Gilles Barbier

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TRAVAILLER LE DIMANCHE

Entretien avec Gilles Barbier, réalisé par Marie Dupas lors de la préparation de l’exposition « Travailler le dimanche » à la HAB Galerie, février 2021.

Commençons non pas par le A, mais par le Dé, celui qu’un jour, une vingtaine d’années après le fabuleux roman de Luke Rhinehart qui vous était je crois très cher, vous avez décidé de lancer ce qui déterminera, près de trente ans plus tard, l’œuvre inachevable des Pages du dictionnaire. Pourriez-vous, Gilles, revenir sur The Game of Life / Le Jeu de la vie que vous réactivez pour l’exposition à la HAB Galerie et sur cette étendue abyssale de possibilités de création qui s’offrit à vous lors de sa première version en 1992 ? Faire le récit de ces années, celles du début des années 1990, reste une entreprise trouble et fascinante. À ce moment-là, il s’est passé tant de choses dans ma vie que je ne sais jamais par quoi commencer. C’était très excitant, mais cet assemblage intellectuel et plastique que je commençais à construire ne tenait qu’à un fil. Je crois n’avoir poursuivi dans cette voie que grâce à une sérieuse dose d’immaturité et d’insouciance. Grâce aussi sans doute à ma grande capacité de travail et une certaine disposition à l’entêtement... Je dois ajouter que, pour finir de dresser ce portrait d’ensemble, pour un procrastinateur de mon espèce, le travail présente une urgence absolue. Sans la possibilité de s’y noyer, sans la rigueur et les rythmes du travail, sans ses rituels, sans le souffle, les choses prennent une tournure dépressive et la vie, le réel et le temps sombrent dans des divagations sans fin, improductives et morbides. Heureusement, de sérieuses

et graves crises existentielles m’ont permis de saisir cela très tôt. Et de passer à autre chose, enfin je crois… On imaginera peut-être mieux, à la lumière de ces quelques considérations, combien il était (et reste) difficile pour moi d’appréhender une certaine idée de la cohérence, du style, de la démarche (même si ce terme est devenu terriblement ringard). Face au déroulé des grands artistes modernes et contemporains (Yves Klein fait des monochromes, Duchamp des ready made, Pollock des drippings, Lichtenstein des dots, pour Ad Reinhart c’est tout noir, Arman accumule, Villeglé décolle, et ainsi de suite…), j’étais désespéré. Je savais qu’il m’était absolument impossible de trouver le moindre « truc » qui pourrait m’identifier et me situer en tant qu’artiste, tout en fonçant tête baissée et ventre à terre vers un avenir que je ne concevais nulle part ailleurs qu’au sein du cœur radioactif de l’art. Il m’a donc fallu changer les règles. Inventer une physique et une chimie de l’art qui me soient favorables. L’idée d’exclure, d’isoler ou de déterminer pour arriver à l’essentiel m’était odieuse, impraticable. Le joli terme de retroscendance, façonné par l’écrivain britannique Will Self 1, me semblait plus excitant que celui de transcendance. En effet, je crois pouvoir affirmer que l’idée de l’art m’est fondamentalement indifférente. C’est comment on y parvient, sans jamais savoir si l’on y parvient, qui me passionne. Un paradoxe à la Zénon… Changer les règles suppose changer de carquois et y ajouter de nouvelles flèches, changer d’arc et redéfinir les termes de la cible, le corps de l’archer, la pression de l’air et la force du vent… Et la mettre un peu de côté ? Au sein 43


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WORKING ON SUNDAYS

Gilles Barbier in conversation with Marie Dupas during preparations for the exhibition ‘Travailler le Dimanche/Working on Sundays’, held at the HAB Galerie, February 2021.

Let’s start not with A but with D, for the dice you would roll one day, some twenty years after the wonderful novel by Luke Rhinehart, who was, I think, very dear to you, which almost thirty years later, would determine the unfinishable work, the Pages du dictionnaire. Would you feel like talking about The Game of Life/Le Jeu de la vie, which you are using again for the show at the HAB Galerie, and about that fathomless array of creative possibilities that offered themselves to you for its first version in 1992? Talking about those years, back in the early 1990s, is still a murky and fascinating undertaking. At that particular time, so many things were going on in my life that I never know where to start. It was all very exciting, but that intellectual and physical/visual assemblage that I was beginning to construct was barely hanging by a thread. I think I only carried on along that track because of a serious dose of immaturity and carefreeness. Probably also because of my great capacity for work and a certain inclination to stubbornness… I should add that, to finish drawing up this overall portrait, for a procrastinator like me, work has something absolutely urgent about it. Without the possibility of drowning in it, without the rigour and rhythms of work, without its rituals, without its inspiration, things take on a depressing turn, and life, reality, and time all founder in endless, unproductive,

and morbid ramblings. Luckily, I was able to grasp this at a very early stage, thanks to certain serious existential crises. And I managed to move on to other things… well, I think I did… In light of these few remarks, it will perhaps be easier to imagine how hard it was (and still is) for me to grasp a certain idea of coherence, style, and method (even if this term — démarche — has become awfully fuddy-duddy). Faced with the procession of great modern and contemporary artists (Yves Klein made monochromes, Duchamp made readymades, Pollock made his drip paintings, Lichtenstein his dots, for Ad Reinhart everything was black, Arman stacked things up, Villeglé unstuck things, and so on and so forth…), I was desperate. I knew that it was absolutely impossible for me to find the slightest tactic or trick that might identify me and situate me as an artist, as I forced on, head down, rushing towards a future which I could imagine happening nowhere else than within art’s radioactive heart. So, I had to change the rules. Invent a physics and chemistry of art which would help me. The idea of excluding, isolating, and determining things in order to reach the essence was something I hated, and it was not practical. The neat word retroscendence, coined by the British writer Will Self 1, seemed more exciting to me than transcendence. In fact, I think I can safely say that I am basically indifferent to the idea of art. It’s how you arrive at it without ever knowing if you’re getting close that really interests me. A Zeno paradox… Changing the rules presupposes changing quivers and adding new arrows, getting a different bow and redefining the terms of the 51


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GILLES BARBIER —

TRAVAILLER LE DIMANCHE Exposition du 22 mai au 26 septembre 2021 à la HAB Galerie, Nantes. Catalogue coédité par Le Voyage à Nantes et les Éditions 303, dans le cadre des Carnets du Voyage à Nantes. Édition bilingue français / anglais

LA SPL LE VoYAGE à NANTES Direction générale Jean Blaise Commissariat Marie Dupas Chargée de projet Le Voyage à Nantes Le Voyage à Nantes, SPL présidée par Fabrice Roussel, assure la promotion du dispositif culturel mis en place par Nantes et plus généralement de la destination Nantes Métropole. Son actionnariat rassemble Nantes Métropole, la Ville de Nantes, la Région Pays de la Loire, le Département de Loire-Atlantique, la Ville de Saint-Nazaire, les communautés de communes Estuaire et Sillon et Sud Estuaire et la communauté d’agglomération Clisson Sèvre et Maine Agglo. Le Voyage à Nantes gère, par délégation de service public de Nantes Métropole et le soutien de ses collectivités actionnaires : le Château des ducs de Bretagne, le Mémorial de l’abolition de l’esclavage, le Parc des chantiers, les Machines de l’île, la HAB Galerie et la collection permanente Estuaire Nantes <> Saint-Nazaire.

Le Voyage à Nantes remercie le CNAP, le Frac Picardie, le Frac Provence-Alpes-Côte d'Azur, le Frac Rhône-Alpes, le MAC VAL , le Muséum d'histoire naturelle de Nantes, la Galerie G-P & N Vallois et l’ensemble des collectionneurs pour le prêt de leurs œuvres.

Conception graphique et réalisation de la maquette Jean Depagne Impression Edicolor, Bain-de-Bretagne Papier Arctic Volume High White Typographies Sang Bleu Empire & Suisse Int’l

ÉDITIoNS 303 Espace Sèvre 12, boulevard Georges-Pompidou 44200 Nantes contact@editions303.com www.editions303.com Direction Aurélie Guitton Édition Carine Sellin Alexandra Spahn Diffusion Élise Gruselle Correction Philippe Rollet Traduction Simon Pleasance Correction langue anglaise Patricia Chen Photogravure Pascal Jollivet

Crédits photographiques © Martin Argyroglo Couverture Smiling Skull, Gilles Barbier, 2008, Courtesy Galerie G-P & N Vallois, Paris 4 e de couverture Dolly Prane, Gilles Barbier, 1997 Rabat intérieur Entre les articulations, le langage, Gilles Barbier, 2021 Les Éditions 303 reçoivent un financement de la Région Pays de la Loire. Les opinions exprimées dans les articles n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Toute reproduction même partielle est interdite. Dépôt légal : mai 2021 ISBN : 979-10-93572-61-1 © Le Voyage à Nantes et les Éditions 303, 2021 Tous droits réservés.

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