Atlas des curiosités

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N° 161 / 2020

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28 euros

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La revue culturelle des Pays de la Loire

Atlas des curiosités

Cette publication est réalisée par l’association 303 qui reçoit un financement de la Région Pays de la Loire

À l’image d’un cabinet de curiosités, cet Atlas des curiosités témoigne de l’Étrange, ordinaire et extraordinaire, qui nous entoure. Consacré aux lieux singuliers qui ponctuent le territoire des Pays de la Loire, il entrelace différentes approches : une enquête sur les mondes souterrains, des points de vue sublimant la nature alentour, un inventaire d’architectures exceptionnelles, des espaces d’exposition atypiques, des expressions artistiques intranquilles et des lieux de culte fantasques… Précis, documenté, cet Atlas des curiosités privilégie l’inattendu : à chacun des lieux recensés est liée une histoire attachante, qui pourra surprendre celle ou celui qui connaît bien la région, ou inviter le visiteur occasionnel à quitter les sentiers balisés.

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Revue 303 arts, recherches, créations 12, bd Georges-Pompidou 44200 Nantes T. 33 (0) 228 206 303 F. 33 (0) 228 205 021 www.editions303.com

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Atlas des curiosités / Éditorial / Éva Prouteau / 303

Éditorial __

Éva Prouteau Politique du regard Depuis plus de vingt ans, l’Observatoire de la Terre de la NASA recueille et partage des images de notre planète. Certains clichés capturent l’ensemble de notre globe marbré, tandis que d’autres zooment sur sa matière, jusqu’à basculer dans l’abstraction. Telle colonie de trous, qui pourrait évoquer l’œuvre de termites stakhanovistes, est en fait un arc de dunes et de lacs désertiques. Tels tourbillons de beige, de mauve et de vert olive pourraient parfaitement s’insérer dans une composition impressionniste, mais se révèlent traduire les flux de boue et d’eau se mêlant au lac Frome, une saline du centre de l’Australie. Ces photographies posent question : comment élucidons-nous le monde qui nous environne, en permanente oscillation entre le connu et l’inconnu ? Et pourquoi sommes-nous fascinés par ce qui nous échappe ? À l’image des cabinets de curiosités, qui regroupaient des spécimens naturels étonnants et remarquables, cet Atlas des curiosités témoigne de l’Étrange ordinaire et extraordinaire qui nous entoure, appliqué ici à des lieux singuliers dont la diversité ponctue le territoire des Pays de la Loire. Loin d’être présentés dans une logique de localisation administrative, département par département, ces sites font ici l’objet d’une étude qui entrelace six fils d’Ariane : une enquête sur les mondes souterrains et leur richesse géologique, archéologique et troglodytique ; une détection de paysages et de points de vue aptes à sublimer la nature alentour ; un inventaire d’architectures et de fabriques qui célèbre les exceptions artisanales ou industrielles ; des espaces d’exposition en marge, loin des feux de la rampe ; des expressions artistiques intranquilles, qui bousculent leur contexte d’apparition ; et enfin, des lieux de culte fantasques, soumis à d’étranges injonctions d’ordre esthétique et mystique. À chacun des lieux recensés est liée une histoire attachante, qui pourra surprendre celle ou celui qui connaît bien la région, ou inviter le visiteur occasionnel à s’échapper des sentiers balisés. Le caractère insolite de ces sites, qui parfois ne se découvrent pas facilement, peut avoir toujours existé, être apparu au fil du temps ou s’être récemment signalé. Royaumes souterrains ou rêves réalisés prennent souvent des allures de mirages ; et tant d’eldorados industriels se sont métamorphosés en paradis perdus, parés des charmes de la ruine. Ces endroits, ambassades secrètes qui abritent des traces de passage millénaires ou au contraire très contemporaines, ont tous leur place dans le grand Theatrum orbis terrarum, théâtre du monde qui donna son nom au premier atlas moderne, inspiré d’une fiction poétique où le Ciel se porte sur les épaules. Enfin, chaque sujet exploré dans cette publication l’est à travers le filtre d’une personnalité qui lui donne épaisseur et vie : dans l’image et le texte, le plaisir est grand de dépayser et de se laisser dépayser, tout en étanchant la soif de connaître ces histoires feutrées, déroutantes, modestes ou mégalomanes. Pourtant, tout au long de cet atlas d’humeur aventureuse empli de subjectivité, la question du point de vue et de la focale cimente une approche commune : que regardons-nous, et comment ? Par quels cribles nos regards sont-ils formatés ? Pouvons-nous inventer de nouveaux circuits de curiosité ? Sans prétention exhaustive aucune, cet atlas tente précisément de réintroduire une fluctuation de regard sur le territoire des Pays de la Loire, une mobilité conçue comme une riposte douce à l’assignation permanente des identités culturelles et touristiques.

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___ Le marteau et la boussole ­ ___

– Pays de la Loire, un patrimoine géologique méconnu

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Vivien Baudouin, ingénieur géologue, François Béchennec, géologue cartographe et Pierre Conil, ingénieur géologue ___

– La « roche » de Brézé, un château fort invisible ___Nicolas Faucherre, professeur d’histoire de l’art 24

– Doué-la-Souterraine : de l’ombre à la lumière 30

Laurent Aubineau, animateur au service patrimoine Pascal Girault, photographe ___ de Doué-en-Anjou et

– À la mine d’Abbaretz : bienvenue sur la Lune ___Guy-Pierre Chomette, rédacteur

303_ n° 161_ 2020_

__ Sommaire

36

– Un riche patrimoine : l’héritage des mines et carrières de Segré en Anjou ___Christine Strullu-Derrien, chercheur indépendant 42

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– Aperçus

Le site archéologique de Cherré à Aubigné-Racan ; les caves troglodytiques de la maison Ackerman à Saint-Hilaire-Saint-Florent ; l’île Bikini à Saint-Jeande-Boiseau ; un musée de Préhistoire en Mayenne ; la chapelle des mineurs et le centre minier de Faymoreau

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La nature exaltée ­

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– La tête en l’air : sommets et points de vue

Anthony Poiraudeau, écrivain ___

– Sarthe « insolite et somptueuse » : la Terrasse Caroline du château de Poncé ___Stéphanie Barioz, attachée de conservation du patrimoine 58

Atlas des curiosités ­ ___ 03

– Éditorial Éva Prouteau, présidente de 303

– La pierre Bécherelle à Savennières Ronan Durandière, chercheur à l’Inventaire du patrimoine, ___Conservation départementale du patrimoine de Maine-et-Loire 66

– Le parc de Maulévrier, un Extrême-Orient rêvé ___Lucien Jedwab, journaliste de jardin (histoire et patrimoine) 72

– Écouter les Folies ___Blandine Rinkel, écrivaine 78

86

– Aperçus Le village de Bouchemaine ; l’île Dumet ; les Jardins du marais à Herbignac


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Formes et fabriques ­

Folies créatives ­

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– Parcours béton ___ Éric Tabuchi, photographe

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– Enchanter le quotidien, les mosaïques Art déco d’Odorico ___ Sevak Sarkissian, architecte urbaniste

188

– Invitation à la flânerie à Fontaine-Daniel, la petite cité ouvrière qui respire l’équilibre

194

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104

Arnaud Bureau, chargé d’études, Direction du patrimoine

du Conseil départemental de la Mayenne ___

– Les Rairies, quand la main de l’homme façonne l’argile ___ Florence Falvy et Marie Hérault, journalistes 110

118

– Promenade dans le Cercle de fer

___ Yannick Le Marec, historien

– Le moulin de Thévalles. Un témoin bien conservé de la meunerie du xixe siècle

124

Nicolas Foisneau, chercheur à l’Inventaire du patrimoine,

___ Direction du patrimoine du Conseil départemental de la Mayenne

– La visite au dolmen ___ Thierry Pelloquet, conservateur en chef du patrimoine 132

142

– Aperçus

La rotonde ferroviaire du dépôt de Château-du-Loir ; la cité faïencière

de Malicorne-sur-Sarthe ; l’île de Béhuard près d’Angers ; le Bistro de Château-Gontier

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Musées singuliers ­ ___ 146

– Piacé-le-Radieux

___ Thomas Renard, maître de conférences en histoire de l’art

– Aux marges de l’art Le musée d’Art naïf et d’Arts singuliers ___ Pascaline Vallée, journaliste culturelle et critique d’art 148

– Le musée Desbois, étonnant musée des champs Florian Stalder, conservateur départemental ___ des musées de Maine-et-Loire 156

– Écrin maraîchin ___ Éva Prouteau, critique d’art et conférencière 162

– Un siècle plus tard : le musée de Beaufort ___ Michel Blais, peintre 170

176

– Aperçus Le musée de Musique mécanique de Dollon ; Estuaire Nantes < > Saint-Nazaire

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– Petits mondes giratoires ___ Éva Prouteau – Voyage au centre de la Terre. L’Hélice terrestre de Jacques Warminski ___ Julien Zerbone, enseignant – Le phare de Cornillé-les-Caves

___ Anthony Poiraudeau

– Le charpentier-compagnon, le maire et les sept nains ___ Frédérique Letourneux, journaliste 200

– Le glaneur et le pêcheur. Le Laba à Saint-Brevin-les-Pins ___ Guy-Pierre Chomette 206

– L’Évangile brodé de saint Jean. Une histoire de spiritualité et de travail ___ Julien Zerbone 210

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– Aperçus

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Le musée Robert Tatin à Cossé-le-Vivien ; quelques jardins insolites

Étonnants cultes ­ ___

– Les clochers tors, une originalité du paysage angevin ___ Jean-Yves Hunot, archéologue 216

– Voyager sous protection ? Rendez-vous à Saint-Christophe de La Boissière ! Christian Davy, historien de l’art ___ 222

– Une histoire de clés. L’inventaire de 1906 dans un vitrail ___ Arnaud Bureau 228

– La Salette : forteresse de la foi et sanctuaire marial ___ Julien Boureau, chef du service Patrimoine, Région des Pays de la Loire 232

– La grotte aux faons. La grotte-ermitage du père de Monfort ___ Éva Prouteau 238

– Jérusalem en Bretagne ___ Bernard Renoux, photographe 240

246

– Aperçus

___ 254

Les gargouilles de la chapelle de Bethléem à Saint-Jean-de-Boiseau ; le culte des eaux, des pierres et des forêts ; l’abbaye de Maillezais en Vendée

– Index des lieux


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Doué-la-Souterraine, de l’ombre à la lumière

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Laurent Aubineau et Pascal Girault ___ À Doué-la-Fontaine, l’exploitation du falun a débuté dès le Moyen Âge et laissé de nombreuses cavités anthropiques. Ces espaces souterrains réutilisés et aménagés en différents lieux au fil des époques font aujourd’hui le bonheur des visiteurs. ___ Il y a dix millions d’années, une partie de l’ouest de la France était recouverte par la mer. La région de Doué-la-Fontaine était alors une zone côtière où de puissants courants déposaient une grande quantité de sédiments qui se transformeront en une roche riche en fossiles, le falun. Ce dernier, qui possède des propriétés mécaniques exceptionnelles (il est non gélif, résiste à la compression et aux remontées capillaires), est utilisé depuis le haut Moyen Âge. Son exploitation laisse de nombreux vides qui serviront selon les époques de refuges, d’habitations, de lieux de culte, de dépendances domestiques ou agricoles, de champignonnières… Si certains sont ouverts au public toute l’année, la plupart ne sont visibles que dans le cadre de sorties organisées par le service d’animation du patrimoine de la ville.

Les carrières à sarcophages du haut Moyen Âge Plusieurs sites de production de sarcophages ont été repérés. Le premier, situé à la Cour de Douces, a été fouillé par l’archéologue Michel Cousin1. La production de cuves funéraires s’est échelonnée entre la fin du ve et le viiie siècle. La carrière est ensuite devenue un refuge souterrain à l’époque des invasions vikings. Une chapelle du Moyen Âge et des dépendances agricoles du xixe siècle complètent l’ensemble. Ce site, troglodytes et sarcophages, est ouvert au public. Le deuxième site se trouve sous l’aula carolingienne. L’accès à cette carrière n’est plus possible mais les lieux en surface méritent que l’on s’y attarde un peu. Le bâtiment en falun a été découvert par Michel de Bouard2 à la fin des années 1960 en fouillant une motte féodale. Il est daté de l’an 900. Les monuments de cette époque sont rarissimes en France. Le dernier site est localisé aux Minières, dans le quartier de Soulanger. Au xixe siècle, des barres de fours sont construites pour produire de la chaux afin d’amender les champs. Les chaufourniers ont extrait massivement le falun autour des fours, détruisant des carrières plus anciennes dont certaines à sarcophages. Les vestiges de l’une d’elles sont néanmoins visibles3.

___ 1. Michel Cousin, Archéologie des carrières souterraines de Doué-la-Fontaine, Angers, Arda (Association régionale pour la diffusion de l’archéologie dans les Pays de la Loire), 2001. ___ 2. Michel de Bouard, « De l’aula au donjon. Les fouilles de la motte de La Chapelle à Doué-la-Fontaine », Archéologie médiévale, t. III-IV, 1973, p. 5-110 ; Patrick Piboule, « Nouvelles recherches sur le site de la motte de La Chapelle à Doué-la-Fontaine », Château-Gaillard. Études de castellologie médiévale, vol. XV, 1990, p. 263-276. ___ 3. Jeanne et Camille Fraysse, Les Troglodytes en Anjou à travers les âges (3 vol.), Cholet, imprimerie Farré et fils, 1963.

< Baies romanes creusées dans la roche de la Frairie Saint-Pierre.

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À la mine d’Abbaretz : bienvenue sur la Lune

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Guy-Pierre Chomette ___ Point culminant du département de la Loire-Atlantique, le terril de la mine d’étain d’Abbaretz témoigne de plus de deux millénaires d’exploitation minière. Il est désormais arpenté par des promeneurs étonnés d’évoluer dans un paysage lunaire perdu dans la campagne. ___ Ils sont disséminés dans la campagne, invisibles à l’œil du profane, d’autant plus difficiles à repérer que le remembrement des parcelles et l’extension des cultures au xxe siècle les ont presque effacés du paysage : d’Abbaretz à Nozay, sur une ligne d’environ huit kilomètres, des buttes et des talus parsèment le territoire, entrecoupés çà et là de grandes et légères cavités rondes. Ils ont été révélés par une série de recherches archéologiques dans la seconde moitié du xixe siècle, et leur lecture a donné lieu à différentes interprétations. Pendant longtemps, alimentée par des écrits d’archéologues tels que Pître de Lisle ou René Kerviler, celle d’une ligne de défense fortifiée édifiée par la tribu gauloise des Namnètes a fait l’unanimité. Mais en 1897, l’ingénieur des Mines Louis Davy fait part de sa découverte de minerai d’étain sur la commune d’Abbaretz, précisément sur la « ligne des fortifications », qu’il requalifie aussitôt : il s’agit là d’une multitude de petits terrils issus de l’exploitation de l’étain par les Gaulois, entreprise probablement deux siècles avant l’invasion romaine et poursuivie jusqu’au iiie siècle de notre ère. De fait, les prospections géologiques du xxe siècle ont montré l’abondance des sites de cassitérite1 alluvionnaire au sud de la Bretagne. Surtout, les cartes sont formelles : un filon de cassitérite s’étend bien d’est en ouest, de Nozay à Abbaretz, que les GalloRomains ont creusé de manière systématique pour expédier l’étain qu’ils en retiraient vers le Bassin méditerranéen, où il entrait dans la composition du bronze. Il s’agit sans doute là de l’exploitation minière de cassitérite la plus importante de l’époque en Europe. Des outils, des pièces de monnaie et des bijoux celtes ont d’ailleurs été retrouvés lors des recherches archéologiques du xixe siècle et de l’exploitation de la mine d’Abbaretz, à l’échelle industrielle cette fois, au xxe siècle. Car la découverte – la redécouverte, devrait-on dire – de Louis Davy va remettre en lumière ce filon de cassitérite seize siècles après son abandon, dont on ignore les raisons. Dès 1910, la SNMO (Société Nantaise des Minerais de l’Ouest) est créée et procède à des sondages qui donnent lieu à trois premières années d’exploitation, de 1918 à 1921, sur la commune de Nozay, avec une trentaine de mineurs. Mais le rendement est faible et le cours de l’étain décroît : cette première tentative d’exploitation moderne est rapidement suspendue. Il faudra attendre 1942 pour que la SNMO reprenne ses

___ 1. La cassitérite est un minerai composé d’environ 65 % d’étain.

P. 30 à 35 : l’ancienne mine d’étain d’Abbaretz. © Photos Bernard Renoux.

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Sarthe « insolite et somptueuse » : la Terrasse Caroline du château de Poncé

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Stéphanie Barioz Aquilon ___

Elle est unique et se trouve dans la vallée du Loir. Adossée au coteau, elle forme un rideau de briques rouges que modulent les pierres de tuffeau, un décor de style troubadour, une folie de jardin pour le château de Poncé-sur-le-Loir. Voici la Terrasse Caroline. ___

Édifiée en 1830, la Terrasse Caroline a suscité tour à tour l’indifférence, la moquerie, l’intérêt puis la fascination. Située au nord du château Renaissance de Poncé-sur-leLoir1, en contrebas de l’église qui surplombe le village, elle pare le coteau d’une note inédite. Depuis bien longtemps, la commune, située dans le sud de la Sarthe, séduit les visiteurs, avec l’église paroissiale Saint-Julien et ses peintures murales romanes, le château, le site des moulins papetiers aujourd’hui ©Moulins de Paillard Centre d’art contemporain, et les demeures en tuffeau. À l’est du village, l’ancien domaine seigneurial s’étend entre le coteau et le Loir. Il réunit le château, un bâtiment de communs du xviiie siècle, une fuie et un ensemble de jardins labellisé Jardin remarquable par le ministère de la Culture. Le château fut édifié autour de 1530-1542 par Jean V de Chambray. De cette période, caractérisée par le style de la première Renaissance ligérienne, datent l’aile est et le pavillon central, qui renferme un bel escalier rampe-sur-rampe. L’aile ouest date de 1805. À l’est du château, deux grandes terrasses surplombent les jardins. La plus haute est une allée de tilleuls qui mène au bois d’agrément. Les jardins réguliers se développent selon un axe est-ouest. Vers le Loir s’étendait autrefois un grand potager. Au nord du château, en contrebas de l’entrée d’apparat, l’architecte Paul Flandrin (1902-1936), gendre du propriétaire, aménagea autour de 1930 un petit jardin minéral et végétal, aux formes géométriques. Au-delà de ce jardin dit à l’italienne, la Terrasse Caroline est un ensemble de murs de soutènement courbes au-devant du coteau, ménageant une terrasse et une sorte de chemin de ronde menant à l’église. Elle s’insère dans une maçonnerie antérieure en moellons de calcaire, doublée de contreforts, dont les traces sont visibles de part et d’autre. L’analyse de l’ensemble révèle la complexité et la singularité de sa mise en œuvre. La Terrasse Caroline s’étend sur cinquante mètres au-devant du coteau, sur trois niveaux totalisant vingt-huit mètres de haut à partir du sol du jardin à l’italienne. Peu développée au niveau inférieur du coteau, elle est percée d’une haute baie

___ 1. Intégrée depuis 2017 dans la commune nouvelle de Loir-en-Vallée.

< Ce mur ondulant s’élève au-devant du jardin créé par Paul Flandrin au début des années 1930.

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Le parc de Maulévrier, un Extrême-Orient rêvé

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Lucien Jedwab ___ Le parc de Maulévrier a été créé par Alexandre Marcel, un architecte féru d’orientalisme japonisant, au début du xxe siècle. Il a été restauré et est entretenu avec passion par une association municipale. ___ Le « parc oriental de Maulévrier », authentique trésor végétal de Maine-et-Loire, est découvert chaque année avec émerveillement par des dizaines de milliers de visiteurs. Il se présente comme « le plus grand jardin japonais d’Europe », et il en a tous les attributs, à commencer par son emblématique – et photogénique – pont écarlate. La dénomination de « parc oriental » renvoie aux aménagements « orientalistes » qui en ont dessiné la physionomie au début des années 1900, et son nom de « Maulévrier », bien sûr, au prestigieux domaine dont il a fait partie jusqu’à la seconde moitié du xxe siècle. Ce domaine, qui a longtemps été rattaché à l’actuel Château Colbert – aujourd’hui un élégant hôtel –, comprenait le Grand Jardin – l’actuel Potager Colbert, attenant à l’hôtel, entièrement réhabilité – et des dépendances qui ont été dévolues dans les années 1970 à l’aménagement d’un collège. À cette époque, après leur utilisation par des congrégations religieuses, château et parc, en bien mauvais état, n’étaient plus que l’ombre d’eux-mêmes. Avant une spectaculaire renaissance due à des initiatives – privée pour le château, publique pour le parc – qui, si elles n’ont pas permis de réunifier le domaine, lui ont du moins redonné son lustre. Propriété du frère du ministre de Louis XIV, le domaine, avec son château construit au xviie siècle, portera longtemps le nom de Colbert-Maulévrier. Pendant la période révolutionnaire et la répression de l’insurrection vendéenne, Édouard-VicturnienCharles-René de Colbert, ci-devant marquis, fait partie des émigrés qui ont quitté le territoire de la République. Si nombre de ces émigrés aristocrates complotent et préparent leur revanche, il semble que dans son cas ce soit avant tout pour mettre sa vie à l’abri. Le château, lui, sera brûlé, et le garde-chasse du marquis prendra la tête de l’Armée catholique et royale de Vendée, bientôt défaite. La mémoire de ce Jean-Nicolas Stofflet est toujours honorée dans cette partie de la « Vendée militaire » où l’on continue de héroïser un certain passé. Le château de Maulévrier sera reconstruit au xixe siècle par son propriétaire revenu d’exil ; il y restaurera un certain apparat, dont l’élément le plus spectaculaire est l’escalier d’honneur avec sa coupole à caissons, entièrement conservé malgré les transformations ultérieures. Le parc, longtemps laissé à l’abandon, sera au centre de toutes les attentions, comme il sied à une propriété aristocratique. Le château, surélevé, est décentré par rapport à l’axe que constitue le tracé de la Moine, rivière dont le cours sera régulé par l’aménagement d’un étang. Des circuits < L’escalier aux lions, au pied d’un arbre taillé en nuages.

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Enchanter le quotidien, les mosaïques Art déco d’Odorico

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Sevak Sarkissian ___ Couleurs, contrastes, matières, motifs, dégradés… À travers les Pays de la Loire, les réalisations d’Isidore Odorico témoignent d’un travail artistique constant : dépasser l’ornementation du support pour sublimer le projet architectural. ___ Après avoir connu un désamour lié à l’évolution des goûts dans l’après-guerre, l’œuvre d’Isidore Odorico fait l’objet d’un regain d’intérêt. Depuis la fin du xxe siècle, recherches, publications1, découverte de projets masqués par des réaménagements2, expositions3, protections et restaurations4 permettent de mieux appréhender un œuvre foisonnant, caractéristique de la production architecturale et des arts décoratifs des années 1920 et 1930, en Bretagne et dans les Pays de la Loire. Artisan, Isidore Odorico fils (1893-1945) complète les connaissances acquises grâce à l’héritage familial par une formation à l’École des beaux-arts de Rennes (19081913). Savoir-faire technique et sensibilité artistique se révèlent déterminants pour dialoguer avec les architectes. Nombreuses et diverses, ses mosaïques frappent par la permanence des motifs et des principes de composition. Quel que soit le programme, la qualité de son travail est aisément reconnaissable. Elle s’appuie sur la réalisation de maquettes aquarellées présentées aux clients et sur la mise au point de prototypes en vraie grandeur. Implantée à Rennes, l’entreprise ouvre une succursale à Angers5 à l’occasion d’un chantier exceptionnel par sa taille, son budget et son impact sur l’espace urbain : la Maison bleue. À l’angle de la rue d’Alsace et du boulevard de Saumur6, le mosaïste recouvre intégralement la façade du plus grand immeuble construit à l’époque dans la ville. Une « réclame » sans équivalent ! C’est essentiellement depuis Angers qu’Isidore Odorico et ses compagnons interviennent ensuite dans la région. Parcours parmi leurs principales réalisations Art déco7.

Trois projets hors du commun La salle des fêtes de l’Hôtel d’Anjou, la Maison bleue et la piscine du château de Marson illustrent la confiance qui s’est instaurée entre l’artiste, les architectes et leurs clients. Lorsque le budget est important, les revêtements sont remarquables : richesse des matériaux, variété des formats, des découpes et des textures, soin apporté à la composition des ensembles et à leur mise en œuvre.

___ 1. Voir notamment Hélène Guéné, Odorico, mosaïste Art déco, Bruxelles, Archives d’Architecture Moderne, 1991 ; Id., « Odorico mosaïste », 303, arts, recherches et créations, no 16, 1988, p. 10-23 ; Sevak Sarkissian, « La piscine Art déco du château de Marson », 303, arts, recherches et créations, no 68, 2001, p. 60-69. ___ 2. Cachés derrière des doublages, les revêtements de la salle des fêtes de l’Hôtel d’Anjou sont réapparus à l’occasion de travaux de rénovation. ___ 3. Organisée par le Musée de Bretagne, à Rennes, en 2009. ___ 4. Hôtel d’Anjou en 1996-1998, piscine du château de Marson en 1997-1998 puis 2019, école de la CFA à Angers en 2004, bains-douches de Laval en 2016-2017. ___ 5. Puis à Nantes et Dinard. ___ 6. Actuel boulevard Foch. ___ 7. Privés, les édifices mentionnés peuvent être ouverts au public, par exemple lors des Journées du patrimoine. Les façades et devantures sont visibles librement depuis l’espace public.

< La Maison bleue d’Angers : bow-window d’angle avec recul progressif des 5e, 6e et 7e étages. © Photo Bernard Renoux.

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La visite au dolmen __

Thierry Pelloquet ___ Si pour tout un chacun le patrimoine de Saumur résonne avec son château dominant la Loire ou sa prestigieuse école de cavalerie, la ville conserve également une curiosité mégalithique de premier ordre, quoiqu’un peu oubliée. ___ Tout est à vendre : le bar, une maison avec deux appartements, un terrain clos de plus de 2 000 mètres carrés et... un dolmen ! Depuis plus de quinze ans, les propriétaires de cet ensemble immobilier atypique situé dans le bourg de Bagneux essaient de trouver un acquéreur ; en vain1. Quelle peut être la valeur d’un monument mégalithique d’environ 4 000 ans, annoncé dès l’entrée comme « le plus grand dolmen de France » ? Difficile de l’estimer. Pas banal en tout cas d’avoir au beau milieu de son jardin cette « fabrique » pour le moins monumentale, mesurant une vingtaine de mètres de long et composée de seize dalles de grès dont la plus lourde pèse à elle seule près de cent tonnes2 !

Un témoignage exceptionnel du mégalithisme angevin Dans la continuité de l’église et de la mairie, toutes deux reconstruites vers 1860, mais aussi du groupe scolaire et du monument aux morts élevés au cours du xxe siècle, le mégalithe semble clore l’enfilade de ces éléments de patrimoine « institutionnel », tous implantés dans la rue qui porte désormais son nom. À l’ombre de platanes plus que centenaires, protégé des regards par un mur de tuffeau et un portail d’entrée qui vante ses mensurations, le monument est en mains privées depuis plus de deux siècles. Il n’est pas le seul dans le secteur puisqu’un « confrère », plus modeste en taille, est présent dans la même commune. On en recense une bonne quinzaine répartis sur le plateau saumurois, et même plus d’une trentaine si l’on prend en compte les nombreux sites inventoriés sur la rive sud de la Loire, de Saumur à Gennes et jusqu’au village de Saint-Rémy-la-Varenne. Autant de témoignages des premières implantations des hommes en Anjou et de leurs modes d’inhumation. Le « grand dolmen » de Bagneux suit un plan presque rectangulaire délimitant une chambre funéraire d’environ quatre-vingt-dix mètres carrés, originellement recouverte par un tumulus dont des vestiges étaient encore visibles au milieu du xixe siècle. Outre une unique pierre verticale, possible trace d’un cloisonnement intérieur, l’allée couverte présente trois blocs complémentaires à proximité de l’ouverture. Ces derniers marquaient probablement la présence d’une antichambre élevée sous la forme d’un portique d’entrée plus bas, caractéristique des monuments angevins de ce type, comme l’a remarqué dès le milieu des années 1960 le docteur Gruet, pionnier de la recherche sur le mégalithisme dans la région. Dès l’introduction de son ouvrage de référence, il évoque d’ailleurs la grandeur et la majesté du

___ 1. Nos remerciements à Sylviane Normand pour son accueil et son témoignage. ___ 2. Une récente modélisation 3D a été effectuée par les services de la DRAC des Pays de la Loire, réactualisant les caractéristiques du monument.

< Le « grand dolmen » de Bagneux, vue de l’allée couverte.

© Photo Conservation départementale du patrimoine de Maine-et-Loire, Armelle Maugin.

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Aperçus

La rotonde du dépôt de Château-du-Loir. © Photo Bernard Renoux.

La cité faïencière de Malicorne-sur-Sarthe Entre Dureil et Noyen-sur-Sarthe, la Sarthe effectue un curieux détour jusqu’à Malicorne-sur-Sarthe, centre faïencier incontournable de l’Ouest. Dans la ville, qui a obtenu le label Ville et Métiers d’Art, la production céramique n’a jamais cessé depuis le xviie siècle ; elle est véritablement ancrée dans chaque génération.

Fournier Luc, « La rotonde du dépôt de Château-du-Loir », Revue 303, arts, recherches, créations, hors-série Affluents de la Loire, no 130, 2014, p. 60-63. Pelloquet Thierry, « Reconnaissances industrielles », chronique patrimoine, 303, arts, recherches, créations, trimestriel Crime, no 157, 2019, p. 90-93.

Langlais Orianne, « De l’eau à la céramique, la cité faïencière de Malicornesur-Sarthe », 303, arts, recherches, créations, hors-série Affluents de la Loire, no 130, 2014, p. 78-81.

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La rotonde ferroviaire du dépôt de Château-du-Loir Installée au sud-ouest de la gare de Château-du-Loir, sur le territoire de la commune de Montabon, la rotonde ferroviaire est dotée d’un pont tournant de dix-sept mètres servant à orienter les locomotives vers le dépôt couvert ; c’est un exemple rare de ce type d’aménagement.

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Baigneuse, faïence estampée modelée, collection Gérard Nouri. Faïenceries d’art de Malicorne. © Photo Bernard Renoux.


L’église Notre-Dame et son rocher. Vue depuis le nordouest. © Photo Dominique Drouet.

Décors du Bistro de Château-Gontier. © Photo Marc Domage.

L’île de Béhuard près d’Angers Située au sud-ouest d’Angers, l’île de Béhuard et son éperon rocheux, sur lequel est perchée sa petite église, suscitent depuis longtemps la curiosité. Elle est aujourd’hui encore l’une des promenades préférées des Angevins.

Le Bistro de Château-Gontier Inscrit à l’Inventaire des monuments historiques, le Bistro de Château-Gontier est un condensé de poésie insulaire, sous haute influence japoniste. Au générique : eau limpide et ciel dégagé, cerisiers en fleur et hérons cendrés, céramique de luxe et sociologie de comptoir.

Prouteau Éva, « Une île cachée entre le Japon et Château-Gontier », 303, arts, recherches, créations, trimestriel Bistrots, no 158, 2019, p. 18-25.

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Durandière Ronan, « Béhuard ou l’attrait pittoresque d’une île », 303, arts, recherches, créations, hors-série Une île, des îles, no 149, 2017, p. 166-175.

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Le musée Desbois, étonnant musée des champs

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Florian Stalder ___ Le village de Parçay-les-Pins, dans le Maine-et-Loire, abrite le musée où se trouve la plus belle collection d’œuvres de Jules Desbois, sculpteur qui fut l’un des plus connus de sa génération et ami de Rodin. ___ Forêts profondes, campagnes de prés et de pommiers, clochers romans : d’où que l’on vienne pour atteindre Parçay-les-Pins, le trajet est toujours d’un exotisme absolu pour l’amateur de musées de beaux-arts, qui sont le plus souvent très urbains. Parvenu au cœur du village, le visiteur peut, d’ailleurs, ne pas distinguer immédiatement le musée1, simple maison de bourg sur la place principale. Elle fait face à celle où naquit Jules Desbois (1851-1935), l’ancienne auberge tenue par ses parents. L’accueil est chaleureux, la visite commence, on se glisse progressivement parmi les œuvres. Et soudain, le sentiment s’impose à vous comme une évidence : vous venez de découvrir en quelque sorte un extraordinaire « musée Rodin » des champs. Certes, Desbois n’est pas Rodin, l’immense artiste qui domina le monde de la sculpture des années 1880 à sa mort en 1917. Mais il en fut un ami très proche2. Ils se rencontrent en 1878, quand tous deux tentent d’être reconnus dans leur art et travaillent pour le même employeur à sculpter des ornements sur le chantier de l’Exposition universelle du Trocadéro. Leurs chemins bifurquent ensuite quelque temps. Desbois rêve d’un avenir plus radieux ailleurs et part pour New York. De son côté, Rodin se fait un nom et trouve définitivement son style. Quand Desbois revient à Paris, vers 1881, il n’est pas loin d’abandonner la sculpture, réalise des décors sur céramique à Sèvres, se lance dans l’héliogravure. Mais quelques années plus tard, il parvient à percer à son tour : il obtient le premier prix de sculpture au Salon des artistes français de 1887 avec Satyre et nymphe3, puis la médaille d’or pour les sculptures qu’il présente à l’Exposition universelle de 1889. Plus que le sculpteur Henri Bouriché à Angers, chez qui il apprit son art, ou que Jules Cavelier, dans l’atelier duquel il se perfectionna aux Beaux-Arts de Paris, c’est assurément Rodin, à ses côtés dans ces années majeures pour l’affirmation de son style, qui lui donne la pleine révélation de la sculpture et lui fait dépasser l’académisme de sa formation. Et l’art de Jules Desbois éclate aux yeux de ses contemporains : en 1890, le groupe décharné de La Mort et le Bûcheron, qu’il a longuement mûri, fait son effet auprès de la critique du Salon du Champ-de-Mars qu’organise désormais la SNBA (Société nationale des beaux-arts). En 1894, c’est La Misère qui subjugue les visiteurs. Durant la décennie 1890-1900, il est l’un des sculpteurs les plus exposés à la SNBA4. En 1896,

___ 1. Ouvert aux visiteurs individuels de début avril à début novembre, du mercredi au dimanche (groupes : toute l’année sur réservation). ___ 2. Voir Véronique Wiesinger, « Jules Desbois (1851-1935), sculpteur de talent ou imitateur de Rodin ? », Bulletin de la Société d’histoire de l’art français, 1987, p. 315-330 et Raymond Huard et Pierre Maillot, Jules Desbois sculpteur, Paris, Le cherche midi, 2000. ___ 3. Que l’on peut admirer à Parçay-les-Pins. ___ 4. Emmanuelle Héran, « La sculpture aux Salons de la Société nationale des beauxarts », dans B. Gaudichon, D. Lobstein et al., Des amitiés modernes, de Rodin à Matisse. Carolus-Duran et la Société nationale des beaux-arts, 1890-1905, Paris, Somogy éditions d’art, 2003, p. 30-46.

< Détail de La Misère, 1894, plâtre patiné, 130 x 55 x 75 cm (dépôt du FNAC).

© Photo Conservation départementale de Maine-et-Loire - Musée Jules-Desbois, Armelle Maugin.

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Petits mondes giratoires __

Éva Prouteau ___ Ils nous entourent, ils sont partout. Ils ventilent nos flux, adoucissent nos trajectoires, orchestrent nos mobilités en rondes et arabesques. Ce sont les ronds-points, qui en plus de leurs qualités graphiques intrinsèques, sont parfois dotés d’embellissements remarquables. ___ « Et soudain, le rond-point sur lequel nous tournons devient le centre du paysage. Un petit centre du monde. Un objet égocentrique et légèrement solipsiste. » Jean-Michel Espitallier

Le rond-point apparaît au xviie siècle dans le vocabulaire des jardins pour désigner le point de rencontre de plusieurs allées rayonnantes. Aujourd’hui, souvent amalgamé avec le terme de carrefour giratoire, le rond-point fleurit dans le paysage français, et particulièrement dans les Pays de la Loire. Championne en la matière puisqu’elle totalise à elle seule trois mille ronds-points, la Loire-Atlantique a même développé un modèle au carré, le double giratoire où deux carrefours s’accolent, la sortie de l’un s’abouchant directement avec l’autre. Enfin, début 2019, un aménagement d’un nouveau genre a vu le jour à Nozay : le giratoire cacahuète, aux formes girondes, qui devrait prochainement se multiplier. En 2018, ces connecteurs de l’ère automobile ont été propulsés sous les feux de la rampe : auparavant, leur édicule central était surtout désert, exceptionnellement emprunté par des agents de l’équipement ou des jardiniers municipaux. Avec le mouvement des gilets jaunes, ce no man’s land officiel a muté en lieu de vie éphémère, place publique où se manifestèrent la prise de conscience politique, la revendication, la solidarité. Les ronds-points devinrent des théâtres. « D’une certaine façon, les abords du rond-point s’apparentent à des coulisses où chacun attend d’entrer en scène pour y faire son numéro. Pour y faire son tour1. » Lorsqu’il n’accueille pas les corps en révolte, cet espace de représentation met parfois en scène des installations : fragments de paysage, décors avec ou sans personnages, sculptures… Autant de micro-expositions saisies en un seul coup d’œil à 50 km/heure, à moins de s’appeler Raymond Devos, qui dans le sketch Plaisir des sens raconte comment il s’est engagé dans un carrefour giratoire dont il n’a pu sortir, les quatre voies étant des sens interdits. En raison de ces conditions de visibilité particulières, ces œuvres jouent souvent la carte du monumental et du spectaculaire : leur dimension signalétique se combine à leur fonction emblématique. Le rond-point, aire de jeu

___ 1. Jean-Michel Espitallier, Tourner en rond. De l’art d’aborder les ronds-points, Paris, PUF, 2016, p. 60.

< Le rond-point des Cosmonautes à La Haye-Fouassière (Vendée). © Photo Bernard Renoux.

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Vue d’ensemble du chœur peint par Xavier de Langlais et l’entreprise Merrouin décors.

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Voyager sous protection ?

Rendez-vous à Saint-Christophe de La Boissière !

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Christian Davy ___ Saint Christophe est traditionnellement invoqué pour se prémunir contre les risques du voyage ; l’avènement de l’automobile n’y a rien changé, et certains automobilistes rendent visible la trace de la bénédiction de leur véhicule. ___ Il est des lieux qui, sans en avoir l’air, sont ancrés dans l’histoire : c’est assurément le cas de Saint-Christophe, de nos jours lieu-dit de la commune de La Boissière, dans la Mayenne. Le chemin communal rectiligne qui le dessert était nommé le Grand Chemin à la fin du Moyen Âge. L’abbé Angot, érudit de la Mayenne au début du xxe siècle, le soupçonnait d’être un tronçon de voie romaine. Depuis, les archéologues ont encore reculé l’ancienneté de cette route. Les recherches menées par Gilles Leroux1 ont confirmé qu’elle correspond à la voie romaine, inscrite sur la fameuse table de Peutinger, qui reliait Condate (Rennes) à Juliomagus (Angers) avec une étape à Combaristum (Châtelais, commune voisine de La Boissière). Plus encore, Jean-Claude Meuret2 estime que cet axe est protohistorique et le met en relation avec les découvertes datant du néolithique et de l’âge du bronze faites au voisinage de Saint-Christophe. Cet auteur pose aussi la question d’une substitution du culte de saint Christophe à celui d’une divinité protectrice des voyageurs. L’église du lieu a failli disparaître, mais les hasards du temps ont épargné le chœur ; la nef, détruite au xixe siècle, reste perceptible grâce à la disposition des massifs du petit jardin aménagé à son emplacement. La dévotion à saint Christophe, universelle au Moyen Âge, a été la cible des Réformateurs qui fustigeaient les superstitions entourant les images. Sans condamner saint Christophe, les recommandations du concile de Trente préférèrent mettre en avant sainte Barbe, saint Roch ou saint Sébastien comme saints protecteurs des chrétiens contre la « male mort », la mort sans le secours de l’Église. Après une longue période de discrétion forcée, la dévotion à saint Christophe prit une nouvelle et considérable ampleur avec le développement des transports contemporains3. Au début du xxe siècle, les propriétaires de voitures particulières éprouvèrent le

___ 1. Gilles Leroux, Étude sur la voie antique Rennes-Angers, première partie. Rapport de prospection thématique, SRA de Bretagne. Rapport RAP01660 1999. En ligne sur http://bibliotheque. numerique.sra-bretagne.fr/items/show/191 ___ 2. Jean-Claude Meuret, Peuplement, pouvoir et paysage sur la marche Anjou-Bretagne, Laval, 1993, p. 98, 203 et 223. ___ 3. Pour plus de détails, voir Christian Davy, « Au gué au gué, Christophe passera la rivière », 303, no 128, 2013, p. 58-65.

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Les Folies Siffait. Sauf mention contraire, Š Photos Philippe Caharel.

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Jérusalem en Bretagne __

Bernard Renoux ___ « Pèlerins ou touristes, ne visitez pas le Calvaire au petit bonheur, vous ne comprendriez rien », prévient un guide1 consacré au calvaire de Pontchâteau publié en 1965. Soit, tenons-le pour un grand jardin… et promenons-nous ! ___ À l’extrémité du Sillon de Bretagne, debout dans une prairie un énorme bloc de pierre connu sous le nom de Fuseau de la Madeleine signale qu’à son pied les hommes adorèrent des divinités aux pouvoirs surnaturels. Au tout début du xviiie siècle, dans le paysage inondé de landes, à portée de vue de l’imposant menhir « où l’œil apercevait vingt-sept paroisses, et les bruyères s’étendaient comme une mer monotone2 », le père de Montfort, missionnaire et grand prédicateur, entreprit d’élever un calvaire à la gloire d’un dieu unique sur ces terres incultes. « Au mois de juillet 1709, Louis-Marie Grignion de Montfort, un des grands missionnaires de son temps, fit à Pont-Château une mission […] ; cet Ecclésiastique zélé, voulant faire construire un calvaire […] et l’endroit pour la construction fut choisi dans une lande […] sur une petite éminence, d’où l’on découvre 7 à 8 lieues de pays. À la voix du missionnaire, les habitants de la campagne se rendirent en foule pour travailler aux fossés qui étoient nécessaires pour empêcher les bestiaux d’approcher de la croix qu’on vouloit planter ; ce missionnaire voyant la grande quantité de peuple qui venoit travailler à cet ouvrage, forma un plus grand projet, il fit creuser de grandes douves… lorsque le roi Louis XIV, craignant que cet endroit ne devînt, dans la suite, une citadelle avantageuse à la rebellion, ordonna de détruire ce Calvaire3. » En septembre 1710, la démolition du calvaire fut donc ordonnée par les autorités royales et religieuses, sous le prétexte que « c’était une forteresse de douves et de souterrains où pourraient se réfugier des bandes de voleurs4 » ou même qu’il pourrait accueillir les troupes anglaises suite à un débarquement. C’est plus probablement l’hostilité des évêques envers un prédicateur exalté qui condamna le site à sa perte provisoire. Soumis à l’ordre de destruction, quatre à cinq cents hommes réquisitionnés, venus des paroisses voisines, durent défaire mollement cela même qu’ils avaient précédemment édifié avec ardeur. Dépêchée sur place, une compagnie de soldats veilla à ce que les croix fussent abattues et la « taupinière5 » à demi-rasée. On voit encore les restes de ce calvaire, qui annoncent que « c’étoit une grande entreprise6 ». Après quelques tentatives de restauration infructueuses, un siècle plus tard l’abbé Gouray, alors curé de Pontchâteau, entreprit en 1821 de considérables travaux qui donnent au tumulus chrétien son allure actuelle. En 1865, le calvaire fut doté d’un chemin de croix à l’initiative de Mgr Jaquemet. Mais la physionomie actuelle du

___ 1. Le Calvaire de Pontchâteau, guide illustré, Chantreau et Cie, 1965, BM Nantes. ___ 2. Charles Pauvert, Vie du vénérable Louis-Marie Grignion de Montfort […], 1875. BNF. ___ 3. Jean Ogée, Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne, 1778, vol. III, p. 453. ___ 4. D’après M. Le Maistre, 1822, dans Notice sur le calvaire de Pontchâteau, 1873. ___ 5. Ibid. ___ 6. Ibid.

< Le calvaire de Pontchâteau, détail. © Photos Bernard Renoux.

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