SOMMAIRE
Entre Loir et coteaux p. 10 — Aux confins du Maine, de la Touraine et du Vendômois p. 20 — Un territoire, une histoire
Patrimoine en images p. 44 — Ville et bourgs p. 56 — Patrimoine religieux p. 81 — Patrimoine funéraire et commémoratif p. 82 — Châteaux, manoirs et demeures p. 100 — Fermes p. 112 — Patrimoine de la vigne et du vin p. 115 — Architecture industrielle et ferroviaire p. 118 — Architecture publique
Annexes p. 125 — Iconographie p. 126 — Bibliographie sélective
En couverture : La Chartre-sur-le-Loir.
ENTRE LOIR ET COTEAUX 1
Poncé-sur-le-Loir depuis
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l’église paroissiale
« Le paÿs notamment celuy qui est aux environs du Loir qu’on nomme le Vau du Loir est fort agréable par sa variété. Il y a des plaines, des coteaux, des vallons, des prés, des terres, des vignobles et des bois. » Miromesnil, Mémoire sur la Généralité de Tours, 1698.
Outre Miromesnil, intendant de Louis XIV, quelques voyageurs et érudits des xixe et xxe siècles ont décrit la vallée du Loir où, de Vendôme à Château-du-Loir, se succèdent des sites souvent qualifiés de « gracieux » : « vallées pittoresques », collines « aux reliefs si doux », « accidents de terrain si imprévus, villages creusés dans la roche, grandes ruines »… La richesse historique et artistique de ce territoire est à la mesure de sa discrétion. La vallée du Loir proprement dite court sur 317,4 kilomètres, de Champrond-en-Gâtine (Eure-et-Loir) jusqu’au nord d’Angers (Maine-et-Loire) où le Loir, les rivières Sarthe puis Mayenne rejoignent la Maine, affluent de la Loire. Intégré à la communauté de communes Loir-Lucé-Bercé, le territoire étudié correspond à l’ancien canton de La Chartre-sur-le-Loir. Il s’étend sur 157,75 kilomètres carrés et accueille près de 6 700 habitants. Ce territoire, situé au nord de la vallée de la Loire avec laquelle il partage bien des caractéristiques géologiques, géographiques, historiques et artistiques, est bleu, blanc, gris, ocre, vert : bleu des rivières, blanc du tuffeau, gris de l’ardoise, ocre des enduits, vert d’une végétation abondante. Du nord-ouest de Chahaignes au sud de La Chartre-sur-le-Loir, on passe de la forêt domaniale de Bercé (labellisée Forêt d’Exception© en 2017) au Loir qui borde longuement les communes, filant d’est en ouest malgré de nombreuses sinuosités entre des rives boisées. Ses affluents, le Tusson, la Braye, la Veuve, la Boire et la Dême, ont formé de multiples vallons également encadrés de coteaux. Les étangs sont rares et les quelques mares relevées sur les premiers cadastres dits napoléoniens, établis entre 1813 et 1817, ont généralement été asséchées. Les sols sont argileux, argilo-calcaires, argilo-siliceux et argilo-sablonneux. Ils constituent une ressource de sable et de pierre à bâtir. Quelques grandes carrières appelées autrefois perrières, comme celle de la Volonnière à Poncé-sur-le-Loir, ont été exploitées durant des siècles. Certaines furent converties en champignonnières pendant quelques décennies au xxe siècle, à Poncé-sur-le-Loir, Beaumont-sur-Dême et Lhomme. Le versant ensoleillé des coteaux est planté de vigne. Au-delà de la vallée densément lotie, le territoire s’étend en grands plateaux avec des vestiges bocagers, comme à Marçon et à Ruillé-sur-Loir, que l’on atteint par des routes bordées de reliefs rapidement changeants, parfois accidentés et ravinés, comme à Chahaignes. Les massifs boisés rappellent les anciens domaines seigneuriaux : forêt de la Flotte, bois de Hauteville ou de la Chenuère.
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RÉSEAUX, INFLUENCES ET VOIES DE COMMUNICATION
Situé aux confins des anciennes provinces du Maine, de la Touraine et de l’Orléanais – qui comprenait le comté du Vendômois –, le territoire a connu d’importants chassés-croisés liés aux enjeux de pouvoir. L’organisation féodale et le maillage religieux fournissent quelques indications sur les réseaux et les influences qui ont pu exister entre les pouvoirs seigneuriaux. Le nombre des « terres, fiefs et seigneuries » était élevé. Ces domaines relevaient de seigneuries du Maine, de Touraine, du Vendômois. Les plus importants furent élevés au fil des siècles en châtellenies – Ruillé, Beaumontla-Chartre – puis en baronnies – Poncé, la Flotte –, parfois en marquisat – La Chartre à partir de 1697 –, voire en vicomté – La Chapelle-Gaugain prenant le nom de La Chapelle-Xaintrailles en 1635. La hiérarchie féodale comprenait jusqu’à six niveaux. Les onze paroisses qui ont formé les neuf communes après la Révolution (la paroisse Saint-Vincent de Châtillon ayant été réunie en 1790 avec Saint-Vincent et de la Madeleine à La Chartre) faisaient partie du diocèse du Mans, qui dépassait largement ses limites actuelles. La Chartre, Chahaignes et Marçon appartenaient au doyenné de Château-du-Loir ; Beaumont-la-Chartre, Lhomme, Ruillé, Poncé, Lavenay et La Chapelle-Gaugain ont appartenu à celui de Trôo jusqu’en 1640, date de la création du doyenné de La Chartre. Les églises paroissiales médiévales avaient été fondées par des seigneurs laïcs ou religieux du Mans ou de Tours. Les prieurés, commanderies et ermitages médiévaux dépendaient d’établissements religieux du Maine, de la Touraine, de l’Anjou ou du Vendômois.
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Il est difficile aujourd’hui de distinguer les voies antiques et médiévales. Certains lieux-dits, comme la Grande-Voie dans l’enclave de Sougé (Loir-et-Cher), à Lavenay, évoquent une voie antique. Le « chemin mançais » cité sous l’Ancien Régime, certainement ancien et important, se perd aujourd’hui dans les hauteurs de Ruillé-sur-Loir, Lavenay et La Chapelle-Gaugain. La voirie proche du Loir rappelle les enjeux des conflits entre grands féodaux avant le rattachement de La Chartre
au royaume de France en 1194, sous le règne de Philippe Auguste. Depuis le Moyen Âge, des chemins reliaient aussi les fiefs entre eux selon les liens féodaux, ainsi que les métairies au domaine seigneurial. Certains chemins étaient bordés de nombreux fiefs, comme entre Marçon et Beaumont-sur-Dême, le long de la Dême, ou entre Pont-de-Braye et La Chartre-sur-le-Loir sur la rive droite du Loir, mais aussi de La Chartre-sur-le-Loir à Lhomme vers Courdemanche et Saint-Pierre-du-Lorouër à proximité de la vallée de la Veuve. La Carte de l’évêché du Mans, établie en 1706 par le géographe du roi, Alexis-Hubert Jaillot, la carte géométrique de Cassini pour le Maine (1755-1763) et l’Atlas pour la Généralité de Tours (1745-1780), levé pour l’intendant des Finances Daniel-Charles Trudaine, révèlent l’importance des tracés longeant le Loir sur ses deux rives. Ils montrent également la multiplicité des chemins desservant villages et lieuxdits sans aucune régularité. La rectification des tracés par les intendants du roi, pour fluidifier les circulations et favoriser le commerce, prend effet dans la seconde moitié du xviiie siècle. L’actuelle route de Tours à La Chartre-sur-le-Loir, percée vers 1760-1770, désengorge le chemin qui passait devant les hameaux des Caves et de la Fontaine à La Chartre, tout en enclavant définitivement ces derniers. La régularisation du tronçon allant de Château-du-Loir à Marçon par Dissay-sous-Courcillon a très fortement redressé un cheminement qui, jusqu’alors, cahotait de ferme en ferme. L’axe du Loir sur la rive droite était d’autant plus important qu’il existait au xviiie siècle une messagerie entre La Chartre et Vendôme. En 1837, une ligne de poste fut établie de Chartres au Mans ; elle était ponctuée de sept relais dont ceux de La Chartre et Pont-deBraye. Ces deux relais furent supprimés en 1870. À partir de la fin du siècle, deux voies ferrées ont favorisé l’ouverture du territoire : la ligne Paris-Bordeaux par Chartres, inaugurée en 1886 à Château-du-Loir et qui longeait le Loir du côté sarthois, et la première ligne du premier réseau des tramways à vapeur de la Sarthe, Le Mans - Le Grand-Lucé - La Chartre-sur-le-Loir (1882/1884-1947).
Les Roches, dans la vallée de la Dême à Marçon.
le Tu s
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Le Mans Le Grand-Lucé
so n
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Les principales voies
Bessé-sur-Braye
Saint-Pierre-du-Lorouër
à La Chartre-sur-le-Loir.
La ChapelleGaugain
la Veu v
Carte postale, 1er quart du xxe siècle.
Br ay
Gare du tramway
la
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de communication.
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Lavenay Vendôme
Poncé-surle-Loir
Chahaignes
Sougé
Ruillé-sur-Loir
Lhomme
Couturesur-Loir
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Flée Tréhet
La Chartresur-le-Loir
Routes anciennes régularisées au XIXe siècle
Marçon
Route créée dans la seconde moitié du XVIIIe siècle Ancienne voie du tramway à vapeur
Châteaudu-Loir
Beaumontsur-Dême
Ancienne voie ferrée (voie verte) Pont
la Dê me 0
Dissay-sous-Courcillon Neuvy-le-Roi
5 km
Tours
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13 Aménagements de loisirs le long du Loir à La Chartre-
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sur-le-Loir.
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Le développement des bourgs À partir de la fin du xve siècle, l’habitat se déploie autour de l’église paroissiale. Il subsiste aujourd’hui, dans chaque village ou bourg, une ou deux maisons bâties il y a plus de quatre ou cinq cents ans. Le centre de Marçon en conserve plusieurs. Ces maisons anciennes sont reconnaissables à leur gabarit imposant et à leurs pignons découverts : c’est le cas de la maison dite « prestimonie » à Lhomme, datée de 1521 par la dendrochronologie (datation par l’étude des cernes du bois). Elles présentent un mur gouttereau en rive de rue. Jusqu’au xvie siècle, l’accès à l’étage se faisait par une tour demi-hors-œuvre, circulaire ou polygonale, abritant un escalier en vis, en bois ou en pierre, qui montait de fond en comble (c’est-à-dire de la cave ou du rez-de-chaussée jusqu’au grenier). La charpente à chevrons formant fermes accuse une pente très forte, de l’ordre de 60 degrés. Cette pente est quelque peu rompue par des coyaux de bois rejetant les eaux pluviales loin des murs. La couverture, aujourd’hui en ardoise, pouvait être en bardeaux de chêne. Le décor extérieur est absent ou modeste, formé d’un arc en accolade sculpté au-dessus de la porte d’entrée, ou de choux frisés avec un fleuron hérissant les pignons découverts (Beaumont-sur-Dême). La date n’est jamais portée sur ces constructions, à quelques exceptions près (1676 à la Grande Cour à Chahaignes). Les pièces, dites chambres, étaient éclairées côté rue par des baies à croisées de pierre, aujourd’hui remplacées par des menuiseries mobiles. Au xviie siècle apparaissent des maisons en pavillon, puis des maisons couvertes d’un toit à longs pans brisés. On en repère quelques-unes à La Chartre-sur-le-Loir.
Le renouveau des châteaux et des manoirs La noblesse d’épée, qui a rang de chevalier ou d’écuyer, détenait les châteaux, qu’elle conserva le plus souvent pendant plusieurs siècles : les Maillé à Bénéhard, à la Cour de Ruillé et bien au-delà, les Ronsard à La Chapelle-Gaugain, les Du Bellay à la Flotte, les Chambray à Poncé, les Malherbe à Poillé, les Salmon à Loiray (Marçon), les Berziau à la Chenuère, à la Marcellière et aux Hayes (Beaumont-sur-Dême). La noblesse de robe tenait plutôt les manoirs, sièges de fiefs moins importants. L’influence de ces commanditaires, qui possédaient souvent de nombreux autres domaines et habitaient aussi à Paris, fut régulièrement renforcée jusqu’au xixe siècle par la constitution de réseaux liés aux alliances matrimoniales. Dans la campagne, les chantiers furent nombreux aussi. Neuf châteaux et dix-huit manoirs, au moins, ont été en grande partie reconstruits, sur le même emplacement comme à la Flotte à Lavenay, ou à une légère distance comme au château de Poncé, où l’on assiste à un glissement de site. Plusieurs manoirs situés à Ruillé-sur-Loir sont bâtis sur une plate-forme fossoyée : elle est irrégulière à la Touche, quadrangulaire à Hauteville et au manoir de Laurière. L’implantation de la demeure seigneuriale témoigne plus ou moins de son ancienneté. Elle peut être proche du bourg, dont elle est une composante – c’est le cas à la Borde à Beaumont, Poillé à Marçon, le château de La Chapelle-Gaugain, la Cour à Ruillé – mais la plupart d’entre elles sont dispersées dans la campagne et soumises à la topographie. La Chenuère à Ruillé repose
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28 Maison dans le bourg de La Chapelle-Gaugain.
31 Château de la Borde à Beaumont-sur-Dême. Carte postale, 1er quart
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du xxe siècle.
à Ruillé-sur-Loir. 32 Portail du pavillon d’accès 30 Portail du potager des Hayes à Beaumont-
au jardin à la Marcellière à Marçon.
sur-Dême.
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sur un éperon qui domine un vallon où les eaux sont recueillies dans une série d’étangs. Les voies de communication associées à une rivière, comme la rive droite de la Dême entre Beaumont-sur-Dême et Marçon, jouent un rôle prépondérant. À partir de la fin du xve siècle, les maisons nobles sont souvent implantées à flanc de coteau, avec une exposition au sud, à l’abri du froid. Elles « voient » et elles sont « vues ». Elles sont adossées à une falaise de tuffeau dont elles ne sont séparées que par une cour souvent ombragée. Ce talus est creusé de cavités qui ont servi de carrière puis de communs : par exemple à Bénéhard et à la Jaille à Chahaignes, à la Marcellière et aux Roches à Marçon. Cette disposition implique la présence d’accès latéraux et un développement linéaire des constructions.
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À partir du xvie siècle, la fonction résidentielle l’emporte sur le rôle militaire et le château se pare de vastes communs et de jardins. Le parti de composition de la maison noble dont l’axe est parallèle au coteau s’enrichit d’un second axe perpendiculaire au premier, qui descend vers la rivière ou le ruisseau. Les cas les plus spectaculaires se rencontrent au château de Poncé, à Bénéhard à Chahaignes, à la Marcellière à Marçon ou encore à la Gidonnière à Lhomme. Tous ces édifices ont trois niveaux : rez-de-chaussée, étage et comble. Les créations ex nihilo dans un seul programme sont rares (Poncé) : le plus souvent, l’organisation des espaces a été progressive. Au manoir de
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Laurière à Ruillé, la tentative pour régulariser le manoir n’a pas effacé la déformation du plan d’ensemble : l’entrée de la plate-forme fossoyée flanquée de deux pavillons n’est pas dans l’axe de la porte du logis, ce qui pourrait signifier que le remaniement (ou la reconstruction) du logis était prévu et a été interrompu. À la Marcellière, remaniements et adjonctions ont toujours conservé son homogénéité à la demeure, ce qui la rend difficile à analyser et à interpréter. Certaines constructions sont inspirées de grands modèles : l’escalier droit rampe-sur-rampe du château de Poncé est ainsi souvent rapproché de celui d’Azayle-Rideau, en Touraine. Certains éléments du château de Bénéhard, du manoir de la Marcellière ou de celui des Hayes ont pu trouver leur source dans les modèles gravés des Règles générales de l’Architecture et du Livre extraordinaire du théoricien italien Sebastiano Serlio (1475-v. 1554).
DU XIX E SIÈCLE À LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE : L’EXPANSION
Le nouvel essor de l’Église catholique Au début du xixe siècle, les églises paroissiales, un temps désacralisées, ont retrouvé leur fonction mais elles sont en mauvais état, par manque d’entretien ou abandon. Avec le Concordat de 1801 elles sont devenues la propriété des communes, qui ont l’obligation de les entretenir et de rétribuer le curé, qu’il faut également (re)loger. Il s’agit donc pour les municipalités de financer et pour la fabrique de gérer les réparations et les réaménagements des lieux de culte encore entourés du cimetière médiéval, au cœur du village. Pour le clergé catholique, curés et vicaires de paroisse, il s’agit de contribuer aux réfections et d’y associer les paroissiens dans le cadre du grand mouvement de reconquête de l’Église catholique. Les presbytères sont rachetés par les municipalités, parfois tardivement au cours du xixe siècle, comme celui de Beaumont-sur-Dême. Les travaux dans les églises s’échelonnent sur plusieurs décennies à partir de la Restauration (1814-1830). Seule la commune de La Chartre-sur-le-Loir fait bâtir une église paroissiale ex nihilo en 1830, en raison de la démolition de l’église médiévale Saint-Vincent. Ailleurs, les chantiers se limitent aux éléments périphériques des églises. Plusieurs sacristies sont (ré)édifiées. Quelques clochers jugés en mauvais état ou trop volumineux sont relevés, à Ruillé-sur-Loir et à Lhomme. Les charpentes sont réparées, protégées par des lattis de bois, parfois par des voûtes en pierre ou en plâtre. Les objets mobiliers liturgiques sont remplacés en très grand nombre. Dès 1820, deux nouveaux autels-retables latéraux sont installés dans l’église Saint-Blaise de La Chapelle-Gaugain. Comme partout en France, ce nouveau mobilier et les statues qui l’ornent sont achetés sur des catalogues de fabricants en série, telle la maison Raffl à Paris. À partir de 1840, dans un mouvement commun à toute la vallée du Loir, des curés érudits redécouvrent des peintures murales longtemps oubliées sous des badigeons. À La Chapelle-Gaugain et à Poncé-surle-Loir, les décors peints médiévaux mis au jour dans la nef et le chœur ont connu des fortunes variées : recouvrement définitif, relevé et copie, création d’un nouveau décor inspiré d’autres édifices, restauration et classement de l’édifice au titre des monuments historiques… Le phénomène fut identique à Saint-Pierre-du-Lorouër, dans la Sarthe, à Montoire, Saint-Jacques-des-Guérets et Trôo dans le Loir-et-Cher. Tous ces travaux ont permis de regarder de plus près les églises paroissiales, ce qui a conduit à les étudier et à développer une conscience patrimoniale locale.
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Un autre fait notable à partir de la décennie 1840 est le nouvel essor de l’art du vitrail. Les grands travaux paroissiaux sont l’occasion de renouveler presque intégralement des ensembles de verrières disparus depuis le xvie siècle ou fortement dégradés. Les verrières sont commandées aux maîtres verriers des principaux ateliers sarthois, tourangeaux et parisiens : Eugène Hucher, directeur de la Fabrique de vitraux du Carmel du Mans ; Küchelbecker et Jacquier au Mans ; François Fialeix, installé en famille à Mayet, dans la vallée du Loir ; Joseph-Prosper Florence, beau-frère de Lobin, à Tours, Julien Fournier à Tours, Delon et Loubens à Paris. Ces vitraux sont le plus souvent datés et signés, à la différence des plus anciens. Ils sont commandés tardivement, entre le dernier quart du xixe et le début du xxe siècle. Le choix de vitraux-tableaux, plutôt que de vitraux archéologiques présentant une succession de médaillons, comme au Moyen Âge, favorise une iconographie très lisible, avec des personnages de grande taille ou des scènes faciles à identifier. Les verrières étant commandées une à une, il n’y a aucun programme iconographique d’ensemble. La nouvelle église conventuelle de la
Providence à Ruillé-sur-Loir fait exception en 1858, avec plus de deux cent cinquante mètres carrés de verrières représentant cent quatre-vingt-quatre personnages ou scènes, réalisés par la Fabrique de vitraux du Carmel du Mans d’après la commande de l’abbé René Lottin. De manière générale, l’iconographie glorifie la Sainte Famille, le saint patron de la paroisse ou du donateur, saint Julien et saint Martin. Elle s’inscrit dans son temps en relayant les apparitions de la Vierge à Bernadette Soubirous, à Lourdes. Certaines verrières similaires, comme celles qui figurent la présentation du Sacré Cœur de Jésus à Marguerite-Marie Alacoque, à Chahaignes et à La Chapelle-Gaugain, révèlent que les artisans travaillaient en série mais avec des variantes. Par ailleurs, un mécénat de notables perdure : à Poncé-sur-le-Loir, Alexandre Quetin, directeur des moulins de Paillard, et le vicomte Léopold de Nonant, propriétaire du château, financent les verrières de Küchelbecker et Jacquier ; à Beaumontsur-Dême, madame Le Faucheux, de la Marcellière à Marçon, offre la verrière de l’apparition mariale de Lourdes par Hucher. Dans sa reconquête des fidèles, l’Église catholique reprend également ses missions de soin aux malades, d’aide aux pauvres et d’enseignement aux jeunes gens. Religieux et aristocrates font appel aux sœurs de la Charité Notre-Dame d’Évron, dans la Mayenne, pour venir faire la classe aux filles, par exemple au manoir de Sainte-Croix à Lavenay en 1821, puis à La Chartre-sur-le-Loir au milieu du xixe siècle. Deux curés lancent des initiatives locales qui connaissent un fort retentissement. À Ruillé-sur-Loir, sous la Restauration, le père Jacques-François Dujarié fonde la congrégation des Sœurs de la Providence et l’Institut des Frères de Saint-Joseph. À La Chapelle-Gaugain, en 1880, le père Frédéric Delaroche permet l’établissement des Sœurs franciscaines servantes de Marie dans un couvent dont il finance la construction. Ces communautés font élever au cœur du village de vastes ensembles, dont l’évolution explique aujourd’hui l’existence de maisons de retraite et d’un lycée professionnel d’enseignement privé.
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39 Tabernacle d’un autel
41 Verrière en l’honneur
secondaire. Église Saint-
de l’abbé Jacques-François
Vincent de La Chartre-
Dujarié. Église Saint-
sur-le-Loir.
Pierre-et-Saint-Paul de Ruillé-sur-Loir.
40 L’Enfance du Christ, verrière de la Fabrique de vitraux
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42 Couvent des sœurs
du Carmel du Mans, 1858.
franciscaines servantes
Église conventuelle
de Marie à La Chapelle-
de la Providence
Gaugain. Carte postale,
à Ruillé-sur-Loir.
1er quart du xxe siècle.
PATRIMOINE EN IMAGES 43
« La Chartre, qui fut jadis une position militaire couverte par un château fort, est plus qu’un centre de commerce rural, enrichi par la culture de la vigne produisant des vins réputés dans le pays et méritant mieux que cette gloire locale. […] Le Loir est utilisé pour l’industrie, ses eaux donnent le mouvement aux 1 000 broches de la filature de coton de Crouzilles, située à 1 500 mètres en aval de La Chartre et employant 130 ouvriers. Sur la rive droite du Loir, les pentes qui regardent le débouché de la vallée de la Veuve donnent les meilleurs vins de la Sarthe […]. » Victor Ardouin-Dumazet, Voyage en France, Paris-Nancy, t. I, 1898.
VILLE ET BOURGS La Chartre-sur-le-Loir Les vestiges d’un habitat troglodytique attesté jusqu’au xxe siècle se trouvent principalement rue de Châtillon et au hameau des Caves ; des percements irréguliers dans le coteau, par ailleurs instable, le rappellent —4. La petite ville médiévale s’est reconstruite sur elle-même durant l’Ancien Régime. On repère deux maisons du xvie siècle rue SaintNicolas, avec murs en moellons enduits et pignons découverts ou pignon en pan de bois, et des adjonctions du xviiie siècle —1. La place de la République —2, les rues Nationale, Saint-Nicolas et de la Madeleine —3 concentrent l’habitat reconstruit à partir du xviie siècle. Il s’agit de maisons établies sur un parcellaire en lanières, présentant un mur gouttereau à deux travées en rive de rue. Ces maisons bénéficient soit d’une cave troglodytique, soit d’un accès à la rivière. L’accès à la cour était latéral, mais beaucoup de passages entre les maisons ont été fermés depuis le xixe siècle. Plusieurs maisons conservent côté cour une tour horsœuvre abritant un escalier en vis. Cette configuration a perduré jusqu’au xixe siècle, pour des raisons d’espace. Dès le xviie siècle, la quasi-totalité du bâti est en pierre de taille de tuffeau, à la différence de celui des villages avoisinants où, jusqu’au début du xixe siècle, la construction était en moellons de silex et de calcaire enduits. Le nombre de maisons à décor néoclassique (corniches à gros modillons, chaînes lisses et harpées) est important. À partir du milieu du xixe siècle se développent la construction de maisons mitoyennes alignées sur la rue et celle de maisons de notables en prolongement du cœur historique du bourg, non mitoyennes, en retrait de la rue, avec davantage d’espace pour les communs, la cour et le jardin.
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PATRIMOINE RELIGIEUX ÉGLISES PAROISSIALES
Poncé-sur-le-Loir, église Saint-Julien
Neuf églises paroissiales forment le cœur des bourgs. Sept d’entre elles sont marquées par deux grandes périodes de construction : les xie et xiie siècles, et de la fin du xve au début du xviie siècle. Six d’entre elles conservent des vestiges de peintures monumentales dont la réalisation s’échelonne du Moyen Âge au xixe siècle. Exceptionnelles et fragiles, elles rappellent combien la spiritualité et la pensée s’exprimaient puissamment sur la pierre.
Implantée sur le coteau, l’église domine la vallée du Loir —1. Cette église romane reprise et restaurée présente un plan de type basilical et conserve du xiie siècle la nef, les bas-côtés, le chœur et l’abside en cul-de-four. Dans la nef, les massifs de pierre recevant les grandes arcades, ornés de motifs en dents de scie, sont cantonnés de colonnes à chapiteaux sculptés en tuffeau, tous différents et caractéristiques du xiie siècle : ils portent des palmes, des feuilles d’eau, des têtes de monstres, des animaux affrontés ou adossés —2. Au xiiie siècle, l’église reçoit une nouvelle charpente, dont la toiture recouvre uniformément la nef et les bas-côtés, ce qui estompe la fonction des baies hautes de la nef. Au xve siècle, une chapelle seigneuriale remplace l’absidiole sud. Une tour-clocher de plan carré en pierre de taille est élevée. À la fin du xixe siècle, deux grandes campagnes de travaux modifient l’église dans le style néogothique puis néo-roman. Les travaux sont menés à partir de 1883 par l’architecte Ferdinand Travaillard, de Saint-Calais, puis par l’architecte des monuments historiques Henri Laffilée, en 1891, date du classement de l’église à la suite de la découverte sous l’enduit, par le curé Emmanuel Toublet, de peintures romanes monumentales. Dans la nef, le décor historié organisé en deux ou quatre registres date de 1160-1170 —3. Il s’agit de cycles courts, dont le sens de lecture varie, mettant en parallèle l’Ancien et le Nouveau Testament et des scènes militaires médiévales : Faute d’Adam et Ève, Offrandes de Caïn et Abel, cycle des mages, Fuite en Égypte —4, Enfance du Christ, parabole du pauvre Lazare et du mauvais riche, Résurrection du Christ, Bataille contre Kerboga de la première croisade (détail —5). Sur le mur ouest se déploie Le Jugement dernier. La technique est mixte : la peinture a été réalisée sur enduit frais et terminée à sec. Henri Laffilée fait mettre au jour, restaurer et relever les peintures. Dans le reste de l’église, invoquant un état de conservation médiocre, il obtient l’autorisation de créer un décor peint néo-roman qu’il signe et date. Dans l’abside, il peint La Vision de saint Jean à Patmos : le Christ en majesté, entouré des symboles des quatre évangélistes, est encadré des douze apôtres. (cl. MH 1891)
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ÉGLISES PAROISSIALES Lhomme, église Saint-Martin Elle fut associée jusqu’à la Révolution française à un prieuré simple de chanoines réguliers de Saint-Augustin dépendant de l’abbaye Notre-Dame de Vaas. Le mur nord de la nef présente un petit appareil de moellons de calcaire et de silex caractéristique du xie siècle, tandis que l’abside semi-circulaire au chevet de l’église date du xiie siècle —2. Les deux chapelles latérales, dédiées à la Vierge du Rosaire au nord —1 et à saint Joseph au sud, ont été adjointes entre 1646 et 1654. L’église porte l’empreinte de la famille de Courtoux, active à Lhomme et à La Chartre au xviie siècle. Une litre funéraire, un écu dans la pierre et un tableau d’autel (voir page 75) rappellent son souvenir. Au sud du chevet, à côté de l’abside, la chapelle de plan rectangulaire, couverte d’un toit à croupe, qui abrite aujourd’hui la sacristie, a été commandée en 1844 par la comtesse Cécile-Rose de Nonant, propriétaire du château de la Gidonnière. En 1905, l’ancien clocher sur la nef est détruit au profit d’une tour-clocher faisant également office de porche, dessinée par l’architecte Auguste Ricordeau (1872-1949), du Mans. Ce dernier était déjà intervenu à l’église paroissiale de Beaumont-sur-Dême en 1897-1898. En 2017, des sondages ont mis au jour des peintures monumentales des xvie et xviie siècles. On distingue deux scènes : saint Nicolas et les trois enfants dans le saloir, ainsi que la Vierge et l’Enfant probablement issus d’une Fuite en Égypte —3. Sur des armoiries, peintes ultérieurement, apparaissent les trois roses des Courtoux —4. 1
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La Chapelle-Gaugain, église Saint-Blaise De l’église construite au xiie siècle subsistent l’abside en culde-four —2, le chœur liturgique et le mur sud de la nef. L’église est agrandie dans les premières décennies du xvie siècle jusque vers 1536. Elle est élargie par la reconstruction du mur nord et allongée par l’adjonction d’une travée à l’ouest, permettant d’ériger un clocher au côté d’un nouveau portail. La nef est élevée. Une chapelle seigneuriale est accotée au chœur, côté nord, et accessible par une porte ouverte dans le contrefort.
Cet agrandissement est probablement commandé par Louis II de Ronsard (1479-1544), père du poète Pierre de Ronsard, seigneur de La Chapelle-Gaugain et de la Possonnière à Couture, paroisse dans laquelle il fait également mener des travaux sur l’église. Sa qualité de chevalier de l’ordre de Saint-Michel explique la présence de la statue de l’archange dans une niche au-dessus du portail occidental, qui a reçu un décor d’époque Renaissance : cuir à enroulements, rinceaux, angelots —3. Le xixe siècle est celui des grands travaux. En 1840, des peintures murales d’époque romane sont découvertes dans l’abside mais, jugées en trop mauvais état, elles sont définitivement recouvertes. À la fin du siècle, le curé Frédéric Delaroche commande et finance la réalisation de peintures sur l’ensemble des parois intérieures de l’église ; elles sont dues à l’artiste manceau Louis Renouard et menées à bien entre 1891 et 1894. Le chœur reçoit un décor néo-roman inspiré des peintures des églises du Vendômois, autour de la figure du Christ en majesté surmontant les quatre fleuves du paradis. (insc. MH 2020) Jean-Louis Pesch, auteur et illustrateur des Aventures de Sylvain et Sylvette, a habité à La Chapelle-Gaugain. Il a dessiné l’église dans l’album no 20, Le Mystère de Castel-Bobèche (Fleurus, 1977) —1.
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ÉGLISES PAROISSIALES Chahaignes, église Saint-Jean-Baptiste L’église se trouve au cœur du village —1, au carrefour de la route principale et de la route menant à la forêt de Bercé. Elle est mentionnée au xiie siècle et a conservé une partie de ses murs anciens malgré le grand incendie qui ravagea le village en 1705. La nef actuelle, dans laquelle est encastrée la tour-clocher de plan carré, constitue le vaisseau unique de l’époque romane. La porte occidentale, en arc brisé finement mouluré, est une modification du xiiie siècle. À la fin du xve siècle, une porte nord portant la marque de la fin du style gothique flamboyant a été aménagée —2, et l’édifice a été allongé d’un nouveau chœur à chevet plat, consacré en 1500. Les parties hautes, charpentes et toitures, ont été entièrement reconstruites entre 1727 et 1733, d’après les comptes de la fabrique. L’église a été réaménagée avec des éléments mobiliers réalisés par des artisans manceaux et tourangeaux jusqu’en 1752 —3.
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Marçon, église Notre-Dame Cette église —1 est construite autour de 1100 : c’est alors un édifice de plan rectangulaire, éclairé par de petites baies hautes cintrées. Dans la seconde moitié du xiiie siècle, la porte occidentale est reprise, en arc brisé, et une porte similaire est percée dans le mur sud. À partir de la fin du xve siècle, l’église est considérablement agrandie. L’édifice originel devient la nef, allongée d’une travée à l’est. Un chœur à chevet plat est ajouté. Une chapelle nord (côté ouest) et une chapelle sud (la chapelle funéraire des seigneurs de Poillé) flanquent l’église, lui conférant un plan en croix latine. La consécration a lieu en 1500, comme à Chahaignes, ce qui témoigne d’un véritable mouvement d’agrandissement des églises au xvie siècle. Les travaux se poursuivent avec la mise en œuvre d’un bas-côté nord, daté de 1557, et d’une chapelle nord (côté est). Lors des guerres de la Ligue, en mars 1593, un détachement de l’armée royale pille Marçon et l’église paroissiale, dont les livres et registres baptismaux brûlent, puis attaque le château de Poillé. Entre 1764 et 1768, de grands travaux sont entrepris et financés par le curé Anselme Thomas Jallet de la Verrouillère. Julien-David Leroy, l’éminent théoricien de l’architecture grecque antique, fournit en 1790 le dessin du retable monumental néoclassique du chœur. Ce dernier est réalisé après l’épisode révolutionnaire et achevé en 1812 —2. Il forme un portique ionique composé de quatre colonnes qu’encadrent deux pilastres, tous cannelés, posé sur un stylobate de 1,50 mètre de hauteur. La peinture d’origine imitant le marbre a été retirée. Les entrecolonnements accueillent quatre statues en pierre dues au sculpteur manceau Jean-Baptiste Pecquet. La Vierge à l’Enfant en bois qui trônait au centre a été remplacée par un Christ en croix. (insc. MH 1927) 1
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TABLEAUX Issus de commandes et surtout de dons, les tableaux sont de qualité mais peu nombreux par rapport à la statuaire, prépondérante dans les églises en raison de l’activité intense des ateliers du Maine. Lié à la volonté de développer une piété plus intime et intériorisée, le thème de la remise du Rosaire est courant au xviie siècle et son iconographie particulièrement riche, codifiée et symbolique. Il donne lieu à des réalisations variées dans la vallée du Loir.
Marçon, La Vierge du Rosaire [avant restauration], restauré en 2021 Le tableau de Marçon, acheté par la fabrique vers 1684, est probablement la copie d’une œuvre de l’école française du xviie siècle. Pour Sylvain Kerspern, le style de la Vierge à l’Enfant témoigne de l’influence de Jacques Stella ou de Pierre Mignard —1. (insc. MH 1987)
Lhomme, La Vierge du Rosaire, par Delacroix ou de Lacroix Le tableau de Lhomme, du peintre Delacroix ou de Lacroix, actif à Château-du-Loir, s’ancre de manière exceptionnelle dans l’histoire locale. En effet, l’iconographie de ce tableau d’autel doit être associée à l’édification de la chapelle de la Vierge dans l’église paroissiale et à l’érection canonique d’une confrérie du Très Saint Rosaire à Lhomme, en septembre 1646. Dans la partie supérieure, la Vierge couronnée tenant l’Enfant Jésus est encadrée des médaillons des mystères du Rosaire. Un ange porte l’écu de la famille de Courtoux, un autre un écu présentant notamment les armoiries des Longueuil. Les commanditaires seraient ainsi Louis de Courtoux, seigneur de la Gidonnière, baron de La Chartre, et son épouse Geneviève de Longueuil. La Vierge et l’Enfant Jésus présentent chacun un chapelet, la première à saint Dominique de Guzman, le second à sainte Catherine de Sienne. Dans la partie inférieure apparaissent à gauche quatre prélats – un prieur dominicain, un évêque, un cardinal et le pape –, à droite la famille royale de France et son entourage en prière – Louis XIV et son frère Philippe de France, duc d’Anjou (tous deux portant couronne et manteau à fleurs de lys), le cardinal Mazarin et la reine-régente Anne d’Autriche. Ce tableau révèle combien le mécénat local a su répondre aux demandes de l’Église tout en insérant un témoignage unique sur Lhomme : on reconnaît à l’arrière-plan l’église paroissiale SaintMartin, le prieuré-cure avec la grange aux dîmes en pan de bois et, au loin, le château de la Gidonnière nouvellement construit —2. (cl. MH 1906)
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VITRAUX
Beaumont-sur-Dême, Charles de Foucauld
La Chapelle-Gaugain, Jésus Christ-Roi La fête du Christ-Roi a été instituée en 1925 par le pape Pie XI. Ce vitrail fut commandé en 1937 à Maurice Bordereau pour une mission. Issu d’une famille de maîtres verriers, installé à Angers en 1934, ce dernier introduit jusque dans le monde rural la géométrisation des formes et de nouveaux coloris, dans le style Art déco. Peintre verrier prolifique, il est appelé en 1949 à Ruillésur-Loir afin de réaliser de nouveaux vitraux pour la chapelle conventuelle des Sœurs de la Providence —1.
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Posé dans la décennie 1950, ce vitrail reproduit en majeure partie une verrière réalisée pour la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, à Paris, en 1948, d’après un carton du peintre belge Théodore Hanssen, alors que la procédure de béatification de Charles de Foucauld (1858-1916) était en cours. Ce dernier, ermite, géographe et aventurier, spécialiste de la culture touarègue, porte ici la bure blanche de l’ordre cistercien de la Stricte Observance, le Sacré Cœur rouge cousu sur la poitrine. En bordure du vitrail, les attributs rappellent qu’il était officier de cavalerie dans l’armée française avant de devenir prêtre. Béatifié en 2005, il sera canonisé en 2022 —2.
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PATRIMOINE FUNÉRAIRE ET COMMÉMORATIF
La Chartre-sur-le-Loir, butte de la Vierge : tour Jeanne d’Arc Érigée sur l’une des mottes féodales, la tour Jeanne d’Arc est un monument commémoratif de la Grande Guerre, répondant au vœu de survivants de la guerre de 1870-1871. Elle fut financée par une souscription cantonale lancée par Émile Marquet, propriétaire de la filature de Crousilles. Édifiée par deux maçons chartrains, Charles Taxil et son fils Émile, elle fut inaugurée le 19 juin 1921. À l’intérieur de la tour, la chapelle funéraire fut bénie par l’évêque du Mans, Mgr Georges Grente. Sur des plaques sont gravés les noms de quatre cent dix-neuf soldats du canton, morts pendant l’une des deux guerres mondiales, à la guerre d’Indochine ou à la guerre de Corée. Surplombant la tour, la statue de Jeanne d’Arc (canonisée en 1920) est l’œuvre du sculpteur Léo Roussel, dit Léon. Elle a été façonnée en plaques de fonte de fer par Antoine Dufilhol, fondeur d’art à Tusey (Meuse) —4.
Chahaignes, cimetière : tombe militaire Comme ceux de Lhomme et Poncé-sur-le-Loir, le cimetière de Chahaignes conserve une tombe collective pour les soldats tombés sur le territoire de la commune durant la guerre francoprussienne de 1870-1871, dans le cadre de la loi du 4 avril 1873 relative à la conservation des tombes des soldats morts pendant ce conflit. Sur une parcelle acquise par l’État, la tombe est entourée d’une grille en fonte sur laquelle a été apposé un cartouche portant la mention « Tombes militaires. Loi du 4 avril 1873 », selon un modèle réglementé —3.
Marçon, place de l’Église : monument aux morts En application de la loi du 25 octobre 1919, le conseil municipal commande un monument aux morts en pierre de Lavoux (Vienne) au sculpteur Georges Delpérier, installé à Tours. Il fut inauguré le 21 mai 1922. C’est un monument pacifique qui rappelle que l’Éducation favorise la Paix : le Poilu est encadré par un garçonnet portant cartable et béret et par une fillette lui offrant des fleurs. Ces trois figures, en particulier celle du Poilu, ont été utilisées pour d’autres ensembles commémoratifs dans la Sarthe (notamment à Dissay-sous-Courcillon et au Lude) et en Indre-et-Loire —5.
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CHÂTEAUX, MANOIRS ET DEMEURES La vallée du Loir concentre un grand nombre de sites seigneuriaux établis en pied de coteau, avec des logis reconstruits après la guerre de Cent Ans. Les plus anciens tiennent une position stratégique au sommet des versants du Loir, ce qui leur permet de surveiller la vallée. Le plus souvent, la demeure est construite sur une terrasse et tire parti d’une exposition ensoleillée et de la protection du coteau. Selon l’espace disponible, le logis est parallèle ou perpendiculaire au talus. Dans ce dernier cas, que l’on rencontre à la Jaille (autour de 1580) à Chahaignes —1, la cour dégagée facilite l’accès aux dépendances, adossées au coteau ou troglodytiques. Le château ou le manoir tel qu’on le voit aujourd’hui – remanié, diminué ou augmenté au fil des siècles – peut comprendre un mur d’enceinte, un ou plusieurs portails d’entrée, des cours, le logis, des communs souvent troglodytiques, une chapelle et une fuie, des écuries et des dépendances agricoles. Châteaux et manoirs étaient entourés de jardins utilitaires (potagers, vergers, garenne) et d’agrément. En l’absence de prospection archéologique, seules les traces matérielles, comme les portails en pierre des potagers, et quelques rares documents, peuvent nous renseigner sur les jardins d’Ancien Régime.
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Ruillé-sur-Loir, château de la Chenuère Comme Poncé, la Chenuère relevait de la baronnie de Lavardin, dans le Vendômois. Au xve siècle, le domaine passe des Vendôme à la famille de la Châtaigneraie, qui fait probablement reconstruire le logis. Vers 1600, Henri de Berziau, écuyer, secrétaire des commandements d’Henri IV, est seigneur de la Chenuère et de la Marcellière à Marçon. En 1675, FrançoisMichel Le Tellier, marquis de Louvois, ministre de Louis XIV, époux d’Anne de Souvré, marquise de Courtanvaux à Bessé, achète les fiefs de la Chenuère, Saint-Georges de la Couée, Saint-Siviard et Douvres. La Chenuère passe ensuite, par alliance, aux familles de Montesquiou-Fezensac. Délaissé après avoir été affermé, le château est mis au goût du jour de 1905 à 1907 dans le style néogothique par Legrand, architecte à Paris, pour Jeanne de Cessac et son époux Oscar de Reinach : installation d’un perron, reprise des baies de la tour d’entrée, création de deux hautes lucarnes, d’épis de faîtage et de boiseries intérieures. Une porterie et de nouveaux communs sont également construits. Un jardin d’agrément est aménagé ou restitué devant le logis, et un parc paysager créé autour de l’étang avec une île. Situé au nord de Ruillé-sur-Loir, vers la route de Poncé à SaintFraimbault, sur un territoire vallonné et boisé, le château surplombant les sources de la Gabrone est accessible par une longue allée qui dessert à l’est les communs et la porterie, et au-delà les métairies des Quelleries et de Beaulieu. L’édifice est composé de deux corps de logis formant un L, à pignons découverts, flanqués de cinq tours rondes. Il présente un étage de soubassement réservé au service, un rez-de-chaussée, un étage carré et un étage de comble —2. L’élévation nord-est est percée de bouches à feu de type canonnières à la française. La tour centrale, en façade postérieure, contient un grand escalier en vis en pierre accessible depuis l’intérieur du logis.
CHÂTEAUX, MANOIRS ET DEMEURES
Le site présente un ensemble de jardins classés et labellisés Jardin remarquable® par le ministère de la Culture. Construite en 1830 par l’entrepreneur Jean-Baptiste Travers pour Amédée Leconte de Nonant, en hommage posthume à son épouse, la Terrasse Caroline est formée d’un mur de soutènement et une monumentale fabrique de jardin —5 ondulant sur trois niveaux entre l’église et le château. Le parti pris stylistique troubadour se manifeste par les nombreuses ouvertures en arc brisé, les quadrilobes en pierre et le décor sommital. L’emploi de la brique rouge est particulièrement original à cette époque dans la vallée du Loir.
Château de Poncé Le château se développe en pente douce depuis le pied du coteau de l’église paroissiale jusqu’au Loir. Le logis est une demeure plaisance —4 consécutive à un transfert de siège de seigneurie depuis les Roches de Poncé, achevée en 1544 pour Jean V de Chambray, seigneur de Poncé, Hauteville, Durbois, porte-guidon des cent hommes d’armes du grand sénéchal gouverneur de Normandie, panetier ordinaire du roi. Comme Bénéhard à Chahaignes et Laurière à Ruillé-sur-Loir, Poncé figure parmi les quelques demeures présentant des caractéristiques stylistiques de la Première Renaissance dans cette partie de la vallée du Loir. Poncé apporte des innovations touchant tant les élévations que le décor. La recherche de symétrie, le quadrillage complet des façades par le renforcement des lignes horizontales et verticales, les motifs ornementaux en encadrement des baies et les frontons des lucarnes témoignent ici d’un renouvellement de la construction. L’aile ouest ne fut terminée qu’en 1805. En 1895, le château est vendu au comte de Partz, propriétaire de la Flotte à Lavenay. En 1924, il est acheté par le médecin Charles Latron, qui obtient son classement au titre des monuments historiques en 1928 et le fait restaurer par Julien Polti, architecte en chef des monuments historiques.
Dans le pavillon central, l’escalier droit rampe-sur-rampe, en pierre de taille de tuffeau, est remarquable par son décor sculpté. Chacune des six volées est surmontée d’une voûte ornée de caissons : voûte plate pour les trois premières, voûte cintrée pour les trois dernières —3. Les caissons de cinq des six voûtes (celle de la première volée faisant exception), soit cent trente-six caissons au total, sont sculptés. Quatre types de motifs sont récurrents : le décor végétal, qui est majoritaire, le décor emblématique royal (plusieurs salamandres couronnées, un dauphin couronné) et seigneurial (blasons des seigneurs de Poncé, postérieurs à la réalisation d’origine), le décor mythologique (avec quelques copies de célèbres plaques de bronze du graveur italien Moderno [1467-1528]) dont Hercule et le Lion de Némée —1, thème repris sur un autre caisson —2. Cet escalier, qui présente dans sa forme et son décor des affinités avec ceux des châteaux d’Azay-le-Rideau (Indre-et-Loire) et de Villers-Cotterêts (Aisne), antérieurs d’une ou deux décennies, pose la question de la diffusion des modèles depuis les chantiers du Val de Loire et du milieu de la Cour. (cl. MH 1928,1989 et 1999, insc. MH 1996, site classé 1946)
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CHÂTEAUX, MANOIRS ET DEMEURES Lavenay, château de la Flotte Au xve siècle, Thomine de Villiers apporte la Flotte aux du Bellay en épousant Jean du Bellay (1445-1522). Le château est reconstruit et presque achevé au milieu du xvie siècle. En 1648, Catherine Le Vayer de Lignerolles, veuve de René II du Bellay, dame d’atours de la reine, installe quelques camaldules à l’ouest du château et les dote de bois, de terres et de vignes. L’enclos comprend la chapelle Notre-Dame de Consolation de la Flotte, quelques cellules, une cour et un jardin. En 1767, les religieux, soupçonnés de jansénisme, doivent quitter la Flotte pour rejoindre les camaldules de Saint-Gilles de Bessé. La Flotte fut un très grand château. Sa composition d’ensemble était sophistiquée, comme le révèle le plan du voyageur et érudit Roger de Gaignières, levé à la fin du xviie siècle —1. Le plan montre que les bâtiments s’organisent autour d’une cour d’honneur (dite « cour du château ») et d’une basse-cour. Implanté sur le rebord de la plate-forme, le corps de logis présente, d’est en ouest, en rezde-chaussée, une salle avec accès à l’escalier en vis hors-œuvre, une chambre avec garde-robe et cabinet, une salle projetée dite « à bâtir ». À l’est, une galerie couverte le relie à une aile de service en vis-à-vis qui sépare la cour d’honneur de la basse-cour. Elle est composée d’une cuisine, d’un vestibule traversant assurant le passage entre les deux cours, d’une boulangerie avec four à pain, d’une très petite salle, d’un espace ouvert et d’une grange à foin.
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Dans la basse-cour, une aile de communs adossée au coteau, dit « montagne », abrite une bergerie, une écurie et une grange à blé. Au-delà, un escalier permet de monter au potager situé sur le coteau. À l’est de cet ensemble, la chapelle Saint-Jean-Baptiste et un petit logement sont précédés d’une avant-cour. À l’ouest s’étend la forêt percée de deux allées menant chez les camaldules. Le 11 septembre 1741, le domaine de la Flotte est vendu par Emmanuel, marquis de Hautefort, à Joseph Gabriel Le Coigneux, chevalier, seigneur de la Roche Turpin, capitaine au régiment de dragons de Vibraye. À partir de 1838, Albert Ferdinand Eugène de Fesques, marquis de La Rochebousseau, et son épouse Marie Léontine Colbert de Maulévrier font entreprendre d’importants travaux et orner le château dans un style néogothique. La tour occidentale est transformée en chapelle, consacrée dès 1838. L’aile de service est rasée. Le logis se retrouve isolé sur la plate-forme devant une vaste cour —2. Prenant en compte le grand paysage de la vallée du Loir, l’architecte – probablement Pierre Félix Delarue – aménage sur la façade sud un balcon qu’il encadre de deux tours. Un second balcon porté par un porche est ajouté côté cour. Les baies sont régularisées et ornées. De hautes lucarnes en pierre sont créées, renforçant la verticalité des lignes architecturales. Les communs conservés en fond de domaine sont remaniés et ordonnancés avec des baies couvertes d’un arc en plein cintre —3. En 1900, de nouvelles écuries en pierre de taille sont édifiées à l’est —4. Un récent défrichage de la végétation a mis en évidence les vestiges des constructions situées dans le prolongement des communs, visibles sur le plan de Gaignières.
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CHÂTEAUX, MANOIRS ET DEMEURES Lhomme, château de la Gidonnière Le premier seigneur connu est Jehan de Breil, qui acquiert la Gidonnière en 1399. Le logis central actuel —1 a probablement été construit dans le deuxième quart du xviie siècle par Louis de Courtoux, seigneur de la Gidonnière depuis 1623, puis baron de La Chartre. Le logis, la fuie circulaire à l’ouest et les communs en fond de cour figurent sur le tableau La Vierge du Rosaire (1646) de l’église paroissiale de Lhomme (voir p. 75). La chapelle de plan circulaire, à l’est du logis, est mentionnée au xviiie siècle. En 1817, la Gidonnière est acheté par la comtesse Cécile-Rose de Nonant, marquise de Raray, dont le fils Amédée possède le château de Poncé. À partir de 1859, la marquise du Prat fait agrandir le logis par Pierre Félix Delarue, architecte départemental très actif. Le corps de logis du xviie siècle est encadré par deux imposants pavillons et entièrement rhabillé d’un quadrillage losangé de
briques rouges et de pierre. Il est orné de médaillons, non pas en l’honneur des seigneurs de la Gidonnière, mais des ancêtres de la famille Prat – le chancelier Antoine du Prat (1463-1535) —2, premier président du parlement de Paris, chancelier de France, cardinal, légat du pape, son fils Guillaume du Prat (1507-1560) —3, évêque de Clermont – et en hommage à François Ier et à sa mère Louise de Savoie. Des lions héraldiques encadrent les armes des Prat, que surmonte la couronne de marquis —5. La fuie est aménagée en logement, la chapelle prend une allure néogothique. L’exceptionnel ensemble de communs à étage —4 situé à l’arrière du château et au-devant de l’ancienne basse-cour est en partie en place depuis le Moyen Âge. Dans la partie de droite, à l’est, subsistent en effet les vestiges d’un logis antérieur à celui du xviie siècle. L’étage a été réaménagé, probablement dès le dernier quart du xviiie siècle. L’ensemble a été allongé et la façade reprise lors de l’agrandissement du château, à partir de 1859. Dans ces communs subsiste une cuisine pourvue d’une cheminée monumentale et d’un grand « potager » (fourneau) —6. Au xixe siècle, les jardins sont plusieurs fois modifiés et recomposés. Une grande pelouse en lieu et place d’anciens parterres ouvre aujourd’hui la vue sur le parc arboré.
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CHÂTEAUX, MANOIRS ET DEMEURES Beaumont-sur-Dême, logis du Pont dit Prieuré de Vauboin L’étude dendrochronologique a permis de dater de l’automnehiver 1622-1623 l’abattage des chênes utilisés pour l’escalier et la charpente. Le logis a été construit pour Germain Le Clerc, fermier du prieuré de Vauboin, qui est voisin. Au xviiie siècle, le Pont consiste en « bâtiments logeables, grange, caves [troglodytiques], pressoir, cour, jardin, chenevrail, terres labourables, vignes, prés, noues, taillis et pastureaux ». Le logis a été construit, de manière inhabituelle, perpendiculairement au coteau —3 ; la façade antérieure est axée sud-ouest. Son gabarit est similaire à celui du manoir de Laurière à Ruillé-surLoir. Il présente un rez-de-chaussée, un étage carré, un comble à surcroît avec une charpente à chevrons formant fermes couverte d’un toit à longs pans. Chaque niveau comporte une chambre à feu et une pièce plus petite. Une cage en pan de bois dans-œuvre contient l’escalier en vis en bois, à double main courante sur le noyau, comme à Laurière. Au pignon ouest du comble, percé d’une baie d’envol semicirculaire, on compte quinze trous de boulins correspondant à un pigeonnier intérieur, comme il en existe un au manoir de SainteCroix à Lavenay. Depuis 1991, le propriétaire aménage des jardins d’une grande originalité. Au pied du logis qu’arrose un filet d’eau sont disposés un verger de cerisiers, un potager, un cloître et un labyrinthe —1, 3, formant l’hortus conclusus de Vauboin. Sur le coteau en pente, Thierry Juge sculpte en permanence des centaines de buis au gré de son inspiration et de sa culture musicale, chorégraphique, littéraire, mythologique ou historique —2. L’ensemble est labellisé Jardin remarquable® par le ministère de la Culture depuis 2014. Il a été récompensé par le prix de l’art des jardins de la fondation Signature et par le grand prix des jardins EBTS (European Boxwood and Topiary Society) France en 2020.
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DEMEURES D’AGRÉMENT Au xixe siècle, les bords du Loir deviennent des lieux d’agrément de plus en plus prisés des notables, qui y développent une architecture de villégiature. La manière d’habiter donne davantage d’importance à la vue sur le parc, la rivière, le paysage.
Marçon / La Chartre-sur-le-Loir après 1908, Bois-Hunault Aux xviie et xviiie siècles, les Percheron sont sieurs de Vauhunault, Crousilles et Bergirault. Au xixe siècle, le vocable Bois-Hunault remplace celui de Vauhunault. Jean-Baptiste Chevallier, juge de paix, fait édifier la demeure actuelle en 1835. Établi en retrait de la route menant de La Chartre-sur-le-Loir à Marçon, dans un cadre boisé et jardiné, le logis surplombe le Loir. Il masque des communs en retour d’équerre, une cour et un parc aménagé à l’arrière sur la pente. Audelà de la route, les propriétaires bénéficiaient d’un accès privilégié à la rivière, où ils se promenaient en barque, comme le montrent les photos de William Gustave Lemaire prises à la charnière des xixe et xxe siècles —4, 5. Correspondant de L’Illustration, W.G. Lemaire (1848-1928) réalisa de précieuses campagnes photographiques de « châteaux » en France, et notamment dans la vallée du Loir à Marçon, à Poncé, à Lavenay et au Grand-Lucé. En 1911, le baron Maurice Pinoteau fait restaurer et agrandir la demeure par la construction d’une aile à deux travées en décrochement, sur les plans d’un architecte de Paris qui signe Ch. Lacroix. Bois-Hunault se distingue des demeures de la vallée du Loir par son élévation à trois niveaux, dont un attique, et son toit plat à l’italienne, masqué par une balustrade. Le logis présente également les caractéristiques du style néoclassique de l’époque, avec travées, chaînes d’angle harpées, corniche à modillons, baies couvertes d’un arc en plein cintre au rez-de-chaussée, rectangulaires à l’étage —6.
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MAISONS DE TYPE VILLÉGIATURE
Lavenay, Pont-de-Braye
Construite en tuffeau, la maison est agrémentée d’une tourelle d’escalier polygonale couverte d’un toit à l’impériale, évoquant l’architecture des casinos et des hôtels de bord de mer —1.
La maison dite Villa des Magnolias a été construite en 1921 pour Louis Murit, charpentier et marchand de bois, propriétaire de la scierie du moulin de la Flotte. La toiture débordante avec aisseliers, le soubassement imitant la pierre meulière, l’enduit bleu grisé à la tyrolienne, la polychromie et le garde-corps en ciment caractérisent cette architecture à la manière de la villégiature —3.
La Chartre-sur-le-Loir, avenue des Déportés
Chahaignes, la Source
Cette maison d’angle en périphérie du bourg est achevée en 1911 pour Lamoureux de la Saussaye, médecin-major à Oran (Algérie). Portail, plan en L, toiture débordante avec aisseliers et lambrequin, alternance de brique et de pierre, décor losangé, entrée latérale protégée par un auvent, œil-de-bœuf : tout évoque l’architecture de plaisance de l’époque —2.
Caractéristique de l’architecture de villégiature francilienne avec les décrochements, la polychromie brique et pierre, la toiture débordante avec aisseliers et ferme apparente, la maison est construite sur l’ancien fief de la Guincinière, en 1897 sur les plans de Clovis Branchu. Cet architecte né à La Chartre-sur-le-Loir en 1851, décédé à Versailles en 1899, fut inspecteur des Bâtiments civils, attaché aux travaux du palais de Versailles. Une plaque lui rend hommage dans l’église de Lhomme —4.
Poncé-sur-le-Loir, rue des Coteaux
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Marçon, la Croix-Boisée
La Chartre-sur-le-Loir, rue de Syke
La demeure a été réalisée en 1911 pour François Édouard Bouger, propriétaire, épicier à Paris, par l’entrepreneur local H. Fusil, sur les plans de l’architecte Georges Louis Arthur Dommée (Chahaignes, 1861 - Saint-Nazaire, 1943). Entourée d’un parc doté d’une porterie, d’un belvédère et d’un château d’eau, la demeure de plan massé rassemble les caractéristiques de la villégiature de type « castel » – pavillon, tourelle d’angle couverte d’un toit conique, parement alternant brique et pierre – tout en présentant des éléments modernes comme la vérandaterrasse et le décor en céramique —5.
La maison dite Clair Logis a été édifiée ex nihilo en 1934 par Émile Fouquet, architecte à Château-du-Loir, pour Léon Bataille, minotier puis usinier, propriétaire des Grands Moulins de La Chartre, situés tout près de là. L’ensemble est clos par un muret portant le même revêtement que la maison et ponctué de portails. Le parement de la maison en fait toute l’originalité. L’entrée du rez-de-chaussée, conçue comme un porche, est accessible par un escalier en tuiles. Le béton enduit de silex apparents traités comme la meulière, la bichromie de la pierre, les encadrements structurants, le toit à demi-croupes brisées, les charpentes débordantes et les aisseliers, l’asymétrie, signent la référence à l’architecture de la villégiature —6.
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FERMES
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Les métairies et les bordages ont représenté la quasi-totalité de l’habitat rural jusqu’au xxe siècle. Sur ce petit territoire, plus de neuf cents fermes ont été recensées, environ trois cent cinquante fermes isolées (Chahaignes, Gobiane —2) et deux cent cinquante écarts constitués de quelques fermes, (Lhomme, Borde Beurre —1). Leur implantation constitue un maillage irrégulier, révélateur de la qualité des terres labourables. Les fermes illustrent la lente évolution de la construction rurale sur cinq siècles. S’il reste quelques logis et étables de la fin du xve siècle et de l’Ancien Régime, les granges ont presque toutes disparu. Tous les bâtiments ont subi d’importantes modifications qui ajoutent à la complexité de la lecture : baies remaniées, menuiseries rénovées, souches de cheminées en pierre relevées en briques, bardeaux de chêne des toitures remplacés par des ardoises ou des tuiles plates puis mécaniques. Les fermes sont aujourd’hui constituées d’une succession de bâtiments plus ou moins ordonnés, autour d’une cour toujours ouverte : logis en rez-de-chaussée, grange, étable, toit à porcs voire hangar et remises agricoles. On recense d’une part le type « bloc à terre en longueur » (logis, grange et étable sous le même faîte), qui se met en place à la fin du xviiie siècle, et d’autre part le type logis-étable issu de l’Ancien Régime ou le logis seul caractéristique du xixe siècle, dissocié des dépendances agricoles. Les fermes qui restent en activité, soit moins de dix pour cent du corpus, sont environnées de grands hangars agricoles. Les dépendances anciennes, trop petites, ne sont presque plus utilisées. Les autres fermes, soit la majorité du corpus, ont été transformées en résidences principales ou secondaires, avec des bâtiments d’exploitation à l’abandon ou reconvertis.
Lhomme, le Haut du Tertre Cette petite ferme a été allongée et agrandie à différentes époques. La partie ouest (à gauche sur la photo) est la plus ancienne : le logis conserve des poteaux de bois, ce qui permet de le dater de la fin du xve ou du xvie siècle. Cette structure caractéristique, qui était associée à une élévation en pan de bois hourdi de terre et de paille, n’est plus visible qu’à l’intérieur car elle a été couverte de moellons ultérieurement. Ce phénomène a été systématique dans les campagnes. Devant la façade, le bord du toit est relevé par un coyau en bois —3.
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FERMES
Beaumont-sur-Dême, rue de la Vallée du Bourgneuf
Ruillé-sur-Loir, Douvres
Cet ensemble établi perpendiculairement au coteau est représentatif des agrandissements successifs que la plupart des fermes ont connus. Il comprend un logis ancien, prolongé par un second logis daté de 1762, auquel a été accolé à la fin du xixe siècle un hangar agricole. En face, la grange-étable également en brique porte la date de 1899. En fond de cour, le coteau calcaire a été maçonné et les ouvertures des caves troglodytiques dotées d’encadrements en brique —3.
Implantée sur un haut coteau, cette ferme était une métairie du château de Courtanvaux (Bessé-sur-Braye). Elle présente un logis dissocié des granges-étables, dont les caractéristiques sont celles d’une construction du xvie siècle : gabarit massif, pignons découverts, charpente à chevrons formant fermes —1.
Ruillé-sur-Loir, la Bouchetière Ce logis fut probablement repris au xviiie siècle, puis allongé au xixe siècle. Les baies, comme toujours en façade principale uniquement, ont été modifiées. À l’intérieur, une échelle de meunier monte au comble, emplacement atypique pour ce type de circulation. Au pignon nord, sous l’appentis, la petite soue ou toit à porcs est surmontée d’une ouverture pour loger la poule ; l’échelle d’accès a disparu —2.
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Ruillé-sur-Loir, la Pâquerie L’analyse dendrochronologique a permis de dater la cloison intérieure de 1712 —4 mais la maison pourrait être un peu plus ancienne. Les réfections et la reprise en pierre de taille —5 du xixe siècle brouillent la chronologie des différents éléments. Le logis comprend une pièce à cheminée à l’ouest, séparée d’une pièce froide à l’est par une cloison en pan de bois sur solin maçonné. La grosse poutre de la pièce principale repose sur un poteau de bois auquel elle est reliée par un aisselier. Le sol est dallé. L’accès au comble se fait par une ouverture (qui n’est pas d’origine) dans le pignon est, à l’opposé de celui de la cheminée. La charpente présente des pannes reposant sur des encoches réalisées dans les entraits —6.
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GRANGES ET ÉTABLES
Chahaignes, la Grande Métairie
Les quelques granges de l’Ancien Régime qui subsistent étaient généralement associées à des domaines seigneuriaux ou ecclésiastiques comme le manoir de Crousilles ou le prieuré-cure de Lhomme. Elles sont de grand gabarit.
Cette grande grange (en partie détruite en 2018) d’une ferme qui appartenait au château de Bénéhard date probablement du xviiie siècle —3. La charpente présente un assemblage à mi-bois – le bois est entaillé seulement sur un côté, et non assemblé au centre comme avec les tenons et les mortaises – qui pourrait résulter d’une survivance médiévale —4. Ce type de structure, exceptionnel dans le corpus, a également été observé dans une ferme voisine.
Beaumont-sur-Dême, la Tricotière Cette grange-étable fait partie d’une ferme située sur le plateau des Bois de Saint-Julien, toponyme qui renvoie à la grande abbaye bénédictine Saint-Julien de Tours, dont dépendait un prieuré à Beaumont-la-Chartre. Elle relève d’un modèle architectural extérieur à la vallée du Loir. Couverte d’un toit à croupes, elle présente des chaînes harpées sur les quatre faces, ce qui peut aider à la dater de la fin du xviie ou du xviiie siècle —1.
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Marçon, la Guenairie La grange de la ferme de la Guenairie, proche d’un ancien gué, est atypique par sa mise en œuvre en pan de bois hourdé de torchis sur un haut solin maçonné, comme celle du manoir de Laurière à Ruillé-sur-Loir. La structure à pannes de la charpente, avec entraits et faux entraits, faîtière et sous-faîtière en contreventement, est identique à celle de la Tricotière. La grange peut dater du xviiie siècle —2.
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GRANGES ET ÉTABLES
Lhomme, la Montjoie
Il subsiste un très grand nombre de granges-étables du xixe siècle. Le modèle courant est celui de la grange présentant une grande porte centrale encadrée de portes latérales ouvrant sur les étables à vaches et à chevaux, surmontées de fenils pour engranger la nourriture des bestiaux.
Cette grange-étable est un modèle soigné de la seconde moitié du xixe siècle, ordonnancé et symétrique —1. Elle est construite avec des matériaux locaux et traditionnels : calcaire et silex en moellons, enduits à chaux et à sable, tuffeau pour les chaînages et la corniche. Elle porte la date d’achèvement de sa construction, 1871. Le hangar agricole à gauche sur la photo a été ajouté ultérieurement.
Lhomme, les Bouleaux Ce vaste bâtiment agricole du xixe siècle, en pierre de taille de tuffeau, avec niches d’aération —2, conserve l’aménagement d’une étable à vaches et à chevaux de travail —3, 4, avec les râteliers pour la distribution du foin et les stalles divisant l’espace.
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PATRIMOINE DE LA VIGNE ET DU VIN L’activité séculaire liée à la vigne et au vin a laissé de nombreuses traces dans le paysage. Dans chaque commune, des centaines de caves ont été creusées dans le coteau pour entreposer le raisin, produire du vin, ranger les fûts et les bouteilles. Un cavier est un ensemble de caves organisées autour d’une cour ouverte, bénéficiant éventuellement d’un point d’eau et accessible par un chemin de terre. À Ruillé-sur-Loir, à proximité des vignes, en surplomb du hameau de Dauvers établi auprès du ruisseau éponyme, le cavier de Dauvers compte une vingtaine de caves aménagées dans le coteau, fermées par des portes en planches —1. Le territoire compte d’autres caviers de ce type, parfois sur plusieurs niveaux, comme aux Jasnières à Lhomme, aux Roches ou à Vaugermain à Chahaignes. L’entrée des caves était maçonnée et le tuffeau, voire la brique, encadraient les portes à claire-voie, munies d’une serrure. La cave troglodytique abritait le pressoir. Elle était équipée à l’entrée d’une cheminée destinée à faire chauffer l’eau pour nettoyer les fûts, les bouteilles, le pressoir, et parfois d’un point d’eau (le Présidial à Chahaignes —2).
Ruillé-sur-Loir, les Gauletteries
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À Ruillé-sur-Loir, aux Basses Touches, une vaste cave à vin a été aménagée dans l’entre-deux-guerres dans un ensemble de carrières d’extraction du tuffeau par Jules Bommer (1903-1985). Il créa une sorte de « taverne de Bacchus », avec une collection de crus à déguster et un aménagement faisant une large place à l’humour. Le lieu fut baptisé les Gauletteries —3. Jules Bommer présida par la suite les festivités de la Saint-Vincent à Ruillésur-Loir. Aujourd’hui, la cave se visite mais il ne reste aucune bouteille ancienne.
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PRESSOIRS Logé dans une cave troglodytique, ce pressoir, qui était probablement le pressoir banal de Bénéhard, est le dernier qui subsiste de l’Ancien Régime autour de La Chartre-sur-le-Loir. Il s’agit d’un pressoir à long fût, avec levier et vis latérale, en chêne —4. Il mesure huit mètres de long, plus de trois mètres de haut et trois mètres soixante-dix de large. Modifié et réparé au cours du temps, restauré en 1991, il est en état de fonctionnement. Un système de treuil fait tourner la vis pour abaisser le levier qui écrase le raisin. Ce pressoir est du même type que celui que le peintre et dessinateur néerlandais Lambert Doomer (1624-1700), en voyage sur les bords de la Loire entre Nantes et Angers vers 1670-1675, représenta sur un dessin intitulé Le Pressoir de Monsieur Dittyl près de Nantes —5.
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