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etienne conte
revue de photographie photographic review
HS#7 1
belvÊdère
Hôtel du Belvédère
Hôtel du Belvédère
Joana Horvath Françoise Azéma Roxane Buono Odile Corratgé Lisa Molina Eric Horvath Etienne Conte Pascal Ferro Claude Belime Pierre Denizet Cathy Abelanet Edith Barboteu Nicolas Piet
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Un lieu. Un hôtel un peu à part, coincé entre rails et méditerranée, une sorte de navire aux lignes singulières et à la coque décrépite. Peu de chambres ; un vaste salon dont la géométrie déroute. Au bout d’un couloir, un cinéma. De vieux strapontins sommeillent dans la rumeur de pigeons invisibles. On dit qu’autrefois un court de tennis occupait le toit-terrasse (combien de balles perdues depuis ces hauteurs ?). Parfois, un train traverse la nuit, que l’on suit dans un demi-sommeil, calé au creux du matelas déformé. Cerbère. Hôtel Belvédère (1928-1932). C’est là que nous nous sommes retrouvés, le temps d’un week-end, pour dessiner, peindre, coller, photographier, lire, poser, écrire, échanger autour de nos pratiques respectives. Pour retrouver, aussi, une certaine lenteur. Un certain silence. Ce numéro de Regards se veut avant tout un souvenir de ces quelques jours passés ensemble, une fenêtre ouverte sur nos modestes réalisations. S’il est une chose à retenir de ces pages, c’est d’abord l’état d’esprit qui les a inspirées, un goût commun pour la création. Sans doute y-a-t-il aussi, derrière cette démarche, une forme de résistance : à l’ennui, aux bonheurs illusoires, au temps qui nous échappe. En ce sens le Belvédère était un choix judicieux, car lui aussi résiste à sa façon. Ses murs ont beau s’effriter, les clients se faire rares, il reste debout. Indiscutablement. Pierre Denizet
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Créer, c’est se souvenir. Victor Hugo
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lisa molina Linogravure
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etienne conte
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pascal ferro - c’est peut-être faire comme si tu appartenais à la grande bourgeoisie italienne. - d’être forte… avec le corps. - ... - je te laisse faire ton propre film intérieur… pense à une danseuse classique. - ... Et puis, il y a le hasard. La direction et le hasard talons noirs. - plus cambrée, … non, désenchantée. remerciements à Caroline
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nouveau leur vérité franchir ses lèvres : il a voulu sauter, Paul ; il a voulu mourir. Alors seulement Gabriel reprit sa place au centre du tableau. Je finis par m’asseoir au bureau, et là, les coudes appuyés sur les pages de mon manuscrit, je l’écoutai me dire comment les choses s’étaient passées la nuit précédente, comment l’univers qu’elle pensait jusque-là si solide avait brusquement vacillé. La scène prit forme à mesure qu’elle m’en livrait les détails. Aucune émotion ne transparaissait dans sa voix à présent ; il y avait même une certaine froideur dans sa façon de relater les faits, une distance sans laquelle, supposai-je, elle n’aurait pu aller au bout de son récit.
Le téléphone me tira du sommeil vers cinq heures du matin – deux heures à peine après que je me fus décidé à éteindre mon ordinateur et à aller me coucher –, aussi la voix de Sylvia, à l’autre bout du fil, me sembla d’abord lointaine, comme étouffée. Mais cette impression n’était pas due à ma seule fatigue ; pendant de longues secondes, ses paroles ne furent qu’un murmure dans la nuit, un murmure angoissé, entrecoupé de pleurs et de silences. Elle était confuse et ne cessait de parler, égarée dans un monologue dont le sens m’échappait. L’idée ne me vint pas de m’asseoir ni même de tendre le bras pour allumer la lampe de bureau : je restai là, debout, immobile dans la pénombre de l’appartement, cherchant tant bien que mal à démêler le fil de ses propos. À cet instant, l’esprit tendu tout entier vers Sylvia et sa détresse, je ne pensai pas à Gabriel. De temps à autre, je tentais de m’immiscer dans le flot chaotique de ses paroles, répétais son prénom pour l’apaiser, avec la même douceur qu’autrefois, lorsque pour quelque raison – l’approche d’un examen, une brouille avec une amie… – elle perdait toute confiance en elle et se laissait submerger par l’anxiété. Sylvia, lui disais-je, Sylvia. C’était étrange de lui parler ainsi, de retrouver en moi cette douceur, cette bienveillance, alors même que nous ne nous étions pas parlés depuis onze ans. Il avait suffit que je décroche le combiné et le porte à mon oreille pour que toutes ces années se voient soudain réduites à néant. Comme si le temps n’avait pas plus de poids qu’un songe. Elle retrouva son calme et nous nous tûmes un moment. Je n’entendais plus que le souffle de sa respiration et, plus loin, derrière moi, la rumeur des voitures qui déjà sillonnaient la ville. Je m’apprêtais à rompre le silence quand elle prononça ces mots, lentement, distinctement, comme pour s’assurer qu’elle n’aurait pas à les répéter, sentir de
C’est l’absence de Gabriel dans leur lit qui l’avait réveillée, le vide laissé près d’elle par son corps imposant. Il était rare qu’il se lève en pleine nuit – il avait toujours eu un sommeil profond, continu – et plutôt que de chercher à se rendormir aussitôt, elle avait tendu l’oreille pour savoir ce qu’il faisait. Comme aucun son n’émergeait du silence nocturne, elle s’était levée à son tour et l’avait appelé plusieurs fois depuis le seuil de la chambre, sans obtenir de réponse. Plus intriguée qu’inquiète, pensant qu’une raison quelconque l’avait poussé à dormir sur le canapé, elle avait alors traversé l’appartement qu’aucune lumière n’éclairait – toilettes, salle de bain, bureau, cuisine – pour se retrouver au milieu du vaste salon, inoccupé. Et tandis que son esprit maintenant s’emballait et cherchait à comprendre, un filet d’air froid lui avait parcouru le dos et elle s’était retournée : la baie vitrée qui donnait sur le balcon était entrouverte. Les températures en cette fin octobre étaient bien trop basses pour qu’on éprouvât l’envie de prendre l’air à cette heure, mais, sur le coup, ce détail lui avait semblé insignifiant. C’est au moment où elle s’apprêtait à la refermer qu’elle s’était surprise à regar-
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der dehors – un brusque pressentiment, me dit Sylvia d’une voix blanche. Elle ne l’avait pas vu tout de suite, dissimulé qu’il était par le parapet et le feuillage des plantes disposées contre celui-ci. Puis une main était apparue dans son champ de vision, la main gauche de Gabriel, crispée sur la rambarde métallique. Longtemps, son regard s’était attardé sur ces doigts, devenus blancs à force de trop serrer, avant de remonter lentement vers le bras, les épaules, d’embrasser le dos et les cheveux de l’homme qui partageait son existence. Il lui avait fallu encore d’interminables secondes pour reprendre pied et s’arracher à sa paralysie, faire coulisser la baie vitrée et marcher jusqu’à lui à pas chancelants, comme saisie de vertige, avant de prononcer les mots qui, dans l’instant, lui avaient parus irréels. Ces paroles, je ne fus pas en mesure de les comprendre toutes, car le sang-froid dont elle avait fait preuve jusque-là céda de nouveau sa place à l’émotion. Une chose était sûre cependant : Gabriel l’avait écoutée ; il avait renoncé au vide et, pour la deuxième fois cette nuit-là, enjambé le parapet du balcon. À l’heure qu’il était, il dormait dans une clinique de la ville dont le nom m’était inconnu. J’aurais voulu la réconforter, lui dire que Gabriel n’eût sans doute jamais cédé à cette pulsion autodestructrice ; que des personnes compétentes allaient lui venir en aide et que les choses finiraient tôt ou tard par s’arranger. Au lieu de quoi je restai muet, joignant mon silence au sien. ─ Excuse-moi, dit-elle enfin ; je n’aurais pas dû appeler. Pas maintenant, pas comme ça. Je dois te sembler ridicule. ─ Mais non, tu as bien fait. C’est juste que je ne m’attendais pas à… Il y a si longtemps. Sylvia ne disait rien. Elle pleurait. J’imaginais combien elle avait dû se sentir démunie et à quel point il avait dû lui être difficile de m’appeler.
─ Tu as bien fait, répétais-je ; tu ne peux pas rester comme ça. Et sans même réfléchir, je lui proposai de nous retrouver quelque part pour en parler, dans la journée ou n’importe quand. Elle me donna aussitôt leur adresse – elle m’y attendrait à partir de quinze heures. Je notai le nom et le numéro de la rue au bas d’une page manuscrite. Ils habitaient un immeuble ancien du centre ville, non loin de la faculté où nous nous étions connus. Le quartier ne m’était pas étranger. Il n’était pas rare que nous le traversions à l’époque, en particulier lorsque nous séchions les cours et allions passer des après-midi entiers au bord du fleuve. Je me rappelai ces heures douces, un peu ennuyeuses, où, entre deux conversations, nous restions longtemps les yeux posés sur la surface tranquille de l’eau, perdus dans nos pensées. Souvent, je me demandais de quoi étaient faites celles de Gabriel et de Sylvia, s’il leur arrivait de se sentir heureux, en accord avec le monde et avec eux-mêmes, ou si, comme moi, ils n’éprouvaient face à l’existence qu’une profonde incompréhension – le sentiment qu’au-delà des apparences il n’y avait pas la moindre certitude à laquelle se raccrocher et qu’il serait vain d’espérer un quelconque apaisement, un semblant d’équilibre ici-bas. Mais, quelle que fût ma curiosité, je me gardais toujours de leur poser la question. Peut-être avais-je peur que leurs réponses ne renforcent encore l’impression que j’avais d’être différent. Après avoir raccroché, j’allumai une cigarette et me postai à la fenêtre. Je regardai la rue, cinq étages plus bas, la chaussée humide scintillant sous les réverbères. La chose n’était pas si difficile à imaginer : le froid caressant le visage, les quelques secondes durant lesquelles le corps demeure suspendu, parfaitement libre. Gabriel. Je relevai les yeux ; le jour n’était encore qu’un rai de lumière pâle derrière les immeubles.
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La revue de photographie Regards est éditée par l’association bla-blART 20.rue J-B Lulli, 66000
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Directeur de publication : Pascal Ferro Comité d’édition : Claude Belime, Pascal Ferro, Edith Barboteu, Odile Corratgé, Eric Horvath Réalisation technique : Odile Corratgé, Edith Barboteu Impression de la version papier par Crealink, création et impression numérique, Perpignan. Contact : revueregards@yahoo.fr
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