The Red Bulletin FR 05/23

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LIBRE

Devenez aérien avec le speed rider

VALENTIN DELLUC

HORS DU COMMUN FRANCE MAI 2023 Votre magazine offert chaque mois avec

LA TERRE VUE DU CIEL

Celle de Yann-Arthus Bertrand, de Thomas Pesquet, la vôtre, et aussi celle de Valentin Delluc, qui la perçoit comme un immense terrain de jeu ! En se lançant dans le speed riding suite à un drame familial, Val s’est découvert un espace d’expression quasi illimité, où ses skills en parapente, ski freestyle et freeride lui autorisent des évolutions incroyables. Vous connaissiez déjà sûrement ses vidéos qui donnent envie de s’élever, vous voici face à l’homme, toujours positif, et à son histoire.

Parfois, les action sports peuvent faire mal, très mal. Et provoquer des lésions irréversibles. C’est sur celles du système nerveux que la neurobiologiste Homaira Nawabi s’est spécialisée, pour réparer nos routes intérieures et améliorer le quotidien de celles et ceux qui souffrent. Une mission soutenue par la fondation Wings for Life, et que vous pouvez vous aussi accompagner à votre rythme, en vous inscrivant au Wings for Life World Run, la course planétaire et caritative du 7 mai prochain. Il vous reste quelques jours pour vous préparer.

Et d’ici là…

Bonne lecture ! Votre Rédaction

ZEB POWER

Entouré de l’équipe qui a géré la production de sa couverture (édition US), le rider Zeb Powell (au premier plan, tout à droite) célèbre la fin d’une séance photo très énergique autour et dans les locaux de Red Bull à New York.

LAUREL GOLIO

Photographe de Brooklyn, elle a shooté le snowboardeur pro Zeb Powell dans Manhattan. « Son énergie ce jour-là était vraiment géniale, explique Laurel, qui a collaboré avec The New York Times, The Atlantic et des marques comme Nike, H&M et Puma. Zeb Powell était prêt à tout, dispo et plein d’enthousiasme et de positivité. » Page 60

LAKIN STARLING

« Big Freedia, c’est l’esprit de la Nouvelle-Orléans », explique l’autrice basée à Brooklyn, qui s’est retrouvée à interviewer l’artiste pendant une tornade. « J’avais suivi Freedia dans sa télé-réalité et j’avais vu qu’elle était une personne authentique, mais sa gentillesse sincère dans la vraie vie a eu un tel impact sur moi. » Lakin Starling a travaillé avec The Fader, Teen Vogue, Spin et Netflix.

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CONTRIBUTRICES NOS ÉQUIPIÈRES
Éditorial
4 THE RED BULLETIN NURI YILMAZER/RED BULL CONTENT POOL (COVER), LAUREL GOLIO

THE MOST CAPABLE RARELY GO IT ALONE.

THE MOST CAPABLE RARELY GO IT ALONE.

THE MOST CAPABLE RARELY GO IT ALONE.

11.10.22
11.10.22
AUSTRALIAN OUTBACK @BFGoodrichTires 11.10.22
CONTENUS
2023 8 Galerie : des photos folles 14 Playlist : les tops d’Ellie Goulding 16 Le point sur les drones bricolos 18 Hommage aux insectes disparus 20 Un écouteur professionnel 22 Wafa Heboul : skate and enjoy 24 Lazuli : du fail au succès 26 Luciqno : un destin dans l’esport 28 Il est libre Val Comment il a trouvé une liberté totale dans le speed riding 38 Reine des cœurs Big Freedia, au-delà de la bounce 46 La fête sans fin 35 ans de clubbing et au moins autant à venir : bienvenue au Rex !
mai
60 52 Speed Queen La boss du DH a décidé de kiffer 60 Easy Rider Zeb Powell connecte rue et snow 68 Les régénérateurs Réparer les corps avec Homaira Nawabi et Wings for Life 76 Brigade volante America’s Cup : avec le team de l’AC75 d’Alinghi Red Bull Racing 85 Voyage : grimpez à Chamonix 90 Gaming : du Tetris plein la tête 92 Matos : bougez avec du style 96 Ils et elles font The Red Bulletin 98 Image de fin : alerte à BTZ ! Changement de voie pour Valentina Höll. 52 6 THE RED BULLETIN
Zeb Powell, l’autre version du snow. MICHAEL PHILIPP BADER, VIET LE-HOAND, LAUREL GOLIO, SAMO VIDIC/ALINGHI RED BULL RACING, JUSTEN WILLIAMS Les US bouncent avec Big Freedia. 38 Avec le team Alinghi Red Bull Racing.
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THE RED BULLETIN 7
Passé, présent et futur du clubbing.
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ALDEYJARFOSS, ISLANDE Haut débit

Avant, David Nogales Tarragó était un novice de la photographie de sports de rivière. Mais lorsqu’il fut invité en Islande pour shooter un géant du kayak – Aniol Serrasolses (photo) –il est monté en grade direct. Cette action, sur la chute d’eau d’Aldeyjarfoss, 20 mètres, « l’une des plus belles que j’aie jamais vues, en raison de l’énergie de l’eau et des étranges formations de pierres basaltiques », a valu à l’Espagnol une place en demi-finale du concours photo Red Bull Illume. dnogales.com ; redbullillume.com

DAVID NOGALES TARRAGÓ/RED BULL ILLUME DAVYDD CHONG

BŘEZINA, RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

As des âges

Vues d’ici, elles ressemblent à des Hot Wheels, mais vous avez en fait sous vos yeux deux joyaux d’ingénierie automobile. La RB7 de Sebastian Vettel (en haut), qui a remporté le championnat des pilotes F1 en 2011, et la Tatra T607 – voiture de F1 tchèque de 1951 qui n’a jamais vu le jour –ont été réunies par le photographe Jirˇí Šimecˇek. Pour son projet Time Lap, il les a photographiées face à face, en utilisant pour chacune un boîtier spécifique à l’époque, afin de mettre en lumière les progrès de l’image et des sports mécaniques. jirisimecek.com

SALT LAKE CITY, UTAH, USA

Coup double

Ce n’est pas tous les jours que l’on assiste à un « kick-flip au Grand Lac Salé », comme l’appelle le photographe Dan Krauss. En fait, vous avez failli ne pas voir celui-ci. Le natif de Salt Lake City préparait des soumissions pour Red Bull Illume quand, dit-il, « j’ai réalisé que j’avais mis au placard une idée que j’avais repérée l’année précédente : un concept d’environnement dystopique surréaliste ». Avec le snowboardeur et skateur Jack Hessler à bord, Krauss a relancé le projet et s’est qualifié pour la demi-finale. dankraussphoto.com ; redbullillume.com

11 JIRI SIMECEK/RED BULL CONTENT POOL, DAN KRAUSS/RED BULL ILLUME DAVYDD CHONG

AVILÉS, ESPAGNE

Vestiges

« J’avais entendu parler d’un spot où l’on avait laissé pourrir des morceaux d’éoliennes, nous explique le photographe espagnol Ismael Ibañez Ruiz, alors mon pote Sergio Layos (le rider BMX en photo, ndlr) et moi avons décidé d’aller voir. Incroyable… Des courbes, des lignes, des hips et des transferts à gogo. »

Cette photo de Ruiz lui a valu une place en demi-finale de la catégorie Masterpiece by SanDisk Professional du Red Bull Illume, mais malheureusement, ce pays des merveilles du BMX a été vidé depuis. Insta : @ismaelibanezphoto ; redbullillume.com

13 ISMAEL IBAÑEZ/RED BULL ILLUME DAVYDD CHONG

Higher calling

L’auteure-compositrice-interprète anglaise primée revient sur quatre chansons qui ont joué un rôle crucial dans son éducation musicale.

Sa carrière dans la pop n’a pas toujours été assurée. Élevée par sa mère dans un HLM de la campagne anglaise, avec trois frères et sœurs –son père est parti quand elle avait cinq ans – Ellie a échoué à l’examen d’entrée à l’université de musique. Mais elle écrivait des chansons depuis l’âge de 15 ans et possédait une ambition à la hauteur de ses talents. À 36 ans, elle a trois albums de platine, deux BRIT Awards et une nomination aux Grammy Awards pour son tube Love Me Like You Do, sorti en 2015. Pour la sortie de son cinquième LP, Higher Than Heaven, elle évoque quatre chansons qui l’ont inspirée. elliegoulding.com

Scannez le code QR pour écouter la playlist d’Ellie Goulding sur Spotify.

Blur

Parklife (1994)

« Ce titre a façonné mon amour de la musique, car c’est la première chanson que j’ai achetée et elle a lancé mon amour de l’indie et du rock. C’était ma réaction la plus viscérale à la musique à l’époque, et je pense que nous avons besoin de cela aujourd’hui. Il est de plus en plus difficile de s’asseoir et d’écouter des ballades sur le thème de la déprime. »

Lauryn Hill

The Miseducation of Lauryn Hill (1998)

« Cette chanson m’a ouvert un autre monde et donné envie de chanter. Elle est si personnelle, j’aime beaucoup le ton de sa voix, ses inflexions… Lauryn Hill me touche par sa puissante voix et son ton direct. Je suis fan de l’énergie qu’elle dégage. C’était vraiment révolutionnaire pour moi à l’époque. »

Fleetwood Mac Dreams (1977)

« Dreams est un classique. Je ne savais pas que quelque chose pouvait sonner aussi bien ! Je suis jalouse de celles et ceux qui écoutent cette chanson pour la première fois et, bien sûr, les gens l’entendent sur TikTok maintenant. Je l’ai découverte en écoutant la radio. C’était une si belle chanson. Une vraie révélation pour moi. »

Active Child

Hanging On (2011)

« Cette chanson est plus moderne, j’en ai d’ailleurs fait une cover. C’est une combinaison de cette voix chorale, très haute, et d’une musique influencée par le hip-hop, un peu éthérée. Il est impossible de ne pas l’aimer, c’est tellement beau. Et ça ne ressemble à rien de ce que j’ai pu entendre auparavant. Juste incroyable ! »

ELLIE GOULDING
14 THE RED BULLETIN UNIVERSAL MUSIC MARCEL ANDERS

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VOLIRO Boîte à outils volante

Jusqu’ici, l’usage de drones civils se concentrait sur la création d’images spectaculaires. Une start-up suisse explore des possibilités insoupçonnées.

« Si je m’y attendais ? Pas le moins du monde », avoue Timo Müller, CPO et cofondateur de Voliro. En compagnie d’autres étudiant·e·s de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), il participe en 2019 à un concours de projets de drones innovants organisé à Abu Dhabi et décroche la première place haut la main grâce au concept « work at height ». L’idée: développer un drone capable d’effectuer des travaux manuels comme le vissage ou la peinture dans des endroits en hauteur extrêmement difficiles d’accès. « Au cours de mes recherches dans le labo d’essai de l’EPFZ consacré au développement des drones, je me suis demandé comment faire pour construire un engin qui puisse disposer d’une force de charge suffisante pour exécuter ces travaux tout en pouvant rester assez longtemps dans les airs », raconte Timo. Ce qui a fini par constituer le thème central de son mémoire de master.

À l’université, Timo Müller et Mina Kamel (son binôme de recherche de l’époque devenu cofondateur de Voliro) travaillaient autant sur la faisabilité technique d’un tel drone que sur les futures possibilités d’utilisation commerciale. Et là aussi, c’était une vraie forêt vierge : « La réputation du savoir­faire technique suisse n’est plus à faire. En revanche,

niveau vente et marketing, il faut reconnaître qu’il y a encore de la marge », explique Laurent Zimmerli, responsable de l’expérience client chez Voliro. Suite à sa victoire à Abu Dhabi, la start­up a réuni des investissements de deux millions de francs de la part de bailleurs de fonds suisses.

L’équipe technique a mis au point un drone capable, grâce à six rotors orientables à 360 °, de maintenir une position constante en plein vol, même en cas de vent, et ce à quelques centimètres seulement de la surface à traiter.

« En fait, on utilise plutôt le terme de robot volant, indique Laurent. Donc pour être précis,

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Les drones de Voliro peuvent pivoter jusqu’à 90 °, et être équipés d’une multitude de capteurs et d’outils.

nous ne sommes pas des fabricants de drones mais une entreprise spécialisée en robotique. »

Une niche du marché qui concerne actuellement le contrôle des paratonnerres situés sur les rotors des éoliennes et la mesure par ultrasons de l’épaisseur des réservoirs en acier ou des ponts afin de déterminer la porosité du matériau. Il suffit de changer l’embout du drone pour adapter celui-ci aux différentes manœuvres et surfaces d’application. Voliro considère son robot comme une sorte de plateforme d’outils volants en perpétuel développement pour lui trouver de nouvelles applications. Et la demande ne tarit pas : « La plupart de nos gros clients aux États-Unis, en Allemagne et au Benelux sont des entreprises d’inspection. »

En effet, ce sont généralement des pros de la grimpe industrielle spécialisée qui se chargent de ces travaux d’inspections cycliques et obligatoires situés dans des endroits en hauteur ou quasiment inaccessibles. Ce qui coûte du temps et de l’argent. « Normalement, il faut monter, vérifier, redescendre… On réduit ce temps par dix ! », s’enorgueillit Laurent.

Pour bien mettre en évidence cet avantageux potentiel économique, Voliro mise sur la transparence maximale : son site internet propose une évaluation du robot volant par les entreprises d’inspection ainsi qu’une comparaison avec le prestataire de services précédent. « Dernièrement, il ne nous a fallu que quelques jours pour contrôler l’ensemble des paratonnerres des parcs éoliens d’Allemagne du nord. En fait, c’est le client qui s’en est chargé lui-même », sourit Timo. Car l’idée de Voliro, c’est de former ses client·e·s en quelques semaines afin de les piloter en toute autonomie. voliro.com

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Photo du dessus : un drone de Voliro inspecte une éolienne jusqu’à 50 fois plus vite que ne le permettent les méthodes classiques. En bas : détails de cet ouvrier volant du futur.

INSECTES EN VOIE D’EXTINCTION

À nos chers disparus

En transformant en géants de petites bestioles menacées, le photographe Levon Biss nous montre l’ampleur réelle de leur détresse.

Invité à photographier le bourdon géant de Patagonie pour son projet de 2022, Extinct & Endangered, en collaboration avec le Musée américain d’histoire naturelle (AMNH) de New York, le Londonien Levon Biss a tenté une nouvelle approche : il l’a photographié du dessous. « On dirait qu’il a une immense crinière dorsale, s’extasie le photographe. C’est une image hallucinante, on n’a pas l’habitude de voir ça. »

Changer notre manière de voir les insectes, voilà l’idée au cœur de cette collection exposée à l’AMNH et en ligne. Une incroyable série de quarante clichés d’espèces disparues ou en voie d’extinction,

du criquet des montagnes Rocheuses, aperçu pour la dernière fois en 1902, au scarabée de Noël australien tout aussi rare. Biss a photographié quelques spécimens parmi les 20 millions de la collection du musée et effectué des agrandissements (certains mesurent 1,4 m × 2,4 m) pour un impact maximal.

Selon une étude publiée en 2020 dans la revue Biological Conservation, 5 à 10 % de nos espèces d’insectes ont disparu au cours des 150 dernières années. « Difficile de donner un chiffre exact tant leur observation est complexe, explique Biss. Elles forment la base de presque tous les écosystèmes. Un écosystème mal partagé

est un écosystème déséquilibré. Il faut éduquer, expliquer que ce ne sont pas d’horribles créatures rampantes. »

Ce que prouvent bien ces clichés qui soulignent parfaitement leur beauté complexe. Une opération qui se révèle très compliquée : Levon Biss utilise un appareil photo créé par ses soins et équipé de lentilles microscopiques qui se déplacent au prix d’accroissements millimétriques. « En général, l’appareil photo se déplace d’environ sept microns, soit environ un dixième de la largeur d’un cheveu humain. En macrophotographie, on ne dispose pas d’une grande profondeur de champ. Pour contourner ce problème, on prend tout un tas de photos de mise au point, environ 500, puis on utilise un logiciel pour les comprimer ensemble afin d’obtenir une image mise au point à tous les niveaux de profondeur. »

Biss divise chaque insecte en une vingtaine de sections et photographie chacune séparément avec un éclairage personnalisé, en rétroéclairant par exemple une aile pour faire apparaître sa structure. L’image finale est assemblée à partir d’un puzzle constitué de 10 000 photos, un véritable travail d’orfèvre d’environ trois semaines pour un projet qui a duré deux ans. Mais Biss estime que le jeu titanesque en valait la chandelle.

« Observer tout cela avec un zoom énorme nous donne un point de vue complètement différent. J’adore observer la mécanique des insectes : la manière dont ils se sont adaptés à leur environnement est complètement hallucinante. Travailler sur un insecte disparu nous remet à notre place : des milliers d’années d’évolution ont été nécessaires à l’apparition de cette créature qui ne volera plus jamais. Entièrement disparue. La nature est très fragile. » extinctandendangered.com

Au cœur du passé : le photographe Biss et son appareil sur mesure. 1 Bombus dahlbomii 2 Papilio chikae 3 Pseudocharis minima 4 Coccinella novemnotata 5 Osmia calaminthae
3 1 2 4 18 THE RED BULLETIN LEVON
6 Sphingicampa raspa BISS RACHAEL SIGEE
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Voyage au cœur du son

Pour trouver la liberté auditive, Anton Spice, « écouteur » professionnel, a quitté la ville pour une île minuscule.

Anton Spice pense que l’île de Muck est le plus bel endroit au monde. La plus petite des îles Small, au large de la côte ouest de l’Écosse, ne demande que 45 minutes de marche pour en faire le tour. Principalement plate, parsemée de baies, elle abrite moins de quarante personnes. Il n’y a pas de magasin, pas de bureau de poste, pas d’église et pas de pub.

Pourtant, c’est ici, en l’absence de l’agitation de la ville, que le rédacteur musical Spice a vécu une expérience sonore d’un genre nouveau. Au début de l’année 2020, Spice – qui est normalement basé à Londres –a pris un congé sabbatique et a réservé un cottage sur Muck pour une cure de désintoxication numérique de deux mois avec son partenaire. Lorsque la pandémie s’est installée, ils ont réalisé qu’ils allaient passer beaucoup plus de temps dans cette minuscule enclave.

Pour s’occuper, Spice a utilisé un enregistreur portable qu’il avait emporté avec la vague intention d’apprendre à faire des enregistrements sur le terrain. Au début, il a passé un mois à enregistrer dix minutes chaque jour au même endroit, mais après cela, appuyer sur le bouton d’enregistrement est devenu plus instinctif. Alors que certains des clips se concentrent sur des détails –le cri d’une bécassine ou d’un vanneau – d’autres sont « très panoramiques ». « Ils sont tridi-

Isle be there: (en haut) vue atmosphérique de Muck ; cette image et d’autres figurent dans le dépliant de l’édition limitée d’Echo Location; la cassette.

mensionnels, ce qui n’est pas le cas d’une photo, déclare Spice. On entend des choses qui se passent loin de la prise de son. » Capturant les sons du vent, des vagues, des animaux et de la vie agricole, les enregistrements ont offert à Spice une manière plus intime et méditative de faire l’expérience de son environnement limité et « les détails infinis qui en ressortent. On peut aller plus profondément dans l’espace qui nous entoure ».

Après dix ans de journalisme musical en ligne et « d’écoute » professionnelle, c’était libérateur : « Cela me semblait très pur et non compromis par les désirs d’autrui. Cela m’a donné un sentiment d’émerveillement que je n’avais pas ressenti depuis longtemps en écoutant quelque chose. » Rentré à Londres cinq mois plus tard avec des centaines

d’heures de sons, il a envoyé un pack d’échantillons à des ami·e·s musicien·ne·s. Il n’y avait « aucun brief » mais une invitation à prendre le paysage sonore de l’île de Muck comme source d’inspiration. Spice a reçu huit pistes de sept artistes (dont le compositeur néo-zélandais James Gardner, l’artiste électro anglaise Penelope Trappes, le concepteur sonore Udit Duseja et le Chilien DJ Raff), qu’il a rassemblées dans une compilation intitulée Echo Location avec l’intention d’encourager les gens à s’intéresser de plus près à leur environnement audio. « Il y a quelque chose de réparateur et de transformateur dans le fait de prêter attention aux détails et de sortir du cadre des rythmes qui nous sont imposés », conclut Spice.

echo--location.bandcamp.com

ECHO LOCATION
20 THE RED BULLETIN ANTON SPICE
RACHAEL SIGEE

« Ma plus grande qualité: ma volonté. »

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Jason Paul, Freerunner professionnel
redbull.com/wingfnder Donnez des ailes à votre carrière

La force du skateboard

Quand elle a débuté le skate au Maroc, il n’y avait pas de fille sur les planches. En pionnière, la jeune femme de 28 ans entend bien inspirer ses sisters à la suivre dans son ride.

Sur la plage d’Anza, à Taghazout Bay, où se déroule le Rip Curl Pro Search en février dernier, Wafa Heboul a les yeux qui brillent. La skateuse, qui pratique aussi le surf longboard, vit une scène inédite : une vingtaine de jeunes filles de 9 à 15 ans du club Anza Blue Waves se relaient pour surfer les meilleures vagues dans le meilleur temps. Une première au Maroc. Un pas énorme vers l’émancipation des femmes par le sport dans un pays où celles-ci sont encore peu visibles au line-up ou dans les skateparks.

the red bulletin : Quand vous avez commencé à rider il y a douze ans, pensiez-vous voir un tel événement un jour ?

wafa heboul : Ça me donne des frissons. Voir ces filles si heureuses… Un événement comme ça peut changer une vie. Quand je vois l’énergie déployée par Zineb (Tebbaï, monitrice de surf et organisatrice de ce contest, ndlr) et le soutien d’une marque comme Rip Curl, ça me donne des idées… Je me souviens de ma première compétition victorieuse, j’avais 17 ans, c’était à Agadir, on était trois filles et j’avais gagné une casquette trop grande. Ce fut un déclic.

Pourquoi le skate ?

À l’âge de 16 ans, j’ai ressenti le besoin de faire quelque chose qui n’appartenait qu’à moi. Avec mon amie Faiza Moumane, on passait tout le temps devant le square de l’Espoir à Agadir et on trouvait tous ces gens super cools. Il n’y avait que

des garçons, mais on a ressenti comme une invitation à les rejoindre. Quelques temps plus tard, un gars nous a vendu des boards, et on y est allées ! À cette époque, je passais en boucle les films Street Dreams et Les Seigneurs de Dogtown, je suivais des girls crews de tous les pays.

Comment s’est passée cette première session ?

C’était intimidant, on savait qu’en tant que filles, les yeux étaient braqués sur nous. Mais certains skateurs nous ont aidées, nous ont appris des tricks et nous ont invitées à rider dans Agadir, à ne rien lâcher. On est toujours amis aujourd’hui.

Et les autres ?

Dans la rue, les hommes nous critiquaient, ils nous disaient : vous ne pensez qu’à vous amuser alors que vous devriez être en train d’étudier, à leurs yeux, ce n’était pas un truc de fille, on n’était pas à notre place. Dans les yeux des femmes, à l’inverse, je voyais la petite étincelle. Ça m’a incitée à ne pas suivre la norme sociale.

Comment a évolué le skate au Maroc en douze ans ?

Ici, côté glisse, c’est le surf qui domine… C’est toujours le cas. Quand j’ai commencé, il n’y avait pas d’avenir dans le skate, il était impossible d’en vivre. Quant aux filles, on devait être trois à Agadir, une à Casablanca, une à Rabat peutêtre… Aujourd’hui, on est autour de la trentaine. Mais je suis toujours restée réaliste : le skate a fait de moi ce que je suis, m’a offert tellement d’opportunités… Je ne serai jamais une pro-rideuse, mais peu importe !

Aujourd’hui, vous vous définissez comment ?

Je me sens plus skateuse que jamais. C’est une thérapie, une communauté, une joie de vivre, un énorme sentiment de liberté. Les réseaux sociaux ont tout changé, m’ont donné une visibilité, une occasion inespérée de partager ma passion et d’agir comme un relais. Je me définirais plus comme une activiste en général, le skate est un moyen et une partie du process.

Avec Faiza, vous avez créé le collectif Wheels n Fins voici quatre ans, en quoi cela consiste ?

C’est un événement et une marque de vêtements. On se réunit une fois par mois à Taghazout Bay au Tawenza Square. On donne des cours gratuits, mais notre but est avant tout d’offrir un lieu de rassemblement safe et cool pour tous celles et ceux qui ont envie de faire partie de notre communauté. La collection de tee-shirts répond à cette même envie de partage. On a voulu faire des vêtements lifestyle qui parlent à toutes les femmes actives, quelque que soit la pratique : surf, skate, yoga, running… Grâce aux revenus générés par la vente, on organise le Wheels n Fins Experience avec cours de surf le matin, skate et sunset barbecue.

Aujourd’hui, vous vous consacrez uniquement au skate… Je me lance, j’aime bien le défi et le business, j’ai fait des études de commerce. Et je commence à avoir des marques partenaires. Je n’ai pas une communauté énorme, mais elle est bien réelle, engagée et investie.

Quel est votre street dream ? Voir les femmes marocaines s’accomplir dans la vie qu’elles auront choisie, y compris dans les secteurs dominés par les hommes. Leur dire : nous sommes là et bien là. Malgré un petit retour en arrière des mentalités, j’ai bon espoir que les choses changent dans les dix ans à venir.

Insta : @wafaheboul ; @wheelsnfins

Wafa Heboul
Texte PATRICIA OUDIT Photo EDU BARTOLOMÉ
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« Je ne serai jamais une pro-rideuse, mais peu importe ! »

Succès collatéral

L’artiste Lazuli s’impose avec sa mixtape Toketa, qui a failli ne jamais voir le jour. Un savant mélange de sonorités reggaeton et trap au rôle de catalyseur ambianceur.

Avec la montée en puissance des musiques latines en France grâce aux artistes internationaux·ales Bad Bunny et Rosalía, le terrain est fertile pour la Lyonnaise Lazuli, 25 ans, d’origine chilienne, qui compte bien s’imposer avec sa mixtape Toketa. Ces onze tracks dignes d’une BO de soirée caliente, au métissage musical bouillonnant, ont failli ne jamais voir le jour…

« J’ai besoin d’être au contact des gens. » Bercée à la salsa, à la bachata et au reggaeton depuis ses cinq ans, grâce à son père qui l’emmenait dans les soirées chiliennes, Lazuli a le sens du rythme et un amour pour la danse incommensurable. Son goût pour les musiques latines est inscrit dans ses veines : « Quand mes parents sont arrivés en France, après leur demande d’asile politique, mon père faisait partie d’un club de foot à Lyon, où il n’y avait que des Chiliens et des Colombiens, et toutes les semaines ils organisaient des soirées latinos. C’est grâce à mon père que j’ai ces influences. » Comme pour beaucoup d’artistes, la trap et le rap sont arrivés à ses oreilles au moment de l’adolescence. Avant, elle n’avait d’yeux, ou plutôt d’oreilles, que pour le reggaeton, un genre qu’elle se réjouit enfin d’entendre à la radio et en club : « Je suis tellement contente que le grand public s’ouvre à ça aujourd’hui. Je suis aussi choquée d’entendre autant de baile funk dans les clubs quand je sors. Au début des années 2000, il n’y avait que les personnes qui venaient des pays hispaniques qui les écoutaient. »

L’histoire de Lazuli, qui tire son nom de la pierre spirituelle lapis-lazuli, symbole de sérénité, commence pendant le confinement, lorsqu’elle s’essaie à quelques morceaux, elle travaille encore à la douane en tant qu’analyste textile. « J’ai commencé à faire de la musique sans prendre les choses trop au sérieux. Ce n’est qu’à partir du moment où mon entourage m’a dit que c’était cool que j’ai décidé de m’investir davantage. » Pour l’artiste basée à Paris, depuis l’été 2022, tout s’accélère dès son retour d’un voyage au Brésil, où elle s’est rendue avec un ami réalisateur pour concevoir des clips afin d’illustrer ses tracks produits pendant le confinement. Il lui fallait un « truc carré » pour la sortie de son premier EP Zero, sorti en 2021, un projet où le baile funk est mis à l’honneur.

Un an après, elle sortira Cardio, un autre EP où reggaeton et dembo posent le cadre de son identité d’artiste, qu’elle finira par assumer entièrement avec Toketa. « Avant je ne me connaissais pas musicalement, j’avais le syndrome de l’imposteur parce que je n’étais pas prédestinée à faire ça et je me demandais si je méritais d’être là. Maintenant, je ne me pose plus la question. J’ai évolué. Vivre sa vie, assumer ses projets, se donner à fond dans ce qu’on fait et croire en soi, c’est primordial. » Avec un premier projet qui ne date que de janvier 2021, la Franco-Chilienne, qui s’est adaptée aux opportunités qui se présentaient, s’impose petit à petit sur la scène urbaine sans se fondre dans la masse : « C’est allé si vite, je ne m’y attendais pas, toutes ces expériences, comme faire cette interview, c’est dingue » !

Et dire que Toketa, fruit d’une expérience fortuite, aurait pu devenir une tragédie. Elle me raconte : « L’idée du projet est née en mars 2022, au moment de la release party de Cardio Avec Izen (fidèle beatmaker déjà passé aux Red Bull Studios Paris, ndlr), on s’est fait voler un ordinateur sur lequel il y avait au moins 90 sons en prod… et on n’avait pas de back-up. Il ne nous restait que les formats enregistrés en mp3. » Pour Lazuli l’enthousiaste, pas le temps de s’apitoyer sur son sort : elle sélectionne les onze meilleurs tracks qu’ils ont pu récupérer ensemble pour donner vie à Toketa. Cet ensemble de morceaux qui « méritent d’être écoutés » est un métissage musical bien bouillant où se rencontrent le reggaeton, le baile funk, une trap légèrement agressive, des sonorités afro et même orientales comme sur le son éponyme de la mixtape. Avec ses titres Gasolina et Shake It, l’artiste nous invite à entrer sur le ring du dancefloor à coups de reins : twerk et perreo (danse sensuelle et provocante sud-américaine aux allures de doggy style) sont de rigueur sur des vibes à la chaleur aussi mordante que brutale. Danser n’a jamais été aussi sérieux que lorsqu’elle prononce ces quelques mots : « Boum boum fait un pas de plus tu te déhanches…quand tu commences j’en veux plus. » Et nous aussi.

À croire que la genèse de Toketa « devait se passer ainsi ». Produite il y a deux ans, elle est considérée par Lazuli comme une passerelle qui nous permet de l’accompagner vers son nouveau moi : « C’est différent de ce que je fais maintenant mais, ça permet aux gens de comprendre où je me situe actuellement. » C’est aussi un moyen pour elle de nous procurer un sentiment de libération et de montrer l’exemple : « Réussir et gagner de l’argent c’est cool », mais montrer l’exemple c’est mieux. « Si tu veux, que tu te donnes les moyens, tu peux. » Celle qui rêve de faire un featuring avec Daddy Yankee veut marquer les esprits et permettre aux personnes de ressentir les énergies positives qui se dégagent lorsqu’elles se déhanchent sur ses sons.

Instagram : @lazulibb

Lazuli
Texte MARIE-MAXIME DRICOT Photo MILENA PASINA
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« Assumer ses projets et croire en soi, c’est primordial. »

Le jeu d’une vie

Dota 2 passionne Victor « Luciqno » Jolivet depuis plus de dix ans. Ce jeu vidéo d’arène a changé sa vie, au point qu’il est devenu une figure de l’esport français. Voici comment.

L’esport s’écrit avec ses fans et ses jeux ont été créés par la communauté. La carrière de Luciqno commence au cours d’une discussion entre potes, en 2011. Valve, l’éditeur du jeu Dota, vient d’annoncer un projet ultra ambitieux : Dota 2, un condensé des meilleures créations des « moddeurs », ces joueurs et joueuses qui développent des améliorations de jeux vidéo à télécharger. Victor et ses potes suivent le projet à fond et veulent s’impliquer un maximum dans son succès. Ils ont l’idée de monter une Web TV, la FroggedTV, à l’image d’O’Gaming, une chaîne qui fait alors figure de référence dans l’esport français : elle diffuse du contenu compétitif tous les jours avec des matchs commentés en direct, des tournois faits maison et des émissions de plateau. C’est aussi une concurrente potentielle pour FroggedTV, puisqu’elle comporte une chaîne dédiée à Dota 2. C’est d’ailleurs là qu’officie alors l’ami et futur associé de Luciqno, Valentin « Kaoru » Lormeau.

Luciqno, manager d’équipes esportives sur Dota à ses heures perdues, devient alors commentateur de matchs pour la FroggedTV.

« Le principe était de commenter les matchs, mais le principal était de partager notre passion pour Dota. On a fini par être une trentaine, presque toutes et tous bénévoles.

J’y croyais », raconte-t-il. Luciqno donne tout pour la chaîne et quitte son job alimentaire en 2013, s’installe à Paris pour faire « huit heures de streaming par jour ». La Frogge-

dTV voit plus grand, s’associe à la chaîne Millenium et obtient des locaux parisiens pour y diffuser le tournoi mondial, The International (TI), chaque année : « On commentait des matchs toute la nuit, c’est là que j’ai découvert la régie, une passion : tirer les câbles, savoir comment il faut filmer… » Malgré ses efforts, la chaîne s’essouffle à mesure que le jeu s’écrase sous son concurrent, League of Legends (ou LoL) et Luciqno comprend qu’il va devoir élargir ses horizons pour vivre de sa passion.

Dans l’esport, nombreuses sont les personnalités qui changent de jeu et de métier. Mais se réinventer n’est pas facile : il faut refaire ses preuves, revenir aux bases et convaincre. Tweekz, commentateur sur LoL (voir l’article qui lui est consacré dans The Red Bulletin du mois d’avril, ndlr), estime que les talents de Dota n’ont pas pu exprimer tout leur potentiel. « J’ai toujours été très admiratif du projet FroggedTV. On a de la chance que LoL ait une longévité assez exceptionnelle. Il y a des profils extrêmement talentueux comme Luciqno qui ont malheureusement été sur les mauvais jeux… ».

2015 est une année critique pour Luciqno : il s’est forgé une expérience et une expertise sur des sujets variés, mais sans se spécialiser sur un sujet pointu. C’est finalement dans la régie qu’il jette son dévolu, à la fois par préférence et opportunité : un jour, Frédérick Gau, un ami qui sera aussi son associé chez Gozulting, l’appelle en urgence sur un plateau de Webedia (« société media-tech et acteur mondial majeur du divertissement en ligne »). Ce one-shot se transforme en du

long-terme. L’ajustement n’est pas facile, mais Luciqno s’accroche : « Me voilà catapulté dans une boîte avec plus de mille technicien·ne·s. Sans diplôme, j’ai appris sur le tas, grâce à l’aide de beaucoup de collègues. Ma position actuelle, je la dois à plein de monde », raconte-t-il, humblement.

Quand son ami et collègue Kaoru, cofonde Gozulting, sa nouvelle boîte de production événementielle spécialisée dans l’esport, avec Frédérick Gau, en 2017, il pense déjà à recruter Luciqno. « À l’époque, Victor est une mine d’expérience et de connaissances. Il a zéro diplôme, mais 100 % de compétences. C’était une évidence pour moi qu’il ferait partie de l’aventure Gozulting ! » Ce sera chose faite deux en plus tard, à l’occasion de l’organisation du premier Major de Dota 2 en France, le MDL Disneyland

C’est une consécration pour Luciqno. La portée de l’événement est mondiale, des équipes sont venues de partout pour s’affronter sur le jeu d’arène. L’expérience le propulse techniquement, mais la pression est sans précédent pour Victor : « Il y avait plein de défauts, on n’avait pas assez de moyens, un matériel moyen… mais c’était mon meilleur événement sur Dota », se souvient-il. Malheureusement, les tournois Dota 2 se font rares en France. Luciqno n’a plus le temps de superviser la FroggedTV et se consacre entièrement à Gozulting. Il est témoin de l’explosion du streaming en France, avec des événements comme les Shows Barrière de Gotaga, et de YouTube avec La Traversée de McFly et Carlito. Il travaille aussi sur l’Ultimate Fighting Arena à Paris en novembre 2022 et d’autres tournois esport.

Même si « la scène Dota peut s’essouffler en France, j’espère rester dans le gaming », dit Luciqno, toujours passionné par le jeu qui l’a propulsé dans l’industrie de l’esport. « Vous saviez que dans des pays comme la Russie et l’Asie du Sud-Est, ce jeu est une religion ? Il y a même un ministre chargé de Dota en Malaisie ! C’est un autre monde. »

Twitter : @LuCiqNo

Luciqno
Texte EVA MARTINELLO Photo ELLIOT LE CORE
26 THE RED BULLETIN GOZULTING ET ELLIOT LE CORE
THE RED BULLETIN 27
« Ma position actuelle, je la dois à plein de monde. »

IL EST LIBRE VAL

Sous sa voile, l’as du speed riding et du speed flying VALENTIN DELLUC est au meilleur endroit du monde. Suivez-le.

Texte PH CAMY Valentin Delluc lors du tournage de sa vidéo Fairy Flight, tournée en Turquie en 2022.
29 MAHMUT CINCI/RED BULL CONTENT POOL

Instructeur pendulaire, multiaxe et paramoteur, instructeur autogire, parapentiste, parachutiste, BASE jumper, speed rider et speed flyer… Il est aussi skieur, mais il est rare de trouver Valentin Delluc sur la terre ferme. En ce 1er mars où nous engageons la conversation avec lui, Val aurait donc dû être dans les airs, mais il s’est blessé quelques jours plus tôt, tirant un trait sur une session d’entraînement aux USA. Positif, l’athlète est total dispo pour nous parler au téléphone, depuis Montriond (Haute-Savoie) où résident ses parents. Pour nous raconter sa vie, et surtout, nous expliquer comment il s’est pris de passion pour ses fameuses performances aériennes qui rythment son quotidien de jeune trentenaire. Notamment le speed riding (un combiné de mini-parapente ultra-dynamique et de ski freeride et freestyle, entre évolutions aériennes et terrestres) et le speed flying (pareil mais sans les skis). Il se met en action très tôt, à deux ans et demi, avec le ski alpin. Assidûment, jusqu’à la compétition. Puis découvre un autre ski, freestyle, pratique beaucoup plus libre, vers 11-12 ans. Sans regretter ses débuts à ski, plus classiques : « Il faut commencer par le ski alpin avant de se mettre au freestyle, c’est super important pour les bases, avoir des appuis très réactifs », explique Val, avant de dérouler la suite du programme : premier stage de parapente à 11 ans, et brevet de pilote pendulaire (ULM), à 15. « Une discipline cadrée, réglementée, avec des règles aéronautiques, explique Val. On étudie des cartes, on acquiert une connaissance de l’aérien. » Ce qui lui permettra de se lancer un plus tard dans des pratiques peu communes.

La peur de l’inconnu

Ancien pisteur à Avoriaz, son père est également instructeur d’ULM, et a ouvert en 1992 ULM Evasion 26, une école d’ULM dans la Drôme, à Romans-surIsère. Sa mère a été pilote d’usine chez Citroën en rallye avant de travailler au club de ski d’Avoriaz. De quatre ans son aîné, son frangin Anthony est aussi un pratiquant de l’ULM, et un touche-à-tout. « Mon frère faisait du parapente, du ski freestyle, il avait quatre ans de plus et faisait tout mieux que moi, je suivais ses traces… » Les deux frères saignent les deux DVD des Soul Flyers, une clique française d’hommes volants notamment réputés pour leurs prouesses en BASE jump et chute libre et alors composée de Loïc Jean-Albert, Valéry Montant, Claud Remide et Stéphane Zunino. Les Soul Flyers évolueront vers une entité plus réduite, mais tout aussi intrépide, avec Fred Fugen et Vince Reffet. Dingue d’évolutions aériennes, Val se met à la chute libre en 2010, puis s’initie au BASE. Il évoque également ses années stunt, à moto, sur des routes isolées de sa commune. Activité qu’il abandonne le jour où, sur un wheeling délicat, sa moto retombe sur sa cheville, écrasant ses malléoles. De son côté, Anthony pratique un sport singulier aux yeux de Val, le speed riding. Son grand frère lui montre les vidéos de ses runs, en mode POV, grâce à un caméscope fixé à même son casque, et plus tard à l’aide des mini-caméras GoPro fort prisées des héros des action sports. Val reste perplexe. « Je le prenais pour un fou. Son truc, le speed riding, ça me semblait trop aléatoire. Ça me faisait peur. » Val reste à l’écart du speed riding. Pas pour lui. La disparition tragique de son frère, lors d’un vol en ULM acrobatique, sera

Valentin Delluc
30 SAMO VIDIC/RED BULL CONTENT POOL
« Le speed riding me semblait trop aléatoire. »

Journée normale pour Val : en mode frontflip depuis une montgolfière, au-dessus de la Cappadoce.

Ci-contre : Valentin Delluc joue avec la station d’Avoriaz lors de la réalisation de son projet vidéo From Avoriaz with love.

Ci-dessous : notre spécialiste du speed riding et du speed flying, et son ami le drone. Capable de performances hors du commun, il est une personnalité attachante. En bas à droite : le « snowpark naturel géant » qu’évoque Val dans notre article.

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finalement le déclencheur de sa passion pour cette discipline. « Au décès d’Anthony, je me suis renfermé sur moi-même, mais j’avais besoin de libérer mon énergie. Cette énergie que m’avait transmis son frère. » Il décide finalement d’essayer le speed riding, cette activité qui semblait apporter tant de choses à son frère. Ce monde dans lequel s’épanouissait Anthony, il ne pourrait en percevoir la réalité qu’en s’y lançant. « L’inconnu fait peur, il y a des choses que tu penses ne pas pouvoir faire, comme quand je voyais les vidéos de mon frère. Mais ne juge pas, commence, essaie. » Pour s’initier, Val dispose d’un trésor, les archives vidéo d’Anthony. « Je me suis plongé dans tous ses disques durs pour regarder toutes ses vidéos… Je les ai toutes épluchées, et j’ai beaucoup appris. »

Jamais ridés

Il se lance finalement, comme il peut, et seul, avec le matériel de celui qui aurait dû être son instructeur. « Concrètement, pour mon premier run, j’étais dans la Drôme, je suis allé sur une pente et je me suis lancé, mais je n’avais aucune portance, la voile était beaucoup trop petite. Je suis rentré et j’ai contacté l’importateur de matos, j’ai pris une plus grosse voile, et puis je suis allé à Morzine, j’ai commencé en bas d’une piste, à 100 m, puis plus haut… Mon vrai premier vol, je l’ai fait après une rando dans 30-40 cm de poudreuse, j’ai mis trois heures pour faire 100 m de dénivelé. Et puis je me suis lancé. » Val entre alors dans une nouvelle dimension. « C’est là que j’ai tout compris. J’ai eu des sensations de ouf, j’avais de l’air time. Tu tires sur tes commandes et tu as tout ce relief à dispo. Sous moi, je découvrais un snowpark naturel géant. » Les possibilités qu’offrent le speed riding lui semblent infinies.

Quasiment à la même période, il rencontre Antoine Montant, parapentiste réputé, champion du monde de voltige en 2006 et star du speed riding (en tant que pionnier de la discipline) décédé en 2011 lors d’un saut en BASE jump. « Antoine m’a pris sous son aile, et m’a motivé à suivre sa dynamique : aller rider des pentes ou faces qui sont inaccessibles, ou très difficiles d’accès pour les skieurs et skieuses. Ou encore mieux : des terrains jamais ridés. » Le speed riding permet en

effet d’accéder à des zones enneigées par les airs, et offre une approche absolument freestyle et freeride du côté ski de la discipline. Le rider peut skier une longue surface ou quelques mètres seulement sur telle ou telle section du territoire qui s’offre à lui, attaquer la zone neigeuse plus ou moins radicalement, redécoller et réatterrir à volonté, selon les conditions et la typologie du fameux park sous ses skis. « Un run en speed riding, ça peut être 20 % de ski et 80 % de vol, ou l’inverse, explique Val. Le côté freestyle concerne les tricks, et on bascule sur le côté freeride quand on ride vraiment une face en ski avec la voile au-dessus de la tête. Être un bon freerider est donc super important pour être un bon speed rider. » Avec le speed riding, il réalise finalement un rêve de gosse. « Quand j’étais gamin, je voulais avoir un super pouvoir, je regardais des dessins animés et je me disais qu’en me concentrant, ce pouvoir allait arriver. Je voulais être Diablo des X-Men (perso de comics mutant et en fourrure capable de se téléporter, ndlr), pouvoir faire une chute de 3 000 m et me téléporter au sol d’un coup. En speed riding, j’ai ce truc super naturel… Je glisse sur les éléments, je glisse dans l’air, il y a un feeling très particulier. C’est dur à expliquer. »

Y aller ou pas

On peut s’imaginer qu’avec sa passion grandissante pour ce speed riding si stimulant et exutoire, et d’autres pratiques engagées comme le BASE, ses parents ont pu avoir quelques réticences à l’égard de ses évolutions. « À cette période, ils n’aimaient pas vraiment me savoir faisant du BASE ou d’autres trucs, mais quand on pratique, on se met toujours dans les conditions les plus safe, on bétonne. On doit sécuriser plus que quiconque, on doit être prudent plus que quiconque. Si on saute à plusieurs en BASE, on saute encore plus loin que les autres pour ne pas dépendre de leurs erreurs potentielles. Surtout, on ne force pas les choses. Si tu ne t’amuses pas avec la montagne aujourd’hui, ne t’inquiète pas, elle sera encore là demain. Dans nos disciplines, c’est l’aérologie qui décide. Si les conditions ne sont pas bonnes, tu n’y vas pas. Tu peux dire : “Non, pas aujourd’hui.” »

Valentin Delluc
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« Je voulais être Diablo des X-Men. »
OLIVER GODBOLD/RED BULL CONTENT POOL, TEDDY MORELLEC/RED BULL CONTENT POOL, TRISTAN SHU/RED BULL CONTENT POOL

« L’air est un élément, et tu as plusieurs outils pour le rider », nous dit Val, qui est également instructeur en ULM, engin volant qui lui permet de faire des repérages pour ses runs de speed riding. « Je suis super chanceux que mon père tienne son école d’ULM et de pouvoir faire des vols en ULM quand je le souhaite. Un vol d’une heure, c’est trois ou quatre heures de repérages en voiture, et j’ai surtout une visibilité parfaite du terrain de jeu. » L’ULM est une histoire familiale et Val l’enseigne en mode plaisir, mais safety first. À ses élèves, il transmet son amour de l’aérien. « C’est cool de voir la réaction des personnes que je forme, elles progressent sereinement, elles sont heureuses. C’est souvent un public plus âgé qui se perd un peu dans ce décor, et puis apprend les limites du domaine de vol. C’est tout nouveau pour elles, ce sont un peu des enfants avec des jouets d’adultes », plaisante Val, qui, ces dernières années, a eu l’occasion d’instruire un élève bien particulier, en la personne de Tom Cruise. « Je l’ai coaché en speed flying, dans le cadre d’entraînements pour réaliser ses propres cascades », nous explique Val, qui ne pourra en dire plus à propos de sa collaboration avec la superstar bondissante d’Hollywood à jamais associée au film Top Gun Il peut, par contre, nous dire pourquoi son management a fait appel à lui : « Ils ont cherché les meilleurs speed flyers mondiaux, et ils les ont rencontrés, pour connaître leur personnalité et leur état d’esprit. Voir si ça pouvait fitter avec lui. »

La montagne

C’est à un autre Tom, tout aussi engagé, icône du freestyle motocross que Val a filé un coup de pouce, lors de la préparation de son projet vidéo Flight Mode. Dans ce contenu à couper le souffle, le pilote français Tom Pagès réalise un incroyable mega jump combinant évolution en moto et parachute depuis une falaise d’Avoriaz. Pour cette production, Val a épaulé Tom dans son initiation au BASE, et le king du FMX s’est pris de passion pour la chute libre. « Il s’est aussi mis au speed riding, et à l’ULM ! » Habitué à évoluer en solo dans sa base d’entraînement en Espagne afin d’y perfectionner ses tricks, Pagès a découvert une communauté, grâce à Val et autres Soul Flyers qui l’ont épaulé pour Flight Mode. « Avec ce projet, Tom s’est ouvert aux gens. On n’est pas beaucoup à faire du speed et du BASE. La montagne, c’est un monde simple. C’est une mentalité de vie, on s’entraide. Tu as toujours un

«
Tu vois les crevasses, tu peux jouer avec les falaises, les barres rocheuses. »
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TEDDY MORELLEC/RED BULL CONTENT POOL Ambiaaance ! Val en full mode speed riding pendant le tournage de Follow Me, à Avoriaz, le 20 février 2020.

Sur cette page : le projet d’athlète Moonline, un run nocturne, poétique et vertigineux sur le glacier des Bossons, à Chamonix. À droite : les yeux vers le ciel. Là où il honore en tant que speed rider l’héritage de son frère disparu.

gars dispo en montagne pour te donner de l’info sur le vent. Et les gars sont toujours motivés. »

Valentin a également à son actif des projets vidéo sensationnels. Ces quelques minutes d’action et d’esthétique pures vues plusieurs millions de fois sur YouTube ou les réseaux ont permis au monde entier de découvrir ses performances, et par la même occasion, ce qu’était le speed riding et le speed flying. Ces dernières années, Val est devenu l’ambassadeur planétaire de ces disciplines. Ses premiers projets vidéo d’envergure ont été des collaborations avec la maison de prêt-àporter de luxe Armani, débutées en 2014, pour deux spots publicitaires. Pour le premier, tourné au Mont-Blanc, Val est déposé en hélicoptère à 4 500 m d’altitude. « J’ai ridé des pentes de 45-50 °, et je ne faisais pas le malin, plaisante-t-il. Mais je me suis alors vraiment rendu compte des possibilités qu’offrait le speed riding.

Il prenait tout son sens. Tu vois les crevasses, tu peux jouer avec les falaises, les barres rocheuses. Se lancer dans un run en altitude, à 3 500, 4 000 m, avec du soleil, et pas de vent, c’est le top. »

Ambiance

Son super pouvoir boosté, il enchaîne les projets vidéo d’envergure, en collaboration avec Red Bull, et avec le soutien d’un autre speed rider, son pote Ugo Gerola, essentiel à la bonne exécution des projets. En 2017, il sort une vidéo où performance et émerveillement sont à l’honneur : Moonline. Pour ce projet ambitieux et poétique, il dévale une ligne vertigineuse sur le glacier des Bossons à Chamonix, de nuit, uniquement éclairé par la pleine lune et un ruban de LED fixé à sa voile. Un gamin apparaît à la fenêtre de l’un des chalets, ébahi par ce Val en mode luciole. Autre ambiance en 2020, entre air, terre et eau cette fois, du côté des massifs des

Hautes-Alpes et des Écrins, jusqu’au lac de Serre-Ponçon, pour Let it Snow. On y voit Delluc s’offrir une folle session de speed riding qui s’achève en mode wake-ski sur fond de musique soul. N’oublions pas From Avoriaz with Love, en 2021, où Val joue littéralement avec les infrastructures de la célèbre station de Haute-Savoie, à Morzine, sa base.

C’est bien avec ces vidéos que Valentin peut s’exprimer au max, en mode imagination illimitée. « La compétition, c’est nul, dit le pourtant deux fois champion de France de speed riding, tu ne peux pas t’exprimer. La vidéo, c’est la créativité. Tu peux pousser tes limites. De la conception à l’aboutissement du projet, toutes les phases sont enrichissantes, que ce soit côté innovation, matos ou perf’. » Pour son dernier projet en date, Val s’est offert des runs de speed flying hallucinants en Cappadoce, en Turquie, au milieu des montgolfières, des maisons troglodytes et des cheminées de fées. Si ce projet Fairy Flight est un pur bonheur visuel, il n’en fut pas moins délicat à réaliser côté backstage. « Parfois le spot est dingue, comme en Turquie, explique Val, mais les conditions et les contraintes du tournage limitent tes runs. Tu dois dire non pas mal de fois, à cause de la lumière, ou du vent. Pour Fairy Flight, les conditions n’étaient idéales que 20 à 30 % du temps durant le projet. Dans ces cas-là, il faut s’écouter. On n’est pas invincibles. » Avec toujours la sécurité en tête, Val insiste : « Celui qui le croit est sûr de se planter, il n’a rien compris du tout. »

Alors que notre call touche à sa fin, il nous reste un truc à savoir : ce qui lui plaît tant, là-haut, finalement ? « Quand tu es en altitude, l’air n’est pas pareil, tu n’es pas vraiment à ta place, ça n’est pas ton environnement. Avant de te lancer dans ta ligne, tu réfléchis à tout ce qui pourrait arriver et comment t’en sortir, tu es super concentré, et tu te lances… et là, c’est ambiance ! Tu voles à 140 km/h grâce à un simple bout de tissu, tu es porté, c’est magique. Tout ne tient littéralement qu’à un fil, entre toi et ta voile. Tu resteras concentré jusqu’à la réception… » On l’entend sourire au téléphone : « … c’est ambiance. » Instagram : @valentindelluc

Valentin Delluc
THE RED BULLETIN 37 STEPHANE CANDÉ/RED BULL CONTENT POOL
« Tu voles à 140km/h grâce à un simple bout de tissu. C’est magique. »

Reine des cœurs

Après avoir propulsé la bounce music de la Nouvelle-Orléans dans le grand public il y a plus de dix ans, la rappeuse charismatique et star de télé-réalité BIG FREEDIA est prête à diffuser sa musique dans le monde entier.

Texte LAKIN STARLING Photos JUSTEN WILLIAMS 38 THE RED BULLETIN
Diva pour toujours : Big Freedia, photographiée pour The Red Bulletin à la Nouvelle-Orléans, en décembre dernier.

Brillante : Freedia dans une forme étincelante ; (ci-contre) sur scène avec ses danseuses au Tipitina’s, une salle de concert de la Nouvelle- Orléans.

« J’ai toujours été celui que l’on entendait de loin à l’école. »

Un mardi de décembre, en fin de matinée. Des rires résonnent dans les murs de Tipitina’s, une salle de concert de la Nouvelle-Orléans. Les poutres du plafond de la salle de spectacle sont recouvertes d’affiches vintage d’artistes célèbres comme Irma Thomas, Fela Kuti et Taj Mahal. À l’étage, une autre légende de la musique se prépare.

Les gloussements retentissants de Big Freedia, star de la bounce-music et icône LGBTQ+, dominent le brouhaha. Entourée de son équipe soudée, la « Queen Diva » est assise sur un canapé en cuir noir et s’admire dans le miroir avant une courte interview devant la caméra. À 44 ans, Freedia est à la fois sûre d’elle et réservée, affichant un glamour soft, des cils en éventail et des cristaux éblouis-

sants, de ses boucles d’oreilles aux coutures de son top. Ses cheveux noirs de jais lustrés sont relevés en une queue de cheval haute, ce qui la fait paraître encore plus grande que son mètre quatre-vingthuit. « Oui, honey, brille comme le diamant », chante avec espièglerie Freedia en réponse à un compliment sur son look. Depuis plus de vingt ans, Freedia travaille sans relâche à son art tout emmenant la bounce music à travers le monde. Elle a enregistré plusieurs EP ainsi qu’un album, publié un livre (God Save the Queen Diva! paru en 2015), mené six saisons à succès de son émission de téléréalité américaine (Big Freedia Bounces Back), commencé à tourner une nouvelle série dérivée (Big Freedia Means Business), et travaille actuellement sur un nouvel album. Au cours des cinq dernières années, elle a été sollicitée plus d’une fois par des artistes tel·le·s que Drake, Lizzo et Beyoncé pour des collaborations et des samples. Et plus récemment, elle a reçu la reconnaissance qu’elle attendait depuis longtemps de la

part des Grammy Awards avec une nomination pour l’album de l’année 2023 pour son travail d’autrice-compositrice sur Renaissance de Beyoncé. « Je suis éternellement reconnaissante d’avoir bouclé la boucle avec tout ça, d’être en nomination et enfin créditée pour ma présence sur une chanson en tant qu’autrice, dit Freedia. Je reçois les fruits de mon dur labeur. Mais je n’ai pas besoin de cette validation. Je travaille depuis si longtemps. »

Née à la Nouvelle-Orléans à la fin des années 1980, la bounce est la manifestation de l’âme, de l’audace et du dynamisme de la ville. Ce sous-genre du hiphop combine des rythmes entraînants avec des lignes de basse percutantes et des répétitions vocales d’une manière telle qu’il devient impossible de ne pas bouger en l’écoutant. Se produisant partout, des petits clubs moites aux grandes salles de concert, Freedia et sa fidèle équipe de danseuses mettent toute la gomme pour faire bouger les foules. Elle appelle cela « diriger les derrières du monde entier ».

Big Freedia
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Big Freedia

et lui a permis d’être lui-même. Ce soutien l’a finalement aidé à s’épanouir. « J’avais peur et j’étais timide, surtout à l’école primaire et au collège, parce que j’étais en train de me trouver, ditelle. Mais au lycée, j’étais le directeur de la chorale. J’avais donc les clés de l’auditorium et j’étais cette queen qui était là, à dire : “Les filles, vous ne me dérangez pas. C’est moi qui dirige.” »

Freedia maîtrise parfaitement la situation lorsqu’elle est au micro. Sa capacité à faire le bon choix musical s’est développée pendant les années passées à chanter avec le célèbre groupe Gospel Soul Children of New Orleans, et en tant que directeur adjoint de la chorale de son église. « C’était au moment où je commençais à me trouver, dit-elle. L’église était mon refuge. Ma marraine Georgia, qui était la directrice de la chorale de mon église d’origine, m’a ouvert grand ses bras et m’a acceptée. » J’étais un enfant de chœur costaud de la Nouvelle-Orléans », dit-elle de son enfance. Bien avant qu’elle ne crée un sanctuaire par le biais de la bounce, Freedia était connue sous le nom de Freddie. L’église était un refuge et offrait une chance d’échapper au quartier où Freddie a grandi. Sa mère, coiffeuse, et son père, chauffeur routier, ont fait de leur mieux pour offrir une vie agréable à Freddie, à son frère et à ses sœurs. Puis, juste avant que Freddie n’entre en troisième, le dur labeur de ses parents a porté fruit et la famille a déménagé dans un meilleur quartier, où elle était une étudiante en herbe au lycée

Walter L. Cohen, à Uptown. « J’étais toujours celui que l’on entendait de loin à l’école, tout le monde sait qui est Big Freddie, dit-elle en riant. Quand j’arrivais dans les couloirs, je poussais ce que je chantais à la chorale. La plupart des gens aimaient ça, d’autres détestaient. Mais c’était là ma vocation unique. » Freedia a pris conscience de ses dons dès son plus jeune âge et n’a pas essayé de rentrer dans le rang. Elle a gardé l’esprit ouvert et a toujours essayé de donner la chance aux gens – ce qui n’est pas la disposition la plus facile à avoir quand on est un jeune noir homosexuel dans le Sud des USA. « À l’époque, être noir et gay n’était pas tellement accepté, dit Freedia. C’était quelque chose que l’on taisait. Avoir une personne gay dans sa famille était probablement gênant. » vant de gagner confiance au lycée, Freddie, 12 ans, a fait son coming out auprès de sa mère, qui l’a immédiatement protégé

Le lendemain du photoshoot au Tipitina’s, une tornade meurtrière se prépare au-dessus de la NouvelleOrléans. Alors que nous nous dirigeons vers la maison de Freedia pour l’interview, le ciel commence à s’assombrir, le vent fouette les arbres et des feuilles sont projetées sur le sol. Freedia est debout sur le porche de sa maison à deux étages. Elle termine une cigarette tout en disant à un magnifique chien noir à trois pattes, Yoncé, de rentrer dans la maison.

Hors de la scène et des projecteurs, Freedia est calme et décontractée. Dans sa maison confortable et à l’abri de la tempête, des portraits de Freedia peints à la main sont accrochés un peu partout. Sur l’un des murs, une enseigne au néon disant « Big Diva Energy ».

La forte éthique de travail de Freedia lui a imposé un emploi du temps rigoureux pendant la majeure partie de sa carrière musicale. « D’un avion à l’autre, d’un hôtel à l’autre, d’une ville à l’autre, d’un État à l’autre. À l’étranger, c’est une sacrée charge. Faire la cuisine. Je dois faire de la publicité pour les sponsors. C’est une foule de trucs, et ça me tient constamment occupée. » Pour créer un impact international, Freedia voyage partout. La bounce est souvent samplée dans les hits, mais elle n’est pas encore reconnue comme un courant dominant en soi. Même si Freedia se produit depuis vingt ans, il y a toujours plus d’oreilles à atteindre et de scènes à dominer, c’est pourquoi elle a toujours dû porter plusieurs couronnes.

Avant de s’intéresser plus sérieusement à la musique au début de la vingtaine, Freedia étudiait les soins infirmiers à la Louisiana University et avait un emploi secondaire consistant à décorer des événements pour le club social de sa mère – les Queen Divas – ainsi que pour d’autres clients. Mais une prestation décisive lors d’une fête de quartier avec sa meilleure amie et pionnière de la bounce, Katey Red, a créé d’autres opportunités.

« On jouait en banlieue, dit Freedia en

parlant de ses débuts avec Katey Red. Nous avions l’habitude de taper sur des boîtes à rythmes, et nous faisions un beat et commencions à raconter nos histoires. Quand Katey a commencé en 98, Eddie, mon meilleur ami, et moi allions au studio avec elle. Nous allions à ses concerts, dansions sur scène, et j’ai commencé à faire de la figuration pour elle. Et puis un jour, on m’a dit de prendre le micro et ça a été ma première vraie prestation dans une fête de quartier, super stimulée. Quand j’ai commencé, les gens disaient : “Tu as entendu ça ?” »

Après cette prestation, la nouvelle s’est répandue un peu partout à la NouvelleOrléans et Freedia a reçu de plus en plus d’engagements pour des fêtes de quartier. Au départ, il s’agissait d’une activité amusante et d’un moyen de gagner facilement

«
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L’église était mon refuge. Ma marraine, qui était directrice de la chorale, m’a ouvert grand ses bras. »

de 50 à 100 dollars par concert. Deux ans plus tard, en 2000, le label local Money Rules Entertainment a remarqué Freedia puis l’a aidée à obtenir son premier concert dans un club et lui a montré les tenants et les aboutissants de l’industrie. Un an plus tard, avec un public de plus en plus nombreux à la Nouvelle-Orléans, elle a sorti sa première chanson, Uh Huh, Oh Yeah. Son visage s’illumine lorsqu’elle chante quelques paroles de la chanson : “These hoes, they mad. Your boy, I had. I made… my cash.” « Les filles ont adoré –

c’était si déjanté ! », dit-elle en riant. Les filles ont effectivement aimé, tout comme la superstar du rap Drake bien des années plus tard – à tel point qu’il l’a samplée sur son tube viral de 2018, Nice for What Freedia n’a cependant pas été invitée à apparaître dans la vidéo de la chanson. Mais lorsque Drake est venu à la NouvelleOrléans pour enregistrer la vidéo de In My Feelings, un autre single influencé par la bounce, Freedia l’a contacté pour y apparaître. Et c’est ce qui s’est passé. Dans une interview accordée à TMZ, elle a déclaré que c’était un pas dans la bonne direction : « Je pense que d’autres artistes devraient ressentir la même chose. Peu importe votre origine, peu importe si vous êtes un artiste gay, nous pouvons avoir la possibilité d’être là comme n’importe qui d’autre. »

Parmi ce qui rend Freedia si spéciale, il y a le fait que la musique qu’elle a enregistrée au début des années 2000 est toujours d’actualité. En avance sur son temps, ou alors bien de son temps, elle a toujours eu le doigt sur le pouls de ce que la bounce allait devenir au-delà de la Nouvelle-Orléans. En 2005, l’ouragan Katrina a forcé l’évacuation de milliers de personnes, dont elle, qui ont trouvé refuge à Houston, dans le Texas.

À son retour, elle a lancé les FEMA Fridays au Caesar’s, la première boîte de nuit à rouvrir à la Nouvelle-Orléans, et le succès ne l’a plus quittée. Elle s’est dit qu’elle en avait assez de jongler avec les petits boulots, de travailler de neuf à cinq et de donner cinq spectacles par soir. La musique allait être son « unique enfant » puisqu’elle était devenue une

« Être noir et gay dans le Sud profond n’était pas toujours accepté. »
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Second chez soi : fan de longue date des clubs indépendants, Freedia s’est produite à de nombreuses reprises au Tipitina’s.
« J’essaie d’éclairer l’esprit des gens avec ma musique. »

extension de sa personnalité la plus profonde. En 2010, Freedia s’était aventurée hors du Sud pour se produire à New York et à Los Angeles, et c’est alors que les magazines d’influence ont commencé à écrire sur elle. Lorsqu’elle a été reconnue à la Nouvelle-Orléans par deux joggeurs blancs qui avaient lu un article à son sujet dans The New York Times, elle a su que la bounce était sortie de sa communauté et qu’elle allait changer sa vie à jamais.

Selon Freedia, avant que les tubes du Top 40 et le public blanc ne se familiarisent avec la bounce, les bases du genre avaient été établies par des pionniers et pionnières tel·le·s que DJ Jubilee, Ms Tee, Cheeky Blakk et DJ Jimi, dont le son était plus brut. « À l’époque, c’était brutal et cru. C’était des gangstas qui rappaient de la bounce, et ils parlaient d’eux-mêmes dans leurs chansons. Quand Katey et d’autres queens se sont lancées, ça a pris une autre direction, nous avons pu ouvrir une autre voie. »

Lorsque le New York Times a consacré un article à Freedia en 2010, les artistes bounce étaient principalement des hommes noirs hétérosexuels. Freedia dit qu’après l’article très médiatisé qui reconnaissait les artistes queer pour leurs contributions au sous-genre, les interprètes hétéros ont commencé à « reculer un petit peu ». Mais si l’attention a fait progresser la communauté de Freedia, cette dernière n’a en revanche pas apprécié l’approche compartimentée de sa contribution. « J’ai dû insister sur le fait que nous ne faisions pas de distinctions ici (à la Nouvelle-Orléans, ndlr) Ce n’est que de la bounce music, et il se trouve que je suis une artiste gay. Vous avez des gays qui le font, des hétéros qui le font, des filles, des gars… » En fin de compte, le résultat résiduel a été un changement de cap qui a permis à Freedia et à d’autres artistes LGBTQ+ de prendre la barre.

Lorsque Freedia nous parle des deux Blancs qui l’ont reconnue dans la rue, ou du public majoritairement blanc qui achète les billets pour ses concerts, cela témoigne de l’intérêt qu’elle suscite et de sa notoriété, mondiale et grandissante. Avec elle, la bounce est plus visible. Être incluse dans un clip, figurer au crédit d’une chanson ou être enfin nommée aux Grammy revêt une réelle importance pour Freedia. « Je pense que les choses sont en train de changer,

raconte-t-elle. Les portes s’ouvrent encore plus grand, et on constate que la culture de la bounce est sans aucun doute un élément important dans le monde de la musique. »

Même si Freedia n’a pas l’impression d’avoir besoin de ces appuis, ils lui sont dus. Il y a eu des moments où elle a admis avoir eu envie d’abandonner parce qu’elle a dû travailler beaucoup plus dur en tant qu’artiste gay qui se présente à l’extérieur des limites de la binarité de genre dans une industrie qui a mis beaucoup trop de temps à évoluer. Pour remédier à cette situation, elle s’est fixé des limites, a continué à défendre ses intérêts et ceux de sa communauté, a augmenté ses prix et est allée de l’avant.

L’année dernière, Freedia a commencé à travailler sur son nouvel album, Central City, dont la sortie est prévue en 2024. Le projet est presque terminé, grâce à un méga camp d’enregistrement où Freedia et une équipe de combat spécialisée dans l’écriture et la production ont travaillé ensemble pour créer des tas de morceaux. Il s’agit d’un album double qui fait un clin d’œil à ses débuts, il y a vingt ans. « C’est comme un retour aux sources, enrichi de quelques nouvelles sonorités, explique-t-elle avec enthousiasme. Il y a toujours cette vieille Freedia délurée à laquelle tout le monde est habitué. C’est mon album dance/disco où je fais danser les clubs. Cette musique que l’on peut passer dans les festivals. La fête bat son plein. »

En attendant, elle tourne sa nouvelle émission de télé-réalité, Big Freedia Means Business, qui devrait être diffusée aux États-Unis cet été et au Royaume-Uni sur WOW Presents Plus, plus tard dans l’année. La série permettra de voir comment Freedia gère son empire mais, plus précisément, elle veut donner au jeune public un aperçu de choses telles que la recherche de nouvelles entreprises, la façon de se comporter en réunion, la création de sociétés à responsabilité limitée et le paiement des impôts.

La télé-réalité permet au public de voir Freedia telle qu’elle est en ce moment, parlant de sa vie dans son salon coor-

donné, à visage découvert, en pantoufles et en vêtements d’intérieur. La vraie Freedia est terre-à-terre, attentionnée, calme, hospitalière et hilarante. « Vous avez l’occasion de me voir dans ma vie de tous les jours, dit Freedia. Je suis très humble quand je ne suis pas sur scène. Je ne suis pas bruyante, et je veux passer inaperçue et tout ça. Je suis celle qui se cache et qui essaie de faire plaisir à tout le monde. »

Bien qu’elle soit reconnaissante de sa célébrité croissante, s’y adapter peut parfois être difficile. Freedia se voit toujours comme « cette bitch de la zone » qui veut rester normale dans sa vie. Aujourd’hui, lorsqu’elle sort en public, tout le monde veut entendre sa phrase fétiche, “You al-read-y knooooooow!”, prononcée dans son style chantant. « Ma fille, il faut de la force et de l’énergie pour faire ça chaque fois que je rencontre quelqu’un, dit-elle en riant. Je ne vais pas au supermarché pour faire ça. J’essaie seulement de faire mes courses. »

Alors que la tempête gagne en intensité, Freedia hésite à aller au supermarché pour préparer le dîner. La situation devient inquiétante à l’extérieur. Les téléphones et le système d’alarme de la maison de Freedia font entendre des alertes qui exhortent les gens à se mettre à l’abri de la tornade qui approche. Freedia – qui a survécu à l’ouragan Katrina en perçant un trou dans son toit, en appelant une station de radio locale à l’aide et en étant secourue par un bateau – reste sereine alors que les gouttes de pluie tonnent, que les éclairs frappent et que les objets dans le jardin commencent à s’envoler.

Elle allume les lumières du porche pour faire signe à notre taxi devant sa maison et dit : « Si tu es bloquée à l’aéroport, fais-le moi savoir. Je viendrai te chercher. » Freedia se fait du souci. Beaucoup de souci. Et c’est là bien plus que les formalités de l’hospitalité du Sud. Ce n’est pas étonnant que tant de personnes à travers le monde se rassemblent pour être éblouies par son éclat.

À l’état brut, les rythmes de la bounce se suffisent à eux-mêmes mais lorsque Freedia y ajoute son charme et son esprit, ce son se transforme en quelque chose d’extraordinaire. « J’aime ma musique, j’aime ce que je fais, dit-elle. Je m’en empare et j’essaie d’éclairer l’esprit des gens. Si tu ne peux pas venir à la Nouvelle-Orléans, moi, je vais faire venir la Nouvelle-Orléans à toi. »

bigfreedia.com

Big Freedia
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« Mon album revient aux racines de la bounce et l’enrichit de nouveaux sons. »

La fête sans fin

Le Rex Club, c’est 35 ans de kif grâce à une équipe visionnaire et sa curation de qualité. Mais aussi des galères, surmontées avec beaucoup de passion.

LE REX CLUB ne broie jamais du noir, sauf entre minuit et six heures du matin, mais c’est là un noir festif. Rencontre avec l’équipe du lieu, qui dessine ce que pourrait être le futur du clubbing.
Texte MARIE-MAXIME DRICOT Photos MAXIME VERRET et LE VIET
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Devenu mythique au début des années 90 en passant à l’électro, le Rex Club (auparavant une salle de concert rock et new-wave), est depuis devenu le temple des musiques électroniques. L’institution qui attire aussi bien les Parisien·ne·s et les touristes qui souhaitent se déhancher, « taper du pied », remuer la tête, mais surtout apprécier la musique le temps d’une nuit, fête ses 35 ans cette année. Pour se célébrer, le club compile dans un beau livre des photos inédites. Et, au lieu d’une habituelle rétrospective et d’un bilan complet type achievement, nous avons rencontré Antoine Molkhou, programmateur du lieu depuis l’été 2019, et Victorien Jacquemond, responsable de la communication depuis 2012, pour comprendre les dynamiques qui font la richesse du Rex Club.

Lorsqu’on parle du Rex Club, on pense tout de suite aux icônes de la musique électronique : Laurent Garnier, Jeff Mills, Daft Punk, D’Julz, Chloé, Jennifer Cardini et aujourd’hui Mézigue. Pour ma part, j’y associe les mots « jungle » (un sous-genre de l’electronic dance music (EDM) entendu sur les dancefloors londoniens dans les années 90. Mélange de lignes de basse profondes, de rythmes influencés par le reggae et le hip-hop et un breakbeat énervé sur un sound system explosif. Rave. Ce genre marquera la toute première soirée électro organisée par le Rex Club) et « résilience ». Ce lieu, c’est La Guerre des étoiles des musiques électroniques. Entre des inondations et convocations au poste de police, le 5 boulevard Poissonnière a prouvé, au fil du temps, qu’il avait l’étoffe d’un maître Jedi, surtout après le Covid-19 ! Antoine, qui avait pris ses fonctions huit mois avant la pandémie, s’en souvient encore : « On était sur une nouvelle lancée, je visualisais tout le champ des possibles, tout ce qu’il fallait changer et garder, avec les qualités et les défauts d’un club qui fonctionne bien depuis de nombreuses années : le côté un peu figé des vieilles institutions, mais aussi l’envie d’autre chose. » Seul hic, en mars 2020 le temps s’arrête. Antoine est devenu dé-programmateur : cercle vicieux de déplacements de dates des artistes et d’annulation sans fin, pour re-booker et redéplacer… Il faut revoir la stratégie pour continuer d’exister. L’occasion de faire un podcast, avec Arte Radio : Technopolis – trois DJs racontent leur métier et leur mode de vie –et de se plonger dans les archives (disques, photos, cassettes, merch). Ceci afin de penser de nouveaux projets : un 2 LP sur lequel on retrouve Masters at Work, Chloé, Laurent Garnier et un livre en partenariat avec Carhartt dont la sortie est prévue pour avril.

Rex Club
« Notre axe de communication était basé sur la prévention et l’espoir. »
Antoine Molkhou
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Même vide, le Rex Club existe. Une hibernation éphémère qui a failli durer avec les confinements, devenus des souvenirs lointains. Entre chaque soirée, le lieu se régénère.

Cycle d’oppositions

Survivre en temps de pandémie ne fut pas simple. « Un club, en général, ça ferme définitivement ou temporairement pour des raisons administratives, poursuit Antoine. Nous, on a fermé sans aucune idée de temporalité, alors on venait au bureau avec des attestations professionnelles pour continuer à y croire. J’avais 200 shows à annuler, je n’en voyais pas le bout, on devait se faire rembourser les frais avancés alors que les gens du métier ne travaillaient plus. Une situation très désagréable. Notre axe de communication était basé sur la prévention et l’espoir, même quand on n’en avait pas. » Un presque Infinite voyage au dénouement euphorisant, qui aura duré dix-huit mois pour le Rex.

Malgré des situations nébuleuses, ce qui est cool quand on travaille pour un lieu comme le Rex Club, c’est que lorsqu’on s’en sort, c’est la fête.

Puis, on se rend vite compte que des moments fous, il y en a plein, à l’instar d’Union Libre, le festival en collaboration avec le club parisien Badaboum et la pièce immersive Existence à basse altitude – avec Romain Poncet, plus connu sous son nom d’artiste Traumer, résident au Rex Club – jouée en novembre 2021 et juin 2022.

Pour Antoine Molkhou, « c’était assez improbable de voir des gens assis dans le club avec un décor de théâtre ». Quant à Victorien, il se souvient surtout des vingt-cinq ans de carrière de Laurent Garnier qui a enchaîné trois all night long (seul et unique DJ de la nuit) dont une soirée inédite avec un special guest. « Tout le monde s’attendait aux Daft Punk, mais il est arrivé avec Carl Cox pour un B2B. » Autant de souvenirs qui constituent une bonne raison de créer des projets qui marquent et de continuer de les archiver.

La DJ lyonnaise et drag performer Kirara, en plein mix lors de la soirée Garçon Sauvage du Rex Club, « une communion festive où les corps se libèrent ».
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LE-HOAND
En près de 40 ans, le club a vu passer autant de styles de musiques que de looks qui vont avec.
VIET

Impulsion

En tant que fervente consommatrice de musiques électroniques qui passe un certain nombre d’heures sur le dancefloor, j’en ai profité pour demander à Antoine ce qui faisait le secret d’une bonne programmation pour comprendre comment le Rex Club fonctionne aujourd’hui.

« Je ne sais pas s’il existe une définition d’une bonne programmation, mais il faut qu’elle soit ancrée dans son époque avec certaines convictions. Ça ne veut pas dire qu’on ne respecte pas ce qu’il s’est passé avant, au contraire. Il y a des choses qu’on trouve beaucoup plus belles quand elles sont polies par le temps, comme les vieilles histoires d’amour, cependant il est important de ne pas vivre avec des vieux souvenirs. »

À cela, on ajoute un soupçon de scène internationale, mais on défend avant tout la scène locale, car il n’y a rien de pire que de ne pas se « rendre compte du vivier artistique qui est présent dans nos villes et dans notre pays », souligne Antoine. À l’image d’une espèce en voie d’extinction, il faut la protéger. La programmation est un accord parfait entre les genres musicaux, les ambiances et les acteurs des différentes scènes de musique électronique. Il faut faire en sorte que la programmation soit diverse mais cohérente, parfois, ça passe, parfois ça casse, malgré 35 ans d’expertise. On conviendra que « faire de la techno très dark quatre fois par semaine », ce n’est pas idéal.

Et cela n’est pas incompatible avec le fait d’avoir des résidences d’artistes. Au contraire, elles construisent l’avenir et dessinent le spectre des musiques électroniques actuelles. Parmi les plus intéressantes du moment, on retrouve : les Sœurs Malsaines, un collectif queer qui lutte pour une fête libre et libérée ainsi que Miley Serious, DJ basée à Paris et à New York, boss du label 99CTS RECORDS, qui construit des ponts entre la scène électronique et punk. On pourrait aussi citer : D’Julz, Chloé, Traumer, Mézigue, Mad Rey, Marina Trench… Autant de personnalités différentes que de visions dissonantes qui, pourtant, arrivent à créer des passerelles insoupçonnées entre les genres musicaux.

Safe Spirit

Petit mémo. Le Rex Club n’est pas subventionné par l’État, car il est considéré comme un débit de boissons : établissement qui vend des boissons alcoolisées. Dans l’imaginaire collectif, qui dit

musique électronique et alcool, dit dérive, excès et outrance, et consommation de substances. Amalgame. Depuis la première heure, le Rex Club a une tolérance zéro par rapport aux drogues nous racontait Christian Paulet (directeur du Rex de 1988 à 2004) en septembre 2018 : « J’étais hyper strict là-dessus, je n’étais pas favorable à ça. On donnait des consignes très claires à l’équipe de sécu-

rité sur l’usage et surtout la revente. » En effet, le club est un lieu culturel qui défend une scène musicale importante pour le rayonnement de la culture française à l’échelle nationale et internationale. « Par ailleurs, il draine plus de monde que de nombreux musées français », m’explique Antoine, et met un point d’honneur à délivrer la meilleure expérience possible – que ça soit dans leur enceinte ou hors les murs comme avec Union Libre (fruit d’une collaboration avec le club parisien Badaboum) –dans le but de sortir de sa zone de confort : « Le confort du Rex Club, c’est cool, mais la mise en danger aussi, c’est une expérience hyper agréable. » Quand on passe les portes du temple, la première chose qu’on remarque, c’est

Photos inédites de M.Verret issues du livre REX CLUB 1988-2023, soutenu par Carhartt.
« Notre scène locale est hyper vivante et exceptionnelle. »
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Antoine Molkhou

la qualité d’accueil. La team sécurité c’est la cerise sur le gâteau (pro mais détente, avec qui on pourrait aller boire une bière) et heureusement, car ça installe d’emblée le contexte de la soirée. Ici, on n’attend jamais trop longtemps avant de rentrer, donc forcément les fêtard·e·s se bousculent légèrement au niveau des vestiaires, mais ce n’est pas pire que d’attendre pour recharger son titre de transport le premier du mois. Il en va de même pour commander une vodka Red Bull au bar, mais c’est ok parce que le personnel est souriant. Ambiance sécuritaire sans être autoritaire et perfect drink, le secret d’une bonne soirée. Les objectifs du Rex Club sont simples, pour apprécier la programmation ancrée dans son époque qui se veut la plus paritaire possible, le personnel doit être en cohésion absolue avec les valeurs de l’établissement. Pour reprendre les mots de l’équipe : « Tout le monde aide tout le monde et si chacun et chacune se sent concerné·e et intervient en cas de situation à risque, il ne peut rien se passer de dangereux, voilà l’idée. »

Ne pas se sentir safe quand on fait la fête c’est le début des problèmes, on n’en veut pas. C’est pourquoi le lieu multiplie les signalétiques pour trouver ses stands de Réduction des Risques pendant les soirées, histoire que le public ne puisse pas les rater. Pour Antoine et Victorien, « on doit protéger et se montrer concernés », le club est même signataire de la charte Fêtez Clairs et collabore avec Consentis. Deux entités de prévention, qui s’attaquent respectivement à la réduction des risques et aux violences sexuelles en milieu festif. Bref, au 5 bd Poissonnière, tout est pensé pour passer la meilleure soirée possible dans un cadre innovant, sain et bienveillant.

Transition

Dans le champ de la musique et des festivals, on entend parler depuis peu d’imaginer des actions capables de favoriser la transition écologique, notamment avec le mouvement Music Declares Emergency, initié au Royaume-Uni en 2019 et lancé

en France en mars 2021. Il s’agit d’un groupe d’artistes (Rone, Anetha, Louisahhh, etc.), de pros de la musique et d’organisations, qui se réunit pour déclarer l’état d’urgence au niveau climatique et écologique qui croit « au pouvoir de la musique pour incarner mais aussi soutenir la transformation culturelle nécessaire à un avenir durable ». D’ailleurs, pas plus tard qu’en février dernier, le club a rejoint le Zero Plastic Club qui a pour objectif d’arrêter la vente de bouteilles d’eau en plastique à usage unique d’ici deux ans. Si on compte autant d’initiatives vertueuses de nos jours, c’est parce que le besoin se fait ressentir. STARTER, par exemple, agit pour un spectacle vivant plus responsable en poussant les artistes, tourneur·euse·s, technicien·ne·s et programmateur·rice·s à « réduire l’impact des tournées, éviter la surconsommation et les déchets, promouvoir une alimentation locale et durable, inciter à la sobriété énergétique dans les fiches techniques ».

Une problématique à résoudre aussi simple que de se déplacer en métro dans Paris un jour de grève. D’après Antoine, même si la crise écologique et énergétique est au cœur des réflexions actuelles, que la conscience des artistes évolue, au vu de l’inflation, elle a des limites. « Les artistes peuvent essayer de faire trois dates en un voyage, soit un seul long-courrier. Cependant, dire à des DJs internationaux de prendre le train, ce n’est pas très facile et surtout parfois, impossible. Je n’ai aucune solution miracle, si ce n’est m’appuyer sur notre scène locale parce qu’elle est hyper vivante et exceptionnelle. » Pour le club, on part donc sur l’hypothèse d’un booking plus drastique, d’une mutualisation des dates et pourquoi pas, de gros tour-bus pour se déplacer entre les gigs !

After

L’institution, qui a vu éclore Laurent Garnier, semble avoir de belles années à venir. D’autant plus qu’un « nouveau Rex », grâce à un sérieux rafraîchissement, devrait voir le jour. L’équipe envisage actuellement un retour aux concerts, car ne l’oublions pas, Antoine et Victorien cherchent à se défier et à repousser les limites de leur savoir-faire. Dans le contexte socio-économique/écolo bien morose, Antoine et Victorien souhaitent « faire des choses qui restent, créer des souvenirs et proposer du contenu, tout en continuer à faire des fêtes ».

Instagram : @rexclub

Rex Cub
De haut en bas : DJ Mézigue, résident du Rex Club, dans le booth, l’un de ses invités mystère et une drag queen ready to dance, pour la soirée Glitterbox.
« On doit protéger et se montrer concernés. »
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Antoine Molkhou et Victorien Jacquemond
Valentina Höll lors de la Coupe du monde de descente UCI à Mont-SainteAnne, au Canada, le 6 août 2022.

Speed Queen

VALI HÖLL , la championne du monde de VTT de descente, a décidé de ne plus subir ses résultats, et de kiffer.

53 BARTEK WOLINSKI/RED BULL CONTENT POOL
Texte WERNER JESSNER Photos MICHAEL PHILIPP BADER

Valentina Höll est déjà arrivée au sommet du VTT descente.

Domination totale

Vali Höll est devenue championne du monde dès sa troisième saison en Coupe du monde UCI de VTT.

Première Autrichienne à devenir championne du monde junior, elle a remporté quatre victoires en Coupe du monde UCI de VTT (chasse-gardée historique des descendeuses françaises, américaines et britanniques), avant sa première victoire au classement général de la Coupe du monde pour un pays où le meilleur résultat remontait à 1991 avec la deuxième place de Gerhard Zadrobilek. Ce que Valentina « Vali » Höll a réalisé en VTT de descente l’a catapultée au même rang que Jochen Rindt pour la Formule 1 ou Annemarie Moser-Pröll pour le ski, vedettes sportives compatriotes. Véritable pionnière, elle a déplacé des montagnes, prouesse que son pays remarque moins que les autres nations férues de cyclisme. Quand Vali s’élance sur une piste française ou italienne, 50 000 personnes l’acclament

tout au long du parcours, bien plus que tout le public réuni sur les pistes de ski autrichiennes sur un mois de février. Mais que fait cette étoile flante en dehors des compétitions ? « Jusqu’à présent, je me réfugiais dans ma chambre d’hôtel. Je ne voulais voir personne, j’étais mal dans ma peau », explique-t-elle. Elle avait beau être une concurrente sérieuse et s’imposer régulièrement en tête, elle fnissait toujours par se rabaisser : « Oui, j’ai battu tout le monde, mais … » Les adversaires n’avaient pas eu de bol, contrairement à elle. Et puis, sa course n’avait pas été parfaite, qui sait comment la prochaine fnirait ? Vali Höll est très introvertie, limite timide, ce que ne laissent pas supposer ses clips Insta ou ses interviews dans un anglais impeccable. « J’accorde énormément d’importance à ce que les autres pensent de moi et de mes résultats : comment me réjouir d’une deuxième ou d’une troisième place ? C ’est un drame ! Je suis très ambitieuse »

Vali Höll
Vingt-et-un ans et déjà championne du monde de VTT de descente.
Véritable superstar de ce sport en plein boom, Vali Höll a, certes, appris à gagner, mais pas à être heureuse.
Jusqu’à cette soirée et cette conversation qui ont tout changé...
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Reine : Vali Höll, la championne du monde en VTT de descente, lors d’une séance photo à Lans, en Autriche.

Chronique d’un succès annoncé

La carrière de Vali Höll commence très tôt : à 13 ans, elle signe son premier contrat avec un fabricant de vélos. Le chemin de cette flle de Saalbach (une station de ski autrichienne) semble alors tout tracé : les meilleurs parcours l’attendent au coin de la rue, elle devient vététiste professionnelle (sans oublier pour autant de décrocher son bac) et enchaîne épreuves et victoires à un rythme infernal. Mais au fond d’elle, elle est un peu paumée. Ce n’est jamais assez bien. La douche de récompenses ne lave jamais complètement ses doutes et les chutes subies lors de ses courses à domicile, comme à Leogang, sont autant de raisons de s’enfermer dans sa chambre. Certes, elle remporte le classement général de la

coupe du monde, mais uniquement parce que sa rivale est tombée, se dit-elle.

Elle occulte purement et simplement le fait que les chutes font partie du quotidien de son sport, que statistiquement parlant, tout le monde fnit par chuter un jour ou l’autre et que les deux plus grandes athlètes de descente au monde, la Française Anne-Caroline Chausson et la Britannique Rachel Atherton (l’idole de Vali) ont eues leur lot de crises de nerfs au cours de leur carrière. Oui, c’est

« génial d’être au départ de la coupe du monde », mais son esprit n’a pas suivi, elle n’a pas conscience d’avoir atteint le sommet et d’appartenir réellement à l’élite. Elle ne s’autorise pas cette pensée, se fait l’effet d’une imposture.

Ses résultats en début de saison 2022 ne font que mettre de l’huile sur le feu, une quatrième ou cinquième place dans des courses où elle aurait dû fnir dans le top 3 la confortent dans cette idée qu’elle n’est pas digne. Raison de plus de se barricader dans sa chambre d’hôtel. Jusqu’à ce jour fatidique qui va tout changer. Appelons-le « l’instant Lenzerheide ».

Exit, chambre d’hôtel, place à la fête !

Lors de cette course dans la bourgade suisse, Vali vient de « louper le podium pour la quatrième fois de la saison. Je me suis dit : “C ’est quoi ce bordel ? C’est trop nul. Tous les week-ends, c’est pareil, je foire mon coup. Qu’est-ce qui cloche chez moi ?”» Une fois de plus, la voilà dévorée de doutes, alors que la coupe du monde se profle déjà le week-end suivant à Andorre. Et soudain, l’instant Lenzerheide : Vali rencontre la skieuse acrobatique suisse Mathilde Gremaud. Même âge, même succès (elle a décroché l’or olympique en slopestyle) et même confusion mentale, ce sentiment d’être redevable de son entourage et de devoir absolument gagner. La victoire comme un devoir. « C’était une conversation géniale », s’enfamme Vali.

Après son échec à Lenzerheide, elle ne se réfugie pas illico dans sa chambre d’hôtel. Non, elle part faire la fête avec son équipe et les skieuses suisses et danse jusqu’au bout de la nuit. Puis elle part pour Andorre, arrive en tête et enchaîne les victoires. Lors des championnats du monde, la course la plus importante de l’année, elle écrase la concurrence. Les fameuses bandes arcen-ciel ne quitteront plus jamais son maillot, quoiqu’il arrive. Vali Höll est devenue championne du monde et personne ne peut plus lui enlever cela. À 21 ans, l’Autrichienne est déjà arrivée au sommet de son sport.

« Il m’a fallu quelques semaines pour réaliser que c’était bien réel. J’étais championne du monde »

La dernière course de la saison à Val di Sole, en Italie, est anecdotique. Pour la première fois, elle prend le départ sans se soucier vraiment de la course ou du résultat. Une épreuve de Coupe

Vali Höll
56 THE RED BULLETIN MORITZ ABLINGER/RED BULL CONTENT POOL
« C’est pareil tous les week-ends, je foire mon coup. »
Après son échec, elle ne se réfugie pas à l’hôtel, mais part faire la fête.
En mode table top : Vali Höll s’entraîne dur à Schladming, en Autriche, en octobre dernier.

La liste de ses envies s’étire à l’infini : ski acrobatique au Japon, enduro en Tasmanie ? Valentina Höll sera au rendez-vous.

du monde après les championnats du monde, soit le point culminant de la saison ? Une incongruité du calendrier que même son homologue masculin, notre Loïc Bruni national, a du mal à prendre au sérieux. La pression est déjà retombée. « J’espère que cela va changer et que le championnat du monde sera la dernière course de l’année », explique Vali. Juste à la fn de la saison, son corps fnit par la lâcher : elle passe la fête de

clôture de cette saison grandiose sur la cuvette des toilettes, de nouveau enfermée dans sa chambre d’hôtel mais bien malgré elle, cette fois-ci. Elle passe tout l’automne à se remettre du virus d’Epstein-Barr, ce qui lui laisse beaucoup de temps pour réféchir, faire le point sur son passé et préparer l’avenir. « Cette période m’a aidée à grandir », développe Vali. Le sempiternel « la meilleure, mais … » est devenu « impossible de faire mieux », et son prochain objectif : « Je veux dominer mon sport. »

Pour la première fois de sa carrière, Vali Höll éprouve un sentiment de totale satisfaction et pense enfn à se faire plaisir. En devenant championne du monde, elle commence à vivre et va s’installer à Innsbruck pour se rapprocher de ses

potes. « Je vis comme une étudiante sans être obligée d’étudier, dit-elle. Avant, je faisais la navette entre Saalbach et Innsbruck pour les voir, maintenant je les ai tous et toutes à mes côtés, sans compter que ça me rapproche des spots de VTT de Suisse, du sud de la France ou d’Italie »

Vali, dont le job est de descendre à toute allure, découvre enfn le plaisir de voyager et la liste de ses envies ne cesse de s’agrandir : du ski acrobatique au Japon à l’enduro en Tasmanie, Vali sera au rendez-vous !

Une feur au milieu du béton

À 21 ans, elle compte déjà cinq saisons professionnelles à son actif. En Autriche, le VTT de descente n’a pas encore

« Je vis comme une étudiante, sans étudier. »
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atteint le même statut que le ski alpin aux yeux du public, un phénomène dû en grande partie aux structures obsolètes d’une fédération cycliste gouvernée par une gérontocratie intellectuelle, un conseil d’individus moyenâgeux restés bloqués sur le cyclisme de compétition des années 1970. La poignée de vététistes sélectionné·e·s pour les championnats d’Europe et du monde se retrouvent équipé·e·s de tenues craignos et de mauvaise qualité. On les loge en chambres doubles dans des coins paumés et pas chers. Et advienne que pourra. À titre de comparaison, la fédération française a commencé à envoyer des équipes d’entraîneurs équipées de matériel vidéo sur les parcours dès le milieu des années 90.

Mais plutôt que de se plaindre, Vali utilise son récent statut de championne du monde et emploie toute son énergie de jeune flle célèbre à faire tomber ces remparts croulants : « Ce n’est pas à cause du manque de parcours que l’Autriche est à la traîne, explique-t-elle. En descente masculine, David Trummer et Andi Kolb ont réussi à se hisser au sommet, tout comme Laura Stigger et Mona Mitterwallner en cross-country

olympique féminin. Et toujours côté dames, en descente, les nouvelles recrues promettent un sacré spectacle D’ici trois ou quatre ans, ça promet d’être passionnant ! »

Si Vali le sait, c’est parce qu’elle joue déjà le rôle de mentor du haut de ses 21 ans en organisant des camps d’entraînement féminins où les gamines dévalent les pentes à une telle vitesse que même les plus chevronnés de leurs homologues masculins ne peuvent que s’incliner et applaudir au passage de ces comètes. Et elle a encore concocté un autre projet : « Je veux tourner des clips de VTT avec mon équipe. Des vidéos 100 % femmes et 100 % smart pour tordre le cou à ces flms où on nous balance deux trois bombasses de service entre deux sessions de pros du freeride exclusivement masculins. »

Pour Vali, c’est le cœur du VTT. C’est ce qu’elle a redécouvert lors de l’instant Lenzerheide : « Avant, je faisais du VTT parce que ça faisait partie de l’entraînement. Maintenant, je fais du VTT parce que j’en ai envie, tout simplement » Autre contribution majeure : une petite révolution technique qui devrait apparaître cette année : « On planche sur des suspensions réglables pendant la course par Bluetooth depuis le guidon. » Traduction ? « Outre la compréhension technique, il faut une maîtrise totale de la piste pour faire un usage effcace de ces modifcations. » Une connaissance qui marquera sans doute un pas décisif vers la domination dans un sport où, sur le double du temps de course d’une descente en ski, il n’y a souvent que la moitié de l’écart de temps entre la première et la dixième place.

Pour toujours !

La saison 2023 ne commence qu’au mois de juin, soit très, très tard, mais cela donne a Valentina Höll tout le temps de réféchir. Il est possible que les vieux démons refassent surface, qu’elle ait encore envie de se cloîtrer dans sa chambre d’hôtel ou de se croire indigne des autres concurrentes. Mais, dans ces moments-là, se promet-elle, elle enflera son maillot, se campera devant un miroir et touchera les rayures arc-en-ciel du col et des manches de son jersey : Vali Höll, championne du monde.

Quoi qu’il arrive, personne ne pourra plus jamais lui enlever ces rayures. Vali Höll a déjà, et enfn, atteint le sommet ! Instagram : @valihoell

Vali Höll
Pour toujours ! Ses rayures arcs-enciel de championne du monde, personne ne peut les lui enlever. THE RED BULLETIN 59
« Je fais du VTT simplement parce que j’en ai envie. »

EASY RIDER

Depuis sa médaille d’or aux

X

Games en 2020, le snowboardeur ZEB POWELL rassemble beaucoup de fans qui apprécient ses tricks originaux et ses contenus vidéo à couper le souffle. Encore plus fort : il inspire aujourd’hui une nouvelle génération de riders qui admirent sa passion sincère pour le snowboard et sa conviction que ce sport s’adresse à toutes et tous.

Texte NORA O’DONNELL Photos LAUREL GOLIO
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Zeb Powell photographié pour The Red Bulletin à New York, le 12 janvier 2023.
« Je fais mon truc, et on dirait bien que ça marche, que je gagne ou non », explique Zeb.
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Zeb s’envole avec panache à Mammoth Mountain (Californie).

lus que deux heures avant son passage aux X Games 2023 cet après-midi… Zeb Powell voudrait bien avaler quelque chose. Même si le snowboardeur pro déborde d’énergie, il ne peut pas faire l’impasse sur le déjeuner. Les petits en-cas proposés dans la station VIP d’Aspen ne vont clairement pas suffire. Une fille de son équipe fonce vers la tente réservée aux journalistes pour récupérer des bananes et des barres protéinées. En attendant son retour, Zeb part faire quelques runs pour relâcher la pression. Son manager n’a plus qu’à fourrer la nourriture dans les poches de sa veste. Comme d’habitude, le prodige de 23 ans ne tient pas en place. Pour lui, c’est un jour comme les autres.

Le grand public a découvert Zeb en 2020, quand il n’était encore qu’un rookie et qu’il a décroché la médaille d’or dans la catégorie Knuckle Huck des X Games. Contrairement aux disciplines de snowboard plus anciennes qui exigent des gestes parfaits, le Knuckle Huck récompense la créativité. Une voie royale pour Zeb qui a impressionné les juges et le public avec ses tricks étonnants. Cette année-là, il s’est assuré la victoire grâce à un coffin slide en mode backflip, qu’il a réalisé avec des lunettes de soleil roses en forme de cœur sur le nez. Les spécialistes de snowboard en parlent encore.

Du jour au lendemain, Zeb est apparu comme un rider incarnant les racines du snowboard. Il veut simplement profiter du temps passé en compagnie de ses potes pour s’amuser (et s’en mettre plein la vue) avec originalité. Il a été le premier snowboardeur noir à remporter l’or aux X Games, ce qui lui a valu d’attirer tous les regards des médias. Il s’est aussi fait des amis et amies parmi les stars, et sa notoriété déjà bien établie est montée en flèche. Tout cela lui a permis d’exploiter son image afin d’œuvrer pour le bien commun. Mais malgré la pression, Zeb reste modeste.

« Je fais mon truc, et on dirait que ça marche », sourit-il en haussant légèrement les épaules. Zeb Powell a su rester lui-même, ce qui lui a permis de devenir un ambassadeur très apprécié dans le monde du snowboard, mais aussi un acteur du changement culturel.

Dès son plus jeune âge, à Waynesville (Caroline du Nord), Zeb montrait les premiers signes d’une énergie exceptionnelle. Adopté par Carl et Valerie

PPowell alors qu’il était encore bébé, Zeb est le benjamin d’une fratrie de cinq enfants. Après avoir eu une fille biologique, Jessica, pendant leurs premières années de vie commune, Carl et Valerie ont décidé d’adopter le jeune Tyler, qu’ils pensaient être leur second et dernier enfant. (« Je voulais deux enfants parce que j’ai deux mains », raconte en riant Valerie Powell, ancienne assistante scolaire.) Mais au fil des ans, Carl, qui dirigeait une usine de copeaux de bois, a exprimé le souhait d’adopter un autre enfant. Ils ont alors accueilli le petit Dylan. Deux ans après, ils ont adopté une autre fille, prénommée Scout. À ce moment, ils pensaient bien s’arrêter là. Mais quelques années plus tard, ils ont reçu un appel de l’agence d’adoption : « Nous avons cinq bébés qui ont besoin d’un foyer. Souhaiteriez-vous accueillir l’un d’entre eux ? »

« Bien sûr », ont-ils répondu sans l’ombre d’une hésitation. Ce bébé, c’était Zeb, qui tient son nom de son arrière-grand-père, Zebulon. À l’époque, les Powell s’y connaissaient pour élever des enfants. Ils pensaient qu’ils n’auraient aucune difficulté à s’occuper du petit dernier. Mais Zeb ne ressemblait pas du tout à ses frères et sœurs.

« J’étais un vrai petit monstre », plaisante Zeb. Sa mère clarifie ces propos, d’un air faussement exaspéré : « C’était un bébé très costaud ! » Il affiche toujours un physique impressionnant aujourd’hui : son cou semble aussi large qu’un tronc d’arbre.

Lorsqu’il était petit, Zeb Powell présentait des capacités motrices hors normes. « Mon corps bougeait si vite que ma tête n’arrivait pas à suivre », assure-t-il. À l’âge de 8 mois, il courait déjà. Et à 18 mois, il faisait du vélo sans roulettes. Il ne lui a pas fallu plus de temps pour enchaîner les bêtises, comme celle que Zeb appelle affectueusement « l’incident de la trottinette ». L’histoire veut qu’un matin, très tôt, Zeb soit sorti de son lit à barreaux, puis ait descendu les escaliers. Il a tiré le tabouret du piano qui se trouvait dans le séjour jusqu’à la porte d’entrée, il a enlevé la chaîne de sécurité et déverrouillé la porte, puis il a sauté sur une trottinette pour aller en direction du centre-ville. Il a fallu qu’un voisin, ayant vu le petit Zeb en couche sur sa trottinette, ramène ce dernier chez lui pour que ses parents réalisent ce qui s’était passé.

« Ce que j’allais faire ? Ça restera un mystère…, conclut Zeb à propos de cette histoire de trottinette. Je crois que je voulais juste descendre la colline. Maintenant que j’y repense, je l’aimais beaucoup, cette colline. »

À l’école maternelle, on a diagnostiqué au petit garçon un trouble déficitaire de l’attention, qui semble expliquer pourquoi il était si remuant, mais force est de constater que les parents de Zeb sont restés remarquablement calmes face à leur bébé supersportif. « Ils étaient très cool avec moi, se souvient Zeb. J’avais quand même de la chance. »

Nous sommes la veille de la compétition à Aspen. Zeb raconte son enfance hyperactive autour du petitdéjeuner. Il est accompagné de plusieurs membres

Zeb Powell THE RED BULLETIN 63 PETER MORNING/RED BULL CONTENT POOL

de son équipe, c’est alors que sa mère et sa tante Terri font leur entrée dans le restaurant. Son monde s’arrête. Il vient les serrer dans ses bras, tandis que les yeux de sa mère s’emplissent de larmes de joie. Il suffit de passer quelques minutes auprès de Zeb pour que les câlins, les rires et les high fives se multiplient. Impossible d’ignorer la positivité ultracontagieuse qu’il irradie sur son passage…

Des années avant que Zeb ne s’installe à Burlington (Vermont), berceau du snowboard, il ridait au domaine skiable de Cataloochee (Caroline du Nord), à environ 30 minutes de chez lui. Il avait 7 ans la toute première fois qu’il a essayé le snowboard à l’occasion d’une sortie en famille. Selon la légende, ses parents l’ont inscrit à un cours et son « méchant » professeur a placé le petit garçon débutant sur le mauvais pied. Évidemment, Zeb a détesté ça.

Ce n’est qu’un an plus tard, quand un ami a organisé son anniversaire à la station de ski, que Zeb a redonné sa chance au snowboard. Après quelques runs, il s’est dirigé vers le snowpark… et il a réussi à sauter sur une box avant la fin de la soirée. Cela a été le déclic. Dès lors, Zeb s’est entraîné presque quotidiennement après l’école, et jusqu’à 12 heures par jour le week-end. À 9 ans, les montagnes de Caroline du Nord n’avaient plus rien à lui offrir.

Heureusement, sa mère avait grandi dans le Colorado et avait une sœur, Terri Baldwin, qui habitait Denver. Encore mieux, Terri était l’exemple même de la « tatie cool ». Désireuse d’aider son neveu, elle a découvert qu’un tout nouveau lieu, Woodward Copper, organisait un stage de snowboard. Et heureux hasard, l’un de ses amis possédait un appartement dans les environs.

Ouvert toute l’année, le complexe sportif proposait des espaces de saut avec bacs à mousse, des entraînements au snowboard en intérieur et un accès

aux meilleurs coachs, qui ont immédiatement remarqué le talent naturel de Zeb. Parmi eux, Chad Otterstrom a encouragé les parents de Zeb à inscrire leur fils dans une école de snowboard du Vermont, la Stratton Mountain School, qui avait vu passer des dizaines d’athlètes olympiques. Au final, avec l’aide d’une bourse, Zeb a rejoint Stratton à l’âge de 13 ans.

« C’était dingue, explique Zeb à propos de son arrivée dans ce monde merveilleux dédié à l’hiver. J’ai adoré retrouver d’autres gamins avec qui je partageais la même passion ! Je m’amusais tellement que j’oubliais souvent d’appeler mes parents. »

À Stratton, Zeb a tout testé : halfpipe, big air, slopestyle, rail jams. Il a tout fait. « Quand on est enfant, on ne sait pas vraiment ce qu’on veut, raconte-t-il. Mais on commence à se rendre compte où on brille et où on se sent le plus à l’aise. »

Bien que Zeb ait remporté de nombreuses compétitions, il s’est rendu compte qu’il s’amusait encore plus quand il filmait des tricks avec ses amis. Ses coachs l’ont encouragé sur cette voie. Dylan Demers, entraîneur à Stratton, filmait les kids, et les magnifiques montages des mouvements originaux de Zeb ont commencé à avoir leur petit succès en ligne. À l’époque, Zeb Powell n’avait que 16 ans.

« Même quand il a commencé à attirer l’attention, il est resté modeste, affirme Dylan Demers. Et je ne pense pas qu’il ait changé d’un iota depuis ses 16 ans. C’est toujours le même gamin qui aime autant le snowboard. » Bien que Zeb ait rencontré des difficultés à l’école en raison de son trouble déficitaire de l’attention, il a pu profiter de conditions d’apprentissage privilégiées compte tenu des faibles effectifs en classe à Stratton. « Il s’est donné du mal, confie sa mère. Et au final, il n’a obtenu que des A et des B. »

Lors de la remise des diplômes, il a reçu le Lisa Tuttle Award, attribué à l’élève de terminale qui a fait son maximum pour « apporter la joie et valoriser la communauté de la Stratton Mountain School au travers d’actions positives et d’un comportement exemplaire ». Puis il a réalisé un backflip en descendant de l’estrade. Du Zeb tout craché !

« Cela me rend plus fière que n’importe lequel de ses exploits sur les pistes », lance sa mère, l’air rayonnant.

À seulement 9 ans, Zeb impressionnait déjà ses entraîneurs par son talent pur (ci-contre) ; avant de monter sur un snowboard, Zeb adorait le skate.

Le jour du Knuckle Huck, alors que le mois de janvier touche à sa fin, Zeb vole d’un rendez-vous à l’autre. Durant la matinée, il fait un petit coucou à la caméra, puis signe des autographes dans la zone VIP. Des adultes à la manucure impeccable et aux vêtements de marque font la queue pour le rencontrer. Il s’exécute gentiment. Mais lorsque deux jeunes filles timides s’approchent de lui, il se lève et va à leur rencontre. Ils se donnent des accolades, puis font des selfies, et les filles s’amusent à faire des grimaces. Que vous soyez un rider expérimenté ou débutant, Zeb ne souhaite qu’une chose : que vous vous amusiez. Tout le monde est le bienvenu sur la planète Zebulon. Après avoir remporté une médaille d’or aux X Games en

« Quand on est enfant, on ne sait pas vraiment ce qu’on veut. Mais on commence à se rendre compte où on brille. »
Zeb Powell
64 THE RED BULLETIN COURTESY OF VALERIE POWELL

Les grillz en or de Zeb sont un cadeau du rappeur A$AP Ferg. Les deux jeunes hommes se sont liés d’amitié lors d’un voyagé dédié au snowboard.

2020, le compte Instagram de Zeb a littéralement explosé. Avant cette victoire historique, Zeb ne faisait pas attention au fait qu’il était un snowboardeur noir et qu’il pouvait avoir de l’influence. Mais lorsqu’il a été inondé de messages provenant de gens ravis de voir quelqu’un qui leur ressemblait sur un snowboard, tout a changé. « J’ai réalisé que je voulais faire connaître ce sport et mettre en avant ma couleur de peau », rapporte-t-il.

Moins de deux mois après sa victoire, Zeb et son équipe ont organisé le tout premier Red Bull Slide-In Tour. Le concept était simple. Zeb et ses amis, y compris des snowboardeurs pros, ont pris la route pour se rendre dans des stations de ski à travers toute la Nouvelle-Angleterre. Même si les conditions étaient mauvaises, l’objectif était de faire la fête et d’encourager les gens du coin à les rejoindre sur les pentes.

Quand la tournée a pris de l’ampleur, Zeb a noué des partenariats avec des organismes caritatifs pour aider à « apporter plus de couleurs dans les montagnes », selon ses propres termes. Par exemple, l’an dernier, à Mountain Creek (New Jersey), il a travaillé avec Hoods to Woods, un organisme caritatif de Brooklyn qui faisait découvrir la montagne aux enfants des quartiers par le biais du snowboard. Le domaine skiable Mountain Creek, situé à une

centaine de kilomètres de New York, n’est pas connu pour la qualité de sa poudreuse, mais là n’est pas la question. « Les enfants jouaient dehors en sweat-shirt sous des trombes d’eau, raconte Peter Cirilli, manager et vidéaste de Zeb. Et ils s’amusaient comme des fous. »

« Oh mon Dieu, c’était magique !, s’exclame Zeb. Ils étaient si heureux. C’était la première fois que certains montaient sur une planche. Des enfants s’étaient même inscrits au programme juste pour moi. Je n’imaginais pas avoir un tel impact. » Pendant ces journées-là, presque à chaque fois que Zeb sortait le snowboard, il était suivi par une ribambelle de gamins. Plutôt que d’accélérer et de les semer, Zeb ralentissait, laissait les enfants le rattraper et leur faisait un high five quand ils arrivaient tout en bas.

« La plus grande leçon que je retiens, c’est qu’il ne faut jamais exclure personne, observe Peter Cirilli, qui travaille avec Zeb depuis l’an dernier. Tout le monde peut venir lui parler. Il est immédiatement ouvert à la discussion. Vous vous rendez compte ? Ce snowboardeur de 23 ans ne sait plus où donner de la tête et on peut encore lui parler comme à n’importe qui. C’est assez incroyable. »

Bien sûr, il n’y a pas que les enfants qui sont attirés par le magnétisme de Zeb. Les stylistes, les artistes et les joueurs professionnels de foot américain le contactent régulièrement. Cette reconnaissance l’étonne parfois. Un jour, après avoir assisté à un concert de

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Le styliste des stars, Kwasi Kessie, a offert à Zeb de nombreuses propositions colorées pour notre shooting.

Travis Scott jusqu’au petit matin, Zeb a trouvé le courage d’approcher le rappeur, malgré le staff de sécurité. « C’était vraiment un pari risqué », se souvient Zeb. Mais à sa grande surprise, Travis Scott n’a pas pu contenir ses émotions. « Il s’est retourné et a hurlé comme un gigafan. Je ne savais même pas comment réagir. »

Ces dernières années, Zeb a pu faire découvrir son sport à des musiciens, des athlètes et d’autres icônes noires lors de Culture Shifters, un événement privé organisé par Burton. Il importait peu que les invités et invitées de marque n’aient encore jamais fait de snowboard. Le principal était de leur faire passer un bon moment. L’objectif consistait à les mettre à l’aise et les amener à diffuser la culture du snowboard par le biais de leur public. Dans le lot, il y avait le rappeur A$AP Ferg, qui s’est immédiatement bien entendu avec Zeb. Le rappeur n’a pas hésité à publier une vidéo de sa chute en snowboard sur son compte Instagram aux cinq millions de followers. La vidéo est tout de suite devenue virale. Ce rappeur robuste de Harlem, couronné de succès, prenait une gamelle mais s’amusait. Peut-être qu’un gamin des quartiers verrait ce clip et testerait le snowboard lui aussi…

« A$AP Ferg est quelqu’un de vrai, assure Zeb. C’était génial qu’il accepte de m’écouter et qu’il comprenne la vibe de notre culture pendant ce voyage. »

Cette rencontre a dû marquer les esprits. Lors des derniers X Games, qui coïncidaient avec un concert d’A$AP Ferg à Aspen, le rappeur a offert à Zeb sa première paire de grillz en or. Ce moment a bien sûr été immortalisé : on voit Zeb galérer et remuer bizarrement les lèvres, tandis qu’A$AP Ferg se marre et le charrie. « On dirait E.T. qui essaie de manger une salade de pommes de terre, s’esclaffe A$AP Ferg. Frère, je ne sais absolument pas ce que je fais », répond Zeb. Ils éclatent de rire et se tombent dans les bras. Zeb arbore toujours ses grillz avec fierté dès que l’occasion se présente. Lorsqu’on lui demande de décrire son style vestimentaire, Zeb peine souvent à trouver les bons mots. Mais avec l’aide de Kwasi Kessie, styliste des stars qu’il a rencontré par l’intermédiaire d’A$AP Ferg, il a découvert des fringues et des couleurs qu’il n’aurait jamais pensé porter jusque-là. Et pour sa première collaboration avec la marque d’équipement de snowboard ThirtyTwo, l’inspiration lui est venue d’un blouson NASCAR couvert de flammes qu’il avait déniché dans une friperie. Quoi que porte Zeb, l’outfit devient naturellement cool parce qu’il le porte. Il en résulte un mélange éclectique de vêtements de snowboard, de streetwear hype, de trésors de seconde main et d’accessoires choisis sur un coup de tête, qui n’appartient qu’à Zeb Powell.

Une heure avant le Knuckle Huck à Aspen, Zeb Powell engloutit enfin une banane et une barre énergétique au beurre de cacahuète. Il reconnaît qu’il n’a encore aucune idée de ce qu’il va proposer aux juges. « Je pense à quelques trucs, avoue-t-il. Mais en réalité, peu importe ce que j’ai en tête, je peux totalement changer d’avis sur la piste. »

Soyons clairs, presque personne n’est aussi spontané en compétition. Zeb Powell est le seul à savoir ce qu’il va faire… un quart de seconde avant son trick ! « C’est sans doute pour cela que les gens adorent me voir concourir », ajoute-t-il. Au pied du parcours, des barrières en métal séparent les journalistes des hordes de fans venues assister à l’événement. Sur le terrain, la commentatrice Nikky Williams s’adresse à la foule : « Qui est là pour voir Zeb Powell ? » Tout le monde hurle.

Quelques minutes plus tard, Nikky se tourne vers Valerie Powell, qui s’est placée au premier rang pour assister au spectacle. Elle s’exclame : « Et voici maman Powell ! » Les hurlements de la foule redoublent.

« Zeb est tellement unique, c’est un pionnier , poursuit Nikky. Il donne une nouvelle dynamique au monde du snowboard. A-t-il des superstitions ou des rituels avant une compétition ? », demandet-elle à la mère du rider.

« Pas vraiment, sauf qu’il n’aime pas se prendre au sérieux. Il veut juste s’amuser », répond Valerie en riant.

Dans la catégorie Knuckle Huck, la concurrence s’engage sur la piste à toute vitesse et, une fois arrivée en haut de la butte, se lance dans les airs. Lorsqu’elle décolle, elle tente de faire son meilleur trick et de gérer une réception sans encombres. Si les riders prennent moins de hauteur qu’avec un kicker, la compétition favorise l’originalité.

Pour les deux premiers runs, Zeb vacille légèrement lors de sa réception. Mais il entame son troisième run avec un salto arrière qui le propulse au bas de la piste. Un autre rider – véritable accessoire humain – l’attend au niveau du knuckle : il est couché sur le côté et a positionné son snow en l’air. Zeb se jette par-dessus son ami. Leurs planches s’effleurent presque. Zeb réalise un salto tendu et se réceptionne parfaitement. « Hallucinant ! », s’écrit un commentateur.

En fin de compte, le Norvégien Marcus Kleveland repart avec l’or pour la deuxième année consécutive. Zeb ne monte pas sur le podium. Mais les riders sourient, s’étreignent et se tapent chaleureusement dans le dos. Il n’y a aucune trace d’animosité sur le visage de Zeb, seulement de la joie.

Pour sortir de la zone réservée aux personnes concourant, Zeb doit passer devant une rangée de fans qui l’attendent derrière les barrières. Il signe des autographes et prend des selfies pendant une bonne heure. Les fans se fichent bien que Zeb n’ait pas décroché de médaille aujourd’hui. Il occupe déjà une place de choix dans leur cœur. Instagram : @zebpowelll

Zeb Powell
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« Tout le monde peut venir parler à Zeb. Il est immédiatement ouvert à la discussion. »

LES RÉGÉNÉRATEURS

Dans des labos français, des humains s’acharnent à reconstruire d’autres humains. Soutenue par la Fondation Wings for Life, la neurobiologiste HOMAIRA NAWABI nous a laissé approcher ses microscopes, et expliqué comment elle cherche à régénérer les systèmes nerveux abîmés.

Alors que nous approchons le Centre hospitalier universitaire de Grenoble pour la rencontrer, nous assistons à un ballet d’hélicoptères de secours : un héliport jouxtant l’établissement leur a été dédié à plusieurs dizaines de mètres de hauteur, directement relié au service des urgences. S’il vous arrive une grosse galère en skiant à l’Alpe d’Huez ou aux Deux Alpes, stations de ski proches du CHU, il y a de fortes chances que vous soyez pris en charge ici. Comme Michael Schumacher, qui y a été transféré après son tragique accident de ski en décembre 2013. Dans le bâtiment du GrenobleInstitut des neurosciences (ou GIN), Homaira Nawabi et son équipe agissent au quotidien pour celles et ceux qui, atteint·e·s de lésions chroniques ou traumatiques, sont sujets

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Texte PH CAMY Photos ALEXANDRE BICHARD

La neurobiologiste Homaira Nawabi nous reçoit dans son laboratoire du Grenoble-Institut des neurosciences.

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à des handicaps moteurs, cognitifs et/ou sensoriels permanents. Née à Kaboul et arrivée en France à 9 ans, c’est à l’université de Lyon qu’Homaira s’est spécialisée dans la mise en place des circuits neuronaux. Son but au quotidien : contribuer à la réparation des systèmes nerveux esquintés. Une stratégie de régénération contrôlée, pour permettre la reformation de circuits neuronaux fonctionnels.

Superman et Stephen

Alors qu’elle nous fait visiter son département, bureaux, laboratoires, salles de microscopes et autres pièces aux fonctions techniques, Homaira nous explique sa mission avec des mots simples. Tout commence par comprendre les différents types de systèmes nerveux. « Il y en a deux, explique Homaira. Le central, qui concerne le cerveau et la moelle épinière, ainsi que les nerfs crâniens 1 et 2 pour l’olfaction et la vision. On a ensuite le système nerveux périphérique, ce sont

tous les nerfs qui vont sortir du cerveau et de la moelle et qui vont énerver les os, les muscles, la peau, et autres. Ces deux types de systèmes nerveux sont extrêmement différents. »

Jusqu’ici, vous suivez ? Alors, on continue ! « Quand il y a une lésion, le périphérique peut régénérer, et on peut faire des greffes, poursuit la scientifique. Par exemple, si vous greffez un bras à un enfant, ce bras va grandir avec le gamin, car il y aura tous les programmes de croissance, qui restent fonctionnels. Ici, au CHU de Grenoble, on pratique ce

genre d’opération, mais chez les adultes, et on parle d’ailleurs souvent d’une patiente qui était tombée sous le tram local, et qui avait eu les deux bras sectionnés. On lui a regreffé ses deux bras, et maintenant, elle rejoue du piano, ce qui est assez exceptionnel. » Okay, donc, si le système nerveux périphérique subit une lésion, il est possible de le réactiver.

Mais qu’en est-il du système nerveux central ? « S’il subit des lésions, traumatiques, ça ne régénère pas, on se retrouve tétraplégique, ou hémiplégique. Cela peut arriver après un accident. On évoque d’ailleurs souvent à ce sujet l’acteur américain Christopher Reeve, connu pour son rôle de Superman (et devenu tétraplégique en 1995 des suites d’une chute de cheval, ndlr). Ça se produit aussi avec les maladies chroniques comme les maladies neurodégénératives de type Alzheimer ou celle dont était atteint le grand physicien Stephen Hawking, la maladie de Charcot. »

« Les lésions du système nerveux central touchent quasiment 3 millions de personnes à travers le monde. »
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Une bande de jeunes : Homaira et son équipe. À l’arrière-plan à gauche, Stéphane Belin, avec lequel elle a pratiqué à Harvard.

Derrière ces personnalités, énormément d’hommes et femmes sont concernés. « Les lésions du système nerveux central touchent quasiment 3 millions de personnes à travers le monde, avec jusqu’à 500 000 nouveaux cas par an. Ces lésions de la moelle sont souvent consécutives d’accidents, notamment chez les jeunes, et trois personnes sur quatre concernées sont des hommes. C’est la conséquence d’accidents de la circulation, de chutes, de violences, comme les agressions ou bagarres, et du sport. Il y a aussi les guerres… Dans mon enfance, j’ai vu beaucoup de gamins “victimes collatérales”. Ma petite voisine qui jouait dans notre cour, s’est pris un éclat d’obus dans la tête et elle est devenue hémiplégique. On a environ 50 % de tétraplégiques, et 50 % de paraplégiques. Ça dépend où la blessure tape. » Homaira xplique que dans le cas de lésions consécutives à un accident, c’est comme une circulation interne d’informations qui est coupée.

Reconstruire un système nerveux

Au cœur du sujet : les axones ! Définition de l’axone par Larousse.com : « Long prolongement unique émergeant du corps cellulaire du neurone, généralement à l’opposé des dendrites, et émettant de place en place des collatérales. » Bien. Il peut aussi être décrit comme un prolongement du neurone conduisant l’influx nerveux. En gros, si une fonction nerveuse doit circuler dans notre corps, l’axone a une fonction de transporteur. Homaira précise : « Au niveau cellulaire, si on coupe

un neurone du système nerveux périphérique, il formera une structure qui sera un peu le GPS du neurone et qui va tirer l’axone pour le faire repousser, et ça va refaire des connexions. C’est le cône de croissance. Dans le cerveau et la moelle, en cas de lésion, ce cône de croissance ne se forme pas. Au contraire, ça fera une espèce de boule, et rien ne pousse. Ça participera au fait qu’il n’y ait pas de régénération. Cela implique pour la personne malade une vie assez difficile, et un coût pour elle et la société. »

De nos jours, aucun traitement n’est à même de palier à cette situation, et c’est pour changer cet état de fait qu’Homaira et son équipe œuvrent au quotidien. Les chercheurs et chercheuses qui l’accompagnent sont une dizaine environ, étudiant·e·s thésard·e·s ou postdoctorant·e·s, 25 à 30 ans en moyenne. Très cool et accueillant·e·s : nous circulons à notre aise dans leur labo, parmi elles et eux, librement, sans obligation de suivre un proto-

Wings for Life
« Notre premier niveau de recherche, c’est de trouver des molécules qui font pousser, régénérer. »
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Ceci est un microscope… super hi-tech. Son coût, 400 000 euros, nous rappelle l’importance du financement de la recherche.

Chaque année, dans le monde, entre 250 000 et 500 000 personnes sont touchées par des lésions de la moelle épinière, selon l’Organisation mondiale de la santé. La Fondation Wings for Life (WFL) a décidé d’en faire son combat en réunissant des chercheurs et chercheuses pour trouver un remède à cette condition qui touche tant d’entre nous. Rencontre avec le scientifique et consultant italien Vieiri Failli, un membre de la fondation, pour comprendre ses actions et enjeux à venir.

the red bulletin : Quel est l’objectif de la Fondation Wings for Life et son rôle au quotidien ?

vieri failli : Wings for Life (WLF) est une fondation à but non lucratif qui soutient la recherche sur les lésions de la moelle épinière. Son objectif principal est de trouver un remède à la paraplégie. La fondation soutient depuis 2004 des projets de recherche et des études cliniques de premier ordre dans le monde entier. Chaque année nous recevons près de 200 demandes de financement pour de la recherche.

Comment le rôle de la Fondation a-t-il évolué depuis son lancement, il y a maintenant 19 ans ?

Grâce à de précieux dons, depuis 2004, nous avons pu financer 276 projets de recherche et études cliniques, tout en ouvrant le champ des recherches. C’est une contribution significative ! La recherche médicale coûte très cher et celle sur la moelle épinière est gravement sousfinancée. Mais pour reprendre les mots de la CEO de WFL, Anita Gerhardter : « Depuis un certain temps, la question n’est plus de savoir s’il y aura un jour un remède, mais plutôt de savoir quand cela se produira. »

6 QUESTIONS À VIERI FAILLI Fondation Wings for Life

Comment fonctionne son financement ?

Wing for Life est la seule fondation qui dispose d’un mécanisme de financement spécifique aux essais cliniques. Nous avons mis en place le programme de translation accélérée (ATP) pour apporter plus rapidement des thérapies prometteuses dans les cliniques. L’ATP soutient les scientifiques avec des fonds mais aussi avec un réseau de professionnels ayant une expertise dans tous les aspects de la préparation et de la conduite des essais. De plus en plus de projets de recherche atteignent ce niveau, ce qui signifie que

certains traitements sont déjà testés chez l’être humain et qu’il existe un réel espoir pour un nouveau traitement pour les personnes souffrant de lésions de la moelle épinière.

Comment choisissez-vous les chercheurs et chercheuses, et les projets à soutenir, notamment celui de la chercheuse en neurosciences Homaira Nawabi ? WFL a un processus de sélection très strict, toutes les candidatures sont vérifiées par des scientifiques et des médecins de renommée internationale. Le système mis en place assure qu’uniquement les projets à haut potentiel soient soutenus. Le travail d’Homaira Nawabi en fait partie. Nous espérons qu’il aboutira à une découverte qui se traduira à plus ou moins long terme dans un traitement.

Aujourd’hui, quelles sont les avancées majeures que l’on

peut attribuer à la recherche soutenue par Wings for Life ? WFL a soutenu 276 projets et actuellement 74 sont en cours. Nous n’en avons jamais eu autant depuis la création de la fondation. Chacun constitue une pièce importante du puzzle, car les scientifiques peuvent chercher des solutions dans différentes directions. Le professeur Michael Kilgard de l’Université du Texas, par exemple, étudie la stimulation du nerf vague, qui devrait permettre aux personnes atteintes d’une paraplégie sévère de bouger à nouveau leurs mains et Grégoire Courtine utilise l’électrostimulation à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) en Suisse pour aider des paraplégiques à refaire quelques pas. Un autre sujet majeur en ce moment est la recherche du professeur Stephen Strittmatter, qui mène une étude sur le « piège de Nogo » (Nogo-trap) à l’Ohio State University et travaille sur la reconnexion des fibres nerveuses sectionnées afin d’aboutir à la restauration d’un réseau de neurones.

Dans un futur proche ou plus lointain, quelles seront les prochaines grandes étapes de la recherche sur les lésions de la moelle épinière ?

Nous essaierons de transposer plus d’approches à la clinique, et espérons qu’elles se révéleront également efficaces dans les étapes ultérieures des essais cliniques avec plus de patient·e·s pour finalement aboutir à une thérapie pour tou·te·s les patient·e·s. Les progrès seront incrémentiels et probablement synergiques. La combinaison d’approches diverses sera la solution à cet épineux problème, une des raisons qui fait que nous concentrons nos efforts sur plusieurs fronts à la fois. wingsforlife.com

« La recherche médicale sur la moelle épinière est gravement sous-financée. »
72 THE RED BULLETIN WINGMEN MEDIA GMBH

cole particulier. Durant notre tour, toutes et tous se montrent très dispos pour nous raconter leurs activités. Quelques mots et notions glanés durant notre « tour du propriétaire » : couper des molécules ; découper l’axone ; bouts de rétine ; explants incubateurs ; wet lab ; − 20 ° ; − 80 ° ; gènes DCLK ; gènes DCX : qui « modulent le squelette de la cellule » ; peptides (alias « mini-protéines ») ; tests dans le nerf optique et dans la moelle ; booster la croissance des cellules… Tant de choses… Il nous aurait fallu un magazine entier pour vous éclairer − dignement − à leur sujet. Pour concrétiser un peu tout cela, il faut s’imaginer une bande de jeunes gens pratiquant des protocoles très précis grâce à des souris (dont le système nerveux se rapproche beaucoup de celui de l’être humain), à l’état embryonnaire, très jeunes ou adultes, puis analysent leurs matériaux de recherches après les avoir potentiellement placés dans des congélateurs dont la température peut descendre jusqu’à − 80 °. Leur protocole les guide jusqu’à un super microscope (valeur 400 000 euros, précise Homaira) proposant une imagerie en 3D des résultats.

C’est particulièrement sur le cerveau et le nerf optique que se fixent les recherches de l’équipe d’Homaira. Les chercheurs y pratiquent des lésions volontaires, des injections de virus et de molécules destinées à provoquer la repousse d’axone. Ils se penchent ensuite sur les circuits potentiels que pourraient à nouveau emprunter ses axones. « Notre pre-

mier niveau de recherche, c’est de trouver des molécules qui font pousser, régénérer. Deuxième niveau de recherche : la formation de circuits. Si ça se connecte mal, cela pourrait provoquer des psychoses chez le patient. » Comme l’explique le site du CNRS, les travaux d’Homaira ont montré que, suite à des manipulations moléculaires des neurones, les axones peuvent repousser sur de longues distances, mais sont alors perdus et n’arrivent pas à atteindre leurs cibles correctes. Il faut ici comprendre que reconstruire un système nerveux détérioré que l’on laisserait s’activer de manière anarchique pourrait causer de nouveaux soucis au patient. Précisions : « Par exemple, si votre nerf de l’œil se met dans la zone du cerveau destinée au nerf du goût ou de l’olfaction, en regardant quelque chose vous pourriez ressentir des goûts et ça pourrait créer des désagréments. Ou ça pourrait toucher le circuit de la douleur. La plupart de gens qui ont des lésions de la moelle ont des douleurs qu’ils ne devraient pas avoir, parce que les circuits se mettent n’importe comment. C’est notamment cela qu’on essaie de contrer. »

Une révolution

C’est en 2008 que cette mission a débuté pour Homaira Nawabi, quand elle a rejoint (avec son compagnon Stéphane Belin, lui aussi chercheur du GIN de Grenoble) l’équipe du professeur Zhigang He à la prestigieuse université d’Harvard, à Boston (USA), spécialisée dans le

domaine de la régénérescence axonale. Une équipe qui a marqué l’histoire de cette spécialisation en 2008, quand une revue scientifique, Science, a révélé l’un de leurs résultats de recherche, déterminant. Comme le veut le protocole dans le cadre de la validation des recherches scientifiques, une équipe adresse les résultats de ses recherches sous forme d’un article aux revues scientifiques les plus respectées. Cet article sera revu (le reviewing) par un comité de pair·e·s qui restent le plus souvent anonymes. Une fois revu et éventuellement révisé, l’article est publié, et la découverte officiellement annoncée à l’ensemble de la planète scientifique, et au-delà. Vous entendez parfois parler dans les médias d’une découverte publiée dans Nature ou Science. C’est donc la publication d’une découverte de l’équipe du professeur Zhigang He qui a motivé nos deux Français à le rejoindre, en tant que postdoctorants.

« Quand il y a une lésion, les axones sont à nu et se retrouvent face à une espèce de cicatrice, comme un mur, qui les empêche de pousser, dit Homaira. Ces cellules vont aussi secréter des molécules qui vont dire aux axones de ne pas repousser, formant une espèce de barrière chimique. » Les résultats révélés par l’équipe d’Harvard ont démontré qu’en identifiant et injectant des molécules particulières dans l’œil d’une souris adulte on pouvait contribuer à la repousse d’axone. « En manipulant les neurones et non plus leur environnement, en réactivant des voies qui sont actives durant le développement chez l’adulte, ça repousse : c’est ça qui a été révélé dans Science en 2008 », rembobine Homaira. « C’était une révolution, du jamais vu », précise Stéphane, lui aussi présent lors de notre visite du GIN, et dont l’équipe est plus particulièrement dédiée aux recherches sur la moelle épinière.

« En 2008, on a répondu à une question très simpliste, dit Homaira Nawabi : est-ce qu’on peut faire pousser ? Et la réponse fut oui. Et de là, ont découlé une multitude d’autres questions. » Ce sont ces questions qui intéressent particulièrement nos deux chercheurs, qui leur ont dédié six ans d’activité à Harvard, et l’essentiel de leur temps depuis leur installation au GIN de Grenoble. Résumé du problème en quatre points :

1. Qu’est-ce qui fait régénérer/trouver de nouvelles molécules qui permettent de « faire pousser » ?

2. Comment guider le circuit : qu’un axone aille du point A au point B, et pas

Wings for Life
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« La repousse d’axones, c’était une révolution, du jamais vu. »

là où il ne faut pas ? 3. Est-ce que c’est fonctionnel une fois que l’axone est arrivé à destination, dans son noyau ? 4. Est-ce que l’on est en capacité de faire de tout ce qu’on a trouvé en 1, 2 et 3, un « candidat » potentiel à un médicament ?

« Là où on est très avancés, dans l’équipe, c’est sur l’identification des molécules qui font régénérer, et le guidage », explique Homaira. Le point 2 est particulièrement intéressant, elle nous éclaire à son propos : « C’est sur ce guidage que travaillent notamment Julia et Noémie chez nous, et pour cela, elles reviennent aux basiques, à l’embryon, car c’est pendant l’embryogénèse que les circuits sont formés. Il faut les imaginer comme des routes, et sur ces routes il y a des panneaux de signalisation qu’on appelle des facteurs de guidage, qui vont être soit attractifs, soit répulsifs, et qui vont dire à ces axones – qui expriment des récepteurs qui sont capables de les comprendre – toi tu vas à droite, toi tu

vas à gauche, toi tu ne vas surtout pas là, etc. La cartographie de ces panneaux est complètement différente chez l’adulte, car les routes sont déjà en place, on n’en a plus besoin des panneaux. Quand on arrive dans un contexte de régénération, ça redevient important puisqu’il faut reconstruire ces routes. Et nous, on essaie de refaire la cartographie des axones. »

Se casser la gueule

Recréer des afflux nerveux et les confier à un GPS ultra-fiable, c’est ainsi que l’on pourrait résumer grossièrement ce pourquoi les équipes d’Homaira et Stéphane Belin (dont les recherches se frôlent, en espérant se croiser) s’activent au

quotidien. Mais de telles recherches impliquent du budget, beaucoup d’argent, qui ne tombe pas du ciel sur l’héliport du CHU. « Un grant, une recherche de fonds, peut prendre cinq ou six mois, nous explique Homaira, entre l’écriture du projet, la présentation, les décisions. Et la recherche coûte cher. L’accélération des nouveaux résultats va de pair avec les nouvelles technologies, et le matériel est onéreux (souvenez-vous du microscope à 400 000 euros, ndlr). Par ailleurs, un simple réactif pour des recherches en labo peut coûter 600 euros pour 100 microlitres… »

La quête de fonds est donc permanente pour Homaira, qui est depuis décembre dernier soutenue par la Fondation Wings for Life. « La Fondation Wings for Life nous octroie 100 000 euros par an, sur deux ans. Sur ces 100 000 euros annuels, au moins la moitié ira pour payer le salaire d’un postdoc sur un an. Obtenir plus d’argent nous aide à recru-

« Nous, on essaie de refaire la cartographie des axones. »
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Une avancée cruciale dans sa recherche ? Les yeux rivés à l’écran de son microscope, Homaira analyse ses résultats du jour.

Wings for Life

ter plus de gens, et donc à pratiquer plus de recherches. Et il faut savoir que les mains manquent… Il y a une crise de vocation dans la recherche. Ce sont des métiers difficiles, qui imposent un investissement personnel. »

Parmi les qualités du chercheur, une certaine forme de « naïveté » (s’acharner des années pour une avancée scientifique estimée ultime, dont découlera en fait –et on le sait dès le départ – encore des années de recherches) et de la résilience.

« Les étudiant·e·s les plus résilient·e·s iront le plus loin », dit Stéphane. Alors qu’elle jette un œil à notre couverture avec le sauteur de haies Sasha Zhoya, Homaira enchaîne : « Scientifiques et sportifs ont ce truc en commun, la résilience. En tant que chercheuse, tu te casses la gueule plein de fois, mais le jour où tu es devant ton microscope et que tu trouves quelque chose, tu es la plus heureuse au monde. »

Il est important pour Homaira que nos sociétés comprennent que la recherche, c’est long. « On est dans une société où tout va vite, on veut la réponse de suite. Il faut expliquer au public que la recherche prend du temps, et c’est d’autant plus dur quand c’est aux personnes touchées par les lésions que vous vous adressez. C’est extrêmement frustrant. Mais, une fois qu’elles discutent avec nous, elles comprennent. On ne va pas faire recourir un paralysé, mais on va pouvoir redonner l’usage d’un bras, retrouver une certaine autonomie, la capacité à gérer sa vessie, avoir une vie sexuelle à nouveau, ou juste… se gratter la tête », sourit Homaira. Stéphane complète. « On parle pour l’instant d’étapes intermédiaires qui permettront sûrement d’améliorer les choses. Le but ultime est de résoudre le problème, remarcher, revenir à 100 % de ses capacités. Pour y parvenir, ça nécessitera beaucoup de temps. Par contre, il y a sûrement plein de petites étapes, intermédiaires, qui vont aider, faciliter, améliorer les choses. Les gens doivent garder espoir. On pourra peut-être leur apporter une amélioration qui les aidera dans leur vie de tous les jours. Sans résoudre le problème, mais ça sera un cap. »

En participant à la course Wings for Life World Run, le 7 mai prochain (voir encadré ci-contre), vos frais d’inscription reviendront directement aux chercheurs et chercheuses qui, comme Homaira et ses équipes, partout dans le monde, veulent améliorer pas à pas le quotidien des personnes touchées par des lésions de la moelle épinière.

WINGS FOR LIFE WORLD RUN

Courir le 7 mai, c’est soutenir la recherche

En février dernier, nous vous présentions Martin Petit, ambassadeur du Wings for Life World Run, devenu tétraplégique après un plongeon, qui s’exprime sur les réseaux sociaux. Il nous semblait important de vous expliquer cette course, si importante pour les personnes ayant des lésions de la moelle épinière.

Wings for Life est une fondation caritative qui, une fois par an, organise une course dans le but

France telles que Paris, Lille, Rennes, Bordeaux, Nice et où que vous soyez. Et la bonne nouvelle est que 100 % des frais d’inscription sont réservés à la recherche.

de récolter des fonds pour financer les recherches autour des lésions de la moelle épinière afin de trouver un remède. Nombreuses sont les personnes paralysées et privées de sensations dans les jambes ou les mains suite à un malheureux accident, qui rêvent du jour où elles ne seront plus dépendantes d’autrui. Par conséquent, le 7 mai 2023, Wings for Life World Run aura lieu dans certaines villes de

Le concept est assez simple : tout le monde peut participer, que l’on soit en fauteuil roulant ou à pied, qu’on marche ou qu’on court, l’essentiel est de garder (son) rythme. L’idée ? « Courir pour celles et ceux qui ne le peuvent pas », en même temps que des milliers de personnes à travers le monde grâce à l’application mobile Wings for Life World Run. Elle permettra à celles et ceux qui ne seront pas présent·e·s sur les courses organisées dans certaines villes de mener leur propre course (en solo ou à plusieurs), avec un but : se faire rattraper le plus tard possible par la Catcher Car virtuelle. Elle partira 30 min après le départ à la vitesse de 14 km/h et sa vitesse augmentera progressivement jusqu’à ce que les derniers participants soient rattrapés par la voiture (même procédé pour les rassemblements de coureurs organisés pour le Wings for Life World Run, mais avec de vraies voitures cette fois). Vous l’aurez compris, la ligne d’arrivée est à l’image du challenge que vous vous fixez. Pour les personnes qui souhaitent courir sur les parcours tracés, une équipe sera présente pour vous encourager. En virtuel, c’est votre appli qui vous boostera. Soutien, partage et accompagnement seront les mots d’ordre de la journée

wingsforlifeworldrun.com

Scannez ce QR Code et rejoignez le Wings for Life World Run

THE RED BULLETIN 75 BAPTISTE
FAUCHILLE FOR WINGS FOR LIFE WORLD RUN
SAMO VIDIC/RED BULL CONTENT POOL
Nicolas Charbonnier, du team Alinghi Red Bull Racing, à la barre. Ci-contre : l’entraînement de l’équipe sur l’AC75 à Barcelone.

Compte à rebours avant

Brigade volante

Présentation de l’élément le plus important des voiliers de course les plus rapides et les plus avancés sur le plan technologique : l’homme.

Texte ANDY RICE L’AMERICA’S CUP
77

Compte à rebours avant L’AMERICA’S CUP

L’America’s Cup est le summum de la course de voiliers. C’est aussi une étude de cas sur les contradictions. Fondée en 1857, c’est la plus ancienne compétition de voile au monde encore en activité, et une compétition qui repousse les limites de la conception et de la performance modernes. À bord des AC75 – des monocoques aérodynamiques de 22 mètres de long équipés de foils – se trouvent des ordinateurs qui gèrent les foils et l’hydraulique. Mais le protocole veut qu’ils ne soient pas automatisés ; chaque yacht ultramoderne doit être entièrement piloté par son équipage humain. Cette symbiose du cybernétique et de l’organique porte un nom : le cyborg.

Dans une course de vitesse en ligne droite, un AC75 entièrement automatisé et sans pilote dépasserait plus que probablement son homologue composé de huit hommes. Par conséquent, lorsqu’il s’agit d’ajouter des humains au mélange, vous avez besoin des équipages les plus en forme et les plus intelligents qui soient. Certains sont sélectionnés pour leur musculature et leur capacité aérobique exceptionnelles : ils sont la salle des machines. D’autres sont là pour leur intelligence, notamment pour leur capacité à prendre des décisions difficiles en un clin d’œil.

Mais il y a aussi un point où le « facteur humain » peut avoir l’avantage sur les systèmes informatiques actuels. Lorsque les immenses voiles captent le vent et que le bateau atteint plus de 18 nœuds, les hydrofoils génèrent suffisamment de portance pour soulever la coque de 6,5 tonnes hors de l’eau. À ce stade, la résistance à la traînée de l’eau est réduite à une fraction de ce qu’elle était, et l’AC75 accélère à plus de 40 nœuds (env. 75 km/h). Le bateau est alors en équilibre sur le fil du rasoir et les marins doivent réagir pour maintenir un vol stable. Les voiles doivent être ajustées, ou « réglées » ; l’angle des foils exige un positionnement en une fraction de seconde pour maintenir une position stable au-dessus de l’eau.

Chaque membre de l’équipage de huit personnes doit se concentrer sur son aspect du bateau tout en étant à l’écoute des priorités des autres. « C’est comme un orchestre », explique Pietro Sibello, conseiller en voile d’Alinghi Red Bull Racing (ARBR), l’équipe suisse qui participera à la 37e America’s Cup à Barcelone l’année prochaine. Pour comprendre cette relation homme-homme et homme-machine, The Red Bulletin s’est entretenu avec des membres de l’équipage Alinghi Red Bull Racing sur ce qu’implique le fait d’être un élément vivant d’un voilier de course AC75.

GROUPE DE PILOTAGE

Comme son nom l’indique, ces membres de l’équipage contrôlent la direction et la hauteur du bateau au-dessus de l’eau, ajustent constamment les voiles pour obtenir une vitesse maximale et prennent des décisions tactiques concernant le positionnement sur le parcours et la manière et le moment d’attaquer l’adversaire.

LE BARREUR

Il dirige le bateau et est relié aux autres par radio. Il a une grosse responsabilité sur le lancement, la tactique et la coordination des manœuvres.

Plus jeune barreur de l’équipe à seulement 24 ans, Maxime Bachelin (droite) jouit pourtant d’une solide expérience : après avoir tiré ses premiers bords en Optimist à 8 ans, il se découvre une véritable passion pour la voile. Les petites barquettes à frites qu’il manœuvrait étant gamin n’ont rien à voir avec

78 THE RED BULLETIN SAMO VIDIC/RED BULL CONTENT POOL

les bolides flottants qu’il barre désormais, mais comme il l’explique, « l’Optimist t’apprend à sentir le bateau, à voir l’action du vent sur l’eau, à développer un sixième sens pour tout ce qui t’entoure ».

De là, il est passé à des dériveurs de 4 mètres de long avec deux membres d’équipage, apprenant l’importance de la communication et développant une compréhension quasi télépathique entre lui et les autres. Car à 50 nœuds, la liberté de discuter des options tactiques se fait rare. Comme pour les pilotes de F1, les équipiers

doivent entraîner leur temps de réaction : « On passe des heures dans le simulateur à améliorer notre réactivité face à toutes sortes de situations susceptibles d’arriver lors de la régate. On chronomètre par exemple le temps qu’on met à changer une petite ampoule. Plus on est réactif, plus on sera efficace une fois sur l’eau. »

Traditionnellement, il n’y a qu’un seul barreur, qui change de bord à chaque changement d’amure (voir l’illustration au dos de cette page), et est remplacé temporairement par le régleur

le temps de passer de tribord à bâbord, ou vice-versa. Mais en 2021, les Italiens du team Luna Rossa créent la surprise avec deux barreurs à bord, un de chaque côté du bateau. « Sur un AC75 lancé à pleine vitesse sur ses foils, on risque d’être éjecté par-dessus bord dès qu’on se déplace », explique Pietro Sibello, ancien tacticien de Luna Rossa maintenant chez ARBR. Cette mesure de sécurité pose cependant des problèmes de coordination, puisqu’on a deux équipiers pour une seule barre.

« Temps de réaction minimium pour perf maximum. »
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Maxime Bachelin au volant de l’AC75 d’ARBR, avec Arnaud Psarofaghis. À bord, la synchronisation est essentielle.
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LES POSTES SUR UN AC75

Pour la Coupe de l’America 2024, les équipages ont été limités à huit (en 2021, ils étaient 11). Cela nécessite une répartition créative des tâches, et les équipes sont toujours à la recherche de la recette secrète. Ainsi, les rôles que vous voyez ici ne sont pas représentatifs d’ARBR ou des autres équipes.

GROUPE DE PILOTAGE

1. Barreur

RÉGLEUR DE GRANDVOILE ET DE FOILS

Petit cours de voile accéléré : la principale source d’énergie éolienne sur un AC75 est la grand-voile à double bord de 145 m², hissée sur un mât en fibre de carbone haut de 26,5 m. À l’avant du bateau se trouve une voile plus petite de 90 m², le foc. L’espace entre le foc et la grand-voile est appelé « la fente ». C’est l’écoulement d’air entre les deux qui va agir – entre autres – sur la vitesse du bateau.

Les régleurs de foc et de grandvoile sont donc constamment obligés de se coordonner pour optimiser la portance du bateau. Par petit temps, on va essayer de gonfler les voiles en augmentant le creux, mais dès que les foils sont en action et que la résistance de l’eau disparaît, l’action des voiles devient tellement violente que le régleur de grand-voile doit instantanément réduire le creux pour équilibrer le bateau.

Pendant ce temps, le régleur de foils, ou “flight controller” en anglais, ajuste l’angle des foils de chaque côté du bateau. Habituellement, seul le côté sous le vent est dans l’eau, alors que la partie au vent flotte dans les airs. Sauf lorsque la vitesse est plus faible : dans ce cas, on va sortir les deux en même temps pour réduire la résistance de l’eau. Le régleur de foils doit être constamment aux aguets dès que la mer devient un peu agitée.

anniversaire : « Mon père nous emmenait souvent naviguer avec lui, raconte ce marin aujourd’hui âgé de 32 ans.

J’ai fait mes gammes sur du 420 (quillard de 4,20 mètres, ndlr)», avant de découvrir les joies de la régate en duel –une formule que l’on retrouve dans l’America’s Cup. « J’ai longtemps régaté sur des GC32 (catamarans à hydrofoils, ndlr), et même si ce n’est pas aussi rapide ou technique qu’un AC75, c’est parfait pour aiguiser sa réactivité. »

Quant au réglage des voiles, Mettraux explique qu’il se fie autant à son instinct qu’aux indications sur son écran. À long terme, il espère devenir un navigateur 100 % instinctif – après tout, l’électronique n’est utilisé en voile que depuis peu, et les données ne reflètent que les événements récents. Il est bien plus important de deviner, dans le feu de l’action, ce que l’avenir proche nous réserve : « Avec l’expérience, on arrive vraiment à sentir ce dont le bateau a besoin. »

Compte à rebours avant

GROUPE D’ÉNERGIE

Le muscle du bateau. Leurs vastes réserves aérobies et leur force physique doivent être converties, via des treuils manuels, en énergie pour le système hydraulique du bateau. Plus la puissance est élevée, plus le groupe moteur peut régler les voiles avec précision. Le point avec Nils Theuninck et Augustin Maillefer, d’ARBR.

WINCHERS OU CYCLISTES ?

GROUPE D’ÉNERGIE

Bryan Mettraux (ci-contre à gauche) s’entraîne actuellement sur deux missions : savoir régler les foils et la grand-voile.

« Ça permet de mieux comprendre l’interconnexion des différents postes à bord, et puis c’est toujours mieux d’avoir des équipiers polyvalents. »

La première fois qu’il a fait de la voile, Bryan Mettraux ne s’en souvient pas, car il n’avait pas encore fêté son premier

Les équipiers chargés de mouliner sont appelés “grinders” en anglais. Les poignées avec lesquelles ils actionnent les winchs (treuils à main) pour régler les voiles et déplacer la bôme ressemblent à d’énormes moulins à café, aussi bruyants.

Tout a changé en 2017 lorsqu’on a découvert que le voilier de l’Emirates Team New Zealand (ETNZ) avait été équipé de pédaliers : perchés sur leurs vélos, les équipiers produisaient ainsi 20 % d’énergie en plus, tout en ayant les

2. Barreur 3. Régleur de foils 4. Régleur de voiles 5. Régleur/Wincher ou cycliste 6. Régleur/Wincher ou cycliste 7. Wincher ou cycliste 8. Wincher ou cycliste
CUP
L’AMERICA’S
Le réglage des voiles c’est 50% d’instinct et 50% de données à l’écran.
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Nils Theuninck et Augustin Maillefer − Groupe d’énergie.
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No train, no gain: l’équipe suisse d’ARBR travaille d’arrache-pied sur ses AC75 depuis octobre dernier. Dans le sens des aiguilles d’une montre, du haut : hisser le foc ; piloter un AC75, c’est développer un exceptionnel pied marin à grande vitesse ; Arnaud Psarofaghis et Nicolas Charbonnier dirigent le bateau.

mains libres pour pouvoir assurer d’autres manipulations.

Pour donner le meilleur de lui-même dans la salle des machines de l’ARBR AC75, Nils Theuninck s’entraîne à des niveaux de forme et de force toujours plus élevés. Ce géant de 1,94 m et 93 kilos sait que tout dépend du bon rapport poids/puissance.

Le marin de 26 ans a passé ses années de voile en solitaire. Il a commencé en Optimist, puis a évolué vers le Finn lourd de 4,5 m, un dériveur qui exige une force et une intelligence brutales de la part des navigateurs. En 2021, Theuninck prenait la tête du classement mondial des navigateurs finlandais et remportait le bronze aux championnats d’Europe, et il est bien décidé à rendre fier son pays d’origine.

Augustin Maillefer a toujours détesté le vent – enfin, dans le sport qu’il pratiquait avant de découvrir la voile : l’aviron. Ce rameur de 30 ans a représenté la Suisse aux Jeux olympiques de 2012 et 2016. Recruté pour le power group d’ARBR, il doit désormais apprendre à apprécier une bonne bise. « Mon expérience dans la rame m’a appris à être endurant et performant, même au-delà de la souffrance physique. »

La synchronisation en aviron est primordiale, dit Maillefer, mais la symbiose du travail d’équipe sur un AC75 est bien plus importante. « Sur un voilier aussi complexe qu’un AC75, on doit être conscient du rôle de chacun, de son action sur la performance globale du bateau et de ce qu’il faut f aire pour faciliter la tâche des autres. »

En 2017, ETNZ a remporté l’America’s Cup. Après avoir été bannis en 2021, les pédaliers seront de nouveau autorisés en 2024. Le team suisse ARBR hésite encore entre les bras et les jambes, mais les huit membres du Groupe d’énergie intègrent le vélo dans leur programme d’entraînement.

SUR LA TERRE FERME

Si les compétences de l’équipage sont essentielles pour remporter l’America’s Cup, il ne pourrait réussir sans une équipe à terre indispensable. Exemples…

ANALYSTE PERFORMANCE

Andrea Emone (ci-dessus) est responsable des données télémétriques collectées par les nombreux capteurs qui entourent l’ARBR AC75.

« J’ai concouru dans la catégorie olympique de planche à voile, mais j’ai aussi étudié l’ingénierie aérospatiale et obtenu un master en dynamique des fluides numérique (CFD) », explique-t-elle. Le fait d’étudier deux milieux – l’air et l’eau –tout en ayant une expérience concrète de la voile donne à cette jeune femme de 26 ans un aperçu rare des données qu’elle observe. De plus, bien qu’il soit interdit de laisser un ordinateur contrôler les systèmes du bateau pendant une course, cela peut s’avérer utile pendant les séances d’entraînement.

« Lors de la Coupe de l’America 2021, nous avons vu des pilotes automatiques utilisés pour s’entraîner à des situations où l’API (interface de programmation, ndlr) pouvait se déplacer à

des vitesses qu’un humain ne pouvait pas suivre », explique-telle. Un membre de l’équipage peut alors reproduire le comportement de l’ordinateur. L’expertise d’Emone la place en position d’autorité pour se prononcer sur la question épineuse de savoir si l’AC75 est un bateau au sens propre du terme. « Ce n’est pas un avion, et ce n’est pas un bateau traditionnel. » La voile a toujours reposé sur la génération d’une portance, mais avec des voiles dans le plan vertical. L’AC75 le fait également dans le plan horizontal, en se soulevant hors de l’eau. Mais il reste un bateau…

CONSEILLER NAVIGATION

Un ordinateur peut effectuer des milliers de calculs en une seconde. Un être humain ? Peut-être un ou deux. Selon Pietro Sibello (ci-dessous), c’est la raison pour laquelle un ordinateur est bien plus performant en matière de précision des réglages.

« Barrer un AC75, c’est comme piloter un avion, résume ce skipper italien de 43 ans, sauf que sur un voilier de régate, comme rien n’est automatisé, le boulot doit être fait par tous les équipiers, qui doivent être parfaitement synchrones. » Comme un orchestre. « Les ordinateurs sont beaucoup plus précis et rapides, et c’est vrai que le voilier irait plus vite si l’on avait le droit d’automatiser les manœuvres. Mais là où l’être humain surpasse l’ordinateur, c’est dans sa capacité à anticiper les situations, à profiter de son expérience, à deviner les bourrasques qui arrivent rien qu’en scrutant la surface de l’eau… Les humains sont encore supérieurs aux ordis lors des régates – pour le moment. »

Plus d’articles sur l’America’s Cup par The Red Bulletin en scannant le code ci-contre ou sur le site redbulletin.com

Compte à rebours avant L’AMERICA’S CUP
« Barrer un AC75, c’est comme piloter un avion.
L’équipe doit être synchro. »
THE RED BULLETIN 83 SAMO
VIDIC/RED BULL CONTENT POOL, OLAF PIGNATARO/RED BULL CONTENT POOL

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TRBMAG

PERSPECTIVES

Expériences et équipements pour une vie améliorée

GRIMPEZ

Escalade en grande paroi (et nuit) à Chamonix

85 ANETTE ANDERSSON MATT RAY

Mes yeux s’ouvrent sur une bande lumineuse. Alors que le sommeil se dissipe lentement, j’aperçois l’horizon, dentelé comme des dents de requin et noir avant l’aube. Une marée dorée clapote devant la silhouette de ces sommets de 3 000 mètres. En me retournant dans mon sac de couchage, je jette un coup d’œil par-dessus le bord du portaledge – une plateforme en tissu d’à peine un mètre et demi de large, suspendue comme une minuscule étagère sur une imposante paroi de granit à pic plongeant sur des centaines de mètres avant d’être engloutie par le néant.

Voilà à quoi ressemble une escalade en grande paroi de plusieurs jours sur le pinacle rocheux du Brévent, la falaise de 2 525 mètres qui se dresse à l’ouest de Chamonix, la capitale européenne de l’aventure. Moins de 24 heures auparavant, j’étais sur la terre ferme, 500 m plus bas, à la station de télécabine de Planpraz, contemplant l’intimidant monument de pierre enveloppé d’une brume tourbillonnante.

Je me suis inscrit à l’Arc’teryx Alpine Academy pour m’initier à l’escalade en grande paroi – une longue ascension en plusieurs longueurs, trop longue pour être réalisée en une seule journée, et qui

nécessite l’utilisation d’un terrain de camping vertical rudimentaire. Mes guides sont des athlètes alpins de haut niveau. L’un d’entre eux est Paolo Marazzi, ambassadeur d’Arc’teryx, dont le casque porte le slogan motivant “You’ll die” (« Tu vas mourir »). Davantage un soutien durant l’entraînement qu’une promesse, Marazzi recourt à ce slogan pour souligner les conséquences d’un nœud mal fait ou d’un manque de rigueur dans les procédures de sécurité des grandes parois. Là-haut, toute chute non sécurisée est fatale.

Nous mettons des sacs de couchage, de la nourriture, de l’eau et les portaledges dans des sacs de rangement. Ceux-ci sont beaucoup trop lourds pour être portés. Ils seront donc accrochés au rocher à côté de nous, puis décrochés et hissés une fois que le premier de cordée aura atteint un point d’ancrage au-dessus. C’est un art en soi, comme me le montre un autre guide, Frédéric Degoulet. En m’engageant dans une boucle de nylon attachée à la corde, je dois utiliser le poids de mon corps et les muscles latéraux du bas du dos pour tirer et hisser le sac vers le haut.

Prêt à partir, j’attache mon harnais à la corde. Ma partenaire d’escalade, Johanna Sullivan, guide diplômée de l’IFMGA (International Federation of Mountain Guides Associations), trie son matériel : des sangles qui peuvent servir de points d’ancrage supplémentaires ou d’extension, des coinceurs passifs et des coinceurs mécaniques qui s’ancrent dans les fissures du rocher, et des mousquetons dans lesquels nous accrocherons notre corde. J’ai déjà fait de l’escalade, mais je n’ai jamais dormi sur une paroi rocheuse ni attaqué une grande paroi. J’essaie de ne pas laisser la peur s’infiltrer dans mes muscles froids et tendus. Après avoir vérifié les nœuds de chacun et chacune, nous nous approchons d’une rocaille verticale au milieu d’éruptions vertes de mousse. La pente n’est pas trop raide au début et nous grimpons ensemble. Sullivan s’arrête

Comment s’y rendre : pour se rendre à Chamonix, prendre le train ou la voiture route.

PERSPECTIVES
voyage
« Alors que j’étire le bout des doigts de ma main directrice, le dos de ma main ancrée glisse, faisant sauter mon orteil de son point d’appui.
»
Matt Ray, journaliste d’aventure
86 THE RED BULLETIN ANETTE ANDERSSON MATT RAY GETTY IMAGES PREMIUM ACCESS

pour boucler la corde sur les rochers et assurer la sécurité pendant que je la suis. Bientôt, la pente s’accentue – nous sommes les seuls êtres vivants sur cette barrière grise et abrupte. Au-dessus, des fissures isolées dans la roche ressemblent à une chute d’eau cherchant à trouver un chemin de moindre résistance mais à rebours. Sullivan installe un ancrage avant de s’élancer dans l’une des fissures, me laissant attaché à l’autre extrémité de la corde pour l’assurer depuis mon harnais, de façon à ce que je puisse supporter tout son poids et la rattraper si elle tombe. Bientôt,

je la suis dans la faille. Le brouillard se resserre. Je ne vois ni le sol ni le sommet, et les sons sont étouffés. C’est comme si l’univers s’était réduit à un espace de 50 mètres. Je réalise que nous sommes totalement engagés.

Mes mains cherchent au-dessus de moi une prise qui s’adapte au bout de mes doigts et qui soit suffisamment sûre pour que je puisse me hisser. La roche est froide et la seule bonne arête que je trouve est inclinée sur le côté, mais je sais qu’elle ne va pas se briser. Je m’y accroche du bout des doigts, en enroulant mon pouce sur mon premier doigt

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THE RED BULLETIN 87
L’ascension : page de gauche, l’auteur Matt Ray dans une cheminée rocheuse ; ci-dessus, installation d’un camp de portaledge ; ci-dessous, les guides Paolo Marazzi et Johanna Sullivan oklm dans un portaledge. Page d’intro : Marazzi sur un mur de granit.

et en inclinant mon corps de manière à pouvoir tirer en ligne droite tout en poussant avec mes jambes. J’apprends rapidement que travailler avec le rocher, tirer dans la direction qu’il veut, est la meilleure façon de grimper.

Quelques mouvements plus tard, je n’ai plus d’arêtes, mais je repère une brèche au fond de la fissure. Bien que ses côtés soient lisses, elle a la taille parfaite pour un verrou de main (hand jam) – un mouvement qui consiste à augmenter le volume de sa main dans une fissure pour créer un point d’ancrage. Au moment où le bout des doigts de ma main principale s’étire pour former un beau bloc carré, le dos de ma main ancrée glisse, faisant sauter mon orteil de l’appui incliné situé en dessous. Je pousse un glapissement, mais je suis sauvé de la chute par ma main principale. Après deux heures sans relâche d’ascension, nous atteignons la dernière longueur de la journée. Mais,

Rock Academy

L’Arc’teryx Alpine Academy propose un cours annuel de quatre jours sur la montagne, le plus grand événement éducatif de ce type au monde. Elle propose des stages pour tous les niveaux d’escalade, de débutant à expert, couvrant tous les domaines, de la formation au maniement des piolets et des crampons aux premiers soins et au sauvetage en montagne, en passant par la navigation sur les glaciers, la photographie verticale et les sessions de portage de plusieurs jours sur des grandes parois. Des ateliers sont organisés avec certains des plus grands noms de la discipline, des espaces sont prévus pour tester du matériel encore en phase de recherche et de développement, et le centre du festival propose un mur d’escalade, des DJs et des spectacles musicaux. L’édition 2023 du festival se tiendra du 29 juin au 2 juillet. Les billets et la programmation complète sont disponibles sur : chamonix.arcteryxacademy.com

pas le temps de se détendre : installation du camp ! Suspendus à nos harnais, avec un dénivelé abrupt en contrebas, mon compagnon de portage et moi-même nous débattons avec le paquet indiscipliné de bâtons et de sangles qui constituera notre lit pour la nuit.

C’est une épreuve de patience, et une fois qu’il est assemblé, nous apprenons l’importance de la communication ; si nous nous levons tous les deux en même temps, le portaledge va chavirer et nous projeter dans les airs. Nous dormirons dans nos harnais.Alors que le soleil commence à se coucher, j’expire longuement, les pieds dans le vide, et je réalise qu’en ce moment même, c’est le meilleur endroit de la vallée.

Matt Ray est écrivain et photographe dans les sports d’action et d’aventure. Il blogue sur adventurefella.com ; Instagram : @adventurefella

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Moments forts : (à gauche) deux membres de l’équipe de l’Alpine Academy suivent leur guide le long de l’imposante paroi ; (à droite) Ray et son compagnon de portaledge se préparent à avaler leurs repas réhydratés. Et un petit coup de rouge.

UN PODCAST DU RED BULLETIN

Une invitation à la réflexion, un espace où coexistent des solutions et des idées propres à notre époque, à travers les expériences personnelles de nos invités et invitées. Comment souhaitons-nous construire un environnement sain pour s’inscrire dans un « bien ensemble » ?

Écoutez les nouveaux épisodes

En ce monde rien n’est certain, à part la mort et les impôts », dit-on. À la fin des années 1980, une autre certitude est apparue : vous allez perdre à Tetris. Livré avec la Game Boy en 1989, c’est grâce à lui que la console portable de Nintendo est devenue la quatrième console la plus vendue de tous les temps. Il reste le jeu le plus vendu de tous les temps avec 520 millions d’exemplaires écoulés sur plus de 65 plateformes.

Ce qui a rendu Tetris si durable, c’est la simplicité désarmante de son gameplay. Des « tétrominos » (figures géométriques composées de quatre carrés) apparaissent en haut de l’écran et chacun d’entre eux doit être guidé dans sa descente à mesure que le jeu accélère. En arrièreplan, une version 8 bits de la chanson folklorique russe Korobeïniki. Lorsque l’écran est rempli de lignes incomplètes, la partie est terminée.

Le jeu a également inventé une autre expression : l’effet Tetris dans lequel les pensées, les images visuelles et même les rêves des joueuses et joueurs de longue date commencent à prendre la forme de blocs. Des études sur ce phénomène suggèrent qu’il peut avoir des effets positifs, notamment en améliorant l’efficacité du cerveau et les compétences spatiales, en épaississant la matière grise (la couche externe du cerveau, responsable des processus cognitifs tels que la rétention de la mémoire) et même en prévenant les symptômes du syndrome de stress posttraumatique (SSPT).

« Certaines personnes arrangent des boîtes et commencent à penser aux [techniques] de Tetris; d’autres ferment les yeux et voient des carrés en essayant de s’endormir », explique Angelica B. Ortiz de Gortari, une psychologue suédoise qui classe ce phénomène dans la catégorie plus générale des

JOUER Prendre forme

Le jeu vidéo de puzzle le plus populaire peut-il améliorer votre cerveau ? Voici comment maîtriser « l’effet Tetris».

« phénomènes de transfert de jeu » (GTP), qui englobent tous les cas de comportements mentaux et physiques spontanés qui résultent directement du jeu vidéo.

Alors, comment Tetris peut-il stimuler nos capacités de traitement ? Et que se passe-t-il si nous ne parvenons pas à déplacer les lignes illusoires qui apparaissent devant nos yeux ?

Simplicité

Pourquoi Tetris fait-il l’objet de tant de recherches consacrées aux GTP ? « C’est très simple : il est facile à comprendre et à jouer », explique Ortiz. Toutefois, avant que vous n’allumiez votre Game Boy vintage, elle souligne que le phénomène n’est pas exclusif au jeu de puzzle conçu par Pajitnov. « Candy Crush, par exemple, offre des expériences similaires, mais il n’y a

pas de rotations. Tetris utilise ainsi davantage de ressources cognitives. »

Entraînement cérébral

Les compétences développées pour obtenir des scores élevés à Tetris peuvent également avoir des applications dans le monde réel – pour charger le lave-vaisselle, par exemple, ou garer sa voiture dans un espace restreint. « La manière dont nous jouons

peut influencer la façon dont nous percevons notre environnement, explique Ortiz de Gortari. Il s’agit d’une procédure automatique qui permet d’appliquer des stratégies à des contextes réels. » Le jeu peut également être le signe d’une plus grande efficacité cérébrale. En 1992, Richard J. Haier, professeur à l’Université de Californie, a constaté que les scans des cerveaux des joueuses et joueurs novices de Tetris montraient un taux métabolique cérébral de glucose élevé (TMCG) : leur cerveau brûlait beaucoup d’énergie.

Réalité augmentée

Les études d’Ortiz de Gortari ont permis de recenser trente manifestations différentes, des hallucinations telles que la vision de barres de santé au-dessus de la tête des gens, aux sensations auditives semblables à celles d’un ver d’oreille. Selon elle, ces expériences sont provoquées par des événements de la vie réelle qui sont similaires à des « éléments répétitifs importants du jeu ». Elle a également constaté que des personnes « voient, entendent et sentent leurs doigts bouger longtemps après avoir arrêté de jouer ». Heureusement, dans la plupart des cas, il n’y a pas lieu de s’inquiéter.

Éteindre le jeu

« Un excès de GTP peut toutefois poser des problèmes. Par exemple, certaines personnes ont des pensées intrusives la nuit et leur esprit se transforme en une grille de Tetris, explique Ortiz de Gortari ou, dans des cas extrêmes, les gens peuvent penser que quelqu’un tire derrière leur fenêtre. » Si l’effet Tetris affecte votre vie, il existe des moyens d’éviter un épisode. « Nous ne pouvons pas prouver comment réduire l’effet Tetris, mais écouter de la musique et essayer de faire quelque chose d’autre peut vous distraire. »

PERSPECTIVES gaming
« Tetris est simple à comprendre et à jouer. »
Angelica B. Ortiz de Gortari
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Musts du mois

Ce gilet fonctionnel dispose de nombreuses poches pour avoir toujours ce dont vous avez besoin à portée de main pendant vos randos ou votre travail. Déperlant et anti-taches, son tissu vous garde au sec, et propre toute la journée. Multifonction, il est doté d’un bas amovible qui se  transforme en sacoche à la taille en quelques secondes. 130€; columbiasportswear.fr

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Le bac de ce vélo cargo à assistance électrique vous permet de transporter de lourdes charges, ou jusqu’à 5 enfants en toute confiance (poids maximal d’environ 80 kg) grâce au boost puissant du système intelligent de Bosch, offrant excellentes maniabilité et stabilité. Ce vélo est conçu pour évoluer avec les besoins de votre famille et propose de nombreuses options de configuration pour transporter vos affaires. 7999€; trekbikes.com

matos
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Si vous devez bouger, faites-le avec style, et osez la couleur. Voici une sélection maison pour des moves remarqués, qu’ils soient de courte ou longue durée.

MIZUNO WAVE REBELLION PRO

Cette chaussure est la première Mizuno intégrant une plaque infusée carbone et la technologie Smooth Speed Assist, créée pour aider à maintenir sa cadence sur de plus longues distances (jusqu’au marathon). Idéale pour celles et ceux qui veulent bâtir de solides fondations pour leur vitesse, et améliorer leur technique autant que leur allure. 230€; mizuno.com

G-SHOCK G-B001MVE-9

Les nouvelles G-B001 poussent plus loin le concept de la G-SHOCK DW-001. Conservant la forme souple de cette dernière, la G-B001 se compose d’une double lunette qui permet à l’utilisateur d’enlever la lunette en résine du dessus pour révéler celle en métal située en dessous, comme on ouvrirait un jouet en capsule. La lunette amovible permet de mélanger et d’assortir les composants pour choisir le look parfait qui correspond le mieux au style souhaité. 349€; casio.com/fr/watches/gshock/

PRO DRY PACK 75L

Avec ses coutures soudées, ses fermetures à glissière étanches à l’air, ce sac de type duffle est entièrement submersible et quasi indestructible. La conception unique de sa fermeture à glissière asymétrique permet un accès aisé au contenu, et ses bretelles amovibles et réglables permettent de porter facilement une charge importante dans ce sac étanche. 399,95€; seatosummit.fr

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THE TRICKS NETWORK

nouveaux talents, suivre les dernieres tendances, et m ême participer a des défis organisé s par la communauté

D’abord un développeur freelance indépendant, Tony est aussi un passionné d’action sports, comme le skate, le BMX ou le roller. C’est d’abord un « Wikipédia des action sports », le Rider Directory, qu’il lance en juin 2020.

La période Covid lui ouvre les yeux : il faut aller plus loin pour la communauté. Épaulé par trois cofondateurs et apre s 18 mois de développement du concept, de la structure et de l’image de marque, il lance, une application : Tricks.social, le réseau communautaire 100 % sports extrêmes, associé a un écosysteme dédié aux riders, et destiné a augmenter l’expérience utilisateurs en offrant des outils de monétisation spécifiques.

limité pour se rendre sur un contest qui sera peut-être le tremplin de sa carriere ? La communauté peut s’investir pour l’accompagner et ainsi contribuer a sa progression et a sa visibilité.

Envie d’apprendre avec un rider confirmé ? Tricks permet a chacun de ses membres de bénéficier d’un coaching a la carte. Curieux de participer a un contest jamais vu entre skateurs et riders aggressive inline ? En payant un droit d’entrée, vous voila lancé dans ce défi hors-norme et digital.

Aider la communauté des sports extrêmes dans son expansion, sa professionnalisation et sa monétisation, c’est la volonté de Tony Trancard, 44 ans, cofondateur de Tricks.

Son Tricks Network développe un é cosysteme de plateformes digitales interconnecté es et exclusivement dé dié es a l’industrie des sports extrêmes. En colonne vertébrale de cet é cosysteme, Tricks.social, une application, disponible sur les stores iOS et Android, permettant aux utilisateurs de se connecter et de partager leur contenu en temps ré el. L’application propose une interface intuitive pour d é couvrir de

Il se compose de Tricks Academy : l’acces, grâce aux riders pros affiliés a Tricks, a du coaching, pour se perfectionner et apprendre de nouveaux tricks. Tricks TV : une source de contenus vidéos dont beaucoup sont exclusivement produits pour la plateforme. Tricks Event : l’agenda le plus a jour des événements liés aux action sports. Tricks News : pour suivre toute l’actualité des différentes scenes extrêmes. Tricks Land : une fonctionnalité permettant d’explorer les spots existants sur tout le territoire et de connecter avec les riders locaux – pour sociabiliser ou organiser des sessions.

Mais comment fonctionne Tricks ? Avec des participations allant de 0 a 5 euros, les riders rejoignent la communauté et les différentes fonctionnalités de la plateforme (et 15 % du montant des abonnements reviennent directement a la communauté). Et sur des projets plus particuliers, ils peuvent participer financierement a nouveau. Un filmeur qui peine a boucler un projet vidéo ? La communauté peut le soutenir. Un rider au budget

Que ce soit pour les riders amateurs désireux de s’épanouir plus globalement dans leur sport et leur scene, ceux aux limites de la professionnalisation, aux créateurs de contenus en manque de visibilité ou aux organisateurs d’events en quête de notoriété, Tricks et sa communauté de riders/contributeurs/investisseurs se présentent comme le soutien le plus authentique, en marge des énormes structures de l’industrie des action sports. Plus basiquement, pour le rider juste présent sur Tricks pour s’abreuver du meilleur de ses contenus vidéos, il est possible de filtrer les contenus proposés, pour ne se concentrer que sur les disciplines qui l’intéressent.

Valoriser, monétiser et professionnaliser la communauté des riders, by the ground, par la base, les riders, les athletes pros, les filmeurs, organisateurs, et l’ensemble de celles et ceux qui font la scene des sports extrêmes, quelles que soient leur spécialité (26 sports sont aujourd’hui intégrés a l’écosysteme Tricks), tel est l’objectif de Tricks, porté au quotidien par Tony Trancard, ses trois cofondateurs, les six actionnaires et huit salariés impliqués dans la structure. Leur prochain challenge ?

Lever 500 000 euros pour faire de la promesse Tricks une réalité solide pour la communauté des riders. tricks.social/fr

L’écosystème de plateformes digitales qui veut soutenir la scène des action sports by the ground.
« 90 % des riders ne sont pas visibles et ne se monétisent pas. »
Tony Trancard, cofondateur de Thetricksnetwork.com
PIERRE COLSENET VISUAL

Par et pour les riders

Tricks soutient le rider BMX et MTB slopestyle Pierre Colsenet. Témoignage.

Pourquoi rouler avec Tricks ?

Nous avons une vision commune : contribuer au développement d’un écosystème qui répond aux attentes des riders, débutants comme pros. Tricks, c’est l’espoir de se concentrer sur l’essentiel et d’aspirer à un média plus sain, pour que chaque utilisateur se retrouve dans ce qu’il sait faire de mieux. Tricks remet l’utilisateur au centre de ses intérêts et propose des solutions qui partent de l’essentiel : la passion. Pas de

pub, plusieurs disciplines, des mises à jour proposées et votées sur leur priorité par la communauté, la géolocalisation, le contrôle sur nos choix de contenus… C’est la première plateforme où, tout peut être possible.

Comment es-tu soutenu ?

Tricks m’a accordé sa confiance, non pas pour ce que je suis capable de réaliser, mais pour qui je suis.

Tricks m’a accompagné à son échelle sur ma première saison en MTB, une saison qui aura dû attendre deux ans pour voir le jour à cause d’un cambriolage en 2020 qui a bouleversé mes projets sportifs et pros. J’ai aujourd’hui un partenaire à l’écoute de mes contraintes et m’aide à son échelle.

Au début, Tricks t’a soutenu en t’offrant une tenue… Vrai ? Oui. J’ai pu avoir une tenue, une vraie tenue. Sur mes épaules j’avais toute l’équipe Tricks et c’était réconfortant de ne pas se sentir seul à des milliers de kilomètres, sur mes premières compétitions slopestyle. J’avais presque l’impression d’enfiler une tenue de superhéros, avec

un tas de missions à accomplir. J’ai réalisé mes premiers exploits et podiums sous leur couleur, une World First sur mon premier événement Gold en Allemagne, mon premier Podium sur le Best Trick, et le Best Trick Award FMB 2022, mon premier podium sur l’événement Silver à Muret. Une saison importante pour moi.

Sur quels autres postes as-tu reçu l’appui de Tricks ?

Sur mes déplacements, de simples pleins d’essence permettent de souffler. Dans le slope, les compétitions étant à 95 % à l’étranger, les coûts sont colossaux. Si chaque partenaire m’aidait à hauteur d’un ou deux pleins par compétitions à l’étranger, cela ferait une vraie différence dans ma capacité à concourir et à poursuivre ma passion pour mon sport. C’est ce que fait aussi Axial, mon partenaire textile.

En tant que rider, que t’apporte Tricks au quotidien ? L’espoir de revenir à quelque chose de plus sain, bâtir quelque chose qui soit bénéfique à tout le monde : novices, pros, créateurs, entreprises… J’ai la sensation de contribuer à quelque chose d’utile.

Tes fonctionnalités favorites ? Le Feedback, évolutif, qui permet notamment de voter pour l’amélioration de la prochaine mise à jour. Aussi, les notifications, c’est super positif. Et la possibilité de filtrer les sports que l’on veut voir.

Qu’est-ce que Tricks peut apporter aux jeunes riders ? Une base plus saine sur l’appréhension des réseaux et leurs différents impacts. Et la possibilité d’être aidé individuellement, de répertorier plusieurs vidéos d’un trick pour pouvoir étudier différentes techniques.

Scanne ce QR Code et rejoins la communauté Tricks.social.

PROMOTION
« Tricks, c’est l’espoir de se concentrer sur l’essentiel et d’aspirer à un média plus sain. »
Pierre Colsenet, rider BMX et MTB slopestyle

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HORS DU COMMUN

Retrouvez votre prochain numéro en mai en abonnement avec et avec , dans une sélection de points de distribution et sur abonnement.

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L’homme de l’Atlantique

Sable, sueur et vagues sans pitié : le Red Bull Ocean Rescue a fait frissonner Biarritz pour la seconde fois le 18 février. Avec 1 200 m de paddle, 990 de kayak, 2 310 de course à pied, 880 de natation et des sauts de falaise au programme, l’élite mondiale du sauvetage côtier s’est affrontée sur le parcours de 5,4 km de la compétition du genre la plus exigeante au monde. L’Espagnol David Buil Sanz s’est imposé pour la seconde fois et Ellie McCloy (Pays de Galles) termine en tête chez les femmes. Vous voyez ici Jules Da Silva en action face à l’iconique villa Belza.

Le prochain THE RED BULLETIN sortira le 11 mai 2023.

Pour finir en beauté
98 THE RED BULLETIN XABI BARRENECHE/RED BULL CONTENT POOL
Conception : www.myrafi ki.frPhotos : PSPLukasz SwiderekStan Perec GRATUIT -16 ans ACCOMPAGNÉS D’UN ADULTE (SAUF BILLETS TRIBUNE AVEC PLACE NUMÉROTÉE ET VIP) PHA / Claude Michy - 15 bis place Renoux 63000 Clermont-Fd - Tél. : 04 73 91 85 75 - contact@pha-michy.com GRAND PRIX DE FRANCE et dans les points de vente habituels gpfrancemoto.com BILLETTERIE

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