LE R É ALISTE
Le leader de la RED BULL – BORA –HANSGROHE a fait de sa lucidité une force
Votre magazine offert chaque mois avecBRASSÉE PAR CARLSBERG. DESIGNÉE PAR HAY.
Contributions
GIANFRANCO TRIPODO
Basé en Espagne et publié par le New York Times, le Financial Times ou Rolling Stone, le photographe a réalisé notre cover avec Wout van Aert l’an dernier. Il a cette fois rencontré Primož Roglič pour un shooting au sprint à Monaco. Le coureur de la Red Bull - Bora - hansgrohe est particulièrement attendu sur nos routes cet été… P. 26
DOLORES BAKELA
La place des femmes noires dans l’industrie musicale, celle des rappeuses, de leur représentation, est au cœur de son travail journalistique. Dolores a interrogé Leys, « l’avenir d’un rap intéressant et textuellement exigeant » à propos de son premier EP, paru après des années en activité, à l’heure des sorties tous azimuts. P. 50
EMINE SANER
« Derrière Amber, alors qu’elle se préparait à sauter de la montagne, j’ai eu la nausée, raconte la rédactrice du Sussex, qui s’est rendue en Norvège pour voir la wingsuiteuse Amber Forte à l’œuvre. Mais j’ai beaucoup appris d’elle », comme son affirmation radicale selon laquelle les sentiments instinctifs peuvent être surestimés. P. 64
TOUT EST POSSIBLE
La victoire comme la défaite. C’est ainsi que l’on pourrait résumer la philosophie du cycliste pro Primož Roglič, l’un des meilleurs au monde, face à la compétition, la performance de groupe et la réussite personnelle. Celui qui est attendu à la tête de l’équipe Red Bull - Bora - hansgrohe sur le Tour de France cet été se révèle un athlète lucide. Sur quoi peut-il agir ? Que peut-il contrôler ? Ses réponses et nos analyses vous attendent grâce à l’entretien réalisé en exclusivité avec lui à Monaco début mai.
À ses côtés dans ce numéro du Red Bulletin, d’autres fgures du sport (wingsuit, handi surf), et des talents en ascension issus du monde de la culture, du rap en particulier. Et pour consolider ce peloton, le photographe le plus marquant de cette scène ces dernières années, Fifou, qui nous a confé ses images et ses mots et revient sur son évolution remarquable ces quinze dernières années.
Bonne lecture ! Votre Rédaction
GALERIE 6
LE FORÇAT DU BIKE 12
LE SON VISUEL DE MINO 14
CASEY MQ 16
PLAYLIST : JEUNE LION 18
HÉROS & HÉROÏNES
JASMIN PARIS 20
Impossible ? Jasmin Paris, 40 ans, première femme à terminer le terrible ultra-trail de la Barkley.
SHABAKA HUTCHINGS 22
Plaquer son saxophone pour une fûte ? Pour cet incroyable musicien, le changement a du bon.
LLYWELYN WILLIAMS 24
Comment ce BASEjumper unijambiste a persévéré et est devenu champion du monde de para surf.
CYCLISME
PRIMOŽ ROGLIČ 26
Passion, sang-froid, lucidité : dans la tête du leader de l’équipe la plus attendue du Tour 2024 : Red Bull - Bora - hansgrohe.
PORTRAIT
FIFOU 36
L’esthétique du rap français lui doit énormément : comment sa passion pour l’image a mené Fifou dans le core du core de cette scène.
DÉCOUVRIR
LEYS
Rares sont les artistes rap qui font l’unanimité. Des femmes qui plus est. C’est le cas de Leys, jeune Rémoise.
PORTRAIT
À la production derrière des boss du rap US, Blxst confrme son ascension avec un LP et un Coachella.
PORTRAIT
LOSSAPARDO 60
Compositeur, chanteur, peintre, réalisateur… Libre ! Pourquoi se cantonner à une discipline quand votre créativité est débordante.
CULTURE AMBER FORTE 64
Une vie diférente de celle des autres, pas ordinaire. C’est grâce à la wingsuit que cette Anglaise a fait d’un rêve d’enfance une réalité.
PERSPECTIVES
VOYAGE : BIKERAFTING 77 MIND SET WIN : SIYA KOLISI 82
GAMING : SCÉNARISEZ ! 84 MATOS : SPÉCIAL VTT 86 AGENDA 97 MENTIONS LÉGALES 97
POUR FINIR EN BEAUTÉ 98
Cap, Espagne
POUSSER LES MURS
« La Muralla Roja », le mur rouge, c’est le nom de ce lotissement de vacances conçu par l’architecte culte Ricardo Bofll et situé directement sur la Costa Blanca, c’est-à-dire la côte blanche. Le gars téméraire tout au fond ? Le pro du BMX austro-croate Senad Grosic, qui s’exécute ici aussi au nom de l’art « pour ajouter de l’action dans ce cadre », explique le photographe Lorenz Holder. Ce qui lui vaut une place en fnale du Red Bull Illume. lorenzholder.com ; redbullillume.com
Gävle, Suède
FARINE À GOGO
« On aurait dit que Pablo Escobar avait organisé une fête dans le skatepark. Il n’a pas fallu beaucoup d’essais à Rickard pour réussir un ollie parfait, dit le photographe suédois Daniel Bernstål à propos de cette photo réalisée avec le skateur Rickard Nilsson. Au début, nous n’avions mis de la farine que sur le quarter pipe, mais cela ne donnait rien, alors on en a mis partout ! », explique Daniel, à propos de l’ambiance très poudreuse de cet ouvrage. redbullillume.com
« Sur l’île de Hiiumaa, il y a un spot de windsurf appelé Ristna. Lors de grosses tempêtes dans la mer Baltique, ça se lève vraiment et crée d’énormes vagues, mais lorsque le vent tombe, les vagues restent : des conditions parfaites pour le surf. Cette photo a été prise lors d’une de ces journées vers la plage, à travers le magnifque sentier forestier. » Un jour de rêve pour le photographe Roman Neimann et ses potes surfeurs à bord du pick-up Ford. redbullillume.com
Akureyri, Islande
LONG COURRIER
291 mètres ! Le Japonais Ryōyū Kobayashi –174 centimètres, 59 kilos – détient depuis le mois d’avril le record du monde non ofciel de vol à ski. La star du saut à ski de 27 ans, au talent exceptionnel, a performé un vol de huit secondes, après avoir sauté d’un tremplin spécialement construit pour lui dans les montagnes d’Islande. Avec cette distance, Kobayashi a dépassé de 37,5 mètres le précédent record de Stefan Kraft. « Ce vol record sera ma source de force personnelle pour l’avenir », a déclaré le champion olympique connu pour son calme stoïcien.
L’incroyable performance de Kobayashi ici en vidéo !
Instagram : @ryo_koba
RIDESTREAK
Un jour sans fn
En 2014, Colin Gay, alors cycliste novice, décide de se refaire une santé. Depuis, il parcourt au moins 48 km par jour. L’objectif de l’Américain ? Atteindre 10 000 jours, point barre.
En semaine, Colin Gay se met en route à 4 heures du matin pour un tour de 48 km dans le noir complet. Si la météo annonce de la neige, il règle son réveil à 23 h 50 pour décoller à minuit et rentrer avant que le temps ne se gâte.
Une détermination d’athlète de haut niveau à l’approche d’une course décisive. Mais Gay, de Charlottesville (Virginie, USA), n’est pas un pro et ne s’entraîne pas non plus en vue d’une compétition. Mais il a déjà passé près de dix années à la poursuite d’une quête extraordinaire, que certains qualifieraient même de démentielle : rouler chaque jour que Dieu fait 10 000 jours de
pour se remettre en forme. Là où la plupart commenceraient par quelques sorties ponctuelles, Gay (qui a peut-être fait vingt fois du vélo dans sa vie), se fixe comme objectif de rouler cent jours de suite.
« Je suis respectueux des règles, dit-il. Ma devise n’est pas de savoir si je vais sortir à vélo mais quand je vais sortir. C’est non négociable. »
suite. « N’importe qui peut le faire, même si personne de sensé ne le ferait, explique le père de deux enfants âgés de 48 ans. Mais quand on veut changer les choses, ça ne se fait pas en 48 heures, il faut des mois voire des années. C’est du long terme. »
Et sa mission est la définition même du long terme : lors de notre interview, Gay en est à sa 3 397e journée consécutive en selle. Il poste chaque sortie (soit les 187 000 km parcourus jusqu’à présent) sur son compte IG : @Ridestreak. Tout commence en 2014 quand l’ancien lycéen sportif reconverti en coach de football américain emprunte un vélo
Après cent jours, Gay décide de passer à mille, puis une fois l’objectif atteint, le multiplie par dix. Les règles sont simples : les sorties doivent avoir lieu chaque jour, en plein air, et faire au moins 48 km. Combiner cela avec un job à plein temps (il vend des services informatiques au gouvernement américain) et une vie de famille représente un sacré défi logistique, d’où les sorties matinales. Les cent premiers jours, Gay écoutait de la musique puis s’est dit que ce serait plus productif de « réfléchir un peu. C’est passé d’une question de forme physique à quelque chose de plus centré sur le bien-être mental, une sorte de méditation. J’ai toujours eu la tête encombrée, ces moments de déconnection me font donc le plus grand bien. » Ni le confinement ni des calculs rénaux pourtant très douloureux ne l’ont arrêté : « Ne rien faire aurait été pire. »
Ce qui lui plaît le plus dans ce défi (qui ne se terminera pas avant 2042, à 66 ans), c’est qu’il n’y a pas de raccourcis : « On ne peut pas gruger en faisant deux sessions par jour. »
Un sens des responsabilités aux retombées positives : au bout de 25 ans, Gay a décidé de changer de boîte et sa passion l’a aidé à décrocher son nouveau job : « Ils cherchaient un gars fiable et régulier ! »
En cas de force majeure (par ex. une jambe cassée), Gay a déjà un plan : « Si je manque une seule journée, je remets les compteurs à zéro et je recommence tout. »
IG : @ridestreak
THE MOST CAPABLE RARELY GO IT ALONE.
THE MOST CAPABLE RARELY GO IT ALONE.
La musique autrement
Depuis un an, MINO propose d’écouter des albums dans des salles de cinéma en mêlant le son aux images. Et tente de remettre la musique au centre des débats.
En 2015, Terrence Nguea, fondateur de l’agence MINO, est à Montréal et assiste à une projection, dans une salle de cinéma, du clip de Wolves de Kanye West. Le jeune homme est soufflé. L’alliance du son et des images, projetés dans une salle aux qualités acoustiques optimales, décuple la portée de la musique.
« En sortant de là, je me dis qu’il est certain que dans le futur, on ira écouter des albums au cinéma », se souvient Terrence. De retour à Paris, il s’implique dans la gestion d’un label, et alors que le streaming prend de l’ampleur, il se sent submergé par le flux de sorties musicales hebdomadaires. L’envie de s’inscrire à contrepied de l’époque se fait
tenace. « On est tellement bombardés d’informations que je trouvais que la musique perdait de son sens, analyse-t-il. D’un côté, les fans ne vivent pas une expérience optimale car ils ne peuvent pas tout ingérer, et de l’autre, les artistes sont dans un embouteillage. Ils ont beau avoir passé deux, trois ou quatre ans sur un album, il ne vit que deux semaines. »
En 2021, Terrence commence à planter les graines de MINO et fédère une équipe autour de lui. Au cœur de leur démarche, une philosophie : la musique ne se consomme pas, elle se vit. Et pour la vivre, il faut s’y immerger. Comprendre ses nuances et ses partis-pris. Se concentrer sur
L’Atelier des Lumières à Paris qui accueillait en avril l’écoute de l’EP de Yaïr, L’amour c’est comme le feu
Pourquoi écouter un nouvel album seul·e, au casque, sur son smartphone ? Avec MINO, la musique se découvre dans un mode expérientiel.
ses messages et ne pas se laisser distraire par des éléments parasites. Deux ans plus tard, l’agence monte son premier événement. Elle organise une écoute collective d’Utopia de Travis Scott dans un cinéma : une heure de musique en fixant un écran, rien de plus. « Le cinéma, c’est un peu la même chose que la musique, explique Terrence. Avec le streaming, tu es face à tellement de possibilités que tu mets longtemps à choisir quelque chose. Sauf que dans une salle de cinéma, tu es captif, et ton rapport à l’œuvre est foncièrement différent. »
Le succès est au rendezvous et il est alors temps d’être plus ambitieux. Des albums de Drake, de Damso et de Kanye West sont diffusés et font salle comble. Avec le cinéma en guise de décor, ils mêlent la musique aux images, en créant des montages à partir de clips. Des labels s’intéressent vite à leur démarche, et bientôt, MINO organise des séances d’écoute d’albums de Zamdane, de Swing ou de
MINOKerchak. Début avril 2024, l’album Blonde de Frank Ocean est projeté à la Gaîté Lyrique, avec des animations créées spécialement pour l’occasion. Le disque s’y prête : Blonde est une affaire d’introspection, d’émotions et de questionnements existentiels. C’est une expérience intime, qui prend une autre dimension dans un cadre immersif.
Les cinq cents tickets sont épuisés en moins d’une minute. Une heure avant l’ouverture de la billetterie, douze mille personnes sont connectées au site de MINO, preuve que le modèle porte ses fruits. La suite ?
L’objectif d’ouvrir la première salle d’écoute de musique immersive, avec une programmation récurrente, et de développer MINO à l’international. « Notre envie n’est pas de remplacer le streaming, conclut Terrence. Nous ne sommes pas dans une démarche réactionnaire, mais plutôt de prolongement de l’expérience d’écoute. » Jusqu’à devenir le GaumontPathé de la musique ? mino.co ; @__mino
CASEY MQ
Fabrique des souvenirs
Le producteur canadien Casey MQ redéfnit la frontière de l’inconscient et du subconscient avec ses ballades minimalistes et plaintives.
Après son premier album babycasey, qui offrait une vision déconstruite des boys bands des années 2000 à travers le prisme de l’enfance, l’artiste, compositeur, producteur et DJ de l’emblématique queer party Club Quarantine (online dance party apparue pendant la COVID-19), revient avec un album hypersensible et fantaisiste qui fait appel à la mémoire : Later that day, the day before, or the day before that. Adieu l’esthétique bubblegum-pop, pour faire place à des ballades hyperpop qui préservent les envolées lyriques de l’artiste torontois. Ambiance baroque et vaporeuse pour un esprit éthéré, voici tout l’objet de cet album, dont la genèse survient à un moment crucial
pour le producteur qui se questionnait sur la notion de l’acte d’oublier : « Qu’est-ce que cela implique vraiment, comment cela se produit, pourquoi cela se produit et où cela va-t-il ? Je veux une identité, mais j’oublie qui je suis. »
En revenant à sa formation de piano classique mêlée à son savoir-faire des musiques électroniques, Casey MQ s’interroge et nous interroge sur la tendance de notre esprit à se déformer et à se projeter sur des images du passé. Comme s’il existait une certaine souplesse de la mémoire, qui relèverait d’une adaptabilité parfois volontaire, parfois inconsciente dû à des sentiments éprouvés : joie, tristesse, amour, espoir ( Tennis
La cover de l’album a été dessinée par Jimmy Beauquesne.
Man), etc. Une réflexion sur le souvenir, qui s’exalte et prend tout son sens sur le dernier morceau de l’album, The Make Believe – en collaboration avec son amie, la productrice française Oklou –, dont il dira : « Cette chanson constitue une lettre d’amour à des souvenirs en constante évolution. Je l’ai écrite lorsque j’avais besoin d’être rassuré. J’ai souvent eu l’impression d’être des morceaux d’un moi dispersé et d’avoir besoin de me confronter à des souvenirs en perpétuel mouvement et à des pertes quotidiennes. »
En effet, pour Casey MQ, il peut y avoir de la joie dans l’oubli : « La chanson, pour moi, ressemble au soutien ou aux conseils d’un ami aimant, alors exprimer ce sentiment avec l’une de mes meilleures amies m’a semblé juste. »
Écouter, Later that day, the day before, or the day before that, c’est se laisser caresser la peau par un doux vent d’été, tandis qu’on se laisse aller à ses rêveries, seul·e, dans un pré au milieu de nulle part, ou bien dans un parc, pour les citadin·e·s. Un temps propice à l’oubli grâce auquel se remémorer les choses qui comptent, fait du bien, et se souvenir des maux qui nous entourent permet de faire le point. En somme, exposer sa vérité personnelle. Alors de l’addition de ses, de nos souvenirs, qui constituent des histoires, le producteur Casey MQ en a fait un monde sonore texturé –en puisant son inspiration dans les œuvres de Claude Debussy, Joni Mitchell et Joe Hisaishi (Studio Ghibli) – comme s’il voulait nous montrer qu’il existe d’autres possibilités et que tout est sujet à interprétation ( Words For Love).
En parallèle de son album, Casey MQ a développé une newsletter (Substack de Casey MQ), dans laquelle chacun·e peut suivre la trajectoire de sa réflexion musicale, entre texte
Fort de ses collaborations avec Oklou et Shygirl, Casey MQ qui a déjà signé la BO de huit films à ce jour, a remporté en 2022, le Canadian Screen Award de la meilleure chanson originale avec And Then We Don’t
et photos de son environnement et « discuter de choses que je ne comprends pas ». Un moyen de créer une nouvelle forme de relation avec son audience, plus intime, sans pression, qui s’oppose au dictat des réseaux sociaux, et grâce à laquelle l’artiste et le public
se sentent en confiance. Dans le courrier #002: Days Of Blue on y trouve notamment quelques mots sur le quatrième titre de son album, Me, I Think I Found It : « Quelques mois plus tard, j’ai commencé à me lier d’amitié avec Cecile Believe, qui était en visite à Toronto pour une semaine, et
nous avons commencé à écrire des chansons ensemble. Je lui ai montré ce morceau et j’avais des idées initiales pour la batterie que je recherchais, puis elle a commencé à explorer certains motifs pour donner à la chanson un nouveau sens du rythme qui a vraiment transformé l’expérience pour moi. »
À l’image de son témoignage, ce qu’il y a de formidable avec la musique de Casey, c’est qu’elle est une expérience aussi bien solitaire que collective. Later that day, the day before, or the day before that dispo en streaming. IG : @caseymq
JEUNE LION
Don’t miss
Le rappeur francophone le plus attendu de 2024 nous met l’eau à la bouche, avec sa selecta spéciale Yardland festival.
Artiste franco-ivoirien basé dans le quartier de Marcory à Abidjan, Jeune Lion a bien l’intention de mettre la Côte d’Ivoire sur la map du rap francophone avec sa trap texturée à l’ossature éclatée. Remarqué avec son titre Soul, sorti en 2023, il s’est naturellement imposé dans l’Hexagone comme l’artiste à ne pas rater. Sa force réside dans l’union et le brassage des sonorités musicales qui font vivre Abidjan, entre le reggae et le rap actuel dont il s’imprègne pour créer un son unique, le tout en cultivant un certain groove dans sa trap. En est témoin son dernier EP S/O Dieu sur lequel on entend un piano en fil rouge, un moyen d’adoucir la sévérité de ses textes. À l’occasion du Yardland festival (samedi 6 et dimanche 7 juillet), Jeune Lion, qu’on retrouve au line up le deuxième jour, propose sa playlist Don’t Miss, composée de quatre morceaux d’artistes à ne pas rater lors de ces 48 heures de festivités. IG : @jeunelion13
Scannez le code ci-contre pour écouter Jeune Lion sur Spotify.
GUNNA
Turned your back (2023)
« L’album dans lequel on retrouve ce titre est très bon dans sa globalité. Pas étonnant venant de moi sachant que Gunna est un artiste que j’apprécie et que j’écoute très souvent. Pour ce qui est de ce titre, je l’affectionne beaucoup parce qu’il est plutôt chill. C’est un son que je mettrais bien dans ma playlist pour un roadtrip. »
ATEYABA
Tassaba (2022)
« Dans un premier temps, j’aime l’artiste en lui-même parce qu’il a toujours eu un style particulier : aisance, grosses punchlines et flow innovant. Il sait faire preuve de beaucoup d’originalité dans ce qu’il propose et il l’a encore confirmé sur ce morceau. En tout cas, c’est un morceau que j’ai saigné également. »
GRADUR
Sheguey 8 (2015)
« Plus jeune, j’étais un grand fan de Gradur, il arrivait avec une nouvelle proposition musicale. À l’époque on a tous été scotchés par sa série de freestyles Sheguey, mais je dois avouer que Sheguey 8 c’est un des titres que j’ai le plus écoutés. Pour moi c’est comme un classique en matière de trap française. »
Wotowoto seasoning (featuring Black Sherif) (2023)
« C’est un rappeur, chanteur et auteur-compositeur que j’ai découvert il n’y a pas longtemps ; j’aime beaucoup cette grosse vibe naija et chill en même temps qu’il apporte sur ce son. De manière générale, j’aime beaucoup les propositions des artistes nigérians. Les sonorités sont très entraînantes. »
ODUMODUBLVCKDES AIIILES POUR L’ÉTÉ.
FAIRE L’IMPOSSIBLE
En mars dernier, JASMIN PARIS a terminé le Barkley Marathons avec 99 secondes d’avance, faisant d’elle la première femme à terminer l’une des courses les plus allumées, et les plus brutales, de l’ultrarunning.
TEXTE TOM WARD PHOTO HOWIE STERNJasmin Paris semble n’avoir plus rien à donner. Flanquée de spectateur·rice·s enthousiastes, la Britannique sort en titubant des bois du Tennessee avant de s’effondrer à la barrière jaune qui marque le début et la fin des marathons de Barkley, réputés pour leur brutalité. À une minute près, elle vient d’entrer dans l’histoire. Fondée par le concepteur de course américain Gary Cantrell, alias « Lazarus Lake », en 1986, la Barkley, qui se déroule sur invitation uniquement, compte cinq boucles escarpées, d’environ 32 km chacune. Le parcours change chaque année et comprend des obstacles tels que Danger Dave’s Climbing Wall (une zone sablonneuse de racines exposées) et Rat Jaw (une pente de bruyères acérées). Lake commence la course vers minuit en allumant une cigarette. Les quarante coureurs et coureuses ont soixante heures pour faire leur tour, en ramassant les pages des livres laissés aux points de contrôle le long du parcours ; en mars de cette année, seuls cinq ont terminé. Paris, 40 ans, est habituée aux exploits surhumains : elle s’est lancée dans l’ultrarunning en 2008 après être tombée amoureuse des montagnes écossaises et, en 2019, elle est devenue la première femme à remporter la Montane Spine Race, une course de 430 km, au Royaume-Uni. La même année, Paris a reçu le prix Barclays Sportswoman of the Year, les juges citant ses exploits sportifs et sa carrière de professeure de clinique vétérinaire à l’université d’Édimbourg. Et elle n’a pas fini...
the red bulletin : Comment est-il possible de concilier le rôle de parent, d’universitaire primée et de coureuse d’ultramarathons ?
jasmin paris : Ce n’est pas facile. Mon travail peut être stressant… La course à pied est un bon défouloir mental. En termes de logistique, le créneau de cinq à sept heures du matin est un bon moment pour s’entraîner, car personne n’appelle pour un œsophage obstrué chez un chien à cette heure-là...
Quand avez-vous commencé à vous concentrer sur les ultras ?
Lazarus Lake m’a invitée à participer à Barkley après la Montane Spine Race en 2019. Ce n’est que vers l’été 2021 que j’ai eu envie de le faire. Ensuite, j’étais à fond.
C’était votre troisième tentative, après avoir échoué en 2022 et 2023. Qu’est-ce qui a changé cette fois-ci ? J’avais de l’expérience. La Barkley ne dépend pas uniquement de vos compétences en matière d’orientation ; il s’agit d’apprendre l’itinéraire sur le parcours et de commettre des erreurs. Vous pouvez tomber dans le mauvais ravin en cherchant un livre, ou vous pouvez littéralement tomber du mauvais côté d’une montagne. Après mon premier essai, je me suis dit que c’était possible, mais qu’il fallait beaucoup travailler. Cette année, j’ai découvert que je pouvais anticiper nombre de ces erreurs, ou les corriger avant qu’elles ne deviennent un désastre.
Quelle a été la partie la plus difficile ? J’ai voulu abandonner un paquet de fois. Les deux premières boucles se sont bien passées, mais la troisième et la quatrième ont été très dures mentalement, car je savais que je devais recommencer. La cinquième boucle était meilleure, parce que je savais que c’était la dernière. On passe d’une douleur à l’autre ; à la fin, ce sont les tendons de ma jambe gauche qui me faisaient le plus mal. J’avais du mal à manger, je ne me sentais vraiment pas bien.
Vous avez déclaré avoir des hallucinations pendant les longues courses… Cela arrive à chaque fois que je ne dors pas. Une fois qu’on a eu quelques hallucinations au cours d’une course, on se rend compte que ce n’est pas réel. La seule chose qui m’a troublée cette année, c’est de voir des gens en bottes noires sur une crête… Pendant un instant, j’ai cru que c’était réel.
Vous avez dit que chaque atome de votre corps vous disait d’arrêter avant d’atteindre la ligne d’arrivée. Comment avez-vous fait pour continuer ?
J’étais très motivée par l’idée que je pourrais finir trop tard et devoir tout recommencer l’année prochaine. Je savais que je ne lâcherais pas avant d’avoir terminé. Je voulais donner tout ce que j’avais. Maintenant, je comprends pourquoi les gens s’effondrent à quelques mètres de la ligne d’arrivée. Je n’avais jamais eu à aller chercher aussi loin en moi avant.
Qu’est-ce que cela signifie d’être la première femme à terminer la Barkley ?
Je n’ai jamais vraiment considéré que ce que je pouvais réaliser était différent de ce qu’un homme pouvait réaliser. Le fait que je sois une femme n’a jamais été un obstacle dans mon esprit. Je suis incroyablement heureuse de pouvoir inspirer les femmes et les filles dans le sport.
Vous sentez-vous poussée à faire quelque chose de plus grand la prochaine fois ?
Je vais courir le Tor des Géants dans les Alpes italiennes, en septembre. Mais je ne pense pas que je referais la Barkley, parce que je l’ai déjà faite. Donc aucune pression. J’ai prouvé ce dont j’étais capable.
« Je savais que je ne lâcherais pas tant que je ne l’aurais pas terminée. »
Ultra dur : Jasmin Paris refuse de se laisser abattre.
L’APPEL DE LA FLÛTE
Considéré comme l’un des meilleurs saxophonistes de la scène jazz mondiale, SHABAKA HUTCHINGS entame une autre carrière avec son nouveau coup de cœur : la fûte. Cet homme suit le cours du vent… et de ses envies.
TEXTE LOU BOYD PHOTO ATIBA JEFFERSONCela fait près de vingt ans qu’il est célébré partout dans le monde comme l’un des plus grands saxophonistes de son temps : Shabaka Hutchings, né à Londres en 1984, compte parmi les musiciens-compositeurs les plus demandés sur la scène jazz contemporaine, avec des participations dans de multiples projets depuis 2010 (notamment The Comet Is Coming et Sons of Kemet) et des tournées mondiales qui se jouent à guichets fermés.
Il a pourtant, en juillet 2023, annoncé sur Instagram que « le saxophone est arrivé à sa fin ». Dans son post, Hutchings explique que d’ici la fin de l’année, il met un terme à sa carrière de saxophoniste pour suivre une voie différente – « différente à bien des égards », ajoute-t-il.
« J’ai cette impression que le saxophone a donné tout ce qu’il avait à donner. » Pour autant, le musicien reste dans les instruments à vent puisqu’il a choisi de se consacrer, à l’âge de 39 ans, à la flûte –dans toutes ses variations. Pour son premier album solo, Perceive Its Beauty, Acknowledge Its Grace qu’il a sorti sous le nom de Shabaka, le jazzman britannique a choisi de collaborer avec de grands noms, notamment le rappeur André 3000 (flûtiste lui aussi), la chanteuse Lianne La Havas ou la bassiste Esperanza Spalding : le résultat est à l’opposé de ce qu’il a produit auparavant. « Mes intérêts musicaux évoluent eux aussi, et si je l’accepte, ce sera beaucoup plus facile à vivre que si je m’accroche au passé. » Il nous explique ici les raisons de cette décision radicale.
the red bulletin : Pour signifier la fin de ta carrière de saxophoniste, tu as utilisé une citation d’Octavia Estelle Butler (autrice afro-américaine de
science-fiction décédée en 2006) : « Pour survivre, il faut connaître son passé. Le laisser nous effleurer. Avant de le laisser repartir. » Pourquoi ? shabaka hutchings : Cela m’a fait réfléchir au changement, comme quelque chose d’absolument nécessaire à notre développement. Les choses ne sont pas immuables et c’est très bien comme ça. Mes intérêts musicaux évoluent eux aussi, et si je l’accepte, ce sera beaucoup plus facile à vivre que de s’accrocher au passé.
Tu continues à jouer du sax en privé ? Non, je n’en possède même plus. Et ça ne me manque pas du tout. Il y a un aspect très physique à jouer du sax, mais il y a aussi tant d’autres instruments à découvrir. Je peux jouer par exemple de la flûte maya, ce qui est complètement différent d’une flûte traversière en bois ou d’une flûte en terre cuite… Je n’ai vraiment rien perdu en abandonnant le saxophone.
Penses-tu que c’est en se lançant des défis que l’on développe sa créativité ? Je me sens très à l’aise dans ce nouvel univers parce que c’est celui qui m’intéresse en ce moment : c’est ce qui me motive à me lever chaque matin et à travailler. Mais je ne peux pas dire que je sois un bon flûtiste : tous les jours, j’ai besoin de pratiquer pendant des heures afin de me familiariser avec cet instrument. Et ça me passionne.
As-tu été inquiet de quitter ainsi une carrière toute tracée pour tout recommencer de zéro ?
Je pense que si tu es un artiste et que tu écoutes ton cœur, le reste va suivre – c’est la seule chose à faire. Personne ne peut prédire l’avenir ; tout ce que nous avons, c’est notre capacité à créer un art qui nous représente. En passant à la flûte, j’ai simplement suivi mes envies. Si tu refuses
d’écouter ton cœur parce que tu préfères la sécurité, tu prends de gros risques en tant qu’artiste.
Ton album Perceive Its Beauty… a fait appel à de grands noms du monde de la musique : était-ce difficile de faire appel à elleux alors que tu venais de commencer un nouvel instrument ? Absolument. Je n’avais pas du tout le niveau qu’ils avaient dans leurs instruments respectifs : il m’a fallu une bonne dose de confiance.
Comment as-tu fait pour gagner cette confiance ?
Ça s’est fait dans le studio : je leur ai dit que tout devait être extrêmement calme et que nous n’allions pas utiliser de casques ni de cloisons. Tout le monde devait s’accorder au niveau sonore d’un son de flûte très ténu et être en mesure de l’entendre. C’est justement ce qui a ajouté un brin de tension dans la musique que nous avons créée.
Tu as connu lors de tes concerts des ambiances absolument survoltées, des publics déchaînés : c’est fini, tout ça ?
La musique que je faisais avec mes autres groupes faisait danser les gens et c’était absolument génial. Et je n’ai pas forcément l’intention de m’éloigner de tout ça. Mais pour l’instant, j’ai vraiment envie de suivre un autre rythme.
Perceive Its Beauty, Acknowledge Its Grace est sorti chez Impulse! Records ; shabakahutchings.com
« En quittant le sax, je n’ai fait qu’écouter mon cœur. »
Au gré de ses envies, mais toujours dans le
vent : Shabaka Hutchings a le souffle à cœur.LE ROI DE LA VAGUE
La trajectoire inattendue de LLYWELYN WILLIAMS, premier champion du monde de surf gallois, que sa passion a conduit vers les sommets de la gloire internationale.
TEXTE RUTH M c LEOD PHOTO REMCO MERBISOriginaire de Gwynedd (pays de Galles), Llywelyn « Sponge » Williams tombe dans le surf dès l’âge de 12 ans et ride bientôt les vagues de Hell’s Mouth et de Porth Ceiriad par tous les temps, hiver comme été. Dix-sept ans plus tard, à 27 ans, le voilà double champion du monde de surf adaptatif et la première star de surf gallois. Mais la personne qu’il est aujourd’hui n’a pas forcément été façonnée par cette gloire internationale. En 2011, à l’âge de 16 ans, Williams est percuté par une voiture alors qu’il rentre chez lui dans son village côtier de Bwlchtocyn en longboard. Il reprend connaissance à l’hôpital après deux semaines dans un coma artificiel pour découvrir que sa jambe droite a été amputée.
Dans les années qui suivent, c’est grâce au réconfort et à la motivation apportées par le para surf que Williams retrouvera le goût de vivre, plus que les innombrables spots de rêve visités et tous les trophées remportés. Il nous parle de détermination, de rêver grand, et de comment l’océan l’a aidé à guérir…
the red bulletin : Quels sont tes souvenirs à propos de ton accident ?
llywelyn williams : Honnêtement, je ne me rappelle de rien. On a dit à mes parents que je ne passerais pas la première nuit. Mon premier souvenir, c’est le réveil à l’hôpital avec une seule jambe. Très vite, un pote m’a demandé ce que je voulais faire, et j’ai répondu : « Je veux surfer comme je n’ai encore jamais surfé. »
Le surf a été ta motivation principale ?
Je suis tombé dedans à l’âge de 12 ans. Donc oui, si j’ai fait un max de physiothérapie, c’était surtout pour retourner
sur la planche. L’accident a eu lieu en septembre et par miracle, j’ai pu rentrer chez moi avant Noël. J’avais une vilaine escarre à l’arrière du crâne qui ne voulait pas cicatriser. J’ai littéralement harcelé le médecin pour qu’il me laisse retourner à l’eau et il a fini par céder à condition de porter un bonnet de bain pour protéger ma tête. Mes potes m’ont amené à Porth Ceiriad pour faire du bodyboard avec ma vieille combi dont la jambe droite pendouillait dans le vide. J’ai fait deux mètres dans l’eau et le bonnet est parti, mais mon escarre a disparu en une semaine. Quand je suis sorti de l’eau, je me suis senti revivre.
Comment s’est passée l’adaptation au para surf ?
Avant de perdre ma jambe, je travaillais dans un surf shop local. Maintenant j’étais en fauteuil roulant, mais le propriétaire m’a redonné mon taf pour reconnecter avec le surf, a adapté mes combis et même retaillé une planche de surf en mousse de 2,4 mètres à 1,5 mètre pour que je puisse m’entraîner. J’ai commencé par du body surf, et quand les forces sont revenues, je me suis mis sur le genou et c’est comme ça que j’ai trouvé ma position. La catégorie genou est ma catégorie actuelle.
Ça fait quoi de devenir champion du monde après de telles épreuves ?
J’étais passé très près en 2021, donc l’année suivante [en Californie] je voulais gagner à tout prix. Je voulais devenir le premier champion du monde de surf gallois, c’est quelque chose d’indescriptible. Et l’an dernier, j’ai continué, j’ai apporté des améliorations à ma planche et j’ai fait le doublé. Cette année, je voudrais remporter le World Tour. Si j’y arrive, j’aurais gagné tout ce qu’il y a à gagner en para surf.
Qu’est-ce qui fait ta force, à ton avis ?
Ma condition physique, ma détermination et l’amour, je suppose. J’ai toujours été très compétitif, j’ai reçu le soutien de toute la communauté, comme mes amis qui portaient mes planches de surf jusqu’à la plage, et je travaille pour mon père, dans la construction, donc dès qu’il y a des vagues, j’ai le droit de m’échapper…
Qu’est-ce que le surf t’apporte, au-delà de la compétition ?
Le surf, c’est toute ma vie. Tous les matins au réveil, je contrôle la météo, le vent... Quand tu passes une sale journée, il suffit d’aller dans la mer pour tout oublier. Au cours des compétitions, j’ai rencontré pas mal de personnes qui partagent le même genre d’expériences sur la manière dont l’océan les a aidées mentalement à surmonter leurs blessures.
Tu ressens la même chose ?
Oui. Si je ne fais pas de surf pendant une ou deux semaines, je commence à stresser et à perdre la tête. Et dès que j’enfile ma combi pour foncer dans les vagues, j’en ressors complètement transformé. Cette année, j’inaugure mon propre club de surf pour enfants handicapés : je veux leur montrer tous les bienfaits du surf et leur prouver que tout est possible.
Maintenant que tu as été dans tous les coins du monde, c’est quoi ton spot préféré ?
Tu sais quoi ? C’est le spot à côté de chez moi, celui où j’ai attrapé ma première vague et où je suis tombé amoureux du surf. Ce sont mes meilleurs souvenirs.
IG : @spongeabersoch
« Quand j’enfile ma combi pour me jeter à l’eau, j’en ressors transformé. »
Thérapie : Williams connaît le pouvoir régénérant de la mer.
À 34 ans, Primož Roglič ne pense pas à la
retraite, bien au contraire : l’insatiable Slovène a encore faim de victoires.COMPTEZ SUR LUI
D’abord sauteur à ski, le Slovène PRIMOŽ ROGLIČ s’est hissé parmi l’élite mondiale du cyclisme. Son approche du sport mélange l’extraordinaire et le pragmatique.
Texte CHRISTOF GERTSCH Photos GIANFRANCODemandez à cent personnes passionnées de cyclisme quelle a été la plus grande défaite de toute la carrière de Primož Roglič, et quatre-vingt-dix-neuf vous répondront que c’est le jour où il a perdu le Tour de France 2020 dans le contrela-montre de l’avant dernière étape alors qu’il avait quasiment la victoire en poche.
Le seul qui vous donnera une réponse différente n’est autre que Primož Roglič, père de deux enfants, devenu l’un des plus grands champions du cyclisme moderne. Le Slovène ne considère pas qu’il soit passé « à côté » de la victoire, ni que son Tour de France 2020 était un échec. Pour lui, c’est déjà une victoire en soi de terminer deuxième de la plus grande course cycliste du monde, son unique place sur le podium jusqu’à présent. Et on ne peut pas vraiment lui donner tort.
Pourquoi une telle différence entre son regard et celui du public sur ce résultat ?
Roglič portait déjà le maillot jaune depuis onze jours jusqu’à cette vingtième étape décisive pour le classement général, un contre-la-montre individuel jusqu’au sommet de La Planche des Belles Filles. Tout le monde pensait que ce serait une simple formalité pour ce spécialiste du chrono, par ailleurs excellent grimpeur.
Tout le monde, sauf Primož Roglič. Dans un contre-la-montre, chaque coureur part l’un après l’autre dans l’ordre inverse du classement général. Roglič est donc parti en dernier, à 17 h 14, après le second du classement général, Tadej Pogačar, Slovène lui aussi, plus jeune et bourré de talent.
« Sois tu as les jambes, soit tu ne les as pas », dit Primož Roglič, le philosophe pragmatique.
Roglič comptait 57 secondes d’avance sur Pogačar au classement général, une marge appréciable dans un contre-lamontre de 36 kilomètres. Pour perdre 57 secondes sur une telle distance, il faut soit commettre une grosse erreur, soit que l’autre coureur se trouve dans la forme de sa vie.
Roglič n’a commis aucune erreur. Il a donné son maximum ce jour-là, c’était peut-être même l’un des meilleurs chronos de sa vie. Mais cela n’a pas suffi. Il a franchi la ligne d’arrivée complètement vidé, le teint blafard, le casque de travers et perdu près de deux minutes sur Tadej Pogačar. Il dira plus tard aux journalistes : « Parfois, on gagne, parfois on perd. »
C’est le genre de phrases typiques de Roglič. Il penche légèrement la tête, se fend d’un large sourire et agite les bras. « Parfois, on gagne, parfois on perd », ou « La course n’est finie que quand elle est finie », ou encore « Soit tu as les jambes, soit tu ne les as pas ».
Quand il s’exprime ainsi, on ne sait pas sur quel pied danser : est-il sérieux ou cherche-t-il à se débarrasser poliment des journalistes ? Mais ce qui pourrait passer pour des banalités sont peut-être des vérités qui touchent à l’essence même de Primož Roglič. Il ne dit pas ce genre de choses par lassitude ou par manque d’entrain, mais parce qu’il le pense vraiment.
Primož Roglič, âgé de trente-quatre ans, a grandi à l’est de Ljubljana (Slovénie). Il vit actuellement à Monaco avec sa petite famille et est le leader de la Red Bull - Bora - hansgrohe depuis le début de cette saison. Il sait que l’on peut contrôler certaines choses et d’autres non. On peut travailler sur ses propres performances ou sur son autodétermination mais on n’a aucune influence sur le parcours, la météo, l’état des routes, la tactique des équipes adverses ou la forme des concurrents. Gagner ou perdre une course ne dépend pas forcément de soi, mais donner le meilleur de soi-même, oui.
Cette attitude plaît à Rolf Aldag. Directeur sportif de Red Bull - Bora -
hansgrohe, l’ancien coéquipier de Bjarne Riis et Jan Ullrich les a bien aidés dans leurs victoires respectives sur le Tour de France. Il découvre chaque jour Roglič un peu plus et ce qu’il voit l’impressionne énormément. « Primož a une ouverture d’esprit comme j’en ai rarement rencontrés, mais c’est tout sauf de la naïveté. Ce n’est pas un rêveur, il est simplement ouvert à toutes les possibilités. Il sait que ça peut parfois très bien se passer et parfois très mal se passer. C’est ce qui rend le travail avec lui tellement exaltant. »
L’autre chose qui plaît à Aldag chez Roglič, c’est que quand tout le monde le compare aux anciennes gloires du cyclisme, Roglič lui-même ne semble y attacher aucune importance. Il ne fait pas partie de ces professionnels qui ont passé toute leur enfance à dévorer les classiques et les grands tours à la télé ou peuvent vous réciter par cœur quel cycliste a gagné quelle course. Enfant, il n’était pas vraiment fan... il ne faisait même pas de vélo. Adolescent non plus d’ailleurs. Primož Roglič est un ovni dans le monde du sport, un généraliste. Capable de briller dans deux disciplines complètement différentes, il est en passe de devenir l’un des sauteurs à ski les plus doués de sa génération quand une chute
met un terme à sa carrière en 2011, à l’âge de 21 ans. Il souffre de problèmes de genoux et n’a plus vraiment envie de skier, tout simplement.
Il vend sa moto (son principal hobby à l’époque) et s’achète un vélo de course avec l’argent reçu. Très vite, il réalise qu’il adore ce sport et y trouve beaucoup de points communs avec son ancienne discipline : il faut être mince et avoir de bonnes jambes. Mais il y a également une différence de taille : si les jambes n’ont pas besoin d’être aussi explosives, il faut qu’elles soient bien plus endurantes. Roglič se met donc au travail, et ça lui plaît : en cyclisme, il faut travailler dur, mais ça rapporte gros. Et justement, il aime travailler dur. Il considère le cyclisme comme une passion et comme un métier. Comme il l’explique, le cyclisme n’est pas seulement sa vie mais celle de toute sa famille, tout son quotidien tourne autour de ce sport. Parfois, c’est très dur, mais quand les victoires sont au rendez-vous, la satisfaction n’en est que plus grande. Et les succès se sont enchaînés régulièrement depuis son premier contrat professionnel en 2013 à l’âge de 23 ans, âge assez élevé dans ce sport. Sa polyvalence est remarquable : sacré champion
« Je ne pense pas que je vais devenir quelqu’un de différent juste parce que je gagne le Tour. »
« Pas un rêveur, il est ouvert à toutes les possibilités. »Primož Roglič espère pouvoir enfin accrocher la Grande Boucle à son palmarès cet été.
« Si je regarde en arrière, je veux me rappeler de quelqu’un heureux de faire du vélo. »
olympique du contre-la-montre, il a remporté Liège-Bastogne-Liège, l’un des cinq monuments du cyclisme, et est considéré comme un spécialiste des courses par étapes d’une semaine mais brille également sur les grands tours de trois semaines, Tour de France, Giro d’Italia et Vuelta a España. Il s’est imposé sur le Giro l’an dernier et a remporté la Vuelta à trois reprises en 2019, 2020 et 2021. Il ne lui manque plus que le Tour, cédé en 2020 à Pogačar avant d’abandonner sur chute en 2021 et 2022. En 2023, il fait l’impasse sur le Tour pour se concentrer sur le Giro au printemps, et la Vuelta à la fin de l’été.
Beaucoup considèrent que la carrière de Primož Roglič ne sera vraiment complète que quand il aura remporté le Tour. Un avis que Roglič est loin de partager. Très ambitieux, il espère évidemment remporter le Tour, dès cet été si possible, entouré par sa nouvelle équipe. Il sera l’un des grands favoris, malgré une chute début avril sur le Tour du Pays basque dont il s’est sorti avec le corps couvert de bleus et d’abrasions alors qu’il portait le maillot de leader du classement général. Mais si ça ne marche pas cet été, il n’en
Roglič l’insatiable
En moins de dix ans, Primož Roglič a accumulé pas moins de 81 victoires. Ancien sauteur à ski, il est devenu cycliste pro sur le tard, à 23 ans. Ce qui peut expliquer son insatiable appétit de victoires. Paris-Nice, Critérium du Dauphiné, Tirreno Adriatico, Vuelta, Giro, il a presque tout gagné. Seule la Grande Boucle manque encore à son palmarès. Le Slovène est devenu le symbole d’une nouvelle génération de cyclistes, de Pogačar à Evenepoel en passant par van Aert et van der Poel, qui se battent avec un mélange de panache, de culot, de bravoure et d’une pointe de folie. Roglič, c’est aussi la poisse, des chutes impressionnantes, notamment sur le Tour. Mais il ne reste jamais à terre longtemps et se relève toujours, en quête de victoire.
fera pas un drame. « Les défaites font partie de la vie. » Encore du Roglič.
« Tu sais, dit-il en interview avec The Red Bulletin, je ne pense pas que je vais devenir quelqu’un de complètement différent juste parce que je gagne le Tour. Et je ne veux pas non plus que les gens se souviennent de moi uniquement pour ça. » Petite pause. « Je préfère que les gens se souviennent de moi comme d’un coureur qui s’est toujours donné à fond. Si je fais un jour le bilan de ma carrière, si je regarde en arrière, je veux me rappeler de quelqu’un qui était heureux de faire du vélo et qui transmettait cette joie autour de lui. »
Et c’est vrai que regarder Roglič courir est un vrai bonheur. Oui, il ne fait pas autant le pitre que Pogačar, le petit génie qui remporte les courses sans efforts et sourit constamment à la caméra, mais il n’est pas non plus aussi réservé que Jonas Vingegaard, le Danois vainqueur des deux dernières éditions du Tour de France. Pendant et après les courses, Roglič dégage quelque chose de mystérieux. Qui est vraiment cet homme ? Que cache-t-il en lui ? Qu’a-t-il en réserve ?
On en a eu un aperçu en septembre.
La route étroite et sinueuse du col de l’Angliru était enveloppée dans un épais brouillard, mais les images des caméras de télé étaient très nettes et le monde entier a vu ce qui se tramait dans l’interminable et terrible montée finale jusqu’au sommet de la dix-septième étape de la Vuelta a España : Primož Roglič attaquant son propre coéquipier Sepp Kuss, porteur du maillot rouge de leader, avant de le distancer dans les deux derniers kilomètres.
Dans les studios d’Eurosport, la principale chaîne de cyclisme mondiale, les commentateurs étaient complètement effarés. « C’est déloyal, irrespectueux », s’est emporté l’ancien coureur Adam Blythe, tandis que Sean Kelly, l’un des plus grands cyclistes des années 1980, secouait la tête, perplexe. Il y a une règle non écrite selon laquelle on n’attaque pas son coéquipier. Surtout pas quand on n’a aucune chance de gagner soimême. Et encore moins quand votre
coéquipier touche la victoire du doigt et n’a plus qu’à franchir la ligne d’arrivée. Alors pourquoi Roglič n’est-il pas resté avec Sepp Kuss jusqu’à la fin de l’étape ?
Cela aurait été la meilleure manière de le remercier de ses bons et loyaux services, lui qui avait été son fidèle lieutenant pendant toutes ces années.
Petite précision pour tous ceux qui n’y connaissent pas grand-chose en cyclisme sur route : ce qui rend cette discipline tellement unique, c’est que c’est à la fois un sport individuel et d’équipe. Individuel car au final, une seule personne se tient sur la plus haute marche du podium. Et d’équipe car une seule personne n’a aucune chance de gagner sans le soutien de tous ses coéquipiers. Souvent, ces derniers restent dans l’ombre du leader, comme c’était le cas pour Sepp Kuss. Ce sont les domestiques et les porteurs de bidons, leur job est de protéger les stars comme Primož Roglič du vent, pour qu’ils dépensent le moins d’énergie possible, d’imprimer une certaine cadence à l’avant du peloton ou de les ravitailler. Mais parfois, la situation s’inverse, comme lors de cette Vuelta 2023.
Pourquoi Roglič n’a-t-il pas saisi cette occasion de remercier son lieutenant ?
On lui a souvent posé cette question et il répond invariablement la même chose : primo, il avait fait le point avec Kuss avant l’étape, et deuxio : « Je ne suis redevable qu’à moi-même. »
Ce discours peut paraître tellement égoïste, mais il décrit finalement toute l’essence des sports de haut niveau. Il ne s’agit pas de gagner à tout prix, mais de donner le meilleur de soi-même. On n’est pas vraiment en compétition avec les autres, car on n’a peu d’influence sur leurs actions, leur état de forme ou les limites qu’ils sont capables de dépasser. Aucune influence non plus sur la météo. Mais on peut donner le meilleur de soi-même ou non. Et si on a encore des réserves et qu’on ne les utilise pas, c’est qu’on n’a pas tout donné. Comprendre ce qui est du domaine de votre contrôle et ce qui ne l’est pas implique une sacrée force mentale. Et ça, Primož Roglič l’a bien compris. Tour de France, du 29 juin au 21 juillet. IG : @primozroglic
LA VIE QU’IL MÈNE
L’histoire fascinante de Fabrice Fournier, ou FIFOU, photographe dont l’objectif transcende les simples clics pour raconter des histoires, pour capturer des émotions et redéfnir les normes de l’art visuel propre au rap. De ses débuts au sein du magazine Radikal , à ses collaborations avec des artistes de renom comme PNL, Ninho, SCH et Aya Nakamura, plongez dans l’univers d’un artisan visuel.
Dès les premiers instants de notre rencontre, il est clair que Fifou n’est pas seulement un photographe, mais un narrateur visuel, un metteur en scène des émotions qui est dévoué au service du genre musical qu’on appelle le rap. En s’intéressant à son univers, j’ai découvert un artiste qui jongle avec les nuances du rap français, du rap états-unien, du grime anglais, et des défis qu’impose la culture Hip-Hop, en continuant année après année à lui vouer un amour incommensurable.
Son parcours commence au début des années 1990, alors qu’il n’a que dix-sept ans, et qu’il frappe à la porte du magazine de référence hip-hop Radikal, un lieu qui, au fil des années, a façonné ses premiers pas dans le monde de la photographie.
Mais Fifou ne se contente pas de capturer des images, puisqu’en 2017, il montera son propre studio photo Le Salon, théâtre de la créativité où les artistes peuvent s’exprimer dans une ambiance chaleureuse et décontractée.
Au fil des ans, Fifou a su se démarquer par son approche unique de la création de pochettes d’albums. À la manière d’un compositeur avant-gardiste, il esquisse des croquis, imagine des tableaux, et façonne des visions qui prennent vie à travers ses objectifs. Des covers emblématiques comme celles de Dans la légende de PNL ou M.I.L.S de Ninho ne sont que quelques exemples de son génie artistique.
Mais Fifou ne se contente pas du succès commercial. Il aspire à quelque chose de plus profond, qui dépasse les frontières du mainstream. Ses nominations pour la Flamme de la cover d’album de l’année en 2023 et 2024 avec des œuvres comme celle de DNK avec Aya Nakamura, témoignent de sa capacité à repousser les limites de l’art visuel. Avec lui, on parle de statement, de représentations et d’héritage grâce à sa toute nouvelle maison d’édition En Pire.
Malgré la reconnaissance de la scène hip-hop française à son égard, Fifou reste humble, préfère l’ombre à la lumière, mais comprend l’importance de se montrer quand visibilité est synonyme de réussite. Son équilibre entre discrétion et exposition témoigne de sa sagesse artistique et de sa compréhension profonde du métier. Il nous raconte son histoire à la première personne.
Fifou n’est pas seulement un photographe, mais un narrateur visuel.
En 2022, en collaboration avec Guy2Bezbar, Leto était à l’affiche du Red Bull Soundclash. Issu du groupe PSO THUG, il représente le XVIIe arr. de Paris, la Porte de Saint-Ouen. Vous le voyez ici photographié pour son projet TRAP$TAR 2 (2019).
S’il a photographié en France nombre de talents issus de différentes générations de la diaspora africaine, Fifou s’est également rendu à sa source.
Cette photo est extraite d’une série réalisée à Dakar, Sénégal, en 2021.
Dans ma jeunesse, mon cœur battait pour l’illustration. Je rêvais de devenir dessinateur de BD, bercé par ma passion pour les mangas. Passant la majeure partie de mon temps dans le 77 où je résidais, je m’appliquais à envoyer mes illustrations à toutes les associations que je pouvais trouver. Mais voilà, au lycée, lors de mon année de terminale littéraire, deux activités ont émergé, déclenchant ma première connexion avec le monde musical. J’étais rédacteur en chef d’un fanzine de la ville donc dès qu’un concert se tenait, je me débrouillais pour interviewer les rappeurs. À l’époque, c’était La Brigade, Bisso Na Bisso. Parallèlement, je coanimais une émission intitulée Des phases et, dans laquelle je me penchais sur le street art. C’était sur la radio Vallée FM (Marnela-Vallée), incroyablement bien subventionnée, dont les locaux surpassaient même ceux de Générations (station de radio spécialisée dans le rap et le R&B) à l’époque. Mon émission était programmée juste avant celle de DJ Mars de Time Bomb, comme un rendez-vous incontournable. À la fin du show, je voyais les rappeurs qui attendaient pour la suivante... C’est grâce à ce petit interlude que j’ai pu présenter mes illustrations et tisser des liens avec les rappeurs. Deux ans plus tard, muni de mon baccalauréat, je rejoignais l’école supérieure des arts appliqués et des métiers d’art Oliver de Serres, et entamais un stage chez Radikal, pour une durée de trois mois.
Ticket VIP
Mon immersion dans le monde du rap remonte donc au moment où je côtoyais Princess Aniès, 2Bal, bien avant Radikal. Véritable passionné de rap, je passais mes journées chez Urban Music (Paris), un disquaire incontournable. À une époque où les réseaux sociaux n’étaient pas aussi prédominants, les passionnés de rap se devaient de fréquenter les endroits où ils pouvaient rencontrer les artistes. Le samedi, chez Urban Music, c’était le rendez-vous pour croiser DJ Spank, Cut Killer, JoeyStarr, et bien d’autres. En collaborant avec des artistes de Pierrefitte et Sarcelles, j’ai tissé des liens étroits avec des figures de la sécurité du milieu du rap, discutant des bandes et des chasseurs de skins, tels que les Requins vicieux Junior. Ce qui est incroyable, c’est que mon entrée dans ce milieu hors norme s’est faite par amour du rap. Que ce soient les stars, les DJ, les gens de la rue ou dans l’ombre, ils ont vu en moi un jeune passionné de 17 ans, ultra motivé et authentique. Mon domaine, c’était l’image. Je pense que ma facilité d’intégration vient de là. Je n’ai jamais cherché à me faire bien voir, je n’ai jamais été un fan, j’ai juste donné énormément d’amour au rap, et ce, jusqu’à ce jour.
La queen, Aya Nakamura, photographiée par Fifou pour la pochette de son album DNK (2023). Un parti pris radical, puisque le visage de l’artiste, parmi les plus populaires de France, apparaît masqué à l’image.
Rapidement, en travaillant avec un rappeur, je liais connaissance avec son manager. Il s’est avéré que certains d’entre eux étaient de grands voyous, mais cela importait peu. Ce qui comptait, c’était le lien humain. Lorsque je rencontrais des JoeyStarr et Doc Gyneco, ils me demandaient : « Mais qui es-tu ? Comment connais-tu untel ? » C’est là que j’ai réalisé que j’étais observé, mais je n’ai jamais cherché à être un gars du ghetto. Nous partagions des valeurs communes, et pour ceux qui ont choisi une autre voie, je les voyais comme des entrepreneurs. Il n’y avait pas de jugement, j’ai simplement dit non aux bêtises, car, comme dans les films, on peut rapidement basculer. Tout cela m’a donné de l’assurance. La force du nombre, c’est ce que j’aime dans le hip-hop, dans le rap. D’ailleurs dans les clips de l’époque, les gars étaient une quarantaine, alors que lorsque vous êtes dessinateur, graphiste, vous êtes seul dans votre coin. Moi, j’ai eu la chance d’avoir les deux : le collectif et la solitude.
Radikal
À cette époque, Radikal partageait ses bureaux avec Générations, une sorte d’empire de la presse, où l’on pouvait retrouver Vibrations (un magazine consacré aux musiques du monde), entre autres. C’était un véritable décor musical. Chaque samedi matin, de 9 heures à midi, j’étais avec Princess Aniès et Bob, qui animaient l’émission très écoutée Générations 2000, et le soir, j’étais chez B.O.S.S.
(label) avec JoeyStarr. Un jour, je me suis rendu compte que Radikal (le magazine phare du rap en termes d’images) partageait les locaux. J’ai discuté avec Bob entre deux cafés, lui racontant mon rêve : produire des photos inédites. Nous sommes allés voir Philippe Caubit, l’homme de la situation en matière de graphisme pour le magazine, je lui ai montré mon carnet de croquis et il m’a dit : « Dans deux semaines, tu commences. » La chance que j’aie eue, c’est qu’il m’a confié les clés au début de mon stage, car il s’absentait pendant trois semaines. J’ai beaucoup appris seul et j’avais envie de le bluffer ! Grâce aux liens étroits entre Radikal et Générations, j’ai pu étendre mon réseau. Soyons honnêtes, je n’étais pas forcément le plus talentueux à l’époque, mais j’avais la dalle, alors je ridais tout Paris. J’étais ce petit Blanc que tout le monde connaissait.
Imagerie états-unienne
Mes premières inspirations viennent des ÉtatsUnis, car c’est là-bas que tout a commencé, je veux dire, le hip-hop. Après Radikal, j’ai collaboré pour la version française du magazine The Source, bible incontournable de cette culture. Dès qu’une star américaine venait dans l’Hexagone, comme Mobb Deep ou 50 Cent, avec mon pote journaliste Chino Brown, nous étions sur le coup. En plus, Chino parlait un argot américain très poussé. Je me souviens d’une fois, lors d’une interview avec Cypress Hill, où ils lui ont même demandé s’il venait de Compton à cause de son accent. Cela nous a motivés à partir là-bas, car nous adorions cette culture. Nous avons monté un petit blog, Fish-High, et Chino étant journaliste, ça nous a permis de connecter avec les artistes là-bas. Rien de sérieux, en vérité. Et en 2006, nous avons fait notre premier voyage aux États-Unis. Avec des contacts de contacts, nous nous sommes retrouvés à dormir au fin fond du Bronx, dans des lieux insalubres avec des sanspapiers, mais cela n’avait pas d’importance. À ce moment-là, via MySpace, nous avons envoyé beaucoup de messages à Mobb Deep, Styles P. et à l’équipe de Gucci Mane, et ils ont répondu présents. Deux jours plus tard, nous nous retrouvions avec ce dernier. Étant un peu fou, pendant que Chino faisait l’interview, je prenais des photos et lui faisais une pochette d’album. Et c’est ainsi que j’ai rendu les Américains fous, ils n’en croyaient pas leurs yeux.
À un moment donné, nous sommes devenus très proches de Fred the Godson, le porte-parole du Bronx à cette époque, même Jay-Z était sur ses côtes. Je me suis retrouvé à faire ses pochettes de mixtapes et sans réfléchir, nous sommes partis du côté de Queensbridge, le berceau du rap. Pour nous, là-bas, c’était comme Disneyland ! Nous avons rencontré le frère de Nas, Cormega,
« Quelqu’un d’ultra simple, un gars normal. » Fifou décrit SCH, le rappeur marseillais qu’il a accompagné jusqu’en Italie pour y construire l’esthétique visuelle de son projet JVLIVS 1. Cette photo de SCH drapé de fourrure est devenue iconique.
Bars N Hooks, Infamous Mobb, mais notre rêve était de rencontrer The Alchemist et Prodigy. On a fini par travailler avec toutes les équipes de Mobb Deep, mais impossible d’avoir Prodigy. Suite à cela, une fois par an, tous les deux ans, nous retournions à New York, pour finalement nous rendre compte que les États-Unis, c’est particulier. Les Américains sont toujours dans une explosion de joie : “Amazing ! Let’s go! Crazy, you’re a genius.” Pour nous, Français, c’est étrange. La première fois que je suis parti du Queens, par exemple, il y a Mike Delorean qui s’est mis à pleurer devant moi en mode front contre front : « Ne pars pas, tu fais partie de la tribu maintenant ! », et puis plus tard je retourne là-bas et il ne me calcule même pas. Ça, c’est les Américains, tout, tout de suite. Rapidement, tu te rends compte que c’est beaucoup de spectacle. Nous, Français, nous sommes plus dans la psychologie, nous nous ouvrons difficilement, mais quand nous le faisons, c’est sincère, ça ne bouge pas.
Ce qui est assez marrant, c’est que je suis dans une époque où j’utilise beaucoup la photographie. C’était la mode du détourage où nous replacions les gens dans des décors. Forcément, je me suis constitué une banque d’images en photographiant tous les endroits emblématiques des États-Unis, et ces décors (Harlem, Bronx), je les ai utilisés dans toutes les pochettes de rap français que j’ai faites : Mokobé, La Fouine, Alpha 5.20 etc.
Dans ma quête de kiffe, je me suis particulièrement tourné vers le rap américain de la côte Ouest, imprégné de cette savoureuse essence californienne. C’est ainsi qu’en 2009, accompagné de Chino, nous avons pris la direction de Sunset Boulevard pour y établir notre camp de base. Pendant un mois, nous avons arpenté les rues de Compton, de Crenshaw, d’Inglewood. C’était une expérience folle. Notre contact privilégié sur place était DJ Muggs(Cypress Hill), qui nous a fait découvrir tous les recoins de la ville.
À gauche : leçon de style avec Prince Waly, dont Fifou a réalisé la photo de cover et l’artwork du EP BO Y Z Vol. 2. À droite : l’expressionnisme façon Fifou, avec cette revisite du Cri de Munch, avec la complicité du mannequin Youssouchop.« J’ai rendu les Américains fous, ils n’en croyaient pas leurs yeux. »
On a chillé avec Freddie Gibbs, Jay Rock et Kendrick Lamar, alors peu connu sous le nom de K-Dot. Mon seul regret à cette époque est de ne pas avoir capturé davantage de moments en photo ; je filmais tout pour mon blog. Je n’avais pas encore acquis l’œil du photographe que je suis aujourd’hui, avec mon petit argentique, j’aurais sûrement créé des pépites.
Ce que j’apprécie particulièrement à Los Angeles, c’est le mélange harmonieux entre travail et plaisir, bien que cela puisse parfois être trompeur. Prenez par exemple The Alchemist (l’un des producteurs de rap les plus vénérés et les plus prolifiques de sa génération, dont la discographie remonte aux débuts des années 90. Ses collaborations vont de Dilated Peoples, Modd Deep, Nas, Ghostface Killah, à Lil Wayne…), qui semble toujours en mode kiffe alors qu’en réalité, il travaille d’arrache-pied, avec une précision redoutable.
C’est impressionnant de donner l’illusion que tout est facile, que c’est une question de lifestyle, mais une fois en studio avec eux, on réalise l’acharnement derrière chaque projet. Et puis, il y a la musique... Toute l’école Larry June, Dom Kennedy, je suis accro, ça me parle. Anderson .Paak et Kendrick, ça groove. Même quand on écoute SZA aujourd’hui ou ScHoolboy Q, il y a cette mélodie envoûtante, on ressent la présence des OGs en arrière-plan, avec ces basses profondes. À l’opposé, New York est plus comparable à Paris, c’est rapide, oppressant.
Mon lien avec les États-Unis relève à la fois du divertissement et du bien-être, car pour travailler avec eux, il faut être sur place, même si cela évolue avec l’avènement des réseaux sociaux. Depuis environ six ans, avec l’impact croissant de la pop culture française, de nombreux réalisateurs tournent des clips aux USA, des stylistes indépendants y développent leur business.
Mais à l’époque, rester six mois en France et un mois là-bas signifiait ne pas avoir de job ; il fallait être sur le terrain, avec son book, démarcher les maisons de disques, etc. Je pense qu’aujourd’hui, j’ai plus de demandes à l’international, des États-Unis à l’Angleterre, qu’en France, grâce aux réseaux sociaux.
PNL et Ninho : le tournant
PNL a représenté pour moi un renouveau artistique dans la nouvelle génération. Le visuel que j’ai créé avec eux a été une rupture avec mes habitudes dans le rap. Pendant des années, et même aujourd’hui, mes pochettes sont souvent marquées par des contrastes forts, des regards durs et des décors texturés, reflétant une esthétique de rue brute. Alors quand est sortie la pochette de l’album Dans la légende en 2015, j’ai ressenti un certain stress, car elle ne correspondait pas du tout à mon style habituel. Avec son dégradé du rose vers le jaune, des couleurs peu conventionnelles dans le rap, j’ai été déstabilisé. Mais PNL étaient visionnaires. En plus, ce sont des gars authentiques. Je me souviens encore du moment où nous avons publié cette pochette sur les réseaux sociaux, avec leur mention « S/O Fifou ». Dans ma tête, j’étais en mode « Que va-t-on dire de moi... » Et puis, c’est l’explosion ! Je me suis rendu compte que le jeu avait changé. Ils ont une communauté aussi puissante que celle de Mylène Farmer. Personne ne peut toucher à PNL. Et les messages positifs ont commencé à affluer de tous les comptes de fans. C’était un déclic. Une nouvelle façon de travailler émergeait, loin des sentiers battus : plus de contraintes des labels, mais une collaboration directe artiste/ photographe. Après plus de dix ans de carrière, ça m’a fait un bien fou.
Pour Ninho, c’est une tout autre histoire. Son producteur, DJ Quick, m’a appelé pour me dire qu’il avait un petit gars avec un potentiel énorme. Mais quand quelqu’un me dit ça, j’entends cela dix fois par jour. Il a eu du mal à me convaincre, jusqu’à ce qu’il me dise un jour : « Fifou, tu me fais galérer, il faut faire la pochette de l’album de Ninho pour demain, viens, trouvons une solution. » Alors je lui ai répondu : « Viens au bureau avec lui. » Ils sont arrivés, je l’ai photographié devant un mur blanc, on a fait deux photos avec ses lunettes, il m’a donné sa vision, et c’était parti. La pochette de M.I.L.S (2016) était prête, et deux semaines plus tard, c’était déjà un disque d’or. C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience de l’arrivée de cette nouvelle génération. Depuis, nous n’avons plus cessé de collaborer.
Ce qui est particulier, c’est que je viens d’une époque où le rap était vraiment dur, où j’ai travaillé sur de nombreux visuels. Mais dès 2015, nous sommes entrés dans l’ère intense du streaming. Le rap explosait et toutes les certifications que j’ai obtenues, elles se sont accumulées en l’espace de deux ans.
Trois ans plus tard, j’ai été à nouveau estomaqué... avec SCH pour le premier volet de JVLIVS (2018). C’était la première fois de ma vie que je partais en tournée avec un artiste pendant une
« Étant constamment immergé dans l’image, tout m’inspire. »
dizaine de jours. Nous sommes allés à Palerme (Italie), où j’ai co-réalisé son court-métrage JVLIVS I, ses clips et la direction artistique globale de son projet. J’ai alors réalisé la puissance de cet artiste. Je le voyais du matin au soir. SCH est quelqu’un d’ultra simple, un gars normal. Puis, soudain, au cours de la semaine, j’ai ressenti des frissons lors d’une séquence pour le courtmétrage. Nous faisions de la fiction, il jouait avec des acteurs italiens, et à quelques moments, il y avait des playbacks. Nous étions sur un genre de rooftop, avec un coucher de soleil brumeux. Et lorsque le moment du playback du morceau Otto (hommage à son père) est arrivé, il a sorti son flow,
et j’ai été époustouflé. Avec le Steadicam Operator, Teva Vasseur, derrière le moniteur, nous avons été saisis par la puissance de l’artiste, puis SCH est redevenu lui-même en une fraction de seconde. Quand j’assiste à ce genre de moments, je sais pourquoi je fais ce métier. La musique nous fait vivre des émotions qui nous dépassent. À bien y réfléchir, quand je regarde le nombre d’artistes avec lesquels j’ai collaboré et la visibilité que j’ai acquise… c’est très particulier, car j’aime cette position d’être dans l’ombre. Mais nous sommes dans une époque où, pour durer et élargir les horizons dans le business, il faut se montrer. Et moi, je ne me montre pas trop. Il faut donc trouver un équilibre, surtout quand on aime être discret. Être visible, c’est 50 % de bons côtés et 50 % de mauvais côtés. On est autant une cible à abattre pour les nouveaux challengers, qu’une source d’inspiration.
Certainement la photo la plus connue du rappeur lubrique Alkpote. Réalisée pour son album Monument, Fifou l’avait en tête depuis un moment, en place dans son dossier à idées dont il tire nombre de ses concepts. Quand il n’improvise pas.
Vous voyez ici Dinos (au centre, veste en denim) et ses potes à La Courneuve pour la pochette de son premier album studio, Imany (2018), et certifié disque d’or en 2021. Un projet que Fifou et Dinos ont cogité pendant plus d’un an.Le croquis de la cover de Dans la légende (2015), de PNL, par Fifou. Une « rupture » avec ses habitudes dans le rap. Dès sa publication, le visuel définitif (en bas), l’a propulsé dans une autre dimension de créativité : un pass pour un travail libre et 100 % collaboratif avec les artistes.
« Avec PNL, je me suis rendu compte que le jeu avait changé. »
Metteur en scène
Je me suis toujours considéré comme un compositeur, à l’instar d’un pianiste qui, avant de présenter son œuvre, passe par de nombreux brouillons. Pour ma part, j’ai mes maquettes. Et étant constamment immergé dans l’image, tout m’inspire : le cinéma, les livres, les séries animées. Dans mon carnet, je dessine une multitude de croquis, une multitude de tableaux. La pochette de Blo de 13 Block, par exemple, était une idée qui me séduisait depuis longtemps. Donc, dès notre première rencontre, je leur ai montré une multitude d’idées de tableaux, mais j’avais déjà commencé par celui qui allait devenir la cover, inspiré par leur morceau Faut que. Je me disais que ce serait cool d’avoir quelque chose de brillant dans un décor très profond, d’où l’idée du lustre.
Je fonctionne toujours ainsi, même si je peux faire du sur-mesure. J’ai des idées de tableaux que moi, en tant que photographe, j’ai envie de réaliser. Parfois, quand j’écoute un morceau ou qu’un artiste me décrit son univers, grâce à mon dossier secret, j’ai un peu d’avance. Ce dossier regorge de centaines d’idées, ce qui me permet d’être très réactif. Et attention ! Ce n’est pas du réchauffé, bien au contraire. Quand je donne vie à Alkpote sortant d’une pussy géante (pochette de Monument, 2019), c’est quelque chose que je voulais faire depuis longtemps... Placer quelqu’un au milieu de ce drapé rose en forme de vagin. Et parfois, à l’inverse, il y a cette totale improvisation que j’adore et que l’on retrouve sur le projet Stamina, Memento de Dinos (2021). Il avait déjà prévu sa pochette avec la peintre Johanna Tordjman, mais à mes yeux, par rapport à tout le travail que nous avions réalisé auparavant, c’était une proposition de direction artistique sans transition. Je lui ai alors envoyé une référence de boxe cubaine, où l’on voit un père entraînant son fils, et en plus, le gamin à mettre en scène pouvait être le même que pour Imany (2018). Et comme ça, tu termines l’histoire, lui dis-je. C’est donc ainsi que je travaille : beaucoup de réflexion en amont, des idées en vrac, et parfois une improvisation totale, car le rap, c’est aussi ça : du freestyle.
IG : @misterfifou
LE RAP 10/10 D’UNE BADDIE
LEYS respire le rap. Il exalte son parcours et le haut niveau de maîtrise de son art.
Découvrez cette artiste venue de Reims qui semble mettre tout le monde d’accord. Une rareté sur la scène française.
Texte DOLORES BAKELA Photos FASMER
On se souvient de la dernière fois qu’on avait vu Leslie Makiesse sur les écrans. C’était sur Netflix en 2022. Aux côtés des deux autres candidat·e·s, elle et son alter ego Leys performaient lors de la finale de Nouvelle École, le télécrochet qui cherche les artistes rap de demain. Puis on l’avait recroisée sur ses réseaux, écoutée lors du Planète Rap de Fresh, le gagnant de l’émission. Lors de la finale, elle avait créé et joué Parabellum, le morceau au nom qui renseigne sur l’état d’esprit de l’artiste. « Là, je pars à la guerre. Tu croiras en moi seulement si la victoire, je ramène, bitch », y clame-t-elle.
L’artwork du EP éponyme de Leys, paru en février, a été réalisé par Fasmer.
Elle n’a pas gagné l’émission. Mais quand on a entendu Concu, un des titres extrait de son premier projet éponyme, Leys, sorti le 8 mars 2024, lors de la journée internationale des droits des femmes, tout un symbole, donc, on s’est dit que la quête de Leys était bel et bien en marche. C’est suffisamment rare pour le dire, mais Leys est une rappeuse qui fait l’unanimité.
Zone sans studios
Elle met tout le monde d’accord sur son talent, son flow très technique et son écriture très imagée. Les commentaires sur chacun de ses freestyles ou de ses vidéos YouTube sont dithyrambiques, vantant ses qualités de lyriciste. Le public qui la suit de publications en vidéos postées sur les réseaux prouve surtout qu’elle avait bien eu une vie avant Nouvelle École. La teneur des exclamations « Elle découpe la prod », « Non, faut qu’elle perce, c’est biiien », « Mais comment ça elle n’a pas déjà percé ?? », le prouvent. « Les gens sont plus frustrés que moi. J’ai mon chemin. Ça prend du temps de faire ce qu’on veut en tant qu’artiste », nous répond la rappeuse en souriant un après-midi d’une semaine qui promettait du soleil que la météo nous a repris. Issue d’une ville avec une scène rap locale réduite – « À part Vladimir Cauchemar, n’y a pas grand-monde qui vient de Reims dans le rap » –Leys a dû se débrouiller quand elle a troqué la danse pour écrire et poser des textes, dans une zone sans studios d’enregistrement, avec quelques open mics. L’EP Leys témoigne de la large palette de possibilités artistiques que l’artiste s’est arrogées pour les expérimenter.
La semaine de Leys
« J’ai tenté des choses et voulu montrer de quoi je suis capable », précise Leys en parlant du processus de création du projet, qui a eu pour effet d’encourager les beatmakers à lui envoyer plus de prods. « Mais je n’en ai pas reçu de meufs. » À bonne entendeuse… Il a fallu à Leslie beaucoup d’énergie et de maturité pour en arriver là où elle en est. Un besoin de grandir, avec des désaccords avec ses équipes passées qui ont pesé dans l’arrivée de ce « vrai projet » d’EP. « Avec ma sœur on a trouvé l’idée de décliner chacun des morceaux en l’associant à un jour de la semaine pour faire quelque chose de très réaliste et qui se rapproche de mon quotidien, explique Leys. On a structuré ce que je devais dire, quelles émotions je voulais faire passer selon le jour. » Jeudi, par exemple c’est #FTC, pour Fuck Tous Ceux. Le mood est au règlement de comptes (« Ils ont disparu ceux qui m’ont querna »), à l’egotrip sur une prod lancinante, un peu inquiète, où on entend des coups de feu. Dans le clip, on voit également Leys apparaître dans une tenue sur laquelle on peut lire les noms de rappeuses françaises comme Vicky R, Shay, Princess Aniès. Un hommage dans lequel l’incontournable Diam’s est aussi mentionnée. Masta, le producteur auquel s’est associée Leys a travaillé avec cette dernière, dont l’âme artistique plane sur le projet, de manière consciente ou pas, comme sur le rap français en général. Dans le morceau Je suis, extrait de l’EP, on retrouve clairement des accents de l’ancienne rappeuse mainstream, dans l’exercice de style de la narratrice au regard omniscient qui parle de tout le monde pour mieux parler à tout le monde. « J’ai rencontré Masta, on a discuté, ça a
« Mes freestyles, mon instinct m’ont ouvert beaucoup de portes. »
matché. Dès le début, on s’est dit qu’on ne partait pas pour reconquérir le public de Diam’s, ni refaire la musique qu’elle proposait. Les gens retrouvent sa patte dans mes morceaux, elle m’a inspirée, c’est logique, car c’est quelqu’un que j’ai écouté mais je ne le fais pas de manière consciente. » Elle n’est pas la seule figure tutélaire à être convoquée dans le panthéon artistique de Leys. Kery James est également un artiste qu’elle a saigné. Elle résume : « On me compare souvent aux personnes que j’ai écoutées et qui m’ont éduquée musicalement. »
Tuer Diam’s ?
Reste que la figure de Diam’s à laquelle on renvoie toujours les rappeuses semble indépassable, comme un modèle éternel auquel elles se sont comparées pour prétendre avoir leur place. Ce qui pose la question des conditions de leur présence sur la scène rap. Comment s’imposer si des totems empêchent symboliquement que les figures féminines se renouvellent ?
Le problème est plus large que le rap game pour la Rémoise. « Dans la société en général, c’est plus difficile pour les femmes dès le début, du coup on va moins oser. Les gens passent leur temps à nous juger, à questionner notre légitimité, on est plus en retard par rapport aux States. Je vais être jugée sur mon physique, alors on se pose plus de questions avant d’aller dans des plans qui peuvent être des bourbiers. Même dans le milieu des open mics, il y a moins de meufs ! » De plus, pour Leys, Nicky Minaj est l’idole ultime : « Même si j’ai toujours été coquette et féminine, je n’ai pas copié son style mais j’avais envie de dégager ce qu’elle dégage… Au milieu des mecs, elle casse tout. » Son arme majeure : sa plume. « Mes freestyles, mon instinct m’ont ouvert beaucoup de portes », constate Leys, se remémorant 2017 et l’émission sur YouTube Rentre dans le Cercle, animée alors par Fianso. « Quand il m’a contacté, j’étais trop contente. Je ne pensais pas qu’il m’écoutait. Tous les freestyles m’ont servi, surtout ceux des débuts, car les mecs qui les regardent sentent que j’aime vraiment le rap. J’étais stressée de fou et quand c’est sorti, ça a façonné un cheminement dans ma tête. Je n’ai pas forcément eu de force de la part de ma ville mais le fait qu’ailleurs on m’en donne m’a prouvé que ce que je voyais loin de moi à l’époque, Paris, le milieu du rap, l’industrie, ne l’était pas tant que ça. » L’introspection dans son EP pousse la rappeuse Leslie à se confronter à son alter ego, un pont entre elle et sa passion, notamment dans le morceau VS. « Leslie nourrit Leys, et sans Leys, Leslie ne peut pas fonctionner. Être vue, écoutée, c’est complètement contradictoire avec une partie de ma personnalité réservée, discrète, mais c’est mon équilibre. » Une vraie baddie sensible, comme elle se décrit elle-même.
Des aventures sur grand écran
Leys entretient une relation quasi obsessionnelle avec son art – on ne compte plus le nombre de fois au cours de l’entretien où elle a dit affectueusement
« J’ai mis du temps à avoir un discours autour de qui je suis, me valoriser, une femme noire avec un certain physique. »
le mot « rap » – qu’elle instille dans toutes ses activités, même quand d’autres domaines semblent lui tendre les bras ; on peut désormais la voir sur grand écran. « On m’a déjà sollicitée pour faire du cinéma. Je joue mon propre rôle dans un court-métrage à l’histoire farfelue – Les mystérieuses aventures de Claude Conseil – avec entre autres Raphaël Quenard au casting. Cette année, je suis aussi à l’affiche d’Apaches de la zone, aux côtés de Bilel Chegrani (Banlieusards, ndlr) » L’écriture reste au cœur de sa vie ; elle s’est attelée à la rédaction d’un roman sur le rap pour les 12-25 ans. « Ma passion, la musique, c’est aussi mon taf. Je suis H24 dedans. Tous les jours j’écris, j’écoute des prods. »
À l’aube d’une carrière commencée il y a presque une décennie, Leys garde la fraîcheur et la passion des débuts. Un morceau résume bien l’énergie et la pureté qu’elle conserve – sorti sur YouTube et sur les plateformes hors EP – Et si c’était le premier. « J’ai mis du temps à avoir un discours pour parler de qui je suis, me valoriser, en tant que femme noire. Ce morceau me ressemble encore à 100 %, et c’est cet instinct, cette spontanéité qu’il dégage que je veux réussir à insuffler dans mon prochain album. » Un morceau de bravoure de près de onze minutes, qui n’est pas sans rappeler… Et si c’était le dernier, de Diam’s. « Mon but premier quand j’ai commencé la musique, c’est de dire des choses dont on se rappellera. » Comme son illustre prédécesseure. Messages bien reçus, Leys.
IG : @leysmc
BLXST L’EFFET
Nouvel LP à venir, une prestation à Coachella récemment, un docu en préparation… Découvrez Blxst, un nom qui compte sur la scène rap US.
Texte DANYEL SMITH Photos KATHERINE & MARIEL TYLERBlxst est un artiste polyvalent de la scène hip-hop et R&B américaine. Originaire de Los Angeles, il a émergé comme l’une des nouvelles voix les plus prometteuses de la musique urbaine. De son vrai nom Matthew Dean Burdette, il a commencé à enregistrer et à produire de la musique dès la fin de ses études secondaires, mais il s’est fait connaître en tant qu’artiste solo avec son single Chosen, sorti en 2020, avec Ty Dolla $ign et le rappeur/ entrepreneur Tyga. La chanson s’est classée à la 51e place du Billboard Hot 100, devenant son premier tube de platine. Le chanteur et rappeur a sorti son premier album Before You Go au printemps 2022, avec des apparitions d’artistes tels que Rick Ross, Grandmaster Vic et Arin Ray. Peu après, il est apparu avec la chanteuse Amanda Reifer sur la chanson Die Hard de Kendrick Lamar, tirée de l’album Mr. Morale and the Big Steppers du lauréat du Grammy. Excellant à la fois en tant que chanteur, rappeur, et producteur, son style musical unique mêle des éléments de hip-hop, de R&B et de soul, créant ainsi un son distinctif, qui a séduit des artistes majeurs de l’industrie musicale, ce qui lui a permis d’élargir son audience et de gagner en visibilité.
Cumulant les casquettes d’auteur-compositeur, de rappeur, de chanteur et de producteur, Blxst, 31 ans, reste un éternel romantique par ces temps agités. Les thèmes qu’il évoque dans ses chansons lui viennent de son histoire personnelle assez lointaine. « Je suis en train de comprendre ce qu’a ressenti le petit Matthew, observe Blxst. Ce gosse qui voulait être écouté. Qui voulait que
son avis compte. » Il était le petit dernier de la famille. « Mes sœurs et mes cousins se moquaient souvent de moi, ricane Blxst. Je voulais juste être accepté. C’est ce qui transparaît dans ma musique, avec mon côté si authentique, franc, voire désagréable. Tout ça, je veux que mon public le découvre en lui-même. »
Le mouvement Blxst a officiellement débuté en 2014 avec la production du titre Do Yo Gudda de Hitta J3. Ce son, qui nous ramène à la période 75 Girls Records de Too $hort et aux productions d’Afrika Islam pour Ice-T, a eu tellement de succès que Kendrick Lamar, YG et Problem se sont empressés de le remixer. « C’était tout ce dont j’avais besoin, a confirmé Blxst dans The Los Angeles Times en 2022. L’étincelle a tout embrasé. » Pendant un temps, Blxst a occupé une place centrale au sein d’un crew appelé TIU Muzic. Il a produit et rappé, il a appris le branding, et il s’est rendu compte qu’il se débrouillait plutôt bien en tant que vidéaste. Il a aussi réalisé qu’il était temps de se concentrer sur sa carrière solo. En 2015, Blxst a lancé Evgle avec ses partenaires de business Victor Burnett et Karl Fowlkes. L’entreprise, basée à Los Angeles, abrite une maison de disques, une société de production, une marque de vêtements, une maison d’édition et un service d’investissement. Blxst le répète à l’envi : « L’aigle est l’oiseau solitaire qui vole le plus haut dans le ciel. J’y vois une sacrée dose de confiance en soi. »
Blxst adore divertir les gens. « Peutêtre parce que je suis su signe de la Vierge comme Michael Jackson ou Beyoncé. J’aime aider les gens à se sentir bien. J’aime quand ils rient. Quand ils sourient. Quand ils ressentent des choses. Et j’aime être connecté à ces émotions. » Blxst n’en démord pas : il ne faut pas négliger le public. « Les gens veulent être entendus. Ils veulent être connectés, comme les artistes. On a tous envie d’être aimés et reconnus à la fin de la journée. Et je veux retranscrire ça sur scène. » Selon lui, sa génération est à l’origine d’une nouvelle vague. « Quand je dis “on”, je pense à des artistes tels que Ty Dolla $ign, Roddy
Ricch, Young Dolph ou encore Rich Homie Quan. On a brisé les murs et on s’est détachés du hip-hop. Mais aussi de la neo soul et du R&B. Cela se répercute naturellement dans ma musique, sans même que j’y pense. » Puis conclut : « J’ai l’impression d’être né pour ça. »
« On a habité sur la 75e et sur South Central à Los Angeles », se rappelle Blxst à propos de son enfance. Le quartier abrite une communauté dynamique mais très surveillée par la police. Aux abords de l’adolescence de Matthew, la violence des gangs était en baisse, mais elle n’avait pas disparu… loin de là. Le lycée John C. Fremont était l’établissement scolaire le plus proche. Sa devise annonçait la couleur : « Trouvez votre chemin ou créez-le vousmême. » La plupart du temps, les bagarres qui éclataient au lycée John C. Fremont se soldaient par l’intervention de troupes antiémeute du Los Angeles Police Department. « Mon père n’a pas grandi dans les gangs, précise Blxst. Il vient de L.A. Ma mère, elle, est originaire d’Oakland. Alors on n’a jamais parlé des gangs chez moi. On me disait juste d’aller à l’école. » Mais l’État de Californie a dû émettre une injonction afin de protéger les élèves de Fremont contre la violence et les intimidations des gangs du quartier, comme les Mad Swan Bloods ou les Main Street Crips. Or, les sœurs aînées de Matthew fréquentaient l’établissement. Dans un document Red Bull Media House en cours de préparation et qui retrace la vie de Matt, sa mère Deanna explique de manière très concrète que parfois, à South Central, il n’était pas possible « d’être », tout simplement.
On dit qu’il faut tout un village pour élever un enfant. Les grandsparents de Matthew vivaient dans une dépendance située derrière la maison de ses parents. « Ils étaient témoins de Jéhovah, révèle-t-il. Leur éducation était donc très stricte. Quand je revenais de l’école, on devait aller à des réunions, faire du porte-à-porte… Mais je me souviens [aussi] de journées pendant lesquelles je rejoignais mes potes pour filer à vélo dans des endroits où je n’étais pas censé être. » Quand on lui demande comment il a vécu tout cela, il nous parle de sa foi. « J’étais protégé, assure-t-il aujourd’hui. Par Dieu. Par la puissance divine. Et j’ai toujours gardé la tête sur les épaules. »
Mais un jour, la sœur avec laquelle Matt avait la plus faible différence d’âge a été agressée dans le quartier. « Chanel terminait le collège, témoigne Deanna, et sans aucune raison, des filles… lui ont sauté dessus le dernier jour. J’étais furieuse. J’étais vraiment en colère parce que ces gamines se sont liguées contre elle et elles se sont montrées extrêmement violentes. » Deanna a quitté son travail pour récupérer Chanel et parler au principal ainsi qu’au personnel administratif. Elle est ensuite allée porter plainte au commissariat. Puis elle a sonné chez la meneuse afin de discuter avec sa famille. C’est comme ça qu’on fait à Oakland. Mais les parents de Matt ne se sont pas arrêtés là…
Un peu comme la mère du Prince de Bel-Air qui a envoyé ce dernier vivre chez son oncle et sa tante, Deanna a envoyé Matthew et Chanel vivre avec leur père à Upland, une ville de l’Inland Empire située au pied des imposants monts San Gabriel connus pour leurs forêts enneigées. Matt était en sixième. Si Upland ne ressemble en rien à l’élégant quartier de Bel-Air, elle se situe à environ une heure de route de South L.A… bien assez pour qu’un monde sépare les deux villes. En effet, Upland compte dix fois moins d’habitant·e·s et les écoles publiques sont bien plus tranquilles. Un vrai choc des cultures. Et un sentiment d’isolement prégnant. Mais, en même temps, plus de liberté. « C’est un endroit loin de tout… où on peut vraiment être soi-même, décrit Blxst. On peut être un gars bizarre. Un skateur. Un rappeur. Un junkie… Personne ne vous jugera. On est juste soi-même. » Loin de son vieux quartier et influencé par Terry Kennedy, skateur du Billionaire Boys Club, mais aussi par des cousins plus âgés qui vivaient à Long Beach, Matthew est passé de son vélo au skate. « Les gens portaient des jeans skinny et ils se teignaient les cheveux, poursuit-il. Je suis issu d’une communauté noire. Alors j’ai apporté ça à Inland. Vous savez, il y a beaucoup de Blancs là-bas… Le skate, c’est un peu comme une seconde nature. » Au lycée, Matthew ne vivait que pour le skate. Il enchaînait les Ollies sur
les escaliers, ridait des rampes… « J’étais partout, se souvient-il. On faisait du skate dans la rue. J’allais à l’Upland Skatepark… Je prenais le train juste pour me rendre dans telle ou telle structure. » Et comme cela arrive souvent aux petits génies de la discipline, on s’amuse bien jusqu’à ce que l’on se fasse une commotion cérébrale ou que l’on se fiche le poignet en l’air. Pour Matthew, ce fut la cheville. Un tout autre destin l’attendait.
Des cousins de South Bay ont rendu visite au convalescent et ils lui ont fait écouter une chanson écrite par leurs soins. Matt était scotché. « Je leur ai demandé comment ils avaient fait tout ça. Étaient-ils allés en studio ? Mais non, ils avaient juste un PC portable et le micro du jeu vidéo Rock Band. Ils n’ont eu besoin de rien d’autre pour créer cette chanson. Il fallait à tout prix que j’essaie. » Matt a harcelé son père pour aller dans les magasins d’occasion afin de trouver un PC portable et un micro. Mais avant même d’enregistrer, il a acheté un carnet et a commencé à écrire des raps. Son attrait pour les mots lui vient d’un oncle qui lui demandait sans cesse de chercher des définitions dans le dictionnaire. « Juste pour observer à quel point le sens changeait d’un mot à l’autre, sourit Blxst. J’ai toujours trouvé que les mots avaient une puissance de ouf. »
Lorsque son père lui a trouvé un « vieux PC portable pas cher », Matt s’est enfermé « dans [sa] chambre tous les jours » pour, selon lui, « essayer de comprendre ». Il a appris à maîtriser FL Studio grâce à la YouTube University. « Dès que j’ai entendu ma voix au micro, j’ai adoré, raconte-t-il. J’avais l’impression que je n’avais pas à… comment dire ? Trop en faire. C’était naturel. »
Et il n’a pas été le seul à le remarquer. Lors d’un talent show, Deanna s’est rendu compte que son fils avait le truc pour toucher les gens : « Au lycée, il avait joué dans des pièces de théâtre, etc. Mais là, c’était à son tour de faire le show. J’ai pu constater que toute la salle lui avait accordé son attention et s’était précipitée vers la scène. » Il n’avait que 17 ans. « Matthew sait parfaitement s’exprimer. Il trouve toujours les bons mots. Et les gens le comprennent. En tant que fan, c’est l’une des choses que j’admire chez Blxst. J’aime mon fils, c’est certain. Mais je suis aussi fan de Blxst. C’est la raison pour laquelle je l’admire tant. »
« Lorsque vous écoutez ma musique, je veux que vous soyez fan de vous-même... pas que de moi. »
MySpace était à son apogée : cette scène immense et pourtant si intimiste était emplie des inclinations et de l’énergie des jeunes en quête de leur propre communauté. C’est là que Soulja Boy et son Crank That ont percé. Tout comme Lily Allen. On peut aussi citer Nicki Minaj, Drake, Jhené Aiko, Metro Boomin, Arctic Monkeys ou encore Kid Cudi.
« Voir la réussite de toutes ces personnes issues d’horizons si différents m’a aussi permis de croire en moi, a rapporté Blxst à Passion of the Weiss en octobre 2020. Quand je consultais le MySpace des filles que j’aimais bien et qu’elles avaient mis ma chanson sur leur page, je me disais que je devais être quelqu’un là-bas. » Le monde des médias était en plein bouleversement. La musique changeait, les nouvelles technologies émergeaient, et Matthew découvrait qu’il était un véritable artiste, prêt à s’engager. Quant à Blxst, il avait envie de développer sa créativité. « Je n’ai rien d’un Stevie Wonder », s’exclame-t-il en riant. Blxst reste modeste sur ses aptitudes au piano, qu’il a acquises à l’oreille, en total autodidacte. « Mais le taf est fait. » Quand
Blxst nous parle de son prochain LP, il est intarissable sur la richesse des arrangements, avec les cordes, les cuivres, les flûtes ou encore la batterie : « Petit, je rêvais d’un tel album. Je me disais que quand j’aurais assez d’argent, j’allais pouvoir ajouter chacun de ces éléments. » Sur ce disque, l’une de ses chansons préférées est une introspection, « qui parle de la rapidité avec laquelle le secteur de la musique évolue, et de la manière dont je me suis retrouvé dans tout ça, dit-il. Mais aussi de la nécessité de comprendre le rôle qu’on joue. Vous devez comprendre la valeur que vous apportez dans vos propres relations ».
C’est le cœur même du monde de la musique, mais Blxst est parfaitement conscient de la chance incroyable qu’il a de pouvoir vivre de son art. « Je vis un rêve éveillé, apprécie Blxst. Ma famille m’a toujours aidé, au point que je n’ai jamais eu à trouver un travail. Il n’y avait que la musique qui comptait… Aujourd’hui, je vis la vie pour laquelle je suis fait. Auparavant, je me demandais toujours si j’aimais ce que je
faisais. Est-ce que je devais continuer ? Et puis les choses sont devenues très claires : c’était ma destinée. »
« J’ai l’impression de porter une cape de superhéros, réalise Blxst. J’ai conscience d’avoir à lutter contre ce… monstre ou je ne sais quoi. Mais j’ai toutes les armes nécessaires pour remporter la bataille. » Aujourd’hui, ce n’est plus un gars solitaire qui enregistre dans son appartement, mais plutôt un mec solaire qui travaille avec les autres dans de vastes open spaces. « J’ai gommé toutes les frontières musicales dans cet album, affirme-t-il. Je suis allé encore plus loin dans la production. Alors quand il a été question d’écrire les paroles, j’ai dû assurer. » Vous allez adorer l’évolution. Le jeune Matthew Dean Burdette est définitivement devenu Blxst. « Et vous pouvez aussi danser dessus », se félicite-t-il. Son fils, Tru, ne s’en est pas privé en le rejoignant sur scène à Coachella, l’un des festivals les plus en vus aux US (qui accueillait également Tyler, The Creator, DJ Snake, Justice ou Lana Del Rey). Son histoire s’écrit, et le son Blxst a de l’avenir. IG : @blxst
PALETTES LUMINEUSES
Artiste multicasquettes au talent débordant, LOSSAPARDO a dévoilé un premier album à son image. Compositeur, chanteur, peintre et réalisateur, il a fait le choix de ne s’enfermer dans aucune case pour garder sa pleine liberté.
Texte OUAFAE MAMECHE P hotos RAYAN NOHRA
« Tu sais tout faire, t’es un salopard ! », c’est ainsi que Seydou a trouvé son nom d’artiste, en renversant la taquinerie positive de ses amis en même temps que les syllabes de l’adjectif. Tout ça donne : Lossapardo. Il est vrai que le jeune homme de 28 ans fait beaucoup de choses. Certain·e·s l’ont connu pour ses peintures, notamment à travers ses autoportraits ; d’autres l’ont découvert à travers ses compositions musicales. Son travail a pu être contemplé sur des arrêts de bus pour une campagne humanitaire ; ou sur les couvertures d’ouvrages de l’autrice nigériane Chimamanda Ngozi Adichie. Après plusieurs collaborations sur les œuvres d’autres artistes (Crayon, Dinos, Jewel), Lossapardo a choisi de s’exprimer sur un album entier intitulé If I Were To Paint It Onze titres qui mêlent R&B, pop, bossa nova et soul et qui brossent le portrait de la vie de l’artiste.
Horizon des possibles
Rencontré dans un café parisien en fin de matinée, Lossapardo nous rejoint avec un large sourire et une belle ponctualité. Il remarque tout de suite un livre posé sur
la banquette, celui de son amie Sarah Ghoula, Nos silences sont immenses, un roman qu’il a illustré et qu’il n’avait pas eu l’occasion de récupérer. Son exemplaire en main amorce une discussion autour de l’édition littéraire. Le jeune homme a des questions sur ce milieu qu’il ne connaît pas et qui attise sa curiosité. « Curieux » est un adjectif qui qualifie parfaitement l’artiste en face de nous : « Quand on me propose un projet, je pose toujours des questions, la curiosité est la base de tout pour moi. » Sa curiosité a commencé à l’âge de 6 ans lorsqu’il est tombé amoureux du piano grâce au clip A Thousand Miles de l’Américaine Vanessa Carlton. « J’ai dit à ma mère que, plus tard, j’aurais un piano à queue blanc chez moi », confesset-il. Cette dernière l’inscrit alors en école de musique et au conservatoire, et le
« La curiosité est la base de tout pour moi. »
jeune garçon reste assidu plusieurs années durant. Surtout, elle le prend au mot et lui dit : « Fais en sorte d’avoir ce piano, crée-toi la vie qui te permettra de l’avoir. » Une phrase qui demeure ancrée dans l’esprit du jeune garçon. Autre souvenir musical de son enfance, la réception au même âge d’un album du chanteur Henri Salvador, le mythique Chambre avec vue, qu’il écoutera en boucle. « Je me rends compte seulement maintenant que cet album m’a vraiment influencé, raconte-t-il. Le titre Miel, qui clôt mon album et que j’ai commencé à écrire en 2017, est imprégné par cette vibe bossa nova. »
À l’âge de 18 ans, c’est la peinture qui fait son entrée dans la vie de Lossapardo. Dessinant depuis toujours, il tente des concours de grandes institutions avant de continuer sur sa lancée d’autodidacte. Il met en place un projet qui mêle fruits et baskets, et présente ses œuvres lors d’une première exposition en 2016. La même année, il co-réalise avec son ami Lokman un clip pour Gracy Hopkins : « C’est la première réalisation dont je suis fier », avoue-t-il. Sans oublier que, durant
« J’essaie d’atteindre l’équilibre entre ce dont j’ai besoin et ce dont j’ai envie. »
la même période, l’artiste compose de la musique et place une première production pour Josman.
La chronologie artistique de Lossapardo n’est pas simple à établir tant elle est composée de différents moyens d’expression qui s’entremêlent. « J’ai toujours eu ce désir de liberté. J’ai pris ce chemin car je ne voulais pas travailler pour les gens, ni que l’on travaille pour moi. C’est pour cela que j’ai adopté toutes mes casquettes. J’avais juste envie de raconter des histoires visuellement. »
La lumière avant tout
Lossapardo est d’un naturel solaire et généreux. Une question suffit à le lancer dans des récits artistiques passionnants. Son esprit déroule des anecdotes dont le fil semble infini. Tout est lié, chaque projet et rencontre amène à de nouvelles réflexions. Par exemple, fin 2019, il collabore sur l’EP de l’artiste FKJ en accompagnant chaque titre d’une peinture et réalise un clip avec le rappeur Bas. « J’ai rencontré une exposition incroyable en quelques mois, je ne m’y attendais pas, dit-il. Les requêtes qui en ont découlé ont été tout autres, à l’image de celles du Canadien Shawn Mendes. » Face à cette notoriété grandissante, celui qui affectionne la solitude a dû se poser les bonnes questions pour prendre les meilleures décisions : « Je veux me préserver de
choses qui peuvent me dépasser. C’est pour cela que je réfléchis au message que je transmets à travers mes peintures, pour le maîtriser. Je ne peux pas me déresponsabiliser de mon art, le laisser libre à interprétation et à être monnayé. » Après avoir défini les contours de ce qu’il ne voulait pas faire, Lossapardo s’est attelé à expliquer son univers. « Lorsque tu as plusieurs casquettes, il y a un cheminement à faire pour faire comprendre ton message. C’est pour ça que je dévoile mes processus de travail car une fois finis, mes travaux ne m’appartiennent plus. » L’artiste a alors pris l’habitude de détailler toutes les étapes de création à ses abonné·e·s : « Je peins surtout des petits formats que je vais être capable de scanner, à l’acrylique parce que ça sèche vite. Pendant que je peins, je m’arrête et je scanne pour avoir tout le processus. » Même s’il avoue que cela est compliqué d’assumer d’être son propre narrateur, cela lui permet de recevoir des demandes en lien avec ce qu’il sait faire. Mieux encore, et sans le savoir, avec ce procédé, Lossapardo a permis à celleux
« Mon art est un facilitateur de discussion. »
qui aiment son art de lui partager des histoires qu’ils et elles chérissent à la vue de ses peintures : « Mon art est un facilitateur de discussion », déclare-t-il.
Sons en couleur
À l’aube de la sortie de son album, notre discussion tourne essentiellement autour de la peinture car l’un ne va pas sans l’autre, et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, parce que Lossapardo essaie d’appliquer un même cheminement à tous les domaines de sa création : « Même si faire de la musique et de la peinture n’impliquent pas les mêmes techniques, la manière de concevoir est la même et elle me provoque des sensations similaires. » Ensuite, parce qu’il ne travaille jamais l’un sans l’autre : « Une histoire n’existe pas sur un seul plan, j’ai envie d’avoir une approche extrasensorielle, voire synesthésique, et proposer une expérience. » Enfin, parce qu’un même vecteur traverse tout son travail depuis le début : « Ma touche artistique, c’est la lumière. Mon travail a nourri ce thème et la lumière nourrit ensuite mon travail, c’est un cercle vertueux. » Cette lumière se retrouve logiquement sur la pochette de l’album If I Were To Paint It. Une fenêtre avec vue sur un coucher de soleil sur la mer qui se reflète sur la peinture que Lossapardo peint contre le mur. « Au-delà de l’esthétique, cela découle sur des messages. Mettre en lumière quelque chose, c’est spirituellement et métaphoriquement trop beau. C’est reconnaître la valeur des choses. » Lossapardo met en lumière ses contradictions et ses envies en musique. Il corrige, le fait d’accepter qu’il parle essentiellement de peinture dans sa musique, « c’est plus fort que moi », avoue-t-il. L’artiste avait envie de toucher des couleurs intermédiaires sur lesquelles on n’arrive pas à mettre de nom : « J’ai voulu faire un son entre le bleu et le vert, un autre dans les tons gris chauds, comme lorsque je mélange les couleurs pour peindre. »
« Je veux juste un peu de miel », c’est ainsi que se termine l’album, sur un désir assez simple mais qui paraît encore lointain. « J’essaie d’atteindre l’équilibre entre ce dont j’ai besoin et ce dont j’ai envie », confesse-t-il. À travers cet album, If I Were To Paint It, Lossapardo montre que l’important dans la quête n’est pas la finalité mais le cheminement.
IG : @lossapardo ; If I Were To Paint It (Roche Musique & Unity Group / Believe)
UN VOL D’AVANCE
Depuis l’enfance, AMBER FORTE rêve d’extraordinaire. Grâce à la wingsuit, c’est une réalité. Ayant démontré de formidables aptitudes dans cette discipline, depuis les montagnes norvégiennes jusqu’au Pakistan, cette jeune Britannique a décidé de prendre encore plus de hauteur.
Texte EMINE SANER Photos ESPEN FADNES et MARIUS BECK DAHLEAu sommet du mont Hoven, on n’entend que le souffle du vent. Des traces de pas isolées sur la neige de ce début de printemps nous conduisent à une petite saillie rocheuse où Amber Forte se dresse au bord du vide, les bras grands ouverts. Le soleil se reflète dans le fjord de la vallée qui s’étend à plus de 900 mètres audessous d’elle. Et la petite commune de Loen ressemble à un village miniature. « 3, 2, 1… », hurle-t-elle. Puis elle s’élance droit devant. Elle disparaît pendant une seconde et enfin s’élève dans le ciel, suivant la ligne du paysage et glissant avec une grâce sans pareille sur le vent qui fait frissonner la végétation. De la terre
ferme, on aperçoit une forme qui se découpe dans le ciel. Mais la confusion est facile : s’agit-il d’Amber Forte dans sa wingsuit ou d’un pygargue, oiseau commun du nord-est de la Norvège ?
Un peu plus tard, le haut de sa wingsuit sur les hanches, Amber Forte partage une remontée mécanique avec des touristes et des randonneurs. Espen Fadnes, son époux, la serre dans ses bras dès qu’elle sort de la cabine. « J’étais un peu… », commence-t-il avant de s’interrompre. Amber Forte porte une combinaison toute neuve qu’elle n’avait encore jamais testée. La poignée d’ouverture du parachute ne se trouve pas tout à fait au même endroit. « Je voyais le temps passer, reprend-il. Trois ou quatre dixièmes de seconde supplémentaires. » Ce qui ne posait aucun problème d’après la wingsuiteuse : « J’ai tiré fort. Mais le parachute est plus grand que d’habitude. »
Espen Fadnes et Amber Forte forment une équipe. C’est un couple qui a la wingsuit dans la peau. Ils vivent à Loen, village situé dans les magnifiques fjords norvégiens, où ils ont la possibilité de s’entraîner toute l’année. « Je peux me
Ça part : ici, Amber Forte s’élance d’une corniche sur le mont
Hoven à plus de 900 m au-dessus de son village natal de Loen ; (à droite) la wingsuit dans toute sa splendeur.
« L’adrénaline et le risque ne me fascinent pas, ce que j’adore c’est la sensation de voler. »
« Adorable avec les autres, elle peut se montrer très dure envers elle-même. »Équipe : l’ex-champion du monde de la FAI Espen Fadnes a rencontré Forte, sa partenaire dans la vie, en 2016.
« Si elle le pouvait, ma mère me demanderait de tout arrêter. »
tenir au courant de l’actualité et tester de nouvelles techniques et de nouveaux équipements, se réjouit Amber Forte, originaire du Devon, dans le sud-ouest de l’Angleterre. La région est fabuleuse. Elle compte tellement de vallées et de montagnes à explorer en wingsuit. » La jeune femme essaie de sauter tous les jours (en dehors des jours de repos), sauf si la météo l’en empêche. Sa vie entière tourne autour du sport. Même topo pour Espen Fadnes. « On travaille ensemble, on s’entraîne ensemble, on monte des projets ensemble », raconte-t-elle.
Tous deux se sont rencontrés en 2016, quand Amber Forte s’est installée à Voss (Norvège) et a commencé à travailler dans un centre de simulation de chute libre indoor, où Espen Fadnes donnait quelques cours. « Elle avait un truc en plus », se souvient-il. Il a été scotché par sa façon d’évoluer dans les airs : « On aurait dit une ballerine céleste. Alors que je suis plutôt raide comme un piquet. » Mais il connaissait bien la wingsuit et il avait grandi en escaladant les montagnes norvégiennes avec son père : « J’avais des compétences qu’elle n’avait pas, et elle avait des compétences que j’aurais adoré avoir. On a décollé en équipe. »
Au début, alors qu’Amber Forte découvrait la wingsuit – pour avoir le droit de pratiquer, il faut cumuler environ 200 ou 300 sauts aériens – il trouvait leur relation légèrement déséquilibrée. « Cela faisait quinze ans que je pratiquais cette discipline, ce qui m’a permis de décrocher un emploi et de belles opportunités », indique Espen Fadnes, 44 ans, soit douze ans de plus qu’Amber Forte. Véritable pionnier dans les sports aériens, notamment la wingsuit, il a été nommé aux Emmy Awards pour son travail de cameraman aérien, remporté les championnats du monde de la Fédération aéronautique internationale (FAI), et figuré dans de nombreux documentaires, y compris le film Wingman (2015) sur Netflix. « Elle a sans doute senti qu’elle devait travailler dur pour progresser », confie-t-il. Amber Forte a relevé le défi avec brio. En peu de temps, elle est devenue la wingsuiteuse la plus rapide au monde (son record de 283,7 km/h établi en 2017 est toujours d’actualité), elle a été la première femme
à entrer dans le top 10 des championnats de wingsuit de la FAI, et elle a fait plusieurs apparitions dans des publicités et des documentaires. Son prochain challenge pourrait bien se concrétiser dans quelques mois. Amber Forte s’apprête à traverser la Manche en wingsuit.
Cet exploit est inédit, et il y a probablement une raison à cela. Pour réussir, Amber Forte devra sauter à 10 000 mètres d’altitude (alors qu’elle n’a jamais sauté à plus de 6 700 mètres). Elle devra s’équiper d’un masque et d’une bouteille d’oxygène, ce qui affectera son poids et sa vitesse. Elle devra aussi protéger sa peau des − 70 °C ambiants, et donc porter un casque intégral du même type que celui des pilotes de chasse, et maintenir une température corporelle assez élevée pour effectuer les gestes nécessaires à son vol. Et elle aura beaucoup à faire.
Amber Forte planera pendant une dizaine de minutes, parcourant ainsi 34 km. Pendant tout le vol, elle devra conserver une position de gainage qui aura été calculée avec une grande précision, ce qui exigera un entraînement très sérieux en gymnastique et en endurance. Elle devra également faire preuve
Rouleurs : pas le droit à l’erreur pour Forte et Fadnes lors du pliage de leurs parachutes.
d’exactitude dans sa navigation, car le moindre degré de décalage par rapport à la trajectoire prévue pourrait accroître la distance à tel point qu’elle se trouverait dans l’incapacité de la parcourir. L’objectif consiste à atterrir à proximité du phare des falaises de Douvres. Mais elle devra s’entraîner au cas où elle terminerait son vol dans l’eau, et notamment apprendre à se libérer de son parachute et de sa bouteille d’oxygène avant qu’ils ne l’emportent vers le fond, et à rester à flot au milieu des vagues. C’est un combat tout aussi mental que physique. « J’ai vraiment peur de l’eau », avoue-t-elle.
Une combinaison de plongée pourrait s’avérer utile, mais elle apporte aussi son lot d’inconvénients : à 10 000 mètres d’altitude, les minuscules bulles d’air présentes dans le néoprène se dilateraient et la feraient suffoquer. Amber Forte apprend beaucoup : « Il me faut de nouvelles compétences, une technologie de pointe et une équipe de confiance. Cela nécessite de s’habituer à un tas de choses ». Et de s’entraîner énormément. La wingsuiteuse va bientôt retourner en Espagne pour s’exercer à partir d’un avion. Elle multipliera les séances en simulateur de chute libre et les sauts de BASE jump, car la mécanique doit être parfaitement huilée. Espen Fadnes décrit Amber Forte comme une athlète déterminée : « Elle n’abandonne jamais et elle veut aller le plus loin possible. Elle est adorable avec les autres, mais elle a tendance à se montrer extrêmement dure envers elle-même, et à se fixer beaucoup d’exigences. »
Pourtant, il y a seulement cinq ans, un grave accident de parachutisme a failli mettre un terme à la carrière d’Amber Forte. Cette dernière a passé plusieurs mois à se remettre de fractures au dos et au fémur. Elle a dû réapprendre à marcher, et le challenge qu’elle s’est imposé lui permettra entre autres de tourner définitivement la page : « J’accepte le fait que [cet accident] fasse partie de moi. Mais je ne veux pas qu’on me voie comme une personne accidentée jusqu’à la fin de ma vie. »
Ce projet est un projet d’avenir, répète-t-elle : « Je suis très motivée à
« La seule limite réelle quand on vole, c’est votre créativité. »
;Fjord focus : Forte navigue vers la vallée après avoir actionné son parachute (à dr.) un atterrissage souriant.
Amber Forte
« Je suis motivée à l’idée de faire quelque chose d’inédit. »
l’idée de faire quelque chose d’inédit et de révolutionnaire… quelque chose qui laissera une trace », déclare-t-elle. Amber Forte a toujours voulu avoir une vie différente de celle des autres, même si voler n’a jamais été un rêve d’enfance. Elle a, par exemple, envisagé de rejoindre un cirque. Benjamine de quatre enfants, Amber a grandi à Totnes, dans le Devon. Ses trois frères aînés étaient férus de BMX. Et son père, fan inconditionnel de motocross et de BMX, a entraîné toute la fratrie. Amber Forte s’émerveillait notamment devant les prouesses de l’aîné Kye, pilote professionnel de BMX et de VTT. « Je l’admirais parce qu’il exerçait un métier passion. Je voulais faire comme lui. » Elle ajoute en riant que leur mère n’avait pas vraiment un tempérament aventurier, mais qu’elle avait été embarquée malgré elle dans cette histoire : « Elle est heureuse pour moi et elle me soutient. Mais elle n’aime pas trop en parler. Si elle le pouvait, elle me demanderait de tout arrêter. » Si les prémices de la wingsuit remontent au début du siècle dernier, il a fallu attendre les années 1990 pour que les combinaisons deviennent plus fiables et accessibles. Un nouveau sport était né.
Les wingsuiteur·euse·s sautent à partir d’un point aérien, comme les parachutistes, ou font du BASE jump : ils et elles s’élancent dans les airs (le record de vitesse s’élève à 400 km/h), puis ouvrent un parachute placé dans leur sac à dos avant d’atterrir.
Amber Forte a découvert cette discipline quand elle a pris un aller simple vers l’Australie une semaine après son dix-huitième anniversaire. Sa bucket list était déjà bien chargée et incluait entre autres la plongée sous-marine et le parachutisme. Son baptême de parachutisme a eu lieu en Nouvelle-Zélande et autant dire qu’elle n’a pas tout de suite sauté de joie ! « J’étais choquée », se rappelle-t-elle en riant. Elle a réalisé quelques sauts supplémentaires puis, pour renflouer les caisses, elle a trouvé un emploi dans un centre de parachutisme : elle était chargée de ranger le matériel. « Tout le monde adorait sauter et cela me rendait un peu jalouse », observe-t-elle. Elle a donc décidé de se donner à fond. « Je me rappelle m’être dit que, même si je n’aimais pas le parachutisme, j’allais trouver le moyen de changer ça, ajoute-t-elle. Je voulais juste exceller quelque part. » Au final, sa passion s’est développée en même temps que ses compétences.
« J’ai toujours aimé bouger, danser, etc., explique-t-elle. Au début, j’étais sans doute fascinée par le fait de pouvoir réaliser des mouvements de yoga ou de gymnastique là où il n’y avait rien de dur, aucune limite… juste de la liberté. »
De retour en Australie, elle s’est fait embaucher dans un autre centre de parachutisme. « Mais je ne voulais pas travailler dans le commerce, précise-t-elle. Je voulais être assez forte pour enseigner ou participer à des projets, et être plus créative. Avant tout, je devais acquérir de bonnes compétences de vol, mais aussi réfléchir au moyen de figurer parmi les meilleurs. En Australie, on voit peu de femmes évoluer dans ce domaine. »
En Norvège, la tendance est à un peu plus d’équilibre. Amber Forte a de nouveau pris un aller simple, mais cette foisci direction Voss, avec assez d’argent en poche pour subsister pendant quelques mois, puis elle a harcelé le centre de
Forte en chute libre pendant 10 minutes.
Forte se posera à Douvres après 3 km en parachute. Elle est suivie par un bateau
« J’ai trouvé ma place dans ce monde. »Vue d’oiseau : Amber Forte survole la côte espagnole lors d’une séance d’entraînement.
L’heure du décollage à Loen. Fadnes a improvisé pour obtenir cette photo de Forte, en montant l’appareil photo sur son pied avant de se lancer.
« Mon accident me rappelle de ne pas relâcher sa vigilance. »
simulation de chute libre pour obtenir un emploi. Elle y a rencontré Espen Fadnes et lui a posé des questions sur la wingsuit. « Selon lui, c’était le sport qui procurait les sensations fortes les plus incroyables. Et les possibilités étaient infinies, raconte Amber Forte. Cela semblait à la fois très audacieux et tellement excitant. » Elle a réservé une journée d’entraînement avec lui. A-t-elle eu le coup de foudre pour la wingsuit ? Pas vraiment. Elle adorait la sensation de voler librement en sautant d’un avion, et la wingsuit lui paraissait un peu plus restrictive de prime abord. « Il a fallu attendre que je m’élance de la montagne
pour que la wingsuit me fascine réellement, témoigne-t-elle. Espen me motivait beaucoup, car il était passionné et il en connaissait un rayon. Cela m’a permis d’apprendre très vite. »
À l’époque, elle sautait encore souvent en parachute, ce qui lui a valu d’intégrer l’équipe norvégienne de parachutisme en 2019. Elle avait effectué environ 500 sauts cette année-là et elle se préparait pour les championnats du monde. « C’était exaltant, mais la pression se faisait clairement sentir », observe-t-elle. Pendant un saut de démonstration, il était prévu qu’elle atterrisse sur une plage. Tous les indicateurs lui disaient de ne pas sauter – elle était
fatiguée, elle n’avait pas mangé, et le brief était en norvégien, langue qu’elle ne parlait pas encore couramment – mais elle n’a rien écouté. « Cela me rappelle à quel point il est important de ne pas relâcher sa vigilance », reconnaît-elle. Lors de sa descente, elle a pris un virage assez bas, a heurté la cime d’un arbre et s’est écrasée au sol. Espen Fadnes a tout vu : « Ce cauchemar se déroulait au ralenti devant mes yeux. J’ai couru vers elle. Un traumatisme grave peut entraîner une hémorragie interne. Il est donc très difficile de savoir si la personne accidentée vit ses vingt dernières minutes ou si elle survivra, et vous ne pouvez rien y faire. »
« Ma passion du vol doit
surpasser la
peur, car la peur ne disparaît jamais. »
Par miracle, Amber Forte n’a pas eu d’hémorragie interne, mais elle s’est brisé plusieurs vertèbres et elle s’est fracturé le fémur. « J’étais dévastée, confesse-t-elle. J’ignorais comment j’allais pouvoir gérer tout ça. » Elle a passé un mois à l’hôpital et s’est vite juré de se remettre au sport. Elle a aussi commencé à filmer sa convalescence et à la partager sur les réseaux sociaux, en espérant que cela aiderait d’autres personnes : « J’ai échangé avec un nombre incroyable de gens qui avaient vécu des expériences similaires. Cela a donné plus de sens à ma vie. »
Quand Amber Forte est rentrée à la maison, Espen Fadnes s’est occupé d’elle sur tous les plans, y compris pour les soins d’hygiène personnelle. « Bizarrement, c’est devenu assez intime, constate-t-elle. Je n’ai jamais eu l’impression qu’il regrettait d’être là. » La jeune sportive était décidée à se dépasser, même si c’était difficile –le simple fait d’aller de son lit à la cuisine pour remplir une bouteille d’eau et revenir se coucher pouvait l’amener à vomir sous le coup de l’effort ou à dormir pendant de longues heures. Elle craignait que cela n’affecte leur relation : « Nous ne pouvions faire aucune activité, alors que c’était la principale raison pour laquelle nous nous étions rapprochés. Et les questions ont commencé à fuser : allions-nous y arriver ? Et si je ne peux plus sauter ? »
Elle a passé six semaines dans une clinique d’Oslo spécialisée dans les traumatismes graves, et six mois après l’accident, elle pouvait remarcher sans béquilles. Un an plus tard, Amber Forte sautait en parachute. Et peu après, elle a refait du BASE jump – Espen Fadnes n’était pas là, et la jeune femme a escaladé la montagne toute seule. Quand Amber Forte s’est placée au bord de la falaise et qu’elle a entrepris le décompte, plus grand-chose ne pouvait l’arrêter. Mais son téléphone a sonné à ce moment précis et elle a décidé de répondre : son chirurgien voulait lui annoncer que ses derniers résultats de scanner étaient bons, et qu’elle pouvait reprendre une vie normale. Elle lui a répondu qu’elle s’apprêtait à sauter d’une montagne. Lorsque l’on regarde Amber Forte sauter, cela semble à la
fois hautement technique et plutôt roots. Sa combinaison coûte des milliers d’euros, les conditions de vol sont surveillées de manière stricte, et quand elle planifie de nouveaux points de sortie avec Espen Fadnes, elle s’appuie sur des modélisations GPS complexes. Mais – s’agissant d’une activité de niche – sa piste d’atterrissage est un simple morceau de bâche bleue maintenu par des pierres, et elle se tient actuellement dans la chaufferie située derrière le restaurant d’altitude pour se réchauffer les mains sur la tuyauterie avant son prochain saut. Ses mains ne doivent pas être engourdies par le froid. « C’est le seul moyen d’ouvrir mon parachute, et si je ne sens pas mes doigts… », avance-t-elle. Amber dévoile que les choses ont légèrement changé depuis l’accident : « Je ne veux pas arrêter, mais il faut vraiment lutter quand on fait face à de tels risques. Notre cerveau nous somme de faire attention. » Elle sourit : « Et sauter du haut d’une montagne ne fait pas réellement partie du programme. » Si la maîtrise de ses peurs lui donne l’impression de s’accomplir, Amber Forte n’est pas pour autant en quête d’adréna-
d’une expérience en eau périlleuse.
line. Elle aime aussi rester chez elle et tricoter devant la télévision (dans une autre vie, elle aurait été architecte d’intérieur). « Je n’ai pas besoin de risquer ma vie pour me sentir exister, assure-t-elle. Je ne suis pas fascinée par le risque et l’adrénaline, mais j’adore la sensation de voler. Souvent, je me dis que ce serait bien si cette activité n’était pas aussi dangereuse, car il m’arrive d’avoir la nausée au sommet de la montagne. Ma passion du vol doit surpasser la peur. La peur ne disparaît jamais totalement et c’est d’ailleurs préférable. Dans le cas contraire, vous avez sans doute quelque chose qui cloche. » Même quand il tombe des cordes et que le froid est glacial, elle se sent toute puissante : « J’ai l’impression d’avoir trouvé ma place dans ce monde. C’est un immense sentiment de liberté. Évidemment, il y a des règles de sécurité à respecter, mais la seule limite réelle, c’est votre créativité. »
Après le premier vol en wingsuit qui a suivi son accident, Amber Forte raconte : « J’ai eu envie de pleurer au moment de l’atterrissage. Tout ce que j’avais traversé, jusqu’à me tenir debout seule sur la zone d’arrivée et en prendre conscience, m’a fait ressentir des émotions très fortes. Je l’avais fait ! » Quand elle sera la première personne à atterrir à Douvres après avoir traversé la Manche en wingsuit, l’expérience pourrait bien être identique – un retour aux sources et le début d’une nouvelle étape dans sa carrière, ainsi qu’une belle réussite et l’apogée de son rêve d’enfance, celui d’une vie différente. Amber Forte et Espen Fadnes sont sur le point de sauter pour la dernière fois de la journée. Ils sautent ensemble afin qu’Espen Fadnes puisse filmer Amber Forte dans les airs – et aussi parce que cela fait partie de leurs activités communes. La jeune sportive a expliqué qu’elle préférait la wingsuit au parachutisme, car elle pouvait être plus proche de la nature et réaliser des vols plus élégants. Il semble qu’un peu de sa grâce de danseuse ait déteint sur Espen Fadnes alors qu’ils se jettent tous deux dans le vide, enchaînant les descentes en piqué et les pirouettes, jouant dans les airs aussi naturellement que deux oiseaux en plein vol. amberforte.com
Bouée : Forte a inventé ce dispositif de flottaison à la suitePASSEZ VOTRE COMMANDE ICI
COUPON D’ABONNEMENT
À compléter et à renvoyer avec votre règlement sous enveloppe à affranchir à : RED BULL / ABO PRESS - CS 90053 – 67402 ILLKIRCH CEDEX
Mme Melle M.
Nom
Prénom
Adresse
CP Ville
Je demande à recevoir gratuitement la newsletter THE
Je joins mon règlement par : Chèque bancaire ou postal à l’ordre de THE RED BULLETIN
DATE
SIGNATURE
PERSPECTIVES
Expériences et équipements pour une vie améliorée
UN VÉLO À
LA MER
Bikerafting dans les Hébrides intérieures (Écosse).
« Des deux côtés, l’horizon s’étire à perte de vue. La houle se lève, difficile de ne pas se sentir à la merci des éléments, minuscule point dans l’océan infini. »
Le ciel de fn d’été s’obscurcit, subtil écho aux eaux profondes et ténébreuses du détroit de Jura. Alors que les vagues s’écrasent sur mon packraft de 2,5 mètres de long, mille questions m’assaillent : « Et si mon canot se dégonfait ? », « Et si la marée me jetait en pleine mer ? » L’heure n’est plus au doute. Je ne me sens jamais aussi vivant que dans ces moments-là.
Mon frêle vaisseau gonfable est balloté en tous sens, mais mon vélo accroché à l’avant fait contrepoids et m’empêche de chavirer, tandis qu’un vent assez clément me permet de respecter mon itinéraire. Au bout d’une heure, je suis presque à mi-chemin de ma traversée de 10 km de l’île de Jura au continent écossais ; des deux côtés, l’horizon s’étire à perte de vue. La houle se lève, difcile de ne pas se sentir à la merci des éléments, minuscule point dans l’océan infni.
Je vis à Chamonix mais j’ai grandi au Royaume-Uni et il fût un temps où j’allais
souvent dans les Highlands écossais, même si je suis encore loin d’avoir fait le tour de ces 900 îles dont seulement 89 sont habitées. Le bikerafting m’a semblé être le meilleur moyen de le faire de manière autonome et durable.
Pour celleux qui ne connaissent pas, le concept est simple : sur la route, on enroule un canoë gonfable autour du guidon. Quand on atteint un plan d’eau, ce véhicule amphibie de fortune se change en bateau avec le vélo accroché à la proue. Est-ce que ce concept plutôt adapté à des lacs d’eau douce ou des rivières paisibles s’adapterait à des traversées plus longues en pleine mer ?
Pour le découvrir, je suis arrivé trois jours plus tôt à Islay. Depuis le débarcadère du ferry de Port Askaig, je coupe directement vers le sud-ouest à travers l’île la plus méridionale de l’archipel jusqu’au village de Portnahaven. Là, sur les conseils d’un commerçant assez original, je me lance sur les pentes d’un chemin hors-
Géographie
Les Hébrides intérieures forment un ensemble de 79 îles (dont 35 habitées) au large des côtes escarpées à l’ouest de l’Écosse. L’archipel est isolé mais les ferries CalMac assurent des services toute l’année vers onze îles depuis le continent, où des liaisons de transport public directes vers Glasgow permettent de monter à bord pour des randos à pied ou à vélo. visitscotland.com
piste avec mon vélo gravel en quête d’une plage aux allures caribéennes.
Mes eforts sont vite récompensés. Une légère brise marine caresse mon visage, les eaux turquoise viennent lécher délicatement les plages isolées de Machir Bay d’une blancheur immaculée. Objectif atteint. Armé de mon équipement de camping, je revendique mon droit au vagabondage, monte ma tente, dîne et plonge dans les eaux glacées de l’Atlantique dans le plus simple appareil. Free!
À mon réveil, le calme a fait place aux vents incessants caractéristiques de ces îles. Serpentant entre les longs chemins de ferme et les dunes enherbées, j’atteins une route de campagne plus ou moins asphaltée et la civilisation (ou au moins un signal 4G instable). Les prévisions annoncent des vents crescendo ; si je veux vraiment faire ma traversée vers l’île de Jura, je n’ai pas de temps à perdre. Je pédale contre un furieux vent de face et arrive en vue du Sound of Islay, détroit
Un test : le trip de Rolph, d’Islay à Jura, l’a vu affronter des eaux agitées en radeau, des sentiers venteux en deux roues et des sommets escarpés à pied.
agité d’1,5 km séparant les deux îles. Vers Port Askaig, la force du vent pourrait me faire dériver vers l’Irlande, je décide donc de continuer vers l’est. Après avoir traversé une épaisse forêt et des tonnes de fougères, je descends de la falaise vélo à l’épaule et une fois en bas, gonfe mon embarcation.
Évitant prudemment une armée de méduses, je pousse mon bateau vers le large et me voilà tout à mon plaisir de pagayer enfn sur la mer. Mes yeux scrutent plusieurs points sur la rive de l’île pour évaluer ma progression. Comme prévu, la houle et le vent me font dériver, mais je repère un coin de rivage abrité et assez grand que je suis sûr de pouvoir atteindre. Au fnal, j’atterris à 4 km à l’ouest de ma cible, mais peu importe : j’ai toute une île à découvrir.
Si elle est aussi grande qu’Islay, sa voisine a un caractère tout à fait diférent. Les imposants sommets des Paps of Jura encadrent solennellement l’horizon et au nord comme à l’ouest, le Corryvreckan, troisième plus grand maelstrom du monde, ainsi que des mers agitées viennent compléter le tableau.
Des forêts luxuriantes relient les hautes tourbières et les mers généreuses ; l’île entière résonne des bruits de la nature. Un chemin me permet de rejoindre facilement Craighouse, le plus grand village. Visite de la distillerie de whisky de Jura, plein de calories à l’hôtel, puis recherche d’un endroit pour camper sur les collines.
Le lendemain, de redoutables vents d’est entravent mon odyssée maritime vers le continent. L’occasion d’explorer l’île plus en détail et de rouler au nord vers la cabane de Glengarrisdale. Au cours de l’ascension, la route se détériore jusqu’à presque disparaître. Impossible de traverser les collines marécageuses à vélo. Je remplis mon sac à dos et continue à pied. Une masse de nuages gris surplombe les collines vallonnées et une pluie incessante me rafraîchit en cette journée étoufante. Après quelques heures à patauger à travers les tourbières humides, je distingue pour la première fois les murs blancs étincelants et le toit orange vif de mon hébergement pour la nuit qui se détache dans ce paysage aux tons pastel. J’allume un feu dans la cabane et ouvre le whisky 18 ans d’âge acheté à Craighouse, chanceux. Le lendemain matin, j’apprends grâce à un faible signal téléphonique que le vent devrait tomber pour pouvoir tenter la traversée complète de 10 km jusqu’au continent. Je pars une heure avant l’étale, ce court moment entre les deux marées où le courant est neutralisé, pour m’assurer une traversée sécurisée. Au bout de deux heures, je distingue des détails sur les falaises du continent : le but. Dernier combat contre le vent avant d’atteindre une baie abritée et d’échouer sur la plage. Traversée terminée. Quand les conditions sont bonnes, rien n’est insurmontable (sur terre ou mer) si l’on est prêt à se laisser porter par le courant. En bikerafting, la nature peut être votre meilleure alliée comme votre pire ennemie. Photographe aventurier, le Britannique Aaron Rolph vit dans les Alpes. Fondateur du British Adventure Collective, il est spécialiste des expéditions à ski et à vélo ; britishadventurecollective.com
FOCUS
Alignement parfait
Siya Kolisi, du racing 92, a conduit les Springboks à deux victoires consécutives en Coupe du monde. Le joueur de 32 ans explique pourquoi le facteur plus important est la motivation.
Après la victoire de l’équipe sud-africaine lors de la Coupe du monde 2023 qui leur a permis de conserver leur titre de 2019, Siya Kolisi, capitaine des Springboks, s’est entretenu avec le président Cyril Ramaphosa dans la capitale du pays, Pretoria. « Tout ce que je fais, je le fais pour l’Afrique du Sud, a annoncé Kolisi à la foule nombreuse présente lors de la célébration. C’est notre objectif en tant que joueurs des Spring-
devenu en 2018 le premier capitaine noir de l’équipe. « En repensant à la Coupe du monde de rugby 2019 au Japon (où l’Afrique du Sud a battu l’Angleterre 32-12 en fnale pour remporter son troisième titre, ndlr), un tas de choses vous passent par la tête, raconte Kolisi. Mais le plus important, c’est qu’on veut absolument gagner parce qu’on sait ce qui se passe dans le pays. On voit des vidéos de ce que nos victoires provoquent chez nous ; des gens de toutes les origines réunis dans les bars, partout où l’on peut regarder le match ensemble. Il y a des écrans dans la rue, on ofre à manger à tout le monde, tout le pays est derrière nous. »
« À l’époque, il y a eu une grande marche contre la violence basée sur le genre ; il y avait des actes xénophobes et des afrontements dans tout le pays. On voulait que pendant ces 80 min de fnale, les gens soient fers et heureux. On savait que ce serait la victoire de tout un pays. On représente tout le monde ; il y a une immense richesse ethnique et linguistique et notre équipe symbolise parfaitement cette diversité. »
boks. » Dans un pays encore agité, leurs victoires représentent un immense facteur d’unité et l’une des motivations principales de Kolisi,
« Je sais que si je baisse les bras, d’autres vont souffrir. »
Siya Kolisi, capitaine des Springboks, vainqueurs de la Coupe du monde de rugby.
« On a montré ce qui est possible quand des gens très diférents ont un objectif commun. C’est important. On a besoin de savoir pourquoi on fait quelque chose. Et ce pourquoi on doit dépasser les propres doutes qui nous rongent. Parfois, il s’agit de quelque chose de plus grand que le simple objectif individuel. Pour moi, c’est ma famille, la fondation que je dirige, les enfants dont on s’occupe. Quand on joue bien, les gens ont envie d’être associés à notre succès. Ça attire les dons. Du coup, je sais que si je baisse les bras, si je ne travaille pas assez dur, d’autres vont soufrir. Voilà mon pourquoi. Et même quand je raccrocherai, je continuerai à essayer de rendre le monde meilleur. »
« Siya vit en parfaite adéquation avec ses propres valeurs », constate York-Peter Klöppel, responsable des performances mentales au Red Bull Athlete Performance Center de Thalgau (Autriche). En aidant sa famille, en impactant sa communauté et en étant une source d’inspiration, il tire beaucoup d’énergie de son pourquoi. » Comment trouver son pourquoi, surmonter les défs et donner un sens à sa vie ?
Chaque soir, essayez de penser à ce qui vous a le plus marqué.
Qu’est-ce qui vous a stimulé·e ? Qu’est-ce qui faisait le plus de sens ? Écrivez-le sur un post-it à coller sur votre frigo. Quand vous aurez des coups durs ou des idées noires, regardez ces post-it et rappelez-vous votre raison d’être.
Laissez la raison pour laquelle vous faites ce que vous faites être une source d’énergie et de motivation pour continuer d’avancer.
HORS DU COMMUN
Retrouvez votre prochain numéro en juin en abonnement avec et avec , dans une sélection de points de distribution et sur abonnement.
RICARDO NASCIMENTO / RED BULL CONTENT POOLIl y a longtemps que les feuilletons télé comme Plus belle la vie exploitent les soucis quotidiens de leurs personnages, des querelles familiales aux morts dévastatrices. Grâce au jeu de simulation Life by You (Paradox Tectonic), vous voilà aux commandes de votre propre série. Ce monde est votre bac à sable : en plus d’aider votre avatar à cultiver son jardin, faire la lessive ou arriver à l’heure au boulot, vous pouvez personnaliser les traits physiques et psychologiques de toute une communauté, construire des bâtiments, des bureaux et votre propre foyer.
Le jeu se diférencie de titres plus connus comme Les Sims par des niveaux de contrôle et de personnalisation plus poussés. Dans Life by You, chaque avatar a sa propre vie et ses habitudes que vous pouvez éditer et modifer. Il mémorise tout et réagit en fonction de son environnement. Et, surtout, contrairement aux dialogues simlish parfois déconcertants, vous disposez de conversations en langage réel modifables instantanément pour créer des interactions uniques, aussi profondes et dramatiques que n’importe quelle intrigue de série télé.
Pour exploiter au mieux ces pleins pouvoirs virtuels, nous avons fait appel au scénariste Matthew Cooper, nominé aux BAFTA et grand amateur de soap-opera.
Plantez le décor
Life by You vous propose d’être l’architecte de votre propre univers virtuel. Pour construire un décor propice aux drames, les lieux clés doivent être proches les uns des autres : cela permet de maintenir une dynamique constante et de faire éclater les confits naturellement. « Les producteurs parlent toujours du bistrot du coin, explique Cooper. Si mon
JOUER
Drame DIY
Le nouveau jeu de simulation Life by You vous invite à créer votre propre série et observer les réactions de vos avatars. Le quartier du Mistral comme si vous y étiez !
personnage commande une grenadine et que le vôtre choisit une bière, on a déjà une dispute. D’autres personnages peuvent venir s’en mêler. Il faut disposer de plusieurs endroits où les gens se réunissent. »
Faites simple
On pourrait avoir envie de créer des personnages complexes ou extrêmes pour accentuer l’impact dramatique. Cooper conseille de faire dans la simplicité. « Les meilleurs personnages ont un curriculum banal. »
Blanche Marci fait partie de Plus belle la vie depuis 2004, mais son personnage n’a jamais été modifé radicalement. « On doit avoir plein de gens normaux, avec des attentes, des angoisses et des préoccupations humaines. » Les intrigues reposant sur des personnages aux motivations très sombres se fnissent en
général assez vite. Les persos ordinaires, eux, peuvent tenir plusieurs saisons. « Mais, précise Cooper, banal ne veut pas dire monotone. »
Tuez vos chouchous
Maintenant que votre monde virtuel est rempli de personnages dynamiques, n’hésitez pas à en bannir un ou deux. « Les personnages auxquels on s’identife le plus forment le terreau d’une communauté.
« N’hésitez pas à bannir certains de vos personnages. »
Matthew Cooper, scénariste
Quand un tueur en série débarque, on n’a pas envie qu’il tue notre personnage préféré. C’est là que le drame est vraiment au rendezvous », poursuit Cooper. Dans Life by You, les avatars réagiront aux tragédies en fonction des traits de personnalité que vous leur aurez attribués : en faire disparaître un déclenchera des ressorts dramatiques et ouvrira des possibilités de scénarios infnis pour votre feuilleton.
L’art imite la vie
Les jeux de simulation de vie comme Les Sims ont toujours fonctionné comme un espace sûr où les joueurs et les joueuses peuvent expérimenter des scénarios du monde réel ou revivre des événements de leur propre vie. « Il n’y a rien de mal à s’inspirer d’un événement de la vie réelle ou de voler l’intrigue de votre flm préféré, voire d’utiliser toutes les pièces de Molière si ça vous chante. Parfois, ça se développe tout seul, de manière imprévisible. » Ainsi, vous remporterez sûrement le prix du meilleur scénario. Life by You est disponible en accès anticipé sur Steam et Epic Games Store ; paradoxinteractive.com
ENTRAÎNE-TOI COMME UN PILOTE.
Gagne une expérience unique au Grand Prix de Monza.
Sans limites
Affrontez tous les terrains avec des VTT et accessoires parmi les plus cool du moment.
Casque ABUS CliffHanger MIPS, mobil.abus.com ; lunettes de soleil OAKLEY Encoder Strike, oakley.com ; maillot manches ¾ Ruckus et pantalon cargo Ruckus TROY LEE DESIGNS, troyleedesigns.com ; gants slim TSG, ridetsg.com ; chaussettes STANCE Franchise Crew, stance.eu.com ; chaussures RIDE CONCEPTS Hellion, rideconcepts.com ; VTT PIVOT Switchblade, pivotcycles.com
Casque SPECIALIZED Tactic 4, maillot Trail Air et chaussures 2FO Roost, specialized.com; lunettes AVAIL Pasaana, availoptics.com; sac à dos OSPREY Raptor 14, osprey.com; short 100 % Airmatic et genouillères Ridecamp, 100percent.com; gants TROY LEE DESIGNS Ace 2.0, troyleedesigns.com; chaussettes STANCE Building Crew, stance.eu.com; VTT SCOTT Ransom 900 RC, scott-sports.com
Casque A3 et gants Air TROY LEE DESIGNS, troyleedesigns.com; lunettes MESSYWEEKEND MW Speed, messyweekend.fr; veste Gore-Tex T Spinks, tee-shirt et pantalon Ripper VOLCOM, volcom.fr; chaussettes 100% Advocate Performance, 100percent.com; chaussures CRANKBROTHERS Stamp Street, crankbrothers.com; Vélo SPECIALIZED Status 160, specialized.com
Casque BLUEGRASS Rogue Core MIPS, gants Union, met-helmets.com; lunettes OAKLEY BiSphaera, oakley.com; maillot TSG Breeze, ridetsg.com; short ENDURA Hummvee, endurasport.com; genouillères 100 % Teratec, 100percent.com; chaussettes STANCE Franchise Crew, stance.eu.com; chaussures SPECIALIZED 2FO Roost, specialized.com; VTT CUBE Stereo Hybrid One55, cube.eu
À NE PAS MANQUER
Déjà
dispo THE LAST STEP
Dans la carrière d’un·e athlète, chaque épreuve façonne le chemin vers l’excellence. Alors que le monde se prépare pour les grands rendez-vous sportifs de 2024, Red Bull TV dévoile un docu captivant qui plonge au cœur des parcours de trois athlètes français·e·s d’élite : Oriane Bertone, Vincent Matheron et Kauli Vaast, héros de notre numéro de mai. redbull.tv
juillet
L’EFFET CRANKWORX
Crankworx est un festival itinérant de MTB de renommée mondiale, réunissant les meilleur·e·s rider·euse·s pour des compétitions spectaculaires. La descente à Whistler (Colombie-Britannique) en sera l’épreuve phare. Attendez-vous à de l’action pure, du suspens et du crash sur l’une des pistes les plus emblématiques au monde. Et ce sera en live sur redbull.tv
MENTIONS LÉGALES
Directeur de la publication
Andreas Kornhofer
Rédacteur en chef
Andreas Rottenschlager
Directeur exécutif de la création
Markus Kietreiber
Direction créative
Erik Turek (dir.), Kasimir Reimann
Maquette
Marion Bernert-Thomann, Martina de Carvalho-Hutter, Miles English, Kevin Faustmann-Goll, Carita Najewitz, Tara Thompson
Rédaction photo
Eva Kerschbaum (dir.), Marion Batty (adj.), Susie Forman, Tahira Mirza, Rudi Übelhör
Gestion de la rédaction
Marion Lukas-Wildmann
Managing editor
Ulrich Corazza
Global content
Tom Guise (dir.), Lou Boyd
Publishing management
Sara Car-Varming (dir.), Ivona Glibusic, Melissa Stutz
Direction artistique commerciale
Peter Knehtl (dir.), Lisa Jeschko, Martina Maier, Julia Schinzel, Florian Solly
Direction des op. éditoriales
Sigurd Abele
Direct to consumer business
Peter Schiffer (dir.), Marija Althajm, Melanie Schmid, Yoldaş Yarar (abo)
Management vente et projets spéciaux
Klaus Pleninger
Fabrication & production
Veronika Felder (dir.), Martin Brandhofer, Walter O. Sádaba, Sabine Wessig
Iconographie
Clemens Ragotzky (dir.), Claudia Heis, Nenad Isailovic, Josef Mühlbacher
Sales operations & development
Anna Schönauer (dir.), Manuela Brandstätter, David Mühlbacher, Monika Spitaler
Finances
Ziga Balic, Nora Kovacs-Horvacs
Management de projets publishing
Katrin Dollenz
Assistante du management général
Sandra Stolzer
Directeur général
Red Bull Media House Publishing
Stefan Ebner
Adresse de la publication
Am Grünen Prater 3, A-1020 Vienne, Téléphone: +43 1 90221-0, redbulletin.com
Propriétaire médias et éditeur
Red Bull Media House GmbH, Oberst-Lepperdinger-Straße 11–15, A-5071 Wals bei Salzburg, Autriche FN 297115i, Landesgericht Salzburg, ATU63611700
Directeurs généraux
Dietmar Otti, Christopher Reindl, Marcus Weber
THE RED BULLETIN
France ISSN 2225-4722
Rédacteur en chef
Pierre-Henri Camy
Rédactrice adjointe,
Distribution et projets spéciaux
Marie-Maxime Dricot
Production éditoriale
Christine Vitel
Country Project Management
Marin Heitzler
Traductions & correction
Willy Bottemer, Valérie Guillouet, Claire Schieffer, Gwendolyn de Vries, Audrey Plaza (correction)
Abonnement
Prix : 12 €, 10 numéros/an getredbulletin.com
Siège de la rédaction
29 rue Cardinet , 75017 Paris +33 (0)1 40 13 57 00
Impression
Quad/Graphics Europe Sp. z o.o., Pułtuska 120, 07-200 Wyszków, Pologne
Ventes médias & partenariats
Yoann Aubry, yoann.aubry@redbull.com +33 (0)7 64 15 29 60
Date de parution / Dépôt légal 13 juin 2024 / À parution
Les journalistes de SO PRESS n’ont pas pris part à la réalisation de The Red Bulletin. SO PRESS n’est pas responsable des textes, photos, illustrations et dessins qui engagent la seule responsabilité des autrices et des auteurs.
THE RED BULLETIN Allemagne ISSN 2079-4258
Rédaction
David Mayer
Country project management
Natascha Djodat
THE RED BULLETIN Autriche ISSN 1995-8838
Rédaction
Nina Kaltenböck (dir.), Lisa Hechenberger
Country project management
Julian Vater
THE RED BULLETIN
Royaume-Uni ISSN 2308-5894
Rédaction
Ruth McLeod
Country project management
Ollie Stretton
THE RED BULLETIN Suisse ISSN 2308-5886
Rédaction
Anna Mayumi Kerber (dir.), Christine Vitel
Country project management
Meike Koch
THE RED BULLETIN USA ISSN 2308-586X
Rédaction
Peter Flax (dir.), Melissa Gordon, Nora O’Donnell
Country project management
Branden Peters
Surenchère de moves
Ils et elles étaient seize B-Boys et seize B-Girls en avril au Cent-Quatre Paris afin de se qualifier pour la finale mondiale du Red Bull BC One qui se tiendra à Rio en décembre. La scène breaking en ascension, venue batailler pour décrocher l’invitation suprême : se frotter à l’élite planétaire de la discipline au Brésil. B-Girl Sissy, B-Boy Killian et B-Boy Chaubernard (vainqueur de la finale Footworkerz) sont sorti·e·s du lot. Vous voyez ici B-Boy Yann en action lors du format Mortal Combo (un battle de moves en mode « surenchère ») durant le Red Bull BC One Camp France accueillant ces qualifications.
Le prochain THE RED BULLETIN sortira le 15 août 2024