The Red Bulletin FR 02/24

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FRANCE FÉVRIER 2024

HORS DU COMMUN

Votre magazine offert chaque mois avec

SOUL FLYERS

La saga de ces frères des airs qui font voler l’Homme

Fred Fugen et Vince Reffet au-dessus de la Jungfrau, en Suisse, lors du tournage de leur vidéo A Door in the Sky.


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É D ITO R I A L

Contributions

ANTON STOLPER Journaliste franco-­allemand de Londres, il est s ­ pécialisé dans les récits longs formats. Il a coécrit La vie en l’air, l’auto­ biographie de Fred Fugen aux éditions Robert L ­ affont. Il a travaillé avec les magazines S ­ ociety et So Good, et réalise des podcasts pour Binge ­Audio. Il signe l’article sur les origines des Soul Flyers. P. 26

GREG LECOEUR

MAX HAIM/RED BULL CONTENT POOL (COUVERTURE)

Les images incroyables de Greg ­Lecoeur, entièrement autodidacte, ont fait de lui l’un des photographes les plus ­respectés dans son domaine, et le lauréat de prix prestigieux. Il est le fondateur de We Are Méditerranée, asso conciliant art, science et éducation et ayant pour but de valoriser la biodiversité. P. 70

DÉPLOYEZ VOS AILES Ce numéro pourrait être un « spécial oiseaux ». Mais d’un genre très particulier… à commencer par les Soul Flyers, auxquels nous dédions une saga faite de vols sensationnels, à base de parachutes, wingsuits, moteurs dans le dos et autres Alpha Jets de la Patrouille de France. Une dinguerie ! On s’envole aussi avec la future pop star suisse et tamoule Priya Ragu qui s’est lancée après avoir lâché son job de comptable. Dans une compagnie aérienne. Des ailes, décidément, jusque dans notre portfolio dédié à un photographe du monde aquatique, Greg Lecoeur, qui passe du temps sous l’eau, mais y croise tout de même des individus à plumes. Si tout cela ne vous motive pas à déployer les vôtres… d’ailes. Bonne lecture ! Votre Rédaction

ELLIOTT WILCOX Le photographe primé cherche toujours à insuffler de l’énergie et de l’authenticité à son travail. Lorsqu’il a rencontré Priya Ragu dans le nord de Londres pour le TRB, il n’a pas été déçu. « Priya était très amusante. Nous nous sommes donc appuyés sur cette positivité pour créer de belles images pleines d’esprit. » P. 62 THE RED BULLETIN

Code orange : c’est peut-être le futur de la pop, Priya Ragu, qui pose dans les rues de Londres pour le photographe local Elliott Wilcox. P. 62

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CONTENUS

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G A L E R I E 6 P L A Y L I S T : P E T E W E N T Z 12 T O M O R R O W L A N D W I N T E R 14 R A P C L U B 16 T A T T O O P L A N E T A R I U M 18

HÉROS & HÉROÏNES

PLUS FORTE QUE LUI

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Comment la marathonienne Anaïs ­Quemener a vaincu le cancer.

LE MONDE AUTREMENT

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Explorer des lieux impraticables, c’est le pari du duo Hit The Road. 24

Adieu la dualité, bonjour la contemporanéité consciente avec M I M I. S A G A S O U L F LY E R S

LA GENÈSE

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Une bande d’amis réunis par leur ­passion et leur expertise de l’extrême.

32

4

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Le réalisateur des Soul Flyers n’est jamais très loin. Les souvenirs incroyables d’un type à part.

DEMAIN 44

BIG BLUES

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La chanteuse R&B Priya Ragu se ­déleste des attentes familiales pour ­conquérir le monde. ENVIRONNEMENT

Ils s’appellent Vincent Cotte et ­Aurélien Chatard. Aux côtés de Fred ­Fugen, ils sont la relève des Soul Flyers.

INTO THE BLUE

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Le photographe Greg ­Lecoeur montre la beauté du monde pour le protéger. PERSPECTIVES

À L’ H O R I Z O N

FRED FUGEN

Ses vingt ans de vols ont marqué l’Histoire du parachutisme.

C U LT U R E

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La star du FMX Tom Pagès raconte la moitié du duo des Soul Flyers, qui l’a toujours motivé et accompagné dans la performance.

DINO RAFFAULT

Fred Fugen raconte ses plus beaux exploits réalisés avec Vince Reffet.

L’HOMME-OISEAU

VINCE REFFET

PORTRAIT

PHOTO

PLEIN LES YEUX

PORTRAIT

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V O Y A G E 83 J E U 88 M A T O S 90 M E N T I O N S L É G A L E S 96 P O U R F I N I R E N B E A U T É 98 THE RED BULLETIN

GREG LECOEUR, STEPHANE FARDEL, ELLIOTT WILCOX

COSMOS SONORE


THE RED BULLETIN

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LUCAS TIEFENTHALER/RED BULL ILLUME

DAVYDD CHONG


Lech Zürs am Arlberg, Autriche

JOUR DE CHANCE

« Cette photo est un miracle, s’exclame l­’Autrichien L ­ ucas Tiefenthaler. J’y ai investi des heures, des bornes et des nerfs. Le temps était trop v ­ enteux, chaud, enneigé. Je ne ­pouvais pas faire de séquence à cause des flashs. Et je n’ai pu déclencher qu’une seule fois, il me fallait donc un timing parfait pour ­capturer Thomas (Göschlberger, ­pilote VTT, ndlr) sur ses skis. » Une place en demi-­finale du concours Red Bull Illume fut leur bonus. lucastiefenthaler.com ; redbullillume.com

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Riga, Lettonie

GHOST RIDER Riga abrite une sculpture inquiétante ­intitulée Le Fantôme, œuvre de l’artiste Leva Rubeze. Son esprit serait-il derrière ce cliché, demi-finaliste du concours Red Bull Illume ? Les talents de peintre de lumières du photographe Volodya ­Voronin et les ­instincts de skateur d’Arturs ­Bogdanovics sont ici à l’œuvre. « Avec de tels flashs, on peut être aveuglé pendant une fraction de seconde, explique Volodya. ­Arturs connaissait sa figure si parfaitement qu’il a pu la réaliser à l’aveugle. » actiongrapher.com ; redbullillume.com


DAVYDD CHONG VOLODYA VORONIN/RED BULL ILLUME, DANIEL GAJDA/RED BULL ILLUME

Salt Lake City, Utah, USA

CODE ORANGE Qu’est-ce que les activistes de Just Stop Oil ont contre le grimpeur américain Ross Fulkerson ? Rien, évidemment. Ces chaudes teintes orangées ont été ­projetées par Dame Nature, et Daniel Gajda les a capturées avec bonheur. « Le soleil est sorti de derrière les nuages et a éclairé les feuilles orange avec cette magnifique lumière dorée des montagnes », explique Daniel à propos de la photo qui lui a valu une place en demi-finale du Red Bull Illume. « Un moment parfait ! » gajdaphotography.com ; redbullillume.com

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Paris, Porte d’Auteuil

LE BOSS FINAL Déter, B-Boy Dany Dann (à gauche) était l’un des favoris de la finale mondiale du Red Bull BC One organisée le 21 octobre 2023 au stade Roland-Garros. Mais le Coréen Hong 10, déjà deux fois champion du monde, s’est dressé sur sa route. Devant 8 000 spectateur·rice·s, leur demi-finale fut l’un des plus beaux battles de breaking de tous les temps. Hong 10 l’a emporté, et terrassé Phil Wizard (Canada) au round suivant. En boss ultime. redbullillume.com


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DEAN TREML/RED BULL CONTENT POOL


PETE WENTZ

Le monde de l’emo Le visage de Fall Out Boy raconte quatre tracks qui ont pu inspirer la formule pop-punk de son groupe. Formé à Wilmette, dans l’Illinois (USA), le groupe Fall Out Boy a été la bande-son de la génération emo des années 2000. En 2023, ce genre se la joue mainstream avec des artistes qui s’emparent de ses codes, telles Billie Eilish ou Olivia Rodrigo, porté par une gen Z en mode nostalgie. Après tout, l’emo n’est autre qu’une « nuance de tristesse adolescente », d’après The Whashington Post. C’est donc une nouvelle vie qui s’offre à ce genre musical encore stigmatisé. Le joueur de NBA Jimmy Butler en a même fait les frais lors d’une conférence de presse en octobre 2023, mais a prouvé que l’emo is not dead, à l’image de Fall Out Boy qui continue de traverser les époques. Pete Wentz, bassiste et parolier, raconte ici quatre chansons essentielles à sa construction musicale. falloutboy.com

Gorilla Biscuits

Green Day

Jay-Z

Live and Let Die (1991)

Start Today (1989)

Basket Case (1994)

99 Problems (2004)

« Les Guns N’ Roses ont eu un gros impact sur moi. Avant, j’écoutais ce que mes parents passaient, et c’est le premier groupe que j’ai choisi pour moi. C’est à cette époque qu’ils ont sorti Use Your Illusion, deux doubles albums, sortis séparément. Live and Let Die est une super chanson, et c’est aussi une reprise, donc j’y mets aussi Paul McCartney.»

« C’est en regardant Gorilla Biscuits (un groupe newyorkais de punk hardcore, ndlr) jouer que j’ai réalisé pour la première fois que n’importe qui pouvait monter sur scène, parce qu’elle ne s’élevait qu’à cinq centimètres du sol ! (Rires) N’importe qui pouvait littéralement y monter. C’est un groupe génial, qui m’a énormément influencé. »

« Il y a une ligne directe entre Green Day et nous : nous n’aurions pas pu nous orienter sans un groupe comme celui-­ là. Je me souviens avoir vu le clip de Basket Case, dans lequel Tré (Cool, le batteur du groupe, ndlr) se déplace en fauteuil roulant. Je trouvais insensé que cette chanson soit diffusée sur MTV et qu’un tel groupe ait eu pareil succès. »

« Jay est quelqu’un que j’admire beaucoup. Il a été le président de notre label pendant un certain temps, lorsque nous étions signés chez Island Def Jam. Il est comme un poète qui a de l’allure. Il a créé toute une culture. Il a trouvé le moyen de réunir les Beastie Boys et le Jay-Z de l’ère Blueprint dans une même chanson. C’est pour cela que je l’aime. »

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THE RED BULLETIN

WARNER MUSIC

Guns N’ Roses

MARCEL ANDERS

Scannez-le pour écouter notre Playlist podcast avec Pete, sur Spotify.



TOMORROWLAND WINTER

Chaud froid Pour sa 4e édition, le ­Tomorrowland Winter déploie les grands moyens en s’inspirant de l’Amicorum Spectaculum, l’une des scènes les plus mythiques du festival, avec un line-up bien poudreux. On se souvient encore de la fois où le festival Tomorrowland à annoncé sa première édition winter. Tandis que certain·e·s étaient plutôt sceptiques à l’idée de faire la fête les doigts congelés, d’autres étaient immédiatement alléché·e·s. Chausser ses skis ou son snowboard pour se rendre à la station française de l’Alpe d’Huez et arriver sur un monstrueux site de festival de musique électronique : impossible de refuser. C’est finalement le monde entier qui s’y est donné rendez-vous pour un moment 14

magique sous le signe du lotus. C’était en mars 2019, et depuis, le Tomorrow­land Winter a bien grandi. Fort de ses 22 000 personnes attendues cette année, et accueillant plus de 150 artistes, le festival brise les murs de glace entre les genres de la musique électronique (EDM, house, trance, ­complextro, etc) pour offrir une nouvelle fois à son public une exploration sonore dans un décor visuel digne d’un film fantastique, avec huit scènes, dont une micro qui se situe au Pic Blanc, à plus de THE RED BULLETIN


Tomorrowland Winter, l’immersion totale ­synonyme de plaisir dont le mantra est : « Vivre aujourd’hui, aimer demain, s’unir pour toujours. »

UN LINE-UP OLYMPIQUE

TOMORROWLAND

MARIE-MAXIME DRICOT

L’année dernière, le Tomorrowland Winter a marqué les esprits avec un panel d’artistes des plus alléchants, dont Nina Kraviz et James Hype faisaient partie. Il est donc naturel que pour 2024, le festival frappe un grand coup une fois de plus ! Voici quelques artistes annoncé·e·s : THE RED BULLETIN

3 Are Legend, AFROJACK, Amber Broos, Andromedik, Armin van Buuren, B Jones, Da Tweekaz, Dimitri Vegas & Like Mike, Henri PFR, Kevin de Vries, Kölsch, Lost Frequencies, Netsky, Sebastian Ingrosso, Steve Aoki, Sunnery… Tomorrowland Winter, 16 au 23 mars 2024, Alpe d’Huez, France. Tomorrowland.com ; IG : @tomorrowlandwinter

3 330 mètres d’altitude. Pour celleux qui se demandent quel est l’impact carbone d’un festival d’une telle ­envergure au milieu de la neige, qui lie facilement les problématiques de transports et d’installation du site, sachez que les organisateurs œuvrent nuit et jour pour réduire l’impact environnemental de l’événement, qui durera sept jours : « Nous essayons de travailler le plus possible avec une tension fixe au lieu de générateurs. Une décision sera bientôt prise quant à savoir si nous passerons ou non aux biocarburants. Et nous utilisons autant que possible les emplacements existants en montagne et dans le village », souligne Debby Wilmsen, en charge de la comm du festival. Par ailleurs, Tomorrowland Winter a pour objectif de disposer de 100 % d’énergie verte d’ici 2030 : « La gestion de l’énergie ne consiste pas seulement à obtenir de l’énergie verte, mais aussi à réduire la quantité utilisée. C’est pourquoi nous recherchons des alternatives pour réduire notre consommation d’année en année. » Suite à l’édition 2024, un calcul de l’empreinte C0² sera par conséquent effectué, afin d’obtenir un document de référence pour les années à venir, ce qui leur permettra d’établir des priorités et de prendre des mesures durables. En outre, le festival sensibilise ses participant·e·s, met l’accent sur le respect de la nature et souhaite qu’ils et elles choisissent un mode de vie durable, notamment sur la manière de se rendre sur le site, et, une fois sur place : « L’objectif est de laisser les montagnes plus propres que jamais. Nous voulons recycler et réutiliser autant de matériaux que possible. » Au-delà de la fête, le ­festival, c’est aussi ­l’occasion d’explorer la nature en sillonnant l’immensité du domaine de l’Alpe d’Huez en chiens de traîneaux, en motoneige, ou en parapente pour les amateur·rice·s de ­sensations fortes. 15


RAP CLUB

Big Up Femmes de rap est un livre nécessaire pour ­proposer un autre narratif du rap français : à savoir, le parcours de celles ­autrefois mises de côté. Dans le même rayon, un ouvrage sur le rap game des nineties a été édité par l’Abcdr du Son.

Les rappeuses et les femmes du rap jeu sont enfin écoutées en France, ce qui n’a pas toujours été le cas à propos du genre musical le plus écouté de l’Hexagone. Si l’on peut citer les noms d’artistes américaines comme Queen Latifah, Roxanne Shanté, Lauryn Hill, Erykah Badu, Lil’ Kim, Foxy Brown, Nicki Minaj, Cardi B en moins de deux secondes, il en va autrement pour la France. Le grand public retiendra souvent, voire uniquement, celui de Diam’s… À croire qu’elle fut la seule 16

à s’approprier un m ­ icro et que les rappeuses d’ici n’existaient pas : invisibilisation incontestable dans les années 2000 à 2010. Depuis deux ans, les rappeuses s’affirment et n’hésitent pas à s’emparer des espaces médiatiques pour revendiquer leurs propositions musicales. N’oublions pas qu’il n’y a pas qu’un seul rap, mais plusieurs : trap, drill, cloud, conscious, emo, gangsta, etc. C’est dans ce contexte que la journaliste et DJ ­Naomi Clément inscrit son

ouvrage Femmes de rap, ­publié aux éditions Leduc, dans lequel elle offre un nouveau récit de l’histoire du rap. Naomi donne la parole aux oubliées du genre et de l’industrie, rappeuses, – directrices de label, photographes, réalisatrices, à ­travers le regard de neuf t­ alents, pour mieux comprendre les dynamiques de ce qu’on appelle « le rap jeu » – via une approche féministe et intimiste dont l’auteur ne se cache pas dans ses trois récits personnels qui ponc-

Basée à Paris, Naomi Clément est une journaliste indépendante, spécialisée R&B, qui s’est donné pour mission de mettre en lumière la nouvelle scène hip-hop et les femmes. Connue pour sa résidence sur la radio Rinse, elle anime depuis septembre 2023 une émission sur Apple Music.

IG : @naomswell

THE RED BULLETIN

NAOMI CLEMENT/LILOU CLÉMENT, ABCDR DU SON/EDITIONS MARABOUT, WILE.E /DALLE, YOURI LENQUETTE/DALLE MARIE-MAXIME DRICOT

Femmes de Rap, de Naomi Clément, aux é­ ditions Leduc, 2023 ; editionsleduc.com


RETOUR AUX SOURCES Pour celleux qui souhaiteraient en découvrir davantage sur le rap français, ­notamment celui des années 90, l’ouvrage 1990-1999, Une décennie de rap français, du média en ligne ­l’Abcdr du Son vous invite à plonger dans ses archives et celles des acteur·rice·s qui ont fait vivre cette période, tout en donnant la part belle à des artistes parfois mis·es de côté et à des œuvres ­méconnues. abcdrduson.com THE RED BULLETIN

tuent la n ­ arration. Au cœur du livre, toute une série d’entretiens, à la subjectivité affirmée, qui progressent pour répondre à la problématique suivante : comment expliquer que les femmes du rap en France souffrent e­ ncore, en 2023, d’une sous-­représentation ? Naomi Clément prend le contre-pied de nombreux ouvrages sur le rap où ne figurent que des hommes, et fait de Femmes de rap, une ode à toutes ces acharnées qui « ont fait en sorte de partager, de transmettre et, finalement, de participer à leur manière à l’élévation de la culture rap, contribuant ainsi à nourrir la vision de milliers de passionnées de musique ». Cette rétrospective des années 80 à aujourd’hui met en exergue la sous-représentation des talents f­ éminins dans le genre, celles qui ont posé ses bases en France et la nouvelle génération qui tente de redéfinir ses règles. Tandis que les noms défilent : Sophie Bramly (photographe), Nicole Schluss (manageuse et fondatrice de la maison d’artistes Derrière les planches), Leïla Sy (réalisatrice), Juliette Fievet (journaliste), Pauline Duarte (directrice d’Epic Records), Narjes Bahhar (responsable éditoriale rap français chez Deezer), Lala &ce (rappeuse) ou encore Vicky R (rappeuse, beatmakeuse) au fil des pages… On apprend aussi à connaître un peu plus l’écrivaine, car cette dernière ­n’hésite pas à contextualiser son amour pour le rap à travers la figure de sa mère, qui a vu naître le hip-hop dans l’Hexagone, depuis le XIIIe arrondissement de Paris. Comme si elle conviait le lecteur à entrer dans son monde, et ce n’est pas pour nous déplaire, puisque cela tend à rendre la lecture plus fluide et personnelle. Après tout, le rap est une ­histoire d’amour, et pour la comprendre, il faut la vivre. 17


Coulées d’encre Le Tattoo Planetarium continue d’asseoir la position du tatouage, entre old et new school : un art bel et bien inscrit dans la culture populaire. Ancré dans notre paysage culturel, le tatouage est devenu plus qu’une tradition, et une démarche qui concerne également les personnes âgées, et plus seulement les hommes. Une véritable passion populaire : selon un sondage IFOP en 2018, un·e Français·e sur cinq arborait un tatouage. D’autre part, l’édition 2023 du salon Tattoo Planetarium – qui reviendra cette année le 2, 3 et 4 février, à la Grande Halle de la Villette – rassemblait plus de 500 tatoueur·euse·s et 15 000 visiteur·euse·s. Se moquant des classes ­sociales, le tatouage a plusieurs trends. On se souvient des aficionados des tatouages tribaux, il y a trente ans. Attiré·e·s par ­l’esthétique exotique de leurs formes, ils et elles n’hésitaient pas à se les marquer sur le corps (alerte à l’appropriation culturelle). Des tatouages très Y2K, caractérisés par une 18

­ ostalgie des années 90 et n 2000, que la Gen Z expose sur TikTok et Instagram, à michemin entre le goth futuriste et le mauvais goût. Le tatoueur berlinois Gian Luca Matera raconte dans une interview donnée pour le New York Times en mai 2023 : « Pour

Année après année, le tatouage aux couleurs vives, à l’esthétique moyenâgeuse et religieuse continue de marquer.

THE RED BULLETIN

LEELOO DO/TATTOO PLANETARIUM

TATTOO PLANETARIUM

moi, tout a commencé lorsque mon ex-copine a voulu un tatouage de clochard », en référence aux tatouages dans le bas du dos qui étaient populaires à l’époque du passage à l’an 2000. Il poursuit : « Elle voulait qu’il ait un air tribal trash des années 90, ou un style vintage. » Pas certaine que tout le monde soit à l’affût du trash nineties car, en France, chez les trentenaires, on constate une tendance à la ligne fine et à des modèles plutôt minimalistes. Au-delà d’un ornement, le tatouage est aussi une manière de retrouver son corps, et d’accompagner les hommes et les femmes dans leur reconstruction, notamment après une lourde opération ou un accident, ainsi que le souligne l’association Sœurs d’Encre, spécialisée dans le tatouage sur cicatrices. Le Tattoo Planetarium, anciennement Salon du Tatouage, sera donc l’occasion d’admirer l’évolution de cet art, mais aussi d’aller à la rencontre de jeunes artistes comme Emma Rouquette, Elliott Lane, José Martinez, qui continuent de faire vivre cette pratique véritablement ancestrale. Découvert en 1991, dans les Alpes de l’Ötztal (Tyrol), un homme des glaces néolithique, vieux de 5 300 ans et surnommé « Ötzi », est le plus ancien homme tatoué. À date. Tattoo Planetarium, 2 au 4 février, Paris IG : @tattooplanetarium

MARIE-MAXIME DRICOT

Trois jours de célébration de la culture tatouage auront lieu dans la Grande Halle de la Villette.


COURONS COURONS POUR POUR CEUX CEUX QUI QUINE NE LE PEUVENT PEUVENT PAS PAS 5 MAI 2024

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MAINTENANT


H É RO S & H É RO Ï N ES

PLUS FORTE QUE LUI

En 2016, quatre mois après avoir été soignée d’un cancer du sein, Anaïs ­Quemener devient championne de France de marathon. Pour la jeune femme il n’a jamais été question de renoncer à la passion qui la fait se sentir vivante. TEXTE PATRICIA OUDIT

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the red bulletin : Racontez-nous ce retour gagnant à la compétition, sur les championnats de France de marathon 2016… anaïs quemener : Je me sentais bien, en pleine possession de mes moyens pour battre mon record personnel. Je ne pensais pas au podium, il y avait trop d’autres athlètes bien plus entraînées que moi. J’allais à mon rythme et je voyais régulièrement des concurrentes craquer. Puis, quand il n’y en a plus eu qu’une seule devant moi, je me suis dit que c’était maintenant ou jamais. J’ai tout donné. Et j’ai gagné. Je me suis dit : « Ça y est, la maladie est derrière moi, j’ai réussi à battre mon record d’avant le cancer. » C’était ça ma vraie victoire. D’où avez-vous tiré la force dans les moments de doute, de souffrance ? La chance que j’ai eue, c’est d’avoir eu un entourage bienveillant : mon père, mes ami·e·s du club, qui m’ont toujours tirée vers le haut dans mes moments de bad. Car j’en ai eu, quand entre les séances de chimio, je tirais la langue et je marchais dans les côtes. Mais quand on est sportive, surtout en endurance, on sait s’adapter changer de rythme, et visualiser la ligne d’arrivée. Le sport a été ma thérapie, le seul moment où je pensais à autre chose qu’à mon cancer. Le corps médical n’a pas toujours été à l’écoute de votre envie de faire du sport pendant votre maladie… On a dû se battre avec mon père pour réussir à avoir une dérogation pour faire de la compétition. On me l’avait interdit car les traitements qui contiennent des substances cardiotoxiques peuvent provoquer un infarctus. Ç’aurait été signer mon arrêt de mort ! Pour moi, mettre un ­dossard, c’était être vivante. Je me souviens aussi que pendant les séances de

radiothérapie, je me faisais engueuler par la médecin parce que je courais. Mais si j’avais arrêté le sport, j’en serais où ? D’autant que le sport est utilisé comme thérapie non-médicamenteuse dans le traitement du cancer depuis déjà quelques temps… Et limite de 40 % les risques de rechute. C’est pour ça que c’est important de passer le message : continuer à bouger mais choisir une activité adaptée et qui fait plaisir. Et, surtout, le faire avec du monde, ça motive. Quand j’étais sous traitement, j’ai ressenti ce besoin de me rapprocher d’autres sportives dans mon cas. Je suis aujourd’hui la marraine de Casiopeea (fondée en 2015 par une ultra-traileuse qui a été elle-même victime d’un cancer du sein, ndlr). Plus généralement, j’incite les femmes à se faire dépister avant leurs 45 ans. Le 24 septembre dernier, vous couriez votre quinzième marathon, à Berlin avec un record personnel à 2 h 29'01". À 2 minutes des minimas olympiques… Vous y pensez ? Oui, même si gagner 2 minutes sur un marathon, c’est beaucoup ! C’est surtout sur les temps de récupération que je compte les grappiller. Depuis janvier, je travaille à mi-temps dans mon hôpital (Anaïs est aide-soignante à l’hôpital JeanVerdier de Bondy, ndlr). Le 18 février, sur le marathon de Séville, je ferai tout pour m’y qualifier pour les JO.

Pour en savoir plus sur Anaïs Quemener, découvrez le documentaire Anaïs, réalisé par Hélène Hadjiyianni, sur Salomon TV.

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MARGAUX LE MAP

Son chrono aurait pu s’arrêter cette année-là. On est en 2014, Anaïs ­Quemener a 23 ans. Sous la douche, après son entrainement du matin, elle sent une petite boule. « Pas plus grosse qu’un ongle. Je ne flippe pas, mais je prends quand même un rendez-vous chez ma gynécologue. Elle me rassure, évoquant un kyste hormonal. » Quelques mois passent, Anaïs se sent en forme, mais la boule grossit. Suite à une échographie suspecte, on lui fait passer une mammographie en urgence. Trois semaines plus tard, le diagnostic tombe comme une massue : cancer très agressif avec métastases sous le bras gauche. « Je me suis retrouvée face à un oncologue qui me demande ce que je fais là à 24 ans… (Plus tard, en faisant des examens approfondis, on découvrira un gène dysfonctionnel, ndlr.) La première question que je lui pose c’est : “Dans 3 mois, j’ai mon championnat de France de marathon, comment on fait ?” Sa réponse est sans appel : “Tu peux repousser les traitements, mais tu feras une belle Championne de France en cercueil.” » Anaïs renonce à cette compétition et commence sa première chimio en août 2015. Malgré la fatigue, les muscles qui fondent et les cheveux qui tombent, elle persiste dans ses entraînements. Pour la jeune femme qui a débuté la course à 7 ans en Seine-Saint-Denis pour suivre les traces de son héros de père, crossman, pas question d’abandonner la course à pied. À 15 ans, elle établit un record de France des 10 km puis termine son premier marathon, celui de Rotterdam, à 21 ans, en 3 h 11. Le virus des 42 km ne la quittera plus. Alors même malade, pas question d’arrêter. Plutôt courir ! Ce qu’elle fait, vite et bien, rattrapant le temps perdu. Depuis, le chrono tourne à nouveau… Plein pot.


« Pour moi, mettre un dossard, c’était être vivante. » Anaïs après le dernier marathon de Berlin. En battant son propre record, elle se motive pour une qualification aux JO.

THE RED BULLETIN

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H É RO S & H É RO Ï N ES

LE MONDE AUTREMENT

Exploration, grimpe urbaine, parkour et découverte, voici comment se ­ définit le duo Hit The Road auprès de leurs 817 K abonné·e·s YouTube, qu’ils font voyager dans les endroits les plus inaccessibles et fous au monde. TEXTE MARIE-MAXIME DRICOT

Duo sans faille, qui ne connaît pas le vertige, Clément Dumais, athlète de parkour et réalisateur, finaliste de sept éditions de Ninja Warrior, et champion du monde 2019 de Chase Tag et Paul Rdb, athlète de parkour, réalisateur et photographe, ont commencé leur aventure en 2010, en arpentant « les plus hauts toits, en infiltrant des profondeurs interdites, et en explorant des lieux secrets dans plus de vingt pays à travers le monde ». Depuis leur création, ils n’ont cessé de se surpasser, à petit pas, en abordant challenge après challenge dans le but de toujours proposer des contenus de qualité à leur audience. En pleine préparation de leur nouvel objectif, le Dakar 2026, nous avons rencontré Paul Rdb. the red bulletin : Comment a commencé votre aventure avec Clément ? hit the road : On habitait le même petit village en banlieue parisienne, c’est le parkour qui nous a réunis. En 2012, on a pris la décision de partir à la rencontre d’autres pratiquant·e·s à travers l’Europe. On partait pour un mois avec juste un sac à dos et un pass Interrail en poche et on allait de métropole en métropole, en dormant sur les toits ou chez les gens. On était vraiment dans une approche communautaire du parkour pour partager des histoires de vie, des aventures et des techniques. On a sillonné toute l’Europe durant quatre étés et on faisait des vidéos. Et en parallèle, on a commencé à faire des prods vidéo, notamment de la pub et pas mal de photos. En 2015, vous avez fait une rencontre qui a donné un nouveau sens à votre pratique du parkour ?

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PHOTO HIT THE ROAD

Oui, c’était quand nous étions en Ukraine. Nous avons rencontré un gars, Sol, qui était connecté à la communauté du parkour, mais qui était surtout à fond dans l’exploration. Il explorait des sites comme Tchernobyl ou des vieux bunkers de la guerre froide, cachés en pleine ville. C’est lui qui nous a initiés à ce que l’on fait aujourd’hui. 2015 est une année charnière pour Hit The Road, on s’est vraiment servi de nos entraînements ­parkour pour accéder à des endroits normalement impossibles. On était très curieux des vestiges de l’URSS, de trouver de vieilles bases. C’est dans cette dynamique que vous devenez Hit The Road ? Absolument, car chaque année, on sortait des vidéos sur YouTube, sous le nom de parkour hits the road soit le « parkour qui prend la route », puis on s’est détaché un peu du parkour et c’est devenu « Hit The Road ». On aimait bien la notion de frapper la route au sens littéral parce qu’il y a beaucoup d’impact dans le parkour, ça faisait un petit jeu de mot, mais on favorise malgré tout l’exploration. Une exploration plutôt physique… À quelle fréquence vous entraînez-vous ? Quand on était à fond dans le parkour, on s’entraînait tous les jours. Aujourd’hui ça dépend des projets, de même pour l’escalade et depuis que nous sommes plus à fond dans le parapente, le speed flying ou la moto, on essaie de s’entraîner dès qu’on n’est pas derrière l’ordi. Et dès janvier 2024, on commence une formation skydiving. Ce qui est dur, c’est qu’on reste une boîte de production, on a des tournages à organiser donc il faut arriver à conjuguer le boulot qui crée les images et l’entraînement qui permet d’avoir du contenu. C’est un peu le challenge du moment.

Avec tout ça, vous vous êtes dit : « Et pourquoi pas réaliser un rêve de plus comme le Dakar en 2024, à moto » ? Le Dakar, on se donne vraiment les moyens pour pouvoir en profiter et ne pas le subir… Si on arrive à voir l’objectif final sans en faire une montagne, en le décomposant en petits morceaux et en avançant chaque jour vers le but, ça devient plus accessible mentalement. C’est un gros challenge, mais avec les bons moyens, ça peut se faire. Rien n’est jamais gagné, il faut toujours s’accrocher. Par exemple, Clément n’avait jamais fait de moto avant notre premier Enduropale du Touquet en 2022 (course de motos historique, ndlr). Comment Red Bull vous accompagne au quotidien dans votre formation accélérée pour participer à un rallye ? Les étapes un peu clés, c’est un maximum d’expérience en courses comme la Baja récemment. Ce sont des épreuves de rallye, mais sans navigation. L’Enduropale (auquel Paul et Clément participeront en février prochain, ndlr) c’est top parce que c’est une vraie course de sable comme dans les rallyes. Prochainement, on va rencontrer des athlètes pros, pour avoir leur regard et s’imprégner de leur parcours auquel, nous aussi, on aspire. C’est très formateur et pour les vidéos ça nous permet d’avoir une vraie histoire à raconter. C’est un très gros budget donc en plus des formations, Red Bull nous aide aussi à financer tout ça, notamment les courses.

YouTube : @HitTheRoad ; l’Enduropale du Touquet aura lieu du 2 au 4 février 2024 ; enduropaledutouquet.fr

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« Le Dakar, on se donne vraiment les moyens pour pouvoir en profiter et ne pas le subir. » Aux yeux de Paul, Hit The Road est une invitation au dépassement de soi et à croire en ses rêves.

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H É RO S & H É RO Ï N ES

COSMOS SONORE

Vivre dans sa contemporanéité sans être en opposition constante entre un besoin de retour aux sources et le monde technologique qui nous entoure, c’est p ­ ossible. C’est ce que démontre l’artiste M I M I à travers sa musique. TEXTE MARIE-MAXIME DRICOT

Déjà 23 h 30 lorsque je retrouve M I M I dans les coulisses du Positive Education Festival, qui se tenait en novembre dernier à Saint-Étienne, un événement « inspirant, qui permet d’être soi sans devoir s’adapter », me confie-t-elle. La crème de la scène électronique s’y était retrouvée le temps d’une semaine, pour partager des valeurs et des moments uniques que seul le dancefloor offre. La DJ, dont le travail est motivé par une conversation permanente avec la nature et l’ère Anthropocène (époque géologique correspondant à l’impact des activités humaines sur les écosystèmes), était parmi elleux. Si M I M I semble timide au premier abord, c’est parce qu’elle est d’une grande sensibilité et vulnérabilité. Deux qualités qui font que ses sets et ses productions musicales sont uniques, d’autant plus qu’elle n’hésite pas à mélanger les genres et les textures, proposant ainsi un voyage sonore qui convoque aussi bien la techno que l’ambiant, passe par la drum and bass et l’organique, avec des touches de rap : distorsion des réalités sonores pour un lâcherprise. M I M I possède ce je-ne-sais-quoi, qui nous transpose immédiatement dans un autre espace-temps, celui d’un futur utopique. Rencontre avec un être inspirant dont l’esprit délicat sait saisir les nuances de notre univers. the red bulletin : Qu’est-ce qui t’a poussée vers la musique électronique ? m i m i : En 2016, j’organisais des événements à but non lucratif une fois par mois à Liège (en Belgique, pays dont elle est ­originaire, ndlr), dans un endroit qui ­s’appelle la Casa Nicaragua. C’était pour sponsoriser le cercle étudiant nicaraguayen, afin de lui ouvrir l’accès à l’université. On s’appelait « le Bal des vivants ». Et puis un jour, le DJ nous a plantés, donc

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PHOTO CHIARA STEEMANS

j’ai décidé de mixer pour aider et on m’a invitée à refaire ça. Mais j’ai vraiment commencé dans des squats, où j’ai rencontré un collectif local de potes DJ, Lait de Coco, et pour qui la musique n’avait pas de frontières. On mixait de tout : reggaeton, R&B, rap, musique électro. C’est avec eux que j’ai découvert cet univers. La nature te fascine, ça s’entend dans tes projets. Comment expliquestu cela ? Pour moi, c’est un retour à soi. Il est extrêmement important de comprendre le fonctionnement de notre habitat, puisque nous n’en avons qu’un seul pour le moment… Alors je m’efforce de comprendre notre rôle dans cette complexité pourtant simple, bien que galvaudée avec le temps parce que l’homme s’est séparé de la nature, surtout en Occident. J’ai aussi vécu les cinq premières années de ma vie en Zambie, j’ai grandi dans une ferme, avant d’arriver en Belgique en tant que réfugiée. Il est donc normal pour moi de me diriger vers un mode de vie plus slow, pur. C’est une nécessité. Certaines convictions ou sensations sont indicibles. Mais grâce à la musique et à la captation du son, il est possible de recevoir ces transmissions cosmiques. Tu vis en ville, tu joues dans des big warehouses, parfois dans des galeries d’art, tu marches la plupart du temps sur du béton… mais tu as un besoin vital d’être au contact de la nature. La ville est un endroit stratégique, très ­stimulant pour moi, mais je sais que j’ai besoin d’en sortir pour pouvoir mieux revenir. Je me rends compte à quel point je suis aux antipodes de la nature : je vis dans un environnement de béton et je n’ai pas le temps de mettre les pieds sur une pelouse. J’ai besoin d’alternatives, que ça soit la manière dont je me nourris, ou

comment je me déplace : vélo, trottinette, transports en commun. J’aspire à un certain équilibre et je pense sincèrement qu’en tant que personne qui vit avec son temps, on peut être éthique tout en participant à la vie en société. Ta sensibilité et ta recherche d’équilibre sont omniprésentes dans tes sets, avec la techno pour le côté béton et l’organique pour la nature. Mais il y a aussi de l’ambiant et des samples qui relèvent du domaine du sacré, et tu pratiques le bouddhisme… Oui, d’ailleurs actuellement j’habite dans un centre bouddhiste. C’est une philosophie que je trouve sensée et applicable tout en étant active dans le monde de la nuit. Ça m’aide à lâcher prise, et à me focaliser sur le moment présent, et ainsi à clamer mon caractère anxieux. Le stress touche tout le monde et le bouddhisme est la meilleure médecine que j’ai trouvée pour le réduire. Méditer fait du bien, mais ce n’est pas facile parce que ça nous emmène parfois dans des endroits inconfortables. C’est un moyen de voir la réalité telle qu’elle est. Le monde est rude et je n’ai pas envie d’être leurrée. Penses-tu qu’on puisse associer la notion d’anthropocène à celle de la culture club en 2023 ? Mes sets sont une invitation à être, tout simplement. La piste de danse est un espace chamanique, thérapeutique. Si les endroits créatifs ont dépassé le cap de l’ère Anthropocène, la culture club est en déconstruction, et dans l’instant présent, il y fait bon vivre.

IG : @mimi____green

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« La piste de danse est un espace chamanique, thérapeutique. » Les sets de M I M I sont une invitation à être, et à oublier les tracas de la vie.

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SOUL FLYERS

VOLER DE SES PROPRES AILES, LE RÊVE ULTIME DE L’HOMME (AVEC L’ÉTERNITÉ). DEPUIS PLUS DE VINGT ANS, DES PROS DU PARACHUTISME, DU BASE JUMP ET DE LA WINGSUIT LE RÉALISENT, PROPULSÉS PAR LA PASSION ET L’AMITIÉ. VOICI LA SAGA DES SOUL FLYERS.


DOM DAHER/RED BULL CONTENT POOL

L’essence même des Soul Flyers : deux potes dans le ciel, réunis par leur dévotion pour le skydiving et le vol.

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S

auter en parachute d’un avion à 10 000 m d’altitude et survoler le mont Blanc en exécutant d’incroyables combos. Se ­pointer tout en haut de la Burj Khalifa, plus haute tour du monde (à date), pour y ­effectuer des sauts en BASE jump et en wingsuit. Se dire qu’entrer dans un avion en plein vol en wingsuit est une excellente idée… et le faire à deux. Ou « tout simple28

ment » tester, en pionniers, les limites de disciplines naissantes par simple envie d’aller encore plus loin. Toujours opérer en équipe de potes, dans la bonne humeur, et avec des niveaux de sécurité extrêmes. Se faire kiffer, et faire rêver toutes celles et ceux, au sol, qui n’auront jamais l’opportunité de « s’envoyer en l’air ». C’est bien là la raison d’être des Soul Flyers, THE RED BULLETIN


GENÈSE

LES PREMIERS SOUL FLYERS En 2003, une bande d’amis forme une équipe sportive spécialisée dans le vol. Wingsuit, parapente, base jump, chacun y apporte son expertise et, ensemble, ils feront le tour du monde pour réaliser des films de leurs prouesses. Ils s’appelleront les Soul Flyers et feront rêver les parachutistes partout, y compris les jeunes Fred et Vince. Texte ANTON STOLPER

des hommes qui ont voulu voler et qui l’on fait. Des types loin du cliché des fondus de « sports extrêmes » sans notion de futur. Des gars créatifs, pros, qui ont pris l’impossible au sérieux. Pour célébrer leurs vingt ans, toutes générations confondues, la carrière de Fred Fugen et Vince Reffet et la suite, nous vous ­offrons cette saga des Soul Flyers. THE RED BULLETIN

STEPHANE FARDEL

Action ! Val Montant et Loïc Jean-Albert en Namibie lors du premier trip Soul Flyers, soutenu par Ride the Planets et Salomon.

Nous sommes en 2003, un an avant que la toute ­première GoPro ne soit commercialisée, et malgré la qualité catastrophique de l’image, on comprend grâce à la couleur que c’est de la neige qui est en train de défiler à toute vitesse dans cette vidéo tournée par une caméra embarquée. Mais à quoi est-elle attachée ? Il faut attendre quelques secondes pour que la caméra se tourne vers le côté, révélant une ombre sur la neige. C’est un homme, mais l’espace entre ses jambes et entre ses bras et son corps est rempli. On dirait un écureuil volant. C’était Loïc Jean-Albert, vêtu d’une wingsuit. « C’était la première fois que l’on voyait quelqu’un faire vraiment du rase-motte, explique Patrick Passe, journaliste spécialisé parachutisme et frère de Bruno, rédac chef de Paramag. On n’avait jamais vu ça avant et grâce à cette ombre, on savait qu’il frôlait le sol. On réalisait aussi que s’il y avait le moindre pèt’ dans sa combinaison, il mourrait. Il n’y avait plus de marge. » C’était la naissance du proximity flying et l’auteur de la prouesse, Loïc Jean-Albert, était également l’inventeur de la wingsuit moderne ainsi que le fondateur des Soul Flyers. Ce jeune Réunionnais, arrivé en métropole à 17 ans, en 1996, pour rejoindre l’équipe de France de Vol Relatif à 8 (un parachutisme où des équipes répètent ensemble des figures), était immédiatement doué dans tout ce qu’il faisait. En 1997, alors qu’il plie un parachute dans un ­hangar à Gap, le destin organise une rencontre avec Patrick De Gayardon, sans doute la plus grande star du parachutisme mondial à cette époque. Il s’est fait connaître en réalisant toutes sortes d’exploits que ce soit en inventant le skysurf (de la chute libre avec une sorte de snowboard accroché aux pieds) ou l’ancêtre de la wingsuit ainsi qu’en battant des records d’altitudes pour n’en citer que quelques-uns. Malgré sa célébrité, De Gayardon a pris Loïc sous son aile. 29


« On a rapidement sympathisé, c’était dingue pour moi, c’était la star internationale du parachutisme et moi j’étais personne, je débarquais tout juste de La Réunion ! Il m’a invité à venir déjeuner chez lui et c’est parti de là », se rappelle Loïc. Par chance, les deux font presque deux mètres ce qui a facilité l’affaire lorsque Patrick a proposé à Loïc d’essayer sa wingsuit. C’était une combinaison artisanale, mais dès qu’il s’est retrouvé à planer avec dans l’air, Loïc a adoré. Sa finesse permettait de prolonger le temps dans l’air. Il n’était plus juste en train de tomber, il volait. Ingénieur dans l’âme, il a tout de suite imaginé une façon de l’améliorer en intégrant des caissons qui deviendraient rigides une fois gonflés et permettraient de mieux planer. Une technologie qu’on utilise encore aujourd’hui. Malheureusement, Patrick n’aura jamais l’occasion de l’essayer avant son décès lors d’un accident de parachutisme le 13 avril 1998. « Deug », son surnom, avait révolutionné le sport et fait rêver des millions de personnes. Mais il avait légué autre chose à Loïc : « Il lui a montré le chemin du para extrême que l’on pouvait médiatiser, raconte Patrick Passe. C’était un précurseur. » Malgré sa disparition, il deviendra une sorte de père spirituel pour la carrière de Loïc. En 2001, lassé de remporter toutes les compétitions auxquelles il participait et attiré par autre chose que les médailles, il décide d’arrêter la compétition pour se consacrer à ses autres passions. Il voulait faire plus de wingsuit et de BASE jump. Il voulait rigoler, vivre

De gauche à droite : Fred et Vince en détente absolue au-dessus d’Empuriabrava, en Espagne, en 2007 ; les ­Babylon lors des World Games, en Allemagne, en 2005 ; Vince Reffet sur les épaules de Fred Fugen, shootés au plus près par ­Stéphane Fardel ; Stéphane Zunino en wingsuit à La Réunion (photo de Loïc Jean-Albert).

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Soul Flyers / Genèse

« Les Soul Flyers étaient cinq ou six niveaux plus haut. » Patrick Passe

LOÏC JEAN-ALBERT, ROLF KURATLE (2)

des aventures et voyager, un peu comme l’avait fait Patrick. Mais une différence fondamentale les distinguait l’un de l’autre : « De Gayardon était un solitaire, alors que Loïc non, explique Patrick Passe qui a tourné plusieurs dizaines de films avec l’un et l’autre. Loïc avait besoin de potes. » Loïc réunit donc ses copains les plus proches pour former une nouvelle équipe spécialisée dans la réalisation d’exploits aériens. Il y avait Stéphane Zunino, le magicien de la wingsuit. Bien que très bon pilote, il excellait lorsqu’on le mettait devant une machine à coudre pour perfectionner les prototypes qu’ils imaginaient avec Loïc. Il y avait aussi Claud Remide, un montagnard renfermé qui avait fait du BASE jump en lisse (sans wingsuit) sa passion. Enfin, il y avait Val Montant, un montagnard lui aussi, mais pas du tout renfermé. C’était le meilleur parapentiste français et un récent adepte du parachute et du base jump. Si les Soul Flyers s’amusaient ensemble, c’était surtout grâce à la quantité titanesque de bêtises que Val était capable de dire à la minute, provoquant toujours les rires et les ­sourires des autres. Depuis toujours, Loïc avait aimé mélanger les ­disciplines, persuadé que c’était comme ça qu’on pouvait les faire avancer et s’amuser. Les différentes THE RED BULLETIN

spécialisations des quatre membres le permettaient. Par chance, la marque de vêtements de sport ­Salomon cherchait à l’époque à s’investir de plus en plus dans les disciplines aériennes. Au sein de la boîte, une équipe appelée Advanced Research and Concepts et pilotée par Patrice Janet a fini par proposer à Loïc d’aider à développer et à financer les projets les plus fous. Il ne restait qu’à trouver un nom pour tout ce joyeux monde : les Soul Flyers. Ça faisait écho aux Soul Surfers, une bande de surfeurs californiens des années 1960 qui, par opposition à un sport qui devenait de plus en plus sérieux, prônait un retour à la symbiose entre le surfeur et la vague et les valeurs de l’amitié, la joie et le jeu. Loïc, Stéphane, Claud et Val voulaient emmener cet esprit de la mer vers l’air. Ensemble, de 2003 à 2006, ils ont parcouru la ­planète, de la Namibie à La Réunion en passant par le Japon et les Alpes, pour réaliser des images toutes plus impressionnantes les unes que les autres. « Les Soul Flyers faisaient ce que les autres commençaient à essayer, mais ils étaient cinq ou six niveaux plus haut. C’étaient des moteurs de la transition puisqu’ils nous faisaient rêver, se souvient Patrick Passe. Et puis ils nous faisaient voyager, on voyait ces disciplines dans des endroits nouveaux. » L’image de l’ombre de Loïc était le symbole de cette avance. Les parachutistes découvraient tout juste la wingsuit en partant d’avions alors que lui s’amusait déjà à frôler les pentes à 200 km/h, quelques mètres seulement au-dessus de la neige. Ils sortiront ensemble deux films, les Soul Flyers 1 et 2 qui seront au centre de toutes les discussions sur les drop zones. Pendant quelques années encore, les Soul Flyers continueront de faire rêver les parachutistes. Mais en 2006, un soir alors qu’il rentre chez lui le long d’un sentier en Haute-Savoie, Val Montant perd ses appuis et tombe de très haut en pleine montagne. Lueur de bonne humeur, de rigolade ainsi qu’un talent dans l’air immense, sa mort bouleverse profondément l’équilibre de ce petit groupe. Loïc est désespéré. Après le décès de Val, en 2007, Loïc se casse le dos en speed-flying (du vol rapide sous voile proche du sol) en Nouvelle-Zélande. Cette blessure, ainsi que l’arrivée de ses enfants, le poussent à reconsidérer son engagement. C’est la fin de sa carrière de parachutiste. Et celle des Soul Flyers ? Deux ans après son accident, deux jeunes que Loïc connaît bien l’appellent pour savoir s’ils peuvent reprendre le nom des Soul Flyers. Ils veulent répliquer ce qui a été accompli, à leur sauce. Loïc sait qu’ils partageaient les mêmes valeurs : le goût de l’image, le mélange de disciplines, les voyages, la rigolade et surtout, l’amitié. Ces deux jeunes s’appelaient Fred Fugen et Vince Reffet. 31


TROLLVEGGEN (TROLL WALL) Alpes de Romsdal (Norvège), novembre 2012 « C’est la troisième fois qu’on venait faire du freefly BASE sur ces falaises ­gigantesques. L’idée était de faire des ­figures de freefly habituellement réalisées depuis un avion, mais en sautant de falaises. On était avec Jean-Phi ­Teffaud à la caméra, qui sautait avec nous, et Dino Raffault pour les vidéos, posté sur la falaise. C’était notre façon d’officialiser notre entrée dans la maison Red Bull. Je te parle d’un truc hyper extrême, de falaises de 1 000 m de hauteur, les plus hautes d’Europe. Mais qui ne t’autorisent qu’un temps de travail très court : d’abord une accélération

en chute libre, environ 5 secondes, ensuite les 10 secondes de figures en freefly, et puis 5 secondes pour se séparer avant d’ouvrir les paras. On exécute une évolution tête-à-tête, avec juste ce mur qui défile pour se situer. Dans ces conditions, si jamais tu es désynchronisé, tu pars en dérive, et ça bombarde ! L’accélération est permanente, nonstop, tu atteints les 280 km/h, en mode 75 m par seconde. C’est notre expérience en compétition qui nous a permis de réaliser de tels sauts. Pour arriver en haut du Troll Wall et sauter, il nous fallait marcher 5 heures… (Rires) »


PLEIN LES YEUX Avec ces deux-là, pas besoin de carte d’embarquement pour s’envoler. Fred Fugen revient sur certaines des plus belles performances réalisées avec son complice Vince Reffet. ­Régalez-vous avec ce best-of des Soul Flyers période Fred et Vince !

JEAN-PHILIPPE TEFFAUD/RED BULL CONTENT POOL

Texte FRED FUGEN et PH CAMY

Derrière les Soul Flyers, 1 000 m de falaises, le ­fameux « mur des Trolls » en Norvège. Ils ont seulement 10 secondes pour exécuter un combo incroyable en mode freefly.

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« On ne repart pas tant qu’on n’a pas fait nos sauts ! » Fred Fugen


Soul Flyers / Plein les yeux

TOUR BURJ KHALIFA Dubaï (Émirats arabes unis), avril 2014

NOAH BAHNSON, MAX HAIM

« Pour ces sauts en BASE jump et wingsuit depuis la plus haute tour au monde, en 2012, nous avions obtenu l’autorisation du Prince de Dubaï. Après des mois et des mois à réfléchir et préparer le projet, on s’est rendus à Dubaï début 2014 en mode aller-­ simple : “On ne repart pas tant qu’on n’a pas fait nos sauts depuis le sommet de la Burj Khalifa !” Vince a énormément bossé sur ce projet, en relation avec l’aviation civile locale, les managers de la tour, les mecs qui ont conçu la plateforme de laquelle

on s’est lancés, sans compter la ­production vidéo, qui incluait deux hélicoptères. On ne voulait pas juste faire du freefly BASE depuis un immeuble, on voulait aussi le faire en wingsuit, on trouvait ça trop trippant. Notre caméraman historique, Jean-Phi, étant parti vers de nouveaux projets, c’est donc l’Américain Noah Benson qui a sauté avec nous en freefly BASE pour nous filmer. Et on a bossé avec le Sud-Africain ­Julian Boulle pour la wingsuit. Ce projet fait partie de notre triptyque de performances incroyables en freefly avec le Troll Wall en Norvège et le Sky Combo au-dessus du massif du Mont-Blanc. »

Une matinée normale pour les Soul Flyers qui se lancent à 828 m de haut depuis le ­sommet de la tour Burj Khalifa, la plus haute au monde.

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SKY COMBO France-Suisse-Italie, juin 2014 « Pour ce projet, on voulait sauter en parachute à 10 000 m d’altitude, puis longer les flancs de la plus haute montagne d’Europe : le mont Blanc. On a eu l’idée en 2013, et il nous a fallu un an et demi pour mener l’opération à bien. Pour ce saut, on était reliés à un système d’oxygène dans l’avion, et à un autre autonome placé sur nos combinaisons chaudes. Ce fut une expérience absolument géniale. On a sauté d’un avion Beechcraft 200 qui a décollé d’Annecy, et on est passés par l’espace aérien suisse avant de passer du côté italien du massif du Mont-Blanc et d’atterrir près de Courmayeur. La chute libre, entre le saut à 10 000 m et l’ouverture à 4 000 m, a duré 40 secondes, et on a atteint 400 km/h de moyenne, mais malgré cette v­ itesse, l’air était moins dense, et les sensations n’étaient pas forcément plus différentes que pour un saut classique. Dans l’avion, j’étais installé à l’extérieur, Vince à l’intérieur, et le caméraman, Noah Benson, juste derrière lui. Juste avant le saut, je regarde en bas… “Mais il est où le mont Blanc ?!” Le pilote m’a dit : “T’inquiète, il est juste en bas !”… et il avait raison ! Il nous a lâchés pile au-dessus du mont Blanc. Entre le saut de l’avion et l’atterrissage, soit 7 minutes au total, on est passés de − 50 °C à + 20 °C, un truc de fou ! »


Soul Flyers / Plein les yeux

« Mais il est où le mont Blanc ? !… T’inquiète, il est juste en bas ! » Les Soul Flyers et leur pilote

DOM DAHER/RED BULL CONTENT POOL

Saut XXL : 10 000 m d’altitude et une variation de température de 70 °C, voici deux ingrédients du Sky Combo des Soul Flyers

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Roger ! Voler aux côtés de la Patrouille fut une consécration pour les Jetman/Soul Flyers. Ainsi, ils étaient adoubés par l’élite aérienne.

JETMAN EN FORMATION AVEC LA PATROUILLE DE FRANCE Au-dessus du mont Ventoux, (France), octobre 2016 « Avec Jetman (concept d’ailes propulsées par des moteurs, inventé par Yves Rossy, ndlr), nous avions la possibilité de voler comme et avec des avions. Parmi les vols Jetman les plus mémorables, il y a bien sûr eu celui avec l’A380 au-dessus de ­Dubaï, mais surtout celui avec la Patrouille de France. Nous n’avons même pas rencontré les ­pilotes avant le vol : nous avons effectué des vols d’essai avec le directeur et le pilote remplaçant ­attitré, et ce sont eux, ensuite, qui ont briefé les ­pilotes. L’hélico qui nous a largués a décollé du ­plateau d’Albion et la Patrouille depuis Salon-­deProvence. On s’est retrouvés en vol et c’était parti. Je peux te dire que quand tu voles juste à côté de huit Alpha Jets, c’est impressionnant. On a fait deux vols en tout. Dingues. C’est seulement une fois au sol que l’on a rejoint la Patrouille. Les gars nous attendaient, dans leur local, ils nous ont applaudis, nous, les “mecs à poil avec un casque”. (Rires) Nous sommes les seules personnes à avoir volé avec la Patrouille sans posséder de brevet de pilote ! Les gars ont été carrément choqués de voler avec nous, scotchés. Ce fut tellement d’émotions. »


Soul Flyers / Plein les yeux

« La Patrouille de France a fait preuve d’énormément de respect envers nous. »

EWAN COWIE

Fred Fugen

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A DOOR IN THE SKY Alpes suisses (Suisse), octobre 2017 Qui n’a pas halluciné en découvrant la vidéo de cette performance ? Le 13 octobre, Fred Fugen et Vince Reffet se lancent en wingsuit depuis le sommet de la Jungfrau, dans les Alpes suisses, à 4 158 m. Leur objectif : un avion Pilatus dans lequel ils comptent bien rentrer. En plein vol. Leur porte d’entrée, leur Door in the Sky (le nom du projet), fait 1,25 m de hauteur et 1,58 m de largeur. Inspirés par le mythique Patrick De Gayardon, pionnier de la wingsuit, qui avait réalisé le 29 juillet 1997 une entrée en vol dans un Pilatus après s’être lancé en vol du même avion quelques minutes plus tôt. Cette référence ultime en tête, nos deux hommes volants avaient préparé leur performance depuis des mois, et le projet n’a pas manqué de péripéties (voir notre interview du réalisateur Dino Raffault). Les Soul Flyers ont mené leur mission à bien, ­entrant successivement dans leur Pilatus à près de 140 km/h, et la vidéo de A Door in the Sky a été vue par plusieurs centaines de millions de personnes à travers la planète.


Soul Flyers / Plein les yeux

THIBAULT GACHET/RED BULL CONTENT POOL

« J’avais rêvé que je sautais d’une montagne et que je rentrais dans un avion, par la porte… » Vince Reffet Un homme qui vole entre dans un avion qui vole. Une boucle bouclée pour Vince avec ce projet qui fera exploser la notoriété des Soul Flyers.

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« Une vraie bataille mentale entre ce que tu veux faire et ce que ton cerveau ne veut pas que tu fasses. » Vince Reffet

Lucky sont les touristes qui ont pu assister à la ressource des Soul Flyers, en direct. Pour les autres, jetez-vous très vite sur YouTube.


Soul Flyers / Plein les yeux

RESSOURCE La Tremblade (France), 2020

MAX HAIM/RED BULL CONTENT POOL

« Une ressource, c’est un vol à vitesse élevée vers le sol suivi d’une remontée à la verticale. En temps normal, les ressources en wingsuit s’effectuaient au-dessus d’un sol plutôt en pente, en montagne, ce qui permettait de sécuriser une ouverture de parachute à une altitude suffisamment élevée en cas de souci, au cas où la ressource, la reprise de hauteur, ne pouvait pas se faire. Là, l’idée était d’effectuer une première : une ressource au-dessus d’un sol plat, en bord de mer. En y intégrant un repère, le phare de La Coubre, 64 m de hauteur, afin que le public ait une référence visuelle pour bien comprendre la manœuvre. Au-delà de la performance, on voulait sortir la wingsuit de son élément habituel. On s’est entraînés dans des pentes, avec des ­pylônes gonflables, et puis au-dessus d’un golf à La Clusaz, une station où on a toujours été soutenus. Le jour J, à La Tremblade, on a sauté d’un hélico à 1 200 m, et on a atteint des pointes de ­vitesse proches des 300 km/h, du 80 m/sec. À cette vitesse, le sol te monte carrément à la gueule, ça va hyper vite. Comme l’a dit Vince, c’est une vraie bataille mentale entre ce que tu veux faire et ce que ton cerveau ne veut pas que tu fasses. Et ça commence quand tu vois le sol se rapprocher de plus en plus vite. »

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« LES SOUL FLYERS, C’EST MYTHIQUE ! » Explorer toutes les possibilités du vol humain (hors d’un avion) et y prendre un maximum de plaisir. Pendant vingt ans, avec son frère des airs Vince Reffet, Fred Fugen n’aura eu que cela en tête. Alors qu’il fait entrer les fameux Soul Flyers dans une nouvelle ère et publie sa biographie, nous avons coincé cet homme-oiseau entre deux décollages. Texte PIERRE-HENRI CAMY Des chaises de camping de la drop zone de La Ferté-Gaucher (Seine-et-Marne) depuis laquelle il observait ses parents faire des sauts en parachute, jusqu’aux 828 mètres du sommet de la Burj Khalifa pour s’y lancer en wingsuit, en passant par son vol Jetman avec la Patrouille de France, le parcours de Fred Fugen est digne d’un film d’action. C’est en juillet 1989 que ce natif de Saint-Cyr-l’École se jette pour la première fois en parachute, en tandem, avec son père (qui aujourd’hui, à 82 ans, fait toujours du parapente). Il perçoit alors l’air comme « un liquide dans lequel on peut bouger, nager, danser ». Le voilà déjà accroc. Très vite, Fred se passionne pour le magazine référence Paramag et c’est en visionnant la VHS (pour Video Home System) d’Antigravity, un film ­réalisé par Patrick Passe, qu’il prend une grosse claque. Percuté par la séquence incroyable de Philippe Vallaud et Frank Lepoole, « un duo qui danse » dans les airs sur le Mighty Turtle Head du guitar hero Joe Satriani. C’est le freefly que Fred découvre en 1996. Le freefly c’est quelques secondes de chute libre, pas plus de 45, durant lesquelles exécuter un combo de mouvements/figures les plus créatives et innovantes possibles. À force d’acharnement et de parachutes pliés pour d’autres afin de cumuler des sauts, il en devient un expert. Après deux mois passés en Arizona, en 2000, sur la drop zone d’Eloy à « plier, sauter (200 fois, cumulant les 1 000 sauts au total, ndlr), fumer, draguer », Fred devient encore plus performant. Ainsi, il participe peu après à la première coupe de France de freefly. 44

Il a 20 ans quand un kid vient se ­ lisser dans le hangar où il s’applique g à plier les parachutes d’autres lascars. « Ce mec veut me piquer mon business pense Fred », l’autre, 15 ans, est juste venu ­proposer un coup de main. Ils se recroiseront quelques mois plus tard, sauteront ensemble, scellant ainsi une relation amicale et sportive sans équivalent. Le kid, c’est Vince Reffet. En freefly, ils obtiendront six titres mondiaux ; en parallèle, le BASE jump devient leur autre domaine d’excellence, quand ils ne se testent pas sur d’autres disciplines comme le parapente ou le speed riding, discipline que Fred contribuera à lancer avec d’autres camarades. En 2009, Fred et Vince, connus en tant que Babylon, reprennent le flambeau des Soul Flyers (voir notre article sur les origines des Soul), inaugurant une ère de performances aériennes sans équivalent et enchaînant les projets les plus incroyables, notamment avec le soutien de Red Bull France, dont ils intègrent le roster d’athlètes en 2012. On pense notamment à leur saut en ­parachute au-dessus du massif du MontBlanc, à 10 000 mètres d’altitude, ceux en BASE ou wingsuit depuis la Burj ­Khalifa, et bien évidemment à A Door in the Sky, qui voit les compères se jeter d’une falaise en wingsuit pour s’introduire dans un avion en vol. Une folie. Révélée au monde entier grâce à cette vidéo, la wingsuit est une autre de leurs spécialités, qu’ils pousseront jusque dans ses retranchements, en explorant les limites du proximity flying (des vols très près du sol, au-dessus de zones montagneuses ou vallonnées).

Encore plus fort, leur projet Jetman, initié par Yves Rossy, ex-pilote de l’armée suisse et inventeur du concept. Des ailes fixées sur le dos de Fred et Vince (devenus pilotes) et équipées de moteurs, leur permettant des évolutions toujours plus folles, comme voler aux côtés d’un A380 au-dessus de Dubaï (ville partenaire de Jetman) ou en formation avec la Patrouille de France, troupe d’élite internationalement reconnue et symbole de la perfection en matière de vol. C’est en testant de nouvelles possibilités, en voulant ouvrir de nouvelles perspectives pour Jetman et l’évolution des hommes volants, que Vince Reffet est décédé le 17 novembre 2020 à Dubaï, lors d’un vol test. Malgré ce drame, la perte de plus qu’un frère, Fred Fugen s’est pourtant surmotivé pour reprendre ses évolutions aériennes, et faire perdurer l’esprit des Soul Flyers. Il évolue désormais avec Vincent Cotte et Aurélien Chatard (voir notre article page 58), enchaînant les projets magnifiques, ou juste pour le plaisir avec sa femme Laurence, et continue d’écrire une épopée sans épilogue. L’histoire (quasi) complète des Soul Flyers, « période Fred et Vince », vous la retrouverez très bien racontée dans la biographie de Fred Fugen. Nous ne vous en dirons donc pas plus, mais nous ne pouvions vous proposer cette Saga Soul Flyers sans consulter Fred. Un homme volant pourtant très terre-àterre, réfléchi et pro. Un mec accessible, jovial, avec, toujours, une trajectoire ou un ­projet en tête. De passage au siège de Red Bull France à Paris, il s’est posé avec nous pour partager sa passion de l’aérien, ses anecdotes, sa vision du monde vue d’en haut, évoquer le futur des Soul Flyers et délivrer des messages positifs à l’intention de toutes et tous.

« Quand je me réveille la nuit, il m’arrive souvent de penser à des trajectoires. » THE RED BULLETIN


ROY MRAD/RED BULL CONTENT POOL

FRED FUGEN

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Soul Flyers / Fred Fugen

Et beaucoup de taf… Oui, mais j’adore aussi toutes les phases de préparation des projets, l’entraînement à adapter à telle ou telle performance, cogiter à tous les aspects du truc. Quand je me réveille la nuit, il m’arrive souvent de penser à des trajectoires de vol, envisager les risques et leurs solutions, des trucs comme ça. (Rires) La performance, les gros projets vidéo, sont ton moteur numéro un pour grimper dans un avion ou enfiler une wingsuit ? Ce ne sont pas forcément les sauts les plus techniques, pas forcément au-dessus des endroits les plus connus, qui sont les plus intéressants. J’ai vécu plein de trucs super forts juste parce que j’étais avec

« Notre approche est un mélange de performance, d’innovation, de qualité d’image et d’esthétique. » mes potes, ou ma femme, Laurence. Des trucs qu’on ne filme même pas. Combien de sauts à ton actif ? Environ 20 000, et certains sont gravés à jamais dans ma mémoire. Comme celui avec Laurence, en Australie, au-dessus de la barrière de corail à une cinquantaine de kilomètres de la côte. On avait ouvert à 4 500 m d’altitude et profité de toute cette vue, avant de nous poser sur une toute petite île où nous attendaient les potes locaux avec qui nous avions

­ rganisé tout ça. Je pense aussi à ce saut o en BASE en Afrique du Sud, avec JeanPhi, on faisait un trip en 4×4 et on ­s’arrêtait dans divers drop zones, juste pour faire un saut en parachute, ou dans d’autres spots pour faire du BASE. Avec tous ces animaux pour en témoigner, les zèbres, les gazelles. Pour concevoir notre Saga Soul Flyers, tu nous a transmis des centaines de photos, dont une où tu sautes en parachute avec Vince, en maillot de bain ! C’était pour les 30 ans de Vince, en Guadeloupe. Un para, un boardshort, nos lunettes de soleil, et voilà : pour le simple plaisir d’être en l’air, le plaisir de la chute libre, avec mon pote. C’était fou. (Rires) Avec Vince, vous avez poussé la créativité en chute libre et en vol à son maximum… On tient ça de nos années en compétition en freefly, car il faut que tu saches qu’en freefly, on était jugés par rapport à une vidéo qu’une troisième personne qui sautait avec nous filmait. Les sauts et les

Une hallu ! Fred Fugen, Vincent Cotte, Aurélien Chatard, Nicholas Scalabrino et Dani Roman en wingsuit au-dessus des télésièges de la station de La Clusaz.

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OLIVER GODBOLD, DOM DAHER/RED BULL CONTENT POOL

the red bulletin : Fred, à quoi ­associes-tu ton monde, là-haut ? fred fugen : À des sensations fortes, à du plaisir… le plaisir simple de voler. Dès que tu es en l’air, ça fait du bien. Et c’est d’autant plus plaisant quand tu voles avec des amis. C’est un lifestyle.


« Je me suis dit qu’il fallait faire perdurer l’esprit des Soul Flyers. » Sky skiing : chute libre depuis une mont­ golfière, avant du speedriding à La Clusaz.


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évolutions que nous imaginions mais aussi la façon de les filmer étaient pris en compte, alors on essayait d’être les plus créatifs, en saut comme en vidéo. Et ça nous a suivis. Même si après six titres de champions du monde de freefly, nous n’avions plus rien à prouver... Qu’entends-tu par là ? Il fallait qu’on sorte de la compétition pour nous exprimer différemment et aller plus loin. On n’avait plus besoin de juges pour noter nos performances. Les juges sont devenus les potes, le grand public, et nous-même ! Notre approche est un mélange de performance, d’innovation, de qualité d’image et d’esthétique. Pour que les gens puissent mieux comprendre ce que l’on fait, et en profiter eux aussi. Ce plaisir de partager. Ça semble pas mal chez vous, en l’air ? C’est sûr qu’on a de la chance de pratiquer ce genre de tourisme. Quand tu sautes en wingsuit au-dessus d’une ville gigantesque comme Tokyo, avec Vincent Cotte pour le projet Tokyo Dive en mai dernier, c’est juste dingue. Ça permet de prendre un certain recul sur tout ce qui 48

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« Vince voulait ouvrir des possibilités dont tous allaient bénéficier. » se passe en bas, de relativiser beaucoup de choses, de s’éloigner des problèmes et de vivre l’instant présent. C’est du « maintenant » à 1 000 % ? Les gens sont préoccupés par leur futur,

ou leur passé, et se concentrent peu sur l’ici et maintenant, car ils n’en ont pas forcément la capacité ou le temps, mais dans nos disciplines engagées, on vit vraiment l’instant présent. Tu parles de disciplines engagées, où le danger est bien présent. Comment l’appréhendes-tu ? Dans nos disciplines, c’est ta vie que tu mets en jeu, et côté sécurité, tu ne peux pas y aller à moitié. Tu dois analyser les différents scénarios, toutes les solutions. La disparition de Vince a été un rappel extrêmement brutal de cette réalité… Concernant l’accident de Vince, il y a ­différentes hypothèses qu’il est encore THE RED BULLETIN

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Soul Flyers / Fred Fugen

difficile de préciser, mais ce qui est sûr, c’est qu’avec Jetman, Vince voulait pousser les techniques de vol vertical à un point que lui seul pouvait atteindre. Avec Jetman, on parle d’un concept engagé, ultra tech, mais toujours avec un aspect prototype. Vouloir pousser les limites du vol humain, ça n’était pas un trip perso de Vince. Il voulait ouvrir des possibilités dont tous allaient bénéficier. Ce qui a d’ailleurs toujours été le postulat des Soul Flyers. Pour réaliser vos plus beaux projets, au-delà d’une audace et d’une précision incroyables, vous avez dû faire preuve d’une sacrée patience. Mettre en place un projet comme A Door in The Sky prend plusieurs années : entre l’idée, affiner le concept, les phases ­d’entraînement, de test, de préproduction… Mais on sait être patients et

­ ersévérants, et là aussi, on tient ça de p nos années en compétition de freefly, car généralement, en équipe de France, pour des championnats du monde, on s’engageait sur un cycle de deux ans où il fallait savoir se projeter. Pour nos sauts depuis la Burj Khalifa, ça nous a pris trois ans au total.

« Un projet, puis le suivant, vous gagnerez en confiance et pourrez rêver plus grand. »

C’est énorme ! Pourquoi ? Il ne nous a pas juste fallu avoir l’accord du Prince héritier de Dubaï, mais aussi bénéficier d’autorisations accordées par tout un tas de décideurs en dessous de lui. Il fallait aussi s’investir pour tout bien montrer à l’image, avec notamment des caméras CineFlex, afin de sublimer ces sauts depuis un spot incroyable. On voulait une belle prod, s’assurer que l’on sauterait avec une belle lumière. En vingt ans environ, depuis nos premiers sauts, il y a eu une grosse évolution de la manière de filmer. Aujourd’hui, on se rapproche vraiment de ce que nous voyons quand nous sautons. On parvient à capter l’action au plus près, et les réseaux sociaux permettent d’amplifier nos vidéos auprès du plus grand nombre. Que ce soit depuis des hélicoptères ou au plus près de vous lors de sauts en freefly, vos filmeurs sont au cœur de vos performances. Comment se construit la collaboration avec eux ? Produire des vidéos en BASE ou en wingsuit implique de sauter avec des personnes en qui tu as confiance, avec qui tu as des affinités, et avec lesquelles tu vas finalement passer plus de temps au sol qu’en l’air. Au-delà des entraînements, ce sont des moments de vie et des heures passées à envisager, ensemble, la performance, la progression, la sécurité. Tu dois t’assurer de sauter avec quelqu’un qui ne va pas faire quelque chose d’inattendu, d’imprévu.

PARAMAG, NIELS SAINT-VITEUX/JULBO

Pourquoi ? Un pétage de plomb au milieu d’un saut, c’est impossible. Il y a des moments, en l’air, où tu dois savoir réagir dans le stress, quand tout va vite, que les marges de manœuvre et les curseurs ne sont plus dans le vert… Dans ces cas-là, si la personne avec laquelle tu sautes est dans le même état que toi, c’est bon signe.

Concentré derrière ses lunettes Julbo, Fred anticipe sa trajectoire. À gauche, il apparaît en cover du mythique ­Paramag, en mode Babylon ou Soul Flyers. THE RED BULLETIN

C’est-à-dire ? C’est bon d’avoir peur des mêmes choses, et du coup d’être capable d’accompagner l’autre dans sa gestion du stress. Tu dois donc t’assurer d’évoluer avec des gens qui sont câblés comme toi. C’est la chose numéro un : être sur la même longueur d’onde. 49


Fred saisi au vol durant l’été 2021, avec sa façon bien à lui de circuler dans la station d’Avoriaz, à plus de 250 km/h.


Soul Flyers / Fred Fugen

Et avoir le même niveau de performance, évidemment ? Pas forcément. Les notions de performance, de qualité d’exécution et de progression pourront venir en second plan, petit à petit. Avant toute chose, tu dois te sentir bien avec ces personnes. Comment on se parle, en l’air, quand on vole en winsguit ? On utilise un système radio, développé par Cardo. On a commencé en 2011 et à l’origine on se servait de leurs radios développées pour les motards, que l’on fixait sur nos casques. Pour Burj Khalifa, on a utilisé des Cardo, pareil pour Sky Combo au-dessus du mont Blanc, ou pour un autre vol au-dessus du mont Blanc, en wingsuit, avec Vincent Cotte et Bras Noir : le plus long vol en proximity flying de tous les temps ! En fait, ça nous sert à chaque vol. Avec ces radios, on est un peu comme des pilotes, qui peuvent se parler en plein vol. Je suis généralement le leader de la formation, et je donne les indications : « Attention les gars, on va partir sur la gauche. » C’est hyper pratique, mais il y a encore pas mal de gars en wingsuit qui continuent à communiquer seulement par signes.

DOM DAHER

Restons encore un peu dans le matos : tu parles souvent dans ton livre de plier des voiles, ce qui t’a permis d’enchaîner tes premiers sauts en parachute gratuitement. On sent un côté rituel quand tu évoques cela… Il y a deux sortes de pliage. Celui pour les parachutes normaux, classiques, qui disposent de deux voiles : une principale, et une de secours. Tu te concentres sur la principale, et des spécialistes s’occupent de celle de secours. Quand je pliais pour l’équipe de France de parachutisme, je pouvais plier jusqu’à soixante voiles par jour. En BASE, tu n’as qu’une voile, alors n’importe qui ne peut pas la plier. Si ce n’est pas toi qui plie ta voile de BASE, tu dois avoir confiance en cette personne. La notion de crew, de potes, est une constante pour les Soul Flyers, comment se compose l’équipe actuelle, cette troisième génération, en quelque sorte ? THE RED BULLETIN

« Un pétage de plomb au milieu d’un saut, c’est impossible. » Après la disparition de Vince, je me suis dit qu’il fallait faire perdurer l’esprit des Soul Flyers, et j’ai pensé à Aurélien ­Chatard et Vincent Cotte naturellement (voir notre article sur le futur des Soul). Ça faisait quinze ans environ qu’on évoluait ensemble, et en 2020, on avait beaucoup sauté tous les quatre, avec Vince. Aurélien et Vincent m’ont beaucoup soutenu après sa disparition. Ce sont des potes avant tout, mais surtout des mecs excellents en BASE et en wingsuit. On est un Soul Flyer for life ? Les Soul Flyers entrent dans leur 21e année, et j’essaie de continuer à représenter l’équipe d’origine et ses valeurs : l’amitié, l’innovation, la performance, les belles images, l’esthétique des vols. Depuis 2003, depuis que Loïc Jean-Albert a lancé les Soul Flyers, c’est un nom, des crews, des projets, mais, c’est avant tout une histoire d’amitié, de vols en commun dans de beaux endroits, en para, BASE, speedflying, wingsuit… un mélange unique de disciplines. Les Soul Flyers, c’est mythique ! On parle de l’Histoire du parachutisme, qui est notre discipline première depuis les débuts, et de celle du BASE. On parle de pionniers. J’ai du respect pour tous ceux qui ont représenté ce nom. Quand tu dis Soul Flyers For Life, c’est exactement ce que j’ai de tatoué sur mon torse. Donc oui, c’est important de continuer, pour représenter les potes qui ne sont plus là. As-tu encore des endroits à explorer ? En BASE, ma liste de spots où je n’ai pas encore sauté est encore longue. Le Salto Angel au Venezuela, El Capitan aux États-Unis, la terre de Baffin au Canada et ses falaises monstrueuses au-dessus des fjords, les Maldives, l’Argentine… Quel que soit le spot, j’aurai l’outil, le jouet : wingsuit, para, speed riding...

Il y a un côté exploration dans ce genre de liste, une façon bien à toi de découvrir le monde... C’est marrant que tu parles de ça, parce que lors d’un trip, avant de prendre l’avion, je me rends compte que l’explorateur Mike Horn va embarquer lui aussi, alors je vais me présenter à lui, et on commence à discuter. Là, il m’explique qu’il a navigué à la limite des glaces du Groenland et me parle de falaises incroyables. Il me dit qu’il verrait bien des sauts en BASE dans ce spot et commence à me chauffer pour y aller. C’était trop cool de discuter de tout ça avec lui. Mike Horn est une personnalité très populaire, qui inspire bien au-delà de l’extrême et de l’outdoor. À ta manière, quel message, quelle motivation souhaites-tu transmettre à toutes et tous ? Je veux leur dire de croire en elleux et en leurs rêves. Depuis que je suis gamin, je veux réaliser mes rêves, et un beau jour, j’ai arrêté mes études pour plier des p ­ arachutes et pouvoir faire des sauts en parachute, sans autre plan en tête, juste par passion. De plieur de paras, je suis devenu membre de l’équipe de France de freefly, puis champion du monde avec Vince. Ensuite, quand j’ai signé mon contrat avec la marque de lunettes Julbo, mon tout premier sponsor depuis 2010, j’ai eu le statut de « BASE jumper professionnel », et ça m’a fait quelque chose ! (Rires) Il faut croire en vos passions, en vos rêves. Il faut être super motivé, même si vous n’avez pas une grande confiance en vous. Elle peut aider, tout de même ! Elle viendra avec le temps et les projets. Un projet, puis le suivant, vous gagnerez en confiance et pourrez rêver plus grand. Je ne crois pas aux projets des mecs qui arrivent direct super sûrs d’eux… La confiance en soi, ça s’acquiert.

La vie en l’air ‒ L’incroyable histoire d’un homme-oiseau, biographie de Fred Fugen, éditions Robert Laffont ; IG : @fredfugen

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VINCENT REFFET PAR TOM PAGÈS Tom Pagès est un champion de FMX plusieurs fois titré aux X-Games et Red Bull X-Fighters. Il pratique aussi le parachute et le BASE jump. En 2021, à Avoriaz, il a exécuté un double backflip depuis un tremplin à environ 150 mètres de hauteur. Saut couplé à une performance en BASE jump, pour lui comme pour sa moto. Vince Reffet, puis Loïc Jean-Albert et Fred Fugen ont formé Tom pour mener à bien cette performance incroyable.

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« J’ai rencontré Vince à Capbreton en 2011, alors qu’il séjournait au Centre ­Européen de Rééducation du Sportif. L’Athlet Manager de Red Bull avait organisé un dîner et on a fait connaissance. Je pratiquais déjà de la chute libre à l’époque et j’étais fan de ce que faisaient Fred et Vince. Quand il est entré dans le resto, j’ai de suite remarqué son grand sourire, il irradiait le spot. Il avait une forme de magnétisme. On s’est revus à plusieurs occasions. Il est venu me voir sur un Red Bull X-Fighters à Madrid, puis une autre fois avec Fred, ce qui a donné lieu à des soirées mémorables. Et puis Vince m’a invité à Dubaï dans son incroyable appart au 72e étage de la Princess Tower. C’est là que j’ai découvert leur monde et qui ils étaient vraiment : la drop zone, le monde de Jetman. Dans leur contexte, j’ai pu constater à quel point ils étaient des extraterrestres, les Messi de leur discipline ! Vince était aimé de tout le monde, toujours prêt à partager ses disciplines. C’était pareil sur leur drop zone d’Empuriabrava, en Espagne, où je venais quand j’habitais à Narbonne, et plus tard quand j’ai déménagé en E ­ spagne. J’ai pu sauter en parachute, avec ce Soul Flyer, avant mes compétitions à Madrid ou aux X-Games. Pareil à Dubaï. On était devenus très potes avec Vince. Pour mon projet Flight Mode à Avoriaz, il est devenu un véritable coach, un mentor. C’est lui qui m’a mis cette idée en tête, ce saut à moto et parachute, qui est devenu mon projet Flight Mode. “Tu pourrais faire une figure ultime !” À l’époque, j’étais encore un peu dans des délires à la Travis Pastrana, genre je saute sans parachute et Vince vient me chercher. (Rires) Mais pour Vince, il ne s’agissait pas de cascades, mais bien de performances, en toute sécurité. J’ai ­lâché mes idées farfelues, et on s’est lancés, soutenus par Red Bull. Vince m’a vraiment soutenu, alors que je n’y connaissais que dalle, c’est-à-dire que pour lui ça n’était pas forcément super fun d’accompagner un débutant total, mais il m’a dédié son temps. Lui seul était en mesure d’évaluer quels paliers j’étais capable de passer. On bossait à sa manière : d’abord des sauts en BASE depuis des ponts peu élevés, puis plus élevés, ensuite depuis des falaises.

Malheureusement, nous n’avons pas pu achever ce projet ensemble, et il m’est apparu impossible de le poursuivre tout seul. Ce fut un long processus, digérer la disparition de Vince, en guérir… J’ai beaucoup douté, et puis finalement, Fred est venu me voir et on a relancé Flight Mode. Il a pris le relais et m’a formé à Dubaï, il a aussi été présent sur le tournage. J’ai aussi pu aller à La Réunion pour sauter avec Loïc Jean-Albert. Une légende, le premier Soul Flyer. Un gars pour lequel Vince avait énormément d’admiration. C’était insensé de partager ces moments avec Loïc, mais sans Vince. Il y a eu un an compliqué et intense entre la disparition de Vince et mon saut, mais c’est comme cela que ça devait se passer, il fallait ­enclenher, en mode contre-lamontre. C’était peut-être une façon de se protéger, aussi. Aujourd’hui, les Soul Flyers que j’ai connus ne sont plus qu’un, ça ne sera donc plus jamais pareil, mais je sais que l’esprit des Soul va perdurer avec Fred, Vincent Cotte et Aurélien ­Chatard, et au-delà. Je l’espère. Fred continue à cocher une liste de sauts qu’il avait entamée avec Vince. Il en parlait hier dans l’émission Sept à Huit, à la télé. ­Revoir ces images, ça m’a cassé, je me dis que je ne réalise pas encore. Ce que je veux retenir de Vince, c’est la pureté de tout ce qu’il faisait et des endroits où il le faisait, ces falaises, ce freefly en BASE. Cette osmose parfaite avec Fred, leur énergie, unique, que je n’ai ­jamais retrouvée ailleurs. C’était magnifique. Vince reste une inspiration. C’était un gars tout le temps de bonne humeur, bienveillant, qui rayonnait. Il t­ e poussait toujours vers le haut, il voulait toujours innover et te voir innover. Pas en mode tête brûlée. Et toujours dans la joie. »

« Il voulait toujours innover et te voir innover. » Tom Pagès THE RED BULLETIN


GREGOIRE SIGAUD/RED BULL CONTENT POOL, MAX HAIM/RED BULL CONTENT POOL

VINCE REFFET

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« Avec les Soul Flyers, j’ai réalisé mes rêves. » 54

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LE DERNIER DINO « Je suis dans l’archipel de Los Roques, perdu dans les Caraïbes au large du Venezuela, en route pour la Colombie. Logiquement, je serai sur l’île de Bonaire le 8, super idée cet article, avec p ­ laisir pour en parler, je t’appelle via mon tel sat ! » Le décor est posé, avec Dino Raffault, même un entretien pour parler de sa carrière devient une aventure à part entière. Il faut dire que le ­réalisateur, néo marin ­explorateur parti faire le tour du monde en famille, n’en est pas à sa première ­escapade… Texte VICTOR SALIBA

DINO RAFFAULT

Des fjords norvégiens aux tours jumelles de Tokyo en passant par les pyramides de Gizeh ou le phare de la Coubre, le réalisateur Dino Raffault est l’homme de l’ombre de tous les projets les plus fous des Soul Flyers. Une relation débutée lors d’un voyage initiatique de Bourg-SaintMaurice au mythique Troll Wall norvégien en camping-car et dont les lettres de noblesse se sont écrites lors d’un illustre projet autour d’un avion en mai 2017… Retour sur une carrière passée sous les ailes d’hommes volants, objectif en main et doigt toujours sur le déclencheur.

the red bulletin : Suisse, Japon, Inde, Égypte, Norvège… Avec Fred et Vince, vous avez une belle collection de tampons sur vos passeports. ­Comment avez-vous connecté ? dino raffault : À l’époque, j’avais deux activités, la production et l’événementiel. Je tournais des films avec le team Soul Flyers et Loïc Jean-Albert depuis pas mal d’années… La première version des Soul Flyers, avant Fred et Vince. Oui. Loïc Jean-Albert, un touche-à-tout pionnier de l’aérien – notamment de la wingsuit – qui avait fondé ce team, ensuite repris par Fred et Vince. À l’époque, c’est d’ailleurs Loïc qui m’a ­proposé d’inviter Fred et Vince sur ­l’événement speed riding que j’organisais aux Arcs. Ces deux athlètes étaient déjà trois fois champions du monde en freefly mais aussi des monstres en BASE jump et également à l’origine du speed riding que l’on connaît aujourd’hui.

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Ça a été le coup de foudre direct ? J’ai tout de suite accroché avec les personnages et lors de la soirée de clôture, en discutant avec eux, j’apprends qu’ils arrêtent la compétition freefly et se lancent dans un projet bien barjot : THE RED BULLETIN

r­ éaliser des figures de freefly en BASE jump. J’ai trouvé l’idée géniale et leur ai proposé de partir en Norvège en camping-­car. Le deal : ils payent les frais et je m’occupe des images gratuitement. Sincèrement, j’ai très vite senti que quelque chose de grand allait se passer avec ce duo et, par-dessus tout, j’ai toujours adoré ce genre d’aventures. On s’est marrés comme une bande de potes : zéro pression et zéro brief à respecter, on ­faisait ce qu’on voulait !

Pas de GoPro ni drone à l’époque, c’était un peu « Norway to hell » la logistique et la production d’images ? Quand on est partis en Norvège, notre base camp était un camping-car. On marchait beaucoup pour accéder aux spots. Les falaises sont très hautes en Norvège, alors les marches d’approche aussi… Mais la différence entre eux et moi, c’est que je redescendais à pied à chaque fois ! Parfois pour un seul saut, je faisais huit heures de marche… Alors que la séquence filmée ne dure que quelques secondes. Il m’est même arrivé de louper le plan… Une bonne galère… Oui, mais les paysages sont tellement beaux dans ce pays que marcher n’a jamais été un problème, ça faisait partie du tournage. Niveau caméra, c’était le début de l’ère des DSLR, on faisait de superbes images. On avait enfin accès aux caméras avec des optiques et le fameux rendu « cinéma » a complètement changé la face des vidéos. C’était tout neuf dans les sports outdoor. On avait qu’une envie : tout casser niveau production. Qu’est-ce que ça a changé pour toi ? Et pour eux ? Ce trip en camping-car a tout changé et a construit une relation amicale qui allait nous porter vers les sommets. Le résultat en Norvège a été bien au-delà de nos 55


entre tous les savoir-faire c’était génial, mais la contrainte n’était plus du tout la même pour eux, comme la production d’image. Les gens n’ont retenu que le fait de rentrer dans l’avion en wingsuit. Mais partir d’une falaise et rejoindre l’avion, c’était aussi un challenge énorme qu’il a fallu répéter, calculer et réaliser.

espérances, les images étaient dingues et voir ces deux athlètes réaliser des figures têtes en bas, je crois que c’est un de mes plus beaux souvenirs. Penché au-dessus de 800 m de vide avec ma caméra, perdu dans les fjords norvégiens, c’est pour cela que je fais ce métier. Ça a été un déclencheur pour la suite, pour me consacrer pleinement à la production d’images. De leur côté, Fred et Vince allaient enfin réaliser leur rêve de gosse : signer un contrat chez Red Bull.

« Penché au-dessus de 800 m de vide, c’est pour cela que je fais ce métier. »

Comment travaille-t-on avec les Soul ? C’est super carré de bosser avec Fred et Vince. Ils avaient chacun leur domaine dans l’organisation : Vince gérait la partie technique et le matos tandis que Fred s’occupait de la logistique et du relationnel avec les partenaires, les prestataires, etc. Bref, c’était super huilé, pas de hasard.

qui a travaillé avec moi sur la plupart des projets Soul Flyers, on était une équipe inséparable, et il a beaucoup compté dans cette histoire.

En vingt ans de projet avec eux, lequel t’as le plus marqué ? A Door in the Sky, évidemment, même si tous les projets ont été incroyables, celuici fut particulier car c’est le point d’orgue de leur carrière et de la mienne. Et puis ils ont bénéficié d’un tel succès, la vidéo a tourné sur toute la planète, ça rajoute au sentiment d’euphorie. J’ai partagé cela avec mon collaborateur Thibaut Gachet qui a été le monteur et l’autre cameraman 56

D’où vous est venue cette idée ? Au départ, l’idée était de reproduire l’exploit de Patrick De Gayardon, vingt ans après, une sorte d’hommage au maître. Ce gars-là a tellement compté dans le sport et surtout pour Fred et Vince, il a inventé la wingsuit ! Rentrer dans un avion a deux, en partant de l’avion, c’était ça le projet. Mais les plans ont changé... Un jour, Vince s’est réveillé et a déclaré qu’il fallait partir en BASE jump pour rejoindre l’avion. Avoir le mix parfait

Pourquoi ? Leur technique d’entrée dans l’avion les faisaient arriver super fort dans la cabine et ça ne laissait pas de marge d’erreur. Pour te dire, l’engagement de toute l’équipe, sur un saut d’entraînement, Vince a mis un coup de pied dans la tête du pilote et la branche de ses lunettes s’est planté dans son crâne. Heureusement le copilote avait les doubles commandes. Quand on a attaqué le tournage en Suisse, la pression est montée d’un cran. Il fallait désormais s’entraîner plus près du sol, au milieu des montagnes, rejoindre le départ à plus de 4 000 m sur un bout de rocher, après une traversée sur le glacier de la Jungfrau en crampons et pour finir une descente en rappel vers l’exit où ils sautaient ! On parle – logiquement – beaucoup de l’exploit sportif mais est-ce que ça en était aussi un sur la partie réalisation ? Niveau production, on a parié sur de la Cineflex pour le master shot et ça a été le bon choix. J’utilise depuis des années cette caméra ultra stabilisée qui se monte sous un hélicoptère et délivre des plans ultra fluides, idéal pour suivre l’avion en vol. C’était un projet d’autant plus particulier pour moi car c’était une des seules fois que je descendais avec eux et c’est un THE RED BULLETIN

DAVID CARLIER, THIBAULT GACHET/RED BULL CONTENT POOL

Dino Raffault au bureau : notre action man dans un hélicoptère lors d’un tournage. Sous l’engin, la fameuse caméra Cineflex stabilisée, très prisée de ce réalisateur tout terrain.

La pression doit être dure à gérer de ton côté sur ce genre de projet… On a vraiment eu des hauts et des bas sur ce projet qui s’apparentait par moment à un tournage à la James Bond. On a dû faire deux sessions en Espagne pour que Fred et Vince soient vraiment à l’aise et trouvent la bonne trajectoire pour entrer dans le Pilatus. Il a fallu pour cela qu’ils tapent assez fort dans la carlingue et se mettent quelques boîtes. On a passé plusieurs heures à capitonner l’avion de mousse pour amortir leur arrivée et franchement au début, c’était vraiment chaud.


Soul Flyers / Dino Raffault

des seuls projets Soul Flyers où il n’a pas fallu plier les parachutes ! Revoir toutes ces images filmées à l’intérieur de l’avion, au cœur de l’action, et ce moment, ensuite, où tout le monde s’est retrouvé sur la drop zone avec Fred et Vince, quels souvenirs ! Mais il a fallu s’y prendre à deux fois… Oui, lors de la première tentative, le pilote n’arrivait pas à suivre la cadence de la descente du Pilatus, lui-même réglé sur la vitesse des wingsuiters. Les alarmes de l’hélico sonnaient dans tous les sens ! Ça sentait la grosse galère et il faut être honnête, lors de la première tentative, qui a échoué, on n’avait pas le plan qu’on voulait et un gros problème à résoudre. Je n’en menais pas large… Lors du second tournage, un mois plus tard, un jeune pilote est arrivé et a trop bien géré la situation en trouvant comment incliner la machine. Le plan est juste incroyable et fait tout le film. Les planètes ont donc enfin fini par s’aligner pour les athlètes et le projet ? Le jour J, temps parfait, pas de vent. ­Nouvelle dépose au sommet de la ­Jungfrau et ils s’élancent dans le vide.

« J’ai tout de suite senti que quelque chose de grand allait se passer avec ce duo. » Vince devait être le premier à entrer, il se loupe. Fred fait la même chose. Je retrouve les deux compères complètement défaits au hangar des hélicos. Je les accueille super positivement, je les remets en marche en utilisant le vieux concept propre à tous les projets : « Un pour voir, un pour faire ! » Vince m’a remercié un nombre incroyable de fois pour cette re-motivation, ma contribution à la réussite du projet en quelque sorte. Ça a fonctionné ? Ils sont entrés dans le Pilatus une heure

plus tard, dans un moment suspendu dans le temps. Je pense que c’est le truc le plus dingue que j’aie vécu. Ils étaient ­tellement heureux, c’était fou. On suivait l’avion avec l’hélico et on filmait les deux amis qui se prenaient dans les bras, ivres de joie. Le pilote Philippe (alias Philatus, ndlr) qui avait aussi réalisé un véritable exploit, aidé par Yves Rossy en co-pilote, qui faisait le lien entre Fred et Vince, rôle ultra-important, était comme un fou, ce fut inoubliable comme moment… Une fois que tout est dans la boîte, la suite est beaucoup plus simple ? Non ! On a sorti une version géniale et qui a fait le tour du monde mais ça a été compliqué. Le coup de génie est venu des équipes Red Bull qui ont voulu mettre une chute dans le hook (les premières secondes de la vidéo, ndlr) et tout le monde a halluciné et voulu regarder la suite, ça a été LA clé du succès. Et la sortie du film ? Incroyable ! On est partis le lendemain en vacances et j’étais hors réseau, perdu sur un bateau en Indonésie. J’ai fini par capter quelques textos et toute l’équipe était en ébullition : on prenait un million de vues toutes les heures sur Facebook ! Quand tu les as vus sur le plateau du Conan O’Brien Show faire la promo du projet, qu’as-tu ressenti ? J’ai halluciné. Je me suis souvenu de ces deux gars que j’avais rencontrés huit ans plus tôt, Vince les cheveux longs, Fred la bonne dégaine de parachutiste. Je me suis dit que le chemin était super beau.

Colis à bord ! Les Soul Flyers, qui viennent d’entrer dans l’avion, filmés par l’équipe de Dino. Sur ce genre de performance, il ne faut rien louper, et les caméras sont partout. THE RED BULLETIN

En conclusion, qu’est-ce que tu retiens de toutes ces années à leurs côtés ? Moi, je suis parachutiste amateur et j’ai dû faire mes premiers sauts à la même époque que Vince, alors quand je vois arriver ces deux légendes de la discipline, travailler avec eux a été pour moi une des plus belles choses qui me sont arrivées. C’est marrant parce qu’ils m’ont toujours remercié au centuple d’être parti avec eux sans aucun moyen pour démarrer l’aventure. Mais c’est à moi de les remercier au centuple ! Avec eux, j’ai réalisé mes rêves, exactement ce pourquoi j’ai fait ce métier. 57


LE FUTUR S’ÉCRIT À TROIS, POUR L’INSTANT... Malgré la perte irréparable de Vince son « aile-terre ego » en 2020, Fred Fugen n’entend pas voler solo. « Ce que j’aime le plus dans l’esprit des Soul Flyers, et que je veux voir perdurer, c’est ce kif collectif de partager ces moments de pure adrénaline et d’innovation en l’air. » Avec Vincent Cotte et Aurélien Chatard, l’aventure No Limit continue. Texte PATRICIA OUDIT 58

Ce saut emblématique et précurseur, les Soul Flyers ne l’oublieront jamais. Nous sommes le 19 octobre 2022, toutes les planètes sont alignées pour cette perf au-dessus du sommet du mont Blanc qui va les mener jusque dans leur jardin de la vallée de Chamonix, 7,5 km plus loin et 3 750 m de dénivelé plus bas. « Cette ligne absolument magnifique répétée six fois ensemble, on a réussi à la voler serrée et synchro, tout à la radio, comme si on ne faisait qu’un », se souvient Fred. Ces trois minutes de vol de proximité, le plus long du monde, à ­frôler les glaciers avec une variété THE RED BULLETIN


ALI BHARMAL/RED BULL CONTENT POOL, NAIM CHIDIAC/RED BULL CONTENT POOL

DEMAIN

Veush, Fred et Bras Noir à gauche après un saut au-dessus du Taj Mahal. Ici : formation serrée au Liban.

d’angles, de vitesses et assorti de quelques figures sur la fin, sont de l’avis commun ce qui constitue la quintes­ sence de l’esprit Soul Flyers : amitié, plaisir, confiance, innovation. L’ADN de ce nouveau trio formé par Fred, Vincent Cotte et Aurélien Chatard. Pas tout à fait nouveau : « On s’est connus il y a une quinzaine d’années, retrace Fred. Ce sont des gars hyper forts, ultra motivés, avec lesquels j’ai fait pas mal de projets ces trois dernières années. » Entre autres, en 2021, le survol des montagnes libanaises ou le rase-motte des pyramides d’Égypte. THE RED BULLETIN

« Les Soul Flyers, c’est une évolution permanente. » Fred Fugen

Fred : « Continuer avec eux était une suite logique, avec cette idée de progresser ensemble. Les Soul Flyers, c’est une évolution permanente. » Au centre du trio, Fred Fugen, 44 ans, l’âme des Soul Flyers, pilote ­Jetman, 2000 sauts en BASE jump, qui pratique le vol en wingsuit depuis 2000. À sa droite, Vincent Cotte dit « Veush », 38 ans, ex-membre de l’équipe de France de freefly (un point commun avec Fred) et ancien gymnaste. « Ça lui donne une gestuelle très acrobatique, explique Fred. Il est très fort pour ouvrir des spots. » Réponse modeste de Veush : 59


Monumental : Fred Fugen, le filmeur Mike Swanson et Vincent Cotte achèvent un vol en wingsuit au-dessus des pyramides de Gizeh en 2021.

« Ce que je tiens à dire, c’est que Fred est mon idole, j’ai eu la chance de faire un saut de coaching avec lui en Espagne en 2007. J’ai découvert un gars humble, accessible, passionné. Peu à peu, on s’est mis à sauter ensemble, au moins 500 fois depuis… » L’aile gauche, c’est Aurélien Chatard dit « Bras Noir », 39 ans. Un BASE jumper pur jus, venu du monde du deux-roues, VTT et moto, que Fred croisait parfois dans les gorges de la Bourne (Vercors), à la fin des années 2000. Bras Noir : « Le côté partage est tellement énorme : avec Fred, on a fait des sauts de 7 secondes à Magland (Haute-Savoie, ndlr) où on a tripé comme des fous ! C’est ça le spirit des Soul Flyers, garder la flamme malgré les années, sans ego. » La nouvelle Air Force qui s’équilibre en l’air s’est réparti les rôles à terre : Veush, qui ces dernières années s’est orienté vers l’ouverture de sauts en haute-montagne, s’occupe des cartes, analyse les finesses de vol, les posés, etc., quand Bras Noir, le plus expérimenté des trois en haute-montagne assure le lead sur les accès. Fred restant le chef d’orchestre en l’air. « Comme je 60

« C’est ça notre spirit : garder la flamme malgré les années, sans ego. » Bras Noir

l’étais avec Vince, je suis le leader en formation, eux volent sur moi, mais il n’y a pas de position plus facile qu’une autre. On se rejoint sur l’approche des sauts, la façon de partager les risques, l’analyse et la préparation des vols. » Dans les cartons, une grosse direction : développer le vol wingsuit freestyle de montagne. « Avec Vince, confie Fred, on a toujours été attirés par le mélange des disciplines, intégrer des figures hyper techniques dans des gros vols. Le tout avec une approche d’alpiniste pour se rendre sur les spots d’altitude. » Comme le confirme Veush, « le vol de proximité en haute-montagne reste très élitiste : il fait froid, il faut ­crapahuter pendant six ou sept heures pour arriver au spot, engoncé dans des combinaisons. Ce sont des sauts qu’on fait traditionnellement d’avion ». Si ce genre de vol est envisageable depuis les falaises, c’est aussi grâce aux nouvelles wingsuits qui combinent maniabilité et finesse de vol. « Un des enjeux est de trouver des sauts qui ­permettent de sauter avec ces combis », estime Veush pour qui le profil idéal est « un exit assez haut, du gros dénivelé, et de la raideur. Il y a de quoi faire dans les Alpes, ce qu’on va aller explorer au printemps prochain » ! Pour préparer ces prochains exploits, les SF se retrouvent régulièrement à la soufflerie de Stockholm qui permet de s’entraîner en freestyle, les sauts d’avion servant à peaufiner le vol en formation. « On profite de chaque créneau pour sauter ensemble, progresser dans l’anticipation des réactions de ­chacun », indique Bras Noir. Précisions de Fred : « En mode freestyle, il faut réduire l’allure : entre 150 et 200 km/h, contre 200-250 km/h quand on est ­lancés pleine balle en formation wingsuit classique. Le but, c’est de garder une vitesse suffisante pour avoir de l’énergie, de la ressource, et pour réaliser des figures proprement. » Au-delà de l’aspect technique, Fred n’oublie jamais la dimension du rêve. « Il faut les réaliser, quels qu’ils soient. C’est ça qui donne la confiance et l’envie d’aller plus loin ! » Fidèle en cela à l’esprit des Soul Flyers pour qui le ciel n’aura jamais aucune limite. THE RED BULLETIN

EWAN COWIE/RED BULL CONTENT POOL, ROY MRAD/RED BULL CONTENT POOL

Soul Flyers / Demain


EMBRACING PERFORMANCE

©Suguru Saito / Red Bull Content Pool

AND MADNESS

JULBO X SOUL FLYERS FRED FUGEN & VINCENT COTTE

#MOREWAYSTOFLY


E D S E U L B LE PTABLE M O C LA

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Texte LOU BOYD Photos ELLIOTT WILCOX


Une direction claire : Priya Ragu lors d’une séance ­photo pour The Red Bulletin en ­septembre 2023, à Londres.

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Priya Ragu

« JE ME SUIS DIT : “GARDE TON BOULOT ET TON SALAIRE ET OUBLIE LA MUSIQUE.” MAIS C’EST ELLE QUI A ÉTÉ LA PLUS FORTE ! »

D Mélange de succès : le style de Priya Ragu est un crossover entre tradition et streetwear urbain. Le foulard, en particulier, rappelle ses origines : ses parents ont grandi au Sri Lanka. THE RED BULLETIN

ans le clip vidéo de son single Adalam Va!, Priya Ragupathylingam – plus connue sous le nom de Priya Ragu – danse avec des acteurs dans et autour d’un imposant manoir. Ici, le style Tarantino fusionne avec l’esthétique cinématographique tamoule, également appelée Kollywood. Ragu passe sans peine d’un univers à l’autre. Des mondes qu’elle incarne tous les deux. Comme beaucoup de jeunes femmes d’origine asiatique, Ragu, fille de parents tamouls, a subi une énorme pression pour répondre aux attentes de sa famille : décrocher un bon boulot, mener une vie stable, trouver un mari bien comme il faut. Une carrière musicale en tant qu’artiste R&B et pop ne faisait pas partie du programme. Mais lorsque sa chanson Good Love 2.0 est sortie en 2020, l’artiste indépendante suisse largement inconnue est devenue une star montante du jour au lendemain. Les labels se sont mis à faire la queue, la station de radio BBC Radio 1

a diffusé la chanson en boucle. Ragu a été inscrite sur la liste Sound of 2022 de la BBC, a participé à l’émission culte Later with Jools Holland et son premier album est enfin récemment sorti. C’est un disque à la fois jubilatoire à l’énergie positive et contagieuse ainsi que le récit du voyage personnel de Ragu. Sous le titre Santhosam (« bonheur » en tamoul), elle se raconte, tout simplement. L’intro intitulée Ammama’s Note résume déjà les tensions intérieures : il s’agit d’un message vocal de 18 secondes de la grand-mère de Ragu, enregistré et envoyé après un mariage dans la famille. « Eh, tu m’as oubliée ? Pourquoi n’as-tu pas appelé ? », demande la grand-mère en tamoul. C’est un mélange d’inquiétude sincère et de reproche latent. « Tu te souviens de ce que j’ai dit à propos de la demande en mariage ? » « Je trouvais ça un peu amusant de commencer l’album avec ce message vocal, parce qu’il est tellement authentique », explique Ragu, aujourd’hui âgée de 37 ans. Ce sujet la poursuit depuis des années, c’est pourquoi elle est allergique au mot « mariage ». Et c’est aussi pour cela qu’il convient si bien au début de son album. « Car ici, tout tourne autour de ma quête du bonheur et de ma libération des attentes de la société. » Fille d’une pharmacienne et d’un comptable, Ragu a grandi à Bazenheid, près de Saint-Gall. Sa famille a fui le Sri Lanka en 1982 pour échapper à la guerre civile sanglante et a débarqué dans cette localité de quelque 3 500 âmes après bien des péripéties. « Enfant, j’ai eu du mal à concilier les deux cultures, raconte Ragu. J’avais souvent l’impression de devoir cacher mes véritables origines. » En tant qu’enfant d’un foyer tamoul traditionnel, la musique pop ou MTV étaient tabous pour elle et son frère. Mais 65


Priya Ragu

la musique faisait tout de même partie intégrante de la vie familiale. Le père de Ragu organisait de petites jam-sessions et invitait des ami·e·s le week-end pour jouer la musique de son ancienne patrie. À l’âge de dix ans, Ragu a rejoint le groupe familial en tant que chanteuse. « Ce n’était pas une grosse affaire. Nous ne jouions que lors d’événements culturels locaux et de mariages. » Mais en secret, le frère et la sœur ont poursuivi leur formation musicale en écoutant en boucle des chansons du hip-hopper Mos Def et des Fugees, développant ainsi leur propre style et leurs propres goûts. « Car la musique afro-américaine a été une part importante de notre enfance », explique Ragu.

L

orsque qu’elle a découvert Lauryn Hill, la chanteuse principale des Fugees, rien n’a plus été comme avant. « J’ai vu Sister Act 2, cette ­histoire où Lauryn Hill n’a pas le droit de chanter ni de faire partie de la chorale, et j’ai complètement flashé. Je me suis dit : “Mon Dieu, c’est mon histoire.” Sa voix a fait bouger quelque chose en moi. Jusqu’alors, je n’avais pas imaginé que la musique pouvait avoir un tel pouvoir. Mais c’est devenu clair pour moi à partir de ce moment-là. » Ragu a appris d’elle-même – alors qu’elle ne se produisait officiellement qu’au sein du groupe familial bien sage – les chansons d’artistes comme Lauryn Hill et Alicia Keys. À 16 ans, elle a osé chanter pour la première fois pour quelqu’un d’autre. Elle a choisi son frère aîné, Roshaan. « J’ai soudain cru en mon talent et j’ai eu le sentiment de devoir le partager avec quelqu’un, ditelle aujourd’hui. À l’époque, R ­ oshaan avait un crew de rap et je leur ai donné quelques échantillons. Ils ont tous aimé et m’ont invitée à me produire avec eux le week-end suivant. » « Cher journal, vendredi, je serai une pop star ! » Priya Ragu avait laissé ces mots à la vue de tous dans sa chambre. Son père a découvert la mention du spectacle à venir et s’y est clairement opposé. « J’ai menti en disant que j’allais à l’anniversaire d’une amie, se souvient l’intéressée, mais il m’a dit : “J’ai vu ce que tu as écrit dans ton journal. Hors de question.” Je me suis enfermée dans ma chambre et j’ai détesté le monde. C’était horrible. Aujourd’hui, je peux en rire, mais ce jour-là, c’était une catastrophe. Je me suis jurée que je ne parlerais 66

« J’AI RÉALISÉ LE TALENT QUE J’AVAIS ET QUE JE NÉGLIGEAIS. » plus de ma musique à mes parents tant que je n’aurais pas atteint un niveau acceptable. » Cette nuit-là, la jeune Priya Ragu a enterré ses ambitions artistiques. Elle a terminé ses études, a fait carrière comme comptable dans une compagnie aérienne et a quitté son village pour Z ­ urich dans sa vingtaine. Sur le plan social, sa vie avait désormais atteint son altitude de

croisière – comme ses parents l’avaient rêvé pour elle. La musique, elle, s’était installée de manière indélébile dans sa tête, même si Ragu la chassait de ses pensées. « J’ai ignoré tous les signes. Je me disais : “Non, garde ton boulot et ton revenu stables. Ne deviens pas une artiste sans le sou.” » Ce n’est qu’à son trentième anniversaire que tout a changé : « J’ai réalisé le talent que j’avais et que je négligeais. J’ai réalisé que je me devais d’au moins essayer de faire de la musique. Que je ne pouvais pas continuer comme ça pendant trente ans et me retrouver à soixante ans sans avoir jamais rien tenté. » En tant que pop star de la deuxième chance, Priya Ragu a commencé dans la trentaine à écrire ses propres chansons

Marque de ­fabrique : « ­Raguwave » sur la boucle de ceinture. Ce mot ­désigne bien sa ­façon de faire de la musique.

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« PAPA A TROUVÉ MON JOURNAL, A LU MES PROJETS, ET M’A INTERDIT DE JOUER MON PREMIER CONCERT. »


« MON FRÈRE A ­LANCÉ LES BEATS, NOUS NOUS SOMMES ­DISPUTÉS. ET SOUDAIN, J’AI ­RETROUVÉ LE RYTHME DE MON ENFANCE. »


Priya Ragu

STYLISME : ZAK KHAN, @ZAKYRHE; MAQUILLAGE : DANIELA ALVES; COIFFURE : SHAMARA ROPER; ÉCLAIRAGE : JARED PRICE

et à approcher activement des producteurs et des partenaires musicaux potentiels. Lorsque l’opportunité de collaborer avec le rappeur américain Oddisee s’est présentée, elle a pris un congé sans solde et s’est installée à New York pour quelques mois. Mais le courant ne passait pas vraiment – aucun des projets ne répondait à ses attentes en m ­ atière d’inspiration et de son. Ce n’est qu’au creux de la vague à New York qu’elle s’est souvenue de son premier partenaire musical : son frère aîné Roshaan alias Japhna Gold. Ils ont alors commencé à passer des heures sur Skype lors de nuits solitaires – Ragu dans sa chambre louée aux États-Unis et Gold à la maison, en Suisse. Le tandem familial a alors expérimenté de plus en plus souvent avec des beats et des hooks. « La musique nous a permis de revenir à nos racines et de nous connecter davantage à ce que nous sommes vraiment, explique Ragu. Cela a aussi un rapport avec la spiritualité. Le fait que

« LA MUSIQUE NOUS A PERMIS DE REVENIR À NOS RACINES. » nous ayons vécu la même chose a rendu l’écriture des chansons tellement plus facile. Nous avons une connexion comme il n’en existe pas d’autre. » La leçon qu’elle en a tirée : elle est r­ evenue en Suisse et a fait de Japhna Gold son producteur officiel. Elle se souvient particulièrement d’une journée en studio. Gold avait proposé de retourner le beat d’une chanson et de l’assaisonner avec les instruments et les rythmes des jam sessions de son enfance. « Au début, j’étais sceptique. Nous nous sommes même pas mal disputés, car sa vision était si différente de la mienne, raconte Priya

Entre chic et protestation : c’est aussi grâce à son look que Priya Ragu s’émancipe du rôle qui lui a été imposé.

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Ragu. Car j’ai compris qu’au final, je voulais chanter du jazz, de la soul ou du R&B purs. » Mais Gold l’a convaincue de donner une chance à son idée, a trouvé un beat et y a ajouté quelques paroles en tamoul. « Et soudain, ça m’a semblé si juste, si évident. J’ai senti que nous avions tapé dans le mille. C’est exactement le son que nous recherchions », explique Ragu. Et c’est ainsi qu’est né le « Raguwave », ce style très particulier de pop et d’anciennes traditions asiatiques. Tout-à-coup, les chansons se sont écrites d’elles-mêmes.

E

t le premier album est finalement sorti. Dès la première chanson, School Me Like That, Priya Ragu joue avec cet éternel fossé entre les a ­ ttentes familiales et les désirs profondément enfouis : “How can I stay awake for somebody else’s dreaming ?” [trad. « Comment puis-je rester éveillée pour le rêve d’un autre ? »] Et “There’s so much life in me that I should believe in (...). We are done being chained, I was born to break them for good.” [trad. « Il y a en moi une telle vie en laquelle je devrais croire. Nous ne voulons plus porter de chaînes, je suis née pour les briser pour toujours. »] « J’ai trouvé mon bonheur », s’exclame la chanteuse avec une emphase mesurée. Un a ­ lbum, une tournée européenne et américaine en tête d’affiche prévue pour l’année prochaine – quel est le prochain objectif ? « Il y a deux ans, je me suis fait un tableau d’inspiration (en anglais, vision board) et j’y ai écrit toutes les choses que je voulais accomplir, dit Priya Ragu. Ces projets se sont réalisés petit à petit. » Elle y a écrit « Tourner une vidéo pour Colors ! » (une chaîne YouTube basée à Londres), et elle l’a fait. « Apparaître dans Vogue ! », et les éditions anglaise et indienne ont parlé d’elle. « Participer au Festival de jazz de Montreux ! », et ça a été l’un de ses premiers grands concerts. Priya Ragupathylingam réfléchit. Oui, il y a encore quelques petites idées sur cette liste d’épicerie des choses qui lui tiennent à cœur. Mais le plus important – ce que Ragu n’osait même pas écrire – est arrivé comme par magie : son père, qui lui avait autrefois interdit de faire sa toute première apparition en tant que pop star, a collaboré au son de son album !

Priya Ragu sera en concert à Paris le 22 avril 2024, à la Bellevilloise. Instagram : @priyaraguofficial 69


D’UN SEUL BLOC Basse-Californie, USA, 2020 « Je vends du beau pour sensibiliser. Comme cet énorme banc de carangues à gros yeux, qui prouve qu’il y a encore beaucoup de vie. Des images comme celles-ci sont porteuses d’espoir. Cette photo a été prise par mon assistant et montre que j’ai su saisir ma chance. Dans mon métier, il y a une règle d’or : la patience. Beaucoup d’ingrédients entrent dans la composition d’une bonne photo. Dans mon cas, comme je travaille avec le monde sauvage, je fais tout ce que je peux pour être au bon endroit, au bon moment. Ça ne marche pas toujours, mais quand ça marche, il en ressort de belles images. »


LECOEUR À L’OUVRAGE Le photographe GREG LECOEUR a quitté une voie toute tracée pour embrasser un métier exigeant mais qui le fascine depuis l’enfance. Voici les images de son monde pour nous inciter, en positif, à le protéger.

Texte CHRISTINE VITEL

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D

es phoques espiègles, des oiseaux qui lui font les gros yeux sous l’eau, des requins p ­ as trop farouches… Les clichés de Greg ­ Lecoeur semblent être le résultat d’une mise en scène. Or, pas de studio ni d’éclairage artificiel. Rien n’est scénarisé. Qui plus est, le photographe est autodidacte. « Pour moi, une image, ça ne se vole pas, ce sont eux qui décident. » Eux, ce sont les stars de ses photos, le point convergeant de son travail : les animaux. « Une belle photo doit raconter une histoire, faire passer une émotion sur le monde du vivant », étaye-t-il. Montrer le beau, de manière ludique et positive pour donner envie aux gens de s’intéresser à ce qu’ils et elles ne connaissent pas, ou mal, faisant écho aux paroles du commandant ­Cousteau : « On protège ce qu’on aime, mais pour aimer, il faut connaître. » Car nous avons tendance à oublier que nous faisons partie de cet écosystème. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Greg Lecoeur, 46 ans, n’est pas ­végétarien – mais il a fait une croix sur le saumon sauvage (car « les stocks ont

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­ rastiquement baissé ») et le saumon d d’élevage (« tout sauf écologique ») ou encore les crevettes (dont « la pêche est un carnage sous-marin »). Il consomme de manière raisonnée, pour limiter les abus, et invite chacun·e à s’interroger sur ses habitudes de consommation, mais ne se pose pas en moralisateur. « J’observe un gros manque de connaissances de la faune et de la flore, déplore-t-il. Il y a des choses magnifiques qui nous entourent mais nous sommes ignorant·e·s face à la biodiversité. J’aimerais inciter les gens à renouer avec la nature. » Cinq ans après avoir changé de carrière afin de se consacrer entièrement à la photographie, Greg Lecoeur recevait le prix du Plongeur d’or de l’année 2015 et celui du Photographe nature de l’année

« Nous sommes ignorants face à la ­biodiversité. »

2016 décerné par National Geographic. Avec le recul, le Niçois se félicite d’avoir lâché sa vie « parfaite » : auto-entrepreneur, propriétaire d’un appart, d’une voiture, d’une TV (génération Train­spotting). « Quand j’étais jeune, j’ai recréé ce qu’avait fait mon père. Tout se passait plutôt bien. Mais à 30 ans, je me suis rendu compte que ce n’était pas ma vie. » C’est à ce moment-là qu’il répond à l’appel de l’océan, lui, le passionné de plongée (génération Grand Bleu), de biologie marine et de comportement animalier depuis tout petit. Mais comment aborder ces espèces farou­ ches, plus effrayées par l’Homme que ­l’inverse, et surtout en créant une interaction suffisamment forte, soutenue et complice pour en tirer des images originales et impactantes ? « J’ai toujours à l’esprit que ces sont des animaux sauvages et que l’on ne peut pas prédire ce qu’ils vont faire. Mais ils ne vont pas faire du mal pour le plaisir. S’ils réagissent ainsi, c’est qu’ils ont peur et se sentent en danger. Alors le meilleur moyen de rester en sécurité, c’est de les mettre à l’aise et d’éviter de les perturber, car c’est ainsi qu’ils agissent de la manière la plus gracieuse. » Greg Lecoeur a exploré certaines des mers les plus belles et les plus inhospitalières de la planète pour capturer toute une série d’espèces, des requins aux ­crocodiles en passant par les baleines. « Il m’arrive d’être nerveux, déclare-t-il à propos de la photographie de grands ­prédateurs. Mais je ne me contente pas de plonger ; tout ce que nous faisons est basé sur l’observation et la recherche, dans le plus grand respect de l’environnement des créatures marines. » En 2019, en visitant l’Antarctique, il accomplit un rêve de toujours et se confronte à une réalité difficile : « Entrer dans l’eau noire et glacée, à − 1 °C fut le plus difficile. Une fois dedans, je me suis concentré sur ce que je voyais. Je n’ai pas ressenti le froid. » Ni la peur. Il laisse les animaux venir à lui, lorsqu’ils comprennent qu’il ne constitue pas un danger pour eux. Comment y parvient-il ? En gardant une distance instinctive de sécurité, en anticipant les mouvements de l’individu face à lui ; et aussi grâce à sa manière de se mouvoir, en douceur, avec élégance. « On me dit souvent que j’ai la capacité d’anticiper et de voir tout ce qu’il se passe sous l’eau. » ­Ainsi que celle de se fondre dans le milieu dans lequel il s’invite pour le rendre a ­ ccessible à tous, à travers ses photos. greglecoeur.com THE RED BULLETIN

JAVIER ECHEVARRIA

Greg Lecoeur


RENCONTRE DU 3E TYPE Tonga, 2019 « On parle souvent des mauvaises nouvelles à propos des océans, mais quand l’Homme met en place des actions, on voit que ça marche, que la nature a la capacité de reprendre le dessus. Comme ce moratoire en 1985 qui interdisait la pêche de la baleine à bosse, espèce qui avait quasiment disparu. Quarante ans plus tard,

sa population est revenue à la normale ! Ce sont des mammifères très agiles, très précis, très gracieux, qui maîtrisent parfaitement la notion des distances. Je me souviens très bien de cette rencontre avec cette baleine. Elle était plus curieuse que les autres, elle cherchait l’interaction. Elle s’est approchée de nous avec tant de douceur. »


« Pour moi, une photo ne se vole pas. Ce sont les animaux qui décident. »

VISITE SURPRISE Îles Shetland, Écosse, 2016 « J’étais en Écosse à la recherche de fous de Bassan et de macareux moines, des oiseaux. Là-bas, j’ai rendu visite à un ami photographe. Un jour, nous sommes allés faire de la plongée sous-marine en mer dans la zone où il pensait que se trouveraient des loutres, qui sont des animaux très curieux. À un moment, j’en aperçois une plonger, puis je la perds de vue, juste avant qu’elle ne réapparaisse inopinément devant moi. J’enclenche direct ! J’adore cette image. C’est ça le défi dans mon métier : capter le moment et la scène malgré les émotions qui déferlent ou la surprise qui nous accapare. »


Greg Lecoeur

SAUVE QUI PEUT Afrique du Sud, 2019 « Lors du Sardine Run annuel (lorsque des milliards de poissons migrent le long de la côte sud-africaine, ndlr), tous les prédateurs marins partent en chasse : oiseaux, requins, otaries, baleines, pingouins… même si sur cette photo, on ne voit que des dauphins. Pour moi, c’est le spectacle animalier le plus spectaculaire de la planète. Dans l’eau, on ressent la puissance de la nature, l’adrénaline est à son comble. Je l’ai documenté à plusieurs reprises et c’est compliqué. Il faut passer beaucoup de temps en mer pour trouver le bon spot. Parfois, on attend des jours, voire des semaines, avant d’avoir la chance de capturer une bonne action. J’ai de la bouteille, alors j’arrive à canaliser mes frustrations. Je sais que c’est souvent dans les dernières minutes, quand on ne s’y attend plus, que les choses arrivent. »

SYMBIOSE Cuba, 2015 « Voici mon ami Pierre Frolla (quadruple détenteur du record du monde d’apnée et l’un des rares êtres humains à approcher les animaux marins sans protection, ndlr) avec un crocodile américain, qui ressemble à un dinosaure. Il m’a accompagné à Cuba pour un projet photo qui consiste à mettre l’Humain dans la nature, ceci afin de remettre en question nos idées fausses et encourager les gens à s’intéresser à ce qu’ils et elles connaissent peu ou mal. Avec Pierre, sous l’eau, notre relation est assez magique : on se complète, on parle peu. Il sait que je vais me poser à un endroit et me faire oublier, et lui va anticiper la venue des individus. » THE RED BULLETIN

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Greg Lecoeur

DANS LE CHAMP ­Fakarava, Polynésie ­française, 2018 « Cet endroit est célèbre pour ses r­ equins. Pendant la journée, ils se ­reposent dans le courant, presque immobiles. Puis, la nuit venue, ils partent en chasse, ce qui explique qu’ils soient si nombreux. Pour travailler de nuit, j’ai une petite lumière sur mon appareil photo pour repérer les requins, ainsi que des lampes stroboscopiques fixées sur mon appareil photo pour filmer : les requins ne réagissent pas du tout à la lumière. Pour rester en sécurité, je me fonds dans le décor : je fais des gestes lents pour consommer le moins d’oxygène possible, et je me déplace sans bruit. Ainsi, je ne fais pas fuir les animaux. En revanche, si les poissons chassés se trouvent ­derrière moi, les ­requins me pousseront de leur route sans ménagement. »

« Lors de mes premières plongées avec les requins, ils avaient peur, ils étaient fuyants. »

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Greg Lecoeur

TRÉSORS DE PATIENCE Antarctique, 2019 « En expédition, on ne sait jamais à quoi s’attendre, ça ne se passe ­jamais comme on l’avait imaginé. ­Parfois, ça se passe beaucoup mieux. Comme cette rencontre avec les phoques crabiers sous-marins – l’un de mes meilleurs souvenirs de photographe – très joueurs et curieux, alors que nous étions sur les traces du léopard des neiges, sans succès. C’est là l’aspect performance de mon métier : rester concentré et vigilant, ne pas faire fuir les animaux, et réaliser des images qui retranscrivent le moment. Cette photo a d’ailleurs été lauréate 2020 du concours Under­ water Photography of the Year. »

« Cette ­rencontre avec les phoques est l’un de mes meilleurs ­souvenirs. »


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SANS TRANSITION Afrique du Sud, 2019 Avec son équipement de photographie sous-marine, Greg ­Lecoeur doit passer pour un drôle d’oiseau auprès de la population aquatique. Mais il n’est pas le seul : « Chaque année, les ­prédateurs ­marins se donnent rendez-vous le long des côtes africaines de la Wild Coast pour chasser à l’unisson les sardines en migration. Parmi eux, ces fous du Cap qui transpercent la surface à plus de 100 km/h. Ils se révèlent d’excellents nageurs. »

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THE RED BULLETIN


Greg Lecoeur

« Ma manière de ­plonger, c’est de me fondre dans le décor : gestes lents, sans bruit. »

CHASSE GARDÉE Égypte, 2019 « Le requin longimane (ci-contre), répandu dans les eaux tropicales, peut se révéler très inquisiteur avec les plongeurs. Les r­ equins sont des espèces magnifiques. J’ai appris à les mettre en confiance et à garder instinctivement la bonne distance pour les côtoyer, et observer le grain de leur peau, leurs cicatrices, leur regard…. » THE RED BULLETIN

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PERSPECTIVES Expériences et équipements pour une vie améliorée

JANNE LIPSANEN

UN HIVER EN LAPONIE

L’as du snowboard Eero Ettala nous ­emmène camper.

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PERSPECTIVES voyage

« Lorsque le vent tombe enfin et que le soleil est sur le point de disparaître, je réussis le run parfait. »

J

e glisse et glisse et glisse sur les pentes de poudreuse de la colline, je saute par-­dessus les arbres. Ils sont recouverts d’une épaisse couche de neige, certains droits comme des i, d’autres tordus, car le poids de la neige pousse leur couronne en avant, presque jusqu’au sol. Au-dessus de moi, le ciel est bleu, en dessous, la neige fine est poudreuse, et tout autour, c’est le silence. Seul le doux crissement de mon snowboard m’accompagne dans la descente. C’est surtout ce silence qui m’enthousiasme le plus en Laponie. Je vis à Helsinki, et plus je vieillis, plus je suis attiré par cette région, la plus septentrionale de Finlande. Parce que la Laponie évoque immédiatement la nature sauvage, les loups et les ours (car il y en a), alors 84

que la région est en fait très bien développée. Les routes sont aménagées, il y a des supermarchés et des stations de ski. Pas ­besoin d’être un artiste de la survie pour s’y débrouiller, être un petit peu aventurier suffit. Il y a aussi des hôtels car beaucoup de vacancier·ère·s s’y rendent pour dévaler les pistes. Et comme la plupart sont ­paresseux·euses, ils et elles prennent les remontées mécaniques et redescendent les pistes ou, s’ils et elles veulent skier dans la neige profonde, la pente non damée juste à côté. Il ne suffit pourtant que d’un minimum d’efforts pour rapidement trouver des Eero Ettala, snowendroits où presque boardeur freestyle

personne n’est passé avant soi. Bien sûr, avant tout, il faut s’y rendre. Depuis ­Helsinki, le voyage est déjà une expédition. Il faut compter quatorze heures pour traverser l’arrière-pays finlandais vallonné en direction du Nord, à travers d’épaisses forêts de conifères et le long d’innombrables lacs. Ce n’est que très haut dans le Nord que les collines deviennent plus hautes, les forêts plus clairsemées et les arbres un peu plus petits. Lorsque le premier renne apparaît sur le bord de la route, on sait qu’on approche du but. Celles et ceux qui préfèrent le confort peuvent mettre leur voiture sur le train de nuit et s’allonger dans une cabine pour arriver bien reposé·e·s dans la petite ville de ­Kolari, à la frontière avec la Suède. Évidemment, il y a aussi des aéroports. Une autre ­évidence : la Laponie est un pays THE RED BULLETIN

EETU LEIKAS, JYRI PAAJAMAA

Eero Ettala, 39 ans, snowboardeur freestyle et médaillé d’or des X Games.


PERSPECTIVES voyage Détacher sa ceinture : Eero teste de nouveaux sauts sur le kicker qu’il a construit en Laponie.

Prêt à embarquer : Eero devant son camping-car Sunlight T 67 S Adventure Edition qui peut accueillir quatre personnes. THE RED BULLETIN

­ ’extrêmes. En été, il fait jour 24 heures d sur 24, et en hiver, le soleil ne brille que trois, quatre, peut-être six heures par jour. De plus, il fait froid : le thermomètre peut descendre jusqu’à 20 degrés en dessous de zéro. C’est pourquoi je préfère voyager en camping-car. On peut ainsi se rendre directement à la montagne que l’on a choisie. L’un de mes spots préférés est Ylläs, là où j’ai réussi ce run parfait. Nous avons campé sur un point de vue entre deux stations de ski. De là, nous sommes partis à pied, la planche sous le bras, et avons gravi la colline dans la neige. Yläss est située très au Nord, les arbres sont donc moins denses. On peut skier plus librement, mais en même temps, la pente est plus sensible au vent et les sauts construits avec peine sont vite ­recouverts de neige. Il nous a fallu 85


PERSPECTIVES voyage

LAPONIE Ylläs Kolari

Ruka

Finlande

Helsinki

Itinéraire Se rendre en Laponie Vous pouvez rejoindre ­Helsinki depuis la France en avion. De là, il reste ­encore environ mille kilomètres jusqu’en Laponie. Vous pouvez vous y rendre par vol intérieur ou en ­voiture. Il est également possible de prendre un train de nuit, transport de v­ oiture compris.

Petits conseils d’Eero Tout le nécessaire pour faire du bloc

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lors d’une même sortie. Le camping-car à proximité nous permet de tirer le meilleur parti de ces courtes journées. Et quand on revient du snowboard avec les doigts gelés, on y trouve tout de suite un nid douillet. Pas d’après-ski, pas de party, rien que toi et tes copains, un repas chaud… Avant que tout le monde tombe dans son lit, accablé par la fatigue d’avoir dégagé la neige. Quoi de mieux ? Et si vous passez la tête par la fenêtre par une nuit claire et froide, vous ­verrez – avec un peu de chance – les aurores boréales ­illuminer le ciel.

Soirée conviviale : après de longs runs en snow­board, Eero aime jouer à des jeux de société dans son camping-car.

Un camping-car pour tou·te·s : il est possible de louer un camping-car aussi bien à Helsinki qu’en L ­ aponie, par exemple sur : mcrent.fi THE RED BULLETIN

JOHANNES MITTERER

quatre jours pour aménager mon run ! C’est exactement le contraire pour mon deuxième endroit préféré : la réserve ­naturelle de Valtavaara se trouve un peu plus au sud, près du village de Ruka. En face d’une station de ski, il y a une colline plus densément boisée. Il faut donc faire davantage attention dans les descentes car la neige n’y est pas autant dégagée que dans les zones plus habitées. Ici aussi, nous garons le camping-­ car directement sur la montagne et partons à pied. Pas d’inquiétude : au plus tard le ­deuxième jour, vous aurez vu de belles choses. La montée n’est pas difficile et la descente à travers la forêt commence doucement, mais devient rapidement raide et ne dure pas très longtemps. Vous pouvez ainsi faire plusieurs rondes

EETU LEIKAS, JYRI PAAJAMAA

Une forêt vierge de touristes, il y a de quoi sauter de joie… Bienvenue en Laponie !

Des gadgets pour vous réchauffer ! Il peut faire très froid en Laponie. Les vêtements chauds sont un must, et aussi des chauffe-mains. Défiez la nuit ! On l’oublie souvent en ­faisant ses bagages : dans l’obscurité, hors des pistes, ne skiez jamais sans une lampe frontale. Elle est aussi utile pour ­aller se dégourdir les jambes après le souper. Mettez tout en jeu ! En Laponie, la nuit tombe dès l’après-midi. Pour ne pas rester accroché·e en permanence à son ­portable dans le camping-car, il faut absolument prévoir quelques jeux de société.



PERSPECTIVES Jeu moment pour acheter un ­terrain ou d’y construire, c’est lorsqu’un adversaire a de grandes chances de tomber dessus au prochain tour. ­Notamment lorsqu’il se trouve à 7 cases ­dudit terrain : « Avec deux dés, la probabilité de faire un 7 est très grande. »

Bien se placer

Nicolò Falcone est champion du monde de Monopoly : il nous dévoile ses trucs et astuces pour devenir un as.

Comment devient-on champion du monde de Monopoly ? Pour Nicolò Falcone, ça s’est joué sur un coup de chance. Ce Vénitien d’origine a commencé à y jouer très jeune avec son père et son frère, pour occuper les longs dimanches pluvieux d’hiver. À 13 ans, lors d’un voyage à New York, il découvre le jeu ­vidéo Monopoly. Mais il faudra attendre encore dix-sept ans et une pub sur internet pour que cet avocat de profession décide de passer à l’étape supérieure en participant à ses premières compètes internationales. « J’étais en train de scroller sur Facebook quand un pop-up est apparu, qui disait : “Êtes-vous bon au Monopoly ? Voulez-vous gagner un voyage en Chine ?” », se rappelle Falcone. Instinctivement, il clique sur la pub et s’inscrit pour la première compétition régionale, qui se tient à Spilimbergo dans le 88

nord-est de l’Italie. Il termine troisième, ce qui le qualifie d’emblée pour les championnats nationaux l’année suivante – qu’il remporte. Prochaine destination : la Chine, qui organise alors les Championnats du monde de 2015. Quand il arrive sur la péninsule de Macao en Chine, il n’en croit pas ses yeux : la compétition est organisée dans un hôtel, The Venetian, dont l’architecture s’inspire directement de celle de sa ville natale. Comme à la maison, Falcone termine premier de la compétition et remporte 20 580 dollars – soit la valeur totale des billets accumulés pendant le jeu. Fort de cette expérience, il se lance dans le stand-up pour raconter son histoire sur scène. Le Monopoly se jouant avec des dés, Falcone nous rappelle que « tout le monde peut gagner à ce jeu, même si vous êtes novice et face au

champion du monde. » Mais si la part de chance est indéniable, on peut toujours influencer l’issue du jeu grâce à quelques ruses.

Connaître les règles

La première règle du Monopoly, c’est justement de ­maîtriser les règles du jeu – toutes. L’une d’elles stipule que vous pouvez construire des maisons et des hôtels avant qu’un joueur lance les dés, même si ce n’est pas votre tour. Le meilleur

« La Prison est une excellente pioche en fin de jeu. » Nicolò Falcone, boss au Monopoly

Investir judicieusement

Une fois qu’on a toutes les cartes d’une même couleur, on peut construire des maisons sur ces terrains. « Le mieux est de mettre trois maisons sur chaque terrain », conseille Falcone, parce que, selon lui, les hôtels risquent de vous faire trop dépenser, d’autant que la hausse de loyer la plus intéressante survient lorsqu’on passe de deux à trois maisons par terrain, quand un hôtel (ou une quatrième maison) n’entraîne qu’une hausse minime.

Aller en prison

Ça peut sembler contre-productif à première vue, et pourtant : certes, en début de partie, il vaut mieux l’éviter pour ne pas sortir de la course aux investissements. Mais vers la fin du jeu, nous dit Falcone, tomber sur cette case va vous éviter de passer par les terrains de vos adversaires tout en continuant à encaisser vos loyers. Alors, si le jeu s’emballe et que vous atterrissez en ­prison, réjouissez-vous ! Vous n’aurez plus qu’à regarder l’argent affluer – sans effort.

L’appli Monopoly est disponible sur App Store et Google Play. THE RED BULLETIN

ISABELLE ARON

Ruser pour gagner

GETTY IMAGES

JOUER

La case sur laquelle on tombe le plus souvent est la case En prison / Simple visite qui se trouve en début de jeu. « On peut y atterrir en faisant un double trois fois de suite ou en tirant une carte Chance. » À partir de là, il suffit de prendre en compte les probabilités de dés pour savoir où investir : « En comptant 6, 7 ou 8 cases depuis la Prison, vous tombez sur deux des trois terrains avant Parking gratuit – la ­combinaison gagnante. »


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PERSPECTIVES matos

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PERSPECTIVES matos

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PERSPECTIVES matos

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PERSPECTIVES matos

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PERSPECTIVES matos

UNE RANDO BRANCHÉE

ARC’TERYX AERIOS NIVALIS GTX

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PERSPECTIVES matos

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JULBO EDGE

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M E N T I O N S L ÉGA L ES

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P O U R FI N I R E N B E AU T É

Force basque

Le prochain THE RED BULLETIN sortira le 15 février 2024

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D’habitude, ils et elles veillent sur les baigneurs de la côte atlantique, mais le 24 février, ils et elles seront les héros et héroïnes de la troisième édition du Red Bull Ocean ­Rescue, une compétition de sauvetage côtier parmi les plus exigeantes au monde : cinq sports sur une seule et même course folle. Le cadre ? Les plages et l’océan démonté de Biarritz. Les participant·e·s : 18 hommes et 8 femmes – parmi les spécialistes de la discipline – qui devront courir, nager, sauter de falaises et pagayer (en kayak et en paddle) entre différents points sur un parcours de plus de 5 km. Allez sur redbull.com/oceanrescue pour rejoindre les qualifications du 23 février !


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