Rhita Cadi Soussi A look at previous work between 2013 and 2019
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Architecture since 2008
the shop shaper (french - extracts) master II: THESIS ABOUT RETAIL architecture
PROLOGUE Je m’étais toujours intéréssée à la mode comme un aspect superficiel essentiel à la société. Comme un phénomène de la rue. Un phénomène de la ville. Une manifestation spatiale. Une dimension physique, ayant traversé les âges et colonisé des espaces tangibles. Qu’on la suive ou qu’on s’y insurge, elle constitue un marqueur lié à son temps. Contemporaine ou d’avant-garde, elle émane toujours des précurseurs que la copie démocratise. Rei Kawakubo est née le 11 octobre 1942 à Tokyo. Elle crée sa marque «Comme des Garçons» en 1969 au Japon, et ouvre sa première boutique à Aoyama en 1975. En 1981 elle arrive à Paris pour présenter sa première collection. Elle est aujourd’hui à la tête d’une société multi-marques générant près de 220 millions de dollars de revenus par an. Décrite comme une créatrice intemporelle ou un précurseur silencieux par la profession, elle n’a, à 71 ans, jamais été aussi connue ou influente. En 2012, elle remporte l’International Fashion Award qu’elle n’ira pas chercher. Car elle ne parle pas, ou s’exprime très peu, ne salue jamais à la fin de ses défilés 6. Sa discrétion, sa liberté et sa créativité intriguent et constituent les seules constantes de son travail. Sa mode est prise au sérieux parce qu’on pense ne pas
la comprendre, et Rei Kawakubo ne répond aux questions qu’on lui pose qu’à travers son associé et mari depuis 1992, Adrian Joffe, un sud-africain passionné de culture japonaise. À eux deux ils développent l’empire que l’on connait, multipliant les marques et continuant de créer de nouvelles spatialités commerciales dans cette esthétique qu’elle invente et qu’elle maitrise dans sa totalité. Son processus créatif est radical et souvent décrit comme intellectuel, plus proche de l’art contemporain que de la mode, évoquant la beauté de l’inachevé, du noir et de la déconstruction de l’espace et du vêtement. Son travail m’était quasiment inconnu avant de commencer l’écriture de ce mémoire. Ce monde m’avait cependant toujours intrigué, la mode au sens large. Je lisais des articles contradictoires sur les bienfaits d’un monde du luxe capable de redonner les moyens à l’architecture de se renouveler, ou d’un capitalisme commercial qui détruisait la ville à coup de boutiques. D’une dévaluation de la culture et de son appropriation par les grandes firmes (PPR, LVMH..), mais aussi l’inverse (la financiarisation ou la spéculation de l’art). Il y avait alors cette question, très large, du statut de la haute-couture, des conglomérats de marques, et de leurs boutiques, dans la ville aujourd’hui. Un espace exclusivement commercial
? Gentrification des centre-villes ? Quelle marque choisir pour en parler ? Comme des Garçons, après la lecture de nombreux articles de revue de mode, de journaux, de magazines d’architecture (car les sources sont rares concernant le sujet, ce qui me semblait être une forme de défi aussi) me semblait être un choix judicieux autant qu’une exception. Je pouvais expliquer un phénomène plus large, celui que je questionnais au départ, et réussir à trouver un exemple de success story possiblement équitable. INTRODUCTION De la déconstruction à l’univers absolu. D’Hiroshima à Internet. Du dépouillement à la saturation, puis de l’unique au clonage. De la boutique au flagship et du flagship au pop-up. Entre les deux le concept store, les magazines, la musique, les expositions. Silhouette filiforme et air austère, pantalon chinois ceinturé, frange et cheveux courts, Rei Kawakubo règne sur un empire qu’elle aura construit uniquement par la force de ses idées. Autour d’elle le silence est monastique, blanc, pendant qu’elle s’évertuait à habiller la prospérité de noir et la beauté d’imperfections. Sa vision de la mode a toujours été quelque chose de plus important que l’enveloppe, de plus transcendant que l’époque. Synonyme de
HERMÈS TOOGOOD Petit h pop-up store in New Bond Street
London 2013
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All drawings/images are owned by Studio Toogood Ltd. Copyri
TOOGOOD FASHION Collection 00
Paris 2013
152 MEDITERRANEA The urban tale of Italian islands
Venice 2014
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PINETA GRANDE MARINA DI CASTELLO VILLAGIO COPPOLA PINETA MARE ISCHITELLA LIDO LAGO PATRIA MARINA DI VARCATURO LIDO DI LICOLA
NUOVA COLMATA MONTE DI CUMA CHIAIA POSILLIPO
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“ On estime à 5 milliards le nombre de cartes postales représentant la Tour Eiffel, soit presque une pour chaque habitant de la planète. Par contre, il est presque impossible de trouver une carte postale récente représentant un lieu de la périphérie parisienne. Ces territoires sont aujourd’hui sans image.” Combien de fois sommes-nous capable de décrire l’autre côté du périphérique ? Quelles sont les clichés qui le représente ? Paris, et plus largement l’Ile-deFrance, est considérée comme le premier pôle économique européen, première destination touristique mondiale, concentrant intra-muros, plus de 12 millions d’habitants. La première région française s’accapare tous les superlatifs nationaux. 1/4 des français vit dans un espace périurbain. Autour de Paris, cela représente 11249,4 km2 pour 5 243 753 habitants, 466 habitants/km2, 50 fois moins que Paris. Ce sont 1157 communes contre 1. Des densités urbaines, construites, toujours inférieures à 20% par département. Une majorité de vide, rural contrôlé, étendues de R+1 avec petits jardins, de R+1 avec parkings, de R+1 au pluriel. “Ayant franchi l’enceinte où les siècles la tenaient retranchée, la ville s’épanche, incontinente, au-delà des murailles et des fossés,
gagne la campagne, l’occupe et la transforme. Elle se dirige dans toutes les directions, préférant les axes et les dessertes. Le périmètre arrondi des limites, bouleversé, percé, s’épanouit en étoile aux contours hésitants” 2. La marge est une géographie, un remède fictif à la mélancolie, un “univers ayant pris la forme d’une île fermée, un paysage qui se défait au son des oiseaux qui chantent de 8h à 22h sauf les dimanches et jours fériés”. Les territoires marginaux sont une accumulation de limites à différentes échelles faisant cohabiter des entités urbaines monotones et monofonctionnelles les unes contre les autres. La majorité de ces/ ses espaces arrivent à saturation de significations, comment et à partir de quoi pouvons-nous créer de nouveaux lieux de représentation ? L’absence de centre de ces espaces conduit à la création d’architectures repliées sur elles-mêmes, à des objets qui revendiquent en un simple coup d’oeil leur autosuffisance : les périphéries se peuplent de forteresses en temps de paix où quelques constructions émergent de terre et espèrent la vie. Ils sont engloutis par le vide, et l’abstraction du lieu 4 : tout ce qu’on aime devient une fiction. Il y a dans l’ennui, le soupçon étrange de la beauté, une forme d’humour, de nostalgie.
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Fun
Palace 577 Constellations vues du ciel Versailles 2015
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Fashion since 2015
Rodin
2016 Art direction for a jewellery commercial at the French Institute of Fashion.
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Art Direction
Paris 2016
FW17 The FW17 collection was inspired by the encounter of London and Mexico, man and woman, past and present, totally in line with the key items of the brand: tailoring.
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N°24 “Volez, Voguez, Dépensez” - Été 2016.
N°25 “La Vie de Château” - Automne 2016.
N°26 “Le Marketing du Bonheur” - Hiver 2016.
N°27 “La Vie de Château” - Printemps 2017.
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N°29 “Kids Return” - Automne 2017.
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N°30 “800 Millions de Captifs” - Été 2018.
N°31 “La Femme Billboard” - Hiver 2018.
Chronique mode
la vie de château
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Les châteaux sont la métaphore naturelle d’un empire. Désuétude d’une aura qui fascine et dont le pouvoir se meurt, le luxe illustre sa renaissance ou met en scène sa survie, dans s e s d o r u r e s o u s e s r u i n e s , entouré de tapisseries.
C’est le numéro 376 de Holiday magazine qui nous plante le décor : « The French Aristocracy Issue. » En guests, Madame de vilmorin et Daniel de La Falaise nous expliquent « how to be noble today ». Tout un programme. Le bureau parisien de direction artistique de Franck Durand (lui-même rédacteur en chef du magazine) annonce donc la tendance : pour le luxe, la vie [M XI[[M I] KPp\MI] .IQ[IV\ Å du monde alentour, nous sommes dans l’univers chatoyant de l’entre[WQ 5WV ZQZM uKTI\IV\ [M ZMÆv\M
dans les dorures, pas le tien ? Plus qu’un repli, c’est un retour aux sources et aux valeurfondatrices. Alors que l’authenticité est le maître mot dans une époque qui s’est lassée du bling, de la dépense, du hipster, du toc, du bobo… chacun reprend sa place et joue son rôle. On moquait l’attitude plate d’une publicité vintage Ralph Lauren ? Elle redevient complètement « in ». Habillé de luxe, l’homme est un aristocrate, même si cet homme décline son rang
en plusieurs humeurs volubiles. Quelques exemples récents dans TM[ ÅTU[ LM UIZY]M " IZQ[\W ZQOWTW ' Panoplie chez Gucci, où l’aristo fait du skateboard et regarde la ville inébranlable sous son pantalon à 700 dollars et ses lunettes XXL attachées autour du cou par des perles et des pierres fantaisie. Il danse, les yeux fermés, entouré LM RM]VM[ ÅTTM[ MV ÆM]Z Uu\IXPWZM TQ\\uZITM LM T¼QUXZQUu ÆM]ZQ [W][ TI musique psychédélique qui inspire Alessandro Michele. Envie d’un aristo rebelle ? Givenchy débarque, 53
moto sur tapisserie, et joue au basket parce qu’un aristo, c’est pas obligé de s’ennuyer à rebours comme Huysmans. Il peut aussi détruire son lieu de vie. Tant pis pour la descendance. On peut aussi avoir en nous un aristo classique, comme à Salzburg avec Chanel, qui avait clairement lancé les hostilités, même si nous n’avions pas oublié la jeune JTWVLM MٺIZW]KPuM LM ,QWZ Y]Q courait contre la vulgarité dans les jardins bien dessinés de versailles. Elle a vite été remplacée par Rihanna. Trop conservatrice et inconnue, la blonde. Et Chanel avait quand même invité Pharrell Williams et Cara Delevingne… Pour Prada, c’est une maison carrément pas château, mais complètement déserte, avec trois RWTQM[ ÅTTM[ Y]Q [¼MVV]QMV\ MV[MUJTM dans ce qu’on pourrait appeler la « richesse moderne » : j’ai du goût, j’ai vendu mon château et j’ai racheté 54
celui-là. Plus moderne. C’est donc un château carrément intello, où la beauté s’ennuie et se contemple. Plus ambigu chez Miu Miu. La publicité est un collage de clichés (jeu de mot assumé) où se combinent haute et basse sociétés, uniformes à l’appui. Ils jouent au cricket, cristaux aux pieds. Disruption absolue. 5IQ[ ÅVITMUMV\ K¼M[\ Dolce Gabbana qui gagne la palme. Scénario : Sophia Loren, icône assez abîmée, arrive face à une ruine de château, évidemment suivie de cinq jeunes et jolis garçons robustes, sûrement rencontrés sur ce chemin de cailloux et de poussière. Après dix mètres de « on marche en pyramide », pour rappeler que c’est une publicité, la dame pleine de bienveillance lève le bras et s’écrie que ce château doit être sauvé. Métaphore à peine masquée de la situation ÅVIVKQvZM LM TI UIQ[WV ,WTKM ' On rappelle que c’est une publicité pour un parfum. Suite à trente secondes de gêne et de potentiel
LuJ]\ LM ÅTU uZW\QY]M OIa WV IZZQ^M après trois citronnades et sûrement trois printemps, à la renaissance d’un château solide, qui attire une foule de femmes en robes imprimées de fruits. Sont-elles venues pour les hommes qui transpirent ? nous ne le saurons jamais. Ils font la fête, rigolent, dansent de joie, et tentent de goûter à ce qui semble w\ZM ]VM ZW[M )\\MV\QWV RM]VM ÅTTM brune sicilienne, prend garde à la tigresse (Sophia) qui descend l’escalier principal. Le parfum lui appartient. En 2016, on ne peut que constater que le luxe est en pleine rehab. En un siècle et demi, il aura LuÅu TM[ QLuM[ XZuKWVt]M[ QV[\ITTu les tendances pour ensuite s’en détourner. Alors qu’on précipite sa chute (How Luxury Lost Luster, Dana Thomas, 2008) et qu’on conteste son rythme, ses prix ou ses valeurs dépassées, le luxe se barricade derrière sa prétendue histoire. Carte de visite de la vieille Europe,
un bel objet peut être détruit, mais jamais oublié. On revient vers lui quand il se déchire, il prend dans les replis de son cuir les traces de nos souvenirs […]
l’industrie rappelle ses origines. Avec humour ou désinvolture (Gucci, Givenchy), respect ou nostalgie (Prada, Chanel, Dior). Si le monde est ville, le château est privilège, déconnecté du commun des mortels par sa distance et son domaine, sa cour et ses rois imaginaires. Mais, tel Monsieur Jourdain, le luxe nous critique sans le savoir et met en lumière ce qu’il y a de vaniteux en nous : le désir du prestige, du bel objet. Et si nous n’achetions que du luxe ? nous consommerions sans doute beaucoup moins. Le luxe serait-il un modèle écologique viable ? La durabilité du produit comme l’image éternelle du château sont ÅVITMUMV\ TM[ ZIXXMT[ VW[\ITOQY]M[ d’une racine commune : celle des valeurs. un bel objet peut être détruit, mais jamais oublié. On revient vers lui quand il se déchire, il prend dans les replis de son cuir les traces de nos souvenirs.
+M[ LQٺuZMV\M[ QTT][\ZI\QWV[ du château tissent le lien qui existe entre l’imaginaire et le construit. Le château est une caricature ou un raccourci, qui éveille en nous la fascination pour l’élégance, comme l’aura d’une ancienne génération. Dans un monde sans cesse en mouvement, la dynastie luxe combat l’époque en se nourrissant de pres\QOM M\ MV M[[IaIV\ LM ÅOMZ TM \MUX[ en convoquant un symbole dont le fantasme est éternel. rhita cadi soussi Images © DR Bibliographie : Publicité Dolce & Gabbana parfum Dolce Rosa excelsa Publicité Gucci Cruise 2016 par Glen Luchford Publicité Dior Secret garden par Steven Klein x Rihanna Publicité Dior Secret garden par Inez & vinoodh (2012) Film Chanel Salzburg - Métier d’arts (2014) Film Givenchy par Mert and Marcus - Automne (2015) Film Prada par Steven Meisel, (2016) <PM :W_ ,uÅTu Holiday Magazine n. 376, The French Aristocracy Campagne Miu Miu, Fall 2016 THOMAS, Dana. How Luxury Lost Luster, 2008 55
« >W][ VM \ZW]^Mb XI[ tI ILUQZIJTM Y]IVL UwUM 4]KM la campagne ? Quel spectacle ! On ne voit jamais ça à Paris... et pour cause me direz-vous… 5IQ[ QT M[\ ^ZIQ Y]¼WV V¼I XI[ TM \MUX[ LM ZMOIZLMZ XIZ TI NMVw\ZM o 8IZQ[ » Françoise Sagan, Les Faux-Fuyants, 1991.
sans écran ni musique Paris, 2017. On doit secouer le ciel pour en apercevoir les bleus. Avec les heures sup, les particules, les apéros et les cocktails, la vie s’est transformée MV JZ]Q\ LM NWVL LIV[ TM KWVÅVMUMV\ de nos barrières. C’est en silence que les saisons passent, sans révolution ni saveur, et que le vêtement s’échappe de ce spleen racoleur. Alors que sur le monde s’érigent les frontières, le T]`M M[\ TM [M]T o XZWÅ\MZ TM \MUX[ d’un shooting, de l’air frais d’escapades futiles. nous sommes allés un peu partout. Dans l’espace, les déserts ou les plaines. On s’est pris la pluie, on a fait du tourisme historique dans tous les châteaux, gravi des montagnes, voyagé sur la lune. On a renversé des territoires, conquis le vide, en laissant de côté les masses ébahies d’une génération immobile. Les images de mode se sont éloignées de nos réalités. Elles n’existent que dans des fantasmes où les lumières sont parfaites et les chaussures trop chères. La mode a pris la fuite. Elle se ZuN]OQM I]` KWVÅV[ LM KZWaIVKM[
stables et de valeurs universelles, face aux changements trop rapides d’un monde qui se construit sans nous. Gucci Garden, les grands mythes. Campagne Gift Giving 2016 par Floria Sigismondi,
45 139 vues sur YouTube « Nous vivons dans l’âge de l’information. La technologie surpasse la biologie M\ u^WT]M o LM[ Za\PUM[ MٺZuVu[ Y]Q VW][ TIQ[[MV\ LMZZQvZM +ZWY]MZ LIV[ TI XWUUM K¼M[\ IKKMX\MZ TI LuKQ[QWV Y]M VW][ I^WV[ prise de suivre le chemin du savoir et de l’expérience. L’expérience est une
KPW[M UMZ^MQTTM][M 8M] QUXWZ\M KM Y]¼QT se passe après, c’est son choix et l’idée LM KM Zw^M Y]Q [WV\ Lu\MZUQVIV\[ »1 4M ÅTU M[\ ]V Zw^M =V UWUMV\ suspendu. Quand le danger nous guette, la beauté de la nature prend des élans d’innocence inédite. Le ravissement de ce que l’on connaît et la peur de l’inconnu se résument MV ]VM UQV]\M L¼QUXW[[QJTM ÆpVMZQM Filmé dans le ninfa Garden à Rome, le très court métrage-très gros budget est le produit de l’univers d’Alessandro Michele. Les références d’histoires bibliques comme le Jardin d’Eden et le paradis d’Adam et Eve sont l’échappatoire face au chaos, le retour rassurant du règne animal. Les images sont bercées de l’opéra de Donizetti, Il Dolce Suono, qui transporte les émotions au-delà du réel. une licorne, un tigre, un serpent, un zèbre, des perroquets et des petits lapins. L’eau qui coule devant des paires de loafers et une nature I] JWZL L] XZuKQXQKM 4M[ ÅTTM[ WV\ des bagues à tous les doigts. Elles n’attendent personne pour être sauvées.
Le conte fantasmagorique. Le péché originel. Sac à 4 000 euros. Mon père, j’ai shoppé. Dior, le Grand Bal. Collection haute couture SS17, 12 406 vues sur YouTube Le faste exhalait dans l’air. C’est l’histoire des bals d’avant-guerre. Ceux dont la profusion humilie le passant, ceux qui craignent le #fomo. Tout paraît alors fantastique, comme suspendu au-dessus du sol. Comme suspendu au-dessus d’un destin où UwUM TI T]VM M[\ IZ\QÅKM :QMV V¼M[\ vrai dans ce jardin. Les bulles de champagne se dégustent une à une comme autant d’oxygène salvateur tant l’air est irrespirable. Le hashtag #breath est un hit sur Instagram. La société digitale a poussé un cri KWUU]V 8W]Z\IV\ []Z TM LuÅTu bien que l’air exhale le vert, les silhouettes sont pour beaucoup vêtues de noir, et les visages de papillons de nuit. Des néoprincesses de la Renaissance twerkent au plus près des bougies, entre le déferlement des licornes (encore des licornes) et les musiques électroniques. À quel point pouvons-nous recréer Charles de Beistegui, Marie-Hélène de Rothschild ou la magie ? À quel point avons-nous besoin de faire semblant ? À quel point devrions-nous couvrir nos villes ou fuir Paris ? Rodarte, Au secours des émotions. Éditorial mode du 18/11/2016 par B. Barron, Oyster Magazine Des hommes et des femmes en cuir et en dentelles nous donnent l’impression de prendre la fuite dans un décor brutalement naturel. La série s’appelle « Emotional Rescue ». Le site l’anime par la chanson Rescue Me de Fontella Bass. Les dentelles se conjuguent aux cordes et aux sacs LM KW]KPIOM 4M[ ÅTTM[ [¼ITTWVOMV\ sur les arbres ou des cailloux, et semblent déterminées à en découdre avec le monde moderne. Mais ils sont ensemble. C’est un groupe qui aurait pu échapper à l’apocalypse. Il a réussi son voyage, sa transition
du réel au naturel. Pendant qu’ils font semblant, les super-riches préparent le leur. À travers le monde, ils font leurs bagages et transfèrent leurs comptes, prêts pour l’explosion de notre civilisation moderne, plus près d’une nature qui leur appartient, entre autres en nouvelle Zélande. « The new luxury community will have three thousand acres of dunes and forestland, and seven miles of coastline, for just a hundred IVL \_MV\a Å^M PWUM[ .ZWU \PM W]\[QLM you won’t see anything. That’s better for the public and better for us, for privacy. We think it’s the best place to be in the future. »2 4I UWLM M[\ ]V []XMZÅKQMT M[[MV\QMT à la société. C’est un phénomène de la rue, de la ville. une manifestation spatiale. une dimension physique, ayant traversé les âges et colonisé TM[ M[XIKM[ \IVOQJTM[ ZuMT[ W] ÅK\QN[ Qu’on la suive ou qu’on s’y insurge, elle constitue un marqueur de son temps. Elle dépeint sans ironie la pénurie des rêves futurs, et nous renvoie à ce qui nous rassemble. À la possibilité d’un amour qui, lui, ne se démode pas. Pour nous sauver, il ne nous reste que du cœur. Les émotions comme ultime rescousse, dans des contrées dénuées de symbole, dans un univers nu de tout. Sans écran ni musique. rhita cadi soussi
Les images de mode se sont éloignées de nos réalités. Elles n’existent que dans des fantasmes où les lumières sont parfaites et les chaussures trop chères. La mode a pris la fuite.
Floria Sigismondi. Evan Osnos, « Doomsday Prep for the Super-rich », The New Yorker, 30 janvier 2017. 1 2
Bibliographie Anders Christian Madsen, « Garden of Gucci: Floria Sigismondi Talks Holiday Short Film », i-D, 20 décembre 2016. Ann Binlot, « Dior Celebrates Haute Couture With Unicorns », Wall Street Journal, 26 janvier 2017. Tim Blanks, « A Dior Fairytale », Business of Fashion, 24 janvier 2017. Evan Osnos, « Doomsday Prep for the Super-rich », The New Yorker, 30 janvier 2017. Images : Benjamin Barron, Oyster magazine. Gucci Garden, Floria Sigismondi.
chronique mode
the bored generation
Par Rhita Cadi Soussi
« Octave revient de loin. Pour lui la vie sans cocaïne est presque une découverte. C’est un peu comme la vie sans télé pour certains. Tout est plus lent et l’on s’ennuie vite. Il se dit que c’est peut-être ça le secret qui sauverait le monde : accepter de s’ennuyer. Pas facile. »1 108
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Nous recevons en moyenne 5 000 sollicitations publicitaires par jour. 5 000 messages de frustration. 5 000 actes d’achat manqués. 5 000 possibilités d’être plus beau. Tous les jours nous mettons en veille nos instincts, notre créativité, au profit de ce qui fait les tendances. Accompagnés par le silence de la foule, la vitesse nous a endormis, empêché de réfléchir hors des notifications de « l’iPhone désir ». Puis le réveil sonne pour accomplir nos tâches quotidiennes, réduites à des anecdotes que l’on raconte autour d’un verre ou que l’on partage en Instagram story. Le reste appartient à l’oubli, ou aux archives de la Valley2. Trop fatigués pour cuisiner, trop fatigués pour lire, trop fatigués pour penser, nous regardons passivement cette vie qui nous échappe dans le reflet de celle des autres. On jongle entre le fomo3 et le jomo4, entre un selfie et un autre, entre une paire de chaussures ou un week-end à Cabourg, entre le saucisson bio du terroir ou la galette vegan à 10 dollars. On se rêve plus mince, on s’assume plus gros et on recherche encore la norme qui nous rassure et l’approbation de nos pairs ou nos
idoles. Mais la vérité est qu’on s’ennuie, qu’on a peur et que la dystopie éveillée est notre seul modèle. Nous sommes nés entourés de choses que nous avions et que nous aimions modérément. Nous avons grandi en désirant tout ce que nous n’avions pas et que nous ne pourrions certainement jamais nous offrir. Dans une quête perpétuelle de nous-mêmes, nous nous sommes éloignés du réel, trop occupés à combler le stalking5 des autres, habillant nos journées d’un superficiel rassurant qui se répète et dont nous semblons avoir du mal à nous sortir. Travailler dans la mode « Je sais pas pourquoi je travaille dans la mode. » (Une employée Balenciaga) 109
La mode se résume à peu de choses. Alber Elbaz appelle ça le rêve6. De l’énième retour de la jupe à carreaux copiée et recopiée par toutes les études de marché, en passant par l’égérie qui se retrouve à être l’unique visage de toutes les saisons d’une année, à des histoires qui tournent en boucle sur YouTube mais qui ne racontent rien, nous nous retrouvons à l’ère de l’habitude rassurante, des mêmes mannequins, des mêmes décors, dans ce cercle virtuel que nous nous sommes créés. Le tweed fatigue Chanel. Les princesses épuisent Dior. Nous sommes paralysés par les peurs ordinaires, barricadés par les violences populaires, censurés en ligne par les pouvoirs autoritaires, boycottés par les politiques et le correct, la consommation est un tabou de 4 milliards de stocks invendus7. À l’aune d’un réveil soudain, le monde entier n’est plus en veille et prend la mesure du défi qui nous incombe. Et les créatifs sont en première ligne pour faire de la politique et pas du silence radio. S’engager pour des causes et pas pour de la croissance, inspirer la
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la diversité accompagne le féminisme et fait rentrer du cash : c’est la rentabilité du politiquement correct
culture mainstream et la faire rêver de quinoa à petites doses. Ce sont pourtant les décideurs qui rejettent notre prose : rien de nouveau sous la lumière bleue et la froideur de nos MacBook Air. La Chine, qui maintenait l’illusion d’un monde prospère, rencontre à son éveil les limites de sa domination, emportant dans sa retenue les derniers vestiges de l’ancien monde8. Après le Dolce Gate-bbana9 et le Burberry-Gate10, le monde bascule entre les mains de la domination du nombre : les voix du changement s’élèvent, des shows s’annulent et des vêtements brûlent sous la gêne des mea-culpa. Travailler dans le monde “The purpose of burning my clothes is to awaken the Chinese people and the Chinese nation. Some people say you’ve wasted a lot of money. I’m willing to waste this money for the nation’s dignity.” (Mr. Xiang, client Dolce & Gabbana)
En 2017, le luxe en était arrivé au déni du vivant, élevant des renards obèses pour produire des kilomètres de fourrure immaculée11, entassant dans des Plaza en ruines une humanité sous-payée12. Les dénonciations d’horreurs et d’injustices nous ont petit à petit plongés dans un monde de transparence généralisée, dont les réalités sont aussi dures à accepter qu’à ignorer. Elles ont éveillé les consciences de consommateurs informés qui se sont mis à questionner les normes établies d’une consommation à outrance, portée par une croissance et une avidité incontrôlées. 110
La société est sortie de sa veille, regardant fondre sous ses pieds des morceaux de banquise transportés par l’artiste Olafur Eliasson face à la Tamise13. Le 10 Year Challenge de Facebook avait le goût de cette révolution, et entre les souvenirs des uns et des autres, il y avait la planète. Petit à petit, les messages de communication, les campagnes et les couvertures de magazine se sont adaptés au rejet collectif de l’establishment : les minorités sont remises sur le devant de la scène, et il devient cool de les aimer. Des femmes enceintes défilent pour Savage × Fenty et commencent à nous faire oublier les années angéliques de Victoria’s Secret14. La diversité accompagne le féminisme et fait rentrer du cash : c’est la rentabilité du politiquement correct. Mais est-ce suffisant de le montrer ? Utopies Les traditionnelles maisons de luxe ont face à elles des milliards d’iPhone qui les regardent, prêts à synchroniser leur carte bleue ou à rejoindre le camp des haters15. Cette bataille virtuelle, manipulée, influencée, serait le nouveau monde face à l’ancien, dont l’issue apporterait la renaissance de rêves qui nous ressemblent. Vraiment ? En 2019, la surface de la mode ressemble à des produits dérivés de célébrités éphémères. Fabriquée en Chine, markétée par une Europe qui s’essouffle, vendue aux Chinois : la mode tourne vicieusement autour d’un cercle infini sans issue de secours. C’est la culture qui doit se réinventer. Ce que cette génération attend de nous, c’est que l’on réactive leur imagination, une nouvelle utopie qui porterait l’espoir pour de nouvelles générations. Kenzotopia16, la campagne Kenzo par David LaChapelle, signe avec une souriante nostalgie la fin d’un monde d’euphorie et de frénésie figeant dans le temps les restes de notre insouciance.
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fabriquée en Chine, markétée par XQH (XURSH TXL V·HVVRXIÁH HW YHQGXH aux Chinois : la mode tourne vicieusement autour d’un cercle LQÀQL VDQV LVVXH GH VHFRXUV
1 Frédéric Beigbeder, 99 Francs, Grasset, 2000. 2 Silicon Valley. 3 La peur de rater quelque chose (acronyme de l’anglais Fear Of Missing Out) est une sorte d’anxiété sociale caractérisée par la peur constante de manquer une nouvelle importante ou un autre événement quelconque donnant une occasion d’interagir socialement. 4 Acronyme de l’anglais Joy of Missing Out. Mi-digital détox, mi-social détox, c’est l’idée de regarder un bon film à la maison sans se soucier de ce qui se dit sur Twitter ou s’affiche sur Instagram. 5 Le stalking (littéralement la « filature ») consiste à chercher toutes les traces laissées par une personne sur les réseaux sociaux. 6 Alber Elbaz : “We remain an industry that creates dreams”, sur The BoF Podcast, 12/01/2019. 7 Enrique Moreira, « La rentabilité d’H&M plonge, plombée par les stocks », Les Échos, 28/06/2018. 8 Casey Hall, “Danger: What Apple’s China Slump Spells for Fashion”, sur BoF, 9/01/2019. 9 Vanessa Friedman, “The Crash and Burn of Dolce & Gabbana: Racism and arrogance about China has imperiled the brand”, The NYT, 23/11/2018.
10 Lucy Handley, “Burberry is running its first Lunar New Year ad – but some people are calling it creepy”, sur CNBC, 7/01/2019. 11 Anne-Sophie Tassart, « Finlande – Ces renards gavés pour produire toujours plus de fourrure », Sciences & Avenir, 13/09/2017. 12 Maud Margenat, « Bangladesh : Cinq ans après le drame du Rana Plaza, l’heure du bilan », Libération, 24/04/2018. 13 Philip Stevens, “Olafur Eliasson brings ice watch installation to London to inspire action against climate change”, sur Designboom, 11/12/2018. 14 Steff Yotka, “At Savage × Fenty’s Runway Show, All Women Are Goddesses”, Vogue US, 13/09/2018. 15 Haters (terme anglais signifiant « haineux ») est une expression pour désigner un groupe de personnes qui, en raison d’un conflit d’opinion, passe son temps à dénigrer une cible, grâce aux réseaux sociaux ou en commentant des articles sur Internet. 16 « Kenzo dévoile sa campagne Kenzotopia réalisée par David LaChapelle », sur LVMH Actualités, 14/01/2019.
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01 Vue de l’installation Ice Watch d’Olafur Eliasson, devant la Tate Modern, à Londres, décembre 2018. 02 Campagne Burberry nouvel an chinois 2019. 03 Image du défilé Savage × Fenty à New York, septembre 2018.
chronique mode
800 millions de captifs
Par Rhita Cadi Soussi
Entre engouement et tendance, UpDOLWp HW ÀFWLRQ OHV PDUTXHV VRQW revenues au même niveau que l’être humain : HOOHV VRQW HQ FRPSpWLWLRQ DYHF OHV SURÀOV H[WUDRUGLQDLUHV HW OH FRPPXQ GHV PRUWHOV 104
nous entrons dans une économie de l’attention : tout l’enjeu est de faire s’arrêter le pouce [de scroller], comme on se retourne dans la rue frappé par la beauté ou la différence La frontière des mythes rencontre celle des réalités et des images sans contexte se confrontent à celles des saisons : en 2017, 709 millions de likes ont été comptabilisés par Instagram sur la thématique de la saison de la mode printemps/été 2018. Instagram, c’est le réseau social d’un milliard de dollars qui rapproche la fiction des gens. Un genre littéraire visuel où se succèdent d’exquis cadavres narratifs. Différents niveaux de réalité s’y exercent et des fonctionnalités toujours plus nombreuses, allant du privé au public, s’y agrègent. Les tableaux, les archives, les stories, les lives, les highlights, les swips, shops, posts, likes, comments, saves, reposts, throwbacks, hashtags… cela fait huit ans que le monde des expressions qui s’y est créé ne cesse de s’enrichir et de nous captiver : les stories ont fait grimper le temps d’utilisation quotidienne à 30 minutes en moyenne. Un peu comme dans la vie, on y croise des émotions, des larmes, des sourires, des naissances, des photos de famille ou de vacances. On y croise son ex ou son futur amant, des gens qu’on aime ou
qu’on déteste, du personnel ou du show off, du figuratif ou de l’abstrait, des souvenirs ou des fantasmes. On y croise aussi des précurseurs, des égéries, des idoles, des boutiques en ligne ou des campagnes inédites de maisons de mode. Mais aussi des fesses. Beaucoup de paires de fesses. On a mis entre le monde et nous un regard à écran plat, où les volumes sont des ombres, les paysages des pixels et les slogans des discours. Imaginé en 2010 comme une collection visuelle d’expressions personnelles, Instagram déborde rapidement le cercle des initiés pour progressivement envahir nos réflexions, nos modes de vie et nos destinations de vacances, jusqu’à supplanter la carte postale. Miroir 105
impalpable de l’esprit, Instagram a rendu tangible (par volonté ou par accident) des expériences mentales qu’il était difficile d’exprimer : des processus de création comme celui de @camillebwaddington, styliste dont l’art des images compte 70 000 abonnés et des décennies de carrière, sont alors visibles à l’œil nu. On assiste à ce qu’on ne pouvait pas voir : la vie d’un créatif, ses inspirations, mais aussi ses tenues, ses amis, les lieux qu’il fréquente, les images qui le touchent, ses moments de fête ou d’ennui, de doutes, de présence ou d’absence, bref un lifestyle en même temps qu’un contexte de création. La vie a toujours été un jeu et Instagram son cirque. La mode continue d’y émerger, d’y naître et de s’y échanger. Plus que jamais, nous avons besoin de chercheurs
chose impensable il y a encore peu, des grands marques SHXYHQW FRQÀHU OHXUV SURGXLWV à des personnes qui les mettront en scène selon leur fantaisie
de tendances : l’endroit où elle se crée n’est plus circonscrit à une semaine de la mode ou à un podium. Elle est là, 365 jours par an, H24 et sur tous les fuseaux horaires. Plus qu’un réseau social, Instagram est devenu un outil qui recueille l’avis et mesure l’engouement dans l’instantané, crée des tendances algorithmiques et des baisses de hype souvent perfusées à la sponsorisation. De nombreuses marques sont nées comme ça et passent le reste de leur temps digital à nourrir leur communauté grandissante ou fuyante, fidèle ou volage. Il faut alors entretenir la discussion, le mythe, l’intérêt, et souvent les trois à la fois. Et toi, tu la payes combien ? 15 000 euros le post Insta ? Oui, 15 000 euros le millième de seconde, le centimètre carré de maillot sur son 1,80 m de corps et ses petits kilos (par souci
de décence, on taira leur nombre) pour toucher 7 % des gens qui, quotidiennement, la regardent. Le conservatisme latent de notre milieu d’esthètes avait eu du mal à l’accepter, mais vit aujourd’hui librement avec. Comme sortie du placard, cette réalité sans télé a envahi nos quotidiens et a érigé en icônes les femmes et les hommes virtuels de ce monde. En 2018, les influenceurs, les « talents », les creative directors de ce monde Instagram sont passés du statut de wannabe à celui de star incontestée. On se souvient encore avec émotion du choc de 2014 lors de la première couverture de Kim Kardashian pour le Vogue US. Vendu à plus de 1,5 million d’exemplaires, ce numéro a fait valser nos a priori et nous nous sommes tous mis à faire des selfies. Certains d’entre nous sont même devenus des instagrammeurs 106
de profession. Leur influence, micro ou macro, est devenue indispensable aux messages des marques de mode. Des budgets annuels leur sont alloués, comme à des médias, et ils deviennent maîtres du produit, qui se fait une place dans leur ligne éditoriale. Chose impensable il y a encore peu, des grands marques peuvent confier leurs produits à des personnes qui les mettront en scène selon leur fantaisie – avec quand même un petit droit de regard vu le chèque qui va avec.
Quel impact cela a-t-il vraiment ? Les plus conservateurs trouveront toujours cela réducteur. L’influence peut être mesurée, mais serait desservie par ce prisme quantitatif, car l’influence prise comme un panneau d’affichage revient à déshumaniser la prise de parole et la réduit à… eh bien, un panneau d’affichage. Ce que @Gucci (20,3 millions de followers) a compris, c’est que la collaboration avec l’authentique était la bonne manière de parler avec la voix d’un autre : @ignasimonreal, artiste peintre de son état, passé de 30 000 à 108 000 followers au compteur de la popularité, ainsi qu’à une gloire relative auprès d’initiés qui ont découvert son travail pour la campagne Gucci – l’une des premières campagnes peintes des vingt dernières années par un quasi-inconnu. Parallèlement, les millions d’abonnés Gucci découvrent la marque sous un jour nouveau, ils ne s’ennuient jamais puisqu’on continue de les surprendre. Rien de nouveau sous le soleil : la nouveauté fait vendre et capte notre attention. « Chirurgie virtuelle, aucune photo sans modification / Montre-nous tes jambes, t’auras plus de 100 notifications » (Nekfeu, Réalité augmentée, 2017) Plus d’un quart de seconde je m’arrête. Frénétiquement, dans le bus, entre deux stations de métro, au boulot, en soirée, à chaque fois que mes doigts se retrouvent dénués d’activité, ils recherchent du haut vers le bas à faire défiler le « feed » devant mes yeux qui ne clignent pas. Plus que ce voyage vers l’algorithme, ce qui m’amuse c’est de m’arrêter. De prendre le temps, de regarder, plus d’un quart de seconde. De croiser le regard, la couleur, ou la surprise d’une image. Aujourd’hui, on scrolle 90 mètres de contenu par jour. Tous les jours. Nous entrons dans une économie de l’attention : tout l’enjeu étant de faire s’arrêter le pouce, comme on se retourne dans la rue frappé par la beauté ou la différence.
Des comptes Instagram comme celui de @emrata (16,2 millions de followers), @gigihadid (37,6 millions) ou encore @kendalljenner (86 millions) totalisent à eux seuls plus de 140 millions de followers, soit le double de la population française. Des communautés à la croissance exponentielle, point de rencontre mondial autour de leurs poses lascives, leurs lèvres pulpeuses et vacances aux Bahamas. Comme pendant la Renaissance, ces filles de pixel ont fait éclore un style, des codes, des poses et des cadrages repris par des millions de groupies à travers le monde. À la manière d’un art populaire, sexuel mais asexué par sa profusion et sa répétition, elle devient un mode dématérialisé d’exister. Des marques comme @realisationpar ou @reformation existent par elles et grâce à elles. Uniformes de filles sexys, robes liberty et caracos colorés ne respectent comme code révolu de la mode que celui de l’égérie. Sur les réseaux sociaux, et plus particulièrement Instagram, ce qui capte l’attention dans une image – puisque c’est l’enjeu –, c’est l’envie de rire ou de faire l’amour. C’est l’ouverture au 107
monde et cette impression d’être un peu moins dénué de sens dans une foule d’inconnus qui se disputent le dernier strapontin du wagon. Cette ouverture a transformé les gens, leur façon de consommer et de se représenter. Pour les marques, c’est une réflexion sociétale qu’il faudra donc mener. Toutes les stratégies digitales ne sauraient remplacer l’intelligence des sentiments et de la compréhension de l’humain. Le progrès, en somme, ne fait que déplacer nos instincts en les encadrant dans quelques pixels, qui se rêvent vivants sur un écran d’iPhone et des millions de chaînes indépendantes de télévision. BoF Team, « What Makes a Great Instagram Campaign? », sur le site Business of Fashion, 31/10/17.
Captures d’écran des comptes Instagram @ignasimonreal, @thefatjewish, @realisationpar, @reformation, @thefatjewish.
LA MAISON DE VENTE : SOTHEBY’S Hirst aime les gros coups. Avant Venise, c’est à Londres en 2008 qu’il a joué gros. Enjambant le privilège de sa galerie officielle Gagosian, Hirst et les équipes de Sotheby’s imaginent une vente exceptionnelle : 200 œuvres sorties directement de l’atelier proposées aux enchères. Le sort voudra que la date choisie coïncide avec celle de la faillite de Lehman Brothers… qui marquera l’entrée du monde dans la crise des subprimes. Malgré les conditions économiques chahutées, la vente est un succès : 200 M$ et la quasi-totalité des œuvres cédées. La maison de François Pinault (Christie’s) aurait-elle failli dans l’obtention de cette vente historique ? Personne ne sait si elle fut même consultée, mais l’histoire retiendra que Sotheby’s a réussi, en 2008, un pari que tous les observateurs pensaient perdu d’avance.
LE STRATÈGE : FRANK DUNPHY Irlandais natif de Dublin, il suffit de dérouler la vie de Frank Dunphy (près de 80 ans) pour ne croiser que succès et réussites. Dunphy est en effet le « comptable » des plus grands noms du show-business britannique. En 1995, il vend sa société pour se consacrer à la carrière de Damien Hirst, dont il a fait, par son flair et ses conseils avisés, l’artiste le plus riche du monde. La vente aux enchères, c’est son idée, tout comme la fabrication de l’œuvre la plus chère, In the Name of God, qui consistait en un crâne incrusté de milliers de diamants. Vendue immédiatement 50 millions de livres, cette œuvre bénéficia d’une exposition médiatique qui fit de Hirst une star planétaire.
par son super-galeriste. Alors que tous les galeristes du monde convoitaient l’artiste le plus bankable du moment, Hirst préféra s’isoler et travailler sur de nouveaux projets (dont celui de Venise). Et en 2016, en avril, les deux parties d’annoncer leur remariage et d’inviter le monde de l’art à contempler la dot : le stand de Gagosian lors de la foire Frieze New York, entièrement consacré à Damien Hirst. Sold out après quelques heures. Business, as usual.
LE GALERISTE : LARRY GAGOSIAN Entre le plus puissant galeriste du monde et l’artiste à succès, les relations sont houleuses. En décembre 2012, le monde de l’art est stupéfait d’apprendre le divorce de ces deux-là, mariés durant dix-sept ans. Si certains pensent que Gagosian n’a pas apprécié l’organisation, par l’artiste et sans sa collaboration, de la vente aux enchères de pièces auxquelles il n’avait pas forcément accès, on dit l’artiste vexé de voir décliner le volume des ventes faites
Photos ©DR
même son titre à une œuvre de l’Anglais : Where are we going? Dix ans plus tard, leur relation semble s’être approfondie puisque c’est la totalité du palais et de la Pointe de la Douane qui permettent à Damien Hirst de déployer le récit de la découverte d’un invraisemblable trésor immergé… et de marquer son grand retour après dix années de quasi-silence.
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chronique mode
dream content
Par Rhita Cadi Soussi
« J’ai rêvé que sous la bienveillante férule de cette grandiose société, OHV H[SORLWDQWV V·LQWpUHVVHUDLHQW HQÀQ DX produit qu’ils projettent. » Jean-luc Godard, « Hier j’ai rêvé », 1965. 93
Il y a un peu moins de dix ans, les marques faisaient des vêtements, les magazines du contenu et les publicitaires des slogans. Au contact de la société se transformait alors le tissu sur les jambes des dames, au gré de la liberté de leurs mœurs, et les magazines les rêvaient alors presque nues ou habillées dans ce qui constituait l’idéal institutionnalisé ou l’avantgarde fauchée. Les contre-cultures se battaient à coups de musique, d’art et de vêtements déchirés face aux tailleurs en tweed des résistants au progrès. Les magazines étaient porteurs de la prise de parole, dont on n’osait défier la liberté. La journaliste était reine au premier de tous les rangs. Ils étaient défaiseurs et défendeurs de tendances, faisant la pluie et le beau temps des printemps/été et des automne/hiver. Mais le digital a éclaté le cloisonnement des paroles entre faiseurs et conteurs, entre vêtement et parole. Le message dépassait la mode et la mode devenait un message. La société 2000, au million d’images, accueille alors l’arrivée d’une multitude de paroles de modes éclatées, chacune essayant d’exister au-delà de l’objet, au plus près du message. L’histoire est devenue fondamentale,
2017, ce sera l’histoire avant la mode. Le sud de la France avant Jacquemus, DHL avant Vetements 3 et Coco avant Chanel. L’univers mode redouble de mots, de blogs, de zines, de réseaux sociaux, de portraits, de collaborations, de capsules comme si le temps qui passe devait être comblé et l’abondance racontée à travers sa complexité.
la raconter et la montrer primordial face à l’impossibilité d’ignorer que le vêtement, produit de consommation, est produit en bien trop grande quantité. Jacquemus, créateur contemporain, lecteur averti de l’époque, décrit cela par ses masses humaines de vêtements perchées sur les montagnes de son fantasme français. « Marseille je t’aime 1 » et tu racontes mieux que moi ce à quoi mes vêtements veulent survivre. On ne distingue que des couleurs, et un amoncellement digeste parce que brillant d’intelligence. C’est une posture déclinée en vidéos, photos, livre et exposition. On ne pose plus face à l’objectif, la chemise en valeur. La posture est autre, elle questionne, et alors que sur Internet on trouve réponse à tout, on est cette fois obligé d’attendre. C’est le contre-pied de l’explosion vestimentaire de Zabriskie Point 2. Un condensé de paroles organisées. 94
Le vêtement est un idéal qui se raconte, une relique qui se conserve et une image qui se fixe sur son historique digital. Un superficiel au corps inextricablement lié à l’esprit. Sur les bottes de Pichard, on lit le vocabulaire de son univers. Un peu pute, un peu cagole, porter ses chaussures c’est être un peu polissonne, être Pamela et danser sur du Claude François. « T’as vu, je suis sous la pluie à Paris, mais dans ma tête je suis en Californie », rapporte une femme qui porte des chaussures où c’est écrit Malibu. Plus que des habits et au-delà de la mode, l’histoire est au cœur du contenu. Terme générique souvent résumé à sa plus simple expression, ou à son terme marketing « storytelling », l’histoire c’est pourtant ce dont on se souvient. Ce qu’on partage ou qu’on voudrait dire, et donc porter. Bien plus que les mots, c’est par l’image que la génération s’exprime, par le superficiel et le ralliement
de couleurs extérieures communes. Ce sont des mélodies visuelles ou des compositions orales qui nous donnent envie de nous foutre de la beauté de la mannequin. De nous en foutre de savoir si sa chemise est repassée. On se fout même de savoir si ça nous ira bien. On s’en fout parce qu’on regarde. Parce qu’on a arrêté de « scroller ». Parce qu’on n’a envie que de ça à nos pieds, sur nos seins, sur nos fesses ou suspendu à nos oreilles, enroulé sur nos cous ou à nos poignets. On s’en fout des fringues, on en a tellement. On a besoin d’histoires pour ne plus s’ennuyer, d’histoires de sud de la France, de rébellion, de désinvolture, mais de notre siècle. On a envie que ça aille vite, pour qu’on se réinvente. Pour qu’on continue de liker nos posts Instagram, pour qu’on continue de nous aimer. On a envie de se sentir cool, d’appartenir au cool dans toutes ses formes. On a envie que nos vêtements parlent pour nous, qu’on n’ait jamais l’impression de n’avoir rien à dire. Ce qui importe aujourd’hui, c’est d’écrire ces petits rêves. On est jeune puis on est vieux sans intermédiaire. Une jeunesse prolongée sans interruption. C’est me le dire tellement de fois que je suis en Provence, que je suis parisienne, que je suis minimale, que je suis ce que j’ai envie d’être. Différente chaque jour, chaque chemise à son tour.
le vêtement est un idéal qui se raconte, une relique qui se conserve et une image TXL VH À[H VXU VRQ KLVWRULTXH GLJLWDO 8Q VXSHUÀFLHO DX FRUSV inextricablement lié à l’esprit
Photos ©DR
1 Jacquemus, « Marseille je t’aime », 2017. 2 Michelangelo Antonioni, Zabriskie Point, 1970. 3 Pop-up Vetements à Los Angeles « Original Fakes », 2017.
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360° social media strategy influence & social media Rhita Cadi Soussi Fall Winter 2018, New York, 2018.
O Z N E K g n i h t y r e v E e th 1
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