The Red Bulletin CF 01/23

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REVANCHE SUR LES REVERS

500 000 followeurs sur TikTok : Giuliano Carnovali, le joueur de tennis pro en fauteuil, inspire la nation

SUISSE, 3,80 CHF 01/2023
LINDSEY VONN / CHARLOTTE GAINSBOURG / KALLE ROVANPERÄ / MICHAEL JORDAN

Contributions

LOU BOYD

Le duo Nova Twins (composé de la guitariste Amy Love et de la bassiste Georgia South) remet en question les stéréotypes musicaux et se crée ainsi sa propre place sur la scène du vieux rock. Notre autrice, Lou Boyd, a rencontré le groupe à Brixton et tenté de comprendre comment leur approche musicale sans compromis leur a valu des fans comme Elton John ou Tom Morello. Page 54

SOYEZ L À !

LUKAS MAEDER

Le photographe et réalisateur Lukas Maeder a déjà travaillé avec des superstars comme Kendrick Lamar ou Billie Eilish. Pour cette édition, il a photographié le joueur de tennis suisse paraplégique Giuliano Carnovali. Tous deux ont un passé de skateurs et se connaissent depuis longtemps. Leur complicité transparaît dans les photos de ce reportage. Page 34

C’est de nouveau l’heure ! Le monde court pour celles et ceux qui ne peuvent pas le faire : le 7 mai 2023, le coup d’envoi de la dixième édition de la Wings for Life World Run sera donné. Le principe est simple : un départ simultané pour, tout le monde. Trente minutes plus tard, la catcher car démarre à votre poursuite. Elle va de plus en plus vite, jusqu’à ce qu’elle vous rattrape. La personne qui remporte la course est celle qui s’arrête en dernier.

Mais chaque participant·e repart gagnant·e, comme l’explique Guliano Carnovali, 24 ans, qui se déplace en fauteuil roulant depuis un accident : « J’éprouve une profonde gratitude pour le fait que je puisse participer. » Dans le sujet que nous lui consacrons en page 34, il parle de son retour à la vie, de la manière dont il inspire aujourd’hui des milliers de personnes et de la différence entre pitié et acceptation.

En page 90, deux athlètes suisses, Fanny Smith et Judith Wyder, distillent leurs conseils pour se préparer au mieux d’ici le mois de mai.

BRATISLAV MILENKOVIĆ

L’illustrateur de Belgrade agrémente notre série Biohacking de conseils pour une vie optimisée. Ce mois-ci : le pouvoir du sourire. La devise artistique de Bratislav : des couleurs vives et des formes audacieuses. Dernièrement, le créatif a travaillé entre autres pour Nike, BMW, Google, The New York Times, Esquire et Wired. Son compagnon préféré en studio : son chien Vito. Page 88

En page 20, vous lirez comment Nils Frei, le coach d’Alinghi Red Bull Racing, s’y prend pour atteindre son objectif : remporter la Coupe de l’America !

Fini la routine, par ici l’aventure !

La Rédaction

ÉDITORIAL
THE RED BULLETIN 3
LUKAS MAEDER (COUVERTURE), RAISA DURANDI

Le

PORTFOLIO

Frankie Perez est passé du statut de B-Boy à celui de photographe. Il dévoile ici ses meilleurs clichés.

TENNIS

JEU, SET ET MATCH 34

Giuliano Carnovali, athlète en fauteuil, nous donne du courage.

Kristian Blummenfelt a encore des comptes à régler.

CONTENUS 01/2023 GALLERY 6 L’ADDITION ! 12 OBJET TROUVÉ 14 HÉROS & HÉROÏNES CHARLOTTE GAINSBOURG 16 L’actrice et chanteuse fait de sa faiblesse une force. LINDSEY VONN 18 Comment la skieuse s’est réinventée, loin des pistes. NILS FREI 20
loup de
eaux intérieures
Coupe
Suisse.
mer des
veut ramener la
de l’America en
BREAK AND CLICK 22
RALLYE L’ÉLAN FINLANDAIS 44 Kalle Rovanperä remporte des succès dans
froid glacial. ROCK DOUBLE IMPACT 54 Les Nova Twins réinventent le rock alternatif. ESCALADE DU CRAN ET DU CŒUR 62
un
Saray Khumalo est la première femme noire africaine à avoir gravi l’Everest. TRIATHLON POURQUOI TANT DE HÂTE ? 68
54 AMERICA’S CUP SACRÉ GRAAL 76 Comment un trophée est devenu un mythe. À VOTRE TOUR ! VOYAGER 82 PENSER 84 ÉCOUTER 86 OPTIMISER 88 S’ENTRAÎNER 90 SE DÉTENDRE 92 BOULEVARD DES HÉROÏNES 94 MENTION LÉGALES 96 LE TRAIT DE LA FIN 98 68 4 THE RED BULLETIN DANIEL TENGS/RED BULL CONTENT POOL, STEPHANIE SIAN-SMITH
B A B C D E F G Volvo EX90, Twin Performance AWD Electric, dual motor 517 ch/380 kW. Consommation moyenne d’électricité: 21,1 kWh/100 km, émissions de CO₂: 0 g/km. Catégorie d’efficacité énergétique: B. La Volvo EX90. volvocars.ch/EX90 Découvrez la Volvo EX90 avec Safe Space Technology et un design scandinave épuré. Notre nouveau SUV 100% électrique.
GALLERY

Oberstdorf, Allemagne MAGIQUE

Air, eau, feu et terre sont à l’honneur de notre galerie, ouverte par le parapentiste Michael Lacher et le photographe Adi Geisegger. Magie athlétique pour Lacher au-dessus du Nebelhorn, à 2 224 mètres ; celle de Geisegger utilise de puissantes lampes de poche, une longue exposition et 320 LED sur l’arrière du cerf-volant. Ils accèdent à la demifinale de la catégorie Masterpiece by SanDisk Professional du concours photo Red Bull Illume. geisegger.com; redbullillume.com

THE RED BULLETIN 7 ADI GEISEGGER/RED BULL ILLUME DAVYDD CHONG

Îles Mentawai, Indonésie POSÉIDON

Bienvenue sur les vagues des îles Mentawai, un archipel situé à 150 km des côtes de Sumatra et qui est un haut lieu du surf depuis la fin des années 80. En mai dernier, Red Bull a emmené neuf surfeurs et surfeuses de haut niveau, dont la championne olympique Caroline Marks et le Californien de 20 ans Dimitri Poulos (photo), pour un voyage de 19 jours. Pour voir toute l’action, regardez le premier épisode de la deuxième saison de People Watching sur Red Bull TV.

GALLERY
MARCELO MARAGNI/RED BULL CONTENT POOL, BRIAN CHING SEE WING/RED BULL CONTENT POOL DAVYDD CHONG

Hong Kong

CORDE À BR Û LER

Cordiste hors pair, le maître du saut à la corde Timothy Ho Chu-Ting a des idées du genre lumineux. En mai 2022, le recordman originaire de Hong Kong, qui a été le premier à réaliser 500 sauts en trois minutes en 2012, a donc décidé de mettre le feu au monde, en commençant par sa corde et lui-même. N’essayez évidemment pas ça chez vous. La vidéo de son Fire Dragon (dispo sur la chaîne YouTube Glxbal Labz) montre comment le jeune homme de 27 ans a procédé.

THE RED BULLETIN 9

Jokkmokk, Suède

BIEN FRAPPÉ

Le wakeboardeur allemand Dominik

Gührs est habitué à des températures de baignade méridionales et à des shorts de bain courts. Mais comme le cool boy vient tout de même du froid, il se produit cette fois-ci au nord du cercle polaire. Cette prise de vue aérienne le montre sur un parcours spécialement taillé dans la glace d’un lac. Il franchit à grande vitesse un mur gelé. Et brave le froid. Bientôt sur Red Bull TV, redbull.com

GALLERY 10 THE RED BULLETIN
LORENZ HOLDER DAVID MAYER

Le printemps arrive, les sentiments feurissent et Tinder aussi : voici les chiffres les plus chauds de la plateforme de rencontres.

14 600

matches en seulement deux ans ont valu à l’Anglais Stefan-Pierre Tomlin, outre de nombreux rendez-vous, le surnom de « Monsieur Tinder ».

75

milliards, le nombre de fois où le message “It’s a match!” s’est affiché sur les écrans. Le premier milliard a été atteint en 2014.

0

match : c’est le triste résultat obtenu sur Tinder par le beau gosse d’Hollywood Zac Efron. Le problème ? On pensait que son compte était bidon.

190

pays font actuellement partie des Nations unies de Tinder : la plateforme est disponible dans tous ces États.

PECHO EN LIGNE 2012

L’année où Jonathan Badeen, Sean Rad et Justin Mateen ont fondé Tinder… et facilité la vie de millions de célibataires.

30

% des utilisateurs et utilisatrices de Tinder sont mariés. C’est en tout cas ce qu’affirme une étude de Global Web Index. À cela s’ajoutent 12 % de gens déjà en couple.

20

heures, le lundi soir : voilà le meilleur moment pour swiper à la recherche du ou de la partenaire de ses rêves, car c’est là que les gens sont le plus actifs en ligne.

1,5 million de rendez-vous chaque semaine.

2

vérifications : les utilisateurs et utilisatrices américains peuvent faire vérifier leurs antécédents afin de savoir si un match a un casier judiciaire ou une condamnation.

10 000 000

de dollars, c’est ce que l’escroc Simon Leviev aurait gagné entre 2017 et 2019 lors de ses rendez-vous Tinder. Netflix lui a même consacré un documentaire : L’arnaqueur de Tinder

À cette date, le dating en ligne était déjà si répandu que le mot « tinder » a fait son apparition dans le dictionnaire.

L’ADDITION !
2017
12 THE RED BULLETIN GETTY IMAGES, GETTY IMAGES PREMIUM HANNES KROPIK CLAUDIA MEITERT

Modèles SUV de Škoda

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ATOUT SANS MANCHES

Voici le maillot le plus cher de l’histoire du sport. Michael Jordan, icône du basketball, l’a porté durant sa dernière saison.

Une fois encore, la toute dernière, le géant de 1,98 m s’est lancé : la saison 1997/98 est entrée dans l’histoire comme la « dernière danse » de Michael Jordan et a été racontée dans la série Netfix, The Last Dance. En route vers son sixième et dernier titre NBA, « His Airness », comme on

appelait l’arrière des Chicago Bulls, a rencontré le Jazz de l’Utah en fnale. Le maillot, dans lequel il a transpiré lors du premier match de la fnale, a été vendu aux enchères dans sa ville natale de New York : un fan a payé 10,1 millions de dollars – un record pour une relique sportive.

Michael Jordan, 60 ans, est considéré comme l’un des meilleurs basketteurs de l’histoire. Il a été six fois champion de la NBA.

OBJET TROUVÉ 14 THE RED BULLETIN PICTUREDESK.COM, GETTY IMAGES

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CHARLOTTE GAINSBOURG

est une actrice dont la vie était aussi sombre qu’un flm. Jusqu’à ce qu’elle apprenne que crier libère ! Et cela rend même heureux.

Peu d’actrices font preuve d’autant de courage dans leurs rôles que Charlotte Gainsbourg. Dans des flms comme Antichrist ou Nymphomaniac, elle a porté sur le grand écran les fantasmes sexuels et extrêmement violents du réalisateur Lars von Trier, surnommé « l’enfant terrible du septième art ». La Française de 51 ans s’aventure aussi dans des univers sombres comme récemment dans le thriller The Pale Blue Eye, actuellement sur Netfix. Celles et ceux qui la rencontrent en personne sont pourtant étonnés au premier abord car elle semble plutôt timide… Apparence fragile, voix et regards hésitants.

Elle ne nie d’ailleurs pas vraiment son manque d’assurance. « Je ne me suis jamais sentie bien dans ma peau, je n’aime pas mon corps », déclare-t-elle. Ses apparitions sur scène comme chanteuse « ne me semblent pas naturelles ». Lorsqu’elle produit sa musique –des morceaux pop mélancoliques, la plupart personnels mais calibrés pour les charts – c’est « un déf », car elle n’a « pas une haute opinion » de son talent.

« C’est toujours aussi difficile pour moi, admet-elle. J’ai étouffé le processus de deuil en ne touchant à rien dans sa maison – même pas le contenu de son réfrigérateur. »

La vie de Charlotte Gainsbourg, avec son manque de confance, ses traumatismes et ses deuils, est plus sombre que n’importe lequel de ses flms dramatiques, pourrait-on penser. Mais bien au contraire ! Elle est parvenue à puiser vitalité et force précisément dans ses prétendues crises et faiblesses. « Comme je sais que je suis très timide, je me pousse exprès en avant. Je ne peux pas me permettre de me laisser aller. C’est pour cette raison que je repousse constamment mes limites. »

Un crash, une opération, une fn heureuse Flash-back en 2007. Un accident en faisant du ski nautique. Diagnostic : hémorragie cérébrale. Une opération compliquée a sauvé la vie de l’artiste, mais psychologiquement, elle était une fois de plus « absolument à bout ». Mais c’est justement lors du tournage éprouvant du scandaleux Antichrist, un an plus tard, qu’elle a retrouvé son équilibre intérieur : « Toute la souffrance et les cris dans les scènes ont été énormément libérateurs. C’était la meilleure chose qui pouvait m’arriver. »

En 2020, elle a également décidé de faire face aux « fantômes du passé ». Elle a quitté New York avec sa famille – même si elle s’y sentait bien – et est revenue à Paris pour retracer son histoire familiale : elle a tourné un documentaire sur sa mère, Jane Birkin. Parallèlement, elle s’est penchée sur l’héritage de son père en ouvrant au public la maison de ce dernier, laissée jusque-là endormie et fermée, comme musée Maison Gainsbourg.

Si Charlotte Gainsbourg est si ouverte sur ses propres faiblesses, c’est aussi parce qu’elle a connu une énorme liberté dans son enfance. Notamment grâce à ses parents qui, par le biais de chansons comme Je t’aime … moi non plus, étaient le couple le plus en vue du show-biz français. Aujourd’hui, elle trouve que certaines choses de cette époque sont pour le moins discutables, mais elle souligne : « J’aime la liberté dans laquelle j’ai été élevée. Plus on nous impose de restrictions, plus c’est effrayant. »

Elle parle aussi ouvertement de sa vulnérabilité : lorsque sa demi-sœur Kate Barry décède en 2013, cela a été si traumatisant pour elle qu’elle a quasiment fui à New York avec sa famille : « C’était la seule façon pour moi de survivre. » La mort de son père, le légendaire auteur-compositeur-interprète Serge Gainsbourg, en 1991, a été un choc qu’elle a essayé de surmonter pendant des décennies.

C’est pourquoi elle continue à affronter toutes les expériences de la vie, aussi diffciles soient-elles. Cela implique notamment d’archiver les messages vocaux d’êtres chers, comme son père. « D’un côté, c’est cruel d’entendre sa voix comme s’il était encore en vie, mais en même temps, c’est un trésor. »

La voix résiliente d’une femme qui puise sa force dans ses propres faiblesses : « Plus les limites que je repousse sont extrêmes, mieux c’est. »

HÉROS & HÉROÏNES
16 THE RED BULLETIN NATHANIEL GOLDBERG/TRUNKARCHIV
TEXTE RÜDIGER STURM
« Comme je sais que je suis très timide, je me pousse exprès en avant. »
THE RED BULLETIN 17
Charlotte Gainsbourg, 51 ans, sur sa cure radicale contre la peur et la timidité.

Instagram : @lindseyvonn

LINDSEY VONN

a vu sa vie bouleversée : superstar du ski, elle descendait les pistes à 130 m/h. Maintenant, elle apprend à remonter les pentes lentement.

La skieuse alpine polyvalente, spécialisée dans la descente, a remporté quatre fois le classement général de la Coupe du monde, sans oublier l’or olympique en descente et deux médailles d’or aux Championnats du monde, pour ne citer que les points forts. Ce n’est qu’en janvier dernier que Lindsey Vonn, 38 ans, a réalisé un rêve de longue date en étant la première athlète à dévaler la Streif de Kitzbühel de nuit, à la vitesse de 130 km/h. Mais comment donner une suite à une telle carrière sportive, comment combler sa vie ? L’Américaine tient à continuer à bouger, à repousser ses limites, à surmonter ses deuils professionnels et personnels… et à essayer de nouvelles choses.

the red bulletin : Après une carrière de rêve, avez-vous eu un choc post retraite ? lindsey vonn : Même si je ne participe plus à des compétitions, je reste une sportive dans l’âme. Néanmoins, le retrait du sport pro a été vraiment diffcile. Tu n’as plus l’adrénaline et la compétition. Je me suis battue mentalement et il m’a fallu un an et demi pour m’en remettre. Vivre sans skier était un challenge.

Comment as-tu réorganisé ta vie ? Ce qui m’a aidé, c’est de changer de branche : j’ai développé une collection de lunettes de soleil et une ligne de vêtements. Je ne mets pas ma vie en jeu en créant des vêtements de ski, mais j’aime ça. Je vois maintenant un sens à ce nouveau chapitre de ma vie.

À quoi ressemble une journée-type ?

Je commence très tôt par une séance de gym, suivie d’appels téléphoniques, d’e-mails et de réunions sur Zoom. Si j’ai de la chance, je fais une deuxième séance de gym. Ensuite, c’est détente : j’aime faire un tour avec mes chiens et regarder la télévision pendant que le feu crépite dans la cheminée.

Pouvez-vous nous présenter vos animaux de compagnie ?

Je suis une crazy dog lady. J’ai trois chiens : Léo, un boxer de 11 ans et 43 kilos, Jade, une chienne malinoise plus intelligente que moi, et puis il y a Lucy, mon épagneul King Charles, qui m’accompagne en voyage et qui est mon seul boss.

Quel est le bon côté de la retraite sportive ?

Qu’est-ce qui vous occupe ?

J’ai essayé presque tous les sports : wakesurf, windsurf, polo, VTT, je suis allée faire du vélo de course en Italie, j’ai beaucoup joué au tennis et j’aime descendre les montagnes. Les remonter, par contre, ce n’est toujours pas mon truc ! (rires) Mais mes chiens adorent ça et je suis en train d’apprendre.

À quel point est-il diffcile de gérer l’attente des autres au quotidien et d’être satisfaite de soi quand, jusqu’à présent, la victoire était l’unique objectif ?

Je me fxe des objectifs plus élevés que ceux que les autres pourraient attendre et je reste toujours fdèle à moi-même et à mes objectifs. Lorsque je skiais, je faisais face à beaucoup d’attentes : à ce que je devais être capable de faire et ce que les autres voulaient que je fasse. Cela peut être perturbant et déstabilisant. Je me suis endurcie, notamment vis-à-vis des médias et des trolls sur Internet.

Il y a quatre ans, vous avez déclaré que votre corps vous avait crié d’arrêter le ski de compétition. Comment vous sentezvous maintenant ?

Malheureusement, je suis toujours blessée physiquement. J’ai besoin d’un nouveau genou. Mais mentalement, je me sens plus forte que jamais après la thérapie que j’ai suivie. Et ce, même si en août dernier, j’ai perdu ma mère, après ma grand-mère et mon chien Bear… C’est toujours très dur. Mais j’ai des stratégies pour y faire face et ma famille est aussi là pour me soutenir.

Quel conseil donneriez-vous à la génération Z ?

De toujours croire en soi. Si tu ne le fais pas, qui le fera ? Et si tu t’écroules, recolle les morceaux et relève-toi ! (rires)

HÉROS & HÉROÏNES
18 THE RED BULLETIN RED BULL CONTENT POOL
TEXTE LAURA URRUTIA PHOTO SEBASTIAN MARKO
« Je n’ai pas de boss… sauf une : Lucy, mon épagneul King Charles. »
THE RED BULLETIN 19
Lindsey Vonn, 38 ans, à propos de sa compagne de route.

NILS FREI

est le boss du Team Alinghi Red Bull Racing, challenger de la prochaine Amrica’s Cup en 2024. Rencontre avec un homme qui aime les défs.

nils frei : Elle est le symbole d’une longue tradition : ces magnifques voiliers, ces noms légendaires, ces histoires incroyables : pour les marins, cette course représente le top du top.

La construction navale a beaucoup évolué depuis les débuts de la Coupe : où en sommes-nous aujourd’hui ?

Notre époque est particulièrement intéressante, d’un point de vue sportif comme technologique, notamment avec l’apparition des foils sur les bateaux (ailerons qui font décoller la coque hors de la surface de l’eau, ndlr). On a toujours des équipages de marins, mais qui naviguent dans des conditions bien différentes d’il y a vingt ans : l’aspect aérodynamique est désormais primordial, d’où l’intérêt de profter de l’expérience du Red Bull Racing 7, en Formule 1. Certes, il faut encore savoir sentir le vent et l’interpréter, mais la manière de maintenir le bateau en équilibre est différente.

Ces régates se déroulaient autrefois sur plusieurs heures… Qu’est-ce qui a changé, à bord ?

Tout va beaucoup plus vite, on a des sprints de vingt minutes, ce qui laisse peu de temps entre chaque manœuvre. J’ai la chance d’être dans ce milieu depuis longtemps et d’avoir connu toutes sortes de bateaux, la révolution du foiling. C’est passionnant à suivre.

La Suisse est le premier pays enclavé à avoir participé à la Coupe de l’America. Qu’est-ce qui explique le succès de ce pays sans tradition maritime ?

Le fait de remporter la Coupe il y a vingt ans a insuffé une véritable dynamique dans le milieu nautique du pays, où l’on trouve de nombreux lacs offrant de belles conditions de navigation, propices au foiling. Il y a aussi eu beaucoup d’investissements dans ce domaine. Et puis on a d’excellents marins en Suisse !

Vous êtes depuis 2022 l’entraîneur principal du Team Alinghi Red Bull Racing : quel est selon vous la principale diffculté de votre tâche ?

Il découvre la voile à l’âge de six ans, en faisant de l’Optimist sur le lac de Bienne – une passion qui n’a jamais faibli depuis. Devenu l’un des grands noms du nautisme en Suisse, il termine 3e des Championnats du monde en 1995, avant d’intégrer le Team Alinghi et de remporter l’America’s Cup en 2003 puis 2007. Des victoires mémorables qu’il compte bien réitérer.

Il s’agit d’avoir les bons équipiers aux bonnes positions. On a deux groupes sur le bateau : le driving group, responsable du réglage des voiles et des foils, et le power group, qui gère la puissance du bateau. Il est crucial que la communication entre eux soit la plus fuide et la plus intuitive possible. C’est un boulot énorme d’y parvenir.

Nils Frei a déjà remporté deux fois la Coupe de l’America en tant que véloce navigateur.

the red bulletin : La Coupe de l’America, qui a commencé en 1851, est la plus ancienne régate au monde. Qu’est-ce qui la rend si particulière ?

Quel est l’objectif ?

La victoire, évidemment. L’alliance du syndicat suisse Alinghi avec Red Bull montre qu’on en a les moyens : on est prêt à relever le déf.

HÉROS & HÉROÏNES
20 THE RED BULLETIN SAMO VIDIC/RED BULL CONTENT POOL
TEXTE SASKIA JUNGNIKL-GOSSY

RED BULL AU GOÛT

D’ABRICOT-FRAISE.

STIMULE LE CORPS ET L‘ESPRIT.

UN AUTRE REGARD

Au commencement fut le mouvement. De là est née sa sensibilité aiguë pour les images fortes : Frankie Perez, 33 ans, a réussi la transition de B-Boy légendaire à celui de photographe pro. Entrez dans la danse !

TEXTE NORA O’DONNELL

22 THE RED BULLETIN

SOUPLE COMME TITAN

New York, USA, 2021

Le lendemain de sa victoire au BC One Cypher 2021 à New York, Perez shoote dans le parc Flushing Meadows, près de chez lui dans le Queens. Les B-Boys Mike The Titan (à gauche) et Nebz exécutent un move routinier. « Je ne leur ai pas donné d’instructions et les ai laissés me donner ce qu’ils voulaient de manière organique », se remémore Perez.

LE PHOTOGRAPHE FRANKIE PEREZ

Ayant grandi dans le Queens (New-York), Frankie Perez se souvient très bien du jour où il a assisté à son premier battle, à 13 ans. « J’ai été souffé parce que c’était une chose tellement nouvelle pour moi. La suite est connue. » Après avoir perfectionné son art en tant que B-Boy, Perez a remporté des battles dans le monde entier, notamment le Red Bull BC One Cypher à New York en 2021. Mais à présent, il est aussi souvent derrière les objectifs que devant, et sa perspective de danseur, avec un sens aigu du mouvement, imprègne son travail.

L’année dernière, Perez a publié son premier livre, See Me Up? It’s Cause I’ve Been Down, une série de photographies qui saisit le monde de la danse de rue. « Mettre le break au premier plan de la culture pop à travers mon art, c’est mon intention, précise-t-il. Pour que les gens de la scène en soient fers. »

Instagram : @pluralist_

AUTOPORTRAIT

Montréal, Canada, 2021

« Il me restait ces fleurs que j’avais utilisées comme accessoires et je me suis amusé, explique Perez. Tout ce que j’essaie, c’est de créer autant que possible, qu’il s’agisse d’une commande ou pas. »

24 THE RED BULLETIN

FORCE TRANQUILLE

Orlando, Floride, USA, 2022

« Une idée d’images me passe parfois par la tête », dit Perez, comme celle de photographier un B-Boy avec un sabre. Ici, Omen, un autre membre de l’équipe Supreme Beingz, exécute à la perfection la vision du photographe.

L’HEURE DU BREAK

Austin, Texas, USA, 2019

Alors qu’il réalisait des images pour son livre, Perez a abordé un groupe de skateurs, leur demandant s’ils voulaient être sur une photo avec Jay, un membre de son crew Supreme Beingz. « C’était super spontané », se souvient-il.

« Je voulais créer quelque chose qui qui rendrait fiers les gens de mon milieu. »
THE RED BULLETIN 27
Frankie Perez à propos de ses photos.

ÉTUDE DE TERRAIN

Montréal, Canada, 2022

Le travail de Perez est parsemé de clins d’œil à la République dominicaine, pays d’origine de sa famille. Comme ici, à Montréal, lors du même shooting que la photo ci-contre, ce cliché a été inspiré par une image d’agriculteurs dominicains.

PONT RENVERSÉ

Montréal, Canada, 2022

Cette image est une passerelle, car le modèle photo vient de la danse contemporaine. « Je voulais projeter ma perspective de breakeur sur quelqu’un qui n’est pas du tout du milieu, explique Perez. Ce mouvement poussé à l’extrême m’a donné la possibilité d’intégrer ma propre perspective dans la photo. » Quelle forte influence !

28 THE RED BULLETIN

GROS PLAN

Montréal, Canada, 2020

Chaque fois que Perez a l’occasion de réaliser une campagne importante, il caste des breakeurs et breakeuses. Ici, pour Converse, B-Boy Fate, de l’équipe Ground Illusionz, lui sert de modèle pour la collection automne 2020.

ENTRE-DEUX

New York, USA, 2022 « Je veux montrer les moments de break sous différents angles », explique Perez à propos de ces images mettant en scène le B-Boy newyorkais Nebz, toutes prises à Astoria Park, dans le Queens. Certaines des photos sont des captures d’écran d’une vidéo réalisée le même jour.

THE RED BULLETIN 31

EN PLEIN VOL

Montréal, Canada, 2020 Perez a pris cette photo dans le cadre d’une campagne pour Depop, plateforme de revente de sapes basée au Royaume-Uni. « L’une de mes missions est de mettre les B-Boys et les B-Girls sur le devant de la scène de la culture pop. »

SPIN CITY

New York, USA, 2019 Nous sommes à Manhattan, près d’Astor Place : Frankie Perez immortalise B-Boy Spinnerak, un ami d’enfance qui a grandi en breakant avec lui à New York. Le cliché a fait la couverture de son livre. « C’est l’une de mes photographies préférées. »

VARIATIONS

Seattle, USA, 2022 Le triptyque montre Anna Banana Freeze des Massive Monkees, un crew légendaire de Seattle. Elle s’est présentée en 2001 aux Lords of the Floor, la première compétition de breaking organisée par Red Bull.

THE RED BULLETIN 33

REMISE EN JEU

Depuis un accident il y a quelques années, Giuliano Carnovali se déplace en fauteuil roulant. Il se bat pour revenir à une vie « normale » et inspire des milliers de personnes via Tiktok.

TEXTE CHRISTOF GERTSCH PHOTOS LUKAS MAEDER
34 THE RED BULLETIN

Jeu, set et match Carnovali veut atteindre des sommets en tennis fauteuil et s’entraîne trois fois par semaine pour cela.

LOCATION: TRAGLUFTHALLEN FRAUENTAL ZURICH

Un travail acharné Sa main droite est aujourd’hui plus opérationnelle que ne le prévoyaient les médecins.

u réveil, Giuliano Carnovali reste parfois un peu au lit et s’imagine en train de faire un kickfip avec son vieux skateboard. Il connaît les sensations sur le bout des doigts et visualise parfaitement chaque mouvement.

Mais dès qu’il soulève la couverture et qu’il pose le regard sur ses jambes, c’est un dur retour à la réalité.

Giuliano Carnovali, Zurichois de 24 ans, n’a pas toujours été paraplégique. Il faisait du beach-volley, il était gardien de but dans le club de quartier du FC Wiedikon et sautait de grands escaliers en skate. Il aimait la vie et ne s’imaginait pas une seule seconde qu’il pourrait en être autrement un jour. Et pourquoi les choses auraient-elles changé après tout ? Personne ne pense à ça. Personne ne se demande ce que cela ferait d’être en fauteuil roulant. Et même si on essaye de se l’imaginer, on se rassure vite : moi, ça ne m’arrivera jamais, c’est certain, se rassure-t-on.

« Je ne veux pas vous faire fipper, s’exclame Giuliano Carnovali, mais avant, je pensais comme vous. »

Non, Carnovali ne veut faire fipper personne. Il veut éveiller les consciences. Il veut parler de sa vie, de son accident, du diagnostic. Mais surtout de la bataille pour revenir et du fait que les gens comme lui ne sont pas complètement à la ramasse et qu’ils n’ont pas besoin de la pitié des autres.

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Tomber de son fauteuil devant de parfaits inconnus, cela le met mal à l’aise – pas forcément parce qu’il a honte, mais plus par rapport à la réaction des gens.

Un événement déterminant

C’est une seule nuit, un seul instant, qui a tout changé pour lui. Carnovali n’en garde que des souvenirs confus. Mais il n’a jamais oublié ce sentiment qui l’a envahi lorsqu’il a repris peu à peu conscience quelques jours plus tard, dans le service de soins intensifs de l’hôpital universitaire de Zurich.

En cas de gros coup dur, on peut être submergé·e par la tristesse, désespéré·e et se retrouver au fond du gouffre. Ou, au contraire, développer une énergie insoupçonnée.

Giuliano Carnovali, aussi, est passé par là, mais au début, la seule chose qu’il ressent alors, c’est de la haine envers luimême. Il se déteste pour avoir bu de l’alcool et pour avoir trébuché en cette nuit du Nouvel An 2019. Pour être tombé devant un train de banlieue en partance.

Et pour s’être fait écraser par ce train.

Le diagnostic : paraplégie complète à partir de la première vertèbre lombaire. Il est totalement paralysé en dessous du nombril. Sans parler de son avant-bras droit, dont il ignore s’il pourra de nouveau l’utiliser un jour. Sectionné lors de l’accident, des amis de Carnovali l’ont ramassé et confé à l’équipe médicale dans l’ambulance. À l’hôpital, une fois ses plaies et son dos soignés, les médecins lui recousent le bras au prix d’une véritable course contre la montre qui durera de nombreuses heures. Mais à l’époque, il est impossible de prédire si les nerfs fniront par se régénérer et si Carnovali réussira ne serait-ce qu’à bouger le poignet un jour.

Personne ne sait rien. Ou ne dit rien. Durant ces premiers jours en soins intensifs, tout ce qui compte, c’est de le garder en vie. Il passera à dix reprises sur la table d’opération.

Mi-février, six semaines après l’accident, il est transféré au service de rééducation de l’hôpital universitaire de Balgrist.

Au départ, il ne voit pas l’intérêt de s’embêter à faire des efforts. « Je me disais : totalement paralysé, c’est totalement paralysé. Qu’est-ce que je peux y faire ? J’ai laissé tomber tout espoir. »

Six mois plus tard, si la confance n’est pas totalement revenue, il retrouve sa volonté de sportif d’antan. S’il doit passer sa vie en fauteuil roulant, autant être en forme dedans, se dit-il. Il investit alors les appareils de la salle de musculation du centre de rééducation pour faire travailler le haut de son corps.

Et puis, neuf mois après l’accident, surprise : Giuliano Carnovali ressent un tressaillement dans sa jambe. Comment est-ce possible ?

Nous avons demandé à Björn Zörner, le médecin qui suivait Carnovali à l’époque, s’il s’agissait d’un miracle. Il a laconiquement répondu : « Non. » Ensuite, il a hésité, réféchi un instant. Avant d’ajouter : « Oui, bon, peut-être un peu. »

Oublier les pronostics

Environ 80 % des patients et des patientes à qui on a diagnostiqué une « paraplégie complète » au départ restent effectivement paralysés à vie. Environ 20 % retrouvent certaines fonctions motrices ou sensorielles.

Ce sont des pronostics, et on ne peut jamais totalement se fer à un pronostic. Mais le fait est qu’aujourd’hui, on peut prédire assez précisément dans quelle direc-

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Au début, il y avait la haine de soi. Ensuite, Giuliano a développé une énergie insoupçonnée. Et un plan pour une nouvelle vie.
Retour à la vie sportive Sur les terrains couverts de Frauental à Zurich, Carnovali peaufine son rêve de disputer un tournoi du Grand Chelem.

Plan d’entraînement L’humilité, combinée à l’intention de ne pas laisser le fauteuil roulant vous priver de votre autonomie.

tion va aller le processus de guérison. Pas le jour même de l’accident, mais au bout de quatre à six semaines. Les plus gros progrès se produisent au cours des six premiers mois. Si aucune amélioration n’est constatée durant ce laps de temps, il n’y a normalement plus guère de raisons d’espérer.

Pour Giuliano Carnovali, les choses ne se sont pas du tout passées ainsi. Au départ, rien n’indiquait que ses nerfs pourraient se régénérer. Ensuite, l’amélioration a été inhabituellement tardive, puisqu’elle ne s’est pas produite dans les six premiers mois, mais seulement neuf mois après l’accident. Et enfn, ses progrès ont été assez exceptionnels puisque, selon les termes de Björn Zörner, il a « retrouvé une assez bonne maîtrise de ses jambes ». En pratique, il peut se tenir debout et même faire quelques pas avec de l’aide.

Seuls 4 % environ des patients qui reçoivent un diagnostic de paraplégie complète y parviennent. Un sur 25.

« J’ai eu énormément de chance, se réjouit Giuliano Carnovali, mais j’ai aussi travaillé dur pour y arriver. » Il faut dire que les chances de récupération sont meilleures chez un jeune sportif très motivé que chez une personne âgée souffrant peut-être de plusieurs autres maladies. Attention toutefois à ne pas faire reposer la responsabilité sur la personne si son état ne s’améliore pas. « Il y a des dommages contre lesquels même la volonté la plus forte ne peut rien », explique Björn Zörner.

Avec le tressaillement dans sa jambe gauche, Giuliano Carnovali reprend courage. L’humilité a une connotation religieuse. Mais en réalité, il s’agit d’une forme de résignation face à la réalité. C’est peut-être ce par quoi Carnovali est passé au début de sa guérison. L’humilité conjuguée

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Journées chargées

Mobiliser les jambes, rendez-vous chez le physiothérapeute, Carnovali prend son entraînement très au sérieux.

à la volonté de ne pas perdre son autonomie, sa joie et son insubordination à cause d’un fauteuil roulant.

Au fnal, c’est l’inverse qui s’est produit : son fauteuil lui a rendu une partie de sa vie. Giuliano Carnovali a découvert le tennis fauteuil, l’un des handisports les plus en vogue du moment. Il y a des gens qui vivent de ce sport, il existe un calendrier de tournois internationaux, et on peut participer à tous les Grands Chelems : l’Open d’Australie, Wimbledon, Roland-Garros, l’US Open.

Carnovali n’en est pas encore là, mais c’est son ambition. Il s’entraîne donc trois fois par semaine et vient même d’intégrer l’équipe nationale suisse. Il frappe de la main gauche, sa mauvaise main à l’époque, et manœuvre son fauteuil avec la main droite. Car là aussi, la guérison s’est mieux passée que prévu : il ne peut certes pas effectuer de mouvements de motricité fne avec sa main, mais il peut bouger son poignet et saisir la roue de son fauteuil. Il a hâte d’être à la Wings for Life World Run, à laquelle il participe pour la troisième fois. « Il y a toujours quelque chose de positif dans l’air ce jour-là », déclare-t-il (voir encadré page suivante)

Se réinventer

Ses activités ne se limitent pas au sport : il effectue un stage à 50 % au sein du service marketing d’une entreprise crypto, fait le ménage, mobilise ses jambes tous les matins et passe énormément de temps chez le kiné. Ses journées sont bien remplies.

Et ses nuits ne sont pas toujours aussi reposantes qu’il le souhaiterait. Giuliano Carnovali a des douleurs nerveuses. Elles sont dues au fait que les nerfs qui ont été sectionnés dans sa moelle épinière envoient un signal erroné au cerveau, qui est inter-

prété comme une douleur dans la jambe. En d’autres termes, ce n’est pas sa jambe qui déclenche la douleur, mais la douleur qui survient dans les voies nerveuses endommagées.

Beaucoup de personnes paralysées ont des douleurs nerveuses, mais elles ne sont pas toujours aussi fortes que celles de Giuliano Carnovali. Elles l’assaillent la nuit et persistent souvent pendant de longues heures, le transperçant comme des décharges électriques toutes les trente secondes environ. « Chaque nuit où je ressens ces douleurs, c’est comme une traversée de l’enfer », dit-il.

Sur son compte TikTok, Castagul98 [https://www.tiktok.com/@castagul98], il parle de ses progrès, mais aussi de ses galères quotidiennes, et il est suivi par près d’un demi-million de personnes. Souvent, il se flme tout simplement en train de se lever de son fauteuil. Un paraplégique faisant quelques pas – voilà une vidéo symbolique.

« Au départ, après l’accident, je me suis complètement coupé des réseaux sociaux, se souvient-il. Je m’apitoyais sur mon sort, j’étais plein de haine. J’avais déjà bien assez à faire avec moi-même. Mais avec le temps, j’ai réalisé que je pouvais donner du courage aux gens en racontant mon histoire sur TikTok. Que je pouvais donner de la visibilité au quotidien des personnes en fauteuil. » Notamment parce qu’une partie de ses followeurs et de ses followeuses n’a généralement rien à voir avec les personnes handicapées – et, si c’est le cas, ils et elles n’ont pas grand monde vers qui se tourner. Il y a beaucoup de gens qui sont extrêmement mal à l’aise face à quelqu’un comme lui, dit-il, et qui se comportent de manière crispée et peu naturelle. Mais il n’est pas complètement HS et il n’a pas besoin de la pitié des autres.

Composer avec un corps meurtri

En même temps, Giuliano Carnovali aura toujours besoin d’un fauteuil roulant, c’est une évidence. « Mes jambes, ajoue-t-il, ne fonctionneront plus jamais à 100 %, trop de nerfs ont été endommagés. » De toute façon, la raideur de son dos le fait terriblement souffrir quand il reste debout trop longtemps. « Ma colonne est défnitivement foutue. Chaque jour qui passe, mon dos se rappelle à moi comme si je me l’étais cassé la veille. »

Giuliano Carnovali veut sortir de cette course à l’optimisation dans laquelle on peut vite tomber quand on constate que son corps fait des progrès inattendus. « J’ai peur de ne jamais être satisfait si je cherche sans cesse à améliorer les choses. Je préfère vivre ma vie et me satisfaire de ce que j’ai déjà accompli. »

Le fauteuil roulant ne lui enlève pas son indépendance. Ni son caractère rebelle.
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Comme le fait de laisser de temps en temps son fauteuil à la maison pour aller au café en voiture retrouver des amis. « Il y a toujours des exceptions, mais ça fait du bien de se déplacer sans fauteuil roulant, poursuit-il. Avec des béquilles, on me regarde d’une toute autre manière, je fais moins pitié, je semble moins avoir besoin d’aide. »

À ce moment-là de l’interview, Giuliano Carnovali hausse le ton. Il est partagé : d’un côté, il trouve cela bien que les gens veuillent l’aider. Il ne voudrait pas qu’on le prenne pour un ingrat. Mais c’est vrai aussi

COURIR POUR

NOURRIR L’ESPOIR

La fondation Wings for Life recherche des solutions.

« Je suis très heureux de pouvoir participer », déclare Giuliano Carnovali, qui prendra le départ de la Wings for Life World Run (WfLWR) le 7 mai pour la troisième fois avec son fauteuil roulant. En 2004, après l’accident de son fils Hannes, la légende du motocross Heinz Kinigadner a créé la Wings for Life Foundation, une fondation d’utilité publique reconnue par l’État pour la recherche sur la moelle épinière. L’objectif : trouver un remède à la paraplégie. Pour cela, tous les fonds de départ et les dons sont intégralement reversés à la recherche sur la moelle épinière.

que cela lui pèse qu’on le laisse passer en premier et qu’on lui tienne la porte cent fois par jour. « Je peux le faire moi-même ! », se retient-il alors toujours de crier.

Il nous explique : « Les personnes en fauteuil roulant ont leurs méthodes. Elles se débrouillent. Dans le cas contraire, ce sont elles qui demandent de l’aide. » Quand il se déplace en ville dans son fauteuil roulant, les gens l’évitent avec tellement de prudence et d’efforts qu’il se sent tel Moïse fendant les flots. S’il fait une chute ou tombe de son fauteuil, ils accourent, redressent son fauteuil, le soulèvent. « Ça part d’une bonne intention, s’échauffe Giuliano Carnovali, mais je n’ai pas envie que quelqu’un me touche sans mon consentement, surtout quand c’est un parfait inconnu. Je tombe tous les jours, ça ne me dérange pas. Quand je faisais du skate, je tombais de bien plus haut que cela. »

On pourrait aussi dire que tomber, c’est dans la façon d’être de Giuliano Carnovali. Mais aussi se relever.

Anita Gerhardter, PDG de la Fondation Wings for Life : « Plus nous récoltons de fonds, plus nous pouvons financer d’études. » Actuellement, des scientifiques du monde entier cherchent des solutions dans différents domaines. Ainsi, le professeur Michael Kilgard de l’Université du Texas travaille sur la stimulation du nerf vague, qui permettrait aux personnes souffrant de lésions de la moelle épinière de bouger à nouveau leurs mains. Ou encore Grégoire Courtine, de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), qui utilise l’électrostimulation pour permettre aux personnes atteintes de lésions de la moelle épinière de faire à nouveau quelques pas. Au total, ce sont 276 projets qui ont été financés jusqu’à aujourd’hui.

Conseils pour la préparation, l’inscription et tout le reste en page 90.

« Quand je faisais du skate, je tombais de bien plus haut que cela. »
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Un avenir souriant Atteindre ses objectifs de vie et être satisfait de ce qu’il a accompli : Carnovali est sur la bonne voie.
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MAI

L’ÉLAN FINLANDAIS

Kalle Rovanperä est, à 22 ans, le plus jeune champion du monde des rallyes. Mais il est aussi endurci qu’un vieux renard. Nous avons drivé avec lui à travers les forêts de sa Finlande natale. Un voyage dans le froid glacial. Et à la source de sa coolitude.

TEXTE WERNER JESSNER PHOTOS OSSI PIISPANEN
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BULLETIN

Course à domicile Kalle Rovanperä à l’entraînement près de Jyväskylä. Il empruntait déjà cette route lorsqu’il était enfant.

OUNINPOHJA. RUUHIMÄKI. PÄIJÄLÄ.

Charmants substantifs finnois qui sont pour nous autant de promesses d’huiles essentielles, de pâtisseries insolites ou autres curieux élixirs. Mais les gens du pays savent quelle âpreté se cache sous ces mots désignant les épreuves spéciales de l’édition annuelle du Rallye de Finlande, jamais annulé depuis 1951. Ce n’est d’ailleurs pas la seule raison de son statut de véritable institution nationale : quand les meilleurs pilotes de rallye au monde s’affrontent sur des parcours semblables à des montagnes russes traversant lacs, forêts de bouleaux et prairies pittoresques à des vitesses moyennes de plus de 130 km/h et des sauts dépassant les 50 mètres, tout le pays vient encourager ses héros. Pendant la majeure partie de son histoire, les challengers d’autres régions nordiques n’ont eu aucune chance dans ce rallye. Il a fallu attendre exactement quarante ans pour que le premier pilote non scandinave s’impose en vainqueur au pays des mille lacs. Les Finlandais n’auraient rien eu contre le fait que cela n’arrive jamais.

Tout d’abord, en 1990, la légende espagnole du rallye Carlos Sainz Sr. a remporté la victoire dans l’épreuve – appelée à l’époque Rallye des 1000 Lacs – en route vers son premier titre WRC. Deux ans plus tard, le Français Didier Auriol ajoutait son nom à la légende. Et on connaît la suite : immenses champions à la longévité exceptionnelle, les deux Sébastien hexagonaux, j’ai nommé messieurs Loeb et Ogier, se sont emparés du titre et ont véritablement ébranlé cette institution finlandaise par excellence, en la remportant à quatre reprises à eux deux, de 2008 à 2013. Ce fut une tragédie nationale dans le Grand Nord. Dans les forêts autour de Jyväskylä, un petit elfe observait tout cela, comme des milliers de fans, encourageait son père Harri (une star locale du rallye, retiré de la discipline en 2006, quand il avait 6 ans) et les autres pilotes finlandais. Son nom ?

Kalle Rovanperä. « Je n’ai jamais eu d’idoles mais j’ai toujours admiré mon père et j’assistais à la plupart de ses essais », se souvient-il. Après la mise au vert de son père, ils regardaient la course ensemble et encourageaient les autres stars finlandaises, mais de 2004 à 2021, chaque année sauf une, Loeb et Ogier se partageaient le titre WRC (championnat du monde des rallyes). D’aussi loin que Kalle se souvienne, ils ont été les champions du monde. Il rêvait qu’un pilote finlandais s’empare de cette couronne. Et il s’est avéré que la personne dont il rêvait, c’était lui-même. Pour mémoire, l’octuple champion du monde Sébastien Ogier courait dans la même écurie que lui l’année dernière quand Kalle l’a battu.

Lorsqu’il vient au monde, son père Harri Rovanperä est l’un des pilotes les plus rapides de la discipline. Courant pour Peugeot, Mitsubishi, Seat et Škoda, il s’impose au rallye de Suède mais n’atteint jamais vraiment la gloire. Une carrière au goût d’inachevé, reconnaît-il volontiers aujourd’hui. Les raisons ? « Toujours ces moments où je faisais n’importe quoi. Et puis il fallait respecter le système des hiérarchies au sein de l’équipe. » Autrement dit, son coéquipier Marcus Grönholm devait devenir champion du monde et Harri avait pour mission de l’épauler. Mais au fond, il avait l’étoffe d’un vrai champion.

L’effet Verstappen

Harri a d’autres projets en tête à l’époque : comme le fait Jos Verstappen avec son petit Max, il met très tôt son fils au karting. Kalle n’a que six ans quand il conduit

Impro

Pour les tests en Finlande, l’équipe Toyota a loué au pied levé une menuiserie.

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Focus Kalle pendant une pause d’entraînement dans son pays natal, la Finlande.

sa première voiture. Des vidéos du gamin de huit ans circulent dans lesquelles on le voit dériver sur un lac gelé au volant d’un petit engin transformé en voiture de rallye. « On roulait sur la neige et la glace par mesure de sécurité : cela limite la vitesse », rassure Harri, qui achète ensuite à la jeune star de YouTube sa première vraie voiture de rallye avec laquelle il participe à des courses sans copilote en Estonie. Alors que Verstappen senior emmène son fils de course de karting en course de karting, Kalle, lui, peut rester Kalle. « Je n’ai jamais eu à le convaincre de faire des compétitions », explique Harri. Et l’inévitable se produit : « À douze ans, j’ai complètement perdu tout intérêt pour la course. Pendant neuf mois, je n’ai même pas posé les yeux sur ma voiture. J’avais juste envie de faire les mêmes trucs que tous les gosses de mon âge », se souvient Kalle.

« Mais un peu avant Noël, enchaîne son père, il vient me dire qu’il a envie de s’y remettre. » Harri traîne la Citroën C2 qui commençait à rouiller dans le jardin jusqu’en Laponie, Kalle s’empare du volant… et ne le lâchera plus jamais. Une mention spéciale dans le règlement de l’union lettone lui permet de participer au championnat local à l’âge de 15 ans. Faute de permis de conduire, le copilote prend le relais sur les étapes de liaison, l’adolescent n’étant autorisé à appuyer sur le champignon que sur les parties fermées du circuit. Sans surprises, Kalle Rovanperä remportera le titre à trois reprises.

Entre révolution et discrétion

« On voyait déjà que Kalle avait ce petit truc en plus. À 15, 16 ans, il était plus rapide que moi. Une vraie comète », poursuit-il ici à Korpilahti où il fait le mécano sur la Toyota de ce rejeton qui enchaîne les superlatifs : plus jeune pilote de tous les temps au classement par points, plus jeune sur le podium, plus jeune à remporter une course de WRC et, depuis 2022, plus jeune champion du monde des rallyes à 22 ans et un jour. (Là encore, difficile de ne pas penser à Max Verstappen.) Pour mettre cela en contexte, la dernière personne à détenir le record était Colin McRae en 1995 ; il avait 27 ans. Kalle Rovanperä a été plus rapide.

À Jyväskylä, c’est l’hiver dans toute sa splendeur : températures en dessous de zéro (à deux chiffres), routes enneigées, journées courtes, luminosité rare. Attablé avec un ami dans le café-restau « Revolution », un jeune homme remarquablement frêle dévore un

« Je fais des rallyes pour gagner. Mon avance sur les autres, je m’en fiche. »
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Filiation Harri Rovanperä et son fils Kalle prennent l’air (plutôt frais) entre deux tests.
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Pointus Les crampons de Kalle mesurent 20 mm de long.

hamburger. La mine des autres clients est sans équivoque : on sait qu’ils reconnaissent le champion du monde des rallyes, mais cela s’arrête à quelques échanges de regards polis. Installé à Monaco comme tant de pilotes de course, Kalle apprécie ce trait caractéristique de ses compatriotes : « Ils ne sont jamais intrusifs. Mais c’est pareil à Monaco, je m’entoure de gens normaux, pas de célébrités. »

D’être entré dans l’Histoire en ayant déjà le titre mondial en poche deux manches avant la finale a fait de lui un héros populaire : « Je pilote pour gagner, peu importe l’avance », élude-t-il. Nette distinction avec les autres légendes de la discipline, l’Allemand Walter Röhrl en tête, qui a toujours fait passer la perfection de son art avant les résultats. Comme le précise son père : « Kalle, c’est une autre génération. Il est plus intelligent, plus concentré sur ses objectifs et d’une maturité étonnante du haut de ses 22 ans. De moi, il a hérité cette capacité à rester calme dans les situations extrêmes, c’est tout. Je ne crois pas que le père Rovanperä et le père Verstappen se ressemblent, mais leurs fils, oui. Ils veulent gagner à tout prix et, outre leur talent, sont capables d’investir une masse de travail hallucinante. » Kalle pointe un autre parallèle du doigt avec son collègue champion du monde : « Max et moi ne sommes jamais aussi bons que dans des conditions difficiles. Notre météo préférée : des trombes de pluie ! »

Savoir utiliser sa tête Ici, aux abords de Korpilahti, la route disparaît sous la neige. Parcours vallonnés typiquement finlandais. Au

volant de sa Toyota Yaris , Kalle passe en sixième. Un coup d’œil sur le compteur : 180 km/h. On a beau savoir que les pneus sont généreusement cloutés, on tremble un peu quand les arbres défilent à cette vitesse vertigineuse. L’approche d’une butte non pas en ligne droite mais dans une légère chicane à gauche n’arrange rien. Les quatre roues quittent le sol, un ange passe dans la voiture qui retrouve bien vite la terre ferme tandis que Kalle la redresse d’un seul mouvement fluide et parfaitement dosé. Cette souplesse, cette tendresse même avec laquelle Kalle manie sa Toyota empêche sans doute son

Contrôle Un agent de service vérifie les roues et le profil des pneus après la course d’entraînement.

Kalle & Jonne

Le copilote Jonne Halttunen, quinze ans plus vieux que le pilote.

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Il a grandi entre la neige, le gravier et l’asphalte… À six ans déjà, Kalle était au volant d’un véhicule.

Soutien Harri a posé la première pierre de la carrière de Kalle, un peu comme Jos Verstappen pour son fils Max.

copilote de paniquer. Aucune précipitation ni faute de rythme. Jamais. Le jeune homme joue de sa Yaris comme d’un instrument.

« C’est ici que j’ai roulé pour la première fois, à l’âge de 12 ans. C’est peut-être pour ça que le succès est arrivé si tôt : malgré ma jeunesse, je ne manque pas d’expérience. » Dans toute sa carrière au plus haut niveau du WRC, Kalle n’a connu en tout et pour tout que quatre abandons, là ou la plupart de ses collègues passent pas mal d’années à plier du métal avant de connaître leurs limites. « Peut-être bien que j’utilise ma tête », s’amuse Kalle. Des mots prononcés sans condescendance, juste avec un certain réalisme.

La relève du fambeau

Copilote attitré de Kalle Rovanperä depuis six ans, Jonne Halttunen a quinze ans de plus que lui. Son père Harri les compare à deux frères « mais on ne sait jamais vraiment qui est l’aîné ». Quand on lui demande pourquoi il s’est engagé aux côtés d’un ado sans permis à l’époque, Jonne rétorque : « J’avais été plusieurs fois champion de Finlande et je voulais me lancer dans les championnats du monde. Avec Kalle, j’ai senti qu’une opportunité se présentait. Il était déjà très mûr pour un ado ; sur la route, il ménage le matos et il est très malin. On ne s’est encore jamais engueulés. Kalle sait exactement quand il faut attaquer, et là, il est sans pitié. »

Question à son chef d’équipe, Jari-Matti Latvala, qui, malgré une carrière couronnée de succès, n’est jamais devenu champion du monde : pourquoi Toyota a-t-elle

pris le risque de recruter un adolescent ? « Malgré son jeune âge, Kalle conduisait déjà comme un adulte et surtout, il reconnaissait honnêtement et ouvertement ses erreurs et s’empressait de les corriger. »

Et ses principaux traits de caractère ? « J’en distingue quatre : primo, il s’adapte plus rapidement que les autres aux nouvelles voitures. Deuxio, il est capable de prendre plus de risques que ses concurrents dans des situations décisives sans faire pour autant des sorties de route. Tercio : quand d’autres explosent, lui s’épanouit dans les conditions difficiles. Et enfin, il résiste outrageusement bien à la pression. Bien sûr, j’essaie d’instaurer un climat positif pour que toute l’équipe roule le sourire aux lèvres, malgré toutes les pressions subies. Mais quand on est pilote, c’est une autre paire de manches, et je sais de quoi je parle. Les défis et les espoirs de victoire, ça vous lessive psychologiquement. Lui, la seule et unique fois où je l’ai senti nerveux, c’était pour le titre de champion du monde en NouvelleZélande. »

Revenons à ce fameux rallye, en septembre 2022. Rovanperä a déjà le titre en ligne de mire, mais pas encore dans la poche. Parti en septième position, il a réalisé une performance impeccable sous la pluie battante, terminant en tête, ou assez près, de chaque étape, alors que d’autres ont fait des erreurs. Un jour après son 22e anniversaire, et après seulement sa troisième saison en WRC, Kalle Rovanperä a été couronné champion du monde – le premier Finlandais à rendre le titre à sa nation en deux décennies.

La fusée Kalle reprend le volant de la Toyota Yaris WRC pour défendre son titre.
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Instagram : @kallerovanpera

DOUBLE

Double je

Les Nova Twins, photographiées en novembre dernier, à Londres, pour The Red Bulletin

IMPACT

TEXTE LOU BOYD PHOTOS STEPHANIE SIAN SMITH
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fle d’attente s’allonge rapidement devant l’Electric Brixton, dans le sud de Londres. Le mélange des générations, des sexes et des styles fait penser à un grand festival. Ou à une manifestation. Que tous ces gens se rendent au même concert de rock semble plutôt improbable.

Et ce qui est encore plus surprenant, c’est le type de musique qui a attiré ce public bigarré. Les Nova Twins, les bêtes de scène que tout le monde attend, jouent un heavy rock énergique, avec des riffs metal lourds et des textes rappés. Leur son rappelle le rock alternatif et le crossover des années 90 – pensez à Rage against the Machine et à leur tube Killing in the Name of de 1992, et vous serez près du compte. Que deux jeunes femmes ayant grandi à Londres l’aient justement découvert pourra étonner. Après la cure de jouvence que

lui donne les Twins, ce style semble maintenant tout neuf. La chanteuse Amy Love a des origines nigérianes et iraniennes alors que celles de la bassiste Georgia South se trouvent plutôt du côté de la Jamaïque et de l’Australie. Même lorsqu’elles jouent des riffs metal, elles parlent un langage actuel. Elles comblent le fossé entre le hard rock et les sonorités urbaines anglaises plus récentes comme le grime – et parlent à une génération qui redécouvre avec elles le hard rock. Bref, les Nova Twins ne font rien de moins que de redonner vie au genre du rock alternatif qui avait presque été mis de côté et de l’ouvrir à un public jeune et varié.

Poésie alternative

Le deuxième album du groupe, intitulé Supernova, est sorti en 2022. Les groupes pour lesquels elles ont assuré la première partie au cours des douze derniers mois – Enter Shikari, Skunk Anansie, Sleaford Mods – démontrent qu’elles ont pénétré les coins les plus divers de la scène musicale alternative. Love et South ont fait leurs premières armes dans les clubs du coin lorsqu’elles étaient ados. Pour leur concert de rentrée, certains de leurs fans les plus fdèles ont fait le déplacement très tôt dans la journée. Les portes n’ouvriront pas avant 19 heures, mais ils patientent depuis midi, approvisionnés en sandwichs et en canettes de cidrede. Amy, une jeune femme qui se trouve au tout début de la fle, est arrivée particulièrement tôt. Elle veut demander au groupe d’écrire quelque chose sur son bras qu’elle se fera ensuite tatouer : « De la Perse au Nigeria, de Londres à la Jamaïque/Nos ancêtres étaient des marins qui ont traversé l’équateur », des paroles tirées de la

C’était écrit Georgia South (à g.) et Amy Love se sont rencontrées lorsqu’elles étaient ados, présentées par le frère de South.

La
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Après une année exceptionnelle remplie de succès, Nova Twins, le duo londonien qui mélange les genres, crée la surprise dans le monde de la musique alternative et fouette le rock. Rencontre backstage pour discuter de respect, de représentation et de grosses basses.

Le style individuel et distinctif du duo Nova Twins fait partie intégrante de leur charme, et elles ont maintenant leur propre marque de mode, Bad Stitches.

chanson Cleopatra. « Quelle période folle », gémit la chanteuse et guitariste Amy Love en s’appuyant – dans un geste exagérément dramatique – sur l’épaule de sa partenaire de scène, Georgia South. « Nous sommes un peu dépassées. » Elles donnent aujourd’hui leur troisième concert en trois soirs. Ce n’est qu’au petit matin qu’elles sont parties pour Londres, pour la 90e et dernière représentation d’une année intense. Lorsqu’elles accueillent l’équipe d’aujourd’hui, aucune des deux ne montre de signes de fatigue. Le visage impeccablement maquillé dans le style Nova Twins, elles portent de lourdes bottes et des miniupes faites maison. La bassiste Georgia South s’est enveloppée dans une fourrure artifcielle oversize à motif zébré.

Elles se connaissent depuis de nombreuses années : adolescentes, elles se sont rencontrées par l’intermédiaire du frère de Georgia et ont constaté qu’elles s’entendaient bien. « Tu es entrée à l’improviste », rappelle South, rayonnante. Amy Love a été présentée à sa famille. Elle se souvient : « Je suis restée pour la nuit le soir-même, et depuis, je ne suis plus partie. »

Dès le début, la musique a été le lien entre les deux. « Tout le monde est musicien dans la famille de Georgia, explique Love. C’est vrai ! Ta mère, ton père et tes frères, tous musiciens ! » Au début, les deux n’avaient pas l’intention de former ellesmêmes un groupe : Love, qui étudiait à la British Academy of New Music – où l’un de ses camarades d’études était Ed Sheeran –avait un projet solo, et South faisait déjà partie d’un groupe. « On nous disait tout le temps : vous devriez faire quelque chose ensemble. Et nous répondions : “Non, ce n’est pas possible.” C’était clair pour tout

le monde sauf pour nous. » En 2014, elles ont cédé et, fnalement, formé un groupe. Elles ont confectionné leurs propres vêtements de scène et réalisé des clips avec leurs smartphones avec l’aide de la mère de Georgia. Très vite, elles ont fait le tour de la scène open-mic du sud de Londres. « Nous avions notre propre son dès le départ, déclare South. Quand nous avons écrit notre première chanson, il n’y avait que ma basse distorsionnée et la voix punk d’Amy. »

Ambiance fn de siècle

Des power chords lourds, des lignes de basse distorsionnées, du chant parlé. Ce qui est réuni ici sonne familier, mais est pourtant nouveau : dans les années 90, les guitares metal sont revenues à la mode grâce au grunge originaire de Seattle. Au même moment, le hiphop était à son apogée commerciale, NWA remplissait les arénas. Les jeunes blancs de la classe moyenne achetaient leurs albums… Ils étaient un énorme groupe cible.

Le son qui résultait de la rencontre du metal et du rap était appelé « crossover », faute d’un meilleur terme. Le crossover se nourrissait de riffs durs, mais comportait également un élément rythmique et funky. Rage Against the Machine chargeait son chant parlé d’une colère primale et d’une critique sociale. Malheureusement, la gloire du crossover n’a pas duré longtemps. De la même manière que le rock alternatif est devenu ennuyant après un énième festival Lollapalooza, le crossover a débouché sur le nu-metal, quelque peu poseur.

L’Angleterre a suivi sa propre voie dans les années 90. Face à la vague américaine, les groupes de britpop ont proposé une image et un son complètement différents. L’école américaine hard est restée un

« Si vous connaissez notre groupe, vous savez que nous prônons le respect.
»
Amy Love
THE RED BULLETIN 59

phénomène marginal. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles les Nova Twins parviennent aujourd’hui à jouer cette musique avec une telle fraîcheur – sans emprunter des sentiers battus et rebattus. Il n’existe de toute façon pas de modèle pour ce qu’elles font, ne serait-ce que parce que le rock alternatif était autrefois un domaine exclusivement masculin. Pour changer cela, il fallait une toute nouvelle approche et une nouvelle génération.

En Allemagne, un fossé s’était déjà creusé pendant la vague grunge. Là aussi, une autre voie avait été proposée. Les groupes de l’école de Hambourg misaient sur des textes en allemand et un son de guitare beaucoup moins dur. « Tu n’es pas à Seattle ici, Dirk », chantait Tocotronic, un signe que l’on rêvait quand même déjà un peu du grand monde du rock.

Dans les clubs et les maisons de jeunes du pays se trouvaient de nombreux jeunes groupes qui s’inspiraient directement des modèles américains, avec leurs chemises en fanelle et les murs de guitares avec pédales fuzz. Des groupes crossover comme H-Blockx et Such a Surge ont également émergé. Jusqu’à ce que la même lassitude qu’aux États-Unis s’installe peu avant le tournant du millénaire. Les labels et la télévision musicale se sont tournés vers de nouvelles attractions.

Du son à l’action

L’approche des Nova Twins est plus politique aujourd’hui qu’elle ne l’était déjà à l’époque – notamment en raison de leur statut de groupe métissé dans un business du rock dominé par les artistes blancs.

Pendant la pandémie, elles ont proposé une playlist sur leur profl de groupe Spotify, pour laquelle elles allaient plus tard faire une série d’interviews réunies sous le titre de Voices of the Unheard. Elles y parlent, avec d’autres musiciens et musiciennes, de la manière dont le business vous perçoit quand vous ne correspondez pas à l’image d’un genre en raison de votre couleur de peau, comme par exemple en tant que musicien ou musicienne non blanc qui joue du metal. Cela ne devrait même pas être un sujet de discussion, car la musique rock, à l’origine, est une musique noire. Le rock’n’roll s’est développé dans les années 50 à partir du rhythm and blues. Mais le rock contemporain trace souvent d’étranges frontières. « Que ce soit aux États-Unis ou au Royaume-Uni, les artistes avec lesquels nous avons parlé ont vécu des expériences similaires. Par exemple, ne pas être invité e à un festival parce qu’un groupe métissé se trouve déjà dans la programmation. » Georgia résume ainsi cette pensée limitée : « Apparemment,

« Je rêvais de faire une tournée avec ces chansons. Alors bien sûr que maintenant, je saute partout sur la scène !
»
Georgia South
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Les Nova Twins font vibrer la foule à l’Electric Brixton lors de la dernière date de leur tournée Supernova en 2022. Notez les lumières géantes épelant « NOVA » derrière le duo.

tu ne peux pas être rock si tu as un afro. » Leur deuxième album, Supernova, récemment sorti, fait un bras d’honneur à tout cela. « Regarde-moi dans les yeux et dismoi que tu n’as jamais rencontré quelqu’un comme moi », implore Amy Love dans la chanson « Antagonist Cleopatra est une célébration de leurs identités : « Plus noir que le cuir qui tient nos bottes, si tu rockes dans une autre couleur, nous sommes dans le même sac », rappe Love.

« Nous voulions que cette chanson célèbre ce que nous sommes et exprime la ferté de nos origines, explique Georgia South. Nous espérons qu’elle encouragera d’autres personnes à ressentir la même chose. »

Consécration

Sept heures après l’arrivée du duo à l’Electric Brixton, les portes s’ouvrent, la salle et les balcons se remplissent rapidement. La diversité du public montre qu’il ne s’agit pas d’un spectacle de rock ordinaire : il y a des bandes d’adolescentes aux barrières devant la scène, des pères et des fls, des couples, et tout le monde baigne dans la même effervescence. Lorsque les lumières s’éteignent enfn, la salle entière rugit.

Quatre lumières géantes situées au fond de la scène clignotent en séquence

N.O.V.A. – pendant que Love et South pogotent sur la scène, accompagnées d’un mur de feu qui jaillit du sol. Dès la première chanson, la foule se divise en mosh pit. À la deuxième, les deux femmes jouent devant la scène, entre les fans.

« Tout le monde se met dans la fosse à nos concerts, a prévenu Love avant le spectacle. Les femmes, les jeunes, les plus âgé·e·s. » Tout le monde, y compris elles-mêmes.

Lorsque l’on voit le duo sur scène, on a l’impression qu’elles sont à leur place, exactement là où elles voulaient être. La présence scénique assurée de Love et la puissance de sa voix ne font qu’un en concert. South libère toute l’énergie accumulée en se jetant à travers la scène tout au long du set.

« Lorsque nous écrivions des chansons pendant le confnement, nous ne pouvions qu’imaginer comment nous allions les jouer en concert, raconte Georgia South. Dans ma chambre, je me disais parfois : “Ce passage sera le drop.” Alors, bien sûr que maintenant, je saute partout sur la scène ! »

Dans le business de la musique avec ses clichés et ses obstacles toujours bien présents, les deux jeunes femmes sont confantes dans leur capacité à se faire une place bien à elles. « Je sais que, quoi qu’il arrive, nous sommes une équipe, conclut South. On va y arriver, p*tain. »

Toutes les infos sur la tournée des Nova Twins : novatwins.co.uk

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DU CRAN ET

DU CŒUR

Elle est la première Africaine noire à atteindre l’Everest et cinq des Sept Sommets : pionnière dans l’âme, Saray Khumalo se bat pour les enfants noirs d’Afrique du Sud. Nous l’avons accompagnée lors d’une expédition.

COURTESY OF SARAY KHUMALO
TEXTE MARK JENKINS

Étape européenne 2014 : ascension réussie du mont Elbrouz dans le Caucase, le plus haut sommet du continent européen.

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Grand Chelem

Khumalo veut être la première Africaine noire à atteindre les Sept Sommets et traverser les pôles.

ous avons laissé la civilisation loin, très loin derrière nous. Pas après pas, soupir après soupir, nous avançons lentement au cœur du Drakensberg, « la montagne du dragon » en afrikaans, la plus haute chaîne de montagne d’Afrique du sud. Notre guide ne semble pas taillée du même bois que nous : elle ne s’arrête jamais. Quand elle ne marche pas, elle bosse – tant qu’il y a du réseau –et quand il pleut, elle ouvre son parapluie et saute de faque en faque. Le soir, je l’entends travailler dans sa tente. À 51 ans, Saray Khumalo, née en Zambie et vivant à Johannesburg, a une solide carrière de cadre dans la fnance et les assurances. Elle est aussi la première Africaine noire à avoir gravi l’Everest. C’est en 2019, après trois tentatives avortées – dont l’une a failli lui être fatale – qu’elle est parvenue à atteindre le toit du monde, par la voie sud-est depuis le Népal. Un exploit d’autant plus important pour Saray que les trois expéditions précédentes de 2014, 2015 et 2017 avaient toutes dû être interrompues à la suite de catastrophes. Mais ces revers n’avaient fait qu’accentuer la détermination discrète et inébranlable de cette femme aux multiples facettes, qui cultive un esprit fn et cosmopolite en même temps qu’un don pour l’éloquence et l’élégance – elle s’est déjà retrouvée en couverture de magazines de mode. Une attitude qui tranche avec le fegme et la ténacité dont elle fait preuve lorsqu’elle est en montagne. Là-haut, elle devient une alpiniste (presque) comme les autres.

Mais contrairement à beaucoup d’autres adeptes des hautes cimes, Saray Khumalo ne cherche nullement à se couvrir de gloire : ses exploits sportifs sont là pour servir un objectif plus noble : garantir une éducation et un avenir aux enfants noirs d’Afrique du Sud.

Les premiers jours de notre expédition n’ont pas été faciles. Cela fait cinq mois que Saray Khumalo organise des programmes pour alpinistes débutants. Dans la cordée, des cadres supérieurs indiens ou sud-africains, suffsamment fexibles et à l’aise fnancièrement pour se payer un bon équipement et prendre une semaine de congé. Notre groupe est mené par Saray et par un alpiniste de 52 ans, Sibusiso Vilane, le premier Africain noir à avoir gravi les fameux Sept Sommets – les points culminants des sept continents : l’Aconcagua et le Denali en Amérique, le Kilimandjaro, l’Elbrouz en Europe, le mont Vinson en Antarctique et le Puncak Jaya en Océanie.

Un début éprouvant

La première journée de l’expédition est un désastre. L’objectif initial était de remonter le long d’une des falaises, mais en fn d’après-midi, nous en sommes encore loin. Coincés dans une gorge encaissée, sous une pluie glacée qui nous fouette le visage, nous avançons péniblement alors que la nuit commence à tomber. Il faut se résoudre à monter le camp pour la nuit. Après une courte concertation avec la cheffe d’expédition, je pars à la recherche d’un endroit propice. Il n’y en a pas : le terrain est trop abrupt. Vilane nous répète que nous ne sommes pas si éloignés du bout de la falaise : « C’est juste là ! », nous lance-t-il en montrant une faille qui se dessine à l’horizon. Impossible à atteindre pour le groupe de néophytes qu’ils conduisent. J’apprendrai plus tard que nous sommes partis à la mauvaise saison. Le Drakensberg est le plus grand massif d’Afrique du Sud, avec plus de mille kilomètres de falaises et de gorges démesurées qui se succèdent dans un décor grandiose. Mais nous sommes au mois de novembre et en ce début d’été, les pluies peuvent être diluviennes. À partir de 3 000 mètres, il n’est pas rare de voir de la neige. Au fur et à mesure que nous avançons dans la pénombre, le groupe se disloque. Seule la faible lueur des lampes frontales nous permet de repérer la position des membres du groupe : en train de remonter péniblement le long du sentier escarpé, trébuchant sur les roches humides, ou à l’arrêt, la force faisant défaut. Il est minuit lorsque nous parvenons enfn à monter le camp pour la nuit. À peine les tentes ont-elles été dressées que tout le monde disparaît dans son sac de couchage, tremblant de froid et de fatigue.

N
THE RED BULLETIN 65 ROSS GARRETT
À la nuit tombée, le groupe se disloque : il s’agit alors de ne pas perdre de vue les autres participants.

Un thé à l’eau de pluie

Le lendemain matin, alors que nous aurions bien besoin d’un petit rayon de soleil pour nous réchauffer, il bruine. Nos deux cuisiniers nous préparent un bol de pâtes instantanées tandis que je pars chercher de l’eau de pluie pour pouvoir faire un thé. Vilane est de bonne humeur et Khumalo tout aussi déterminée que la veille. Les autres participant e s affchent une mine aussi morose que la météo. Nous plions bagage et reprenons notre route le long du fanc opposé.

Saray Khumalo est une femme dont le charisme et le caractère tranchent avec la douceur de sa voix : aucun doute, elle porte aussi bien le tailleur-pantalon que le passe-montagne et les crampons. En chemin, j’essaie discrètement de l’interroger sur sa dernière ascension du toit du monde en 2019 : « L’Everest n’est qu’une métaphore », me répond-elle, avant d’ajouter que l’escalade, a fortiori sur des parois de glace, n’est pas vraiment sa tasse de thé. Elle embraye ensuite sur un sujet qui semble la passionner davantage : les projets caritatifs qu’elle fnance grâce à ses expéditions. « C’est l’éducation qui me tient vraiment à cœur », explique celle qui a toujours voulu grimper pour la bonne cause – une devise qui se retrouve dans le nom de sa fondation, Summits With a Purpose. Son expédition sur le Kilimandjaro en 2012 a ainsi permis à l’association Kids Haven, qui s’occupe d’enfants des rues à Benoni (près de Johannesburg), de recevoir suffsamment de fonds pour construire une bibliothèque. Quand elle est venue au foyer pour raconter son expédition, Saray Khumalo a été choquée par les mots d’une petite pensionnaire : « Les gens comme toi ne font pas ce genre de choses. » Sous-entendu : les Noirs ne font pas de l’alpinisme. « Elle avait raison : cette fllette n’avait jamais vu quelqu’un comme moi le faire. » Ces propos ont bouleversé la vie de Saray Khumalo. « J’ai compris que je ne voulais pas vivre dans un monde où la couleur de la peau défnit ce qu’on a le droit de faire, ou pire : ce qu’on se donne le droit de faire. J’ai deux fls. J’avais besoin de leur léguer un monde meilleur. »

Le drame du Khumbu La première fois que Saray Khumalo tente l’ascension de l’Everest, c’est pour récolter des dons en faveur du Lunchbox Fund, un programme qui fournit des repas aux enfants défavorisés. En 2021, environ 2,3 millions de foyers déclarent que leurs enfants souffrent encore d’une faim chronique tandis que 40 % des habitant e s sont en situation de malnutrition. « On ne peut pas étudier quand on a faim », résume Khumalo. Elle se trouvait au camp de base le 18 avril 2014, lors de la terrible avalanche du Khumbu qui a coûté la vie à seize sherpas. Si cette tragédie a évidemment sonné la fn de l’expédition, l’alpiniste a tout de même réussi à récolter suffsamment d’argent pour fnancer 60 000 repas scolaires.

L’année suivante, c’est pour le compte du Nelson Mandela School Library Project, qui profte à plus de 200 000 enfants, que Saray Khumalo repart à l’assaut de l’Everest. Deuxième tentative, deuxième drame humain : le 25 avril 2015, un tremblement de terre (magnitude 7,8) ébranle le Népal, causant la mort de milliers de personnes dont 22 dus à des avalanches autour de l’Everest. Le projet est une nouvelle fois avorté – mais les dons collectés par Khumalo suffsent à construire une première bibliothèque. « Saray était très impliquée, se souvient Robert Coutts, responsable du projet Mandela. Elle a voulu tenir sa promesse et n’a jamais abandonné. »

L’Afrique du Sud compte 48 millions de Noirs et quatre millions de Blancs. De tous les enfants noirs scolarisés, seuls 14 % terminent leurs études secondaires, contre 65 % chez les Blancs. Près de 80 % des écoles du pays n’ont pas de bibliothèque et plus de 14 % des citoyens et citoyennes noir·e·s sont analphabètes – un taux 45 fois supérieur à celui de la population blanche.

Au menu : de la grêle et du biltong Retour au Drakensberg. Nous avons passé toute la journée à marcher sous une pluie froide et battante, les pieds dans la boue. L’humeur du groupe est aussi maussade qu’elle l’était à cinq heures du matin, lorsque nous avons quitté notre premier bivouac. En fn de journée, après avoir aidé à dresser le camp pour la nuit, je fais bouillir de l’eau tandis que nos cuisiniers préparent une purée de pommes de terre. Personne n’a envie de rester à discuter sous la pluie – nous sommes tous trempés jusqu’aux os. Ce soir encore, chacun se réfugie sous sa tente, priant pour que la journée suivante soit un peu plus ensoleillée.

Miracle : le lendemain matin, le soleil est au rendez-vous, remettant instantanément le sourire sur les visages. Les conversations s’animent, comme par magie. Je remarque que certains membres du groupe commencent doucement à voir l’alpinisme sous un autre jour. Sibusiso Vilane nous réunit en cercle et nous demande de réféchir à la signifcation d’un mot (anglais) : grit – en français : le cran, le courage, la persévérance. Lorsque c’est au tour de Khumalo de nous livrer sa défnition du mot, elle lâche : « Le cran, c’est de ne jamais lâcher. » Comme si le ciel voulait justement tester notre grit, une petite pluie fne se met à tomber après notre départ. La déception est palpable au sein de l’équipe, mais cela n’a heureusement rien à voir avec les averses des deux premiers jours. On aura même droit à quelques rayons de soleil au cours du déjeuner.

Sabelo Myeza, un ingénieur et le seul participant à avoir toujours le sourire aux lèvres, nous coupe

Guerrière dans l’âme Khumalo (à gauche) avec un sherpa, au retour de l’Everest après l’avalanche de 2015.

« Avoir du cran, c’est ne jamais lâcher » : Saray
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Khumalo n’a jamais reculé devant la difficulté.

quelques tranches de biltong, de la viande séchée. Nous prévoyons de franchir le Thabana Ntlenyana, le plus haut sommet d’Afrique australe avec ses 3 482 mètres. Myeza entreprend de motiver le reste de la troupe dans un cri d’encouragement : « On va y arriver ! » Arrivé au sommet, il laisse éclater sa joie, malgré la grêle qui nous fouette le visage. Je comprends qu’une fois de plus, Saray Khumalo a gagné son pari : un converti supplémentaire. Sabelo Myeza reviendra à la prochaine occasion.

La nuit où tout se joue

Alors que l’expédition se poursuit sur les sentiers enneigés, je décide de relancer Saray Khumalo sur son épopée himalayenne : sans se laisser décourager par les échecs de 2014 et 2015, la Sud-Africaine est repartie à l’assaut du toit du monde en 2017, toujours pour le projet Mandela, mais avec l’intention, cette fois-ci, de fnancer la construction de trois bibliothèques. « Ce n’est pas pour moi que je grimpe. Je le fais pour tous les enfants noirs d’Afrique du Sud. » Cette année encore, l’Everest lui est refusé alors qu’elle touche pratiquement au but. Des vents violents l’obligent à rebrousser chemin : dans la descente, à 8 200 mètres d’altitude, elle perd connaissance et s’effondre. Le sherpa qui l’accompagne va chercher des collègues pour la transporter dans une tente, où elle reste toute une nuit, sans sac de couchage, couchée à même le sol gelé. Le lendemain matin, Lapka, un autre sherpa, la trouve allongée et veut la toucher pour vérifer son état. « Oh, tu es vivante ! », s’écrit-il, surpris de la voir bouger. « Bien sûr que je suis en vie », rétorque-t-elle.

Elle parvient fnalement, avec l’aide de quelques sherpas, à atteindre le camp de base, mais elle a perdu ses gants en route et les conséquences se font vite sentir : l’annulaire et le majeur de sa main droite, ainsi que deux phalanges de sa main gauche devront être amputés dans un hôpital de Katmandou. « Depuis ce moment, entre l’Everest et moi, c’est devenu une affaire personnelle, me confe-t-elle. J’avais encore des comptes à régler avec lui. » Qu’à cela ne tienne : elle parvient tout de même à lever suffsamment de fonds pour fnancer les trois bibliothèques. Promesse tenue.

Le quatrième et dernier rendez-vous avec l’Everest est celui de la victoire : mieux préparée tant physiquement que mentalement, Khumalo a tiré les leçons de 2017 en optant pour une autre stratégie : « On est toujours partis avant la foule des autres alpinistes ». Le 16 mai 2019, elle devient la première Africaine noire à se faire photographier sur la pointe de l’Everest. « Nous avons atteint le sommet depuis le Camp IV en seulement onze heures », se souvient-elle. La descente a été particulièrement pénible, son masque à oxygène ayant gelé, ce qui la prive d’oxygène sur une partie du trajet. Mais elle a réussi son pari, et cette victoire n’est que le début d’un projet plus ambitieux : devenir la première Noire d’Afrique à avoir fait les Sept Sommets – le mont Vinson et le Puncak Jaya sont les deux derniers sur la liste – et la première à réaliser le Grand Chelem des explorateurs, en y ajoutant les pôles – il ne lui manque que le pôle Nord, prévu pour avril 2023. En attendant, Saray Khumalo poursuit la mission qu’elle s’est donnée : servir d’exemple à tous les enfants noirs d’Afrique du Sud en leur montrant que, quand on ne lâche rien, tout est possible. Instagram : @ saraykhumalo

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Après les engelures qui lui ont coûté quelques doigts, l’Everest est devenu un enjeu personnel.
La vie comme une longue ligne droite : Kristian Blummenfelt s’entraîne dans les montagnes surplombant Bergen.

POURQUOI

TANT DE HÂTE ?

TEXTE BRAD CULP PHOTOS EMIL SOLLIE
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Kristian Blummenfelt a déjà remporté l’or olympique et le titre de champion du monde. Mais at-il vraiment l’air de vouloir s’en contenter?

ienvenue à Bergen, petite ville portuaire norvégienne encerclée par sept somptueuses collines. Toutes les heures, un funiculaire part du centre ville avec à son bord des centaines de touristes avides de fouler le mythique sommet du mont Fløyen. Un endroit que Kristian Blummenfelt, 29 ans, champion olympique de triathlon et d’Ironman, connaît comme sa poche. Mais lui préfère s’y rendre à la force des jambes. Au cours des quatre ou cinq semaines qu’il passe chaque année dans sa ville natale perpétuellement balayée par la pluie, c’est en effet son spot de prédilection pour ses séances de vélo et de course à pied. « L’entraînement permet d’atteindre ce fragile équilibre entre douleur et exultation », philosophe Blummenfelt. Et le lieu est également lourd de symbole.

Non loin du sommet s’érige en effet une chétive grange en bois servant d’abri à un troupeau de chèvres. À chaque passage, Blummenfelt s’incline devant la modeste masure qu’il qualife de « maison de Jan Frodeno », jeu de mots sur le triathlète alllemand de 41 ans communément considéré comme le meilleur de tous les temps, the Greatest of All Time, ou GOAT (acronyme qui signife également « chèvre » en anglais),

car c’est là le graal suprême convoité par Blummenfelt : devenir LA chèvre, même s’il ne veut pas simplement se contenter de surpasser son rival teuton. Pour devenir le meilleur, il faut vaincre le meilleur, non de manière abstraite en termes de millisecondes, mais au coude à coude, mètre après mètre, mano a mano Jusqu’en mai dernier, le géant allemand était le seul triathlète de l’histoire à avoir réussi l’exploit de remporter à la fois l’or olympique et le championnat du monde d’Ironman, fait d’arme qui tenait presque du miracle tant les écarts de distance et de parcours sont immenses entre les deux disciplines. Les épreuves des JO consistent en 1,5 km de natation, 40 km de cyclisme et 10 km de course à pied, alors que sur un Ironman, il faut enchaîner 3,8 km de natation, 180 km de vélo et un marathon de 42 km. Frodeno a remporté le triathlon aux JO de Pékin à l’issue d’un sprint phénoménal en 2008, puis décroché le titre de champion du monde d’Ironman sept ans plus tard lors de sa seconde tentative.

BSept ans. Pour la plupart des sports, une éternité. En termes de triathlon, un battement de paupières, si l’on considère le volume de préparation nécessaire pour remporter une épreuve presque quatre fois plus longue que la normale. Nul n’imaginait que l’on puisse répéter un tel exploit jusqu’en ce fatidique mois de mai 2021, où Blummenfelt a remporté le championnat du monde d’Ironman au cours de sa première tentative neuf mois tout juste après être monté sur la plus haute marche du podium à Tokyo. Personne n’avait jamais réalisé un tel de tour de force. Une prouesse qui n’a malgré tout pas changé la donne, la chèvre s’appelle toujours Frodeno.

Hyper escarpé, hyper dur… mais pas Hawaï

En raison du Covid rampant et du nombre très limité de lits d’hôpitaux disponibles à Kona (Hawaï), hôte historique de la compétition depuis 1978, les organisateurs d’Ironman ont préféré se rabattre sur un autre parcours pour l’édition 2021. Ils choisissent l’un des circuits les plus diffciles parmi les 65 à leur disposition : celui de St. George, dans l’Utah, alors qu’Ironman et Kona sont liés depuis la nuit des temps, un peu comme le tournoi de Roland-Garros et son stade. Et puis c’est par son absence que Frodeno brille cette année-là : blessé au tendon lors de ses préparations à l’épreuve, il a fni par déclarer forfait.

Le Blummenfelt post-Tokyo domine les épreuves de triathlon, ajoute son premier titre dans la série World Triathlon à sa médaille d’or, puis sa victoire sur l’Ironman. Il est le seul à avoir remporté la médaille d’or et le titre de champion du monde la même année. Mais concernant l’Ironman, de deux choses l’une : soit on le remporte à Kona, soit on ne l’a pas vraiment remporté. Peu importe qu’avec son temps de sept heures et 49 minutes sur le circuit de St. George, il ait battu de

Médaillé d’or aux JO, champion du monde d’Ironman… et son éternel rival qui veut raccrocher les gants.
À 29 ans, le triathlète Kristian Blummenfelt se cherche de nouveaux objectifs. Et nous avec lui.
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deux minutes le record de parcours de Frodeno à Kona. Peu importe que le parcours de St. George compte deux fois plus de dénivelé positif. Oui, d’un point de vue purement analytique, Blummenfelt a largement dépassé Frodeno mais en l’absence de ce dernier, toutefois.

Lors du retour de l’Ironman à Kona en octobre dernier, une maigre consolation attendait Blummenfelt : troisième place, troisième meilleur temps jamais enregistré sur l’Ironman d’Hawaï. Seulement, Jan Frodeno ne faisait pas partie de la liste de départ suite aux longues séquelles de son accident à l’entraînement. Et cette année, à cause de collisions dans le calendrier des compétitions, il n’y aura pas de compétition masculine à Hawaï. Enfn, Frodeno, le champion toujours convalescent triple vainqueur à Hawaï, annonce dans le Spiegel la fn de sa carrière pour l’année prochaine : « Je ne veux pas devenir le prochain vieillard qui ne trouve plus son souffe. »

Que faire si la chèvre ne veut plus reprendre du service, s’est demandé Blummenfelt ? Le sommet du Fløyen et sa grange font toujours partie de sa tournée quotidienne mais il a urgemment besoin d’un nouveau but. C’est comme ça qu’il fonctionne, et que fonctionne également sa ville natale, Bergen, où chacun, semblet-il, déplace sa propre montagne.

Entre nostalgie et confance en soi Avec une population de 300 000 âmes, cette ville située au sud-ouest de la Norvège est la deuxième plus grande agglomération du pays… et la plus atypique. Un certain art de vivre typiquement scandinave, le hygge, exprime une aspiration au bonheur, simple et discret, sans égoïsme ni démonstrations excessives. Les Scandinaves ne passent pas leur temps à proclamer que leurs villes sont les meilleures du monde (même si les statistiques abondent régulièrement en ce sens). Mais pas de cela ici : lors des matches de foot du SK Brann, l’hymne de la ville passe avant l’hymne national. « On se comporte tous et toutes comme si on était le peuple et la ville les plus formidables au monde, explique Gustav Iden, ami et rival de Blummenfelt dans l’équipe de triathlon norvégienne, à propos de leur ville d’origine commune. Notre équipe de foot est si nulle que nous sommes en deuxième division, ce qui est un peu navrant pour la deuxième plus grande ville du pays, mais pour nous, c’est la meilleure équipe du monde. C’est du Bergen tout craché. On a un ego surdimensionné. »

Un ego qui ne fait pas non plus défaut à Blummenfelt, même s’il se décrit comme quelqu’un d’assez introverti qui ne craint qu’une chose : les rendez-vous galants. « Rencontrer une femme me stresse dix fois plus qu’un championnat du monde », explique celui qui ne se sent vraiment à l’aise que quand il se donne à fond dans le sport. Après ses trois séances d’entraînements quotidiens, il consacre le peu de temps qu’il lui reste à dévorer toutes les publications sur le triathlon puis à lire presque tous les commentaires le concernant sur le net. Accro aux médias sociaux, il tient un journal sur celles et ceux qui croient en lui ou pas : un vrai carburant pour se focaliser sur sa discipline. Quant au reste de sa motivation, elle lui vient de sa biographie personnelle.

Le petit dur de banlieue Blummenfelt est le cadet d’une famille de trois enfants issue de la banlieue chaude de Bergen, comme disent ses coéquipiers en plaisantant. Père ouvrier, mère infrmière, ni l’un ni l’autre de grands sportifs, Kristian se souvient même que son père fumait comme un pompier. Mais comme la plupart des familles norvégiennes, ils passent presque tout leur temps libre à l’extérieur, entre randonnée, ski et camping. Son goût pour la compétition lui vient de la natation, discipline où il atteint un bon niveau sans devenir non plus un excellent nageur.

Son principal ennemi dans l’eau : sa taille. Mais sur la terre ferme, c’est un adversaire redoutable qui boucle les 10 kilomètres en 36 minutes à l’âge de 12 ans. Un chrono exceptionnel pour un ado. Un entraîneur le remarque et lui propose de participer à l’un des premiers triathlons organisés en Norvège. À 14 ans, il est le plus jeune des 32 participants, ce qui ne l’empêche pas de remporter l’épreuve haut la main. Un résultat qui fnit logiquement par attirer l’attention de l’Académie des sports de Bergen, cette ville atteinte d’ego surdimensionné chronique.

Physique de déménageur, voix de stentor et un nez incomparable pour les talents sportifs, Roger Gjelsvik est un touche-à-tout de génie dont l’une des innombrables activités est de recruter des athlètes au potentiel olympique pour la Toppidrett (l’académie des sports de haut-niveau en Norvège) située dans le quartier de Tertnes. « On n’a pas vraiment remarqué d’aptitudes physiques spéciales chez Kristian, mais on a tout de suite vu qu’il était différent ici, explique Gjelsvik en pointant sa tempe du doigt. Il est né avec cette dureté qui ne s’apprend pas. C’est un Viking. »

Des sessions épiques : Blummenfelt en plein entraînement près de sa ville natale de Bergen.

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« Il est né avec cette dureté qui ne s’apprend pas. C’est un Viking. »
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Séance de natation à Bergen : trop petit pour un nageur de haut niveau, mais le plus grand en triathlon

Avant l’arrivée de Blummenfelt en 2010, Gjelsvik n’avait encore jamais recruté de triathlète pour l’académie et la Norvège n’avait jamais envoyé de triathlètes aux JO. Nageurs, cyclistes et autres coureurs étaient déjà sélectionnés, Blummenfelt le petit Viking arrivait donc à point nommé pour réaliser un projet simple mais ambitieux : produire une médaille olympique d’ici 2020.

Triathlète et expert en sciences du sport, Arild Tveiten est engagé pour diriger le programme avec une équipe d’entraîneurs norvégiens qui ne cesse de s’étoffer. Tveiten établit un programme basé sur des tests rigoureux et sur l’analyse de données ; si ce n’est pas mesurable, on jette. Les sessions d’exercices basiques de cyclisme et de course à pied pleuvent sur Kristian. Au bout de trois ans de formation, le voilà devenu numéro un européen en catégorie junior. Il est prêt à se consacrer entièrement au triathlon.

Déprime abyssale

Les camps d’entraînement en altitude dans les Alpes et les Pyrénées s’étendent sur plusieurs mois, les chèvres sont toujours présentes le long des parcours.

À l’époque, on ne parle pas encore de GOAT, mais dans le domaine du triathlon, le professionnalisme atteint de nouveaux sommets. Certains athlètes doivent payer de leur poche pour rejoindre des groupes d’entraînement internationaux ou se faire coacher par des pros reconnus. La Norvège, elle, garde son petit groupe uni et lui apporte tout le soutien fnancier nécessaire. À 22 ans, Blummenfelt devient le premier triathlète à représenter la Norvège aux JO de Rio 2016. Deuxième plus jeune des 55 concurrents, il termine à la 13e place. Un immense exploit pour la toute jeune fédération, selon les critiques extérieures, un véritable fasco pour Blummenfelt. Bien connue des athlètes, la fameuse dépression post-olympique le touche de plein fouet, mais va lui permettre de devenir ce monstre assoiffé de victoires qu’il est aujourd’hui. À tous les niveaux.

Le gabarit de Blummenfelt en laisse plus d’un perplexe : avec son 1,73 mètre et ses 74 kilos, il est considéré comme un triathlète exceptionnellement lourd par rapport aux normes en vigueur. À titre d’exemple, Frodeno le dépasse de 20 bons centimètres mais ne pèse pas un gramme de plus. Blummenfelt a mis fn au mythe selon lequel il faut avoir un corps mince et longiligne pour remporter des sports d’ultra-endurance.

Ses entraîneurs et lui sont prompts à souligner que le moteur importe bien davantage que la carrosserie. Sur son vélo prototype de triathlon, les mots it hurts more to lose (perdre fait encore plus mal) sont gravés en lettres d’or. Après Rio, ce mantra l’a poussé à réaliser l’année la plus dominante et la plus improbable de toute l’histoire du triathlon. Mais les cinq années entre Rio et Tokyo sont marquées par davantage de défaites que de victoires. C’est le lot de ce genre de courses où quelques millièmes de secondes décident du vainqueur. Lors de la dernière épreuve de 2019, il remporte enfn sa première victoire importante sur le circuit de la Grande Finale ITU en Suisse. Le voilà qui fait soudain partie du cercle fermé des grands favoris pour les JO. Les trois Norvégiens présents dans le groupe de cinquante concurrents termineront respectivement 1er, 8e et 11e. Quand Blummenfelt annonce vouloir remporter le titre mondial d’Ironman après sa victoire aux JO, il se fait détruire sur les médias sociaux. Depuis 44 ans que cette course existe, un seul athlète a réussi à gagner lors de sa première participation, et personne n’a réussi à être aussi bon aux JO qu’à l’Ironman la même année. Blummenfelt et son équipe disposent toutefois de suffsamment de données pour savoir qu’il est tout à fait possible d’effectuer ces trois disciplines sur des distances bien plus longues que celles des JO. Mais comment devenir le plus grand sans un duel direct avec le GOAT ? Kristian Blummenfelt a alors compris que sa seule chance était de revenir en arrière. Revenir à des distances plus courtes. Et ce, dans les plus brefs délais jusqu’en 2024, aux JO de Paris.

« Jamais encore un athlète n’est revenu aux courtes distances après avoir remporté les longues distances, concède Blummenfelt. Passer du titre sur courte distance au titre sur longue distance en l’espace d’un an, puis revenir à la courte distance d’ici l’année prochaine sera la plus grande épreuve de ma carrière, et ce ne sera pas le genre de record que l’on pourra battre de si tôt. »

Encore une de ces journées de pluie. Une fois de plus, Kristian Blummenfelt court sur le mont Fløyen, son coin de Bergen favori, et arrive devant l’éternelle bicoque. Il dévisage la rangée de quadrupèdes paisiblement occupés à ruminer et sait bien que ce ne sont que des chèvres, car il ne peut y avoir qu’un seul GOAT. Encore une de ces journées de pluie. Mais là-bas, au loin, derrière les nuages sombres, brille un nouvel objectif. Instagram : @kristianblu

Il est moins grand et plus lourd que les autres, mais c’est le moteur intérieur qui compte.
THE RED BULLETIN 75

Compte à rebours avant

SACRÉ GRAAL

Voici une photo du plus ancien trophée sportif international : la « Coupe » de l’America. Depuis 1851, cette magnifque aiguière en argent est âprement disputée entre les meilleurs régatiers au monde, sur les mono ou multicoques les plus modernes qui existent, parfois spécialement créés pour l’occasion. Véritable vitrine des derniers progrès de l’architecture navale, cette course mythique ne peut se passer de l’appui massif de milliardaires passionnés, qui choisissent de fnancer les bateaux sans aucun espoir de retour sur investissement – il n’y a en effet aucune somme d’argent à remporter. Un exemple : Larry Ellison, patron et fondateur de la société

américaine Oracle, a ainsi « investi » près de 300 millions de dollars en 2013 pour pouvoir participer à la course – que son équipe a heureusement remportée cette année-là. C’est la seule raison qui anime les équipes participant à l’America’s Cup : avoir le privilège de ramener la « Vieille Aiguière » à la maison et le droit de défnir le plan d’eau, la date et la forme de la prochaine régate.

Lorsque le joaillier officiel de la Couronne britannique, Garrard & Co, reçoit en 1848 une commande de la reine Victoria pour fabriquer une magnifque aiguière en argent, il est loin de se douter que sa création va connaître un destin incomparable. Initialement prévu pour la grande Exposition universelle de Londres, l’objet est

L’AMERICA’S CUP
76 THE RED BULLETIN SAMO VIDIC/RED BULL CONTENT POOL
Les challengers de 2024 Le team Alinghi Red Bull Racing à l'entraînement avant Barcelone.

Cette coupe itinérante, c’est l’America’s Cup.

acquis trois ans plus tard par Lord Uxbridge, membre du Royal Yacht Squadron, qui en fait le trophée offciel d’une régate organisée par son club la même année. Cette course, qui consiste à faire le tour de l’île de Wight le plus vite possible, est censée appâter les yacht clubs étrangers, notamment les régatiers américains, connus pour leur savoir-faire. Objectif atteint : le Yacht Club de New York répond à l’appel.

Le 22 août 1851, quinze navires (sept goélettes et huit cotres) se rassemblent dans les eaux du Solent, le bras de mer principal de l’île de Wight : la reine Victoria est venue en personne assister à cette course de 53 milles – environ 99 kilomètres – qui réunit parmi quelques-uns des meilleurs

UNE TELLE RELIQUE Dans un caisson pare-balles.

Pour réaliser cette photo haute résolution de l’America’s Cup, le Royal New Zealand Yacht Squadron a exceptionnellement permis au photographe Rick Guest d’entrer dans leur quartier général. « Vous montez les escaliers et vous arrivez dans un grand atrium, et elle est là, raconte Guest. Elle est vraiment énorme. » Et pour la technique photographique de Guest, le compositing multifocal, c’est un défi. « On prend par couches successives de nombreuses photos avec une profondeur de champ optimale, explique le photographe. Ensuite, on assemble les clichés, chacune des quelque 80 images est parfaitement nette. » Le résultat est une image du trophée comme on n’en a jamais vu auparavant avec autant de détails. Lors de sa séance photo avec la star des océans, Rick Guest a involontairement fait connaissance avec le système de sécurité : « J’ai cru qu’il n’y aurait qu’une alarme, mais j’ai vu un cube de protection descendre du plafond et se poser sur l’aiguière pour la protéger. Décidément, les Kiwis la traitent avec beaucoup de respect : on peut voir à quel point ils la vénèrent. »

Elle porte le nom de la régate la plus légendaire du monde. D’innombrables mythes circulent également à son sujet.
TEXTE TOM GUISE & DAVID SCHMIDT PHOTOS RICK GUEST
THE RED BULLETIN 77

bateaux de course de la Couronne britannique. Face à eux, un adversaire américain, et pas n’importe lequel : la goélette America, chef-d’œuvre de l’architecture navale américaine qui appartient au Yacht Club de New York. Le commodore du club et le syndicat qu’il a fondé pour fnancer la construction du voilier espèrent bien montrer aux Britanniques de quoi les Américains sont capables. Onze heures après le départ de la course, c’est chose faite : la magnifque America parvient la première à boucler le tour de l’île. La reine Victoria, qui assiste à l’arrivée des bateaux depuis le pont de son navire personnel, aurait demandé à son commandant :

« Les bateaux sont-ils en vue ? »

« Oui, Votre Majesté, l’America mène la course. »

« Et qui est second ? »

Ce à quoi notre homme aurait lancé une réponse qui restera dans les annales du sport :

« Majesté, il n’y a pas de second. »

Et c’est ainsi que les New-Yorkais ramenèrent pour la première fois l’aiguière d’argent chez eux, à Manhattan, à la condition de devoir la remettre en jeu lors de la prochaine régate, que les vainqueurs devaient organiser à domicile. C’est cette promesse qui a donné naissance à l’esprit unique de l’America’s Cup : à chaque course, le tenant du titre – le defender – affronte des challengers venus le défer pour s’emparer du trophée d’argent. Si l’on envisagea, dans un premier temps, de faire fondre le précieux métal de ce trophée pour fabriquer cinq médailles

LE NEW YORK YACHT CLUB A DÉFENDU LA COUPE PENDANT 132 ANS.

d’argent, histoire de contenter chacun des cinq membres du syndicat nautique, il fut fnalement confé par le syndicat de l’America au New York Yacht Club (NYYC) : ensemble, ils renommèrent l’aiguière du nom de leur bateau fétiche et décidèrent d’édicter les règles de la prochaine course qui remettrait en jeu leur « titre » de propriété. C’est ainsi que fut signé en 1852, puis le 8 juillet 1857, le fameux Deed of Gift – Acte de Donation, en français – dans lequel étaient décrites les règles de ce qui allait devenir la mythique « America’s Cup ». Il fallut attendre la fn de la Guerre de Sécession pour que le NYYC puisse organiser la première édition de la course. Ce club allait rester le grand tenant du titre pendant… 132 ans, soit la plus longue hégémonie de toute l’histoire du sport avec 24 victoires consécutives ! Cette domination des Américains est en partie due à une clause du règlement de la course,

qui spécife que les voiliers doivent se rendre au port de départ par leurs propres moyens, sans aide d’acheminement – un casse-tête pour les challengers, qui doivent réussir à concevoir des bateaux de course ultra rapides mais capables de traverser les océans.

Autres spécifcités de l’America’s Cup : il n’y a pas de comité offciel d’organisation et le règlement n’est pas fgé dans le marbre, puisqu’il doit, pour chaque régate, être conclu par consentement mutuel entre le premier challenger et le defender, qui peuvent ajouter toute modifcation sur les conditions de la course. C’est cette dernière spécifcité, contenue dans le Deed of Gift, qui a donné lieu à d’incessantes et coûteuses batailles juridiques entre les yacht clubs – des batailles souvent fnancées par des milliardaires venus défendre les intérêts de leurs clubs.

Pour éviter de trop longs procès, il fut admis qu’en cas de litige insolvable, l’Acte de 1887 tiendrait lieu de référence ultime. Quant aux contentieux résultant de la lecture même du texte et de son interprétation, ils doivent être arbitrés par la Cour suprême de l’État de New York, voire la Cour d’appel – la plus haute instance de l’État – si aucun compromis n’a pu être trouvé, ce qui est déjà arrivé dans le passé. On l’aura compris : les clubs s’affrontent autant sur l’eau que devant les tribunaux !

Une odyssée nautique

En presque 170 ans d’existence, cette compétition aura pourtant été le théâtre de duels légendaires et la célèbre aiguière est encore considérée comme le Saint Graal des régatiers. Nombreux sont les preux « chevaliers » du nautisme à s’être lancés dans cette quête sans avoir pu mettre la main sur le précieux trophée. Sir Thomas Lipton a essayé cinq fois sans succès, comme son compatriote Sir Thomas Sopwith – pionnier de l’aviation et concepteur des fameux biplans de la Royal Airforce – qui s’est lancé dans l’aventure à deux reprises, en vain. Ce n’est qu’en 1983, soit 132 ans après son départ outre-Atlantique, que l’aiguière d’argent est remportée par une équipe non-américaine : une victoire hallucinante pour les Australiens du Royal Perth Yacht, une date historique dans l’Histoire de la voile !

Mais les skippeurs qui se déchirent pour obtenir le légendaire trophée ne sont pas les seuls à vivre des aventures. L’aiguière –affectueusement surnommée “The Auld Mug”, « le Vieux pichet » en français – a elle aussi connu quelques vicissitudes : notamment en 1997, lorsqu’elle faillit être détruite à coups de marteau par un jeune Maori néo-zélandais, Benjamin Peri Nathan. Celui-ci était venu au Royal New Zealand Yacht Squadron – le club victorieux

78 THE RED BULLETIN GETTY IMAGES
L’équipe Royal New Zeeland Yacht Squadron en 2021 avec l’America’s Cup.

THE DEED OF GIFT

Une légende est née sur ce bout de papier.

Le bâtiment du New York Yacht Club (NYYC) se trouve au 37 West 44th Street à Manhattan. Construit en 1901 par Whitney Warren, l’architecte du légendaire Grand Central Terminal, c’est une œuvre d’art dont les locaux inférieurs cachent une pièce non moins précieuse : l’America’s Cup Deed of Gift (DoG). « Les gens pensent que l’acte de donation est sûrement protégé par une épaisse reliure en cuir », explique l’archiviste. Pourtant, de manière surprenante, les deux feuilles écrites à la main à l’encre de cuivre oxydée brun rouille, dans lesquelles sont définies les règles de base de l’America’s Cup, sont stockées dans une simple reliure rapide. Le NYYC est convaincu qu’il s’agit de l’original, même si la date éditée “July 8, 1857” soutient la thèse selon laquelle il pourrait s’agir d’un exemplaire révisé. Original ou pas, le cadre de l’America's Cup se trouve dans ce document.

de l’époque – s’était dirigé vers la vitrine où elle était fèrement exposée puis avait fait éclater la vitre d’un coup de marteau avant de frapper une cinquantaine de fois sur l’aiguière, manquant de la détruire complètement. L’objet fut sauvé in extremis puis envoyé de l’autre côté de la planète chez les joailliers Garrard & Co pour être réparée. Bilan de l’incident : 114 000 livres Sterling, une coquette somme qui reste heureusement bien en-dessous de la valeur estimée de l’aiguière.

Les Néo-Zélandais comprirent la leçon, et lorsque The Auld Mug fut à nouveau exposé dans les salons du RNZYS après les victoires de 2017 et 2021, il fut placé derrière une vitrine pare-balles, protégé par un imposant dispositif de sécurité. Depuis, il ne peut être manipulé qu’avec des gants blancs, comme les pièces les plus précieuses des musées.

Si la valeur de l’objet a évidemment évolué avec le temps, sa taille aussi : initialement haute de 69 centimètres pour 3,8 kilos, elle fait aujourd’hui 110 centimètres et pèse une quinzaine de kilos : cette prise de poids est tout simplement due au fait que le socle de l’aiguière a dû être agrandi au fur et à mesure que les noms des clubs vainqueurs venaient s’ajouter sur le socle. Et comme certains d’entre eux réclamaient d’y fgurer de manière plus ostensible que les autres, on a profté de la restauration de 1997 pour standardiser la taille des lettres gravées. Remplacé par une version beaucoup plus solide en fbre de carbone, le socle originel en acajou est aujourd’hui conservé dans un coffre-fort bien fermé.

L’aiguière d’argent n’est, certes, pas une grande voyageuse – après tout, seuls quatre pays ont réussi, depuis 1851, à en être les heureux propriétaires : les ÉtatsUnis, l’Australie, la Suisse et la NouvelleZélande. Mais quand il lui arrive de devoir déménager dans un autre pays après la victoire d’un challenger, elle le fait dans des conditions dignes d’une diva en tournée internationale : dans un luxueux étui Louis Vuitton, qu’elle a reçu en cadeau pour son 150e anniversaire.

À l’âge canonique de 175 ans, ce « Vieux pichet » n’a décidément pas fni de nous faire rêver.

Pour les clichés en HD du trophée et du Deed of Gift, scannez ce QR code ou rendez-vous directement sur redbulletin.com

THE RED BULLETIN 79 DEED OF GIFT: AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DES ARCHIVES DU NY YACHT CLUB

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À VOTRE TOUR !

Camp de triathlon à Lanzarote : l’athlète Daniel Bækkegård est votre coach.

THE RED BULLETIN 81 KONSTANTIN REYER

RUN CANARIA

Le triathlète danois de haut niveau

Daniel Bækkegård s’entraîne à Lanzarote, dans les Canaries. Suivons-le !

Daniel Bækkegård, 26 ans, est champion d’Europe de triathlon 70.3. Il entraîne des groupes dans le cadre de camps de triathlon à Lanzarote.

Tout ! Telle est la réponse complète de Daniel Bækkegård à la question de savoir ce qui fait de Lanzarote la destination idéale pour son camp de triathlon 2023. Le Danois effectue régulièrement sa préparation pour la saison sur l’une des huit îles habités des Canaries, celle qui se situe à l’extrême nord-est. « J’avais douze ans la première fois que je suis allé à Lanzarote. » En vacances. Plus tard, il allait y trouver des conditions d’entraînement idéales.

En juin 2022, Daniel a été sacré champion d’Europe d’Ironman 70.3 (ainsi nommé

parce que les trois disciplines individuelles – 1,9 kilomètre de natation, 90,1 kilomètres de vélo, 21,1 kilomètres de course à pied – s’étendent sur 113 km) devant son public à Helsingør. Mais c’est ailleurs qu’il a fait ses tours de chauffe : « Le club La Santa, sur la côte nord-ouest de Lanzarote, n’est pas seule -

ment l’ambassade secrète du Danemark en Espagne. Ce complexe est la base parfaite pour toutes les activités dont nous avons besoin pour notre entraînement », explique Daniel Bækkegårds. Les parcours de course à pied et de vélo vous mènent jusque dans le parc national de Timanfaya, à quelque

Brise marine et formations rocheuses bizarres : le Club La Santa sur l’île de Lanzarote est l’endroit idéal pour un camp de triathlon.
VOYAGER
82 THE RED BULLETIN

21,1

Il faut franchir 1,9 kilomètre dans l’eau. Daniel (au centre) ne s’entraîne pas seulement dans la piscine, mais aussi en mer.

vingt kilomètres de là. « Sur une île de l’Atlantique, il y a toujours et partout du vent. Mais il procure une résistance naturelle qui te rend plus fort, mentalement et physiquement. »

Le triathlon est un sport d’endurance dans lequel le mental joue un rôle décisif : « Le succès est le fruit de nombreuses composantes. Dans l’élite mondiale, la condition physique ne fait pratiquement aucune différence car nous

tionniste. J’ai dû apprendre à accepter les situations telles qu’elles étaient. Ce n’est qu’après que j’ai été en mesure de donner le meilleur de moi-même. »

Le background sportif de Daniel est la natation, qu’il a découverte en compétition à l’âge de sept ans : « La technique dans l’eau est la plus exigeante. Tu dois être patient si tu veux devenir bon. » En conséquence, il accorde une grande importance aux séances de natation : « C’est la discipline dans laquelle tout triathlète peut le plus s’améliorer. »

Y ALLER

Vol vers Arrecife

Lanzarote, surnommée l’île de feu, est accessible en quatre heures depuis Zurich.

BON À SAVOIR

Pomme de terre canarienne

Les papas arrugadas ridées, avec leur peau et leur croûte de sel, se mangent avec du mojo, une sauce locale. Aussi délicieux : le gofio, qui se compose de maïs, de grains grillés ou d’autres céréales. Les Canariens le préparent de diverses manières : mélangé à du lait, il devient un dessert, ou on y ajoute du bouillon de poisson dans la variante salée et piquante.

le suivent.

:

sommes tous presque aussi bien préparés. C’est le muscle situé entre tes oreilles qui décide de la victoire ou de la défaite. »

Daniel nous explique à quoi ressemble l’univers mental d’un sportif professionnel.

« Comment je m’entraîne ? Avant de commencer à travailler avec un préparateur mental, j’étais déjà un perfec-

Pour atteindre son objectif de remporter un jour l’Ironman d’Hawaï, Daniel suit luimême un programme d’entraînement complet : une semaine de travail normale se compose de 7 heures de natation, 8 heures de course à pied et 20 à 25 heures de vélo : « On dit que les triathlètes se font souffrir. Mais c’est une question de point de vue. Quand je pédale pendant cinq heures en proftant du soleil et en écoutant le chant des oiseaux, je me réjouis d’avoir le meilleur job au monde. »

C’est sur son île préférée, Lanzarote, qu’il a remporté en 2021 l’Ironman-70.3, surnommé « la course sur une autre planète » en raison du paysage de lave. « Le triathlon n’est pas seulement un sport, c’est un style de vie. Je

remarque toujours que les personnes qui s’entraînent avec moi mènent leur vie activement et avec passion », s’exclame joyeusement Daniel Bækkegård.

C’est pourquoi un verre de vin ou une bière au bar font partie des moments conviviaux qui clôturent une journée d’entraînement : « Quand j’entraîne des groupes, je veille à ne pas épuiser les gens avec des séances trop intenses pendant la journée. Il est important d’avoir encore de l’énergie pour se divertir, célébrer la vie, et le moment présent. »

Post-scriptum sportif : « Lanzarote est un endroit merveilleux pour amorcer un entraînement et pour poursuivre ensuite chez soi. » Le vent en moins !

Lanzarote Club La Santa Arrecife kilomètres de course à pied Daniel Bækkegård (à gauche) donne le rythme, ses élèves triathlètes
THE RED BULLETIN 83
CARINA BRUNNAUER, KONSTANTIN REYER, CLUB LA SANTA

LESSING RELOADED

Les leçons des maîtres absolus de la pensée. Ce mois-ci, Gotthold Ephraim Lessing se penche sur les dérives asociales des médias sociaux.

En préambule, laissezmoi vous dire ceci : ce que vos contemporains et contemporaines trafcotent dans ces soi-disant médias sociaux est d’une vulgarité inouïe, si vous me permettez l’expression. Passer son temps à s’insulter et se démolir de la sorte, se traiter avec tant de haine… Non mais, franchement !

Vos progrès techniques sont indiscutables mais intellectuellement, alors là, pardon ! Je me demande bien ce qui est arrivé à toutes les grandes causes que nous avons défendues au XVIIIe siècle, le Moyen-âge des Lumières : raison, liberté de penser, autodétermination, rejet des dogmes poussiéreux et avant tout : tolérance dans les rapports humains.

À mon époque, voyez-vous, nous étions presque tous et toutes esclaves des dogmes de l’Église. On se débarras-

sait de la raison comme d’un corset trop exigu pour mieux engloutir aveuglément tout ce qu’on nous servait. J’ai parfois le sentiment que le monde moderne a fait marche arrière : le fond et la forme ont un peu changé mais on continue de prêcher ces dogmes avec autant de fanatisme et de les suivre avec aussi peu de recul qu’hier.

Certes, les formes varient (théories du complot, croyances scientifques surannées, fondamentalismes, idéologies) mais tous ces préceptes toxiques font cause commune : on les revendique au nom de la tolérance tout en étant profondément intolérant.

Vous savez ce qui m’enrage le plus ? On fait comme si on détenait LA vérité et que tous les autres étaient des abruti·e·s égaré·e·s qu’il fallait convertir. Ah, comme si c’était si simple. Cela me fait immédiatement

Gotthold Ephraim Lessing (1729–1781)

Il fut l’un des fers de lance des Lumières en Allemagne, et a prôné toute sa vie la tolérance et la liberté de pensée en insistant sur le fait qu’il ne pouvait y avoir de vérités définitives en matière de religion et d’éthique.

penser (sûrement pas par hasard) à mon Nathan le sage Que disait-il dans ce grand monologue que je lui ai servi ? Il ne faut pas prendre la vérité pour une simple pièce de monnaie que l’on peut mettre dans sa poche !

Non, on ne peut pas posséder la vérité. Celle-ci doit faire l’objet d’une quête perpétuelle, car on ne la détient jamais défnitivement. Ce qui fait la valeur d’un homme ou d’une femme, ce n’est pas la vérité qu’il pense posséder, loin s’en faut. Ce sont tous les efforts qu’il ou elle déploie au service de cette quête. Mais pour cela, une chose est nécessaire : penser ! Pour cela, il faut être prêt·e à accepter que ses propres opinions soient remises en question. Plus encore : il faut également être prêt·e à se remettre soimême en question.

De ce fait, le chemin de la vérité commence par la tolérance et l’acceptation. La tolérance, ce n’est pas de dire : « Je m’en fous. » Ça, c’est de l’indifférence. La tolérance signife plutôt : « Peut-être y a-t-il du vrai là-dedans, creusons un peu… »

Christoph Quarch, 58  ans, répond aux questions de demain au nom des penseurs d’hier. Philosophe, professeur d’université, et fondateur de la Nouvelle Académie de Platon (akademie-3. org), il est l’auteur de nombreux ouvrages philosophiques.

La tolérance n’est pas une attitude mais un objectif qui se renouvelle sans cesse. Pour s’épanouir, elle a impérieusement besoin d’un terreau fertile, ce postulat que ni moi ni personne d’autre ne peut prétendre détenir LA vérité et que détruire ou diffamer autrui n’a aucun sens « véritable ». C’est une leçon que beaucoup doivent réapprendre aujourd’hui, particulièrement au niveau des médias sociaux.

Voilà pourquoi je prône un Siècle des Lumières 2.0.

PENSER
84 THE RED BULLETIN PICTUREDESK.COM, ULRICH MAYER DR. CHRISTOPH QUARCH

Danger Mouse a sorti son nouvel album dans le cadre du groupe Broken Bells. Plus d’infos : brokenbells.com

LE SON DE L’ÂME

Le génie du son Danger Mouse fut le producteur d’Adele et Gorillaz.

Voici les chansons qui l’ont marqué.

« C’est une très belle chanson (de Gene Clark, ancien membre des Byrds, ndlr) qui raconte comment, d’une certaine manière, on se rapproche des gens qui peuvent nous faire du mal ; pour ne plus être blessé, on se met alors sous leur aile. Musicalement, la chanson est un mélange de country et de gospel. Elle est très profonde et mélancolique. Si vous ne la connaissez pas, écoutez-la. »

The Shins PHANTOM LIMB (2007)

« James (Mercer, chanteur des Shins, et son compagnon de groupe des Broken Bells, ndlr) a un sens de la mélodie si particulier ; il fait partie de ces gens qui, un peu comme les Beach Boys, peuvent faire une jolie chanson entraînante avec une dose de mélancolie en plus. Je ne sais pas ce que veulent dire les paroles. Je ne veux même pas le savoir, je peux ainsi simplement m’approprier la chanson. »

Accédez à la playlist de Danger Mouse sur Spotify en scannant le code ci-dessus.

Brian Burton, alias Danger Mouse, a produit des morceaux pour de grands noms de la musique – le deuxième album de Gorillaz notamment, quatre de The Black Keys – et a co-écrit et composé celui d’Adele, 25. Mais l’Américain pèse également en solo. Il s’est fait connaître avec The Grey Album en 2004, un mélange de voix tirées du Black Album de Jay-Z et d’échantillons du White Album des Beatles. Par ailleurs, au sein des Gnarls Barkley, il est à l’origine de l’énorme succès Crazy en 2006. Pour marquer la sortie de Into the Blue, troisième disque des Broken Bells – projet avec le chanteur des Shins James Mercer – l’homme de 45 ans a choisi quatre chansons qui ont marqué sa vie.

The Church UNDER THE MILKY WAY (1988)

« J’aurais aimé être ado quand cette chanson (du groupe de rock australien The Church, ndlr) est sortie, mais je n’avais que 11 ans à l’époque. Quand je l’ai entendue pour la première fois, j’ai eu un peu l’impression de vivre un chagrin d’amour. (rires) Ça me rend nostalgique et ça me donne envie d’être jeune et d’avoir le cœur brisé. J’aime tant cette période musicale – elle a une grande influence sur moi. »

« Une reprise légendaire de Walk On By de Burt Bacharach qui a incarné toute une époque et un son pour moi quand j’étais à l’uni. Elle combine la musique soul que mes parents jouaient, le hip-hop qui m’a influencé dans ma jeunesse et le genre de son psychédélique et de rock progressif à la Pink Floyd que j’aimais à l’époque. Avec ses douze minutes, c’est une déclaration artistique, un grand morceau. »

ÉCOUTER
Isaac Hayes WALK ON BY (1969) Gene Clark FROM A SILVER PHIAL (1974)
86 THE RED BULLETIN SHERVIN LAINEZ, NIKKI FENIX MARCEL ANDERS

Crispé mais efficace : une minute de sourire suffit pour libérer les hormones du bonheur.

LA FORCE DU SOURIRE

Quand les muscles arnaquent le cerveau : plus le sourire est crispé, plus la joie augmente, nous révèle le biohackeur allemand professionnel

Quand mon humeur menace de s’assombrir, que quelque chose me rend triste ou me met en colère, je sors ma botte secrète : je commence à sourire ! J’oppose un visage radieux à la morosité quotidienne, non pas par tempérament cynique ni par philosophie bouddhiste (je suis certes sur la bonne voie, mais je n’ai pas encore atteint la zénitude suprême) ; je me fends d’un sourire aussi large que possible parce qu’en tant que biohackeur, je sais que c’est un puissant activateur de bonne humeur.

Les circuits de régulation qui s’opèrent en coulisses ne sont guère complexes mais c’est ce qui fait leur charme : produire un sourire implique une contraction des muscles de notre visage. Le cerveau est informé de ce processus par des stimuli nerveux :

« Hey, les muscles A, B, C et D (notre visage n’en comporte pas moins de dix-sept au total) sont actifs ! » Que fait notre cerveau de cette info ? Une fois n’est pas coutume, il réagit sans trop se poser de questions et en tire la banale

RATATOUILLE

SOUS LE CRÂNE

Plus les muscles faciaux sollicités travaillent, plus le signal trompeur envoyé est précis, plus la réaction du cerveau, par conséquent, est fiable : notre cuistot hormonal se met aux fourneaux et libère sérotonine et dopamine.

conclusion suivante : il y a sans doute une raison. Car s’il y a bien quelque chose de profondément gravé dans notre cerveau, c’est que le sourire est toujours lié à une émotion positive.

L’absence de raison ne perturbe pas vraiment notre cerveau. Il part du principe qu’il a tout bonnement occulté l’info. Bonne pâte, il libère alors les hormones appropriées, ces puissantes drogues du bonheur que sont la sérotonine et la dopamine.

Notre cerveau s’est laissé berner par ce sourire d’opérette. Sournois mais redoutablement efficace. Le circuit de régulation du cerveau s’adapte et les effets ne se font pas attendre : au bout d’une minute, nous redoublons de bonne humeur. Alors, ne nous privons pas de cette action si simple et si efficace, et affichons la banane, aussi souvent que le cœur nous en dit !

Andreas Breitfeld, 49 ans, est le biohackeur le plus célèbre d’Allemagne. Il est chercheur dans son labo spécialisé de Munich. En termes simples, le BIOHACKING englobe tout ce que les gens peuvent faire eux-mêmes pour améliorer leur santé, leur qualité de vie et leur longévité.

OPTIMISER
88 THE RED BULLETIN PRIVAT ANDREAS BREITFELD BRATISLAV MILENKOVIC ´

LA PLUS CONFORTABLE DES CHAUSSURES DE COURSE *

Chez ASICS, le nom est tout un programme. Et ce littéralement, car ASICS signifie : Anima sana in corpore sano, « un esprit sain dans un corps sain ». Kihachiro Onitsuka, le fondateur d’ASICS, a constaté dans le Japon d’après-guerre que le sport avait un impact positif sur l’humeur. Depuis sa création, il y a plus de septante ans, la marque perpétue cet état d’esprit et se consacre à une mission : améliorer le bien-être de l’individu et de la société par le sport. Elle y parvient à l’aide de l’alliance de la recherche et de l’utilisation des technologies les plus modernes. ASICS mise sur l’innovation et le développement permanent et cela porte ses fruits : la nouvelle GEL-NIMBUS™ 25 a été jugée par des athlètes comme la chaussure de course la plus confortable, selon une étude indépendante réalisée par The Biomechanics Lab.

La languette en tissu respecte la peau et offre une aération optimale tout en garantissant une grande sensation de confort. Son col, en tissu lui aussi, offre une plus grande flexibilité et procure confort et stabilité au niveau de la cheville. La semelle intermédiaire apporte un amorti moelleux incomparable dans cette série. Grâce à l’amorti FF BLAST™ PLUS ECO, la chaussure de sport est plus légère et encore plus confortable.

Et comme ASICS évolue avec son temps dans tous les autres domaines, la chaussure a un impact négatif moindre sur l’environnement. Elle est en effet composée de 20 % ou plus de matériaux d´origine naturelle et renouvelable. ASICS ne se contente pas d’assurer des pieds

* Étude indépendante comparée à des produits concurrents, par The Biomechanics Lab, Australie.

infatigables : la veste pliable METARUN™ est parfaite pour les jours où le temps est changeant. Comme elle tient chaud et ne pèse presque rien, elle peut être facilement retirée et rangée dans le sac à dos pendant la course.

De plus, le short de course Split METARUN™ augmente la liberté de mouvement grâce à ses fentes latérales plus longues et à son tissu stretch. Ses multiples poches offrent en outre plus de possibilités de rangement. Tout pour un esprit sain dans un corps sain.

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COUREZ AVEC NOUS !

Préparez-vous au Wings for Life

World Run du 7 mai prochain grâce aux conseils éclairés de deux championnes, Fanny Smith (ski acrobatique) et Judith Wyder (skyrunning).

Averses, froid, ciel immuablement gris et sombre, dur de trouver la force d’aller courir en hiver. Pour se remettre vite en forme, rien de plus motivant que de se préparer à la nouvelle édition du Wings For Life World Run le 7 mai prochain. Chaque mètre parcouru est reversé à la recherche mondiale sur le traitement des lésions de la moelle épinière. Objectif : permettre aux personnes atteintes de paraplégie de remarcher un jour.

Pour la championne de ski acrobatique Fanny Smith, cette course est un rendezvous incontournable, pour des raisons très personnelles : « Un des mes collègues de freestyle est devenu paraplégique à la suite d’un grave accident. Je cours pour lui et pour toutes celles et ceux qui subissent le même sort », indique-t-elle.

Judith Wyder est tout aussi motivée : « C’est formidable de courir pour la bonne cause, je ne vais pas laisser passer ça », explique la coureuse d’orientation et de skyrunning, qui sera cette année au départ de la Wings for Life World Run pour la sixième fois.

Fanny Smith, 30 ans.

La championne de skicross suisse a décroché l’or aux mondiaux 2013 et le bronze olympique en 2019 et 2022.

Le plein de puissance Quelques conseils exclusifs de Fanny Smith pour bien muscler son corps.

1. Pied

Poser le pied droit sur un stepper et garder l’autre pied en l’air, jambe pliée. Par de légers mouvements du pied de la jambe d’appui, effectuer une rotation complète autour de son axe, puis changer de pied.

Objectif : renforcer l’équilibre et la force des pieds.

2. Genou

Toujours sur le stepper, en appui sur une jambe, bras posés sur les hanches. Effectuer lentement des flexions du genou. Faire attention à garder la cuisse de la jambe d’appui dans l’axe et à ne pas tourner le genou vers l’intérieur.

Objectif : renforcer et stabiliser le genou pour réduire les risques de blessure lors de la course.

S’ENTRAÎNER
90 THE RED BULLETIN

3. Cuisses et fessiers

Allongé·e sur le dos, jambes légèrement pliées, on soulève et abaisse le bassin d’environ 50 cm plusieurs fois de suite. Le poids se répartit entre le haut du dos et les pieds. Exercice supplémentaire : tout en se soulevant, lever alternativement jambe droite puis jambe gauche, tout le poids du corps repose alors sur un pied.

Objectif : renforcer les muscles des cuisses et des fesses.

Dans la bonne humeur : tout le monde peut participer à la Wings for Life World Run, ici à Zoug en 2022.

Judith Wyder, 34 ans.

La Suissesse est cinq fois championne du monde et six fois championne d’Europe de course d’orientation.

Courir plus longtemps Judith Wyder nous révèle comment améliorer toujours plus notre endurance.

1. Continuité Pour améliorer ses performances, il faut s’entraîner régulièrement. Le mieux est d’intégrer des sessions ludiques dans son planning quotidien.

2. Le bon rythme

La base de tout : trouver sa vitesse de course. Le rythme cardiaque ne doit pas être trop élevé, il faut être capable de courir tout en discutant.

3. Crescendo

Combien de temps et à quelle fréquence s’entraîner ? Il faut commencer par augmenter le nombre de séances, en passant de deux à trois sessions hebdomadaires après quelques semaines. On peut alors augmenter progressivement la durée des séances, en débutant par exemple par 20 minutes, puis en passant à 30 minutes et ainsi de suite.

4. Varier les plaisirs

Pour augmenter votre endurance, mieux vaut éviter la monotonie. Ne pas courir uniquement sur du plat, chercher des parcours agrémentés de montées et de descentes.

5. Repos

Les phases de régénération sont primordiales. Éviter les séances trop intenses la semaine précédant le Wings for Life World Run. Et la veille du grand jour, appliquer la règle d’or : manger normalement, sans se priver mais sans se bâfrer non plus.

C’EST L’APPLI MON KIKI !

Tout sur l’appli et les modalités du Wings for Life World Run

Que vous soyez pro, amateur, amatrice ou souffrant d’un handicap moteur, le Wings for Life World Run est ouvert à tout le monde, autant sur place que via l’appli.

Le gong de départ résonne au même moment dans le monde entier, à 11 heures UTC. Pas de ligne d’arrivée mais un « catcher car », véhicule qui se lance à la poursuite des participant·e·s 30 minutes après le départ et commence à les dépasser petit à petit. Les coureurs et coureuses les plus tranquilles se font habituellement dépasser au cinquième kilomètre, les athlètes de haut niveau au soixantième kilomètre. Le résultat dépend de la distance parcourue.

Même principe pour l’appli Run et son catcher car virtuel : sessions d’entraînement avec véhicule virtuel sur les talons, retransmission des actualités et mises à jour en live. Le jour de la compétition, assistance audio intégrale avec toutes les infos pratiques, programmes d’échauffement, interviews des participant·e·s et bien plus encore…

wingsforlifeworldrun.com

Vous voulez participer et soutenir la bonne cause ?

Alors scannez le code QR ci-dessous et inscrivez-vous !

THE RED BULLETIN 91 DEAN TREML/ROMINA AMATO/ATTILA SZABO FOR WINGS FOR LIFE WORLD RUN, LORENZ RICHARD/RED BULL CONTENT POOL GUNTHER MÜLLER SASCHA BIERL

BREAKS NON STOP

Velofestival, gaming, breaking…

Les événements à ne pas manquer !

MAI RED BULL BC ONE CYPHER SWISS FINAL

Le 20 mai 2023, les quatre meilleures B-Girls et seize B-Boys helvétiques s’affronteront à Zurich lors du Red Bull BC One Cypher Switzerland. Lors de la plus importante compétition nationale de breakers en solo, ils mettront le feu à la Halle 622. Il ne s’agit pas seulement de savoir qui gagnera l’estime de la scène suisse du breaking, mais aussi de répondre à la grande question : quelle B-Girl et quel B-Boy représenteront la Suisse à la Red Bull BC One World Final en octobre 2023 ? Billets pour la 1-on-1 Breaking Battle sur : redbull.com/bconeswitzerland

AU 22 AVRIL JUMPS MASSIFS CHEZ LES SWATCH NINES

AVRIL RED BULL HOMERUN PARTY

La course de ski et de snowboard downhill la plus folle fait une halte à Verbier : le Red Bull Homerun est une pure folie, les participants et participantes courent vers leurs skis et snowboards dans un départ en masse, puis se précipitent vers la vallée. Ensuite : direction la meilleure after-party de la saison. Infos : redbull.com/homerun

Le meilleur du freeski et du snowboard, ainsi que l’un des snowparks les plus innovants jamais construits : voici l’avenir des sports d’hiver. Bienvenue aux Swatch Nines ! Cette année, elles se dérouleront au pied du Schilthorn, avec une vue imprenable sur l’Eiger, le Mönch et la Jungfrau. World firsts, sauts incroyables et prouesses athlétiques virales sont au programme !

AVRIL

MEDIA WORLD : WATER –BREAKING THE SURFACE

Retenir son souffle lorsqu’une vague monstre s’abat sur soi ou se tenir sur la plateforme de Red Bull Cliff Diving de Sisikon, haute de 27 mètres : au cours de l’exposition spéciale Water – Breaking the Surface, on peut s’immerger dans des sports aquatiques extrêmes et dans les narratifs des athlètes Red Bull. Toutes les infos sur : redbull.com/mediaworld

AU 14 MAI VELOFESTIVAL CYCLE WEEK

La Cycle Week, festival national du vélo, est la plus grande vitrine de vélos de Suisse. Rendez-vous à Zurich pour découvrir les nouvelles tendances et tout ce qui est cher aux fans de vélo. Ce sont 150 ateliers, reportages de voyage, cours de technique de conduite, innovations, tests approfondis, spectacles et concours autour du vélo qui attendent les visiteuses et les visiteurs. Toutes les infos sur : cycleweeek.ch

SE DÉTENDRE
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B-Boy Junior et B-Girl Kalli au Red Bull BC One Cypher.
92 THE RED BULLETIN MURIEL FLORENCE RIEBEN/RED BULL CONTENT POOL, SIMON VON GUNTEN, JOERG MITTER/RED BULL CONTENT POOL, JAN CADOSCH/RED BULL CONTENT POOL, FABIO PIVA/RED BULL CONTENT POOL

AU 23 AVRIL RED BULL ZÜRICH UNLOCKED

Un événement unique en son genre réunira plus de dix clubs et bars de la ville sous un même toit le temps d’un long week-end. En effet, lors du ’Red Bull Unlocked Zürich, la Kalandergasse 1 se transforme en une immense mansion où bars, dancefloors, expériences, restaurants et bien d’autres surprises sont proposés par les acteurs et actrices de la vie nocturne zurichoise. Une expérience extraordinaire dans un lieu extraordinaire… pour une nuit tout aussi extraordinaire ! Toutes les infos sur : redbull.com/unlocked

MARS

RED BULL ITe MANIA LEAGUE OF LEGENDS

Le jeu en ligne League of Legends au rythme effréné sera disputé par la Team Ocean et la Team Inferno, chacune avec un design et un style de jeu uniques, sur différents champs de bataille. L’enjeu est de 2 000 CHF, sans parler de l’honneur. Infos sur : redbull.com/itemania

ER AVRIL ESQUISSES CRÉATIVES POUR RED BULL DOODLE ART

Le dessin Doodle est à la mode ! Les petits gribouillis artistiques aident à se vider la tête. Red Bull Doodle Art donne aux personnes créatives l’occasion de laisser libre cours à leur imagination. Il suffit de se munir d’un stylo bille bleu ou noir, d’une feuille de papier A4 et d’un peu de talent pour dessiner. Les vingt meilleures soumissions suisses seront exposées à la Maison de la calligraphie à Zurich.

MARS AU 2 AVRIL FINALE DU FREERIDE WORLD TOUR

La station de sports d’hiver de Verbier accueille chaque année la finale du Freeride World Tour : après quatre compétitions autour du globe, les meilleur·e·s de la catégorie freeride du monde se rencontrent dans le cadre de l’événement Xtreme au légendaire Bec des Rosses, à 3 222 m d’altitude, et s’affrontent pour le titre de champion·ne du monde. Des passages étroits et des pentes extrêmes sur la face nord assurent un spectacle impressionnant. freerideworldtour.com

16 AVRIL MAN’S WORLD

Déguster du whisky ou du gin avec des amis, tester ses talents de pilote dans un simulateur de vol sous les yeux d’un vrai pilote, découvrir des produits hors du commun : c’est tout ce que propose cette foire, un terrain de jeu pour les hommes sur une surface de 2 500 m², dans la Halle 550 à Zurich-Oerlikon. Infos sur : mansworld.com

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Hot spot pour le freeriding : le flanc du Bec des Rosses.
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d’une époque où le pape avait jeté l’opprobre sur l’infamante pilule contraceptive en la déclarant « interdite pour toujours », où les femmes en Suisse n’avaient pas le droit de vote… Une époque pas si éloignée que ça : c’était les années soixante. C’était hier.

À cette même époque, à Flensbourg, en Allemagne, une femme décide d’ouvrir un magasin spécialisé « dans l’hygiène maritale » : nous sommes en 1962 et Beate Uhse inaugure le premier sex-shop de la planète. Cette petite bourgade tranquille va être le théâtre d’une véritable révolution sexuelle. À l’intérieur de sa boutique, madame Uhse propose de la lingerie, des préservatifs et – comble de l’horreur – des manuels d’éducation sexuelle, destinés à éclairer ces messieurs sur les mystères de la sexualité féminine, une terra incognita considérée à l’époque avec un mélange de curiosité malsaine, d’effroi et de dégoût. Les petites brochures vendues dans la boutique racontent pourtant que le plaisir des femmes est une chose saine et qu’il favoriserait même l’union du couple. Le succès est immédiat : dans les premiers mois, les vendeurs – car il n’y a alors que des hommes derrière le comptoir –voient arriver de plus en plus de clients – des hommes, uniquement – les yeux baissés, le col de leur manteau relevé, demandant conseil à voix basse ou s’en allant feuilleter furtivement dans un coin quelques illustrés.

L’auteur autrichien Michael Köhlmeier raconte les destins hors du commun de personnages inspirants, dans le respect des faits et de sa liberté d’écrivain.

EN VERTU DU VICE

Ce mois-ci : comment Beate Uhse, ancienne pilote d’avion allemande, a ouvert le premier sex-shop au monde.

Je vous parle d’une époque où les piscines municipales étaient interdites aux femmes en bikini, où le chef-d’œuvre d’Ingmar Bergman, Le Silence, était interdit dans de nombreux pays européens, une époque où les femmes avaient besoin de l’autorisation de leur mari pour exercer un métier ou avoir un compte en banque, où l’homosexualité était punie par la loi, une époque où l’Église catholique racontait aux jeunes garçons que la masturbation était dangereuse car elle les privait à jamais de leurs précieuses réserves de sperme – à trop se masturber, on devenait stérile ! Je vous parle

Bientôt, la petite boutique de Flensbourg ne sufft plus : c’est toute l’Allemagne qui s’offre à Beate Uhse. Nous sommes juste avant mai 1968, juste avant le Sommer of Love et cette pimpante quadragénaire va surfer sur la vague de la libération sexuelle en devenant l’une des fgures les plus emblématiques de l’émancipation féminine en Allemagne.

Lorsqu’elle ouvre le tout premier sex-shop au monde, à l’âge de quarante-trois ans, Beate Uhse est déjà un personnage atypique, une femme pas comme les autres. Adolescente, elle se passionne pour les sports en tous genres et devient, à quinze ans, championne du lancer de javelot dans sa région natale, la Hesse. Course à pied, saut en longueur, voile, natation : elle excelle dans tous ces autres sports, mais le javelot l’attire plus particulièrement. La raison ? Cette discipline, comme le tir à l’arc – encore interdit aux femmes – lui rappelle les intrépides Amazones, dont elle dévore les histoires dans ses livres de jeunesse.

Beate grandit dans une famille de libres penseuses et penseurs, ouverte sur le monde et sans aucun tabou. Sa mère est l’une des premières femmes médecins à exercer en Allemagne : Beate voit passer, dans le cabinet de sa mère, de nombreuses femmes qui viennent de loin, parfois même de Berlin ou de Hambourg, pour se faire soigner par cette femme émancipée, qui éduque ses deux flles et son fls de la même façon, sans distinction de sexe – une attitude rarissime à l’époque. Les parents leur parlent ouvertement de sexualité et la jeune Beate se rend compte très tôt du fossé qui la sépare des autres jeunes gens de son âge. Au début, cette particularité la déroute, elle a du mal à défnir ce qui peut se dire en public et ce dont il « faudrait » avoir honte… La pudeur est un mot qui lui est étranger, et la jeune flle redoute de passer pour une brebis galeuse.

BOULEVARD DES HÉROÏNES
94 THE RED BULLETIN
MICHAEL KÖHLMEIER GINA MÜLLER, CLAUDIA MEITERT GETTY IMAGES (7)

Mais qu’elle le veuille ou non, Beate est un être à part. Une femme qui marchera toujours en dehors des clous. Une briseuse de tabous. Passées les premières appréhensions, la jeune flle embrasse sa destinée d’éternelle marginale : elle a dix-sept ans lorsqu’elle décide de devenir pilote d’avion, une idée qui lui vient de son admiration pour Charles Lindbergh, premier pilote à avoir traversé l’Atlantique en solitaire, en 1927. Son père s’oppose à sa décision, mais la jeune flle s’entête : fnalement, avec le soutien de sa mère, elle s’inscrit à l’école d’aviation et obtient son diplôme de pilote le jour de ses 18 ans. La présence d’une femme au sein de l’école dérange : un homme politique de Berlin, haut placé, vient voir les jeunes recrues en leur demandant de n’en parler à personne, car cela pourrait motiver d’autres femmes à s’intéresser aux métiers « masculins ». Pour la jeune Beate, ce diplôme marque le début d’une longue carrière dans l’aviation – elle sera la première femme cascadeuse de son pays et nommée capitaine d’escadron durant la Seconde guerre mondiale. De son passé dans la Luftwaffe, Beate – qui porte désormais le nom de son défunt mari, Hans-Jürgen Uhse – refusera toujours de parler après la guerre, ce qu’on lui reprochera souvent. En réponse aux critiques à son adresse, la féministe Alice Schwarzer écrit dans son magazine Emma : « Beate Uhse est une femme libre. Une femme qui s’est émancipée de sa condition féminine pour se mesurer aux hommes. Une femme qui peut et qui ose tout faire. Qui n’hésite pas à aller au front pour se battre aux côtés de ses camarades. Que ce soit pendant la guerre des nazis ou la guerre du sexe, Beate Uhse se bat. Hier avec des bombes, aujourd’hui avec des flms pornos. »

La fn de la guerre sonne le glas de sa carrière d’aviatrice : Beate Uhse se voit interdire d’exercer son ancien métier et peine à se défaire de son étiquette d’ancienne « guerrière nazie ». Or – et c’est une leçon qu’elle apprendra à ses dépens – rien de tel pour se débarrasser d’une image désastreuse que de s’en coller une encore pire sur le dos. Car il faut bien se l’avouer : dans l’Allemagne d’après-guerre, s’il est une réputation pire encore que celle d’ancien nazi, c’est bien celle de « briseuse de tabous » osant parler ouvertement de sexualité et de désir – a fortiori quand on est une femme ! Les années cinquante sont encore marquées par un conservatisme patriarcal dominé par l’Église, qui assène à ses millions de fdèles que la sexualité – surtout celles des femmes, évidemment –ne doit et ne peut servir qu’à la procréation.

Choquée par l’étendue de l’ignorance des femmes sur les différentes méthodes contraceptives et par l’incapacité de ces dernières à parler ouvertement de sexualité à leurs maris, Beate Uhse a l’idée de publier, juste après la guerre, une brochure sur le sujet : elle y parle de la méthode Ogino, du « coïtus interruptus » et de toutes les manières possibles de se donner du plaisir sans risquer de tomber enceinte. Baptisée Schrift X, la petite brochure d’à peine deux pages, vendue cinquante pfennigs par pièce, connaît un succès foudroyant, à la hauteur du scandale qu’elle suscite à l’échelle nationale – auprès de l’Église et des autres

institutions moralisatrices, pour qui toute tentative de contraception est un péché honteux. Ces années d’après-guerre marquent pourtant un tournant dans le comportement sexuel des gens : devant l’incertitude de l’avenir et l’urgence d’un pays à reconstruire, la plupart des couples ne peuvent et ne veulent plus multiplier les naissances. L’enfant n’est plus vu comme un investissement nécessaire pour s’assurer de vieux jours plus ou moins tranquilles… La sexualité s’affranchit de l’acte purement reproductif, et le besoin d’information sur les différentes manières de la vivre pleinement devient crucial : c’est ce qui explique pourquoi la petite boutique de Flensbourg a tout de suite attiré des hordes d’Allemands en quête de savoir.

Débarrassée de son étiquette d’ancienne pilote nazie, Beate Uhse devient la nouvelle passionaria du sexe, une Mère Courage en guerre contre l’hypocrisie puritaine de son temps. Être comparée au personnage de cette héroïne dépeinte par Bertolt Brecht dans sa pièce éponyme ne pouvait que plaire à Beate Uhse : Mère Courage est certes une profteuse de guerre mais elle ne fait que s’adapter du mieux qu’elle peut au marasme de son époque afn de sauver sa peau et celle de ses enfants. Une fgure ambivalente qui décrit parfaitement la femme d’affaires – propriétaire de la plus grande chaîne de sex-shops en Europe et réalisatrice de flms pornos – qu’elle deviendra à la fn des années soixante.

Retour en 1962, juste avant l’ouverture de sa toute première boutique d’hygiène maritale : devant le risque réel d’attaques et de manifestations – des associations catholiques ont appelé à des actions – l’avocat de Beate Uhse lui conseille de fxer l’inauguration du magasin le jour de Noël. Il espère que les « braves gens » n’oseront rien entreprendre de violent en ce jour sacré pour la communauté chrétienne. Il voit juste : les associations religieuses se contentent de porter plainte en invoquant le paragraphe 184 sur les délits de « fornication et atteinte aux bonnes mœurs » – paragraphe qui sera supprimé quelques années plus tard, grâce notamment aux actions menées en justice par Beate Uhse.

La fn des années 60 et le mouvement de libération sexuelle qui l’accompagne va marquer un tournant dans la carrière de Beate Uhse, dont le nom apparaît bientôt dans toutes les rues commerçantes de la République Fédérale Allemande. Célébrée comme l’une des femmes d’affaires les plus importantes de son pays, elle reste fdèle à ses idées en devenant le premier sponsor du légendaire « Love and Peace Festival » qui eut lieu sur l’île de Fehmarn en 1970 – ce fut d’ailleurs la dernière apparition publique de Jimi Hendrix, puisqu’il mourut douze jours après son concert.

Michael Köhlmeier est considéré comme l’un des meilleurs conteurs du monde germanophone. Dernière parution : La petite fille au dé à coudre, Éd. J. Chambon, 2017.

Vers la fn de sa vie, Beate Uhse fut décorée de l’ordre du mérite allemand et – comble du bonheur pour elle –devint même citoyenne d’honneur de Flensbourg : une belle revanche pour cette femme qui s’était vue autrefois refuser l’entrée au club de tennis local, à l’époque où son nom était traîné dans la boue. La grande dame du porno passa son brevet de plongée à l’âge respectable de septante-cinq ans et mourut quelques années plus tard, le 16 juillet 2001. Elle avait 81 ans.

THE RED BULLETIN 95

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LONGINES SPIRIT
Marco Odermatt
HORS DU COMMUN THE RED BULLETIN 01/2023

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