Nature et jardins de lice

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Nature et jardins de lice (xv e – xxie siècle)



Nature et jardins de lice (xv e – xxie siècle) p. 8

Avant-propos

p. 11

L’œuvre du chanoine Joubert

Acquisition et exposition des tapisseries du trésor de la cathédrale d’Angers dans la seconde moitié du xixe siècle

— Clémentine Mathurin

p. 21 La représentation

des plantes dans les tapisseries, reflet de l’histoire culturelle — Isabelle Lévêque

p. 33 Verdures

médiévales : fleurs et jardins dans les tapisseries de la fin du Moyen Âge — Élisabeth Antoine-König

p. 47 Catalogue

#1

— Anna Leicher, Catherine Leroi, Clémentine Mathurin

p. 59

Les tapisseries de verdure du xvie au xviiie siècle

— Pascal-François Bertrand

p. 75 Catalogue

#2

— Pauline Ducom, Anna Leicher, Catherine Leroi, Clémentine Mathurin

p. 107 Nature

p. 118

et jardins dans les tapisseries du musée Jean-Lurçat et de la Tapisserie contemporaine d’Angers — Françoise de Loisy

Petit herbier de tapisseries du Moyen Âge — Isabelle Lévêque

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L’œuvre du chanoine Joubert

Acquisition et exposition des tapisseries du trésor de la cathédrale d’Angers dans la seconde moitié du xixe siècle ci-contre - La Vie de saint Maurille, détail, trésor de la cathédrale d’Angers (inv. 79).

Le trésor de la cathédrale d’Angers abrite un trésor de près d’une centaine de tapisseries, dont la plupart ont été acquises dans la seconde moitié du xixe siècle par le chanoine Joubert. D’une grande variété, elles représentent des sujets religieux – citons par exemple La Passion (fin du xve siècle), La Vie de saint Martin ou La Vie de saint Saturnin (début du xvie siècle) – mais aussi des sujets profanes (scènes de la vie seigneuriale, chasses, verdures). « L’art de la tapisserie s’y montre tout entier, à son apogée et à son déclin. Nous débutons par le xive siècle, et nous arrivons au xviiie siècle par une série non interrompue », écrit ainsi, en 1858, Xavier Barbier de Montault dans le premier ouvrage consacré à cette collection1. Ces tapisseries venaient très régulièrement orner la cathédrale mais aussi le cloître ou les rues adjacentes.

Les acquisitions du chanoine Joubert

[1]  Xavier Barbier de Montault, Les Tapisseries du sacre d’Angers, Angers, 1858. [2]  La tenture de L’Apocalypse et la tapisserie représentant un épisode de la vie de saint Maurille (inv. 79) sont les seuls témoins conservés du trésor de tapisseries de la cathédrale d’Angers sous l’Ancien Régime. [3]  Angers, Archives diocésaines, OP 9, Courrier adressé par le chanoine Joubert à l’évêque d’Angers, 9 mai 1854.

En 1846, le chanoine Joubert est nommé custode de la cathédrale. Il est ainsi chargé de la bonne garde du trésor mais son action va plus loin car, dès 1849, il se lance dans une politique d’acquisitions très active pour retrouver la splendeur de l’ensemble de tapisseries qui ornait la cathédrale sous l’Ancien Régime, presque entièrement disparu2. Évoquant les tapisseries offertes en 1428 par le roi de France, le chanoine Joubert, plein d’espoir, écrit ainsi en 1854 à Monseigneur Angebault, évêque d’Angers : « Je ne désespère pas de voir quelque jour à Saint-Maurice d’Angers quelques tentures de l’époque de Charles VII et représentant une partie des sujets donnés par ce monarque3. » Faute de pouvoir les retrouver, il achète de nombreuses tapisseries de très grande valeur provenant d’édifices religieux et de propriétés privées des bords de Loire. Ainsi est acquise en 1853 la tenture des Anges porteurs des instruments de la Passion provenant de la chapelle du château du Verger, à quelques kilomètres d’Angers. Son histoire n’est pas liée à la cathédrale mais sa qualité est telle qu’il est possible de « lui assigner parmi nos richesses 13



La représentation des plantes dans les tapisseries, reflet de l’histoire culturelle

fig. 1 - Les Enfants jardiniers :

l’Été, premier quart du xviiie siècle. Derrière des pavots, roses trémières et plants de melons, des enfants s’adonnent au jardinage. Château-musée de Saumur.

Depuis la haute Antiquité, les plantes font l’objet de représentations : fresques dans les tombeaux égyptiens ou dans les villas de Pompéi, bas-reliefs en Perse. L’image du Paradis, venue d’Orient, oppose la luxuriance de l’hortus conclusus, ou jardin clos, offrant les fruits de la terre nourricière, au désert hostile et aride. La tradition biblique s’est emparée dès l’origine du végétal et du jardin des délices, « Éden » en hébreu, pour en faire le paradis de la Genèse et de la création d’Adam et Ève avant leur chute. La mythologie gréco-romaine évoque notamment les pommes d’or du jardin des Hespérides tandis que certaines plantes (la rose, le myrte, la myrrhe, la grenade, le pavot) sont choisies comme attributs des dieux ; la tradition musulmane, quant à elle, établit au-delà de la mort son paradis floral, coloré, fécond et parfumé. Parallèlement à cet imaginaire du jardin, que l’on prolonge à l’intérieur de la maison sous forme de fresques ou de tapis, la nature bienfaisante et les plantes font l’objet d’études dès Théophraste et son Historia plantarum (ive-iiie et ier siècle av. J.-C.), et tout un savoir médical se développe autour des plantes et de leur utilité. En Occident, la représentation des plantes dans l’art de la tapisserie suit l’histoire culturelle où l’on voit le rapport au monde et à la nature évoluer du Moyen Âge au xxe siècle.

La flore médiévale, entre symbole et utilité La nature est perçue de façon ambivalente au Moyen Âge : la nature sauvage, locus terribilis, fait face à la nature domestiquée, pacifiée par l’homme et l’agriculture. Elle est magnifiée dans le jardin clos et la prairie fleurie comme témoignage des bienfaits divins d’une terre généreuse jusqu’à devenir l’écrin de scènes galantes1. Le Roman de la rose de Guillaume de Lorris et Jean de Mun (xiiie siècle) conte ainsi le récit d’une quête amoureuse, celle d’une rose, dans un verger peuplé d’oiseaux. [1]  Élisabeth Antoine, Sur la terre comme au ciel (catalogue de l’exposition au musée du Moyen Âge à Paris), Paris, RMN, 2002.

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Les tapisseries de verdure du xvie au xviiie siècle ci-contre - L’Éléphant, détail. Tapisserie de la tenture des Nouvelles Indes d’après François Desportes. Manufacture royale des Gobelins (atelier de Cozette), 1792. Paris, Mobilier national (GMTT 191).

[1]  Sur cette notion, voir Charles Genequand, « Quelques aspects de l’idée de nature, d’Aristote à Al-Ghazâlî », Revue de Théologie et de Philosophie, 3e série, 116, no 2, 1984, p. 105-129 ; Jan Patocka et Erika Abrams, « La science philosophique de la nature chez Aristote (extrait) », Les Études philosophiques, 98, 2011, p. 303-330. [2]  Guy Delmarcel, La Tapisserie flamande, Paris, Imprimerie nationale, 1999, p. 130. [3]  Paris, Archives Nationales, O1 2038-2, nos 145 et 167.

Les tapisseries de verdure, dont le nom est synonyme de végétation, renvoient au sens premier de la nature (Aristote1), aux plantes, aux animaux et à la notion de création qui lui est associée. C’est probablement ce qui a pu entraîner les hommes à s’entourer d’un vaste décor rappelant l’immensité et la beauté de la nature. Les verdures ont été abondamment tissées autrefois. On en trouve aujourd’hui de très beaux spécimens dans des châteaux et autres demeures historiques, et chez des particuliers ; très peu dans les grands musées. Ces verdures n’ont guère retenu l’attention des historiens de l’art car la tapisserie, à l’instar de la peinture, est soumise depuis la Renaissance au principe de la hiérarchie des genres, le plus considéré étant celui de l’histoire, c’est-à-dire la représentation de l’homme en action, des hauts faits des héros bibliques, mythologiques et des temps contemporains ; viennent ensuite les scènes de genre, plus triviales, et les portraits, également produits en grand nombre ; enfin le paysage, la peinture animalière et la nature morte. Mais la frontière entre les genres n’est pas toujours bien nette. Des éditions d’une tenture mythologique comme Les Amours de Vertumne et Pomone se rattachent autant au genre de la tapisserie historiée qu’à celui de la verdure, en raison de la représentation d’un imposant décor de pergolas et de jardins où se déroulent les différents épisodes de la fable2. Dans les années 1770, les tapisseries des Amusements de la campagne et des Bohémiens, tissées à la Manufacture royale de Beauvais d’après des cartons du peintre italien Francesco Casanova (le frère de l’aventurier), que l’on range aujourd’hui dans la catégorie de la pastorale ou de la scène de genre, étaient considérées comme des tentures « en paysage3 » (fig. 1). La très riche collection de tapisseries d’Angers est réputée pour ses remarquables pièces historiées du Moyen Âge et de la Renaissance. Elle comprend aussi des verdures, provenant en partie du fonds constitué par le chapitre de la cathédrale, qui étaient encore en usage pour une grande partie d’entre elles au milieu du siècle dernier. On les sortait du trésor pour les tendre à l’intérieur et à l’extérieur de la cathédrale lors 61




Panorama des verdures du trésor de la cathédrale d’Angers Le trésor de la cathédrale d’Angers abrite un grand nombre de verdures des xviie et xviiie siècles, souvent achetées par lots dans la seconde moitié du xixe siècle et aux motifs parfois très proches : scènes de sousbois, rivières peuplées d’animaux. De qualité variable et parfois en mauvais état de conservation, elles sont cependant toutes classées au titre des monuments historiques, ce qui reconnaît, entre autres, leur valeur d’ensemble. Si les tapisseries historiées ont toutes été classées au début du xxe siècle – en 1902 pour la plupart –, ces verdures ont fait l’objet de campagnes de protection plus récentes (1949, 1971 et surtout 1977). Dans les années soixante-dix, un certain nombre d’entre elles ont orné des lieux de pouvoir (préfecture, hôtel du Département, palais de justice, mairies). Pour des raisons de conservation, elles ne sont désormais présentées qu’occasionnellement. — Clémentine Mathurin


Verdure à la licorne Fin du xviie - début du xviiie siècle • Laine H. 270 ; L. 210 cm • Classée MH le 25 janvier 1977 Expositions : Angers, préfecture (1968-1994 ?) ; Angers, château (2006). Inv. 129 ___

Cette tapisserie a été coupée sur ses deux côtés, peut-être en 1968 pour l’adapter à la pièce où elle est alors installée. La scène centrale, où est représentée une licorne près d’une rivière, a été conservée. Animal symbolique, la licorne est très présente dans le bestiaire médiéval et connaît une interprétation chrétienne, représentant l’Incarnation du Christ.

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Petit herbier de tapisseries du Moyen Âge ___ Isabelle Lévêque

Fraisier

(Fragaria vesca) Symbole d’humilité et de bonté, le fraisier a des qualités astringentes et ses feuilles pouvaient servir en décoction. Détail de la tenture des Anges porteurs des instruments de la Passion (inv. 89).


Iris des marais

Marguerite

Pensée

Plante purgative et vermifuge. Emblème royal, elle évoque également la sainte Trinité.

La marguerite provoquait la transpiration et purifiait le corps de ses miasmes. La tradition consistant à effeuiller les pétales en disant « je t’aime un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout » daterait du Moyen Âge.

Cette fleur, allusion au souvenir, pouvait servir dans les affections respiratoires.

(Iris pseudacorus)

Détail de la tenture des Anges porteurs des instruments de la Passion (inv. 89).

(Leucanthemum vulgare)

(Viola tricolor)

Détail de la tenture des Anges porteurs des instruments de la Passion (inv. 89).

Détail de la tenture des Anges porteurs des instruments de la Passion (inv. 89).

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