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LA MAISON DE VENTE : SOTHEBY’S Hirst aime les gros coups. Avant Venise, c’est à Londres en 2008 qu’il a joué gros. Enjambant le privilège de sa galerie officielle Gagosian, Hirst et les équipes de Sotheby’s imaginent une vente exceptionnelle : 200 œuvres sorties directement de l’atelier proposées aux enchères. Le sort voudra que la date choisie coïncide avec celle de la faillite de Lehman Brothers… qui marquera l’entrée du monde dans la crise des subprimes. Malgré les conditions économiques chahutées, la vente est un succès : 200 M$ et la quasi-totalité des œuvres cédées. La maison de François Pinault (Christie’s) aurait-elle failli dans l’obtention de cette vente historique ? Personne ne sait si elle fut même consultée, mais l’histoire retiendra que Sotheby’s a réussi, en 2008, un pari que tous les observateurs pensaient perdu d’avance.
LE STRATÈGE : FRANK DUNPHY Irlandais natif de Dublin, il suffit de dérouler la vie de Frank Dunphy (près de 80 ans) pour ne croiser que succès et réussites. Dunphy est en effet le « comptable » des plus grands noms du show-business britannique. En 1995, il vend sa société pour se consacrer à la carrière de Damien Hirst, dont il a fait, par son flair et ses conseils avisés, l’artiste le plus riche du monde. La vente aux enchères, c’est son idée, tout comme la fabrication de l’œuvre la plus chère, In the Name of God, qui consistait en un crâne incrusté de milliers de diamants. Vendue immédiatement 50 millions de livres, cette œuvre bénéficia d’une exposition médiatique qui fit de Hirst une star planétaire.
par son super-galeriste. Alors que tous les galeristes du monde convoitaient l’artiste le plus bankable du moment, Hirst préféra s’isoler et travailler sur de nouveaux projets (dont celui de Venise). Et en 2016, en avril, les deux parties d’annoncer leur remariage et d’inviter le monde de l’art à contempler la dot : le stand de Gagosian lors de la foire Frieze New York, entièrement consacré à Damien Hirst. Sold out après quelques heures. Business, as usual.
chronique mode
dream content
LE GALERISTE : LARRY GAGOSIAN Entre le plus puissant galeriste du monde et l’artiste à succès, les relations sont houleuses. En décembre 2012, le monde de l’art est stupéfait d’apprendre le divorce de ces deux-là, mariés durant dix-sept ans. Si certains pensent que Gagosian n’a pas apprécié l’organisation, par l’artiste et sans sa collaboration, de la vente aux enchères de pièces auxquelles il n’avait pas forcément accès, on dit l’artiste vexé de voir décliner le volume des ventes faites
Par Rhita Cadi Soussi
« J’ai rêvé que sous la bienveillante férule de cette grandiose société, Photos ©DR
même son titre à une œuvre de l’Anglais : Where are we going? Dix ans plus tard, leur relation semble s’être approfondie puisque c’est la totalité du palais et de la Pointe de la Douane qui permettent à Damien Hirst de déployer le récit de la découverte d’un invraisemblable trésor immergé… et de marquer son grand retour après dix années de quasi-silence.
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produit qu’ils projettent. » Jean-luc Godard, « Hier j’ai rêvé », 1965. 93
de couleurs extérieures communes. Ce sont des mélodies visuelles ou des compositions orales qui nous donnent envie de nous foutre de la beauté de la mannequin. De nous en foutre de savoir si sa chemise est repassée. On se fout même de savoir si ça nous ira bien. On s’en fout parce qu’on regarde. Parce qu’on a arrêté de « scroller ». Parce qu’on n’a envie que de ça à nos pieds, sur nos seins, sur nos fesses ou suspendu à nos oreilles, enroulé sur nos cous ou à nos poignets.
Mais le digital a éclaté le cloisonnement des paroles entre faiseurs et conteurs, entre vêtement et parole. Le message dépassait la mode et la mode devenait un message. La société 2000, au million d’images, accueille alors l’arrivée d’une multitude de paroles de modes éclatées, chacune essayant d’exister au-delà de l’objet, au plus près du message. L’histoire est devenue fondamentale,
On s’en fout des fringues, on en a tellement. On a besoin d’histoires pour ne plus s’ennuyer, d’histoires de sud de la France, de rébellion, de désinvolture, mais de notre siècle. On a envie que ça aille vite, pour qu’on se réinvente. Pour qu’on continue de liker nos posts Instagram, pour qu’on continue de nous aimer. On a envie de se sentir cool, d’appartenir au cool dans toutes ses formes. On a envie que nos vêtements parlent pour nous, qu’on n’ait jamais l’impression de n’avoir rien à dire. Ce qui importe aujourd’hui, c’est d’écrire ces petits rêves. On est jeune puis on est vieux sans intermédiaire. Une jeunesse prolongée sans interruption. C’est me le dire tellement de fois que je suis en Provence, que je suis parisienne, que je suis minimale, que je suis ce que j’ai envie d’être. Différente chaque jour, chaque chemise à son tour.
2017, ce sera l’histoire avant la mode. Le sud de la France avant Jacquemus, DHL avant Vetements 3 et Coco avant Chanel. L’univers mode redouble de mots, de blogs, de zines, de réseaux sociaux, de portraits, de collaborations, de capsules comme si le temps qui passe devait être comblé et l’abondance racontée à travers sa complexité.
la raconter et la montrer primordial face à l’impossibilité d’ignorer que le vêtement, produit de consommation, est produit en bien trop grande quantité. Jacquemus, créateur contemporain, lecteur averti de l’époque, décrit cela par ses masses humaines de vêtements perchées sur les montagnes de son fantasme français. « Marseille je t’aime 1 » et tu racontes mieux que moi ce à quoi mes vêtements veulent survivre. On ne distingue que des couleurs, et un amoncellement digeste parce que brillant d’intelligence. C’est une posture déclinée en vidéos, photos, livre et exposition. On ne pose plus face à l’objectif, la chemise en valeur. La posture est autre, elle questionne, et alors que sur Internet on trouve réponse à tout, on est cette fois obligé d’attendre. C’est le contre-pied de l’explosion vestimentaire de Zabriskie Point 2. Un condensé de paroles organisées. 94
Le vêtement est un idéal qui se raconte, une relique qui se conserve et une image qui se fixe sur son historique digital. Un superficiel au corps inextricablement lié à l’esprit. Sur les bottes de Pichard, on lit le vocabulaire de son univers. Un peu pute, un peu cagole, porter ses chaussures c’est être un peu polissonne, être Pamela et danser sur du Claude François. « T’as vu, je suis sous la pluie à Paris, mais dans ma tête je suis en Californie », rapporte une femme qui porte des chaussures où c’est écrit Malibu. Plus que des habits et au-delà de la mode, l’histoire est au cœur du contenu. Terme générique souvent résumé à sa plus simple expression, ou à son terme marketing « storytelling », l’histoire c’est pourtant ce dont on se souvient. Ce qu’on partage ou qu’on voudrait dire, et donc porter. Bien plus que les mots, c’est par l’image que la génération s’exprime, par le superficiel et le ralliement
inextricablement lié à l’esprit
1 Jacquemus, « Marseille je t’aime », 2017. 2 Michelangelo Antonioni, Zabriskie Point, 1970. 3 Pop-up Vetements à Los Angeles « Original Fakes », 2017.
Photos ©DR
Il y a un peu moins de dix ans, les marques faisaient des vêtements, les magazines du contenu et les publicitaires des slogans. Au contact de la société se transformait alors le tissu sur les jambes des dames, au gré de la liberté de leurs mœurs, et les magazines les rêvaient alors presque nues ou habillées dans ce qui constituait l’idéal institutionnalisé ou l’avantgarde fauchée. Les contre-cultures se battaient à coups de musique, d’art et de vêtements déchirés face aux tailleurs en tweed des résistants au progrès. Les magazines étaient porteurs de la prise de parole, dont on n’osait défier la liberté. La journaliste était reine au premier de tous les rangs. Ils étaient défaiseurs et défendeurs de tendances, faisant la pluie et le beau temps des printemps/été et des automne/hiver.
le vêtement est un idéal qui se raconte, une relique qui se conserve et une image
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