Chefs-d'oeuvre de la Renaissance Angers-Le Mans

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Chefs-d’œuvre de la Renaissance Angers – Le Mans



Chefs-d’œuvre de la Renaissance Angers – Le Mans p. 8

Avant-propos

p. 11

Tentures de chœur : un corpus unique

p. 25

— Laura Weigert

Les tentures religieuses d’Angers et du Mans

Témoignages exceptionnels de l’art parisien du début du xvie siècle

— Audrey Nassieu Maupas

p. 37

L’étude matérielle des tentures de chœur

p. 47

— Montaine Bongrand

Catalogue #1

Le trésor de tapisseries de la cathédrale Saint-Maurice d’Angers

— Anna Leicher, Catherine Leroi, Clémentine Mathurin, Étienne Vacquet

p. 73

Catalogue #2

Le trésor de tapisseries de la cathédrale Saint-Julien du Mans

— Pauline Ducom

p. 97

Catalogue #3

Objets choisis : chefs-d’œuvre en Maine-et-Loire, Mayenne, Sarthe

— Pauline Ducom, Estelle Géraud, Carole Hirardot, Anna Leicher, Marion Maine, Clémentine Mathurin, Anetta Palonka-Cohin

p. 118

Glossaire

— Marion Maine

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Troisième édition de Trésor de tapisseries, l’exposition « Chefsd’œuvre de la Renaissance » nous plonge à la toute fin du xve et au début du xvie siècle, au cœur des trésors des cathédrales d’Angers et du Mans. Les tapisseries présentées à cette occasion au château d’Angers illustrent la transition entre l’art du Moyen Âge et celui de la Renaissance. En effet, de nouveaux répertoires venus d’Italie traversent la frontière et intègrent progressivement les arts en France, sans que l’intérêt pour le gothique ne s’efface. Motifs gothiques et Renaissance se mêlent alors intimement. Cette période est marquée par le développement de nombreux ateliers et corporations. Paris devient un important centre de production de tapisseries, en raison d’abord de la présence de plus en plus fréquente de la cour dans la capitale mais également – et les deux faits sont liés – de celle d’artistes de grand talent et notamment de peintres cartonniers renommés. Le statut des artistes et artisans se modifie dans ce même élan, de nombreux ateliers de lissiers* sont attestés dans la capitale et plusieurs noms se démarquent dans la production textile. Parmi eux, l’artiste Gauthier de Campes doit être mentionné. Né en 1468, il exerce dans un premier temps dans les Flandres avant de s’installer à Paris en 1499. À cette période de sa carrière, il se concentre sur la production de cartons de vitraux et de tapisseries. Selon les publications récentes d’Audrey Nassieu Maupas, maîtresse de conférence à l’École Pratique des Hautes Études (Paris), plusieurs tentures majeures peuvent lui être rattachées : La Vie de saint Étienne (début du xvie siècle, musée national du Moyen Âge), La Vie de saint Jean Baptiste (1516, trésor de la cathédrale d’Angers), La Vie de saint Julien (début du xvie siècle, trésor de la cathédrale du Mans, musée du Louvre et collections privées), La Vie des saints Gervais et Protais (début du xvie siècle, trésor de la cathédrale du Mans), La Vie de saint Florent et de saint Florian (1524, église SaintPierre, Saumur et trésor de la cathédrale d’Angers), L’Histoire du Saint Sacrement (entre 1505 et 1518, château de Langeais et autres 10


lieux de conservation en France et aux États-Unis) ou La Vie de saint Remi (1531, musée Saint-Remi, Reims). Plusieurs de ces tapisseries tissées par l’atelier de Guillaume de Rasse, un lissier parisien, sont remarquables par leur grande qualité artistique. Quatre des sept tentures attribuées à Gauthier de Campes sont conservées en totalité ou en partie dans le trésor des cathédrales de la région des Pays de la Loire, à Angers et au Mans, constituant ainsi un corpus inédit rassemblé pour la première fois dans cette troisième édition de Trésor de tapisseries. L’œuvre de ce peintre de grand talent y sera mis en lumière, en dialogue avec divers objets d’art des premières décennies du xvie siècle, conservés dans le Maine-et-Loire, la Sarthe et la Mayenne. Ce corpus permet aussi d’évoquer les somptueuses tentures de chœur et l’usage qui en était fait pour orner les édifices religieux. Les premières décennies du xvie siècle, jusqu’en 1530, correspondent à l’apogée de la création des tentures de chœur. Cette typologie se caractérise par la hauteur réduite des tapisseries, qui permet leur exposition au-dessus des stalles*, par l’illustration de la vie des saints patrons des édifices pour lesquels elles sont commandées, par la représentation des donateurs mais aussi par des usages et fonctionnalités particuliers. Ces œuvres, intimement liées à l’édifice et à son mobilier – stalles, reliques… –, participent de ce fait à la liturgie et sont également à mettre en résonance avec d’autres formes de représentation plus populaires. Ce catalogue revient sur les plus beaux exemples de la production française de cette époque, conservés dans deux des principaux trésors de tapisseries de France. Cet événement est l’occasion de dévoiler des objets d’art récemment étudiés et restaurés.

* L es termes signalés ainsi dans l’ouvrage renvoient au glossaire, p. 118-120.

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Tentures de chœur : un corpus unique ______

ci-contre - Tenture de La Vie des saints Piat et Éleuthère, 1402, trésor de la cathédrale de Tournai (détail).


fig. 1 - Dernière pièce de la tenture de La Vie de saint Remi, 1531, musée Saint-Remi, Reims (détail).


Tentures de chœur : un corpus unique

[1]  Aujourd’hui conservée au musée Saint-Remi de Reims. A. Nassieu Maupas, « La tenture de La Vie de saint Remi du musée Saint-Remi de Reims », Travaux de l’Académie nationale de Reims, 174, 2000, p. 49-92. [2]  Pour une étude globale sur les tentures de chœur, voir L. Weigert, Weaving Sacred Stories: French Choir Tapestries and the Performance of Clerical Identity, Ithaca, Cornell University Press, 2004. [3]  La description de l’entrée d’Isabeau de Bavière à Paris en 1389 par Froissart est l’un des rares témoignages spécifiant que ces tentures étaient des tapisseries historiées. Froissart, Chroniques, livre IV, chap. i, dans Les Chroniques de Sire Jean Froissart, Paris, Éditions J.A.C. Buchon, 1852. [4]  Compte tenu de la fragilité de ces dernières, peu d’exemples de tissus peints ont survécu. Le musée des Beaux-Arts de Reims conserve quelques exemples de peintures sur toile de chanvre datant du xve siècle. [5]  Une copie d’une quittance de 1404, datant du début du xviiie siècle, fait mention de l’exposition de la tapisserie de L’Apocalypse à la cathédrale entre Noël et l’Épiphanie, Bibliothèque municipale d’Angers. Document retrouvé par M.-E. Gautier, conservateur du fonds ancien. [6]  Chronique de Mathieu d’Escouchy, éd. G. Du Fresne de Beaucourt, vol. II, 131, Paris, Renouard, 1864, p. 144-151.

En 1531, Robert Lenoncourt, archevêque de Reims de 1508 à 1532 et abbé de Saint-Remi de 1480 à 1523, donne à ce monastère une tenture décrivant la vie de son saint patron1. Les circonstances de ce don sont précisées par une inscription sur la dernière scène (fig. 1). Suivant le vœu clairement exprimé par le donateur, la tenture de La Vie de saint Remi était présentée dans le chœur des moines dans l’église abbatiale, « sur tous les côtés », lors des principaux jours de fête. Comme d’autres exemples de vies de saints tissées, également données par des ecclésiastiques de haut rang et accrochées au-dessus des stalles*, ces tapisseries étaient vues uniquement en des occasions bien particulières2.

Usages et réception Bien que les tentures soient partie intégrante de bon nombre d’événements aux xve et xvie siècles, leurs matériaux et leurs sujets ont rarement été consignés dans les archives. Les descriptions d’entrées royales et ducales, à partir du xive siècle, indiquent régulièrement qu’une ville était « parée » ou qu’un cortège était « tapissé » du départ à l’arrivée3. Ces documents ne spécifient ni le motif ni le sujet de ces décors, et on ignore également si ces tentures étaient tissées, comme des tapisseries, ou réalisées dans un matériau moins cher, comme des toiles de lin peintes4. Quant aux tapisseries les plus connues, les seules indications sur l’emplacement de leur présentation sont généralement postérieures à leur création. Par exemple, la première mention de la présentation dans un édifice religieux de la tenture de L’Apocalypse, tissée dans les années 1370, date de 1404, quand elle était suspendue aux murs de la nef de la cathédrale Saint-Maurice d’Angers5. La thématique et la structure matérielle des textiles sont mieux documentées dans le cas des festivités de banquet. Par exemple, la tenture historiée des Travaux d’Hercule ornait le grand hall pendant la célébration de la fête du Faisan (Lille, 1454)6 ; des tapisseries relatant les exploits de Jason étaient exposées lors du banquet donné à 15



Les tentures religieuses d’Angers et du Mans Témoignages exceptionnels de l’art parisien du début du xvie siècle ______

ci-contre - Tenture de La Vie de saint Julien : La Prédication de saint Julien, début du xvie siècle, trésor de la cathédrale du Mans (détail).


fig. 1 - Tenture de La Vie de saint Jean Baptiste : L’Annonce à Zacharie, inv. 83, 1516, trésor de la cathédrale d’Angers (détail).


Les tentures religieuses d’Angers et du Mans Témoignages exceptionnels de l’art parisien du début du xvie siècle

[1]  Jean le Baptiste. Une histoire. Des représentations (xvie-xix e siècle), catalogue de l’exposition, Angers, 19 mai-10 septembre 2017, Nantes, Éditions 303, 2017. [2]  Cette tenture est très lacunaire aujourd’hui. Elle fit probablement l’objet d’un retissage partiel, dont le contexte de réalisation reste mystérieux. Voir C. Rouyer, « Les tentures de saint Julien », 303. Arts, recherches et créations, no 45, 1995, p. 12-21 et A. Nassieu Maupas, Peintres et lissiers à Paris dans la première moitié du xvie siècle, thèse de doctorat sous la direction de G.-M. Leproux, École Pratique des Hautes Études, 2006, t. II, p. 184-187. [3]  Celle-ci est aujourd’hui perdue, ainsi qu’au moins trois autres ; neuf pièces sont encore conservées. [4]  Les deux seules pièces rescapées appartiennent au trésor de la cathédrale d’Angers. [5]  Une pièce se trouve au château de Kronborg au Danemark, une autre au musée de Caramoor à Katonah (États-Unis) ; un fragment est conservé au musée des Arts décoratifs à Paris et un autre a été acquis par la Drac Centre-Val de Loire en 2017. [6]  Douze pièces sont dispersées entre plusieurs musées européens et américains.

Les trésors des cathédrales d’Angers et du Mans constituent deux des plus importantes collections publiques françaises pour les tentures religieuses du premier tiers du xvie siècle. Celles-ci témoignent d’un engouement certain pour ce type d’ornements textiles en France et forment le noyau d’un large corpus qui présente des similitudes sur les plans tant chronologique, historique et iconographique que stylistique. Ces caractéristiques ont permis aux historiens d’art d’envisager une origine commune et, malgré des attributions fluctuantes, de les mettre en rapport avec l’art parisien de l’époque, aussi bien pour leur tissage que pour leurs cartons, réalisés probablement par le peintre Gauthier de Campes et son entourage.

Un corpus homogène On connaît les commanditaires et la datation de ce groupe de tentures religieuses grâce aux armoiries et inscriptions qui y sont tissées, informations parfois confirmées par des chroniques, obituaires* ou autres témoignages littéraires. Il arrive en outre que le donateur s’y soit fait représenter, comme c’est le cas pour La Vie des saints Gervais et Protais, exécutée pour la cathédrale du Mans avant 1509 aux frais du chanoine Martin Guérande dont le portrait se trouve sur la dernière pièce. La Vie de saint Jean Baptiste fut, elle, commandée en 1516 puis léguée par Jean Hector à l’église du même vocable à Angers, dont il était doyen1. La Vie de saint Julien fut offerte à la cathédrale du Mans avant 1519 par le chanoine Baudouin de Crépy2. Quant à La Vie de saint Florent et de saint Florian, elle fut donnée en 1524 à l’abbaye éponyme près de Saumur par son abbé Jacques Le Roy, qui figurait lui aussi sur l’une des pièces3. À celles-ci on peut ajouter d’autres ensembles, provenant d’églises du Val de Loire – La Vie de saint Martin de l’église Saint-Martin de Tours4, La Vie de la Vierge offerte en 1512 à l’église Sainte-Croix d’Orléans5, L’Histoire du Saint Sacrement, datée entre 1515 et 1518, destinée à l’abbaye Notre-Dame du Ronceray6 – ou bien de 29



Catalogue #1

Le trésor de tapisseries de la cathédrale Saint-Maurice d’Angers ___ cat. 1 - La Vie de saint Jean Baptiste cat. 2 - La Vie de saint Florent et de saint Florian cat. 3 - La Vie de saint Saturnin cat. 4 - La Lapidation de saint Étienne cat. 5 - Le Christ devant Pilate cat. 6 - Isaac bénissant Jacob

ci-contre - Tenture de La Vie de saint Jean Baptiste : L’Annonce à Zacharie,

inv. 83, 1516, trésor de la cathédrale d’Angers (détail).


cat. 1

Tenture de La Vie de saint Jean Baptiste L’Annonce à Zacharie et la Visitation, Saint Jean Baptiste devant les prêtres et les lévites

1516, Paris • Laine et soie, chaîne en laine écrue • H. 168, L. 440 cm ; H. 175, L. 178 cm Classée MH le 6 juin 1902 (83) ; inscrite monument historique le 17 mai 2019 (83 bis) Expositions : Angers, musée des Tapisseries (première moitié du xxe siècle), château (2017, 2021-2022), cathédrale (première moitié du xxe siècle, 2000, 2018, 2019) ; Paris (1928). Restauration et entretien : 1852, 2016 (Durif, inv. 83bis) ; 2017 (Bourret et Bongrand, inv. 83). 50

Inv. 83 et 83 bis


L’histoire de la tenture de La Vie de saint Jean Baptiste, dont deux pièces sont conservées dans le trésor de la cathédrale d’Angers, est particulièrement bien documentée et a fait l’objet d’études, de publications et d’expo­ sitions récentes1. La commande d’une tenture illustrant la vie du saint est passée au maître lissier* Guillaume de Rasse en 1516 par Guillaume Hector, doyen de l’église parisienne de Saint-Germain-l’Auxerrois pour le compte de Jean Hector, recteur de l’église Saint-JeanBaptiste d’Angers. La tenture a donc été réalisée dans un atelier parisien à une époque où la production de tapisseries se développe considérablement dans la capitale. Les recherches d’Audrey Nassieu Maupas ont permis d’intégrer à cette tenture quatre tapisseries : L’Annonce à Zacharie et la Visitation, Saint Jean Baptiste devant les prêtres et les lévites (Angers, trésor de la cathédrale), Saint Jean Baptiste s’adressant à la foule, aux publicains et aux soldats (Glasgow, Burrell Collection) et Saint Jean Baptiste devant Hérode (non localisée). Outre leur hauteur homogène (1,70 m en moyenne), on retrouve en effet, d’une tapisserie à l’autre, des motifs et une composition très proches : visage, coiffure, vêtements de Jean Baptiste et d’autres protagonistes, présence de légendes de même type en partie basse et surtout paroles des personnages inscrites dans des phylactères reliés à l’orateur par un trait fin, élément très original. Si les archives conservées sur la commande de la tenture ne mentionnent pas le nombre de tapisseries, un inventaire des biens mobiliers de l’église Saint-Jean-Baptiste daté de 1693 permet d’affirmer qu’elle devait comporter, à l’origine, sept pièces et donc que trois sont perdues ou encore non localisées2, dont celle qui représente la mort du saint.

[1]  Voir le premier numéro de cette collection, Jean le Baptiste, une histoire, des représentations (2017), où plusieurs articles sont consacrés à cette tenture, et A. Nassieu Maupas, « La Vie de saint Jean Baptiste d’Angers et la production parisienne de tapisseries dans la première moitié du xvie siècle », Revue de l’art, no 145, 2004-3, p. 41-53. [2]  Angers, Archives départementales, 5 E 1-720, étude de Me R. Bouclier, « Inventaire des reliques, joiaux, calices et ornemens, linges, chappes, chasubles, livres, ustensilles et autres meubles dépendans de l’église roial et collegiale de st Jean-Baptiste […], 17 août 1693 » : « item sept pièces de tapisserie de toiles qui contiennent la vie, la mort et histoire de St Jean-Baptiste. Item sept pièces de tapisserie de laine de haute lice en broderie contenant même chose. » La première mention désigne les modèles sur toile ayant servi à la réalisation des tapisseries qui font l’objet de la seconde mention.

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cat. 2

Tenture de La Vie de saint Florent et de saint Florian Les Saints sont jetés en prison puis ils sont flagellés

1524, Paris • Laine et soie, chaîne en laine écrue, réduction 5 à 6 fils/cm H. 180, L. 265 cm • Classée MH le 6 juin 1902 Expositions : Toulouse, Aix-en-Provence, Caen (2004-2005)* ; Fontevraud (2019)**. Restauration et entretien : 1887 (Malvoyer) ; 2001 (Bobin). Inv. 95 *Saints de chœur, tapisseries du Moyen Âge et de la Renaissance, catalogue de l’exposition organisée à Toulouse, Aix-en-Provence et Caen, 2004-2005, Milan, 5 continents, 2004, p. 136-143.

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** Parures de fêtes, splendeurs des tapisseries des collections de Saumur, Snoeck, 2020, p. 138-171, et exposition à l’abbaye royale de Fontevraud, même titre, 20 septembre-1er décembre 2019.


La tenture de La Vie de saint Florent et de saint Florian, achevée en 1524, a été commandée par Jacques Leroy de Chavigny, abbé de SaintFlorent-lès-Saumur, pour 2 066 livres. Les liens stylistiques avec la production de Gauthier de Campes conduisent à envisager une production parisienne. La tenture a été léguée en 1572 à l’abbaye saumuroise par Jacques Leroy, devenu archevêque de Bourges. En 1791, il ne restait plus que six des neuf pièces initiales ; elles sont présentes dans l’église Saint-Pierre de Saumur en 1809. Cependant, vers 1880, deux parties de ces pièces disparaissent, tandis que Louis de Farcy en acquiert à Angers trois fragments inconnus jusqu’alors : il offre les deux plus altérés au Musée archéologique d’Angers et la pièce en meilleur état à la fabrique* de la cathédrale en 1890. En 1996, l’État et les Villes d’Angers et de Saumur signent une convention pour réunir l’ensemble de cette tenture et la présenter régulièrement dans une église de Saumur. La tenture illustre la vie du saint fondateur de l’abbaye. La première histoire connue remonte au ixe ou xe siècle et évoque saint Florent comme un ermite contemporain de saint Martin au ive siècle. L’hagiographie donne Florent et Florian, deux saints d’origine germanique, pour frères. Cependant, en Allemagne, cette parenté n’est pas retenue – pas plus d’ailleurs que le voyage en Anjou. Il existait vraisemblablement aussi un saint ermite ligérien du nom de Florent. La composition de cette tenture fait donc appel à plusieurs légendes. Les événements sont rassemblés en séquences qui peuvent être mises en parallèle avec le Nouveau Testament : les trois premières scènes évoquent l’Apocalypse, les suivantes la Passion, d’autres l’Annonciation et la Visitation, etc.

Avec cet éclairage, la résurrection de l’enfant après trois jours, sorti des eaux (évocation du baptême) et dessillant les yeux du fidèle, prend sens. Ainsi, cette tenture est plus une réflexion spirituelle qu’une simple narration. On peut discerner des mains différentes selon les pièces 1. Certains motifs, déjà vus chez Gauthier de Campes, sont réalisés avec une certaine raideur (notamment dans la pièce de la cathédrale), alors que d’autres pièces présentent plus de souplesse dans les attitudes et les expressions. Les représentations de Florent varient d’une pièce à l’autre2 : changement de style ou d’artiste ? La technique des lissiers* varie, certains préférant user abondamment des relais non cousus* alors que d’autres les réduisent, délaissant l’un des effets propres à la tapisserie. De plus, selon les pièces, certains motifs annexes sont maladroitement conçus par rapport au modèle initial, trahissant l’usage simultané de plusieurs métiers à tisser. — Étienne Vacquet

[1]  E. Vacquet, « De l’enseignement des motifs antiques dans la création lissière française de la première moitié du xvie siècle : à propos de quelques exemples des collections angevines », Art sacré, no 27, Tapisseries et broderies – relectures des mythes antiques et iconographie chrétienne, Actes du colloque d’Angers, 2009, p. 54-73. [2]  Doit-on voir le donateur sous les traits de saint Florent dans la pièce de tapisserie qui évoque la fondation de l’oratoire ?

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E

F

H

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J


La Vie de saint Florent et de saint Florian Pièce 1 A - L es Empereurs romains Dioclétien et Maximien ordonnent la persécution des chrétiens, Aquilien de Bavière publie l’édit impérial, Aquilien ordonne aux saints Florent et Florian de sacrifier aux idoles (Saumur, église Saint-Pierre ; H. 185, L. 485 cm) Pièce 2 B - L es Saints sont jetés en prison puis ils sont flagellés (Trésor de la cathédrale d’Angers ; H. 185, L. 267 cm) C

C - L es Saints enserrés entre des barres de fer (Musées d’Angers ; H. 185, L. 150 cm) Pièce 3 D - Les Saints de nouveau présentés au gouverneur (fragment disparu) E - L es Soldats emmènent les deux saints pour les noyer, les soldats endormis, un ange délivre saint Florent (Saumur, église Saint-Pierre ; H. 185, L. 299 cm) Pièce 4 F - S aint Florian est conduit vers la rivière et Florent est emmené par un ange (Saumur, église Saint-Pierre ; H. 185, L. 207 cm) Pièce 5 (disparue) Pièce 6 G - Un ange annonce l’arrivée de Florent à saint Martin, les deux saints Martin et Florent se rencontrent à Tours, saint Florent est ordonné prêtre par saint Martin (Saumur, église Saint-Pierre ; H. 185, L. 488 cm) Pièce 7 H - U n ange indique à saint Florent de s’installer au mont Glonne, saint Florent chasse les serpents, saint Florent construit un oratoire dédié à saint Pierre, les habitants de la ville implorent saint Florent de les délivrer d’un serpent (Saumur, église Saint-Pierre ; H. 185, L. 500 cm) Pièce 8 I - U ne femme aveugle demande à saint Florent de lui ramener son enfant noyé, saint Florent indique où trouver l’enfant et la femme recouvre la vue, Florent chasse le serpent (Saumur, église Saint-Pierre ; H. 185, L. 452 cm) Pièce 9 J - Les Malades viennent obtenir guérison à l’oratoire du mont Glonne, la mort de saint Florent (Saumur, église Saint-Pierre ; H. 185, L. 243 cm)

K

K - La Procession funèbre de saint Florent, Jacques Leroy de Chavigny offre la tenture (fragment disparu)


A

B


C

D

La Vie de saint Saturnin A - L a Vocation de saint Saturnin (Château de Langeais ; H. 260, L. 325 cm) B - L e Christ choisit saint Saturnin parmi les soixante-douze (Trésor de la cathédrale d’Angers, volée en 1926 ; H. 267, L. 325 cm) C - L es Adieux de saint Pierre (Trésor de la cathédrale d’Angers ; H. 259, L 320 cm) D - L e Martyre de saint Saturnin (Trésor de la cathédrale d’Angers ; H. 260, 315 cm)



Le trésor de tapisseries de la cathédrale Saint-Julien du Mans ci-contre - Tenture de La Vie de saint Julien : Le Passage du gué, début du xvie siècle, trésor de la cathédrale du Mans (détail).

[1]  Évêque de 1477 à 1519, avec cependant une brève interruption, il contribue à l’embellissement de la cathédrale par la réalisation d’un nouveau jubé, d’une horloge astronomique (en grande partie détruits) et du grand orgue de tribune. [2]  Voir Plaintes et doléances et Procès-Verbal de J. Taralon, publiés par Dom Piolin, Histoire de l’Église du Mans, V, p. 712. [3]  Archives départementales, G21, délibération du 25 février 1633 ; cote communiquée par F. Masson. Ces « petites tapisseries » désignent vraisemblablement la tenture de La Vie des saints Gervais et Protais. [4]  AD 72, 2Q108.

Le trésor de tapisseries de la cathédrale Saint-Julien du Mans est aujourd’hui composé de plus de trente pièces, tentures ou pièces isolées, allant de la fin du xve siècle au xviiie siècle et présentant des sujets divers : vies de saints, scènes bibliques, mythologiques et profanes. Trois tentures de chœur, La Vie de saint Julien, La Vie des saints Gervais et Protais et Portraits des apôtres et docteurs de l’Église, constituent le cœur du trésor. La commande de ces tentures par les chanoines Baudouin de Crépy et Martin Guérande au début du xvie siècle s’inscrit dans une période faste pour le mobilier de la cathédrale, sous l’émulation du cardinal Philippe de Luxembourg1. En 1562, la cathédrale Saint-Julien est mise à sac par les protestants : une grande partie du mobilier est détruite et plusieurs tapisseries sont emportées par les chefs huguenots afin d’être revendues2. Une partie revient à la cathédrale car des délibérations du chapitre indiquent l’accrochage des « petites tapisseries » au cours du xviie siècle3. La période révolutionnaire voit la dispersion du trésor ancien : la tenture de La Vie de saint Julien est ainsi en partie perdue (cat. 7). Certaines pièces sont beaucoup moins documentées : des tapisseries des xviie et xviiie siècles servent à orner la cathédrale, comme Le Sacrifice d’Abraham ou plusieurs scènes de La Vie de Judith, provenant d’Aubusson. Une pièce représentant Esther devant Assuérus était accrochée au-dessus de l’entrée de la sacristie4. L’usage de ces tapisseries semble avoir été, au xixe siècle, plus pragmatique que liturgique : accrochées l’hiver, même sans pouvoir lutter contre le froid, elles donnaient une impression chaleureuse au chœur. Des scènes mythologiques – La Toilette de Diane, L’Enlèvement d’Europe – ou encore des Scènes de L’Énéide (fig. 1) forment également un ensemble intéressant. Après les menues réparations du début du xixe siècle, le sacristain Louis Albin engage à partir de 1857, avec le chanoine Joubert d’Angers, des restaurations plus importantes de ces pièces dont on prend progressivement conscience de la valeur patrimoniale. Plusieurs sont présentées lors des Expositions universelles. 77


cat. 8

Tenture de La Vie des saints Gervais et Protais

L e Martyre de saint Vidal et de sainte Valérie, charité de saint Gervais et de saint Protais ; Le Baptême de saint Gervais et saint Protais, la délivrance et le baptême d’une possédée, construction d’une chapelle, arrestation des saints Gervais et Protais par les soldats de Néron, les saints Gervais et Protais devant Néron ; Néron frappé par la foudre, Néron encourage les saints Gervais et Protais à sacrifier aux idoles, les saints Gervais et Protais emprisonnés, la visite d’un ange, les saints Gervais et Protais remis au prévôt de Milan ; Le Supplice de saint Gervais, la décollation de saint Protais et l’enterrement des saints ; La Découverte des reliques et leur translation, la vénération des reliques et le donateur Martin Guérande présenté par saint Martin Début du xvie siècle (avant 1509), Paris • Laine et soie H. 145, L. 640 cm ; H. 145, L. 770 cm ; H. 145, L. 796 cm ; H. 145, L. 462 cm ; H. 145, L. 297 cm Classée MH le 6 juin 1902 Expositions : Exposition universelle (1889 ; 1900) ; Toulouse, Aix-en-Provence, Caen (2004-2005)*. Restaurations : 1859 (Joubert) ; 1966 (Aubry) ; 1984 (Aubry) ; 2008-2009 (Bobin). Inv. 22, 23, 24, 25 et 26

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*Saints de chœur, tapisseries du Moyen Âge et de la Renaissance, catalogue de l’exposition organisée à Toulouse, Aix-en-Provence et Caen, 2004-2005, Milan, 5 continents, 2004, p. 85-95.


Jusqu’en 1158, la cathédrale du Mans est dédiée aux saints Gervais et Protais : les reliques de ces frères milanais auraient été offertes à la cathédrale par saint Martin de Tours, qui les tenait lui-même de saint Ambroise, leur inventeur à Milan. La présence d’une tenture consacrée à leur vie au Mans n’a donc rien d’étonnant. Cette tenture est offerte en 1509 par le chanoine Martin Guérande, secrétaire et proche du cardinal de Luxembourg, comme l’atteste une inscription tissée sur la dernière pièce. Le rôle exact du chanoine n’est pas connu : en raison de sa culture et de ses études, il était tout à fait en mesure de participer à la construction et à l’organisation de l’œuvre. L’inscription précise la destination de la tenture, « pro ornatu chori », exposée dans la cathédrale au dos des chanoines, au-dessus des stalles*, lors de temps liturgiques bien définis. À partir du xviiie siècle, après un réaménagement du chœur et notamment des stalles par Mgr de Grimaldi (1867-1877), la tenture n’est plus exposée dans le chœur mais dans la chapelle de la Vierge.

de la tenture1. Le reliquaire abritant les reliques des deux saints a été détruit par les protestants en 1562.

La tenture dépeint l’histoire et le martyre de deux saints jumeaux, Gervais et Protais, fils des saints Vital et Valérie, qui, après avoir mené une vie de dénuement et accompli plusieurs miracles, entrent en conflit avec Néron suite à leur refus de sacrifier aux idoles. Sur ordre du prévôt de Milan, Nolin, Gervais est battu et Protais décapité. Si la cathédrale n’était plus dédiée aux deux saints depuis plusieurs siècles, une place particulière leur était toujours attribuée : l’autel majeur restait dédié à la Vierge et aux saints jumeaux et de nombreux réaménagements et embellissements témoignent de l’importance de cette dévotion. Le dernier réaménagement a été réalisé par Philippe de Luxembourg au moment de la commande

La restauration menée par Joubert fut contestée en son temps : le chanoine, soucieux de redonner du sens à la succession des scènes, en modifie l’ordre. Il déplace le martyre de saint Gervais, alors placé au début, à côté de la décollation de son jumeau ; la rencontre des saints avec Nolin après la première confrontation avec Néron est reportée avant le martyre de Gervais. Le doublement des pilastres* entre deux scènes à ces emplacements témoigne d’un agencement non original. Ce faisant, Joubert instaure une lecture chronologique de la tenture, commençant par le supplice des parents de Gervais et Protais, au détriment d’une lecture moins narrative qui aurait débuté avec le martyre, considéré comme l’événement

La tenture originale se présentait en deux pans de tapisserie, un par côté du chœur ; elle a été divisée en cinq à une date inconnue. Elle devait comporter vingt scènes dont deux ont disparu à une date inconnue et une troisième en 1858, quand un panneau, représentant saint Paul indiquant l’emplacement des reliques à saint Ambroise, fut volé à la Psalette2. Contrairement à la tenture consacrée à la vie de saint Julien, la tenture de La Vie des saints Gervais et Protais ne quitta probablement pas la cathédrale à la Révolution, car elle est régulièrement mentionnée dans les archives, pour des raccommodages ou des accrochages, parfois posée à même le sol. Elle se trouve alors « dans le plus pitoyable état » et Louis Albin signe le 19 septembre 1857 un marché avec le chanoine Joubert pour la restauration de « tentures représentant le Martyre de St Gervais et St Protais3 ».

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Glossaire ___ Marion Maine

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Abat-voix Partie supérieure d’une stalle, destinée à rabattre vers le chœur le chant des religieux.

Abbé commendataire Ecclésiastique ou laïc dépendant du régime de la commende, mandaté pour la perception des revenus d’une abbaye ou d’un prieuré.

fig. 1

Buffet d’orgue Coffre de menuiserie, parfois orné, contenant les éléments mécaniques de l’orgue ainsi que ses tuyaux.

Custode Religieux gardien du trésor d’une église ou d’une cathédrale.

Dalmatique Vêtement à manches courtes porté par les diacres.

Duites Ensemble en aller et retour de fils de trame à travers la chaîne d’une tapisserie (fig. 1).

fig. 2

Fils de chaîne Fils qui servent de support à la trame. Ils sont placés dans la longueur et généralement de couleur écrue (fig. 2).

Fils de trame

Objet symbolique placé dans un édifice religieux suite à un vœu ou en remerciement d’une grâce.

Fils qui passent entre les fils de chaîne. Ils se placent donc dans la largeur, permettant ainsi par entrecroisement de réaliser un tissu et de créer les motifs. Ils sont colorés (fig. 2).

Fabrique

Lissier (ou « licier »)

Dans un contexte religieux, ce terme désigne un groupe de clercs mandaté pour l’administration des biens d’une paroisse.

Artisan qui travaille sur un métier à tisser. Les lisses (ou « lices ») sont des boucles de fil qui permettent de tirer un fil de chaîne sur deux pour pouvoir faire passer les fils de trame.

Ex-voto

Fenestrage Réseau de pierre des baies.

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Prix : 12 €


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