N° 155 / 2019
Revue 303 arts, recherches, créations 12, bd Georges-Pompidou 44200 Nantes T. 33 (0) 228 206 303 F. 33 (0) 228 205 021 www.editions303.com
Rêver l’école Contre-cultures pédagogiques
Rêver l’école, contre-cultures pédagogiques 15 euros
La revue culturelle des Pays de la Loire
L’importance que prennent aujourd’hui les écoles hors institution, inspirées des mouvements de l’éducation nouvelle, de la pédagogie institutionnelle et de l’école autogérée révèle le désir de faire coexister harmonieusement l’écologie, l’art pour et par les autres, les assemblées participatives et un urbanisme responsable. Tout un monde de l’apprentissage qui donnerait envie aux parents de retourner à l’école aux côtés de leurs enfants.
Cette publication est réalisée par l’association 303 qui reçoit un financement de la Région des Pays de la Loire
Et si nous étions moins les enfants de Jules Ferry que ceux d’Élise et Célestin Freinet, Maria Montessori, Marie Pape-Carpantier, Étienne Decroly, Paolo Freire, Ivan Illich ou Georges Lapassade, ces visionnaires qui ont lancé le grand mouvement des pédagogies autres ?
___ Dossier Rêver l’école Contre-cultures pédagogiques ___
– Éditorial ___Géraldine Gourbe, philosophe 05
– « L’autre école » au xxe siècle. Entretien avec Laurent Lescouarch Frédérique Letourneux, journaliste ___
303_ no 155_ 2019_
__ Sommaire
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– Marie Pape-Carpantier : pour une école maternelle ?
___Patricia Godard, professeure des écoles 20
– Révolution École 1918-1939. Entretien avec Joanna Grudzinska
___ Géraldine Gourbe 28
– Naissance de l’aire de jeux
___Vincent Romagny, enseignant, critique d’art et commissaire d’expositions indépendant 36
– Sortir de la classe, un paradigme pédagogique
___Patrice Baccou, enseignant dans les écoles occitanes immersives Calandreta 42
– Georges Lapassade, une entrée par effraction dans la pédagogie
Valentin Schaepelynck, maître de conférences, université Paris 8 ___
– Les Ceméa. Centres d’entraînement aux méthodes de l’éducation active ___Julien Zerbone, professeur des écoles 46
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– Le goût de la cogestion. Le lycée expérimental de Saint-Nazaire Échange entre Maude Mandart, plasticienne et enseignante au Lycée expérimental de Saint-Nazaire Marie Preston, artiste, enseignante-chercheuse à l’université Paris 8 et Marie Yonnet, étudiante en arts plastiques à l’université Paris 8
___
– Une journée au LXP (lycée expérimental de Saint-Nazaire)
___Olivier Josso Hamel, auteur de bandes dessinées
– Une société sans école : quels outils pédagogiques et éditoriaux ? ___Céline Chazalviel, critique d’art spécialiste des pratiques éditoriales et éditrice 62
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p. 2
– Pédagogie de l’art ou art de la pédagogie ? Géraldine Gourbe
___ Carte blanche ___ 75
– Auteur invité : Tanitoc
___ Chroniques ___
– Centre de ressources internationales des Amis de Freinet à Mayenne ___Pascaline Vallée, journaliste et critique d’art 82
Architecture
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– On / no Ground
___Claude Puaud, architecte, président de la Maison régionale de l’Architecture des Pays de la Loire Art contemporain
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– Portraits ricochets
___Éva Prouteau, critique d’art, conférencière et professeure d’histoire de l’art Spectacle vivant
92
– Compléments d’objets Pascaline Vallée
p. 3
Dossier Rêver l’école Contre-cultures pédagogiques _________________
p. 4
___
Dossier Rêver l’école / Éditorial / Géraldine Gourbe / 303
Éditorial __
Géraldine Gourbe Lorsque l’on aborde le sujet des pédagogies autres, on est débordé par les différentes appellations. On entend parler de scolarité alternative, d’éducation nouvelle, de pédagogie institutionnelle ou radicale. Si tous ces mouvements abordent une façon de penser autrement l’école, chacun d’eux possède une histoire, ses héroïnes et ses héros, sa géographie et ses propres enjeux. C’est cette histoire que Frédérique Letourneux retrace avec Laurent Lescouarch pour mieux articuler leurs principes caractéristiques ainsi que les points de rupture entre les différentes écoles de pensée. On s’aperçoit alors que convergent, autant localement que nationalement et internationalement, des visions progressistes d’un monde enclin depuis deux siècles à l’instabilité politique et à la marchandisation. À travers le monde, Élise et Célestin Freinet, Maria Montessori, Marie Pape-Carpantier, Étienne Decroly, Paolo Freire, Ivan Illich, Rudolph Steiner, Ovide Decroly, Adolphe Ferrière et beaucoup d’autres visionnaires ont travaillé à proposer une pédagogie prenant en compte les besoins fondamentaux des enfants et à poser l’éducation comme un moyen nécessaire d’émancipation. C’est ce combat pour le progrès humain que racontent ici Joanna Grudzinska – à travers les recherches d’archives réalisées pour son documentaire Révolution École 1918-1939 – ou encore Patricia Godard, avec son article consacré au combat de Marie Pape-Carpantier pour transformer les salles d’asile en écoles maternelles. Aussi prendre le temps d’écrire cette frise temporelle de l’histoire de l’école autrement nous plonge-t-il plus généralement dans une histoire d’un apprentissage de la démocratie : pour les petit.e.s et les grand.e.s. L’école est soumise comme toutes nos institutions à des règles, des textes de loi, des réformes, des corps d’enseignants ; on pense moins cependant à elle comme source de formes, de couleurs, de réalisations plastiques, architecturales et éditoriales. Pourtant, depuis la fin du xixe siècle, les pionniers de la pédagogie autre ont envisagé la transmission autrement que par la seule et simple acquisition de données, de savoirs… Cette parution de 303 propose de découvrir une hétérogénéité des formes et des volumes qui émanent de l’école alternative et qui se pratique dans les classes ou les classes buissonnières et constitue, encore aujourd’hui, une archive d’un laboratoire aux airs de fête ainsi qu’une culture différente, do it yourself et contre-culturelle. Pour ce numéro, Olivier Josso Hamel a accepté de retourner sur les bancs de l’école et de découvrir le fonctionnement du lycée expérimental de Saint-Nazaire. À travers un reportage en bande dessinée, il nous raconte son immersion dans ce lycée unique. Tanitoc, dans la carte blanche qui lui a été offerte, nous montre lui aussi une école alternative à laquelle sont confrontés les réfugiés : celle de l’apprentissage en-dehors de tout cadre institutionnel, entre isolement et solidarité. Que cette contre-culture scolaire soit à présent au cœur des enjeux des artistes, designers contemporains ou des architectes est finalement un juste retour des choses et non un principe de nouveauté ou d’inédit. Le philosophe Bruno Latour disait à ce titre : « Nous n’avons jamais été modernes. » Poursuivons cette histoire d’un monde qui donnerait envie aux parents de retourner à l’école aux côtés de leurs enfants pour rêver ensemble.
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Revue consacrée à la pédagogie Freinet, L’Éducateur, no 12, 20 avril 1978. © Archives Freinet. Reproduction photo Samuel Hense.
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« L’autre école » au xxe siècle
Entretien avec Laurent Lescouarch
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Frédérique Letourneux ___ Laurent Lescouarch, maître de conférences à l’université de Rouen et spécialiste des sciences de l’éducation, revient sur l’histoire de l’éducation nouvelle, de sa genèse à ses mutations contemporaines. ___ Quand on parle d’éducation nouvelle, de quoi parle-t-on exactement ? On peut attribuer la paternité du terme à Adolphe Ferrière, un pédagogue suisse qui avec d’autres, comme le médecin et psychologue Édouard Claparède, a contribué pendant l’entre-deux-guerres à institutionnaliser le mouvement de pédagogues qui défendaient une autre façon d’enseigner et d’éduquer1. C’est le moment aussi où des publications scientifiques commencent à défendre d’un point de vue théorique ces nouvelles façons de faire. Mais ce groupe institutionnalisé n’est que la face visible d’un mouvement beaucoup plus ancien dont les fondements philosophiques sont à chercher dans les écrits de Michel de Montaigne, mais surtout dans la pensée rousseauiste. En quoi les écrits de Jean-Jacques Rousseau sont-ils particulièrement inspirants ? C’est principalement dans Émile ou de l’éducation que Rousseau défend sa philosophie de l’éducation. La rupture qu’il introduit se décline à plusieurs niveaux. D’abord, il défend l’idée qu’il existe une nature bonne de l’enfant et qu’il faut la respecter. En termes éducatifs, cela revient à dire qu’il faut plutôt accompagner l’enfant que le guider et le contraindre. Ce qui va aussi de pair avec l’idée qu’il faut promouvoir un retour à la nature et une éducation à la nature2. Ensuite, il pense que l’enfant a une manière d’apprendre qui lui est spécifique et qui, surtout, est différente de celle des adultes. Ce postulat étaye la nécessité d’une rupture dans les méthodes d’apprentissage. Enfin, pour Rousseau, il ne peut y avoir d’instruction sans éducation, c’est-à-dire transmission d’un ensemble de valeurs éthiques et morales. Ce sont ces grandes ruptures de principe que les pédagogues du xixe siècle vont intégrer à leurs pratiques en mettant en place toute une série d’expérimentations. Comment décrire ce mouvement ? L’histoire n’a retenu que les héritiers du xxe siècle, mais dès la fin du siècle des Lumières il y a toute une nébuleuse de pédagogues qui cherchent déjà à enseigner
___ 1. Le premier congrès de l’éducation nouvelle s’est tenu à Calais en 1921. Il regroupait cent cinquante participants, enseignants, médecins, etc. Pour en savoir plus, voir le documentaire de Joanna Grudzinska Révolution École, qui retrace les origines de ce mouvement. ___ 2. Ce qui peut être mis en lien avec la promotion, dans l’éducation nouvelle, d’un retour à la nature à travers les classes vertes, le naturisme ou encore l’enseignement de la danse ou de la gymnastique.
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Marie Pape-Carpantier : pour une école maternelle ?
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Patricia Godard ___ Dans un xixe siècle en pleine mutation, Marie PapeCarpantier a milité pour transformer les salles d’asile en écoles maternelles. Dans quelle mesure ce combat a-t-il façonné notre école de la petite enfance ? ___ L’école maternelle : un combat social ? Quand Marie Carpantier1, née à La Flèche, dans la Sarthe, le 11 septembre 1815, est nommée directrice de la salle d’asile de sa commune, elle n’a que dix-neuf ans. Cette institution charitable, qui n’en est elle aussi qu’à ses débuts, a vu le jour alors qu’émerge une classe ouvrière. En effet, jusqu’en 1841 les enfants peuvent travailler dans les manufactures dès l’âge de huit ans ; les salles d’asile recueillent du matin au soir, gratuitement, filles et garçons de deux à sept ans dont la mère travaille. Entassés – parfois jusqu’à deux cent cinquante – dans des locaux insalubres, ils sont placés sous la surveillance de quelques adultes, peu formés mais dotés d’un certificat de « bonnes mœurs ». Il s’agit le plus souvent de femmes qui disposeraient des qualités « naturelles » nécessaires à la surveillance de jeunes enfants. Elles sont surtout moins payées que les hommes et donc plus recherchées par les municipalités. Marie Carpantier juge sévèrement ces œuvres de charité – en majorité religieuses – dont le projet social et hygiéniste masque souvent des motifs bien plus cyniques. En effet, favoriser le travail des mères, c’est disposer d’une main-d’œuvre bon marché, et enseigner la morale, la religion ou encore le travail manuel aux tout-petits, c’est contribuer, par une politique préventive, à contenir une classe jugée dangereuse. D’abord à La Flèche, puis au Mans, Marie Carpantier ne cesse d’apporter des améliorations concrètes au quotidien de ses élèves. Par l’observation et l’action elle affine sa vision éducative, qui repose sur l’idée fouriériste2 selon laquelle les femmes et les hommes doivent s’associer et travailler de manière harmonieuse pour atteindre le bonheur. Les salles d’asile sont ainsi l’occasion de mettre en pratique certains principes de l’utopie phalanstérienne. En 1846, ses Conseils pour la direction des salles d’asile marquent un tournant décisif dans la façon dont l’enfant est perçu : les punitions, la condescendance et la charité sont remplacées par le « respect », l’« affection », l’« instruction », et les jeunes élèves y sont désignés comme « nos jeunes amis », « nos fils adoptifs », « nos égaux ». Tandis qu’en cette période troublée la salle d’asile est devenue un enjeu politique et social entre républicains et antirépublicains – les premiers y voyant un espace d’instruction, les seconds souhaitant la maintenir dans sa fonction de bienfaisance –, Marie Carpantier milite dès 1845 pour une école maternelle qu’elle imagine plus tard
___ 1. Colette Cosnier, Marie Pape-Carpantier, fondatrice de l’école maternelle, Paris, Fayard, 2003. ___ 2. Elle a sans doute fait partie de l’entourage du fouriériste sarthois Auguste Savardan (1792-1925).
< Illustration de Karine Bernadou.
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Maria Montessori et une petite fille à l’école de San Lorenzo. © Archives Maria Montessori, AMI, Amsterdam.
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Révolution École 1918-1939
Entretien avec Joanna Grudzinska
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Géraldine Gourbe ___ À partir d’archives rares, le documentaire Révolution École 1918-1939 raconte l’histoire d’un combat pour le progrès humain, qui s’est brisé sur les idéologies du xxe siècle mais dont l’héritage perdure. ___ Entretien avec Joanna Grudzinska, réalisatrice de Révolution École 1918-1939, un documentaire sur les écoles nouvelles, en Europe, qui mettent au cœur de leurs préoccupations l’autonomie, l’éducation mixte, l’apprentissage par les sens, le contact avec la nature et le sport, qui se pratique souvent nu, notamment en Allemagne où le naturisme est en vogue. Mais différentes conceptions s’affrontent. Faut-il une éducation pour l’élite ou pour le plus grand nombre ? Faut-il laisser toute liberté à l’enfant ou introduire la discipline ? L’élève échappe-t-il à tout programme, fût-il émancipatoire ? Rendre l’enfant heureux, c’est faire de lui un adulte meilleur, estiment ceux qui se lancent dans l’aventure. Ils se nomment Rudolf Steiner, Maria Montessori, Célestin Freinet, Alexander S. Neill, Ovide Decroly, Paul Geheeb ou Janusz Korczak, et chacun d’eux invente des méthodes d’éducation. Un pédagogue suisse, Adolphe Ferrière, les a réunies au sein de la Ligue internationale de l’éducation nouvelle. Mais le rêve de l’école nouvelle s’effondre dans les années 1930 avec la montée des totalitarismes. Votre documentaire Révolution École revient sur une histoire de la pédagogie en Europe. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ? La question de l’éducation et de la puissance qu’elle a sur ceux qu’elle forme m’a toujours intéressée. Quand on parle de choc des cultures, ne parle-t-on pas justement de l’éducation ? L’éducation nouvelle s’est emparée de cette question de la liberté dans la transmission. Pour moi, au-delà de l’intérêt formel et historique du sujet, une question existentielle est soulevée : « Suis-je qui je suis parce que j’ai reçu telle ou telle éducation ? » Elle me paraît suffisamment universelle et forte pour réunir dans une histoire inédite des pédagogues européens du siècle dernier. Ils ne m’ont pas attendue pour se rassembler, se trouver et se séparer. Quelque chose, dans cette histoire des pédagogies alternatives de l’entre-deux-guerres, m’a frappée : le fait que cette histoire draine un nombre important de valeurs qui sont les nôtres aujourd’hui. Des valeurs modernes, que l’on retrouve dans le développement de soi, le droit à
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Lycée expérimental de Saint-Nazaire, janvier 2018. © Photo Marie Preston.
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Le goût de la cogestion
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Le lycée expérimental de Saint-Nazaire
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Échange entre Maude Mandart, Marie Preston et Marie Yonnet ___ La rencontre entre les pratiques artistiques de cocréation et la cogestion pédagogique révèle deux objectifs communs : inventer de nouveaux modes de socialisation et lutter contre la reproduction des normes culturelles et sociales. ___ Échange croisé entre Maude Mandart, enseignante au Lycée expérimental et plasticienne, Marie Preston, artiste, enseignante-chercheuse à Paris 8 et Marie Yonnet, ancienne élève du Lycée expérimental aujourd’hui étudiante en arts plastiques. Saint-Nazaire, Saint-Denis, octobre 2018. Maude Mandart : À la fin de mes études d’arts, en 2014, nous nous sommes rencontrées lors de ta participation à l’exposition « L’Heure des Sorcières », présentée au centre d’art Le Quartier à Quimper. J’avais été touchée par la manière dont tu travaillais avec des personnes différentes, souvent même non artistes. J’ai alors souhaité t’inviter au Lycée expérimental de Saint-Nazaire, dont je suis membre de l’équipe éducative depuis l’an dernier. Nous étions en train de réfléchir aux pratiques de collaboration et de cocréation avec un groupe de lycéennes et Paul Lemesle, également professeur d’arts plastiques. Ta démarche venait enrichir notre réflexion sur le processus de création, qui est bien souvent l’expression d’un seul individu. La singularité politique de notre projet d’établissement, qui consiste entre autres à construire avec les élèves des situations d’apprentissage, me semblait proche de la posture que tu adoptes dans l’élaboration de tes projets artistiques. Marie Preston : Ton invitation coïncidait avec mon désir de découvrir cette expérience de cogestion mais aussi avec la recherche que je menais et mène encore sur les pédagogies alternatives et les pratiques de cocréation accompagnée, notamment par le Centre d’art contemporain de Brétigny. J’ai été particulièrement marquée par ma première visite au lycée. Tu m’avais proposé de déjeuner avec vous. Le repas avait été préparé, comme chaque jour, par le « groupe de gestion » (qui s’occupe exclusivement, pendant deux semaines consécutives, de la cuisine, du ménage et du secrétariat). Nous étions installées autour d’une grande table ronde. J’ai été très impressionnée par la manière dont nous étions sur un terrain d’égalité quelles que soient nos expériences passées, associant générosité et curiosité partagée. Cette journée a aussi été l’occasion de faire connaissance avec Sophie Le Grandjacques et l’équipe du centre d’art du Grand Café, qui préparaient une exposition au LiFE sur la place de l’enfant dans la ville, « Les Enfants d’abord !2 ». Dans le cadre de mes recherches, je m’intéressais alors aux « écoles ouvertes3 », et notamment aux écoles élémentaires de la Villeneuve de Grenoble.
___ 1. La cogestion pédagogie est une pédagogie où « l’élève est […] invité à s’insérer dans une institution qu’il doit contribuer à organiser et à faire fonctionner parce qu’il doit comprendre que son intérêt est d’obtenir les moyens de donner à son projet individuel la dynamique qui porte le projet collectif. » Pierre Madiot, « Le Lycée expérimental de Saint-Nazaire », dans Les Pédagogies autogestionnaires, sous la direction de Patrick Bouvard et Ahmed Lamahi, Ivan Davy éditeur, 1995, p. 152. ___ 2. L’exposition « Les Enfants d’abord ! » s’est déroulée du 27 janvier au 1er avril 2018 au LiFE – base des sous-marins, Saint-Nazaire. Sur une proposition et un commissariat du Grand Café – centre d’art contemporain, Saint-Nazaire. Avec des œuvres de Priscila Fernandes, Ane Hjort Guttu, Adelita Husni-Bey, Liz Magic Laser et Marie Preston. L’espace forum « L’enfant et la ville » est réalisé avec les contributions des chercheurs Marie Preston, Aurélien Vernant et Marie-Laure Viale ; il documente les travaux de Bernard Alleaume et Yvette VincentAlleaume, BASE, André Bloc, Joséphine Chevry et Olivier Ramon, Riccardo Dalisi, Jean Foucambert, Robert Gloton, Group Ludic, Rolande et Raymond Millot, Marta Pan, Alison et Peter Smithson, Pierre Székely et Aldo van Eyck. ___ 3. Dès 1969, cette initiative du mouvement d’éducation populaire, les FRANCAS, propose de repenser les architectures scolaires dans la perspective coéducative, reposant sur une relation coopérative entre école et loisirs, entre élèves, enseignants et parents, entre les classes d’âge, entre dedans (l’école) et dehors (la ville).
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303 / Dossier Rêver l’école / Le goût de la cogestion. Le lycée expérimental de Saint-Nazaire / Échange entre Maude Mandart, Marie Preston et Marie Yonnet
Lycée expérimental de Saint-Nazaire, février 2018. © Photo Maude Mandart.
___ 6. François Deck est un artiste qui a cessé d’exposer en 1992 pour adopter le rôle d’« artiste consultant ». Il s’agit de consulter autant que d’être consulté. Cette activité est associée à la production de jeux coopératifs, parmi lesquels Banques de questions (1995) et Agencer l’improbable (2007). ___ 7. « Le cours de dessein (2018) propose des alternatives à la méthodologie du projet. La prise en considération de sujets pluriels suggère une mutualisation des compétences et des incompétences en présence. Les intentions sont en mouvement tout au long du processus. L’attention esthétique se porte sur les objets relationnels. La production est subsidiaire à la constitution de biotopes coopératifs. » François Deck.
M. P. : La cogestion de cet espace et l’intérêt pour l’alimentation et son partage ont aussi été au cœur de nombreuses actions de l’école Vitruve. Leur pédagogie s’organise encore aujourd’hui autour d’activités « de production », et cuisiner en est une. Or, actuellement, ces initiatives qui réfléchissent et tentent de mettre à mal les normes sociales et culturelles dont l’école est reproductrice sont devenues de plus en plus difficiles à faire exister. La journée d’étude que nous avons organisée avec Aurélien Vernant et Marie-Laure Vialle, tous deux chercheurs, historiens de l’art, associés à l’exposition, et l’équipe du Grand Café pendant l’exposition, a fait apparaître à quel point tous nos espaces de vie sont asphyxiés par les règles. Pour poursuivre la réflexion sur le « bâtiment » et l’architecture scolaire, j’ai proposé à l’artiste François Deck6, qui avait alors commencé des « cours de dess(e) in7 », de concevoir ensemble une proposition à vous faire. Il nous semblait important que celleci soit suffisamment autonome pour pouvoir se poursuivre sans nous et qu’elle accompagne réellement vos revendications concernant le maintien du lycée dans ses locaux actuels. L’architecture nous permettait de poser la question du collectif. Ce bâtiment et l’imaginaire qui lui est lié s’incarnent dans les désirs de chaque lycéen et membre de l’équipe éducative. Pour en rendre visibles la complexité et la richesse, nous avons proposé un format (A5) et avons soumis ce message : « Contribuez au Grand
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Dess(e)in du bâtiment du Lycée expérimental en devenir ». Cela permettait à tous ceux qui le voulaient d’y contribuer. La publication qui en résulte, Réinventons l’école, encore et toujours, s’adresse à celles et ceux qui souhaitent comprendre l’attachement, l’usage, l’imaginaire, l’alternative pédagogique liés à ce lieu. M. M. : Votre proposition avec François Deck s’est étendue à l’ensemble du lycée. Nous nous sommes surnommés « les dessinacteurs » et avons collecté « les rêves inventions » (François Deck) de chacun pour en former une édition particulière, vivante, pensée comme des tracts. Il nous semblait important que cette forme d’édition-manifeste – comme les actions autour et sur le Quilt – ne soit pas figée mais participe à imaginer et partager notre Dessein. ___ Maude Mandart enseigne actuellement au sein du Lycée expérimental de Saint-Nazaire. Également artiste plasticienne, elle porte entre autres son attention sur l’habitat autoconstruit et les espaces dits « hétérotopiques ». Marie Preston est artiste, enseignante-chercheuse à l’université Paris 8. Son travail artistique se constitue comme une recherche visant à créer des œuvres, documents d’expérience, avec des personnes a priori non artistes. Marie Yonnet est une ancienne élève du Lycée expérimental, actuellement étudiante en arts plastiques à l’université Paris 8.
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© ICEM - Pédagogie Freinet.
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Pédagogie de l’art ou art de la pédagogie ? __
Géraldine Gourbe ___ Les pédagogies autres fascinent et inspirent la jeune scène de l’art en France, en Europe et aux États-Unis. Analyse de quelques expériences artistiques à travers le prisme des pédagogies alternatives. ___ En juin 1964, le musée des Beaux-Arts de Nantes a présenté, événement rare, une exposition de dessins d’enfants. L’archive photographique représente un parterre de messieurs en costume et de dames en habits du dimanche observant très sérieusement un grand tableau blanc posé sur des pieds en bois massif au milieu duquel se déploie une fresque. On y devine des bonshommes en tout genre constituant une foule organique et singulière autour d’un ensemble de maisons. Les traits sont différents mais une certaine homogénéité s’en dégage, comme si l’enjeu n’avait pas seulement été, pour les enfants, de réaliser un dessin chacun dans un espace imparti, prédéterminé, mais aussi de faire en commun une séquence graphique. Une autre information importante est que cette exposition, L’Art enfantin, est programmée en même temps et dans le même lieu qu’une exposition des œuvres graphiques de Jean Cocteau. Le commentateur y voit une certaine ironie du sort : les dessins du poète et réalisateur de La Belle et la Bête ont longtemps été perçus comme naïfs ou libres, selon les critiques, à l’instar des dessins d’enfants. Aussi la comparaison peut-elle être aujourd’hui comprise inversement : cette concomitance des deux expositions montre que quelques années avant les changements importants apportés à l’école, suite aux différents mouvements libertaires cristallisés par Mai 68, les adultes prenaient au sérieux les travaux plastiques des enfants dans une institution où l’histoire de l’art fait autorité. Loin d’être une anecdote, cette exposition de dessins d’enfants au sein d’un musée des Beaux-Arts révèle tout un mouvement des pédagogies autres engagé dans les arts plastiques. L’enjeu qu’il porte est de déplacer les frontières de l’entendement entre des catégories qui opposeraient activité manuelle et œuvre d’art, pratique amatrice (infantile) et objet d’exposition reconnu par des (adultes) experts. Une histoire méconnue qui contribue, depuis une dizaine d’années, à un renouvellement des manières de faire et de montrer l’art dans des espaces institutionnels ou alternatifs en France, en Europe et aux États-Unis.
Le dessin libre : une contribution importante à la pédagogie Freinet En lisant l’article d’Henri Louis Go1, on comprend à quel point Élise Freinet (épouse de Célestin Freinet) a joué un rôle important dans les avancées de la pédagogie
___ 1. Henri Louis Go, « Élise Freinet, une pédagogue de l’art enfantin », Carrefours de l’éducation, 2016/1, no 41, p. 223-240. Article disponible sur le site cairn.info
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