farm. Yara provides products and solutions that nurture the earth’s resources. This yields sustainable and responsible growth for farmers as they make the most of the land at their disposal. Yara’s fertilizers, crop nutrition programs and technologies increase yields, improve product quality and reduce the environmental impact of agricultural practices. Yara has pioneered the promotion of sound agronomic principals since inception. A multifaceted approach combining nutrient, water and soil management with the provision for the training of farmers ensures that Yara customers are exposed to the best products, solutions and knowledge that the industry has to offer. Sustainable agriculture has a far-reaching impact on the environment and food security. Yara’s fertilizers and crop nutrition programs help produce the food required for the growing world population. This is done at minimal expense to the environment. Its industrial solutions reduce emissions, improve air quality and support safe and efficient operations. This passion for leading agricultural practice makes it the ideal partner for the AGCO Future Farm in which Yara will continue to play an integral role by training farmers across Zambia on best practice in crop nutrition.
Depuis un certain temps déjà, Yara se positionne comme un acteur incontournable du secteur agricole africain. Fondée en Norvège en 1905, la société s’est déployée à l’échelle mondiale dans 150 pays. Depuis 50 ans, Yara conduit ses activités en Afrique. En effet, l’entreprise a établi son siège social à Johannesburg en Afrique du Sud et a ouvert des bureaux au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Kenya, en Éthiopie, en Tanzanie et maintenant en Zambie. La sagacité de ses équipes locales alliée à son décryptage international des meilleures pratiques l’ont tout logiquement amené à présider l’agenda de l’African Growth pendant une dizaine d’années. La Future Farm d’AGCO coïncide avec l’arrivée de Yara sur le marché zambien. Le premier responsable commercial de Yara Zambia LTD a pris ses fonctions au sein même de la ferme d’AGCO et s’attèlera à la conduite des futures activités, dont notamment l’embauche de deux nouveaux agronomes. Une attention particulière sera accordée au développement agricole à petite échelle et aux entrepôts pour y conserver le panel de produits. « Nous nourrissons l’ambition pour les exploitants de Zambie d’améliorer leur rentabilité ainsi que leurs compétences techniques en recourant à des formules spécifiquement étudiées en matière de cultures et de nutrition des cultures », a annoncé Wayne Forbes, directeur régional en charge de l’Afrique australe
La nutrition des cultures s’entend de l’apport équilibré en nutriments essentiels dont les cultures ont besoin tout au long de leur cycle de croissance. Yara se positionne en tant que leader mondial de la production de ces nutriments grâce à sa large gamme d’engrais azotés. L’approche développée par Yara, à destination des exploitants africains, en matière de nutrition des cultures s’articule autour des axes suivants : les prestations aux exploitants, l’investissement dans les compétences et l’accroissement avéré du rendement. Celle-ci stimule les marchés locaux grâce à la mise en œuvre de modèles innovants créés sur mesure pour les petits exploitants africains. Cette dynamique est complétée par un accès à des engrais de qualité supérieure et un investissement dans les infrastructures de développement telles que le terminal d’engrais en cours de construction à Dar Es Salaam, d’un montant de 20 millions de dollars, qui doit ouvrir au cours du second semestre 2015 et qui deviendra, dès lors, l’un des plus grands terminaux d’Afrique. Yara travaille en partenariat avec plusieurs autres leaders du secteur de l’agriculture en vue de concrétiser sa vision d’une agriculture africaine durable qui profiterait à la fois aux exploitants, aux consommateurs, aux actionnaires et, de façon générale, à la communauté. Ce réseau lui permet de relever les défis importants inhérents à ce secteur d’activité, tels que la gestion des ressources, la sécurité alimentaire et les risques environnementaux. La présence de Yara en Zambie illustre son engagement en faveur de l’investissement dans l’agriculture africaine et traduit une reconnaissance du rôle clé que joue la Zambie dans l’avenir de l’agriculture en Afrique. Traduit de l'anglais par Sarah Nedjar et relu par Sandra Wolmer
Yara has been an active player in the African agricultural industry for some time. It was founded in Norway in 1905 and has since established a worldwide presence in 150 countries. Yara has been operating in Africa for 50 years, with African headquarters in Johannesburg, South Africa and offices in Cameroon, Côte d'Ivoire, Ghana, Kenya, Ethiopia, Tanzania and now Zambia. The insight of its local teams, combined with its international insight into best practice, has seen Yara leading the African Growth agenda for a decade. The AGCO Future Farm coincides with Yara’s entry into the Zambian market. Yara Zambia LTD’s first commercial manager is based on the AGCO farm and will spearhead future activities, including hiring two more agronomists. Special emphasis will be placed on small-scale agricultural development and warehouse facilities to store our product portfolio. "Our main aim for farmers in Zambia is to improve the profitability and technical skills of farmers through the use of crop nutrition and crop specific packages", said Manuel Goepfrich, Market Development Director for Africa
Crop nutrition refers to the balanced diet of essential nutrients that crops need throughout their growth cycle. Yara is the world's leading producer of such nutrients through its wide range of nitrogen fertilizers. Yara’s crop nutrition approach for African farmers mobilizes delivery to farmers, investment in competence and proven yield increases. It boosts local markets through the implementation of innovative business models tailored to smallholder farmers in Africa. This is complemented by access to high quality fertilizer and its investment in infrastructure development such as the USD 20 million fertilizer terminal being built in Dar es Salaam which is planned to open in the second quarter of 2015 and will be one of the largest terminals in Africa. Yara works in partnership with other agricultural leaders to realize its vision of sustainable African farming that benefits farmers, customers, shareholders and the wider community. This network allows it to practically address major industry challenges such as resource management, food security and environmental risks. Yara’s presence in Zambia illustrates its commitment to investment in African agriculture, and an acknowledgement of Zambia’s key role in Africa’s future in farming.
“OUR MAIN AIM FOR FARMERS IN ZAMBIA IS TO IMPROVE THE PROFITABILITY AND TECHNICAL SKILLS OF FARMERS THROUGH THE USE OF CROP NUTRITION AND CROP SPECIFIC PACKAGES”
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PUBLIREPORTAGE
Fondamentale à notre bien-être, l’agriculture mérite tout notre respect et soutien. En bons consommateurs, nous participons tous à une chaîne alimentaire dont les maillons vont des semences aux rayons de supermarchés jusqu’à notre table. Nous avons tous un rôle à jouer dans l’avenir de l’agriculture. Néanmoins, rassasier la population mondiale constitue un défi colossal. En effet, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture estime qu’entre 2012 et 2014, sur les 7,3 milliards d’hommes et de femmes qui peuplent la planète, environ 805 millions (soit une personne sur neuf) ont souffert de sous-alimentation chronique. La grande majorité des affamés (791 millions de personnes) vit dans les pays en voie de développement, ce qui représente 13,5 % ou un huitième des individus demeurant dans cet espace géographique. Un tiers de la mortalité infantile dans les pays d’Afrique subsaharienne résulte de la faim. C’est la preuve que la production de sources alimentaires de qualité doit constituer une priorité de l’agenda du développement de l’Afrique. Si des avancées ont été faites, des investissements et engagements à long terme dans les entreprises agricoles locales, de grandes ou petites envergures, s’avèrent néanmoins essentiels à la construction de chaînes d’approvisionnement adaptées aux sources alimentaires durables qui satisferont la demande et les possibilités futures d’exportation. En réalité, afin de suffisamment pourvoir, à l’avenir, à nos besoins alimentaires et à ceux de notre bétail, l’agriculture doit devenir plus efficiente, ce qui requerra une intensification durable de l’agriculture : produire davantage de nourriture sur une surface moindre de façon bien plus durable. Une production alimentaire accrue s’accompagnant d’une raréfaction des ressources hydrauliques et foncières exigera des solutions innovantes émanant des secteurs public et privé, des investissements considérables ainsi qu’un appui politique. Cela nécessitera également l’éclosion de nouveaux partenariats innovants entre les différentes parties prenantes.
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Agriculture is fundamental to our wellbeing, deserving of our respect and support. As consumers, we are all participants in a food chain that extends from seed, to shelf, to our kitchen table, and we all have a share in the future of agriculture. However, ensuring that the world has enough to eat is a massive challenge. The United Nations Food and Agriculture Organisation estimates* that about 805 million people of the 7.3 billion people in the world, or one in nine, were suffering from chronic undernourishment between 2012 and 2014. Almost all the hungry people, 791 million, live in developing countries, representing 13.5%, or one in eight, of the population of developing counties, with a third of all childhood deaths in sub-Saharan Africa caused by hunger. This is evidence that the quality production of food sources should be a top priority on the development agenda for Africa. While strides have been made, long-term investment and commitments into local agricultural enterprises, both small and commercial, are essential to building supply chains for sustainable food sources that will meet demand and future export potential. In fact, to provide enough food for ourselves and our livestock well into the future, agriculture must become more efficient. This will require sustainable intensification of Agriculture: producing more food on less land in a more sustainable way. More production of food with increasingly scarce land and water resources will require innovative solutions from both the private and the public sectors, considerable investments and political support. It also means new and innovative partnerships between different stakeholders. At the same time, improved cultivation methods, seeds tailored to local growing environments and judicious use of crop protection options become critical. The integrated approach has proven to work better than the current stand-alone solutions and will revolutionise agriculture even further, with the farms of today becoming the future farms of tomorrow.
Dans le même temps, les méthodes de culture améliorées, les semences adaptées aux environnements locaux en essor et le recours judicieux aux options existantes en matière de protection des cultures revêtent une importance cruciale. L’approche intégrée, qui s’est avérée bien mieux fonctionner que les solutions isolées actuelles, révolutionnera plus encore l’agriculture, en contribuant à faire en sorte que les fermes d’aujourd’hui deviennent les futures fermes de demain. Cela concerne tout aussi bien les grandes exploitations commerciales que celles de petite envergure notamment à caractère familial. Aux quatre coins du monde, tout particulièrement en Afrique, les petits exploitants ne subviennent pas seulement aux besoins de leurs familles mais contribuent également à nourrir la population située dans leur environnement immédiat. Ainsi, à un niveau micro-économique, un bien meilleur usage pourrait être fait de leur potentiel. Ces petits exploitants méritent d’être soutenus, encouragés et – le cas échéant – éduqués de façon à ce qu’ils puissent penser et agir en tant qu’entrepreneurs. L’agriculture reste un secteur clé en Afrique en ce qui concerne la sécurité alimentaire, l’emploi et la croissance. Une croissance tirée par l’agriculture a le plus grand impact sur la pauvreté en réduisant son ampleur. L’intensification efficace et durable de l’agriculture est primordiale pour éradiquer la faim et accroître la sécurité alimentaire sur le continent. Cette évolution passera néanmoins par une appréhension des interconnexions et complexités de nos systèmes alimentaires et une collaboration constante entre le gouvernement, les communautés agricoles et scientifiques pour développer des solutions qui aboutiront à un approvisionnement durable en sources alimentaires saines, nutritives et abondantes au cours des années à venir. Chez Bayer CropScience, l’urgence des défis liés à l’agriculture nous anime. Nous nous engageons à faire tout notre possible pour soutenir nos clients producteurs. Nous nous enorgueillons de nos valeurs profondes ainsi que de notre sens des responsabilités et du combat que nous menons pour faire de notre planète un monde meilleur. Nous exprimons quotidiennement notre engagement à travers des partenariats communautaires, des investissements dans l’éducation, un soutien philanthropique aux programmes et institutions qui partagent notre vision et nos espoirs pour les fermes du futur et à travers la recherche et l’innovation afférentes à la croissance des semences, aux solutions en matière de protection des cultures et aux services de maximisation des rendements des exploitations, de sécurisation des récoltes et de conduite de la durabilité. Nos existences modernes ne sont sans doute pas de nature à susciter chez nos contemporains un grand intérêt pour les fermes et champs. Pourtant, les professions agricoles demeurent fondamentales à notre bien-être et revêtent une importance cruciale pour permettre de relever les plus grands défis auxquels la communauté mondiale fait aujourd’hui face. Accueillons donc à bras ouverts les fermes du futur. Traduit de l'anglais par Sarah Nedjar et relu par Sandra Wolmer
“OUR THE INTEGRATED APPROACH HAS PROVEN TO WORK BETTER THAN THE CURRENT STAND-ALONE SOLUTIONS AND WILL REVOLUTIONISE AGRICULTURE EVEN FURTHER, WITH THE FARMS OF TODAY BECOMING THE FUTURE FARMS OF TOMORROW.”
PDG et responsable division pays CropScience pour Bayer Afrique australe CEO and Country Divisional Head of CropScience for Bayer Southern Africa
This applies to large commercial farms, family, and smallholder farmers. It is well recognised the world over, and particularly in Africa, that small farmers not only provide for their families, but also contribute to feeding the population within their immediate surrounding communities. That said, much greater use could be made of their potential in the micro-economic context and these small farmers should be supported, encouraged and – where needed – educated to think and act as entrepreneurs. Agriculture remains the key sector in Africa for food security, employment and growth. Agriculture led growth has the largest impact on reducing the depth and breadth of poverty. The effective and sustainable intensification of agriculture is paramount to eliminate hunger and increase the continent’s food security. However, this will require, embracing the interconnections and complexities of our food systems and, constant collaboration between Government, agricultural and science communities to cultivate solutions that will yield a sustainable supply of safe, nutritious and plentiful food sources for years to come. At Bayer CropScience, we are driven by the urgency of the challenges facing agriculture, and are committed to doing everything we can to support our grower customers. Our values run deep, as does our sense of responsibility and commitment to making our world a better place. We demonstrate this commitment every day through community partnerships, investments in education and philanthropic support for programs and institutions which share our vision and hopes for the farms of the future and our research and innovation into seeds growth, crop protection solutions and services to maximise farm yields, secure harvests and drive sustainability. Farms and fields might have little relevance for us in our modern daily lives but the agricultural profession is fundamental to our wellbeing, and it is fundamental to addressing some of the greater challenges the global community faces today. Let’s welcome the farms of the future. 75
ZAMBIA PUBLIREPORTAGE
par Sandra WOLMER
LE 27 MAI 2015, AGCO, LEADER MONDIAL DE LA FABRICATION ET DE LA DISTRIBUTION DE MATÉRIEL AGRICOLE A OFFICIELLEMENT INAUGURÉ SA FUTURE FARM (FERME DU FUTUR) ET SON CENTRE D’APPRENTISSAGE PRÈS DE LUSAKA EN ZAMBIE EN PRÉSENCE DU MINISTRE DE L’AGRICULTURE ZAMBIEN, GIVEN LUBINDA : « AU NOM DU GOUVERNEMENT ET DU PEUPLE ZAMBIENS, J’AIMERAIS REMERCIER AGCO POUR AVOIR CHOISI LA ZAMBIE EN TANT QU’HÔTE DE CET ÉVÈNEMENT EXCEPTIONNEL. JE SAIS QUE CE CHOIX N’A PAS ÉTÉ FORTUIT. (…) MÊME LE PLUS PETIT DES AGRICULTEURS A UN RÔLE TOUT AUSSI IMPORTANT À JOUER DANS LA CROISSANCE DU SECTEUR AGRICOLE ZAMBIEN. IL NOUS INCOMBE À TOUS DE TIRER, ENSEMBLE, CE SECTEUR VERS LE HAUT. J’AIMERAIS DONC VOUS ACCUEILLIR VOUS ET VOTRE VISION. (…) LE SECTEUR DE L’AGRICULTURE, PLUS QUE TOUT AUTRE, A BESOIN DE COLLABORATIONS, DE PARTENARIATS ». RETOUR SUR CET ÉVÈNEMENT AVEC 54 ÉTATS.
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© Alexandre Blot Luca
ON MAY 27TH 2015, AGCO, AN AMERICAN WORLD-CLASS ORGANIZATION WHICH HAS BEEN SPECIALIZING IN MANUFACTURING AND DISTRIBUTING AGRICULTURAL EQUIPMENT, CELEBRATED OFFICIALLY THE OPENING OF ITS FUTURE FARM AND LEARNING CENTER NEAR LUSAKA, ZAMBIA, WITH GIVEN LUBINDA, THE ZAMBIAN AGRICULTURAL MINISTER, WHO ATTENDED THIS LANDMARK EVENT. "ON BEHALF OF THE GOVERNMENT AND THE PEOPLE OF ZAMBIA, I WOULD LIKE TO THANK AGCO FOR CHOOSING ZAMBIA TO BE THE HOST OF THIS EXCELLENT VISION. I TRUST THE CHOICE OF ZAMBIA WAS NOT BY ACCIDENT. (…) EVEN THE SMALLEST PRODUCER HAS AN EQUALLY SIGNIFICANT ROLE TO PLAY IN THE GROWTH OF THEIR AGRICULTURE SECTOR IN ZAMBIA. IT WILL TAKE ALL OF US TOGETHER TO GROW THIS SECTOR. I THEREFORE WOULD LIKE TO WELCOME YOU AND WELCOME YOUR VISION. (…) THERE IS A NEED IN THE AGRICULTURAL SECTOR MUCH MORE THAN IN ANY OTHER SECTOR FOR COLLABORATION, FOR PARTNERSHIP". BACK ON THIS EVENT WITH 54 ÉTATS.
"WE TRANSFORM LIVELIHOODS. WE PUT THOUSANDS OF AFRICAN FAMILIES ON THE PATH TO PROSPERITY."
Dr
"AFRICA HOLDS THE KEY TO MEETING GLOBAL AGRICULTURAL CHALLENGES OF TODAY AND TOMORROW, BUT WE SHOULD CONTINUE TO DEVELOP A VISION FOR AGRICULTURE THAT COMBINES THE EXPERTISE OF THE PRIVATE INDUSTRY SECTOR, THE SUPPORT OF GOVERNMENTS AND THE KNOWLEDGE OF LOCAL COMMUNITIES. IF WE ALL WORK TOGETHER, THIS VISION WILL BECOME A REALITY."
Senior Vice President and General Manager Europe, Africa and Middle East Premier vice-président et directeur général pour l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient.
ZAMBIE : HÔTE DE LA FUTURE FARM Mû par le désir de déverrouiller le potentiel agricole africain auquel il croit fermement, AGCO a transformé sa vision en réalité en ouvrant sa Future Farm en Zambie. Bénéficiant d’une stabilité politique, jouissant d’une croissance économique et s'appuyant sur un gouvernement avant-gardiste engagé sur la question du développement agricole, ce petit pays d’Afrique australe constitue le centre de l'initiative regionale menée par AGCO. Comme le souligne Nuradin Osman, directeur général d’AGCO pour l’Afrique et le Moyen-Orient : « Nous considérons la Zambie comme l’un des pays les plus importants en termes de stabilité politique, de développement économique. Si vous observez la croissance économique de ces dernières années, la Zambie se positionne comme l’un des pays les plus performants. De façon plus importante, la Zambie est un pays connecté. Huit pays y sont liés.»
ZAMBIA: HOST OF THE FUTURE FARM Driven by the desire to unlock the African agricultural potential in which it truly believes, AGCO has transformed its vision into reality, establishing its first Future Farm in Zambia. Enjoying political stability, strong economic growth and a foward thinking Government committed to agricultural development, this Southern African country is the focal point for AGCO's regional initiative. As Nuradin Osman, Managing Director, Africa and Middle East for AGCO Corporation, puts it: "We see Zambia as one of the most important countries in terms of political stability, of economic development. If you look at the economic growth over the last few years, Zambia is one of the best performing countries and, most importantly, eight neighboring countries are linked to Zambia."
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LA FUTURE FARM Se déployant sur plus de 150 hectares, la Future Farm se décline en parcelles cultivées, plantées et récoltées en utilisant la gamme d’équipements du géant américain. Ses installations comprennent le premier centre de formation d’Afrique dédié aux semences, le premier centre de formation d’Afrique dédié à la mécanisation ainsi que le premier centre de formation d’Afrique dédié aux volailles. La Future Farm d'AGCO, la première de ce type en Afrique, a été pensée pour satisfaire tout aussi bien les petits, moyens et grands exploitants que les revendeurs et distributeurs AGCO. Sa vision consiste à développer un système de production alimentaire durable à même d’accroître la production par une utilisation plus efficiente des ressources agricoles africaines.
LES PARTENAIRES DE LA FUTURE FARM INCLUENT ZAMBIA FUTURE FARM PARTNERS INCLUDE BAYER CROPSCIENCE GCS HARPER ADAMS UNIVERSITY MUSIKA PRECISION DECISIONS PRINOTH SEEDCO SIERK YBEMA GRAIN SERVICES TRELLEBORG UNIVERSITY OF ZAMBIA VALLEY IRRIGATION YARA 4-H AFRICA
Augmenter la production en recourant à des technologies agricoles modernes, offrir un accès à un équipement professionnel, encourager la croissance des exploitations grâce à des partenariats, développer des programmes de formation centrés sur des solutions mécanisées et agronomes durables, tels sont les objectifs de la Future Farm d'AGCO. Celle-ci répond précisément aux besoins, questions et défis auxquels se trouve confrontée le fermier africain. L’ensemble des aspects qui interfèrent dans la gestion d’une exploitation agricole ont été pris en compte de sorte que l’efficience soit de mise lors de la conduite de chacune des activités. Afin de développer des solutions sur mesure pour les exploitants, la Future Farm allie l’expérience, la connaissance et les services d’un éventail d’experts dont l’implication embrasse les domaines suivants : services analytiques, irrigation, technologie post-récolte, établissement des cultures, mécanisation, gestion d’une exploitation agricole et commercialisation, protection des cultures, formation, services financiers, nutrition des cultures et culture de précision. Création d’emplois, augmentation de la production agricole locale, développement économique… les impacts positifs de la Future Farm sont réels. À travers cette initiative, AGCO a repensé les pratiques agricoles de manière holistique et réticulaire. En outre, ce projet ne traite pas uniquement des aspects techniques et financiers, il s’intéresse avant tout à l’humain ! La Future Farm d’AGCO représente un modèle durable dans lequel l'individu est placé au centre. Par le biais de la formation, de l’accès à des équipements, processus, méthodes et pratiques les plus récents et la maximisation de l'expertise de professionnels de l'agriculture (les partenaires de la Future Farm), l’exploitant est investi de « la capacité de faire ». Résultat ? Le fermier parvient à élever son niveau de vie grâce à la conduite plus rentable de ses activités agricoles. Cette démarche ne se réduit pas à de vains mots mais s’ancre dans la réalité comme le démontre la communauté qui a élu domicile sur la Future Farm. Ce concept dépassera de façon très certaine les simples frontières de la Zambie puisqu’ AGCO envisage de reproduire l’expérience en Afrique francophone. PAS DE FERMIER, PAS DE NATION. AGCO l’a parfaitement compris. Que dire d’autre ?
Nuradin Osman, directeur des opérations pour l’Afrique et le Moyen-Orient au sein d'AGCO Corporation AGCO’s Director of Operations, Africa and Middle East. AGCO Corporation
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THE FUTURE FARM À PROPOS D'AGCO
ABOUT AGCO
Fondé en 1990, AGCO est basé aux États-Unis, à Duluth (Géorgie). L’entreprise compte près de 20 000 salariés répartis dans plus de 30 pays.
Founded in 1990, AGCO is headquartered in Duluth, GA, USA, and has over 20,000 employees in more than 30 countries worldwide.
Les produits AGCO sont vendus via cinq marques d’équipements agricoles : Challenger®, Fendt®, GSI®, Massey Ferguson® et Valtra®. Ils sont distribués à travers le monde grâce à un réseau de 3 100 négociants et distributeurs indépendants répartis dans plus de 140 pays.
AGCO products are sold through five core equipment brands, Challenger®, Fendt®, GSI®, Massey Ferguson® and Valtra® and are distributed globally through a combination of approximately 3,100 independent dealers and distributors in more than 140 countries.
En 2014, le chiffre net des ventes d'AGCO s'est élevé à 9,7 milliards de dollars. Pour obtenir davantage d'informations, consultez le site Internet d'AGCO : http://www.AGCOcorp.com.
In 2014, AGCO had net sales of $9.7 billion. For more information, visit http://www.AGCOcorp.com.
Spreading across 150 hectares, the Future Farm showcases a variety of plots, cultivated, planted and harvested using AGCO machinery. Its facilities include Africa’s first grain training centre, mechanisation training centre, and poultry learning centre. The AGCO Future Farm, the first of its kind in Africa, has been designed to accommodate both small-scale, mid-sized and large commercial farmers as well as AGCO Dealers and Distributors. Its vision is to develop a sustainable food production system that is able to increase farm output by using Africa's agricultural resources more efficiently. Boosting production through modern farming technology, allowing access to professional farming equipment, enhancing growth of businesses through partnerships and developing training programs focused on sustainable mechanized and agronomic solutions are all the objectives of the AGCO Future Farm. AGCO Future Farm responds precisely to the needs, answers and the challenges facing today's African farmer. All aspects impacting the management of an agricultural business have been taken into account so as to achieve efficiency for every farm operation. In order to develop tailored solutions for farmers, the Future Farm has combined the expertise, experience, knowledge and services of a broad range of protagonists deeply involved in the following areas: analytical services, irrigation, post-harvest technology, crop establishment, mechanisation, farm management and marketing, crop protection, training, financial services, crop nutrition science and precision farming.
De gauche à droite : Klaus ECKSTEIN, PDG et Responsable Division Pays CropScience pour Bayer Afrique australe, Given LUBINDA, ministre de l’Agriculture zambien, Arve OFSTAD, ambassadeur de Norvège en Zambie et Rob SMITH, Premier Vice-Président et Directeur Général pour l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient. From left to right: Klaus ECKSTEIN, CEO and Country Divisional Head of CropScience for Bayer Southern Africa, Hon. Given LUBINDA, the Zambian Agricultural Minister, Arve OFSTAD, Ambassador of Norway in Zambia and Dr Rob SMITH, Senior Vice President and General Manager Europe, Africa and Middle East, AGCO Corporation.
Job creation, increasing of the local agricultural production, economic development… the positive impacts of the Future Farm are real. Through this initiative, AGCO has rethought agricultural practices in a holistic and reticular way. This project does not only refer to technical and financial aspects. Above all, it deals with the human ones. The AGCO Future Farm is a sustainable model placing people at the centre. Through training, through access to state-of-the-art equipment, processes, methods and practices and leveraging the expertise of agricultural professionals (Future Farm partners), the farmer is empowered. The result? The farmer is empowered to upgrade his living standards thanks to the more efficient conduct of agricultural enterprises. And it is not just words, it is concrete as the community living in this Future Farm shows. The concept will go beyond the frontier of Zambia, since AGCO plans to reproduce this initiative in French speaking Africa. NO FARMER, NO NATION. AGCO has perfectly understood this ideal. What else ?
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par Hervé PUGI Traduction : Rachel WONG
© Hervé Pugi
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AVEC SES PLAGES DE SABLE FIN ET LES DOUX CLAPOTIS DE LA MÉDITERRANÉE, DJERBA EST UNE DESTINATION PRISÉE PAR DES MILLIONS DE TOURISTES CHAQUE ANNÉE. LE PETIT BIJOU TUNISIEN NE COMPTE TOUTEFOIS PAS UNIQUEMENT SUR SES CHARMES MARINS POUR ATTIRER FÊTARDS ET FAMILLES. LES RUES DE L’ÎLE SE SONT EFFECTIVEMENT COUVERTES DE GRAFFITIS POUR LE PLUS GRAND BONHEUR DES PHOTOGRAPHES.
WITH ITS POWDERY SAND BEACHES AND THE SOUND OF THE MEDITERRANEAN SEA LAPPING IN THE DISTANCE, DJERBA IS A PRIVILEGED DESTINATION FOR MILLIONS OF TOURISTS EVERY YEAR. THE LITTLE TUNISIAN JEWEL, HOWEVER, DOES NOT RELY SOLELY ON ITS SEASIDE CHARMS TO ATTRACT PARTY-GOERS AND FAMILIES. THE ISLAND’S STREETS ARE ACTUALLY COVERED WITH GRAFITTI TO THE DELIGHT OF PHOTOGRAPHERS.
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I
l faut parfois savoir sortir le nez du sable, ranger sa crème solaire et se mouvoir dans la lourde chaleur pour découvrir quelques merveilles. Alors, oui, l’habitat local, petites maisons bleues et blanches aux façades décrépies (qui ne manquent pas de donner un charme suranné aux lieux) ont toujours été l’une des attractions touristiques de l’île. Là, les 120 000 habitants n’ont rien sacrifié à la quiétude de leur quotidien malgré l’afflux annuel de quelque deux millions de visiteurs. Et si tout est fait pour attirer ces derniers à Djerba, la perle de la Tunisie a ajouté une corde à son arc en créant de toute pièce un fabuleux et éphémère musée de street art en plein air. Ce ne sont pas moins de 150 artistes de 30 nationalités différentes, tous partie prenante du projet Galerie Itinerrance, qui se sont ainsi escrimés à essaimer 300 œuvres à travers la petite localité d’Erriadh. Un village aussi authentique que traditionnel revisité par d’incroyables graffitis ! Comme par magie, tous s’intègrent merveilleusement à un environnement pourtant si typique... Monumentales ou plus modestes, entre tradition et modernité, chacune de ces créations sublime Erriadh où il fait alors bon se perdre lors d’une errance pleine de langueur, dans la douce chaleur, à travers ses ruelles pleines de vie qui révèlent bien des trésors. Le mieux est encore d’en finir là avec le « blabla » pour vous laisser découvrir ces merveilles. Et pour ceux qui veulent prolonger la découverte, plongez dans l’ouvrage dédié à l’événement mais, surtout, prenez vite la direction de Djerba !
© Hervé Pugi
Djerbahood (Albin Michel) par Mehdi Ben Cheikh.
S
ometimes we need to get our noses out of the sand, put away the sunscreen and move away from the heavy heat to discover less obvious wonders. And yes, the local residences, little blue and white houses with crumbling facades (which only add to the old-fashioned charms) have always been one of the tourist attractions of the island. There, the 120,000 inhabitants have sacrificed nothing for the peacefulness of their day-today despite the annual influx of some two million visitors. And despite all that is already in place to attract these tourists to Djerba, the pearl of Tunisia adds yet another string to its bow, in creating from scratch a fabulous and ephermeral open-air street art museum.
© Hervé Pugi
© Hervé Pugi
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There are no fewer than 150 artists from 30 different countries, all participating in the Galerie Itinerrance project, who worked hard to produce 300 works across the little town of Erriadh. A village as authentic as it is traditional is revisited by incredible graffiti! Like magic, everything integrates marvelously in such a typical environment… Monumental or modest, between tradition and modernity, it is good to get lost amongst the sublime Erriadh creations while wandering langurously, in the soft heat, crossing the lively lanes that reveal its treasures. And for those who wish to linger in this Tunisian experience, dive into the work dedicated to the event, but above all, get going in the direction of Djerba!
© Hervé Pugi
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par Sarah NEDJAR Traduction : Rachel WONG
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Il reste encore sur cette terre de parure quelques diamants dont la beauté réside dans la brutalité.
There still exists on Earth diamonds whose beauty lies in its brutality.
Si l’Afrique avait un cœur, palpitant et sauvage, il se trouverait très certainement en Zambie. À la frontière de l’Afrique australe s’étendent des hectares de savane, où la faune et la flore reprennent leurs droits les plus élémentaires et coexistent dans l’harmonie la plus originelle. Contemplez la douce violence des hautes herbes ondulant au gré des bises, sentez la force du torrent du fleuve Zambèze, cinq centenaires après que Vasco de Gama lui-même l’a qualifié de « rivière de Bonne Augure ». Terre d’aventure, la Zambie est une contrée oxymorique, à la fois belle et rude, douce et brûlante, si grande et si modeste : au rythme des battements du cœur de la Zambie, laissez-vous porter par la poésie africaine.
If Africa had a heart, beating and wild, it would most certainly be found in Zambia. At the border of southern Africa spread forth hectares of savannah, where fauna and flora reclaim their most basic rights and live in harmony. Behold the sweet violence of the tall, billowing grass and feel the force of the current of the Zambezi River, five centuries after Vasco de Gama himself named it "the River of Good Omens". A land of adventure, Zambia is a country of contradictions, beautiful and harsh at the same time, mild and fiery, so big and so modest: lose yourself in the African poetry of Zambia’s heartbeat.
TERRE D’AVENTURE, LA ZAMBIE EST UNE CONTRÉE OXYMORIQUE, À LA FOIS BELLE ET RUDE, DOUCE ET BRÛLANTE...
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POÉSIE
FORCE
...
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UN CONTINENT, 54 ÉTATS Plus d’1 milliard d’habitants très inégalement répartis sur 30 415 873 km2, soit 20 % des terres émergées ou 55 fois la France.
SOUTH SUDAN
REPÈRES PAYS PAR PAYS : POP : population (en millions d’habitants, 2012) IDH : classement des pays en fonction de l’indice de développement humain établi par le Programme des Nations unies pour le développement (2013) du 1e au 47e : très élevé – du 48e au 94e : élevé – du 95e au 141e : moyen – du 142e au 187e : faible PIB/HAB. : produit intérieur brut par habitant en nominal établi par le FMI (en dollars, 2013) SUP: superficie
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AFRIQUE AUSTRALE
AFRIQUE DU SUD
ANGOLA
53,1 POP : 118 IDH : 6621 PIB/HAB : 1 221 037 SUP :
BOTSWANA
20,8 149 5964 1 246 700
LESOTHO
2 109 7120 581 730
MALAWI
2,2 162 1 290 30 355
MOZAMBIQUE
NAMIBIE
26,4 178 593 799 380
16,8 174 223 118 484
SWAZILAND
1,2 148 3473 17 364
2,3 127 5636 824 270
ZAMBIE
ZIMBABWE
15 141 1845 752 612
14,5 156 1007 390 757
AFRIQUE CENTRALE
BURUNDI
POP : IDH : PIB/HAB : SUP :
CAMEROUN
10,4 180 303 27 834
CENTRAFRIQUE
22 152 1 331 475 442
CONGO
4,7 185 334 623 000
GABON
1,7 112 12 326 267 667
4,5 140 3 223 342 000
GUINÉE ÉQUATORIALE
RDC
SOMALIE
SOUDAN
1,1 144 20 605 28 051
RWANDA
12,1 151 704 26 338
70 186 388 2 345 409
SAO-TOMÉ ET-PRINCIPE
0,2 142 1625 1 001
TCHAD
13,2 184 1218 1 284 000
AFRIQUE DE L'EST
DJIBOUTI
POP : IDH : PIB/HAB : SUP :
ÉRYTHRÉE
0,9 170 1 593 23 200
ÉTHIOPIE
6,5 182 544 117 600
KENYA
98 173 518 1 104 300
OUGANDA
45,5 147 1 316 580 367
38,8 164 623 236 860
10,8 600 637 657
38,7 166 1 941 1 790 000
SOUDAN DU SUD
11,7 1 289 644 329
TANZANIE
50,7 159 719 947 300
AFRIQUE DE L'OUEST
BÉNIN
POP : IDH : PIB/HAB : SUP :
BURKINA FASO
10,3 165 805 112 622
NIGER
NIGERIA
POP : 16,6 IDH : 187 PIB/HAB : 447 SUP : 1 264 000
CAP-VERT
18 181 711 275 500
CÔTE D'IVOIRE
SÉNÉGAL
187 152 3 082 923 773
GAMBIE
20,8 171 1 332 322 463
0,5 123 3 633 4 033
SIERRA LEONE
14,5 163 1 048 196 007
GHANA
1,9 172 453 11 295
26,4 138 1 871 238 537
GUINÉE BISSAU
1,7 177 567 36 125
GUINÉE
12 179 560 245 857
LIBERIA
4,3 175 479 111 370
MALI
15,7 176 646 1 241 231
TOGO
6,3 183 805 71 740
6,9 166 637 56 785
MAGHREB ET MOYEN-ORIENT
ALGÉRIE
ÉGYPTE
POP : 39 IDH : 93 PIB/HAB : 5 606 SUP : 2 381 741
LIBYE
84,2 110 3 243 1 002 000
MAROC
6,2 55 10 702 1 759 500
MAURITANIE
33,4 129 3 160 446 550
3,9 161 1 126 1 030 700
TUNISIE
11,1 90 4 317 162 155
OCÉAN INDIEN
COMORES
POP : IDH : PIB/HAB : SUP :
0,8 159 928 1 862
ÎLE MAURICE
1,3 63 8 120 1 865
MADAGASCAR
23,5 155 463 592 000
SEYCHELLES
0,09 71 14 918 455 89
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