Numéro 11 de Prisme

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©AFP

PRISME NUMÉRO 11, 12 JUIN 2014

DOSSIER LE BRÉSIL AU STADE DES TENSIONS L’INTERVIEW. Pascale Ledru-Gibert, perplexe face à l’organisation du Mondial.


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ÉDITO ARRÊTONS DE LEUR DIRE D’ARRÊTER « Le Brésil gronde, mais il y a Neymar » A en croire ces mots sortis d’un reportage diffusé dimanche dernier dans Téléfoot, les problèmes sociaux des Brésiliens s’évaporeront grâce à une victoire de la Seleção. « Le Brésil faîtes un effort pendant un mois, calmez-vous ! » A entendre cette phrase signée, Michel Platini, Président de l’UEFA, les Brésiliens peuvent fermer les yeux sur leurs problèmes de logement, de santé, de sécurité etc., le temps de la Coupe du monde. Mais quand ils les rouvriront au lendemain de la finale de la messe du football mondiale, que verront-ils ? Les milliards d’euros dépensés par leur pays pour accueillir la fête du ballon rond, au détriment du financement de secteurs vitaux pour la population. Les risques économiques pris par leur gouvernement pour accueillir la compétition, qui leur a déjà coûté l’abaissement de leur note de solvabilité de BBB à BBB- par l’agence Standard and Poors. Et comme les Sud-Africains, qui ont organisé la précédente Coupe du monde, ils verront le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté stagner. Car même si les millions de Brésiliens qui manifestent voient la vedette de la sélection brésilienne Neymar faire une panenka à Hugo Lloris en finale, leurs problèmes ne s’effaceront pas. La joie d’une victoire viendra juste travestir un quotidien dépourvu du luxe côtoyé par les organisateurs du mondial. La joie viendra juste leur faire oublier pendant quelques instants, que le gaspillage d’argent va perdurer en vue des Jeux Olympiques de 2016. Mais cette joie disparaîtra dès que la fièvre de la victoire s’estompera et que les griefs recommenceront à résonner dans les rues de Rio. ©GautierStangret

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©ITV ©DR

SOMMAIRE

DOSSIER

Brésil : la coupe déborde

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Fume ton crack ailleurs !

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5 Rio soigne violemment ses favelas 6

Interview. Brésil : des difficultés à contraster.

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Les indiens exclus du Mondial.

8 Rien ne va plus au FN. 9

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France Télé/Bygmalion : des relations ambiguës.

10 LA SEMAINE PRISME


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DOSSIER

SPÉCIAL BRÉSIL :

SAO PAULO FAIT LA GUERRE AUX CAILLOUX BLANCS

Apparu dans les années 90 mais ayant connu une réelle explosion en 2007, le crack est devenu la bête noire de Sao Paulo. Alors que certains moyens sont mis en place pour lutter contre ce fléau en vue du mondial de football de 2014, le nombre de consommateurs ne cesse d’augmenter. milieux défavorisés, cette addiction atteint aussi les strates plus aisées de la société brésilienne.

par la police militaire et civile, environ 200 employés de la santé offrent des soins à quelque 300 000 drogués.

L’État prend le taureau par la queue

Des mesures qui ne remportent pas l’unanimité

A Taubate (État de Sao Paulo), on trouve dix-huit cracklands. C’est un record dans l’Etat, où seules 15% des municipalités reçoivent de l’aide du gouvernement. Ainsi, si les municipalités les plus riches peuvent mettre en place un système de surveillance

L’essayer c’est l’adopter Le crack, surnommé la cocaïne du pauvre en raison de sa méthode de confection, est connu pour être extrêmement addictif. Il suffit d’une seule prise, généralement fumée grâce à une pipe à crack, pour tomber dans la dépendance. A contrario de l’héroïne, l’addiction n’est pas physique mais principalement mentale. Elle entraîne rapidement un comportement violent et marginalisant. Au Brésil, six millions d’habitants ont déjà essayé la cocaïne et ses dérivés, selon une étude publiée par l’Université fédérale de Sao Paulo (Unifesp) en septembre 2012. Dans tout le pays, deux millions de crackers occupent les trottoirs. Si les hommes sont les plus nombreux à en consommer, les femmes (parfois enceintes) et les enfants sont aussi touchés par le phénomène, toujours selon cette étude. Concernant principalement les

Si l’ambition semble louable – en omettant le fait que le Brésil sait pertinemment qu’il est plus que jamais sous le feu des projecteurs cette année – elle n’en est pas moins décriée. L’hospitalisation forcée des patients dont la vie est en danger est une pratique très controversée. Elle se fait sans l’accord de la famille, qui a seulement le droit de permettre une orientation vers un centre de réhabilitation. Le tribunal ordonne l’hospitalisation, qui, si elle est refusée, se fait à l’aide du Samu local et de la police. Certains médecins dénoncent notamment la non-prise en compte des rechutes, qui s’élèvent à 90% des cas dans ces cliniques, ainsi que l’état abominable de ces centres, souvent apparentés à des prisons. Un suivi décevant donc, surtout quand on sait que seuls les patients capables de payer les soins sont admis dans leurs enceintes. Dans un autre genre, Fernando Haddad, le maire de la ville de Sao Paulo, a mis en place un projet novateur. Alors que les crackers utilisaient des bâtiments abandonnés pour fumer leur crack, ces lieux ont été détruits. Depuis, cabanes en bois et en plastique, nommées favelinhas, ont donc été construites sur les trottoirs. Allant à l’encontre des conservateurs, le maire propose de déloger les drogués et de les installer dans des hôtels tout en leur offrant un petit emploi rémunéré, pour ensuite procéder à la destruction des cabanes de fortune. Il libère ainsi les trottoirs paulistes pour une image mirage qui partira bien vite en fumée. ©NACHODOCE/REUTERS

L’opportunité aurait été trop belle. Alors que Estaçao da Luz, quartier situé au centre de Sao Paulo, voit son crackland démantelé, les quelque deux à trois milliers de consommateurs de crack qui vivaient là-bas n’ont pas disparu. Au lieu de libérer Sao Paulo d’une partie de sa population gangrénée par les volutes de fumée blanche, la ville entrevoit de nouveaux sites où les drogués se réunissent pour fumer leurs cailloux. Ces cracklands, aussi appelés « Cracolândia », font partie de la mauvaise pub que le Brésil aimerait éviter lors de la Coupe du monde de football. L’État de Sao Paulo est le plus infecté par la consommation de crack. Dans les villes de taille moyenne, l’utilisation de drogues est aussi répandue que celle de l’alcool. Loin de se cacher, les consommateurs écopent du doux nom de « zombies » par les autochtones, en raison de leur démarche vacillante et de leur regard moribond.

pour endiguer le phénomène et qu’il n’atteigne pas le centre-ville, les mairies les plus pauvres se retrouvent quant à elles impuissantes face à celui-ci. C’est donc en réponse à ce manque de financement qu’en 2012, Dilma Rousseff, Présidente du Brésil, a annoncé un programme d’envergure pour lutter contre ce fléau. Plus d’un milliard d’euros ont été attribués aux ministères de la Santé et de la Justice pour soutenir un plan basé sur la prévention, la répression et les soins. Pour prendre en charge les malades, l’État de Sao Paulo a édifié plus de 400 centres spécialisés ainsi qu’une centaine de clinique d’assistance médicale ambulatoire. Épaulés

Alexandre FESTAZ


DOSSIER

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A RIO, LE DIFFICILE SEVRAGE DES FAVELAS

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Dans l’optique de la Coupe du Monde de football et des Jeux Olympiques de 2016, le Brésil a entrepris de « pacifier » ses favelas. Une guerre violente contre les organisations criminelles qui a des répercussions directes sur les habitants. A Rio, centre du dispositif, la tension a fortement augmenté ces dernières semaines.

La pacification des bidonvilles crée des tensions.

Quand deux projecteurs ultra-puissants s’apprêtent à vous propulser en pleine lumière, il est normal de se refaire une beauté. Coupe du Monde de football 2014 et Jeux Olympiques 2016. Les deux plus grandes manifestations sportives de la planète ont été attribuées coup sur coup au Brésil. L’occasion et surtout l’obligation pour ce dernier de soigner son image. Et de prendre un problème à bras-le-corps : l’emprise des narcotrafiquants sur les centaines de favelas de Rio de Janeiro. Pour la première fois, l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva, l'ex gouverneur de l’État Sérgio Cabral et le maire de Rio Eduardo Paes décident donc de s’allier et lancent, dès 2008, un grand plan de « pacification » des bidonvilles. Ainsi, le 19 décembre, la favela de Santa Maria au sud de Rio est la première à être reprise aux mains des trafiquants et des milices, et à bénéficier de sa propre Unité de Police Pacificatrice (UPP). Depuis, 39 autres ont suivi. L’UPP c’est la police de proximité, chargée de désarticuler les groupes criminels qui contrôlent les quartiers pauvres.

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Inégalités et abus

Cependant, derrière les bons résultats communiqués, se cache une réalité moins glorieuse. Des inégalités de traitement d’abord. Les zones pacifiées sont toutes liées à l’organisation du Mondial ou des J.O. Personne ne s’en cache et le gouvernement affirme vouloir protéger les touristes pendant les compétitions. Ainsi, selon l’Institut de sécurité publique, le nombre d’homicides dans les bidonvilles délaissés est 20 fois supérieur à celui des favelas ciblées par le programme. La pacification à long terme est aussi remise en cause. Certains y voient une manœuvre politique de Sergio Cabral, ex-gouverneur de l’État de Rio, réélu en 2011 sur ce programme de pacification. Pour eux, la violence est simplement déplacée alors que les habitants sont expulsés sans ménagement. Comme un symbole, à proximité du stade Maracana, véritable mythe footballistique, s’étale un vaste champ de décombres. Une ancienne favela décrétée « zone à risques » est rayée de la carte. Sur ce point, les organisations humanitaires dénoncent de graves violations des Droits de l’homme. Renata Neder d’Amnesty International évoquait, pour France Info, « des familles prévenues au dernier moment […] et envoyées à 50

ou 60 kilomètres » alors que la loi impose une distance maximale de sept kilomètres. La spéculation immobilière et les projets de grande envergure prévus dans certaines zones pousseraient le gouvernement à éloigner les populations pauvres et à aggraver les disparités sociales. Les UPP dans le viseur Alors que la Coupe du Monde débute ce jeudi 12 juin, les favelas sont le théâtre d’un fort regain de violence. Pour les experts, il s’explique par deux raisons. D’un côté, les narcotrafiquants tentent de reconquérir leurs territoires en s’attaquant aux policiers. De l’autre, le comportement violent des UPP, soupçonnées de tirer très facilement, de multiplier les bavures et de bénéficier d’une certaine impunité. Loin des plages et des stades flambants neufs, le prix à payer est donc lourd pour les cariocas. En cinq ans, 90.000 personnes auraient été délogées selon la Mairie de Rio. Un programme qui devrait se poursuivre jusqu’aux Jeux Olympiques. Romaric HADDOU

LE BOPE, UN MYTHE ET DES CRITIQUES A opération spéciale, bataillon spécial. Dans les favelas, face aux narcotrafiquants et en plus des UPP, ce sont les hommes du BOPE qui combattent en première ligne. Le Batalhao de Operaçoes Policiais Especiais n’est autre que le groupe d’intervention d’élite de la police militaire de l’État de Rio. Un bataillon spécialisé dans le combat urbain, créé en janvier 1978 et rendu célèbre par le film Tropa de elite, un énorme succès commercial au Brésil. Le BOPE est ainsi réputé pour son expérience des environnements difficiles comme les montagnes, les marécages et, donc, les favelas. Car ces labyrinthes de ruelles, d’escaliers et d’impasses sont propices à la guérilla urbaine et nécessitent un savoir-faire particulier. En novembre 2010, le BOPE lance un assaut contre 600 narcotrafiquants du Comando Vermelho, l’un des gangs les plus violents de Rio, dans le Complexo do Alemao. L’opération victorieuse et ultra-rapide est retransmise en direct dans les médias, permettant d’entretenir la réputation du bataillon. Cependant, l’unité est ciblée pour son recours systématique à la violence. En 2006 Amnesty International dénonçait même « la violation des droits fondamentaux d’une grande partie de la population ».


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DOSSIER

SPÉCIAL BRÉSIL : PASCALE LEDRU-GIBERT CONSEILLÈRE EN STRATÉGIE POUR UNE ENTREPRISE D’INGÉNIERIE

« Les habitants sauront faire entendre leur voix. » ©DR

A quelques heures du coup d’envoi de la Coupe du Monde, la planète retient son souffle quant à la bonne tenue de la compétition. Les problèmes sociaux auxquels sont confrontés les brésiliens auront-ils raison de la fête promise par les autorités ? Éléments de réponse avec Pascale Ledru-Gibert, consultante en stratégie qui vient de passer trois ans au Brésil, au plus près des difficultés sociales. La situation sociale brésilienne est-elle aussi préoccupante que les médias occidentaux veulent le montrer ? Tout d’abord, il faut dire que le Brésil est un continent avec différentes villes. On parle souvent de Rio et Sao Paulo car c’est ce qu’on voit du Brésil mais il y a de nombreux autres territoires, où ce n’est pas du tout la même réalité. Il y a des problèmes d’insécurité qui sont beaucoup plus importants qu’en Europe et qu’en France plus particulièrement. Moi par exemple, j’ai vécu à Curitiba , réputé comme une des villes les plus chaudes du pays. Au fil du temps, on apprend à faire attention à notre environnement, à faire attention la nuit, à être vigilent tout simplement. Les problématiques sont différentes dans les mégalopoles et les différentes villes du Brésil. De la part d'une Européenne, quel est votre point de vue sur les pacifications des favelas qui se sont accélérées ces dernières semaines ? Une vraie chance pour la tranquillité des touristes et des acteurs du mondial ou la création d'une fracture dans la société ?

En tant que touriste, il y a forcément des précautions à prendre qui sont assez connues, comme ne pas porter des bijoux voyants, ne pas s’afficher avec des appareils photos, etc. Je n’ai jamais eu de problème en tant que touriste là-bas. Je ne pense pas que la pacification des favelas ait une réelle influence sur les touristes qui se rendent au Brésil. Par contre, pour les mégalopoles brésiliennes, ça aura sans un impact plus important. Le Brésil est un pays étonnant parce qu’il y a en même temps une classe moyenne qui émerge et de ce point de vue, on peut se dire que la fracture est en train de se réduire. De l’autre, la grande majorité du Brésil vit à crédit, c’està-dire que les habitants achètent tout avec des crédits. De ce fait, l’économie reste très fragile et risque de reculer plus rapidement. Pensez-vous que la sécurité assurée lors de ce mondial ?

sera

Je pense que s’il faut mettre les moyens, les autorités le feront. Nous savons qu’il s’agit d’une terre sensible mais les Brésiliens auront toujours le sens de la fête et de l’accueil, ils sauront donc probablement mettre leur colère de côté pendant le mondial. D’un autre côté, les habitants

sauront faire entendre leur voix s’ils en ont envie. Pour ce qui concerne la Coupe du Monde, j’ai le sentiment que tout n’est pas encore très organisé pour accueillir cet événement de taille. Comment la Coupe du Monde et les JO prochainement pourront-ils vraiment contribuer au développement du pays ? Je pense que le travail qui est réalisé contre la corruption aidera encore plus au développement du pays. Ce pays possède beaucoup de ressources naturelles importantes. S’il n’arrivait pas à faire avancer les choses, le Brésil serait au niveau des pays Africains et aurait du mal à s’en sortir. Le Brésil mise sur les ressources naturelles et sur l’attractivité qu’il a sur le monde entier. La gouvernance est tout de même peu et mal structurée, le secteur public est très faible. Le secteur privé en revanche est très développé et c’est essentiellement les grands groupes qui dirigent et corrompent le pays. Propos recueillis par Lorenzo CALLIGAROT


DOSSIER

LA COUPE EST PLEINE

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GAZ LACRYMOGÈNES CONTRE ARCS ET FLÈCHES

Les grévistes du métro de Sao Paulo ont décidé de suspendre leur mouvement lundi soir. Mais ils menacent les autorités, de reprendre la grève lors de l’ouverture de la Coupe du Monde, si leurs 42 collègues licenciés ne sont pas réintégrés. Une grève des employés de transports provoquerait une paralysie générale de la mégalopole de Sao Paulo pour le match d’ouverture Brésil -Croatie. LA PRÉSIDENTE DU BRÉSIL TENTE DE CALMER LA CONTESTATION Dilma Roussef, la présidente du Brésil a déclaré mardi soir, dans une allocution nationale radiotélévisée « Le Brésil a surmonté les principaux obstacles et il est prêt sur et en dehors des terrains ». Face aux contestations sociales qui menacent le bon déroulement du mondial, la présidente Brésilienne a déclaré que les bénéfices « ne partiront pas dans les valises des touristes après le Mondial. Elles resteront ici, bénéficiant à tous les Brésiliens. Les bénéfices resteront à vie ». DES QUOTAS D’AFRO-BRESILIENS DANS L’ADMINITRATION BRESILIENNE Le gouvernement Brésilien a promulgué une loi qui instaure des quotas de noirs dans l’administration, ce lundi 9 juin. Cette loi prévoie 20% de places réservées pour les noirs et les métis dans les concours de l’administration publique. Cette loi, dont l’application se limite à 10 ans, concerne les fondations et entreprises publiques fédérales, ainsi que les sociétés d’économie mixte contrôlées par l’Etat comme le géant pétrolier Petrobras, les banques Caixa Economica Federal et Banco do Brasil et la poste. Le Brésil compte 91 % de la population noire qui n’a pas réussi à entrer à l’université, et à peine 5,3 % d’afrodescendants occupent des postes de direction dans les 500 plus grandes entreprises du pays.

Le Brésil a longtemps été pointé du doigt pour son racisme et sa discrimination, notamment envers les populations noires issues de l’esclavage. Si à l’heure de la très médiatisée Coupe du Monde de football, la situation des brésiliens noirs semble s’être améliorée, une autre mise à l’écart est souvent passée au silence : celle des Indiens, les « indigènes ». ©REUTERS

GRÈVE DU METRO DE SAO PAULO SUSPENDUE

La fête du football s’ouvre aujourd’hui au Brésil. Très attendue, la Coupe du Monde a longuement été entachée par des mouvements de protestation contre la tenue de la compétition. En raison notamment du coût astronomique des infrastructures (9 milliards d’euros de dépenses) au détriment d’investissements dans l’éducation ou le social, alors que beaucoup de Brésiliens vivent dans la misère. Parmi les contestataires : les Indiens.Le 27 mai, aux abords du stade de Brasilia se tenait une manifestation anti-Mondial. Parmi le millier de manifestants, 500 chefs Indiens face à 700 policiers. Des policiers du bataillon de choc ont chargé les manifestants dont des enfants et des vieillards pour les empêcher de s'approcher du stade Mané Garrincha. Repoussés de leurs réserves protégées S’en sont suivies des scènes surprenantes, où gaz lacrymogènes faisaient face à des jets de pierres et décoches de flèches. Les chefs indiens, peintures de guerre sur le visage, sont montés sur le toit du Parlement pour réclamer des politiques pour leurs peuples. A Brasilia, les indigènes avaient d'abord, dans la matinée, chanté et prié sur la Place des trois pouvoirs où se trouvent le palais présidentiel, le Parlement et

la Cour suprême. Certains des plus âgés agitaient de la fumée "pour éloigner l'esprit du Mal", rapportent RTL. Les indigènes du Brésil sont actuellement 700 000, soit 0,3% de la population. Les manifestations contre le gouvernement de Dilma Roussef se sont multipliées ces derniers mois. Ils l’accusent de freiner la délimitation de leurs terres au bénéfice des grands agriculteurs. Les exclus du Mondial Une contestation qui amène souvent à la violence. Le 2 juin, un jeune leader indien, Valmir Guarani Kaiowá, a été kidnappé, ligoté et torturé par quatre hommes armés. Le but ? L’intimider car il a été témoin dans une sombre affaire de meurtre. Nísio Gomes, son beau-père, a été assassiné par des hommes masqués en 2011, après avoir conduit sa communauté à reprendre une partie de son territoire ancestral, qui était occupée par un ranch d’élevage de bétail. « La Coupe est pour qui ? Elle n'est pas pour nous ! » clamaient les Indiens présents à Brasilia le 17 mai, emmenés par la figure légendaire de la résistance des peuples indigènes Raoni Metuktire, 84 ans. Même si les communautés d'Indiens tentent tant bien que mal de préserver leurs traditions, les Indiens adorent pourtant le football. En atteste ce club, le Gavião Kyikatejê

FC, première équipe indigène professionnelle au Brésil, qui a fait l’objet d’un long reportage dans So Foot. « Où est notre espace, pour qu’on puisse nous aussi faire partie de la fête ? Au moins pour qu’on expose notre artisanat, qu’on montre notre culture au monde entier » se plaint le leader de la communauté Waikiru, près de Manaus, au micro de France Info. Ignorés par la Fifa Toutes les tribus indigènes sont aujourd’hui menacées, et leur territoire se réduit de plus en plus. Le gouvernement brésilien consacre 791 millions de dollars à l’organisation des services de sécurité durant la Coupe du monde. Ce qui équivaut à au moins trois fois le budget annuel du département des affaires indigènes, souvent à court de fonds, relève l’association Survival France.La Fifa (Fédération Internationale de football) quant à elle a l’air de tout simplement ignorer la présence des Indiens. Sur le site de la Fédération, une description du pays est mise à disposition. Aucune référence aux tribus indiennes et à leur patrimoine n’est faite.Pourtant si proches, les Indiens devront suivre la Coupe de Monde de loin. Kévin CHARNAY


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FRANCE TENSION EXTRÊME AU FN

JEAN-MARIE LE PEN SEUL CONTRE TOUS

©PARISMATCH

Jean-Marie Le Pen fait l’unanimité contre lui, suite à une déclaration jugée antisémite qu’il a prononcé vendredi dernier. Après l’affaire Durafour et le « détail » de la seconde guerre mondiale, voilà qu’il a utilisé le mot « fournée au sujet de Patrick Bruel, personnalité de confession juive. Un mot qui décidément ne passe pas jusque dans son propre parti.

L

e président d’honneur du FN n’a pas perdu, avec l’âge, le sens des formules. Ou plutôt devrait-on dire, l’art de la provocation. Sa dernière en date, énième d’une longue série, est inédite non pas par la teneur des propos, mais par les réaction qu’elle a provoquées, au sein même du FN et jusqu’à sa présidente Marine Le Pen. Dans une vidéo publiée dans son « journal de bord », un blog hébergé sur le site du parti, Jean-Marie Le Pen fustige les personnalités qui ont pris part contre le Front national. Au moment de parler de Patrick Bruel, qui a déclaré en avril qu’il ne se produirait pas dans les villes ayant élu un maire FN, il prend un ton enjoué et déclare : « On fera une fournée la prochaine fois ». Des propos qui ont suscité une indignation généralisée dans toute la classe politique. Sa propre fille, Marine, a parlé d’une « faute politique », une réaction que l’ancien dirigeant du Front national a ressentie comme une « petite trahison ». Sa présence mardi au petit journal, émission d’habitude peu encline à inviter des dirigeants frontistes, sonne comme une déclaration de guerre. Un nouveau FN Depuis qu’elle a été élue présidente du Front national en 2011, Marine Le Pen

travaille jour après jour à la dédiabolisation du parti pour élargir sa base électorale. Une stratégie qui vise à donner une image respectable au FN, et à mettre fin aux débordements antisémites et xénophobes qui le caractérisaient lorsque son père en était le président. Une stratégie payante, au vu des résultats lors des élections municipales et européennes. Seulement voilà, si une grande partie du travail a été fait, les propos de Jean-Marie Le Pen sont là pour rappeler aux yeux de tous que non, le FN de Marine ne représente pas tous les militants du parti. Car le Front National est composé de nombreux courants, comme la plupart des partis politiques d’ailleurs. On y trouve des ultra-catholiques, des xénophobes purs et durs, des partisans de Bruno Mégret et de Bruno Gollnnisch (ligne dure). Après la défaite de ce dernier lors du vote interne des militants en 2011, Marine Le Pen a complètement transformé le corpus idéologique du parti, au détriment de nombreux militants de la première heure. Une stratégie électorale Si Jean-Marie Le Pen a été nommé président d’honneur à vie en 2011, ce n’est probablement pas un hasard. De nombreux spécialistes estiment que cette décision obéit à une logique

électorale. En plaçant son père à ce poste, Marine le Pen rassure la base fidèle de l’électorat FN, qui aurait tendance à ne pas se reconnaitre dans les propos « modernes » de sa présidente. En s’exprimant librement et régulièrement dans les médias, Jean-Marie Le Pen entretient la singularité du parti et son positionnement « hors-système ». Car c’est bien la crainte de Marine Le Pen. A force de devenir banal, le Front national risquerait de perdre de son aura. Jusqu’à maintenant, la présidente n’avait jamais désavoué publiquement son père, même après ses déclarations sur « ebola » la semaine dernière, des propos pourtant très violents. Mais visiblement, le mot « fournée » ne plait pas du tout à Marine Le Pen, qui pour la première fois défie directement son père. Encore une combine politicienne ? Rien n’est moins sur, car la réaction des dirigeants FN pourrait laisser penser que la fracture est réelle entre les deux FN. Si rien n’est évidemment acté, cet événement pourrait avoir un impact majeur lors des prochains scrutins, et sur l’électorat du parti. Dans sa nostalgie d’un retour aux sources, Jean-Marie Le Pen s’amuse à répéter : « Un Front national gentil, ça n’intéresse personne ». Pour lui au moins, les choses sont claires. Antoine DE LONGEVIALLE

JEAN-MARIE LE PEN EXPRIME SA COLÈRE DANS LE JDD Dans une interview accordée au Journal du Dimanche, le président d’honneur du Front national s’est emporté contre sa fille Marine : « Ma fille m’a poignardé dans le dos. C’est elle qui a créé le problème », a-t-il notamment déclaré, avant d’ajouter : «Je n’ai pas l’intention de changer à 85 ans. Si je les emmerde, ils n’ont qu’à me tuer. Je ne me suiciderai pas. Je préfère vous prévenir, s’il m’arrivait un accident prochainement, ça ne sera pas de mon fait. » Visiblement très énervé, JeanMarie Le Pen a également affirmé qu’il n’avait pas eu de discussion avec sa fille sur l’affaire en cours.

LE SITE DU FN N’HÉBERGE PLUS LE BLOG DE JEAN-MARIE LE PEN Pour des raisons juridiques, le Front national a décidé de ne plus héberger le blog de Jean-Marie Le Pen, selon une décision du trésorier et avocat du parti, Wallerand de Saint Just. C’est sur ce blog vidéo, intitulé « journal de bord », que le président d’honneur a l’habitude de réaliser un commentaire hebdomadaire sur l’actualité. Une sorte de discussion, un échange de bons mots avec un(e) militant(e) du parti, qui ne manque pas d’aller dans son sens. Le plus souvent, c’est Marie d’Herbais, une amie d’enfance de Marine Le Pen issue de l’ultra droite, qui anime les débats.

LE FN PROCHE DE FORMER UN GROUPE À BRUXELLES Marine Le Pen approche de son objectif. Il ne lui manque plus que deux députés de deux nationalités différentes pour pouvoir constituer un groupe au Parlement européen. Elle doit parvenir à réunir 25 députés de 7 nationalités différentes, ce qui permettrait à son groupe parlementaire de profiter de toutes sortes d’avantages (subventions, possibilité de recruter des secrétaires, meilleure visibilité etc.). Pour le moment, elle bénéficie du soutien du mouvement belge Vlaams belang, de la Ligue du nord italienne, du parti des Libertés néerlandais ainsi que de l’extrême droite autrichienne.


PATRICK DE CAROLIS MIS A L’ÉCART DE FRANCE TÉLÉVISIONS

FRANCE/MÉDIAS

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BYGMALION / FRANCE TÉLÉVISIONS : DES QUESTIONS SANS RÉPONSES

©nouvelobs

La semaine dernière, l’ancien président-directeur général de France Télévisions Patrick de Carolis, a déclaré qu’il suspendait son activité sur France 3. Depuis cette annonce, de nombreuses rumeurs sont nées, sur les relations entre le groupe média et la société de communication Bygmalion.

Discussion entre Patrick de Carolis et Rémi Pflimlin au CSA en janvier 2013.

« J’ai décidé de suspendre mon activité à l’antenne de France 3 le temps de défendre mon honneur. » Cette déclaration de Patrick de Carolis, survenue le 5 juin dernier, sonne le glas de sa carrière à France Télévisions. Mis en cause dans l’affaire des prestations réalisées par la société de communication Bygmalion au profit de France Télévisions, le présentateur de l’émission « Des Racines et des ailes » a récemment décidé de démissionner. On reproche à France Télévisions d’avoir signé des contrats favorisant Bygmalion en 2008, alors que de Carolis était président du groupe audiovisuel. Le journal Le Point affirme que l’ex-président de France Télévisions a touché 119 500 euros de la part de Bygmalion, entre 2011 et 2012. Des soupçons trop lourds pour Patrick de Carolis, qui affirme avoir démissionné après un accord avec France Télévisions. La société de communication aurait fait appel à France Télévisions pour diverses prestations telles que des discours, des courriers aux téléspectateurs, etc. Tous ces « services » seront bien contractualisés mais aucun appel d’offres ne verra le jour. Au final, Bygmalion touchera 1,2 million d’euros de la part du groupe public jusqu’en 2013. Selon le Nouvel Observateur, Rémy Pflimlin, actuel président du groupe audiovisuel, serait à l’origine du renvoi de Patrick de Carolis, dans le but de s’éloigner de l’affaire. De plus, l’ancien dirigeant et créateur de Bygmalion, Bastien Millot, a été directeur délégué du groupe média, ce qui amplifie les rumeurs de favoritisme. Et la proximité entre Millot et l’ancien président de France Télé a de quoi interpeller. Quand Patrick de Carolis devient président de France Télévisions

en 2005, il nomme Bastien Millot directeur délégué. Dans le même temps, sa cousine Aurélie Ferton a rejoint le groupe de média pour occuper le poste d’attaché de presse de la direction et responsable des relations publiques. Ensuite sont venus les contrats de communication sans appel d’offres, sur lesquels se penche aujourd’hui le juge Van Ruymbeke. Mensonge ou langue de bois ? Il y a quelques jours, Rémy Pflimlin, l’actuel président-directeur général de France Télévisions, a affirmé que « les explications que donne Patrick de Carolis étaient dignes de confiance ». Alors pourquoi le renvoyer de France Télévisions ? Quand les journalistes évoquent les contrats avec Bygmalion, le président du groupe média répond que « France Télévisions s’est mis en mode économies, et que nous avons réduit certaines des nombreuses prestations ». Il avoue néanmoins avoir conservé deux contrats avec la société de communication jusqu’à l’année dernière. Des contrats qui correspondaient selon lui « à des activités nécessaires ». A en croire Rémy Pflimlin, tous les collaborateurs du groupe sont bel et bien intègres et « on ne peut pas laisser croire qu’il y a une forme d’irresponsabilité » de la part du groupe, se défend-il dans Le Monde. Même si tout semble reposer sur les responsabilités de l’ancien président de France Télévisions, Pflimlin est lui aussi mis en cause. En effet, l’actuel président de France Télévisions a eu pour mission de « reconduire » ces contrats. Des reconductions complexes qui n’échappent pas non plus à la justice. Selon des sources

proches de l’enquête, ce haut responsable de l'audiovisuel public aurait joué la carte de l’ignorance, face aux questions du juge concernant la gestion de l’argent public pendant la fameuse affaire. Bygmalion et France Télévisions, un mariage consommé ? L’histoire entre les deux sociétés est loin d’être terminée. On aurait pu trouver légitime que France Télévisions démette Patrick de Carolis de ses fonctions puisqu’il est impliqué dans l’affaire Bygmalion. Légitime si Rémy Pflimlin, indirectement mis en cause, n’avait pas été l’actuel président du groupe. Il ne faut pas oublier que Bygmalion a également exercé ses compétences sous la présidence de ce dernier. D’autre part, ce dossier comporte d’autres aspects litigieux pour Rémy Pfilmlin, comme les conditions d’emploi de son plus proche collaborateur pour son émission « Des Racines et des ailes ». Dans une interview livrée au journal Le Monde, le président de France Télévisions en poste précise « qu’il n’était pas possible de remettre en question toutes les prestations d’un coup, sous peine de mettre l’entreprise à l’arrêt ». Après les révélations de Jérôme Lavrilleux concernant les fausses factures de Bygmalion pendant la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, qui fut chef d’État pendant la présidence de Patrick de Carolis à la tête de France Télévisions, cette société n’a décidément pas fini de faire parler d’elle. Léa CARDINAL


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LA PHOTO DE LA SEMAINE ©AFP

LA SEMAINE PRISME

Un jeune égyptien présent pour la victoire d’al-sissi , place Tahrir, au Caire, le 3 juin 2014.

Cri d’allégresse ou cri de colère ? de Léna Ailloud

Place intacte, mêmes personnes, pancartes différentes et cris contraires. 96,9% des Egyptiens ont voté en sa faveur. Ils étaient dans la rue le 3 juin suite à l’annonce des résultats de l’élection présidentielle qui a proclamé le maréchal Abdel Fattah al-Sissi vainqueur. Il mandate une nouvelle fois à la tête de l’Egypte. Place Tahrir, au Caire, on est bien loin des manifestations que ce même endroit a connues en 2011. Mais ce rassemblement de victoire, loin des cris contestataires d’il y a deux ans, n’est-ils pas trop prématuré ? Connu pour avoir destitué et arrêté, en juillet 2013, le président islamiste Mohamed Morsi, le maréchal à la retraite est devenu une vraie icône. Dirigée auparavant par les Frères Musulmans, une bonne partie de la population égyptienne reste laïque face à ce président réélu qui se revendique également comme n’appartenant pas au clergé. Mais le maréchal a déjà mis en place de nombreuses lois autoritaires, héritées de son expérience militaire. C’est aussi lui qui a lancé une répression implacable et sanglante contre les pro-Morsi. Depuis juillet dernier, policiers et soldats ont tué plus de 1400 manifestants pro-Morsi, emprisonné plus de 15 000 Frères Musulmans et autres islamistes présumés, dont plusieurs centaines ont déjà été condamnés à la peine de mort. La répression « sans précédents » selon l’ONU, est malgré cela applaudie par la grande majorité des 86 millions d’Egyptiens. Alors peut-on vraiment crier victoire ?


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