Décors de fête

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___ Dossier Décors de fête ­ ___

– Éditorial ___Bernard Renoux, photographe-auteur 05

– La fête ou la recherche de l’intensité d’être ___David Le Breton, professeur de sociologie à l’université de Strasbourg 06

– Décors éphémères et continuités festives ___Laurent Sébastien Fournier, professeur à l’Université Côte d’Azur

303_ no 171_ 2022_

__ Sommaire

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– Pour la plus grande gloire de Dieu : tentures de fête à Angers ___Étienne Vacquet, conservateur des Antiquités et Objets d’art du Maine-et-Loire 18

– Des fleurs et des géants. Histoire du corso fleuri de Saumur ___Véronique Flandrin-Bellier, attachée de conservation du patrimoine 24

– À bord des paquebots, oublier la mer… ___Tiphaine Yvon, historienne de l’art 30

– Tournez manèges ! Quand la fête foraine investit la ville ___Sévak Sarkissian, architecte urbaniste 36

– Tilt ___Bernard Renoux 44

– La nuit, décor de fête ___Frédérique Letourneux, journaliste 52

– L’enfer du décor ___Éva Prouteau, critique d’art et conférencière 58

– Jours de fêtes ___Loïc Daubas, architecte 64

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– Transfert, de la friche à la ville David Prochasson, journaliste

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___ Carte blanche ­ ___

– Artiste invité : François Prost ___ 75 79

– After party Éva Prouteau

___ Chroniques ­ ___

– Échos / Décors de fête ___Élodie Derval, François-Jean Goudeau, David Prochasson, Éva Prouteau 82

– Salle des fêtes, sale défaite ? ___Loïc Daubas 84

– Où sont les femmes ? ___Éva Prouteau 88

– Des géographies à peine inventées ___Alain Girard-Daudon, libraire 92

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– Brèves Henri Landré, Daniel Morvan, Louis Raymond

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Dossier Décors de fête _________________

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Dossier Décors de fête / Éditorial / Bernard Renoux / 303

Éditorial __

Bernard Renoux Un jour nous nous sommes dit : « Et si on changeait de décor ? Si on faisait la fête ? » Débutant notre périple à Laval, nous avons d’abord pris la route qui enjambe la Mayenne par le pont Aristide Briand, scintillant de mille éclats en décembre : un émerveillement, ces projections sur le Château-Neuf et dans les rues de la vieille ville, à l’occasion des Lumières de Laval. Nous avons ensuite filé à Angers, assister en bonne place au Grand Sacre. Dans la foule disciplinée, nous nous sommes joints au cortège, empruntant les rues cernées de tentures suspendues aux façades qui mènent à la cathédrale Saint-Maurice avec les saints, martyrs, évêques et miraculés de tissu comme témoins de notre passage. Puis une autre fête, un autre décor, de métal et de feu, de crânes et de zombies : les diableries du Hellfest, qui inquiétèrent tant au début la population de Clisson, nous ont ravis, avec leur atmosphère à la fois infernale et débonnaire – et la bière qui coulait à flots. C’est sur un paquebot quittant Saint-Nazaire, vers 1920 ou 2020, que notre périple se prolongea en dîners, spectacles, danse et jeux au casino dans les audacieux décors de ce théâtre flottant. De retour à terre, notre désir d’émotions pures fut comblé par une grande roue de fête foraine, au Mans, d’où le regard portait loin sur la cité. Quel vertige ! Nous nous sommes mis la tête à l’envers dans les manèges virevoltants, avant de musarder entre les attractions à sensations et les stands de tir, nous frayant un chemin parmi les parfums sucrés de la barbe à papa, les cris et de lumières. C’est sous une pluie de confettis que nous nous sommes retrouvés à Saumur pour assister au défilé de la mi-carême. Perchées sur des chars fleuris, souriantes, la reine et ses dauphines saluaient la foule d’un lent balancement de la main. Suivaient les majorettes, maniant le bâton avec habileté au rythme de la fanfare municipale. Comme les fleurs délicates de papier crépon des chars, vouées à disparaître, Transfert, la ville-décor provisoire de Rezé, fut notre nouvelle halte entre la Loire et la quatrevoies qui mène à la mer. À la faveur de la nuit, nous sommes passés en « zone libre d’art et de culture », happés par une mâchoire d’acier qui ouvre sur une friche industrielle plantée d’immeubles-containers, avec un bateau et un bus échoués : un univers à l’abri des réalités, inspiré de visions post-apocalyptiques. Là même où autrefois, dit-on, on abattait des milliers d’animaux, l’ambiance est à toutes les pratiques artistiques et on peut boire un verre dans la nuit qui contribue au décor. Nous avons quitté les rives de la Loire pour aller voir, plus au sud, des gladiateurs s’affronter, des quadriges se défier dans l’arène du Puy du Fou. Tout paraissait tellement vrai : les joutes, les hordes de Huns, la menace viking, le choc des épées et la fureur des flammes... Pour achever ce périple, un dancing un peu perdu : la lumière tamisée, l’orchestre, un slow… Nous ne nous sommes rien interdit, tout comme ce numéro qui explore tous les décors de la fête, réveillant les lieux et les émotions.

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La fête ou la recherche de l’intensité d’être __

David Le Breton ___ La condition humaine ne se résume nullement aux impératifs sérieux de la reproduction sociale, au travail ou aux routines qui scandent le quotidien.Toutes les sociétés ont besoin d’un exutoire qui leur permettra de vivre des moments hors des contraintes quotiennes. ___ Les sociétés travaillent, cultivent, chassent, pêchent, élèvent des animaux, mais également chantent, dansent, jouent, usent d’alcool ou de drogues pour entrer dans un autre monde : les activités festives sont inhérentes à l’humanité. Elles diffèrent d’un temps et d’un lieu à l’autre, elles sont sous l’égide d’une région, d’une culture, d’une époque, mais des points de convergence les réunissent. Même les sociétés les plus sérieuses ménagent des moments de respiration, une sorte de relâche dans les représentations sociales habituelles1. La fête est un temps opposé à celui de la vie ordinaire, elle contraste avec le défilé attendu des jours. Les obligations sont suspendues. Elle relève d’une logique autre que celle du quotidien, elle est un temps d’exception, et en ce sens d’ailleurs elle ne peut durer, elle impose un retour à la norme. Elle est à elle-même sa propre fin. Célébration de l’instant dans l’oubli des tracas actuels, elle ne se soucie pas du lendemain, elle apporte souvent la prodigalité, l’insouciance. Les attentes mutuelles se relâchent, une marge de manœuvre parfois considérable s’ouvre soudain loin des impératifs moraux du quotidien. Dans les versions les plus radicales de la fête, ce sont des moments de « dérèglement de tous les sens », à travers l’effervescence du groupe. Parlant du carnaval qui saisissait avant la Seconde Guerre mondiale Alexandrie de son vertige pendant trois jours et trois nuits, sous l’anonymat du domino de velours noir, Lawrence Durrell écrit : « Sous ce travesti un homme se sent libre de faire tout ce qu’il veut sans qu’aucune censure vienne s’interposer. Les crimes les plus purs de la ville, les plus tragiques méprises, sont les fruits annuels du carnaval, tandis que la plupart des aventures sentimentales débutent ou prennent fin au cours de ces trois jours et trois nuits où nous nous sentons délivrés du joug de la personnalité, du servage de notre moi2. » Quand la fête implique le déguisement, c’est-à-dire le fait de ne plus courir le risque d’être reconnu et de se livrer dès lors à des actions impensables à visage découvert, toutes les censures intérieures tombent, et un monde s’ouvre à une liberté que plus rien ne borne. Mais les autorités civiles ou religieuses tolèrent mal ces effervescences populaires rendues possibles par le masque et la suspension des exigences d’identité pendant le temps des réjouissances collectives. Dans l’Égypte d’aujourd’hui, de telles festivités sont impensables à tous égards. De même, le carnaval transgressif du Moyen Âge a été peu à peu éliminé par la bourgeoisie et l’Église.

___ 1. Voir Jean Duvignaud, Fêtes et civilisations, Paris, Actes Sud, 1992. ___ 2. Lawrence Durrell, Balthazar, Paris, Livre de poche, 1959, p. 332.

< Pendant la pendémie de la Covid 19, face à la fermeture des clubs, des fêtes techno non autorisées sont organisées partout en France, ici dans le bois de Vincennes à Paris. © Photo Jacob Khrist / Hans Lucas.

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Défilé fleuri sur le thème des plaisirs, 1969. Char Bercé par la houle du quartier des Ponts. © Photo Christian Percereau.

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Des fleurs et des géants Histoire du corso fleuri de Saumur

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Véronique Flandrin-Bellier ___ Cité du cheval, Saumur peut aussi s’enorgueillir de son ancien corso fleuri (1948-1990), transformé en festival international des géants et des masques (1992-2018). Une longévité rendue possible par la volonté de son comité des fêtes et de trois générations de bénévoles. ___ Célébrations de la Rome antique, les Lupercales sont souvent désignées comme étant à l’origine des pratiques carnavalesques apparues en Europe au xie siècle. Devenu un rituel festif annonçant la fin de la longue saison hivernale et le réveil de la nature à l’approche du printemps, le carnaval s’inscrit dans une organisation sociétale où le temps est un marqueur d’activités. En imposant un calendrier des périodes grasses et des jours maigres, le christianisme a joué un rôle important dans la fixation temporelle des fêtes carnavalesques. Celles-ci sont autorisées entre l’Épiphanie et Mardi gras, veille du mercredi des Cendres et début de la période de carême. Pause dans les privations et le jeûne, la Mi-Carême se célèbre aussi par un carnaval. Rio, Venise, Nice, Binche et Dunkerque, des lieux qui nous viennent naturellement en tête lorsque l’on évoque la tradition carnavalesque. Beaucoup plus modestement et un peu partout en France, des villes créent leur carnaval ou leur corso fleuri à vocation charitable, à partir des années 1870-1880. Le phénomène est relancé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Saumur a suivi elle aussi cette tendance.

L’héritage de l’École de cavalerie À Saumur, la fête de rue trouve son origine à l’École de cavalerie, implantée dans la cité depuis 1825. Ses élèves poursuivent la tradition des fêtes ouvertes à la population, inaugurée par le régiment des carabiniers présent entre 1763 et 1788. Travestis, ils défilent dans les rues à l’occasion de la Saint-Georges, de la Sainte-Barbe ou de la Mi-Carême. Le plus ancien défilé costumé militaire dont on ait gardé trace est la fête de charité de la Mi-Carême 1803 organisée par le 1er régiment de hussards, en garnison à Saumur. Six chars décorés défilent sur le thème de l’entrée du marquis de Saint-Lambert, militaire, philosophe et poète, aux Champs Élysées1. Créé en 1899, un comité des fêtes composé de commerçants et de jeunes notables organise des fêtes charitables, notamment des bals parés et masqués le dimanche précédant le Mardi gras ou lors de la Mi-Carême. Quelques grandes cavalcades font la joie des Saumurois, notamment celle du 16 mai 1909, qui a la particularité d’avoir accueilli le magnifique char de la reine de Paris.

___ 1. Auteur du poème Les Saisons (1769), une référence de la poésie descriptive du xviiie siècle.

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Tournez manèges !

Quand la fête foraine investit la ville

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Sévak Sarkissian ___ En revenant régulièrement, au moins une fois par an, la foire crée l’événement. Avec son ballet d’attractions colorées, ses lumières, ses odeurs et ses musiques, elle anime – parfois de manière renversante – le quotidien des villes qui la reçoivent. ___ Au cinéma1, dans la littérature2 et la bande dessinée3, la fête foraine vient fréquemment bouleverser le cours ordinaire de la vie. Pendant plusieurs jours ou quelques semaines, elle installe au cœur de la ville un décor éphémère. Principalement composé de manèges et de stands, celui-ci est animé par des professionnels qui apportent un peu de rêve et de plaisir aux visiteurs. La fête procure de nombreuses émotions et des souvenirs. Elle est propice à la joie et à l’émerveillement, mais aussi à la surprise, à l’étrange, voire à la magie… et à l’horreur ! La fiction accentue volontiers ces aspects, pour imaginer des histoires fantastiques ou effrayantes, qui débutent une fois les portes de l’attraction franchies. La réalité paraît plus calme et plus raisonnable, même si elle comporte son lot d’imprévus. Populaires, les fêtes foraines sont des événements attendus4 et reconnus. Elles parlent des villes qui les accueillent et pourraient figurer sur la liste de leurs principaux monuments : la Foire du Trône à Paris, Saint-Romain à Rouen, aux Plaisirs à Bordeaux5, Saint-Martin à Angers… Preuve de leur dimension culturelle et patrimoniale6 ? Dans la capitale, la plus vaste foire de France ne tire pas son nom de la pelouse de Reuilly, en lisière du bois de Vincennes, où elle se déroule en avril et mai depuis 1964 : elle doit sa dénomination à l’avenue et aux deux colonnes de la barrière du Trône7, à l’est de la place de la Nation, de part et d’autre de l’axe historique d’entrée dans Paris. Une « Foire au pain d’épices » s’y est tenue pendant des décennies, avant d’être déplacée hors la ville. Manifestement, elle dérangeait le voisinage. Les fêtes foraines itinérantes évoquent aussi des moments particuliers de l’année. Elles annoncent les beaux jours au Mans et à Saumur, puis l’été le long de la côte, à Guérande, Saint-Gilles-Croix-de-Vie, Luçon, L’Aiguillon-sur-Mer… La rentrée est célébrée à Châteaubriant et à Laval. À Nantes, sur les cours Saint-André et SaintPierre, la fête de printemps revient aussi en septembre, pour une édition d’automne. Saison également fêtée à Cholet et La Roche-sur-Yon. D’autres précèdent la période des festivités de fin d’année ou y participent : à Angers en novembre, à Rennes et Saint-Nazaire en décembre. Toutes incarnent un moment important dans la vie et l’animation de la cité. Elles inscrivent le passage du temps dans la ville. En scandant l’année et en revenant à dates fixes, le festif et l’événementiel suscitent le désir et l’attente, plutôt que la satisfaction immédiate et permanente.

___ 1. Guillermo del Toro, Nightmare Alley, 2021. ___ 2. Stephen King, Joyland, Albin Michel, 2014. ___ 3. Léo Malet et Jacques Tardi, Cassepipe à la Nation, Casterman, 1996. ___ 4. Jacques Tati, Jour de fête, 1949. ___ 5. Place des Quinconces. ___ 6. En 2021, « la culture vivante de la fête foraine et l’art des forains » ont fait l’objet d’un dossier de candidature pour figurer sur la liste représentative du Patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. ___ 7. De l’architecte Claude-Nicolas Ledoux.

< Évolution, manège à sensations de type pendule, à la foire Saint-Martin d’Angers, 21 novembre 2004. © Photo Ville d’Angers, Thierry Bonnet.

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La nuit, décor de fête __

Frédérique Letourneux ___ La nuit permet d’échapper aux contraintes du jour. Comme si tout devenait possible. Danser et faire la fête jusqu’à l’aube. Sans penser à rien d’autre. ___ « La nuit je mens Je prends des trains à travers la plaine La nuit je mens Je m’en lave les mains. » Alain Bashung, La nuit, je mens

Il est 19 h. Les terrasses de café se remplissent. Des éclats de voix retentissent. Pour beaucoup, c’est la fin de la journée, du moins celle du travail. Les premiers verres qui s’entrechoquent marquent la fin de « l’empire de la ville de jour1 » et laissent entrevoir la promesse d’une nuit festive. « La fête est l’habitante de la nuit, même si elle ne lui est pas réductible. Il y a une variété de formes festives et, bien sûr, il y a aussi des fêtes diurnes. Pour autant, ce cycle jour/nuit est une modalité qui souligne bien cette rupture avec le quotidien recherchée par la fête. La fête est, par essence, inscrite dans un espace et un temps donnés, avec un début et une fin. Entre ces deux balises, tout est possible. Dans la temporalité d’une fête nocturne, chaque temps est d’une densité inégale. Il y a des moments avec une plus grande effervescence que d’autres », souligne l’anthropologue Emmanuelle Lallement, qui a fait des pratiques festives son principal objet d’investigation2. Pendant la crise sanitaire, le couvre-feu (à 18 h, 19 h puis 20 h) visait précisément à contrôler ce point de bascule pour limiter les sociabilités festives. Si certains se sont contentés d’« apéros Skype », d’autres ont continué de se retrouver dans des fêtes plus ou moins informelles. Emmanuelle Lallement parle d’une « pulsion festive », besoin anthropologique qui « renvoie à la nécessité universelle du rassemblement festif et pacifique que connaissent toutes les sociétés humaines3 ». Durant ces longs mois d’une vie sous Covid, la fête s’est réinventée dans les parcs ou dans la rue, en bas de chez soi, avec une table, des tréteaux et des chaises… Avec toujours ce besoin revendiqué d’être ensemble, de faire corps.

Un espace-temps de la transgression Dans nos sociétés, la nuit n’est pensée que comme un envers du jour : « La plupart des nuits se déroulent sans expérience nocturne parce qu’elles se règlent sur le jugement du jour […]. Une “bonne nuit” est une nuit où l’on dort pour pouvoir veiller tout au long de la journée qui suivra, ou une nuit où l’on veille pour travailler en vue du lendemain », écrit Michaël Foessel dans son livre La Nuit. Vivre sans témoin4. Cette opposition renvoie certes au fait que nous sommes des animaux diurnes et donc

___ 1. Luc Gwiazdzinski, « Extension du domaine du jour. La nuit, nouveau champ de conflits et d’invention urbaine », dans La nuit en question(s), 2017, p. 183-201. ___ 2. Emmanuelle Lallement a coordonné le numéro « Éclats de fête » de Socioanthropologie, no 38, 2018. ___ 3. Emmanuelle Lallement, « Au bal masqué ? Comment la distanciation sociale réaffirme la nécessité de la fête », AOC, 1er juin 2020. ___ 4. Michaël Foessel, La Nuit. Vivre sans témoin, Autrement, 2017.

< La fête à Toto, Transfert 2018, Rezé (Loire-Atlantique). © Photo Chama Chereau.

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L’enfer du décor __

Éva Prouteau ___ Festival indépendant devenu l’un des plus importants de France, le Hellfest investit des sommes substantielles dans son identité scénographique. En disposant d’un site d’implantation à l’année, il possède un avantage déterminant pour mettre en place des décors ambitieux. ___ Singularisation Dès 2008, Ben Barbaud, fondateur du Hellfest, travaille à singulariser l’esthétique de son festival : en 2012, l’organisation déménage vers un nouveau site, le Champ Louet, d’anciens terrains viticoles loués à l’année par l’association. Peu à peu se développe une identité visuelle typique du branding, plan stratégique à long terme visant à renforcer en permanence la reconnaissance du festival. Un parc de sculptures, une tyrolienne géante, une grande roue de fête foraine, du mobilier dédié à l’esthétique Métal, des feux d’artifice mémorables et de multiples effets pyrotechniques intégrés aux infrastructures : aujourd’hui, en une seule image, tout le monde ou presque peut identifier la marque Hellfest.

Circuit court Sur la question du décor, les processus créatifs des festivals diffèrent : par exemple, le design de Tomorrowland1 est réalisé en interne par l’équipe du festival sous la supervision de son directeur créatif, qui s’appuie sur sept designers et douze employés à temps plein à la production. La fabrication est ensuite confiée à des tiers. Le design du Hellfest, lui, est en grande partie sous-traité : « Nous imaginons des visuels et des ambiances, et listons nos besoins. Nous émettons ensuite des appels d’offres. Puis on réunit les plasticiens pour préciser nos demandes. Une fois les projets sélectionnés et budgétés, on achète les matières premières, on salarie les décorateurs (une soixantaine de personnes), et ensuite on construit », explique Ben Barbaud2. La plupart des artistes et collectifs sollicités ont un ancrage local ou étendu au Grand Ouest. L’esprit est à la fidélisation : les artistes collaborent fréquemment plusieurs années d’affilée, avec pour conséquence un effet de cohésion accru dans l’esthétique globale de la manifestation.

Gibson tellurique Le sculpteur bordelais Jean-François Buisson fait partie des collaborateurs historiques. On lui doit la guitare géante (dix mètres de haut) posée à l’entrée du festival, une Gibson Les Paul tellurique qui semble sortir de terre pile au centre du rond-point du

___ 1. Tomorrowland est le plus grand festival dance du monde, invitant chaque été les stars de l’électro à se produire dans un univers très scénographié à Boom, en Belgique. ___ 2. Olivier Richard, « Les festivaliers envoyés dans le décor », Libération, 8 avril 2016.

< Le H du Hellfest, logotype signé du graphiste Thomas Boutet, alias Mush. Derrière, les décors avec la grande roue et le mobilier identifiable du Hellfest. © Photo Gaël Hervé.

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