From Coolstream to Mainstream

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Le magazine indépendant

m o r f m a e r t s l o co o t m a e r t s n i ma UN MÉMOIRE DE

Rhita Cadi Soussi


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Remerciements

Merci à ceux qui ont accepté de me parler, ce n’était pas facile et c’était passionnant. Un remerciement particulier à Angelo Cirimele, qui m’a pendant des heures, écouté parler, laissé écrire et soutenu pendant des mois. Merci à Lucas Delattre, mon professeur de mémoire, pour ce dernier espace de liberté et de recherches avant la plongée dans le réel. Je souhaite remercier également Louis Rambert pour ses conseils, Hugo Varenne pour sa relecture, et May Cadi Soussi pour ses critiques. Enfin, merci à Alexandre Thumerelle pour avoir accepté l’interview improvisée chez 0fr. Le monde de la presse de style est définitivement un univers obscur. Merci à tous ceux qui n’ont pas donné de retour à mes mails. Sans eux je ne l’aurais pas su.


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PLAN

Introduction 1- Naissance d’un genre 1-1 Le contraire de Vogue....page 09 1-2 Propagation...page 12 1-3 Définition...page 15 2- Impact, dépendance et mutation 2-1 S’affranchir de la presse : le Magazine de Marque...page 19 2-2 Devenir cool : le Magazine Partenaire...page 21 2-3 Conseil en image : le Magazine dans l’Ombre...page 24 3- 21ème Siècle, le présent et l’avenir de la presse indépendante 3-1 La Transition Digitale ?...page 29 3-2 Le Magazine devient une Marque...page 32 3-3 Un Objet de Collection...page 35 Conclusion Bibliographie


LOSING, Catherine, Editorial pour Riposte Magazine, 2015.

Le magazine. Celui qu’on porte et “qu’on oublie, qu’on feuillette et qu’on

jette, que parfois on conserve. Objet de séduction, objet de consommation, du sublime au vulgaire, de l’ordinaire a l’extraordinaire, du fantasme au réel, la revue de mode guette et accompagne. Objet futile et léger, mais dont les évolutions de format, le changement des images, des cadrages et des mises en pages qui en font la personnalité, trahissent à l’envie le goût d’une époque en en dressant le portrait.

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Introduction

Explosion des savoirs, démocratisation de l’information, démultiplication visuelle et disparition de la prescription. Dans un monde où tout semble avoir été dit, fait, regardé, photographié, montré, porté, créé, qu’apporte un magazine si ce n’est son regard, de peur de se confondre dans la masse d’images indigestes ? Les magazines, tout le monde les connaît sans les connaître, ou les a lus par accident. Ils habillent maintenant, les tables basses de l’érudit esthète, du hipster incompris, ou de l’instagramer vaniteux.1 Longtemps à la marge de la culture mainstream2, les magazines indépendants ont réussi, par leurs discours novateurs et l’audace de leurs équipes créatives, à faire entendre leurs points de vue à contre-courant de la pensée dominante. D’après Alexandre Sap dans son ouvrage Rebirth of the Cool, “les magazines indépendants auraient aujourd’hui plus de pouvoir que les trois cent collaborateurs qu’emploie Condé Nast”.3 Ce que confirme Jefferson Hack, fondateur du très underground Dazed and Confused dans son portrait du Financial Times. Sa plateforme dazeddigital.com attire plus d’un million de visiteurs en un mois, tandis que UK Esquire en a 500.000 en moyenne.4 Cette presse dite de niche, au confluent du style et de l’opinion est née de la rencontre entre la mode, les arts et les phénomènes de société. Son apparition daterait de 1965, année de la sortie du premier numéro de Nova Magazine à Londres. C’est une époque où les arts plastiques, la musique, la littérature, ou le cinéma se mêlent au vêtement pour aboutir à une proposition graphique et narrative nouvelle. Révolutionnaire et réactionnaire, ce magazine cristallise l’émancipation de la femme, et la formalise en discours et en image. Son caractère hybride le positionne entre un fanzine alternatif et un magazine grand public féminin, devenant le premier nom d’un nouveau genre. Le succès et l’engouement que connaîtra Nova, ouvrira la voie à d’autres magazines. Le magazine indépendant s’installe alors de façon permanente dans le paysage et réussit à rassembler des communautés d’initiés. Cette contre-culture devient le reflet de chacune des époques qu’elle traverse. Ils sont aujourd’hui en pleine mutation. Certains fanzines sont devenus des groupes de presse. D’autres ont disparu ou sont devenus des classiques sans révolution. Mais ces précurseurs ont influencé la génération 2000. Les magazines de niche prolifèrent, se professionnalisent et se diversifient autant dans les thèmes qu’ils abordent que dans les activités qu’ils entreprennent (ouverture de cafés, d’e-shop, de soirée-conférence, de boutiques dédiées). Ceci étend considérablement leur influence sur le secteur de la mode. Ils contournent la crise que connaît la presse papier et repensent leur modèle économique, toujours fondé sur leur volonté d’exprimer une certaine vision de l’époque à travers leur créativité. Hors des règles établies dans la recherche perpétuelle de reconnaissance et d’identité, cette presse se nourrit des silences d’une jeunesse qui se proclame incomprise. Mais aujourd’hui, qu’est-ce qu’un magazine de niche ? Quelle est son origine ? Qui les fabrique et pour qui ? Quel est son rôle aux yeux l’industrie du luxe ? Quels en sont les enjeux à l’ère digitale ? Quel impact notre siècle aura sur l’objet ? Pour étudier le médium, j’ai choisi de comprendre ce qui a rendu le papier précieux5, l’image gratuite et le magazine indépendant plus contemporain que jamais.

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MONTAGNIER, Lisa, « Revues en Vue », Marianne, 9 Mars 2013. BONNET, MONFORT, RICHOUX-BÉRARD, WARGNIER, Glossy: Modes et papier glacé, Images en Manoeuvres, Marseille, 2004. SAP, Alexandre, Rebirth of the Cool: L’Avant-Garde, Salut des Industries Culturelles, Éditions Kawa, Bluffy, 2015. SUNYER, John, « Lunch with the FT : Jefferson Hack», The Financial Times, 6 Août 2014. ABNETT, Kate, « In Magazines, Is Bigger Really Better ? », Business of Fashion, 5 Avril 2016.

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Couvertures de Nova Magazine.

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NAISSANCE D’UN GENRE


1: LE CONTRAIRE DE VOGUE

“Le plus important dans la vie, ce n’est pas de savoir s’il s’agit de mode ou pas. C’est d’avoir une vision, des idées, et d’être capable de les transmettre aussi clairement que possible. Il ne faut pas être timoré, mais passionné et plein d’énergie. Il faut croire en soi. Mais par-dessus tout, il faut avoir une vision personnelle. Ce que je veux dire, c’est que pour réussir, il ne faut pas se laisser influencer par le travail des autres. Il faut avoir, et développer sa propre vision. (...) Un jour peut-être, j’aurai mon propre magazine. Ce serait bien, ce serait fun. J’aime les magazines, surtout ceux qui restent indépendants.” Marie-Amélie Sauvé, Styliste.1 En 1967, Roland Barthes, sémiologue français, publie Système de la mode2. Le livre analyse les codes de la culture de masse à travers les discours que tiennent les magazines féminins d’alors. Divertissement, amour, frivolité, jalonnent les textes des numéros qu’il étudie. C’est de cette époque que datent les premières mutations de la presse féminine avec l’éclosion d’un nouveau genre plus ‘cool’, plus intellectuel, et engagé. La mode y devient secondaire et la manière de la montrer primordiale. Le médium se transforme en message. Nova en est le tout premier exemple, en devenant le reflet de la nouvelle femme moderne. On assiste à la naissance d’un nouveau genre de magazine qui ne fera que proliférer dans le temps et qui nait en Angleterre. C’est en 1965 qu’un journaliste anglais, Harry Fieldhouse fonde à Londres le magazine NOVA.3 Un “nouveau genre de magazine pour un nouveau genre de femme”. Farouchement indépendant, ce magazine est à l’image de son fondateur, en rupture avec les règles établies. Une époque contre laquelle se rebeller. Nova fut le marqueur d’une époque éclaire, l’explosion de la mini jupe en toile de fond. Anti-célébrité, ce magazine parlait plus de politique que de femme, élaborant le nouveau langage de ce mélange des genres entre mode et société. Repris en 1969 par Dennis Hackett, Nova reste provocateur, subversif et insolent, défiant l’autorité puritaine d’une Europe vieillissante. Il destinait son discours à un public jeune et intellectuel à la recherche d’idéaux. Celui de la femme égale de l’homme, pour qui le rouge à lèvres n’est plus une obligation. Susan Sontag, Germaine Greer, Graham Greene, Roald Dahl, Katherine Anne Porter, écrivains aujourd’hui reconnus, font partis des journalistes qui écriront pour Nova. Des articles longs, informatifs, scientifiques ou politiques. À l’image, Caroline Baker, la rédactrice mode du magazine, suit la même ligne éditoriale, et devient la première styliste mode de la profession (au sens que l’on connaît aujourd’hui). Elle habille ses amies mannequins de vintage, et de surplus de vêtements de l’armée faute de moyens. Elle dira dans une interview, que “Nova fut le premier street fashion magazine : le contraire de Vogue. Le magazine i-D n’existait pas, et la rue existait encore moins. C’était une époque de la mode dominée par Paris et ses créateurs. Je faisais partie d’un groupe de filles de la classe ouvrière, totalement anti-système, anti-labels. J’étais une rebelle dans la vie, et pour Nova. (…) À l’époque je trouvais la parka militaire incroyable. J’avais à peine vingt ans, et je décide de la faire porter à un mannequin sur un shoot. Un an plus tard, je retrouve ma parka sur un défilé Kenzo. C’est là que j’ai compris l’ampleur et l’influence des médias.” 4 Ses expérimentations feront d’elle une styliste à part entière, avec Helmut Newton, Hans Feurer, Peter Knapp à la photographie. La direction artistique y était décisive. Harri Peccinotti et David Hillman en furent les figures majeures. Après une carrière de photographe publicitaire, Harri Peccinotti est reconnu comme le cerveau de Nova, en établissant de nouveaux standards éditoriaux, inspirés par les codes de la culture psychédélique et de la presse underground de l’époque.5 Sa photographie, emprunte de sexualité, repousse l’image conservatrice de la femme. Elle est libérée, ouvertement désirable.6

1ANAYA, Suleman, « Marie-Amélie Sauvé, muse, styliste et consultante », Le Monde, 29 Janvier 2014. 2 BARTHES, Roland, Système de la mode, Editions du Seuil, Paris, 1967. 3 GIBBS, HILLMAN, PECCIONOTTI, Nova 1965-1975, Pavilion Books, Londres, 1993. 4 GRAY, Richard, « Caroline Baker : The Freestyler », The Volt, Hiver 2010. 5 BERENHOIC, Mathieu, « Harri Peccinotti », Vice, 12 Août 2009. 6 BIRDSALL, Derek, Harri Peccinotti, Édition Damiani, Bologne, 2009.

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1: LE CONTRAIRE DE VOGUE

Nova cessera de paraître en Octobre 1975 après s’être essoufflé. Relancé en mai 2000, il ne durera que le temps de la nostalgie en 13 derniers numéros, mais aura inspiré toute une génération de photographes, de graphistes et de stylistes qui créeront leur propre magazine. L’un de ses héritiers les plus marquants sera le magazine i-D. Le magazine i-D est londonien. Il fait surface en 1980, la même année que le magazine The Face, à une époque prospère de la culture britannique, riche de la révolte punk de sa jeunesse. “Nous étions jeunes, minces, et sans le sou et la plupart d’entre nous complétement obsédés par la notion du cool.” – Dylan Jones, journaliste chez i-D en 1983. Le nom i-D est inspiré du studio de création de son fondateur Terry Jones, “Informat Design”, qui renvoie aussi à des notions d’identité ou d’idées. “Je me suis rebellé contre l’uniforme, et j’ai questionné la notion d’identité. À l’école, j’étais un élève parmi la foule. À Londres, j’appartenais à un gang. Je voulais abattre l’ambivalence qui séparait mes deux mondes”1, dira Terry Jones. Ce directeur artistique du Vogue anglais décide de créer un magazine avec sa femme Tricia pour le mouvement punk et le street style, alors centre névralgique de la culture jeune qui se passe dans les rues.2 “À la base, je voulais créer un journal d’images, vendu peu cher ou distribué gratuitement. Je voulais qu’on l’utilise pour décorer sa chambre sans dépenser d’argent. C’était en 1976. Je n’ai jamais trouvé les fonds pour financer ce projet” 3 Finalement, i-D fut lancé comme un hobby parallèle au studio de Terry Jones, qui devient une collection d’images inédites dépeignant Londres, accumulant les clichés à l’esthétique crue, entre maquillage gothique, collier de chien, vêtements SM, épingles à nourrice, kilt, et bottes de combat, qui parle plus de look que de marque, de personnalité plus que de saisonnalité. On tire le portrait du punk, de l’inconnu, du marginal.4 Le quart d’heure de célébrité d’Andy Warhol auquel chacun aura droit s’applique à l’esprit du mensuel, qui consacre dans ses articles autant de place aux gens connus qu’à leur contraire. Ce sont les prémices du street style, aujourd’hui popularisé par les bloggeurs mode comme The Sartorialist (premier blog du genre fondé par le photographe Scott Schuman.) Le premier numéro est distribué dans le coffre d’une Cadillac.5 50 centimes, 40 pages agrafées à la main, 2000 copies, avec comme sous-titre accrocheur : le Magazine de Mode n°1, ce qu’il n’était pas à l’époque. Mais c’est en peu de temps que le magazine devient influent, baromètre du cool et secret des initiés qui forme la communauté de la contre-culture londonienne. Il sera rattaché à la mouvance de ces avant-gardistes anglais puis internationaux, qui questionnent leur place dans la société.6 Le magazine sera aussi un révélateur de ces nouveaux talents. Il découvre de nombreux photographes, journalistes et stylistes, faisant encore partis du paysage contemporain de la mode. Les photographes Nick Knight, Juergen Teller, Craig McDean, David Sims, Wolfgang Tillmans, Terry Richardson, Caryn Franklin, Corinne Day, la styliste Melanie Ward, ou encore les créateurs Helmut Lang et John Galliano, ont tous collaboré avec i-D. “J’ai donné le pouvoir aux gens de capitaliser sur leur talent. Souvent, ils ne savaient pas quoi en faire.”- Terry Jones, fondateur de i-D.7 La couverture du magazine devient la vitrine de la scène culturelle de l’époque, et sera la première couverture de Madonna.8

1 STOPPARD, Lou, « i-D magazine founder Terry Jones », Showstudio ‘In Fashion’ Series, 7 Octobre 2014. 2 VON BARDELEBEN, Elvire, « i-D : nouveau format de posh », Libération, 20 septembre 2015. 3 STOPPARD, Lou, « i-D magazine founder Terry Jones », Showstudio ‘In Fashion’ Series, 7 Octobre 2014. 4 TREBAY, Guy, « Chronicling 20 years of renegade fashion as captured through the defining lenses of i-D magazine», The New York Times, 22 Mai 2001. 5 JONES, Dylan, « i-D magazine : Identity parade », Independent, 14 Octobre 2005. 6 HEBDIGE, Dick, Subculture : The Meaning of Style, Routledge, Londres, 1979. 7 STOPPARD, Lou, « i-D magazine founder Terry Jones », Showstudio ‘In Fashion’ Series, 7 Octobre 2014. 8 JONES, Dylan, « Terry and Tricia Jones : The couple who put punk into print by creating i-D magazine », Independent, 1 Décembre 2013.

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1: LE CONTRAIRE DE VOGUE

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Vendu au groupe Vice en 2013, i-D n’a jamais cessé de paraître. Il continue de documenter le style de jeunes gens ordinaires.9 Le magazine n’a jamais tenté de fixer des règles et faisait la promotion de la diversité. Il reste aujourd’hui capable d’évoquer l’air du temps,10 à travers ses enquêtes et les profils qu’il choisit d’interviewer pour illustrer notre société. Le i-D France existe d’ailleurs depuis septembre 2015.11 Il est dirigé par Clément Corraze12 et Tess Lochanski.13 La version française réussit déjà à fédérer un certain public autour d’un format digital subversif, léger et dynamique qui continue à célébrer la jeune génération, ses musiques, ses fêtes, ses créations et sa vitalité. Ils sont le journal de l’avant-garde culturelle, de cette jeunesse qui se meut, et qui avec elle transforme le monde et les mentalités. Le magazine de mode indépendant est né du besoin de ses créateurs d’écrire ce qu’ils ne lisaient nul part. De photographier le réel plutôt que le fictif. Et de le faire en dehors des règles établies. Ce sentiment de rébellion se propage et entraîne la jeunesse créative à diffuser le modèle. Alors, comment expliquer la prolifération des magazines indépendants ?

BROWN, Simon, Photographies pour i-D Magazine, 1981.

9 HELLER, Steven, « Making i-D : An Interview with Terry Jones », Bloomberg, 16 Mars 2006. 10 TREBAY, Guy, « Uprising the Indie », The New York Times, 22 Février 1998. 11 PIQUARD, Alexandre, « Vice lance sur la Toile une version française de i-D », Le Monde, 21 Septembre 2015. 12 Clément Corraze - Ancien journaliste chez Purple, et fondateur du magazine Antidote. 13 Tess Lochanski - Ancienne journaliste mode à l’Obs.

Couverture de i-D Magazine, 1990.


2: propagation

“J’ai toujours vécu une relation fusionnelle avec les magazines. Je n’avais qu’une envie : être moi aussi dans les pages de ces magazines iconiques. J’étais frustrée par le milieu de la publicité, j’avais envie de présenter les choses telles que je les vois et les ressens. Les gens de couleur, les gens ordinaires, prôner la diversité et l’individualité à travers mes pages.” - Jamila Prowse, fondatrice et rédactrice en chef du magazine indépendant Typical Girls.1 Au début des années 90, le magazine de niche connaît un réel engouement. Il tente de mettre en avant des communautés créatives d’abord isolées, qui deviendront influentes. Ce sont les hommes qui sont au centre, et non plus les fantasmes dématérialisés qui font la “tendance”. L’industrie et ses réalités économiques se dérobent derrière le style personnel de l’interviewé. Souvent artiste et anticonformiste il expose son opinion sur le monde, mis en scène par l’équipe du magazine (souvent des amis). Les magazines indépendants deviennent les lieux de rencontre de l’avant-garde culturelle. Les directeurs artistiques y occupent une place. Ils agissent comme le ferait un commissaire d’exposition, conçoivent et réalisent le magazine comme le catalogue de ceux qu’il faut connaître avec une vision qui leur est propre. À cette période, ce sont encore des fanzines. Mais ils se transforment et commencent à établir des ponts entre les différentes disciplines artistiques. Interview est le premier magazine emblématique de ce mouvement d’anticipation du fanzine2 vers le magazine de niche. Né à New York sous l’impulsion de l’artiste Andy Warhol, Interview était un mensuel indépendant sur le cinéma, imprimé en noir et blanc et distribué aux initiés et aux intellectuels de la scène artistique new-yorkaise. En 1973, une ancienne journaliste du très institutionnel WWD, Rosemary Kent, est nommée rédactrice en chef d’Interview. Elle transforme le fanzine en magazine, et tente de toucher une audience plus large par le biais de la diversification du contenu. La mode se mêle à l’effervescence de la Factory, studio de création d’Andy Warhol où se réunit un collectif inspiré et inspirant. 3 Nico, The Velvet Underground, Edie Sedgwick, font partis des figures mises en scène dans les premiers numéros. Leur style devient un prisme de la culture contemporaine qui mêle artistes underground et figures populaires.4 Interview a du succès, et son influence continue de se répandre pour se transformer au contact de l’époque et des cultures. C’est au confluent de Nova et d’Interview qu’en 1992 paraît le premier numéro de Purple. Le même jour que l’album « Sex » de Madonna. Presque un symbole. Tiré à 1000 exemplaires et fabriqué derrière un Macintosh 514 dans un appartement parisien. Ses fondateurs Elein Fleiss et Olivier Zahm voulaient parler de ce que les grands médias choisissent d’ignorer, et y mêlent les disciplines (l’art, la mode, le cinéma, la musique) dans le but de fonder un ‘multi-magazine’ d’abord sous la forme de petits cahiers aux noms évocateurs (Purple Sexe, Purple Fiction, Purple Fashion) puis réunis en 1998 sous le nom définitif de Purple. Au début de leur histoire, d’abord d’amour puis d’amitié, Elein Fleiss est une férue d’art qui incarne avec son entourage la nouvelle garde de la bourgeoisie intellectuelle parisienne. Elle crée une maison d’édition “La Belle Haleine” pour parler d’artistes inconnus et organise une exposition, “1900-2000” dans la galerie d’art de son père. Olivier Zahm, est lui fils de professeurs. Il fut étudiant en philosophie avant d’être critique d’art pour Artforum. Il nourrissait le rêve de devenir un jour un ‘créatif ’ sans vraiment savoir pourquoi ni comment.5 C’est leur rencontre en 1989 qui fera naître le magazine, qui se présente alors comme le laboratoire d’images et d’idées de toute une génération d’artistes qui croisent leur savoir-faire à la mode. 1 « Ces 9 Magazines vont changer votre vision de l’art, de la mode et du sexe », i-D, 20 Avril 2016. 2 Un fanzine (contraction de l’expression anglaise « fanatic magazine ») est une publication imprimée périodique ou non, institutionnellement indépendante, créée et réalisée par des amateurs passionnés pour d’autres passionnés. Ce type de publication est fortement ancré dans la philosophie DIY, popularisée par le mouvement punk. 3 DALTON, David, FINKELSTEIN, Nat, Andy Warhol : The Factory Years 1964-1967, PowerHouse Books, New York, 2000. 4 NIEMOJEWSKI, Raphaël, « Un nouveau type de magazines, un nouveau point de vue sur la mode », Images en Manœuvres, Marseille, 2004. 5 CAVANAGH, Alice, « Olivier Zahm : This is me, I am punk », Oyster Magazine, 16 Décembre 2011.

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2: propagation

Purple commence à dessiner les contours de son identité. Ils sont les premiers à découvrir les photographes Mark Borthwick, Inez van Lamsweerde et Wolfgang Tillmans. Le duo finit par incarner l’esprit branché de la décennie 90. Un mélange d’esthétisme, d’intellect et de bon goût qui oeuvrait pour l’art contemporain, en parrainant des expositions, comme “L’Hiver de l’Amour” (1994) : “L’hiver de l’amour, c’est ce qui nous arrive maintenant. Cela n’est pas imaginer mais saisir, évoquer, montrer ce que nous sommes. Des manières d’être, une exposition climatique. C’est la traversée d’une saison, d’un moment de l’art, mais c’est aussi l’art comme moment, toutes ces heures qui nous transforment. Cela vaut la peine de les exposer, de les filmer, de les expérimenter... De faire ce magazine. Plus nous condamnons le présent et plus nous devons en être amoureux. Si nous parlons d’un climat et donc d’une sensibilité perceptible, il est sûr que notre style doit être conçu comme quelque chose de possible. Ce qui pourrait se passer ensuite. Quelque chose de vrai au-delà de l’exposition. En sortir un peu transformé, avec l’impression de la prolonger. Autrement quel serait le sens de cette proposition, de ces balises et de toutes ces recherches? Comment traverser l’hiver? Ouvrir l’exposition. Faire qu’elle dure (voir programme). Aller et revenir (cinq semaines). Des journées entières au musée (entrée 10 francs). Des séances de cinéma. Des séances de biographie, de vidéo, de couleurs… Des contacts, des sensations. Des envies d’adaptations et des proximités. Une déambulation qui traverse la maladie, les tendances, les souvenirs. Des escaliers perturbés. Une terrasse en état de choc avant une longue allée de contrastes. Des lectures possibles. Un square à traverser et l’obscurité urbaine, la pluie des images. Avant le grand froid polystyrène de Fin de siècle.” 6 La révolution selon Olivier Zahm serait uniquement artistique. Cette exposition signe l’émergence de toute une génération de créatifs multidisciplinaires. Elle dresse le portrait d’une génération de peur de lendemain, du SIDA, d’une société en crise pour qui l’art est salvation et dialogue. En 2000, juste avant le départ d’Elein Fleiss sa compagne et co-fondatrice, Purple habite le Centre Pompidou pour l’exposition “Elysian Fields”.7 Un projet à la scénographie originale, conçu comme une structure faisant écho à celle du bâtiment. Des œuvres de Takeshi Kitano côtoient celles de Claude Lévêque, de Miltos Manetas et de Dominique GonzalezForester. Une ambiance sonore est gravée sur un CD et va de Tortoise à Tom Verlaine. Ce n’est pas une exposition à thème, mais une explosion d’instantanés de leur époque, l’exploration esthétique des interrogations qu’elle soulève. Olivier Zahm proclame toujours appartenir à l’avant-garde, comme il dit, “l’important c’est qu’il ne le sait pas”.8 Il est perpétuellement en voyage, parcourt le monde de la mode pour le capter. Le magazine devient la vitrine de son personnage et justifie son hyperactivité. Eminemment parisien, ses deux kilos de papier font l’étalage mondain de la capitale. On y retrouve interviewés l’actrice-icône Catherine Deneuve, le grapheur André ou la styliste Camille Bidault-Waddington. Les textes sont écrits en anglais. Car Purple se veut international, c’est un découvreur de talents (ou un révélateur d’amitié ?) qui s’exporte et qui s’habille aujourd’hui chez Chanel ou Vuitton et qui s’expose un peu moins dans les galeries ou à Pompidou.9 Son esthétique s’est radicalisée, plus proche du sexe que des femmes, plus proche de la mode que de l’art. Ils ciblent souvent un groupe d’initiés, de passionnés de mode, ce qui donne des publications “F.U.B.U” (le For Us by Us) dont parle Fiona Duncan dans un de ces magazines de niche, Bullett.10 Benoît Heilbrunn, professeur à l’IFM et à l’ESCP Europe, ne croit pas à l’avant-garde qui dure trente ans et soutient que dans leur différence, les magazines de mode se ressemblent tous dans leur quête de la nouveauté. Pourtant, le titre perdure, et n’est pas à vendre.

6 Éditorial catalogue de l’exposition « L’Hiver de l’amour » par Elein Fleiss, Dominique Gonzalez-Forester, Bernard Joisten, Jean-Luc Vilmouth et Olivier Zahm, Musée d’art moderne de la ville de Paris/ARC, 1994. 7 LINDGAARD, Jade, « Elein Fleiss et Olivier Zahm – Beauté Institut », Les Inrocks, 30 Mai 2000. 8 NIVELLE, Pascale, « Dandy à louer », M le Magazine du Monde, 10 Octobre 2015. 9 CHANG, Marcus, « Asked and Answered : Olivier Zahm », Time Magazine, 1 Octobre 2010. 10 FRIEDMAN, Vanessa, “How a Small Indie Magazine Gets Fashion’s Hottest Tell-Alls”, The New York Times, 9 Novembre 2015.

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2: propagation

Un industriel suisse tentera de racheter Purple pour 10 millions d’€, mais le magazine n’aurait pas de prix.1 Aujourd’hui Purple est à l’image de l’homme qui l’a créé. Le magazine aura été un réel avant-gardiste dans sa prise de position de la mode pour l’art et de la culture pour tous. Il a aujourd’hui influencé une vague de jeunes magazines, tous attachés à explorer le corps et l’esprit, derrière un objectif qui immortalise le vêtement, lui-même marqueur de notre temps. Le magazine de niche entame alors sa première mutation. C’est un outil de communication entre le monde et leur personne. C’est ce que fait Hanna Moon dans A Nice Magazine, magazine créé pour un projet final à la Saint Martins. Une plateforme tangible qui lui permet d’exprimer librement sa pensée et ce, de manière durable. 2 Le magazine de niche connaît une recrudescence ces dernières années. D’abord outil de promotion pour de jeunes artistes et créatifs, elle devient une référence pour les communautés artistiques émergentes, un point de ralliement. Loin d’être morte, cette presse papier alternative est populaire et désirée, suite à la dématérialisation digitale et culturelle du début des années 2000. C’est une réponse de l’abstraction internet à outrance. Comment la définir aujourd’hui ?

EDSTRÖM, Anders, Présentation Martin Margiela 55 Rue de Meaux, 75019, Paris : L’Hiver de l’Amour Bis, 1994.

1 NIVELLE, Pascale, « Dandy à louer », M le Magazine du Monde, 10 Octobre 2015. 2 i-D France, « Ces 9 Magazines vont changer votre vision de l’art, de la mode et du sexe », i-D, 20 Avril 2016.

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Couverture du n°1 de Purple, 1998.


3 : DÉFINITIon

“La presse papier se meurt ? Vive la presse indépendante, qui revit dans les librairies spécialisées et invente un futur de la lecture underground. Alors que la presse écrite hésite sur son avenir, perturbée par les restructurations qui s’opèrent dans les rangs des gros tirages, la petite famille de la presse indépendante, dite alternative, elle, n’a jamais été si présente.” - Fabrice Paineau, rédacteur en chef du magazine Double.1 Le terme “magazine de mode indépendant” (niche fashion magazine) est inspiré par le travail de recherches de David Muggleton2 et Anna Gough-Yates.3 Ils le définissent comme étant le résultat de la fusion entre l’art et la mode, dirigé par une équipe au capital culturel avant-gardiste qui destine son magazine à un groupe d’initiés, sans distinction de genre. “Par rapport aux magazines de mode traditionnels, ces titres représentent un corpus extrêmement hétérogène. Chacun d’eux est une expression très personnelle, présentant la vision du monde et de la mode de ses concepteurs. Ces publications en constante évolution, deviennent le meilleur repère des différentes façons dont on perçoit la mode.” 4 L’art, l’expérimentation et l’innovation graphique, sont des conditions inhérentes à ce type de publications. Ils deviennent de fait des faiseurs de tendances en photographie, en stylisme, et en direction artistique.5 Il en existe deux genres que distingue Ane Lynge-Jorlén, ancienne professeure à l’école de mode Parsons Paris et à UAL Londres, dans son étude des magazines indépendants de mode. Le ‘Glossy’ et le ‘Art x Mode’. Le Glossy est un genre né à Londres au début des années 90. La mode y est frivole, drôle et ironique. Il est plus proche des magazines de style traditionnels, et reflète un certain intérêt pour le culte des célébrités. Il est aussi à l’affût des tendances et des nouvelles collections. L’image y est prédominante, et devient le prétexte pour une narration fictive qui occulte l’intérêt pour le vêtement (qui peut apparaître flou ou tronqué, pas forcément mis en valeur). Les textes sont quant à eux concentrés sur les nouveautés : nouveaux films, nouveaux designers, nouvelles musiques. Le ton des interviews est conversationnel, emprunt du langage jeune, ironique et souvent contesté par la critique. Elle permet d’accepter un monde simulé par la mode, mais exclut celui qui ne la saisit pas. Ce journalisme gonzo montre le revirement de l’intérêt des vêtements vers ses médiateurs, et camoufle la volonté de ne pas être trop élogieux vis-à-vis des marques, tout en étant élitiste vis-à-vis du lecteur novice. Cela donne lieu à la création d’un monde artificiel et superficiel revendiqué par les publications de ce genre. Le Art x Mode adopte lui un ton plus intellectuel, où la mode est un sujet sérieux aussi légitime que l’art. Concentré à Paris, et né de l’héritage de la Haute Couture, le magazine se traduit par la juxtaposition de différentes formes de réalisme. Presque trash, il invoque la nudité, le porno chic, les portraits sans fard ni artifice. Les conversations y sont analytiques et réfléchies. La forme du magazine est un élément clé, et un moyen de communiquer différemment à chaque numéro. Des directeurs artistiques de renom y sont invités pour des éditions spéciales ou limitées. Les interlocuteurs sont eux-mêmes des spécialistes respectés dans leur domaine (que ce soit la philosophie, l’art contemporain ou le cinéma). Les interviews sont des échanges de questions et de réponses, une discussion retranscrite fidèlement pour le lecteur. Certains prennent la forme d’un récit. Ce que je trouve beau, c’est que chaque nouveau numéro de Double est le titre d’une nouvelle histoire. “On était fait pour s’entendre”, double numéro 30. “To begin, begin”, double numéro 28. “Fear, no fear”, double numéro 27. “I’m your man”, numéro 24. Numéro 23 : “Hier et demain”.

1 PAINEAU, Fabrice, « Vive le Papier! », L’Express, 15 Avril 2015. 2 MUGGLETON, David, Inside Subculture : The Postmodern Meaning of Style, Berg, New York, 2000. 3 GOUGH-YATES, Anna, Understanding Women’s Magazines : Publishing, Markets and Readerships in Late-Twentieth Century Britain, Routledge, Londres, 2003. 4 NIEMOJEWSKI, Raphaël, « Un nouveau type de magazines, un nouveau point de vue sur la mode », Images en Manœuvres, Marseille, 2004. 5 ALLEN, Linlee, “Future vision today”, The Australian, 23 Juin 2000.

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3 : DÉFINITIon

Les deux types ont cependant en commun le dépassement de la distinction entre l’art et le commerce. Leur démarche postmoderniste assumée mélange les disciplines.1 Ils sont les témoins de l’érosion de la division entre haute culture et culture populaire. La mode se situe alors comme un intermédiaire entre l’art et l’économie, et rejette l’opposition classique entre l’art et la mode. Pourquoi et comment cette presse a-t-elle connu un tel engouement et un tel renouvellement ? C’est au début des années 90 que l’on assiste à la démultiplication de cette presse de mode hybride, réservoir et véhicule des différentes écoles du cool. D’abord concentrée en Angleterre, avec comme centre névralgique la ville de Londres, elle se diffuse à travers l’Europe et les grandes capitales culturelles mondiales. Dazed&Confused (1991), Sleazenation (1996), Tank (1998) et Another Magazine (2001) sont des précurseurs du genre. Paris voit naitre Purple (1992), Self Service (1995) et Crash (1998). Le magazine indépendant devient un moyen incontournable de prise de parole des communautés artistiques. Il met en lumière ceux qui changent les règles, par opposition à la presse de style conventionnelle. La culture de masse, (représentée par les grands groupes de presse) et la culture de l’élite (représentée par les titres indépendants). La première touche une large audience, avec une large production, dont l’objet final est économique. La seconde touche une audience restreinte, sa production est limitée et son capital symbolique plutôt qu’économique. Condé Nast (Vogue, Glamour), Lagardère (Elle), Groupe Marie Claire (Cosmopolitan, Marie Claire), Hearst (Harper’s Bazaar) sont tous touchés par une crise sans précédent. Moins financés par les marques, les titres connaissent des baisses conséquentes de diffusion et un appauvrissement notable de leur ligne éditoriale. Ces publications ne trouvent plus leur public et se noient dans un discours plus mercantile que stylistique.2 Ce qui laisse la place au magazine indépendant qui lui, n’a jamais été aussi populaire. Le genre prolifère et se répand graduellement en s’inspirant de la mouvance de leurs prédecesseurs. Il est en plus possible aujourd’hui de produire un magazine derrière l’écran de son ordinateur, Suite Adobe à l’appui. Ces publications sont en constante évolution, autant d’expressions personnelles de la mode face au monde, qu’il soit volontairement créatif, ou créatif par accident. Il est aujourd’hui difficile d’en dresser une liste définitive. Les titres ne cessent d’évoluer, de changer de noms, ou simplement d’arrêter de paraître. Mais l’intérêt qu’on leur porte, lui, ne cesse de croître. Cela révèle aussi la croissance d’un public averti, à la recherche de contenus riches d’informations et de nouveautés, à l’opposé du mainstream. L’information qu’ils choisissent de lire leur est destinée. Cette information a aussi un prix : entre 8 et 20€ (ou 1500€ pour de rares exceptions). Cela redonne de la valeur au journalisme, à la recherche et à son point de vue. Le digital permet de rendre accessible les titres aux quatre coins du monde.3 Le magazine de niche est devenu un marché. “Au début des années 1980 il y avait une sorte d’explosion des créateurs de mode, des magazines, des photographes. Aujourd’hui c’est l’accumulation. Vous allez à la librairie du Palais de Tokyo, vous voyez le mur de magazines, c’est un problème d’accumulation. On rentre donc obligatoirement dans une autre optique. C’est un marché.” - Marc Ascoli, directeur artistique.4 Magazine est un magazine qui parle de ces magazines de niche. À l’origine ce fut l’idée d’un trio. Angelo Cirimele, philosophe, Yorgo Tloupas, directeur artistique, et Alexandre Thumerelle, fondateur d’0fr. Avant les autres, ils se sont intéressés à cette presse d’avant-garde, vivante et créative. Ils décident d’en faire la description et l’inventaire. Ils lancent Magazine en 1999, un trimestriel gratuit, distribué à Paris et tiré à 30 000 exemplaires.5

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HAWGOOD, Alex, « Luis Venegas, the man behind Candy and other indie magazines », The New York Times, 13 Mars 2015. DOUCET, David, « Presse féminine : les magazines sont devenus des magasins », Les Inrocks, 30 Janvier 2014. SUTCLIFFE, Chris, « Are niche publications the future of print ? », The Media Briefing, 5 Février 2016. NEUVILLE, Julien, « The Creative Class : Marc Ascoli, Art Director », Business of Fashion, 3 Juin 2013. SARRATIA, Géraldine, « Magazine, le magazine qui parle de magazines », Les Inrocks, 24 Avril 2011.

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3 : DÉFINITIon

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À chaque parution, le magazine s’efforce d’étudier cette presse émergente, qui prolifère et véhicule les tendances et les thématiques qui occupent les esprits créatifs. Ils en font l’étude détaillée, en abordant les différents canaux que touchent les différents titres. Digital, papier, réseaux sociaux sont ainsi exposés et comparés. Une démarche devenue nécessaire, aux vues de la multiplication de ce type de presse. La presse représente un entre-deux entre le consommateur et les marques de mode. Historiquement, ce rôle est essentiel. Le magazine traduisait les tendances, et les accordait à l’air du temps tout en adaptant leur discours à leurs lectrices. Mais, un changement profond s’opère, et les marques commencent petit à petit à faire entendre leur propre voix. Cela est entre autre dû à l’évolution des marques-produit en marques-lifestyle. Avec une offre globale qui passe de la maroquinerie au prêt-à-porter, en passant par les bijoux et les accessoires, les marques de luxe ne vendent plus un sac mais un idéal. Alors, comment le traduire ? Par quel biais ? Sous quelle forme ? Et quel rôle aura le magazine de niche au sein de ce nouvel écosystème ? Quel impact cela a-t-il sur les stratégies de communication des marques de luxe (premier annonceur de la presse) ?

Couverture du magazine Double : The Academia Issue n°26, 2013.

ETHRIDGE, Roe, Fruit, 2011. (Publié dans Double Magazine)


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IMPACT, DÉPENDANCE ET MUTATION

Couvertures de Marni AntiCamera, 31 Rue Cambon, Six Magazine, Dior Mag, Porter, MM, Le Monde d’Hermès, Acne Paper et Kenzine.

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1: S’affranchir de la presse, le magazine de marque

Depuis toujours les marques de luxe ont fait de la publicité dans les magazines. Aujourd’hui, ces marques souhaitent toucher leur consommateur directement, sans passer par un intermédiaire. “Les marques de mode se transforment de plus en plus pour devenir des entreprises médias”, dira Steve Rubel de Edelman Digital, une agence de communication.1 On assiste dans les années 2000 à la démocratisation d’un nouveau genre de publications. Ce sont les magazines de marque, ou “magalogues” qui mêlent un ton éditorial à leur conventionnel lookbook de présentation. Plus qu’un lookbook ou qu’une campagne, le “zine” fut le medium de prédilection pré-tumblr des avant-gardes culturelles. Il est devenu pour les marques un outil de communication originale, espace de liberté sans ostentation, avec un ton et des images fidèles à la foi à l’esprit de l’époque et l’interprétation que la marque en fait. Ce type de publication aurait connu en croissance de 16% entre 2008 et 2009, et se serait professionnalisé en devenant un genre à part entière. On le sait, le capital image est l’un des piliers des marques, et surtout des marques de luxe. Le magalogue contribue à construire sa personnalité, à donner du sens et à travailler la qualité de la relation avec sa clientèle.2 C’est alors que les magazines de marques de luxe se multiplient. Envoyé à ses meilleurs clients, ou distribués gratuitement, ils donnent le ton sans interprétation, des valeurs qu’ils tentent de véhiculer. Pas nécessairement subversifs, ils essayent néanmoins de marquer leur territoire et d’y fédérer une communauté. DiorMag (2012), MM Magazine de Maxmara (1989), Le Monde d’Hermès (1973) font partis de ces titres. En février 2011, Karl Lagerfeld fait appel à Olivier Zahm (Purple Magazine) pour créer 31 Rue Cambon.3 Magazine gratuit, distribué en boutique ou envoyé aux clients fidèles, on le retrouve vendu aux enchères sur Ebay à 11,36€.4 Le ton reste très conventionnel, malgré cette collaboration avec un magazine indépendant. “Chanel News”, une newsletter à destination de la clientèle Chanel, est une autre extension éditoriale de la communication du grand groupe de luxe version digitale. Elle est aussi écrite en collaboration avec différents journalistes indépendants. Qu’est-ce que cela dit du luxe ? La transition des “marques-produit” en “marques-lifestyle”, corrélée à l’explosion du digital (qui a disrupté le lien historique entre la presse et la mode) oblige le secteur à l’expression. “ Deux réflexions président au lancement d’un titre par une enseigne. L’idée que le destinataire du message sera plus étroitement atteint, si on est susceptible de lui proposer une identité de marque riche. Et le fait que la mode soit prise dans un univers beaucoup plus large, dont elle s’enrichit : les griffes deviennent de plus en plus ‘lifestyle’. Leur magazine en est le prolongement logique. Pour éviter d’être accusés de faire de la publicité déguisée, certains font preuve d’un très fort esprit d’indépendance et délivrent un contenu éditorial pointu, voire davantage émancipé que les magazines lambda, où les annonceurs dictent souvent les règles du jeu.” 5 C’est le cas d’Acne Paper. Acne Paper est un magazine biannuel lancé par la marque suédoise Acne Studios entre 2005 et 2013. Il est largement inspiré du précurseur du genre, le magazine Six lancé par Rei Kawakubo pour Comme des Garçons en 1989. Il transcende les limites du genre en s’entourant de photographes tels que Mario Testino ou David Bailey, accompagnés des textes de l’actrice intello Tilda Swinton. Loin du “consumer magazine”, ce support grand format est dirigé par un vrai rédacteur en chef, Thomas Persson. Il explique que le magazine était le moyen de faire rayonner la marque au-delà des frontières suédoises, en s’affranchissant des modes de communication classiques.

1 CARR, David. « Luxury brands bypass fashion magazines, companies reaching out to consumers using their own online media outlets », International Herald Tribune, 18 Janvier 2011. 2 BINKLEY, Christina, « Net-a-Porter Launches Magazine », The Wall Street Journal, 4 Février 2014. 3 GREENE, Lucie, « The boom in branded magazines », Financial Times, 8 Janvier 2010. 4 http://www.ebay.fr/itm/NEW-Chanel-31-Rue-Cambon-Chanel-Magazine-Spring-Summer-2014-Issue-9-Catalog-/221815866448 5 L., I., « Des magazines à la page », L’Express, 21 Mai 2014.

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1: S’affranchir de la presse, le magazine de marque

Plutôt que de recourir à la publicité, le sujet était d’écrire sur tout ce qui inspire Acne, “parler des gens qui n’avaient pas forcément quelque chose à vendre, mais qui étaient porteurs de connaissances, des experts dans leur domaine.” 1 Le magazine de marque n’a pas pour vocation de générer de revenus directs malgré son prix qui s’alignent sur ceux des magazines indépendants : 10€. Il permet de créer du trafic vers les boutiques de l’enseigne, et de créer un réseau artistique autour de la marque. La stratégie a payé. 25000 exemplaires sont produits, vendus, lus. Le magazine a trouvé son lectorat. La prise de parole, est devenue une condition nécessaire pour les marques. Ils s’entourent de journalistes, de photographes mais aussi de bloggeurs. ”Beaucoup de marques de luxe ont construit des équipes éditoriales pour sociabiliser leur marques. Ils transforment la relation consommateurs / marques en produisant des blogs, des magazines sur le digital et différentes formes de contenus, destinés à intensifier la fréquence de leurs interactions comme le fait Burberry avec son blog ‘Art of the Trench’.”2 En 2016, les Calvin Klein, Stella McCartney ou encore le chanteur Kanye West (qui a lancé sa propre marque) s’emparent du “zine”, le magazine symbole de la contre-culture. La raison ? En octobre 2015, la légendaire maquilleuse Pat McGrath collabore avec Vogue afin de publier un “zine” de 32 pages, plein de photos d’iPhone et de selfies pour lancer sa ligne de cosmétique Phantom 002. En 2011, Marni avait déjà lancé Anticamera,3 un “zine” digital dirigé par Carolina Castiglioni et créé avec le Marni_Lab, qui met en scène des collaborations d’artistes établis ou émergents comme Brian Rea (artiste américain basé à Los Angeles) qui a réalisé un court film pour Marni et son Blossom Market.4 En 2013, Kenzo est repris par le duo de créatifs américains et fondateurs d’Opening Ceremony, Humberto Leon et Carol Lim. Ils lancent à cette occasion une petite édition nommée Kenzine, qui partagea son nom avec le blog de la marque. Cette plateforme sera entièrement écrite par le réalisateur indé Spike Jonze.5 Le magalogue se propage aussi au cœur des grands magasins comme Barney’s, Selfridges, ou encore Net-à-Porter. Porter, dont le slogan est “Plus qu’un magazine de mode” est le magazine de Net-à-Porter. Malgré une mise en page classique, plus proche de Vogue que de Gentlewoman, Porter est le symbole d’une révolution définitive, qui partage avec la presse ses journalistes, ses codes et ses éditeurs (Lucy Yeomans sa rédactrice en chef est une ancienne du Harper’s Bazaar anglais). Ils ont cependant une longueur d’avance, et réussissent à intégrer à la fois du contenu de qualité et un e-shop permettant d’acheter les produits directement en scannant son magazine à l’aide d’un smartphone. Porter coûte 10€ et se positionne donc sur le marché des produits dont il fait la promotion, et n’est donc pas un lookbook gratuit. Nathalie Massenet, la fondatrice de Net-à-Porter l’a bien compris. Sa cliente adore les magazines de mode, mais elle effectue 60% de ses achats en ligne. Cependant, très peu d’entre elles lisent les magazines digitaux, car il est impossible d’y faire ses achats. Ce constat est le point de départ de son projet, et l’aboutissement du rêve de nombre de ses clientes, pouvoir acheter le rêve que nous vend une série mode. D’après Mark Sebba, PDG de Net-à-Porter, le site serait une entreprise media plus qu’un site de vente, car les marges engrangées par la publicité dépassent les revenus de la vente de produits de luxe, une incompréhension au sein des équipes et de l’industrie en général, encore bloquée dans la séparation hermétique entre la presse et le commerce.6 Si les marques s’affranchissent de la presse en créant leur propre magazine, quel rôle le magazine de niche peut-il occuper aux yeux de l’industrie ?

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DORMOY, Géraldine, « Acne Paper, l’ovni suédois », L’Express, 14 Avril 2009. GROTH, Aimée, « LVMH is Redefining Luxury Marketing with NOWNESS.com », Business Insider, 2 Août 2011. BAITZ, Alison, « Did you know that Marni has a zine ? And it’s good ! », Refinery29, 11 Octobre 2011. http://www.marni-anticamera.com/ LEWIS, Casey, « What is going on with fashion and zines ? », Racked.com, 4 Mai 2016. BINKLEY, Christina, « Net-a-Porter Launches Magazine », The Wall Street Journal, 4 Février 2014.

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2 : devenir cool : le magazine partenaire

“ Pour toucher une certaine audience, un public particulier, il était nécessaire pour les marques de mode d’acheter de la publicité dans tel ou tel magazine. Aujourd’hui, ce n’est clairement plus le cas.”- Susan Lyne, Directrice du Gilt Group.1 En réaction aux médias mainstream, les magazines indépendants se sont engagés dans une renaissance durable et réelle. Ils offrent aux marques de luxe un écrin de choix. Un papier et une impression de qualité qui s’oppose frontalement à la réactivité et à la rapidité des médias internet, ou des médias de masse.2 Au-delà de l’objet, cela permet aussi aux marques de luxe de toucher un public averti, prêt à payer plus de 10€ pour son magazine de mode. Le cool fait vendre. Souvent spécialistes, les magazines de niche possèdent une identité propre qui profite à la marque qui s’y associe. Ils représentent à la fois inspiration et rayonnement pour les marques et leur public. C’est à la fin des années 80 que les marques de luxe, principaux annonceurs dans les magazines de mode, cherchent la reconnaissance d’un public plus jeune afin d’adapter leur image et leur discours à l’époque. Vieillissantes et en quête de renouveau, elles font donc appel aux magazines de niche, afin de leur insuffler des vents d’avant-garde. La publicité, la collaboration commerciale ou encore l’organisation d’évènements, font partis des moyens déployés par les maisons et les magazines de niche, afin de s’associer de manière plus ou moins assumée, aux yeux du public. Ces collaborations prennent la forme d’une combinaison entre promotion, curation et création. Ce que cela dit d’une marque, c’est “je veux être cool”. Le cool possède un pouvoir d’attractivité incontestable. Ce que confirme Jefferson Hack, cofondateur du magazine d’avant-garde Dazed & Confuzed (1991, Londres). L’homme est lui-même décrit comme étant le plus ‘“cool de Grande-Bretagne”, à l’origine de la bible de la culture alternative des années 90. Il dit que “Dazed a été lancé à la période de la culture de la drogue, de l’ ecstasy, du monde de la nuit et de la fête underground. Nous avons brisé les règles dès le premier jour, nous étions anti-tout, anti-système, influencés par la rue. Nous étions des radicaux qui avions horreur du mainstream. Le premier slogan de Dazed était de dire : Ceci n’est pas un magazine”3 Son comportement rebel et anti-conformiste fera de lui le cliché et la référence de la contre-culture de l’anti-tout, en somme un précurseur de l’anti-système. Ses photographies provocatrices révèleront le créateur Alexander McQueen, le photographe Nick Knight, l’artiste Damien Hirst, la chanteuse Björk et le groupe Radiohead. Il a la réputation de voir avant les autres ce qui fera sensation, à la fois dans la mode, dans la littérature et dans l’art. Faiseur de tendance il est à l’origine de deux autres magazines (plus axés sur la mode et le luxe) regroupés au sein du Dazed Group. Il lance en 2013 Dazed Vision, un studio qui fournit du contenu éditorial et vidéo pour dazeddigital.com, suite logique de son agence de publicité MAD, et de sa branche commerciale Dazed White Label (2013) qui propose aux marques un service de conseil et de la production de contenus. On compte parmis ses clients Armani, Chanel, Nike, Swarovski et Dunhill. Katie Grand a elle compris la notion de cool à l’ère digitale. Ancienne collaboratrice de Jefferson Hack, la surnomme ‘Lady Grand’.4 Styliste et journaliste, elle représente les restes d’un monde révolu du journalisme de mode, respecté et craint. Après 7 ans au sein de Dazed & Confuzed, elle fut commissionnée par Bottega Venetta et Prada pour “mettre du fun” dans leurs univers En 1999, elle prend la tête de The Face pendant un an, et se retrouve en 2000 à diriger Pop Magazine (qui appartient aujourd’hui au Bauer Media Group).

1 CARR, David. « Luxury brands bypass fashion magazines, companies reaching out to consumers using their own online media outlets », International Herald Tribune, 18 Janvier 2011. 2 BROWN, Oliver, « Independent Magazines and Advertising », HelloStarling, 30 Janvier 2016. 3 SUNYER, John, « Lunch with the FT : Jefferson Hack», The Financial Times, 6 Août 2014. 4 MCDOWELL, Colin, « Only Katie », Business of Fashion, 9 Février 2015.

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2 : devenir cool : le magazine partenaire

Le biannuel est devenu sien, et elle mettra en scène ses amies les plus proches, comme Phoebe Philo, Luella Bartley1 ou encore Stella McCartney. Dans le but de faire le buzz, elle établit un lien étroit entre les personnalités qui font parler, les stylistes et les photographes. Elle mettra ainsi en scène Kim Kardashian, photographiée par Steven Klein, et habillée par Prada. La culture populaire y rencontre la mode et arrive à atteindre une audience internationale faisant écho à son plus grand combat, celui de mettre en scène une femme forte contemporaine. En définissant aussi bien l’image qu’elle se fait de sa cliente, Grand lui parle avec justesse, et fédère autour d’elle budgets publicitaires, communauté et reconnaissance. Fondé en 2009 par Katie Grand, Love Magazine est un magazine indépendant qui aujourd’hui appartient à Condé Nast. De peur de perdre ses annonceurs, Condé Nast observe ce qui rapporte, et la formule du magazine indépendant autour duquel gravite une communauté est devenu un business, et Katie est une spécialiste. Le groupe rachète alors le magazine. Le ‘cool’, une valeur affichée du titre, et la manière la plus directe de définir son identité à travers les personnalités connues qu’ils décident de mettre en avant. Lily-Rose Depp, Kendall Jenner, et la famille Kardashian2 en sont les invitées régulières. Les marques savent à qui ils s’adressent. À une génération de millenials qui fait la fête sur un logo illustré, coloré, presque crayonné sur l’écran. “Deux dangers menacent le cool. Tout d’abord la suffisance que son ironie vis-à-vis peut susciter. Ensuite, d’être la proie de ceux qui cherchent à capter le cool à leur profit, professionnels du marketing et de la publicité : le cool fait vendre.” 3 Et le ‘cool’ fait aussi parler de lui dans la presse institutionnelle. Le petit titre se fait un nom, se fait connaître et finit par attirer les marques qui y font de la publicité.4 “Il n’y a aucun doute sur le fait, que pour survivre, Jones (rédacteur en chef de i-D) a du courtiser les grandes marques de luxe. Mais documenter les grands noms n’a pas effacé la rébellion du magazine.” 5 Alors comment vendre du cool à son lecteur ? Quatre collaborations magazines/marques existent. La publicité reste le mode de promotion traditionnel et historique, instauré entre la presse et l’industrie de la mode.6 Les revenus des magazines en dépendent majoritairement (après les revenus générés par le prix de vente), et permettent de promouvoir objectivement les dernières collections des marques. C’est une manière pour les marques de s’associer à l’avant-garde, sans pour autant collaborer directement aux séries mode. C’est une distance qu’ils entretiennent, et qui profite au magazine, qui utilise ces rentrées d’argent pour financer la production et la distribution de leurs publications. La collaboration éditoriale est un autre de ces moyens, et cela concerne surtout les magazines indépendants. Ashley Heath, propriétaire et rédactrice en chef de Pop Magazine, a passé deux mois à travailler avec Juergen Teller pour un portfolio de 82 pages à destination de Louis Vuitton. Publié séparément, le magazine fera par la suite écho à ce travail commun, en publiant les photos rejetées par la marque. Cela coïncidera avec l’exposition de Louis Vuitton Series 3 à Londres, et profite à la fois au magazine et à la marque, comme un partage d’aura de ‘coolitude’ (contraction de cool et d’attitude). Chacun se nourrit de l’identité et de la crédibilité de l’autre. En s’associant à un nom, que ce soit par la simple publicité ou par la collaboration, il est entendu qu’il y a un transfert d’image positif pour la marque. Plus le magazine est désirable et fait sens pour le lecteur, plus il s’imposera sur sa table basse et fera de la publicité à l’annonceur une visibilité durable de sa campagne. C’est une façon pour les marques de se connecter avec ses consommateurs, à travers des médias qu’ils respectent et qui les inspirent. C’est s’octroyer un peu de cachet culturel par procuration en s’associant à un nom.

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SAMADDER, Rhik, « Editor Katie Grand and designer Luella Bartley on their friendship », The Guardian, 14 Septembre 2014. CRAWLEY, Joanna, « Kendall Jenner shows off her model body », Daily Mail, 14 Mars 2016. DURAND, Jean-Marie, Le Cool dans nos Veines, Histoire d’une Sensibilité. Robert Laffont, Paris, 2015. MARFIL, Lorelei, « Poppy Delevingne Names Senior Contributing Editor at Love Magazine », WWD, 2 Février 2016. JONES, Dylan, « i-D magazine : Identity parade », Independent, 14 Octobre 2005. MATTHEWS, Laura Isabella, « How do Independent Magazines Make Money ? », Business of Fashion, 27 Juillet 2015.

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2 : devenir cool : le magazine partenaire

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La collaboration sur un produit: The Gentlewoman et la marque anglaise Sunspel fondée en 1860. Ils développent ensemble un t-shirt défini comme étant le basique ultime. Il est inspiré de la philosophie et du style que la marque et le magazine partagent. L’esthétique minimale d’un dressing de pièces essentielles, à la fois modernes et polyvalentes, mais aussi intemporelles avec une emphase sur les détails.7 L’organisation d’événements : En octobre 2015, le magazine Purple et la marque de prêt-àporter de Jean Touitou A.P.C organisaient un diner en leurs noms.8 Au cœur de Paris, à la Brasserie Lipp, la quintessence du cool français se retrouve. Vanessa Seward (nouveau label lancé par A.P.C), Simon Porte Jacquemus (jeune créateur et finaliste du concours LVMH), Elie Top, Jean-Charles de Castelbajac, Olympia le Tan, Aurélie Bidermann, Laure Heriard Dubreuil, Sophie Calle, Cecile Cassel et la bloggeuse Jeanne Damas sont là. Ils finissent la soirée chez Castel, nouveau lieu de nuit du grapheur parisien André (et proche d’Olivier Zahm, fondateur de Purple). Ce type de rendez-vous non improvisé, permet à la marque de rester jeune, même au contact de la nuit, liste d’invités Purple à l’appui. Gérés comme des événements spontanés, ils ont pour vocation d’afficher leur amitié, entre magazine et marque, pour à vrai dire rassembler leurs communautés. C’est aussi le moyen pour Purple de mettre en valeur son bureau de conseil en image, le Purple Institute. Le cool a permis d’émanciper l’économie du magazine indépendant, ce qui a favorisé son expansion. Reconnu dans le milieu, le magazine devient la vitrine tangible du savoir-faire de ses équipes, ce qui transforme son modèle économique. Une autre forme de lien se tisse alors entre luxe et magazine : le conseil en image.

SLAMA, Adam, A Springtime Celebration : The Gentlewoman Club, 2016.

7 GHERTNER, Zoë, « The New T », The Gentlewoman n°13, Printemps/Été 2016. 8 GUIBAULT, Laure, « APC, Purple Magazine Party in Paris », WWD, 1 Octobre 2015.

RANKIN, Kate Moss Dazed &Confuzed, 1999.


3 : Conseil en image : le magazine dans l’ombre

« Les magazines ne sont plus fait pour parler de la rue. Ils sont faits pour expérimenter des formes pour des maisons de luxe. En gros, t’es photographe, tu expérimentes et les marques regardent le truc et le trouve pas mal. Ça nourrit un imaginaire super ‘artsy’, dans lequel ça te valorise d’être.» 1 - Angelo Cirimele. Les magazines de niche ne génèrent aujourd’hui que très peu ou pas de profit. Chers à produire et à distribuer, la raison de leur existence réside souvent dans la promotion de leur savoir-faire, et dans le plaisir créatif d’en réaliser un.2 La création de cabinets ou de studios de direction artistique, leur permet de combiner deux activités. Une artistique (le magazine), et une lucrative (le studio) qui se complètent et s’enrichissent l’une l’autre. C’est en 1995 que le premier magazine Self Service voit le jour, revue semestrielle respectée par le milieu de la mode. Il est édité par le couple Ezra Petronio (publicitaire) et Suzanne Koller (graphiste). À l’origine, le propos est critique : c’est une analyse portée sur l’art, la culture et la société, et le magazine est un prétexte pour rencontrer des gens et révéler des talents. L’amour de l’indépendance selon les deux associés, c’est la liberté de créer, diriger, imaginer, collaborer autour de l’objet magazine sans pour autant dépasser les limites fictives que se fixent la mode. Pas nécessairement subversif, ce qu’apporte Self Service c’est avant tout un regard classique mais contemporain. Suzanne Koller fait son entrée dans la mode en tant que stagiaire au Elle français encore sous la direction du légendaire directeur artistique Peter Knapp puis continue son parcours au Glamour, avant de rencontrer son partenaire Ezra Petronio. À cette époque, tout tournait autour de l’association d’univers créatifs divers, la musique, l’art et la mode se rencontraient et le magazine faisait parti de ces avant-gardistes du mélange des genres soutenus majoritairement par des annonceurs de l’industrie du luxe. Il est devenu l’outil de communication ultime de l’agence qui le produit.3 Car Self Service c’est aussi Petronio Associates, un cabinet de conseil discret qui élabore des stratégies d’image pour de nombreuses marques dont Chanel, Miu Miu ou A.P.C. Basé à Paris, le studio concentre ses talents qui se chargent de missions en “ing” : branding, advertising, packaging.4 Ils ont commencé par des cartes de visites, des logos, et ont fini par diriger toute une campagne. Les projets vont de la direction artistique à la publicité, en passant par le design de flacons de parfum, le packaging et l’aménagement des points de vente. Ce ne sont pas des artistes, mais de fins stratèges commerciaux au service d’une économie. Ils sont d’ailleurs extrêmement discrets, et ne donnent que très peu d’interviews. Ils travaillent sur l’âme du luxe, repèrent sa pertinence et mettent en valeur les points forts d’un nom : “le luxe aujourd’hui se résume à la fidélité envers ce qui fait l’âme d’une marque.” 5 Ils font l’apologie d’un univers dont l’image est totalement sous contrôle, l’attention accordée aux détails dans la maitrise de l’expérience vécue. Le journaliste devient un spécialiste et un précurseur souvent précieux pour les marques qui produisent à toute vitesse sans prendre la mesure de l’air du temps. Le conseil, Marie-Amélie Sauvé en a même fait son métier. Bras droit de Nicolas Ghesquière (directeur artistique de Louis Vuitton Femme), marraine de Julien Dossena (directeur artistique de Paco Rabanne), l’ancienne journaliste du Vogue transforme ses compétences et son carnet d’adresses pour faire office de muse, de styliste et consultante.6 Elle reste journaliste, et écrit pour W, le Vogue italien, et dirige même un numéro de Self Service, le Numéro 41 qui réunit son entourage personnel en photographies de mode.7

1 Interview d’Angelo Cirimele, fondateur et rédacteur en chef de « Magazine », 11 Mars 2016. 2 LYNGE-JORLÉN, Ane, « Between Frivolity and Art : Contemporary Niche Fashion Magazines », Fashion Theory Volume 16 Issue 1, 2012. 3 DORÉ, Garance, «Pardon My French, Self Service Part 1 with Suzanne Koller », Garance Doré, https://www.youtube.com/watch?v=RnS95icfbc, 2011. 4 SCHNEIER, Matthew, « Independent Women : Suzanne Koller », Harpers’ Bazaar, 5 Septembre 2011. 5 STONES, John, « La voie étroite du luxe selon Ezra Petronio », Étapes Graphiques n°210, 1 Novembre 2012. 6 ANAYA, Suleman, « Marie-Amélie Sauvé, muse, styliste et consultante », Business of Fashion, 29 Janvier 2014. 7 CIRIMELE, Angelo, « Off Record : Consulting mode », Magazine n°9, Vol 2, Septembre 2012.

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3 : Conseil en image : le magazine dans l’ombre

Certains font le chemin inverse. De cabinet de conseil, bureau de directeur artistique, ils lancent un magazine, ou réveille “un bel endormi” (à la manière d’une vieille maison de mode). C’est ce que Franck Durand fera avec Holiday. Magazine américain culte, plus lifestyle que mode, sa renaissance fera l’apologie d’un luxe intemporel, glacé et cosmopolite à l’image de l’esthétique qu’il vend à ses clients. L’histoire de ce magazine compte autant que le magazine actuel, car il raconte l’époque d’un luxe idéalisé, fantasque et vivant. Holiday est un magazine américain créé en 1946 et diffusé jusqu’en 1977. Il est relancé à Paris chez Colette en 2014 par l’Atelier Franck Durand et le journaliste de mode au Monde Marc Beaugé.8 Il fut originellement à Philadelphie, le fruit de la collaboration entre un éditeur, Ted Patrick, un gourmet inconditionnel, fan de voyages et de jazz, et le directeur artistique Frank Zachary, une icône autant qu’un excentrique, aimant manger chinois avec son verre champagne. 9 Holiday représentait tout ce que le voyage avait de glamour, à travers les textes des écrivains Hemingway, Kerouac, Steinbeck, Didion ou le regard des photographes Cartier-Bresson, Aarons ou Steichen. Un vivier d’articles inédits et oubliés, d’une qualité et d’une richesse inestimable. Le format imposait de sublimes couvertures, mises en image par Ludwig Bemelmans, George Giusti, Fred Siebel ou encore John Cullen Murphy. En 1946, le magazine était vendu à 425000 exemplaires. Près d’un million en 1962. Holiday arrivait après la seconde guerre, période où l’Amérique était prospère. Les vols transcontinentaux devenaient de plus en plus accessibles, les hôtels de luxe fleurissaient, autant que les agences de voyage. La photo couleur était partout. Le magazine édité tous les mois, réinvente le concept du loisir et du voyage aux Etats-Unis. Il vendait un idéal,10 en travaillant sur l’importance et la force du regard sur la culture et le monde. C’était une communauté au chic intemporel et au quotidien hors du commun, conjuguant élégance et curiosité. Mort subitement, son rédacteur en chef, Ted Patrick, laisse un groupe de presse au bord du gouffre financier. Le démantèlement de la rédaction tue l’essence et la qualité du magazine. Schanche dira que “le problème de Holiday, c’était qu’il était trop bien écrit”.11 Holiday fusionne avec son concurrent Travel Magazine, puis sera racheté en 1980 par le Reader’s Digest. En 2003, il est vendu à Hachette Filipacchi. En 2016, Holiday n’est plus le même. Pas les mêmes moyens, mais des valeurs partagées, de voyage, de liberté, et d’hédonisme qui sont évoquées dans leur nouveau premier numéro, le numéro 373, là où s’était arrêté Holiday en 1977. Vendu 13€, il rassemble 23 pages de publicité sur 152. Miu Miu, Isabel Marant ou encore Dior se partagent l’affiche, dont la plupart sont clients de l’Atelier Franck Durand. Le profil d’un artiste madrilène, Remed, un rapport d’Ibiza, une recette de paella à la sardine, et la visite de l’appartement new-yorkais du couple de photographes Inez et Vinoodh peuplent les pages du magazine.12 Mais dans cet hommage presque fidèle, se glisse des séries mode, non loin de l’univers de Franck Durand lui-même. Sa créativité est l’élément central du magazine, le reste est accessoire. Le magazine indépendant contemporain vend son individualité plutôt que de l’information. Son identité devient sa marque, et pour survivre il est nécessaire de capitaliser sur son image, en jouant sur l’ambiguïté entre l’opulence (de leurs annonceurs principaux, les maisons de luxe) et leur indépendance.

8 GUIBAULT, Laure, « Holiday Magazine Resurrects With a Fashion Vibe », WWD, 7 Avril 2014. 9 MCFADDEN, Robert, « Frank Zachary, Editor and Art Director, Dies at 101 », The New York Times, 13 Juin 2015 10 CALLAHAN, Michael, « A Holiday for the Jet Set », Vanity Fair, Mai 2013. 11 CALLAHAN, Michael. « A Holiday for the Jet Set », Vanity Fair, Mai 2013. 12 SCHNEIER, Matthew. « Of Sojourns Past and Future », The New York Times, 26 Mars 2014.

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nom prix de vente

DIRIGÉ PAR

DIGITAL

PUBLICITÉ

service

e-shop, produits dérivés

AUTRES

holiday 18€

ATELIER FRANCK DURAND

INSTAGRAM SITE WEB

oui

atelier franck durand, art direction

oui

café

PURPLE 25€

olivier zahm

INSTAGRAM SITE WEB

oui

purple institut, art direction

oui

X

self service 20€

EZRA PETRONIO

INSTAGRAM SITE WEB

oui

petronio& associates, art direction

oui

X

magazine 8€

angelo cirimele

SITE

oui

x

x

x

double 12€

fabrice paineau

SITE

oui

x

x

x

i-D france (version web gratuite)

clément corrazE pour vice

INSTAGRAM facebook youtube twitter SITE, pinterest

oui

X

X

X

dazed& confused 6€

jefferson hack

INSTAGRAM facebook youtube twitter SITE

oui

dazed white label (direction artistique)

X

mad (agence de publicité)

love magazine 17€

katie grand (conde nast)

INSTAGRAM facebook twitter SITE

oui

x

x

x

Pop Magazine 17€

Ashley Heath (bauer)

INSTAGRAM facebook twitter SITE

oui

x

x

x

system 30€

thomas lenthal

INSTAGRAM facebook SITE

oui

lenthal (direction artistique)

x

x

032c 25€

Joerg Koch

INSTAGRAM facebook twitter SITE

oui

x

oui

Galerie 032 à berlin

garage 17€

Dasha Zhukova

SITE

oui

x

x

galerie garage à moscou

the gentlewoman 14€

penny martin

INSTAGRAM SITE WEB

oui

collaborations avec des marques

oui

club de lectrices

kinfolk 18€

nathan williams + katie searle

INSTAGRAM facebook SITE

oui

x

marque ouur (vêtements, objets de maison...)

évènements kinfolk


27

RAHLWES, Katja, Editorial pour Self Service n°24, 2006.


3 0 -

21ème siècle, le présent et l’avenir de la presse indépendante

Couvertures de Cat People Magazine, The Gentlewoman, Bullett Magazine, Kinfolk, Garage, The Happy Reader, Luncheon, 032c et Holiday.

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1: la transition digitale ?

“N’oublions pas non plus que si le propre de la mode est d’être éphémère tout en étant intemporelle puisque sans cesse renouvelée, il en va peut-être autrement du sort des revues, à l’heure où le papier laisse de plus en plus de marge à l’écran.” - Stéphane Wargnier, Président exécutif de la Fédération Française de la Couture. 1 La raison de l’avènement digital, serait liée au changement comportemental de l’acheteur. En l’espace de cinq ans, (de 2009 à 2014), les ventes de produits de luxe en ligne ont progressé quatre fois plus que les ventes offline, qui elles-mêmes seraient le résultat d’une influence digitale préalable. Cette mutation du lieu d’achat ne serait pourtant que le symptôme d’un phénomène plus grand : celui du changement opéré par la technologie. Selon Michael J. Wolf, fondateur de l’agence “Activate”, l’américain moyen passerait plus de temps sur les médias digitaux qu’à travailler ou à dormir. Ce constat pousse les grands groupes de luxe à repenser leurs budgets de communication, passant des médias traditionnels aux médias en ligne qui représentent jusqu’à 50% du budget. Ce nouvel emplacement publicitaire suggère un changement d’attitude. Les marques se doivent de communiquer autrement, dans l’idée d’être connectés avec leurs consommateurs. Ce qui se révèle être plus complexe. La captation de la clientèle ne se monétise plus derrière la surface lisse et le discours passif du magazine de mode. Elle devient discours, puis débat, dans un écosystème multiple, complexe, quasi-infini. Dans la multitude, le lien devient émotionnel et se doit d’être entretenu. Ce qui pousse des entreprises comme Chanel à dépenser de plus en plus d’argent, sans pouvoir en retirer ailleurs dans leur budget de communication. En effet, la presse, malgré sa faible audience, reste un public niche nécessaire pour la mode.2 “Les consommateurs passent de plus en plus de temps en ligne et de moins en moins sur les médias traditionnels. La tendance ne fait que s’accélérer, avec l’avènement du mobile. Outil digital le plus utilisé, il devient nécessaire pour toutes les marques de s’y adapter et de fait de proposer une version digitale de leur communication. Elle entretient alors un lien direct avec le consommateur, et se passent des médias traditionnels. De plus, ces interactions marques/consommateurs peuvent être collectées, interprétées puis utilisées afin de mieux comprendre leur clientèle, ce qui se vend et ce qui influence les ventes. Le digital est devenu, un outil de communication et un outil marketing.” 3 Cette bulle digitale qui s’agite depuis 2009, affole particulièrement le luxe, d’abord frileux puis en retard sur les réseaux. Ils ont donc massivement investi en passant de l’offline à l’online. Le pourcentage, même pour les marques les plus conservatrices, se situe entre 15 et 20%, allant jusqu’à 50% pour certaines, selon Mario Ortelli, un analyste du luxe chez Sanford C. Berstein. Mais ce changement de paradigme induit un changement stratégique, que les marques n’ont pas encore assimilé, habituées au rythme trimestriel de communication des campagnes print. Le monologue s’est transformé en multi-logue, inondant en temps réel la multiplicité des canaux sur lesquels les clients ne sont plus des observateurs passifs mais bien des interlocuteurs actifs. “ La frontière séparant la mode de ses consommateurs n’a pas complètement disparu, mais est en train de devenir de plus en plus floue. De plus, les marques authentiques ont la chance de véhiculer un contenu créatif que les gens apprécieront.” - Adam Lavelle, chef de la stratégie d’iCrossing.4 Investir dans le digital pour les grands noms comme Chanel ou Dior, ne signifie pas investir dans la presse digitale, mais bien mener une réelle quête de l’audimat de leur propre chef. Ils élaborent pour cela ce que l’on pourrait appeler des ‘spectacles marketing’, qui peuvent prendre différentes formes, diners, soirées, défilés, etc.

1 BONNET, MONFORT, RICHOUX-BÉRARD, WARGNIER, Glossy: Modes et papier glacé, Images en Manoeuvres, Marseille, 2004. 2 KANSARA, Vikram Alexei, “The Digital Iceberg”, Business of Fashion, 15 Février 2016. 3 COURT, Frederic, “Embracing Digital is a Matter of Survival”, Business of Fashion, 9 Avril 2015. 4 CARR, David. « Luxury brands bypass fashion magazines, companies reaching out to consumers using their own online media outlets », International Herald Tribune, 18 Janvier 2011.

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1: la transition digitale ?

L’un des derniers évènements du genre que proposait Chanel, fut l’exposition Mademoiselle Privé, qui rassemblait le gotha de la mode, les égéries de la marque et ses clientes les plus fidèles. Ces soirées ont pour but de faire la promotion de Chanel à travers les réseaux sociaux. Cet investissement visait directement Instagram et sa communauté. Chanel raconte une histoire pour ses followers à coup d’investissements colossaux.1 Ce qui nous amène à un constat intéressant, de voir que sur le terrain du digital, les marques préfèrent prendre la parole par elle-même au lieu de passer par des intermédiaires. Est-ce la bonne solution ? Et comment réagissent les magazines face à cette indépendance de discours ? Il est intéressant d’y voir que leurs points de vue divergent et que chacun y affirme son identité. Ainsi s’instaure une double réalité, ou une seconde, qui ne correspond pas aux anciennes relations instaurées par la presse et l’industrie de la mode. Ce changement comportemental du consommateur, pousse les marques à fabriquer du contenu, afin d’être consulté. Cependant, la création de contenu superficiel entraîne les marques à se décrédibiliser aux yeux de leurs lecteurs, complétement au courant des stratégies promotionnelles classiques, et n’ont recours que très peu au site éponyme de la marque. À contrario, des partenariats réfléchis, avec des institutions respectées et aux journalistes de renom, peuvent profiter à la marque et enrichir son image d’une réelle prise de position stylistique, au contact d’une communauté déjà existante. “ Le secteur du luxe a été l’un des derniers à s’intéresser au monde numérique. Les marques de luxe ont résisté, mais aujourd’hui, tout le monde veut en être. Nous avons tout simplement essayé d’éduquer les marques avec lesquelles nous travaillons, qui n’avaient pas de réelle présence ni de stratégie numérique. Il s’agit d’expliquer le potentiel du numérique, et la nécessité d’allouer un budget suffisant pour créer du contenu, d’investir pour obtenir des choses uniques. Si vous voulez rester dans le luxe, il faut que ce soit très bien fait.” - Ezra Petronio.2 Nowness, l’attitude subversive d’un Dazed & Confused façon luxe. Dirigé par Jefferson Hack, et lancé par LVMH en 2010, Nowness est un média digital de ‘lifestyle de luxe’. Le site présente quotidiennement des articles sur la mode, l’art, les voyages, la culture, le design, les films, la musique, le sport ou encore la gastronomie sous la forme de différents médiums, tels que la photographie, les films, des clips vidéos, ou des interviews. Depuis sa conception, la plateforme est traduite dans plusieurs autres langues du fait de sa globalisation. Chinois, français, allemand, italien, japonais, coréen, portugais, espagnol et même russe. Mais le luxe n’est pas le seul secteur a poussé les limites du digital. Les magazines eux-mêmes s’y mettent et innovent dans le domaine. Garage est un magazine biannuel qui rapproche la mode et l’art contemporain à travers des projets collaboratifs entre les deux disciplines. Le magazine est lancé en 2011 par sa rédactrice-en-chef Dasha Zhukova. Son nom dérive de l’esprit du Musée Garage pour l’Art Contemporain à Moscou, institut qu’elle fonde en 2008. En effet, Dasha Zhukova est une milliardaire, galeriste et philanthrope russe qui mène des projets par passion. Ancienne éditrice au Pop Magazine, elle veut donner une voix à la scène artistique mondiale à travers la Russie.3 Le magazine a déjà collaboré avec les artistes Jeff Koons, Damien Hirst, Richard Prince et John Baldessari. Mais c’est au-delà de sa ligne éditoriale que le magazine est original. Pour le lancement du numéro 8, Garage lance une application mobile qui exploite le modèle 3d. Cara Delevingne, Kendall Jenner, Lara Stone, Binx Walton et Joan Smalls (mannequins en vogue) sont en couverture et prennent vie au contact de l’application.4 Fantasme ou gadget, cela symbolise simplement, que les magazines indépendants cherchent une voie de transition du papier au numérique.

1 2 3 4

KANSARA, Vikram Alexei, « The Digital Iceberg », Business of Fashion, 15 Février 2016. STONES, John, « La voie étroite du luxe selon Ezra Petronio », Étapes Graphiques n°210, 1 Novembre 2012. WILSON, Eric, « Art and Fashion in Dasha Zhukova’s Garage », New York Times, 24 Août 2011. WILLIAMS, Eliza, « Cara, Kendall and Lara come to life in new issue of Garage », Creative Review, 6 Février 2015.

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1: la transition digitale ?

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Pour Garage, c’est la seconde expérimentation digitale. Elle fait suite à la collaboration avec Jeff Koons pour l’automne/hiver 2014. Le retour des lecteurs ayant été positif, le magazine décide de renouveler l’expérience. Le projet a été créé par le bureau digital “The Mill”5, qui a aussi travaillé avec d’autres acteurs de publications de niche, afin de développer la technologie de la couverture en réalité augmentée. En repousant les limites du support papier vers le digital, Garage attire annonceurs et partenaires. Mais au-delà de l’expérimentation et de l’esthétique que la réalité augmentée procure au magazine, une version digitale lui permet d’exprimer son identité, comme une extension authentique du magazine. Cela permet de nouer un contact pérenne et quotidien avec ses lecteurs, et sont aussi des plateformes de publicité pour les marques. En contrepartie, le magazine papier est moins publié, ce qui donne du temps à l’équipe de le produire, et d’en choisir le contenu de manière plus construite et choisie. Plus abouti, plus rédigé, et mieux produit, l’objet est symbolique, décore et représente, un temps de l’année et de la mode assez précis. Printemps/Été ou Automne/Hiver. Les deux plateformes se complètent et offrent deux manières de lire différentes.6 Aujourd’hui, l’influence digitale est remise en question. Le nombre de followers Instagram n’a pas encore prouvé sa transformation en chiffre d’affaires et serait même une économie en train de péricliter.7 Les marques devront se débrouiller sans eux, ou du moins seront obligées de refuser leurs demandes exorbitantes de salaire!8 Il faut effectivement bien plus que des likes pour réussir économiquement. Le meilleur exemple est Burberry. Tenue en maitre des réseaux sociaux, championne du like sur toutes les plateformes confondues, reine de la campagne émotionnelle, la marque anglaise se retrouve face à des chiffres décevants, avec une perte de 21% en mai 2014, et de 32% en 2015. Christopher Bailey, actuellement directeur artistique et PDG de la marque n’aurait pas obtenu les résultats escomptés. Burberry décide de restructurer la gouvernance de la stratégie marketing et de la stratégie retail, en créant une équipe autour de lui, afin de décider ensemble du futur de l’entreprise.9 Couvertures de Garage Magazine n°8, 2015.

5 http://www.themill.com/ 6 LYNGE-JORLÉN, Ane, « Between Frivolity and Art : Contemporary Niche Fashion Magazines », Fashion Theory Volume 16 Issue 1, 2012. 7 COOK, Brandon James, « Influencers are dying and I’m not sad about it », Fashion Journal, 6 Juin 2016. 8 CUSH, Andy, « The Influencer Economy is Collapsing Under the Weight of its Own Contradictions », Gawker, 12 Mai 2016. 9 OAKLEY, David, « Burberry looks to back up CEO Christopher Bailey », Financial Times, 5 Mai 2016.


2 : Le magazine devient une marque

Regard monomaniaque, reconnaissable et fidèle à sa ligne éditoriale, le magazine vend son interprétation de l’air du temps. À un lecteur ou à une marque, il offre ou partage son identité. Alors que les marques de mode se comportent en média, le magazine se comporte en marque. À la manière d’un concept store, le magazine indépendant propose des produits qui correspondent à son image. La librairie en ligne : le premier e-shop des magazines est dédié au magazine lui-même. Plateforme de distribution et de visibilité, il permet d’accéder aux anciens numéros (en lecture libre) comme dans une librairie rétrospective. Ils font office d’historique de ‘la marque’, avec toutes les couvertures antérieures et les sujets couverts par chacun des titres. La boutique en ligne (produits dérivés ou sélection) : Cette captation de l’époque et du style suggère que les magazines peuvent se lancer dans l’élaboration de leur propre offre. À la manière d’un multimarque, qui au sein de son point de vente faisait la promotion d’une idée de la mode, qu’ils vendent à un public dédié et sensible. Le magazine 032c en est un bon exemple. “Faites du bruit dans le silence, et soyez silencieux face au bruit.”- Joerg Koch, fondateur de 032c. Fondé en 2000 par Joerg Koch, 032c est le magazine biannuel de la culture contemporaine. Commencé par Koch comme un fanzine après avoir quitté deux universités et un stage dans une start-up digital, il lance le magazine comme l’outil de promotion de son URL 032c.com. Il voulait avec ce site concurrencer celui de Nick Knight, le très respecté ShowStudio. Un trop lourd investissement dans le digital force Joerg Koch à se concentrer sur son papier, qui attire déjà Helmut Lang et Dior Homme, fascinés par sa culture punk-rock et sa vision décalée du monde du luxe. 032c, c’est la mode de l’intellectuel, torturé entre sa nature superficielle et la possibilité d’une approche artistique de l’industrie. Cathy Horyn dira que “ce titre détruit l’idée selon laquelle les magazines papier n’ont pas la rapidité ou la pertinence d’un blog”.1 Dans un monde de papier troublé par la crise, le magazine a trouvé son lectorat (environ 55000 magazines seraient vendus à chaque numéro) car il a quelque chose à dire et le dit avec précision, comme cette interview du légendaire photographe Steven Miesel, mise en abîme de la carrière d’un photographe en 16 pages et 1 cliché. C’est aussi une analyse structurelle du Vogue Paris. Le magazine révèle aussi son lot d’artistes, comme Danko Steiner et Daniel Sannwald, photographes partenaires. Ils sont les premiers à restaurer une vision journalistique de l’industrie de la mode entre un The Face et un Vanity Fair sous crack, réussissant à combiner des sponsors tels que Jil Sander, Raf Simons ou Comme des Garçons, et une intégrité éditoriale intacte. 032c ressemble à ses racines berlinoises, un chaos de la politique à la mode qui fait sens, une diversité de sujets qui fait que le magazine reste longtemps visible sur l’étagère et donc les marques qui le sponsorisent aussi.2 Le magazine lance aujourd’hui sa propre marque de prêt-à-porter en collaborant avec des artistes ou des designers de renom tels que Gosha Rubchinskiy ou Cali Thornhill DeWitt. Joerg Koch est aussi le nouveau rédacteur en chef de Ssense.com (prononcer ‘essence’), un e-shop canadien dédié à la mode et à l’éditorial travaillé autour de marques ‘cools’ et qui reçoit plus de 22 millions de pages vues par mois et compte les Etats-Unis, la Corée du Sud et la Chine comme marchés principaux. Son fondateur Rami Atallah espère obtenir de Koch son regard particulier sur la mode afin de différencier son site de ses compétiteurs en proposant un contenu adapté à son audimat et donc à ses clients.3

1 Guest Contributor, « 032c, The Magazine that Defied the Downturn », Business of Fashion, 17 Décembre 2009. 2 HAWGOOD, Alex, « Joerg Koch defies content-commerce orthodoxy », Business of Fashion, 15 Décembre 2015. 3 STINNEY, Madrell, « These Five Magazines are Also Killing it With Their Own Apparel Brands », Hype Beast, 22 Avril 2016.

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2 : Le magazine devient une marque

Les espaces physiques : 032c Workshop : Espace d’exposition et d’évènements, 032c Workshop est un lieu fondé par Joerg Koch à Berlin. 8 mètres de vitrine, dessinés par Konstantin Grcic mettent à l’honneur le travail de designers et d’artistes de la communauté du magazine. Des photographies de Willy Vanderperre, une installation de l’artiste Christophe Chemin, ou le travail de recherche du journaliste Thomas Jeppe. Ouvert depuis 2008, il permet d’explorer physiquement le travail du magazine, tout en ayant un ancrage dans la ville qui l’a vu naitre. Holiday Café : Ouvert au coeur du Village Boileau, quartier hors du temps du 16ème arrondissement de Paris, le café se définit comme “l’extension naturelle version à boire et à manger” du magazine éponyme dédié au voyage, où élégance et plaisir se conjugent au chic parisien. Réalisé par l’architecte Franklin Azzi, le café est la matérialisation de l’univers que véhicule le magazine.4 Les conférences et rassemblements : The Gentlewoman : magazine qui a vu naitre la femme forte version 2000. Réunies autour d’événements ces femmes pour des discussions, la mode y est minimaliste et essentielle, et rassemble sous couvert de commentaires intellectuelles, des clichés en noir et blanc, proches du produit, de pièces intemporelles. Ce magazine répond aussi à un marché : celui du workwear. En plein boom depuis 2015, le magazine avait déjà saisi la tendance dès son apparition. Penny Martin est une universitaire. La rédactrice-en-chef de The Gentlewoman a été directrice de l’image dans la prestigieuse Université des Arts de Londres, et a commencé à écrire une thèse sur Le Vogue anglais à l’époque de Margaret Thatcher. On retrouve cette rigueur dans le magazine lancé en 2010 comme une publication biannuelle, répondant au Fantastic Man de Gert Jonkers et Jop van Bennekom. “Nous avions la sensation d’assister à une pénurie d’intelligence dans la mode. Il n’y avait pas de magazines pour lecteurs. Il semblait difficile pour ce médium de réconcilier le texte et l’image. Aujourd’hui, il y en a sans doute un peu plus qui y arrivent.”5 L’esthétique du magazine est d’une concision distinctive, trois images seulement : une couverture de Town, une image du Bauhaus et un objet de curiosité. De cette trilogie se construit progressivement un langage commun moderne comme l’avénement d’une esthétique nouvelle. Le magazine est d’ailleurs lancé le même jour que la première collection de Phoebe Philo pour Céline. Le magazine depuis sa création, rassemble sa communauté de lectrices autour de conférences. Le “Club” (auquel on peut s’inscrire gratuitement sur le site du magazine) nous informe de ces réunions au caractère presque informelles, autour desquelles s’organisent des discussions et des cocktails de femmes en Céline. Le Gentleman’s Club d’aujourd’hui. La boucle est bouclée. Kinfolk : Le magazine est le résultat d’une initiative de couple. Nathan Williams et Katie SearleWilliams le fonde en 2011 à Portland en Oregon.6 Avec Amanda Jane Jones, leur collaboratrice, ils réussissent à fabriquer une esthétique qui se vend (85000 exemplaires par numéro à 18$). L’équipe fonde aussi une marque de vêtements et d’articles pour la maison, Ouur, accompagnée de services (cours de cuisine, conférences...). “Aujourd’hui, il s’agit surtout de rejoindre un club de gens qui pensent pareil”, rappelle Stephen Gregor, rédacteur en chef du magazine. Sa communauté est donc le socle de son succès. Ses clients sont ses lecteurs, et inversement. Le pouvoir de communication d’un magazine se confirme, joue sur un lifestyle simple et reproductible pour attirer toute une génération de millenials.7

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CHARMOY, Maud, “Holiday Café, un spot furieusement parisien”, Vogue Paris, 19 Avril 2016. JOHNSON, Rebecca May, « The Creative Class : Penny Martin », Business of Fashion, 21 Avril 2014. BECQUET, Jérôme, “Kinfolk Magazine, imposture ou génie?”, L’Express Styles, 17 Mars 2016. CHAYKA, Kyle, “The Last Lifestyle Magazine”, Racked, 17 Mars 2016.

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2 : Le magazine devient une marque

Et celui qui les aurait inspiré serait Tyler Brûlé, le fondateur du magazine de design (maintenant culte) Wallpaper. Sa pensée reposerait sur le fait qu’une cible lifestyle devenait non pas une cible limitée à une géographie, mais une cible étendue, mondialisée, qui s’identifient au magazine autour de sa consommation de vêtements et d’objets, autour de ses destinations de voyage et des traditions qu’il adopte. Son second magazine, Monocle, adopte la même stratégie. Il représente cette classe jet-set de connaisseurs, cosmopolites et intellectuels à la fois, entre un Vanity Fair et un Foreign Policy. Partir des communautés, les observer, leur écrire un discours puis leur proproser une offre consommable. C’est ainsi que le magazine devient une marque. Pour entretenir sa communauté, Kinfolk organise évènements et workshops afin que ses lecteurs se rencontrent. “L’esprit de la Mer” organisé à Olso en Mai 2014, est une journée où on partage un repas autour d’une fanfare. Même principe pour “A Messy Meal” organisé en Octobre 2014 à Istanbul. Seoul, Tokyo, Melbourne, Londres, Nashville, Brooklyn, Copenhague (où se trouve depuis 2016 les bureaux du magazine) sont toutes des villes où vivent des lecteurs Kinfolk.

ATELIER FRANCK DURAND, Holiday Café : 192 Avenue de Versailles, 2016.

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E-shop Holiday Magazine : T-shirt Blanc logo bleu à 60€, 2016.


3 : Un objet de collection

“Produire chaque numéro était un risque financier mensuel, et nous obligeait à prendre des risques. Ce risque est devenu un privilège, qui nous a distingué des titres mainstream rivaux. La différence avec i- D est que nous sommes devenus un objet de collection, et je considère qu’il est de ma responsabilité de de conserver l’éthique du magazine tout en payant les factures de l’impression chaque mois.” - Terry Jones, journaliste. 1 Dans une étude de WGSN2 appelée “Print Crush”3 (2015), le cabinet annonce que le magazine est le nouveau Tumblr. La presse indépendante se renforce et entre dans l’ère du post-digital. On observe un nombre toujours plus important de parutions, et le magazine ressemble de plus en plus à un livre. Plus de temps pour l’écrire, plus de temps pour les lire. Ils deviennent des échappatoires, une expérience en soi. Ils traitent de sujets de plus en plus pointus, comme Cat People, un magazine australien qui se concentre sur la classe créative obsédée par son amour des chats.4 La mode n’a plus le monopole comme principal sujet des magazines indépendants. La littérature (avec The Happy Reader), la technologie (avec Holo), les roux (avec MC1R5) ou encore les conflits au Moyen-Orient (The Outpost) s’emparent du format pour devenir autant de voies pour des sujets qui ne semblent pas être couverts par la presse conventionnelle. Les magazines deviennent de plus en plus grands dans l’espoir de devenir un objet de collection. Attractif à la fois pour le consommateur et les grands noms dont la surface valorise les pages de publicité. Alors que cette tendance se propage dans les titres plus mainstream, (magazines des groupes Condé Nast et Hearst), elle a d’abord commencé dans les titres des magazines indépendants, qui s’étaient affranchis de la trame habituelle pour donner de l’ampleur à leur présence en kiosque et dans nos maisons. Cela a aboutit au développement progressif d’espaces de vente dédiés aux magazines, où on retrouvait ces titres précieux au tirage limité.

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L’objet redevient un prétexte élégant d’esthétisme et de détails à outrance. Le magazine Luncheon, fondé par Frances von Hofmannsthal et Thomas Persson à Londres, mesure 27 par 38 centimètres. Il rappelle les vieilles éditions de la décennie 50 de Life ou Vogue, et rend hommage à la lenteur d’un repas entre amis “on avait envie d’incorporer l’esprit de prendre le temps de s’asseoir et partager un moment intime” dira Frances.7 Rappelons que Thomas Persson fut le fondateur du Acne Paper. Le magazine est vendu au temple du cool, le Dover Street Market de Londres, le concept store de Rei Kawakubo, fondatrice de Comme des Garçons. Il n’a pas de site, mais une présence digitale sur Instagram. Fondé par Cecilia Dean, Stephan Gan et James Kaliardos,8 Visionaire lance son premier numéro sur le thème du “Printemps” à New York en 1991. Le magazine coûte 10$, et devient un des magazines les plus chers du marché, sans limite d’expérimentation. En l’absence de grille graphique, de typographie propre ou de format déterminé, il trouve son identité dans sa capacité à dépasser la forme que prend son contenu en poussant les limites de la définition même d’un magazine. Avant-gardiste, Visionaire est pensé comme un objet transformable au contact du contenu. Il est le premier magazine à s’octroyer la liberté de forme. Le numéro 53 (2007), baptisé « Son » prend la forme d’une platine pour vinyle accompagnée de morceaux composés entre autres par David Bowie et Karen O. L’édition “Plus grand que nature” se rapprochait plus de la sculpture, mesurait 2 mètres et coûtait 1500$.

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HELLER, Steven, « Making i-D : An Interview with Terry Jones », Bloomberg, 16 Mars 2006. WGSN est le plus grand cabinet de tendance au monde basé à Londres. WILLIAMS, Carys, « New Magazine Experiences », WGSN, 30 Janvier 2015. www.catpeoplemagazine.com http://mc1r-magazine.com/ ABNETT, Kate, « In Magazines, is Bigger Really Better ? », Business of Fashion, 5 Avril 2016. FARRELL, Aimee, « A New Magazine Marries Art, Style, Culture and Lunch », The New York Times, 18 Mars 2016. LIPTON, Lauren, « On the Next Experiment », The New York Times, 8 Mai 2013.

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3 : Un objet de collection

Publié de manière irrégulière, (trois ou quatre fois par an) en nombre très limité (3000 exemplaires maximum), chaque numéro de Visionaire est une surprise dont la forme et le contenu gravitent autour d’un sujet ou d’une idée abstraite. Même si la mode n’a jamais été son sujet principal, le magazine publie les travaux des meilleurs créateurs d’images : peintres, dessinateurs, designers, cinéastes, stylistes et photographes de mode. Il devient une source d’inspiration pour le milieu, s’éloignant de l’industrie et se rapprochant de la création artistique contemporaine. Il offre une réelle expérience au lecteur ou au spectateur (selon le format) qui assiste à la mutation d’un medium sous les mains des artistes dont il fait la promotion. À contre-courant de l’instantané d’internet, il est là pour durer, et pour susciter plus que le sens du regard. Ces supports tangibles et collectionnables opèrent un peu comme la mode elle-même. Leur séduction vient du fait qu’ils figent, suspendent et pérennisent une chose qui par nature est en constante évolution. MagCulture est un lieu, qui collectionne les éditions de mode et de magazines indépendants. Installé dans le quartier de Clerkenwell à Londres depuis Décembre 2015, c’est un studio autant qu’une boutique, un lieu d’échanges de 400m2. Il est l’extension physique d’un site longtemps digital, qui existe depuis 2006. Cette passion éditoriale s’organise autour d’un service que l’agence propose à ses clients : de la direction artistique, du contenu éditorial digitalisé. Ce lieu reflète sans doute la révolution en marche. Tenu par Jeremy Leslie, un passionné de 25 années d’expérience de graphisme, il adore les magazines de niche, car ils sont destinés à être gardés : “Ce sont des magazines extrêmement bien réalisés, et fait pour être gardés. Ils méritent autant de respect que d’amour.” 1 Petite chaîne très française, où dans une arrogance à peine masquée, Alexandre Thumerelle nous reçoit chez 0fr : “je suis un peu dans un processus organique, je publie ce que j’aime, et avec ma sœur nous avons été avant-gardistes à Paris. Dans les années 90, tu ne trouvais que du Vogue ou du Cosmo. Nous, on a créé un lieu où on avait rassemblé tout ce qu’on avait envie de lire, des magazines supers. On continue comme ça aujourd’hui, et ça se vend très bien.” 2 Cela fait 19 ans qu’0fr existe. La petite entreprise passionnée rassemble trois boutiques parisiennes et une tokyoïte, et ne vend plus simplement des magazines mais aussi l’esprit qui s’en dégage avec plus de 400 titres à travers le monde. Tous parlaient de musique, de mode et d’art, avec un ton moderne et désinvolte encore révolutionnaire en France dans les années 90. En les éditant et en les diffusant dans des lieux adaptés, ils ont contribué au développement de ces magazines spécialisés. Dans des musées, des kiosques, des disquaires, des boutiques de mode, on retrouve les titres indépendants que Thumerelle a vendus à ces lieux avec passion.3 Une communauté solide les entoure, composée de créatifs en tous genres. Thurston Moore de Sonic Youth, Herman Düne, Will McBride, Daft Punk (dont ils ont produit les premiers concerts), le groupe Phoenix. “C’est ce qui m’a donné envie de lancer 0fr. D’être aussi proche de mon temps que possible. Quand tu fais des films, t’es dans un bureau, tu écris, tu n’interagis avec personne d’autre que toi. Ici, tu rencontres tout le monde. Des locaux, des étrangers, des mannequins, des gens connus, ou inconnus. Et ça créé une communauté. Le choix de vendre des livres et des magazines résulte seulement du fait qu’ils sont eux-mêmes des objets d’inspiration.” 4 La presse consolide les murs de ces espaces, qui accueillent de manière hebdomadaire des concerts, des expositions, des lancements de magazines ou de livres, et qui vend des objets, extension naturelle de leur univers allant de 1 à 5000€, de la carte postale à l’œuvre d’art.5 La librairie, par amour des magazines indépendants et du lifestyle dont ils font la promotion, est devenu un collectif assumé qui endosse les rôles d’éditeur, collectionneur ou de dénicheur de talents. 1 2 3 4 5

MOSHAKIS, Alex. « One-Thing Shops : Indie Magazines, London », The New York Times, 11 Décembre 2015. Interview d’Alexandre Thumerelle, co-fondateur de la librairie 0fr, 11 Mai 2016. DES LIGNERIS, Louise, « Comment 0fr est devenue la librairie la plus cool de Paris », Les Inrocks, 1 Avril 2016. CHONG, Yuri, « The Insider : Alexandre Thumerelle », Time Magazine, 4 Janvier 2011. SIMMS, Molly, « OFR », Humanity n°8, Printemps 2016.

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3 : Un objet de collection

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Leur maison dans le sud de la France accueille toute l’année des artistes à la recherche d’inspiration. 0fr c’est plus de 300 expositions, 90 concerts, et 20 ans de signatures de livre. L’édition papier se porte bien dans leur petit réseau d’initiés. Toujours de plus en plus de magazines, plus chers (car les sujets sont plus travaillés qu’ils ne l’étaient) mais aussi plus distincts les uns des autres. Cette compétition et cette effervescence pousse les magazines à être libres, ouverts et singuliers. N’oublions pas qu’0fr signifie : Open Free and Ready.

Une collection de magazines Visionaire.

Visionaire n°63 : “G-Shock : le magazine indestructible”, The Forever Issue, 2013.


Plus le magazine rĂŠussit Ă devenir une marque, plus il est profitable.

marque

mainstream

cool

magazine


conclusion

“Une musique est cool, une soirée est cool, un vêtement est cool, un homme ou une femme est cool, une attitude, a fortiori, est cool. Tant de choses peuvent être cools… Mais si tout est cool, alors rien ne l’est : l’élargissement de la notion la noie dans l’indifférencié, l’extension tue l’intention. (...) Le cool ne dure pas, il est un état de grâce, une allure de vie.” - Jean-Marie Durand, auteur de Le Cool dans nos Veines : Histoires d’une sensibilité.1 La transformation du milieu de la presse ressemble finalement à celle de la mode. En 30 ans, la mode est devenue un business et un enjeu commercial d’envergure. Avec l’accélération de l’accessibilité des produits, l’univers qui gravite autour s’est professionnalisé et transformé en machine promotionnelle, les magazines deviennent des marques. En 2016, le journaliste de magazine de mode indépendant a entamé sa mutation. Il peut être un créatif indépendant qui donne à voir la forme plastique que peut prendre son imagination. Dans un monde connecté, le magazine indépendant de mode se niche dans l’ultra-cool ou dans la spécialisation, et pour qui le digital est une extension quotidienne. Il peut se transformer en marque, ce qui suppose une déclinaison de son identité à travers des espaces, des conférences ou des produits dérivés. Les magazines indépendants sont donc amenés à se renouveler, à une période où ils n’ont jamais autant été nécessaires. Ils se font plus rares, (parution 4 à 2 fois par an) mais plus imposants, dans des lieux dédiés où la distribution s’organise. “Le print n’est pas mort, mais il doit évoluer.” - dira Cecilia Dean, co-fondatrice du magazine Visionaire. Il n’a au contraire jamais été aussi vivant. Après la bulle digitale, le papier se retrouve être un objet irremplaçable qu’on collectionne. Il est le médium d’un certain discours, le support d’une intelligence figée où la mode est prise au sérieux, crystallisant la rencontre entre la haute et la basse culture, entre cool et mainstream. Pour marquer son temps, à l’ère de l’information aussitôt périmée, la nouvelle génération s’imprime et laisse une trace. On observe ce phénomène avec la multiplication du fanzine. “Le fanzine, c’est la liberté totale, un terrain d’expérimentations sans limite. On a voulu montrer qu’avec une photocopieuse et du scotch ils pouvaient créer un support impactant, un objet mobile capable de contrer les stéréotypes et finalement de dévoiler un vivier de jeunes artistes”, dira Laura MorschKihn, directrice artistique du festival Rebel Rebel dédié aux fanzines.2 “Je crois surtout que la presse papier doit être une presse de réflexion, non pas une presse de séduction. La séduction on la trouve aujourd’hui sur son écran mobile. La vitesse du monde n’est pas imprimée sur du papier. Sur du papier, on doit trouver ce qui n’est pas dans les médias instantanés : la réflexion, les idées, les interrogations, qui aident à structurer la pensée. Des conseils, des recommandations et de la culture.”3 - Jean-Jacques Picart, capteur remarquable de l’air du temps.4 Ils rassemblent autour d’eux des communautés grandissantes, et sont autant d’opportunités de rencontres artistiques. “Je lis donc je suis”. Le magazine devient alors le socle d’un rassemblement pour des jeunes aux valeurs communes. La génération Y continue de se rêver éditrice de sa propre vision de la mode au contact des arts et de la rue et de disciplines créatives diverses. Par opposition ou complément, le digital est le moyen de communication d’une époque, et permet la diffusion élargie du cool, plus démocratique et accessible. Rapide, efficace, les textes y sont différents. Les titres y sont accrocheurs, les images fortes et renouvelées en permanence. Ce jeu de la rapidité complète donc l’élégance de la lenteur, murement réfléchie et bien imprimée.

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