Revueregardsrecit

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eg ards R

revue photo à tirage limité

# 15 récit 1


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récit

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SOMMAIRE ø2

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Contributeurs

Photographes

Edition

texte de hugo pradelle

sandra fastre

information

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texte de claude belime

frédérique félix faure

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marine lanier

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hugo pradelle laquinzaine.wordpress.com Le récit rompt l’ordre du monde en même temps qu’il relie inoubliablement ceux qui le perçoivent. C’est de cette tension, peut-être, que jaillit sa puissance, son impériosité. On ne fait rien sans récit, on ne vit pas. La forme même du récit définit notre conscience. On se raconte toujours quelque chose quand on perçoit. Le récit ordonne le passage du senti à l’exprimé. Il n’est rien d’autre que la mise en forme de ce qu’on veut dire vraiment. Il vient après le discours. Le récit demeure ce qui se rapporte, se renoue dans le vide de la réalité. Redoubler le vrai en l’inscrivant dans une séquence, dans le langage même. Le récit préside à la distance élémentaire de l’être humain avec ce qu’il vit, partage, ressent. C’est ce qui prend forme à partir de l’absence, c’est-à-dire du représenté. Il offre une continuité à la multitude de séquences qui nous assaillent, nous débordent. La narration, l’ordre qu’elle peut adopter, sa variété – de moyen ou de substance –, circonvient à l’absolue nécessité de la représentation. Tout devient alors récit, tout se doit d’être rapporté : pour ne pas perdre le sens. Le récit compile l’expérience, réassemble sans fin la matière même de ce qui nous entoure. Car l’image, la parole, l’écriture, toutes les formes mêmes qu’il peut prendre, ne s’apparentent finalement qu’à cette angoissede la perte. Il obéit – dans sa structure même – à un principe d’accumulation, de préservation, qui se retrouve dans presque toutes les affaires humaines. On se raconte le monde toujours, encore et encore. Pour ne pas le perdre, pour ne pas se perdre. Toute notre relation au réel dépend de ses dispositifs, de ce qu’il infuse en nous. Le récit est à la fois un partage, toujours plus ouvert au dehors, en même temps qu’un repli sur une pure conscience individuelle. Les paradoxes du monde y tiennent tout entier. On ne sait jamais très bien qu’en faire, comment s’en débrouiller. En tout cas, rien n’y échappe. C’est sans doute pour cela que les définitions de ce mouvement de l’âme qui se projette dans ce qu’elle dit de ce qu’elle sent, semblent toujours dramatiquement lacunaires. Elles suivent la pensée du temps où elles s’expriment, en portent tous les stigmates. On se les épargnera ici. Pourtant, quelque chose dans le récit résiste absolument, au-delà des questions de formes ou de limites, à l’investigation. Sans doute parce que sa condition même nous angoisse trop. Le récit, en particulier littéraire, n’est finalement qu’un signe inscrit dans le temps. Rien n’y échappe. C’est une manifestation – une organisation formelle – qui gagne une durée. L’être se relaie dans cette durée qui l’englobe, le dit, le rend plus réel. Le récit donne un sens au temps. C’est le fleuve, dans lequel on ne se baigne qu’une fois, d’Héraclite. Au-delà de nos individualités propres, le récit nous reforme toujours, nous fait revenir à la nature même du peu du monde que l’on comprend. Il établit ce point dans le temps qui nous rend possibles, vraisemblables, légitimes. Le récit, c’est, peut-être, cette parole dans le temps, du temps, en même temps, ce petit morceau du monde qui s’y déploie dans notre esprit, conformé, partagé, comme le seul bien inaltérable de l’humanité.

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claude belime un récit photographique www.claudebelime.com

Préambule : Nous concevons le récit photographique contemporain, non pas comme une relation de l’écrit et de l’image, mais comme une construction de photographies. Le récit, petit morceau du monde que l’on déploie, que l’on conforte et finalement que l’on partage, comme le dit si bien Hugo Pradelle, n’est autre qu’une suite, un discours qui joue sur l’ambiguïté du constat et de la fiction et de sa chronologie. Il invite à donner sens, cohérence et unité au chaos du monde. Avec Paul Ricoeur, nous pensons que le récit se construit en trois phases. La précompréhension à travers le symbolique est l’acte initial et créateur, que pressent le photographe lorsqu’il préempte une partie du réel, qu’il cadre un éclat du monde. La configuration ou mise en forme signifiante des expériences et des représentations est la synthèse d’un monde plus ou moins hétérogène. Cette phase constructive du récit par la mise en relation des images, crée des liens et des sens nouveaux. La refiguration, l’appropriation par le lecteur ou le spectateur de la proposition artistique entre en écho avec ses propres représentations usuelles. Cette confrontation, cette rencontre, interroge le regardeur et doit lui permettre d’aiguiser sa compréhension du monde. Comme l’écrivain, le photographe a une précompréhension à la fois instinctive et nourrie de son histoire, de sa culture, forcément ancrée dans le temps, lui permettant de capter l’énergie des situations, des choses et des être. Dans l’acception du récit photographique que nous présentons, cette captation subjective apréhende la polyphonie du monde et de la vie. En contrepoint, ou plutôt parallèlement, aux années de représentations sérielles, se développe une vision plus fragmentaire, qui s’écarte de la toute-puissance de la collection, du documentaire descriptif, quasi scientifique, du monde. Devant l’impossibilité d’englober le tout, le photographe représente le monde par des prélèvements ponctuels. Face à la froideur du monde, il réafirme les choix subjectifs qui font l’essence du photographique. Si une esthétique pictorialiste se perpétue, on voit se développer une approche, qui bien qu’imprégnée du style documentaire, le dépasse. Le photographe cherche une représentation du monde plus dense, plus complexe, plus sensible. Par une acuité renouvelée, il agglomère, imbrique les niveaux de sens, joue avec le symbolique, la description, les relations indicielles, la métaphore, la coupure, l’allusion, l’opposition, la figuration et l’abstraction... pour créer de la profondeur, de l’épaisseur à l’image. Il s’agit de faire naître la poésie du réel comme le dit si justement le photographe Geoffroy Mathieu : « Persuadé que le poétique n’est pas l’opposé du documentaire, mais son allié, j’ai choisi d’aborder le chaos qu’est le réel avec liberté, laissant mon regard faire son choix... entre fidélité au réel et interprétation, entre véracité et imaginaire. »

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Avec les éléments récoltés, pris, glanés ou composés, façonnés ou construits, le photographe, comme l’écrivain, configure le récit. Il se joue de la chronologie pour remanier ses expériences, pour reconstituer son histoire. Pour le photographe, cette réinterprétation du monde trouve ses origines dans le récit littéraire et surtout dans l’art du montage cinématographique. Il propose une construction subjective aux spectateurs, un assemblage où chaque image parle de la vie, de nos vies, mais dont la juxtaposition produit un glissement pour donner du sens à l’insaisissable. Si cette construction peut être figée, bien souvent l’artiste la déconstruit, la réagence, la réinterprète dans de nouvelles associations d’images comme pour jouer et rejouer de la polysémie des choses. Si l’on trouve dans les premiers travaux proposés dans ce numéro, une certaine composition classique avec une unité (qu’elle soit de lieu, de personnages, de temps ou de situation...), celle-ci, vole en éclats dans les dernières propositions. Les fragments du monde ne sont plus reliés objectivement, mais créent par leur mise en relation un nouvel univers. Cette proposition artistique relativement nouvelle est le pivot de ce récit photographique contemporain. Les liens qui apparaissent par le rapprochement des images doivent être mis en correspondance avec l’émergence des réseaux dans notre vie. De même que si la monstration sous une forme linéaire de l’exposition ou du livre persiste, on observe de plus en plus souvent une présentation en nuage qui résonne avec la prééminence des réseaux dans notre monde contemporain. Comme notre histoire n’est plus linéaire, comme nos valeurs sont éclatées, et les choses polyphoniques, il s’agit, à l’instar du nouveau continent numérique, de faire sens par la mise en tension des fragments, des morceaux du monde sensible pour que naisse un nouvel univers à chaque fois rejoué. Peut-on encore parler de récit dans cette suite fragmentaire où la chronologie semble disparaître? à l’instar du photographe qui présente un monde déstructuré c’est le regardeur qui en relie les images et relit un récit sous-jacent, latent, à l’aune de sa propre histoire. C’est un récit ouvert, d’un monde ouvert, proposé à la refiguration du spectateur qui en devient acteur, révélateur d’une narration souterraine. Dans un processus de renégociation des images proposées par cette traversée du monde, de ces bruits captés dans le vacarme des choses, de ces éclats du mince vernis de la réalité*, il réécrit une musique personnelle, nourrie de sa propre présence au monde. les combinaisons d’images mettent au jour des impensés, entrent en résonance avec la multitude tumultueuse de ses propres expériences et suscitent une cohésion sensible de ce monde par trop chaotique et imprévisible. C’est là où l’oeuvre artistique prend toute son importance dans le sens où elle élargit la pensée en ouvrant vers une liberté, elle apporte cette incertitude fondamentale si chère à Edgar Morin, qui permet la créativité et ouvre à la compréhension d’un monde complexe. L’oeuvre n’est plus uniquement l’aboutissement d’un travail, mais elle suscite le commencement d’un autre pour le spectateur.

* référence à l’exposition et au livre «Un mince vernis de réalité» parru au début des années 2000 et réunissant un quatuor de photographes, anciens élèves de l’école nationale supérieure de la photographie, formé par Céline Clanet, François Deladérrière, Géraldine Lay et Geoffroy Mathieu, qui marque cette approche contemporaine d’un certain récit photographique et pour lequel, dans sa préface, Michel Poivert parle de «cadavre exquis de la description du monde à partir d’images projetées de soi».

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sandra fastré Frature

w w w.sandrafastre.com A 20 ans l’avenir paraît prometteur sans penser au tragique, à l’accident. Pourtant l’instant d’une seconde, ma vie a basculé où certitudes et naïveté ont été réduites au néant. Une jeunesse bouleversée où mon identité fut brisée. Brutale et inattendue une fracture intérieure s’est installée. Malgré les années, cette fêlure impacte encore mon quotidien et mes choix. Il ne s’agit pas de relater cette ambivalence permanente entre les pulsions de vie et de mort qui pousse à l’instinct de survie. Cette quête personnelle est une confrontation à mes angoisses, peurs, échecs mais aussi à mes envies et espoirs. Je ressens la nécessité de saisir des segments de mon propre réel. Aujourd’hui, il est essentiel de lâcher prise pour me réconcilier avec moi-même.

When you’re 20 the future looks bright, you do not think of accidents nor of the tragic. In the space of a second, my life was turned inside out, certainty and candour were reduced to nothing. I became broken inside, my youth became a distraught one. An inner fracture came suddenly and unexpectedly. Despite the years that crack still impacts my daily life and my choices. It is not about relating the ambivalence between the impulses of life and death that breeds a strong survival instinct. This is a personal quest to confront my fears, failures, but also to my desires and hopes. I feel the need to capture segments of my own reality. Today, it is essential to let go in order to become reconciled with myself. Translation by Sophie Knittel.

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frédérique félix-faure Il ne neige plus

www.frederiquefelixfaure.com Vous savez. Cela ne se voit pas tout le temps, mais vous savez. C’est juste à côté du sourire, de l’insouciance, du sommeil, du jeu, un trentième de seconde avant, un quinzième après, quelque chose a lieu, une fulgurance sombre, une violente sensualité, une intranquillité, une possession, une balafre… Un éclair puis retour à la fiction de l’enfance lisse. Vous avez été ces distorsions maintenant immobilisées. Vous ne les serez plus. Instants saisis, morts aussitôt pris. Cela de vous disparaît. D’entre ces failles monte une évidence : dans l’épaisseur de vos corps, vous savez. Vous savez qu’entre vous et nous, il y a du temps barbelé. Vous savez que vous devrez le franchir, ou plus exactement l’avoir franchi. Vous ne savez pas comment, par quelle effraction, quel démembrement, quelles secousses. Vous ne savez pas dans quel étirement de l’espace et du temps cela s’accomplira, mais vous savez qu’une fois du même côté que nous, quelque chose sera mort. Vous aurez en partie complètement disparu.

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sarah ritter aires

www.sarahritter.net ”J’essaye de faire des photographies au noir. Comme un contre-visible. Pas un invisible, mais ce qui l’indique, l’invite, lui fait sa place. Comme le point aveugle de la lumière trop blanche pour être décrite, trop blanche pour être photographiée. La photographie devient ici une sorte de géographe de l’inappropriable, des trous dans la carte. Personne n’a rien à faire et nulle part où aller, ce sont juste des souffles, d’ombres et de blancs - un certain plaisir de respirer dans la nuit.”

Portfolio Sarah Ritter, sélection de photographies parmi 2013/2014.

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marine lanier La Vie dangereuse, 2013 www.marinelanier.com Le titre La Vie dangereuse est emprunté à l’oeuvre éponyme de Blaise Cendrars. La série poursuit de manière arbitraire le rythme même du parcours d’aventurier de l’écrivain - l’espace littéraire ici lié aux césures géographiques, la déliquescence du sauvage tenue aux soubresauts de la mémoire. Le propos n’est pas d’illustrer la nouvelle J’ai saigné, mais de faire se rencontrer la fiction et l’autobiographie. Ces close-up sont comme les fulgurances d’un homme en proie aux délires provoqués par la fièvre. La course folle que j’invente, celle d’un soldat bléssé de 1915, est confrontée à la rémanence de mes souvenirs lacunaires. Le récit d’errances impossibles intriqué aux éclats d’une généalogie morcelée. Images traumatiques, scènes primitives, beautés tragiques, entrevues dans les stases d’un état second, lorsque le corps est chevillé aux hallucinations de la douleur. Survivance d’une mémoire reptilienne qui surnagent par-delà les tréfonds, repoussée aux confins de la vie, dans un lieu suspendu - celui des limbes, en somme. Ici, il est question de touffeur viciée puis de glace, de danger proche de l’éblouissement, d’une mer boueuse laissant place à la menace de l’animal. Dans le même élan, la puissance d’un feu se dérobe à celle d’une jungle sourde. Quelques montres à gousset, dont le cours du temps est suspendu par la chaleur d’un incendie, font écho aux fragments de voiture brûlée, échouée au hasard d’une île. Une violence tue où la beauté grave fait se côtoyer constamment un univers de fin du monde à celui du commencement. Mon travail s’inscrit dans une nature habitée et vivace, recouverte de tâches aveugles, faite de pulsion et de répression, de poursuite et de heurt, d’exaltation et d’épuisement, de crime et de rédemption, de vengeance et de pardon. Devant le surgissement d’une telle étrangeté, on est encore chez soi ou perdu au milieu de nulle part, remontant le cours d’un fleuve caché, tel un nouveau Fitzcarraldo. Ces photographies sont l’expression des débords de la vie - plutôt celle d’une soif de vivre qui prend le risque de l’ivresse - celle des liqueurs fortes.

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amaur y da c unha w w w.amaur ydacunha.com Ce s i m a g es sor ties de la vie tissent un nouveau récit, libéré de la chronologie, de l’identificatio n d e s ê t re s o u d e s l i e u x q u e je montre, mais aussi de son commencement, comme de sa fin. Si ces photographie s n’o nt s a n s d o u te p e u d e ra ppor t thématique entre elles, j’ose espérer qu’elles dialoguent en secret. Comme dans u n rê ve d a n s l e q u e l c h a q u e s ensation pourrait promettre un conte. Il ne s’agit pour tant pas d’évasion, mais de mont re r e n i m a g e s q u e n o t re ex p érience littérale du monde est une aventure perpétuellement discontinue.

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Points de vente: La revue de photographie Regards est éditée par l’association bla-blART 20.rue J-B Lulli, 66000 Perpignan, France. www.bla-blart.com

Impression de la version papier par Painara, création et impression numérique, Perpignan.

25 € par envoi postal en France métropolitaine 76 Allées Charles de Fitte 31 300 Toulouse

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Directeur de publication : Pascal Ferro Comité d’édition : Claude Belime, Pascal Ferro, Edith Barboteu, Odile Corratgé, Eric Horvath Réalisation technique : Odile Corratgé, Edith Barboteu Contact : revueregards@yahoo.fr Prochain numéro: • ”Hollidays” Toutes les photographies publiées dans la Revue de photographie Regards sont soumises au copyright. Toute reproduction ou publication est interdite sans accord de l’auteur.

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www.revue-regards.com www.filaf.com Place Grétry 66 000 Perpignan


Déjà paru # 1: le paysage (août 2009) # 2: l’autre (octobre 2009) # 3: polaroïd (janvier 2010) # 4: rencontres (mai 2010) # 5 : mouvement (juillet 2010) # 6 : l’intime (octobre 2010) # 7 : ailleurs (janvier 2011) # 8 : noir (avril 2011) # 9 : étrange (juin 2011) # 10 : architecture (décembre 2011) # 11 : pouvoir (septembre 2012) # 12 : la beauté (mai 2013) # 13: rock (février 2014) # 14: l’absence (juin 2014)

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