Apocalypse

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Te n t u r e d e l ’A p o c a l y p s e

Tenture de l’Apocalypse Angers


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La Tenture de l’Apocalypse Il n’est pas fortuit que la célèbre Tenture de l’Apocalypse soit actuellement conservée au château d’Angers, ancienne résidence des ducs d’Anjou : c’est en effet précisément à l’un d’entre eux, Louis Ier, qu’entre 1373 et 1380 son frère le roi de France, Charles V, prête un manuscrit enluminé des scènes de l’Apocalypse, pour « faire son beau tapis ». L’œuvre a bien été commandée par Louis Ier d’Anjou entre 1373 et 1377, année à partir de laquelle les comptes de ce prince mentionnent des paiements pour l’exécution de la tenture, qui a dû être achevée vers 1382. Ils précisent qu’y ont travaillé le peintre du roi, Jean dit Hennequin de Bruges, payé pour des « pourtraitures et patrons », c’est-à-dire les maquettes et peut-être une partie des cartons. À l’exécution technique sont liés les noms de Nicolas Bataille et de Robert Poinçon, les ateliers de ce dernier étant peut-être sous-traitants d’une partie du travail. La tenture est une œuvre d’apparat, exposée pour des occasions solennelles comme le mariage de Louis II, fils du duc d’Anjou, à Arles en 1400. Dès l’origine elle est considérée comme un chef-d’œuvre dont on prend le plus grand soin. En 1480, elle est donnée par le roi René, duc d’Anjou, au chapitre de la cathédrale d’Angers qui la présente à l’occasion des grandes fêtes liturgiques, mais à la fin du xviiie siècle et au début du xixe elle traverse une période noire où elle est mutilée, démembrée, abandonnée ; elle fait l’objet, au milieu du xixe siècle, de tous les soins du chanoine Joubert, de la cathédrale d’Angers, qui en rassemble et en restaure les principaux éléments. Enfin, en 1954, elle revient au château pour y être présentée au public.

< VI.83. Saint Jean devant l’ange. Endroit, détail.

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Première pièce I. Grand personnage 1. En tête de chaque pièce était placé à l’origine un haut baldaquin d’une architecture élégante, abritant un grand personnage. Seuls quatre de ces panneaux ont été conservés, attribués aux pièces I, III, IV et V. La présence des armes d’Anjou autorise-t-elle à reconnaître sous les traits énigmatiques de ces hommes le duc Louis Ier d’Anjou, commanditaire de la tenture ? Le personnage de cette pièce diffère des trois autres conservés, mais quelle que soit leur identité – duc, philosophes ou simples lecteurs – ils invitent à la lecture et à la méditation des scènes vers lesquelles ils sont tournés. I.1. Saint Jean à Patmos. (Tableau disparu). Exilé sur l’île de Patmos, dans la mer Égée, saint Jean reçoit une Révélation (Apocalypse) sous forme de visions. I.2. Les sept Églises. Les sept édifices identiques avec leur ange protecteur figurent les sept Églises auxquelles saint Jean doit transmettre l’Apocalypse. Ce sont des communautés chrétiennes dirigées par des évêques (les anges) et choisies parmi celles de l’Asie Mineure occidentale et centrale, placée sous l’autorité apostolique du saint, exilé non loin de là. Le choix du nombre sept, symbole de plénitude, donne une portée universelle à cette Révélation et l’étend ainsi à toute l’Église dans l’espace et dans le temps. I.3. Le Christ au glaive. Avant de recevoir les révélations de l’Apocalypse, saint Jean tombe en adoration devant le Christ assis au milieu des sept chandeliers d’or, nouveaux symboles des sept Églises. Dans cette majestueuse apparition du Fils de l’homme, la tunique longue désigne le sacerdoce, la ceinture d’or sur la poitrine la royauté, et la blancheur de la chevelure son antiquité, c’est-à-dire son éternité en tant qu’il

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I.3. Le Christ au glaive. Envers, détail, cliché inversé.

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II.16. La foule des élus. Envers, cliché inversé.

II.19. L’ange vide son encensoir. Le feu qui fait monter les prières des saints se transforme en feu de malédiction contre la terre impie, celle qui refuse de prier. Il est à la fois purificateur et vengeur. Ici, il déclenche les signes avant-coureurs de grandes calamités. Le tonnerre et les éclairs sont figurés dans le tableau d’une manière conventionnelle par des têtes crachant des flammes. Une deuxième scène figure sur ce tableau : un ange sonne de la trompette vers le ciel qui déverse du feu. II.20. Première trompette : la grêle et le feu. Les premiers fléaux déclenchés par les trompettes utilisent les quatre éléments que les Anciens reconnaissaient comme constitutifs de la nature : la terre, l’air, l’eau et le feu. Les chutes de grêle et de feu, déjà illustrées par une partie du tableau précédent, l’étaient à nouveau par le présent tableau dont il ne subsiste qu’un fragment.

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II.21. Deuxième trompette : le naufrage. Au son de la deuxième trompette, la mer est à son tour frappée par le fléau du feu. L’artiste n’a pas représenté la montagne brûlante décrite dans le texte, il l’a réduite à une flambée de bois aux flammes élégantes, placée sur la terre et non sur la mer. Celle-ci n’est atteinte que par quelques flammèches et seules de rares vagues paraissent ensanglantées, tandis qu’un bateau sombre et que des marins périssent. II.22. Troisième trompette : l’Absinthe. Avec la troisième trompette, le feu du ciel tombe à nouveau sur les eaux. Mais le fléau a changé de forme et d’objectif. La montagne de feu est devenue une étoile appelée Absinthe et l’eau est touchée jusqu’en ses sources mêmes. L’eau douce, vitale pour l’homme, est contaminée par l’absinthe, à la fois toxique et amère, symbole d’une calamité aussi bien physique que morale qui atteint beaucoup d’hommes. II.23. Quatrième trompette : l’aigle de malheur. Les trois malédictions (ve, ve, ve) annoncées par l’aigle sont associées aux trois dernières trompettes. Elles sont rendues avec force par l’importance de l’oiseau, par les mots de malheur en latin tissés sur le phylactère et enfin par l’architecture d’une ville déserte naïvement écroulée et schématisée au point d’acquérir un caractère d’intemporalité. II.24. Cinquième trompette : les sauterelles. L’étoile qui tombe du ciel sur la terre est un ange déchu, selon les commentateurs ; pour certains ce serait même le Prince de ce monde, Satan lui-même. Avec la clé qui lui est donnée, c’est-à-dire la permission de Dieu, il ouvre les portes de l’enfer et libère d’abord une grande fumée. Avec la fumée se répandent des sauterelles qui s’attaquent directement aux impies. Saint Jean voit ces animaux semblables à des chevaux caparaçonnés, au visage d’homme couronné, aux cheveux de femme, aux dents de lion et à la queue de scorpion. Le cavalier montant l’un de ces êtres démoniaques, dont il est le roi, est l’ange

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III.31. La mort des deux Témoins. « Quand ils auront achevé leur témoignage, la Bête qui s’élève de l’Abîme leur fera la guerre... » Cette Bête est, selon les commentateurs, l’Antéchrist engendré par l’enfer, préfiguré par tous ceux qui luttent individuellement ou collectivement contre le Christ. Dans sa forme contemporaine de saint Jean, la Bête figure l’Empire romain persécuteur, type de tout Antéchrist politique à venir. III.32. Joie des hommes devant les Témoins morts. Les corps des Témoins sont étendus sur les places de Sodome et de l’Égypte, symboles bibliques d’un monde perverti où l’Église est foulée aux pieds par ses ennemis qui, pour se réjouir de leur victoire, « feront des fêtes et s’enverront des présents les uns aux autres ». Les personnages de ce tableau échangent de main en main des objets difficiles à identifier, tandis que les Témoins gisent sur l’herbe devant une cité aux proportions réduites. III.33. Les Témoins ressuscitent. « Après trois jours et demi, l’esprit de vie entra en eux… » Le sang des martyrs est semence de chrétiens, source de renouveau spirituel. Ici, pour mieux manifester cette résurrection, deux colombes, symboles du souffle de vie, viennent ranimer les Témoins, tandis qu’une autre partie du tableau représente les ennemis anéantis avec leurs œuvres. III.34. Septième trompette : l’annonce de la victoire. Au son de la septième trompette, saint Jean entend des voix (ici, des têtes d’animaux) proclamer enfin la réalisation du règne éternel de Dieu sur le monde. Le buste incliné et les joues gonflées suggèrent l’effort de ce septième ange pour faire résonner sa trompette vers les vingt-quatre Vieillards qui vont rendre grâces dans une nouvelle adoration. III.35. La Femme revêtue du soleil. Deux grands signes apparaissent dans le ciel. Le premier est une « femme revêtue du soleil, qui a la lune sous ses pieds, et sur la tête une couronne de

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uu III.29. La mesure du temple. Envers, cliché inversé. u III.34. Septième trompette : l’annonce de la victoire. Envers, cliché inversé.

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Quatrième pièce IV. Grand personnage 4. Ce panneau retrouvé en fragments a été restauré avec un important retissage. Mais les surfaces d’origine sont suffisamment grandes pour permettre de constater qu’il est presque identique aux panneaux placés en tête des troisième et cinquième pièces. IV.43. Nouvelle adoration de la Bête. Si la Révélation de saint Jean insiste sur le culte qui sera rendu à la Bête sur toute la terre par les hommes opiniâtres dans leurs péchés, c’est pour avertir que ces adorateurs seront punis par où ils auront péché : que les chrétiens ne se laissent donc pas séduire et qu’ils soient patients et forts dans la foi jusqu’à la fin ! C’est l’exhortation qu’adresse aux chrétiens de tous les temps l’ensemble de l’Apocalypse, plus précisément le texte illustré par cette scène. IV.44. La Bête de la terre fait tomber le feu du ciel. La description de cette Bête qui s’élève de la terre évoque celle des faux prophètes annoncés par le Christ. Elle peut avoir l’apparence de l’Agneau mais sa parole est perfide. Aussi les commentateurs y voient-ils l’Antéchrist sous son aspect religieux et idéologique, inspirateur de persécutions et auteur de prodiges qui feront l’admiration des habitants de la terre et les feront l’adorer. IV.45. L’adoration de l’image de la Bête. La Bête de la terre, Antéchrist religieux, impose l’adoration de l’image de la Bête de la mer, Antéchrist politique. C’est, pour les commentateurs, une allusion au paganisme et à l’Empire romain, comme figures des fausses religions et

w IV.44. La Bête de la terre fait tomber le feu du ciel. Envers, détail, cliché inversé.

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V.60. Le quatrième flacon versé sur le soleil. La quatrième coupe est versée sur le soleil, dont les rayons se transforment en tourment terrible pour les hommes obstinés dans le mal et représentés, sur ce fragment de tableau, épouvantés et accablés. V.61. Les cinquième et sixième flacons versés sur le trône et sur l’Euphrate. L’empire de la Bête est de plus en plus gravement atteint. Un fléau s’abat directement sur son trône en forme d’autel et enténèbre son domaine ; un autre assèche l’Euphrate et supprime les barrières naturelles qui séparent la Bête de ses ennemis extérieurs les plus terribles. V.62. Les grenouilles. Satan reparaît, accompagné de ses suppôts, la Bête de la mer et le Faux Prophète que saint Jean semble identifier plus loin avec la Bête de la terre. Ces monstres vomissent des grenouilles, symboles des esprits diaboliques qui répandent inlassablement des rumeurs destinées à exciter les nations les unes contre les autres et contre Dieu. V.63. Le septième flacon versé dans l’air. Un septième et dernier flacon frappe l’air, quatrième élément de la nature, et déclenche tonnerre, éclairs et précipitations. Et c’est aussitôt l’effondrement de Babylone, la grande ville. Ce n’est pas la fin du monde au sens propre, puisque les hommes persévèrent dans leur impiété mais, comme « chaque époque a sa Babylone », cette ruine d’une civilisation de l’Antéchrist prédit celle de tous ses empires présents et à venir, ainsi que son échec total et définitif. Et cela mérite l’annonce solennelle proclamée par une voix venant de l’autel du temple. V.64. La Grande Prostituée sur les eaux. L’un des anges chargés de vider les coupes vient chercher saint Jean pour lui expliquer un symbole majeur de l’Apocalypse, celui d’une prostituée dont

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V.65. La Prostituée sur la Bête. Envers, détail, cliché inversé.

le nom est inscrit sur son front : « Mystère, la grande Babylone, la mère des fornications et des abominations de la terre ». Babylone, c’est la grande ville assise sur les eaux turbulentes des peuples, des nations et des langues. Elle les domine et les entraîne dans ses erreurs et dans ses vices. C’est évidemment la Rome païenne et avec elle toute puissance persécutrice future, politique ou religieuse, dont elle est le type et la préfiguration. V.65. La Prostituée sur la Bête. Porté par l’ange, saint Jean accède à la vision de la Prostituée et de la Bête sur laquelle elle est maintenant assise. Ornée des richesses terrestres de sa prostitution, cette femme-Babylone se présente comme une contre-Église, une cité de Satan, mère des abominations de la terre. Ses vices sont contenus dans une coupe d’or présentée avec ostentation.

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est centrée sur l’ange qui tient la canne d’or destinée à mesurer la Jérusalem nouvelle, en signe de sa stabilité éternelle. VI.82. Le fleuve coulant du trône de Dieu. Saint Jean voit un fleuve d’eau vive s’écouler du trône de Dieu et de l’Agneau, comme l’Esprit-Saint et la vie divine se communiquent à la Jérusalem nouvelle, aussi bien dans les eaux du baptême de l’Église sur terre que dans la félicité bienheureuse de l’Église au ciel. Près du fleuve, l’arbre de vie donne ses fruits et ses vertus comme le Christ livre sa vie aux siens dans l’Eucharistie sur terre et dans la vision béatifique au ciel. Fleuve et arbre de vie évoquent le paradis terrestre avant la chute d’Adam et Ève, comme pour signifier que Dieu rétablira définitivement l’ordre détruit par Satan et par l’homme pécheur : les élus participeront à la vie divine et verront enfin la face de Dieu avec qui ils régneront pour l’éternité. VI.83. Saint Jean devant l’ange. (Tableau mutilé). VI.84. Saint Jean devant le Christ. (Tableau mutilé). Les visions apocalyptiques inévitablement accomplies se terminent par la contemplation du Christ et ce soupir plein d’ardeur et de foi : « Amen, venez Seigneur Jésus ».

< VI.81. La mesure de la Jérusalem nouvelle. Envers, détail, cliché inversé.

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