Yu kara yu made - d'un bain à l'autre - Romain Aliès

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YU KARA YU MADE - D’UN BAIN A L’AUTRE Du sento au super sento, les établissements de bains japonais aujourd’hui

ゆ Romain ALIES - Mémoire de Master

Parcours IAT - J. Ambal, X. Guillot & Y.Doi - 01 2016 - ENSAPBx



Photo de couverture : rochers au large de Nagasaki, proche de l’île de Hashima - novembre 2014

YU KARA YU MADE - D’UN BAIN A L’AUTRE Du sento au super sento, les établissements de bains japonais aujourd’hui

ゆ Romain ALIES

J. Ambal, X. Guillot & Y.Doi - 01 2016



SOMMAIRE

Introduction - L’eau, le bassin et le baigneur ................................................................. 3 1 - L’EAU DANS LA CULTURE JAPONAISE .................................................................. 9

A - Prendre un bain au Japon ................................................................................... 10 1 - Les établissements de bains japonais ........................................................... 10 2 - Les compagnons de bain .............................................................................. 12

B - L’eau un élément entre monde réel et au-delà ................................................... 14 1 - Le mythe shintoïste ......................................................................................... 14 2 - La purification par l’eau .................................................................................. 15 3 - La symbolique bouddhiste ............................................................................. 18

C - Des premiers bains publics aux sento ............................................................... 22 1 - Premiers récits et bains de vapeur ................................................................. 22 2 - Le temple bouddhiste .................................................................................... 23 3 - Un bain d’utilité publique à l’ère d’Edo .......................................................... 25 4 - Le bain dans l’ère moderne ........................................................................... 26

2 - VERS DE NOUVELLES FORMES D’ETABLISSEMENTS DE BAINS ......................... 29

A - Le sento aujourd’hui ........................................................................................... 30 1 - Les dispositifs internes ................................................................................... 30 2 - Un sento évolutif ............................................................................................. 33 3 - Le déclin d’une institution .............................................................................. 35 4 - La ville d’eau .................................................................................................. 36 5 - La particularité de Beppu ............................................................................... 39

B - Vers le super sento ............................................................................................. 42 1 - Le sento s’associe pour perdurer .................................................................. 42 2 - Des établissements standardisés et franchisés ............................................ 46 3 - Du quartier à la périphérie des villes .............................................................. 47

C - Dans le bain du super sento .............................................................................. 52 1 - Le temple du bien-être ................................................................................... 52 2 - Voir sans être vu ............................................................................................. 56 3 - L’artifice et le bassin ....................................................................................... 59

Conclusion ...................................................................................................................... 63 Bibliographie ................................................................................................................... 68 Annexes .......................................................................................................................... 69

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INTRODUCTION - L’eau, le bassin et le baigneur

« On la fit entrer dans l’une d’elles, assez vaste, aux murs nus, meublée d’une chaise, d’une glace et d’un chausse-pied, tandis qu’un grand trou ovale, enduit de ciment jaune comme le sol, servait de baignoire. La femme tourna une clef pareille à celles qui font couler les ruisseaux des rues, et l’eau jaillit par une petite ouverture ronde et grillée au fond de cette cuve, qui fut bientôt remplie jusqu’aux bords, et qui déversait son trop-plein par une rigole s’enfonçant dans le mur. Christiane, qui avait laissé sa femme de chambre à l’hôtel, refusa pour se dévêtir, les soins de l’Auvergnate et resta seule, disant qu’elle sonnerait, si elle avait besoin de quelque chose, et pour son linge. Et elle se déshabilla lentement, en regardant le presque invisible mouvement de cette onde remuée dans ce bassin clair. Lorsqu’elle fut nue, elle trempa son pied dedans et une bonne sensation chaude monta jusqu’à sa gorge : puis elle enfonça dans l’eau tiède une jambe d’abord, l’autre ensuite, et s’assit dans cette chaleur, dans cette douceur, dans ce bain transparent, dans cette source qui coulait sur elle, autour d’elle, couvrant son corps de petites bulles de gaz, tout le long des jambes, tout le long des bras, et sur les seins aussi. Elle regardait avec surprise ces innombrables et si fines gouttes d’air qui l’habillaient des pieds à la tête d’une cuirasse entière de perles menues. Et ces perles, si petites, s’envolaient sans cesse de sa chair blanche, et venaient s’évaporer à la surface du bain, chassées par d’autres qui naissaient sur elle. Elles naissaient sur sa peau comme des fruits légers, insaisissable et charmants, les fruits de ce corps mignon, rose et frais, qui faisait pousser dans l’eau des perles. Et Christiane se sentait si bien là-dedans, si doucement, si mollement, si délicieusement caressée, étreinte par l’onde agitée, l’onde vivante, l’onde animée de la source qui jaillissait au fond du bassin, sous ses jambes, et s’enfuyait par le petit trou dans le rebord de sa baignoire, qu’elle aurait voulu rester là toujours, sans remuer, presque sans songer. La sensation d’un bonheur calme, fait de repos et de bien-être, de tranquille pensée, de santé, de joie discrète et de gaieté silencieuse, entrait en elle avec la chaleur exquise de ce bain. » 1

1 Guy de Maupassant, Mont Oriol, Paris, Folio classique, Gallimard, 2002, p. 43

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Dans cet extrait du roman Mont-Oriol, écrit par Guy de Maupassant en 1887, apparait ce qui est originel à toute architecture thermale : une source d’eau, un bassin et un baigneur. Cependant, ce qui transparait le plus dans ce passage est une poésie apportée par l’eau, avec la création d’une atmosphère intime qui s’engage entre les sens en éveil d’un corps et l’eau chaude. Cet élément mouvant dans lequel le baigneur s’immerge, son doux écoulement, les sensations qu’il apporte en entrant au contact de la jeune femme et le son qu’il produit, me porte à croire qu’il ne s’agit pas ici simplement de prendre un bain. J’ai choisi d’illustrer ce passage avec une photographie du projet de musée réalisé en 2010 sur l’ile de Teshima par l’architecte Ryue Nishizawa et l’artiste Rei Naito. Ce musée que j’ai visité au cours de l’été 2015 révèle en moi les même sensations que peut éprouver l’héroïne de Maupassant. Malgré la présence d’une dizaine de personnes lors de ma visite, j’ai eu l’impression de me retrouver seul avec l’œuvre. Pour se rendre jusqu’au musée, la route est longue. Il faut d’abord quitter l’ile principale de Honshu par bateau pour se rendre dans le port de Teshima, puis emprunter les routes vallonnées de l’ile pour finalement découvrir en contrebas une nappe blanche flottant entre les arbres et les rizières. Si l’on ne se déshabille pas comme lorsqu’on entre dans l’eau d’un bain, ces différentes étapes, qui éloignent toujours un peu plus de l’activité bourdonnante des grandes villes japonaises, rapprochent un peu plus du sentiment de calme et de sérénité qui m’envahit une fois entré dans le lieu. Après avoir observé de loin cette forme blanche, je la perds de vue pour emprunter le chemin qui mène à l’entrée. Celui-ci contourne une colline arborée et donne à voir le grand paysage de la mer intérieure, avant de se retourner pour enfin faire face au musée. Il faut alors se délester des appareils photos, téléphones portables, sacs et autres objets encombrants à l’extérieur et enfin, se déchausser. Le silence règne sous le voile de béton blanc percé de deux grandes ouvertures ovales. L’une laisse apercevoir le ciel et la silhouette des collines environnantes, l’autre la végétation des arbres proches. Le moindre chuchotement ou bruit étant amplifié par la voute, il est interdit de parler et les déplacements et gestes se font naturellement discrets. Une fois acclimaté à cette atmosphère singulière, je m’aperçois que le silence qui me semblait monacal est rompu par un bruit d’eau qui s’écoule. Assis à même le sol j’observe alors dans le béton de petits trous de moins d’un centimètre de diamètre disposés d’une façon qui peut paraître aléatoire mais qui s’avère judicieusement choisie. Goutte par goutte, minute après minute, de l’eau s’échappe de quelques balles blanches posées sur le sol de béton. Un revêtement y a été appliqué pour le rendre hydrophobe et sa surface est légèrement inclinée par endroit pour guider les gouttes d’eau vers les porosités. Ces dernières glissant l’une après l’autre vont alors former une petite flaque qui une fois gorgée d’eau va en rejoindre une autre plus grande pour finalement s’écouler dans les trous aperçus précédemment. Le vent, la pluie, le soleil, le bruit de la mer proche et les insectes sont les seuls éléments étrangers qui pénètrent à l’intérieur de la structure et participent à la singularité de cette atmosphère. Je reste là, hypnotisé par l’eau, l’ambiance qui se dégage de ce lieu lumineux et les sons qui m’entourent. Je ne vois plus les autres visiteurs. Il n’y a pas de silence, seulement la musique de l’eau qui s’écoule, que l’on ne voit pas et n’entend pas si on ne se pose pas pour regarder, observer, ou juste profiter d’un moment qui semble suspendu.

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L’eau dans le Teshima Art Museum de l’architecte Ryue Nishizawa et l’artiste Rei Naito

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Il me semble qu’on peut rapprocher le cheminement pour se rendre au musée jusqu’à la perception des gouttes d’eau, de la notion de oku 奥. Ce mot d’usage courant peut qualifier, en fonction du contexte dans lequel il est utilisé, soit quelque chose qui est loin de l’entrée, situé vers l’intérieur, dans les profondeurs de quelque chose, situé au fond et invisible en surface, au fond de soi, la connaissance ou un art difficile à acquérir. De plus, dans la maison il qualifie les pièces de la vie quotidienne, un espace à l’opposé de la façade, ou bien encore une affaire interne, une question de service, l’introduction dans l’intimité.2 Le poète Bashô a utilisé ce terme dans le titre de l’un de ses recueils de haïkus, Oku no hosomichi 奥の細道, « L’étroit sentier du bout du monde », qu’il composa au cours d’un long périple à pied dans le Nord-Est du Japon. Impliquant une progression vers le fond, oku revêt ici un aspect temporel. Le oku est déterminant du point de vue de l’organisation japonaise de l’espace domestique aussi bien que géographique. Selon l’architecte Maki Fumihiko3, ce serait un attribut caractéristique de la spatialité japonaise tout entière, dans la nature même de l’archipel et son expression dans la religion shintô. Dans l’organisation des villages, le sanctuaire shintoïque, jinja, occupe une colline ou un éperon, en arrière, dans les profondeurs de la montagne, c’est le « sanctuaire du fond ». Le chemin pour y parvenir est long, tortueux et ardu. En effet, au Japon, le sacré réside en des lieux cachés et difficiles à atteindre. Ce qui est important se cache aux regards et des détours sont nécessaires pour y accéder. Le bois sacré, chinju no mori ou miya no mori, est l’attribut nécessaire du sanctuaire qui s’y dissimule. Les procédés architectoniques associés à la notion d’oku engendrent de l’espace : en créant de la profondeur, ils procurent une sensation d’ampleur là même où, sur le plan de l’étendue brute, l’espace est peu abondant. C’est pour cette raison que les chemins qui mènent aux sanctuaires sur les collines décrivent souvent des lacets superflus : il importe ici que la progression soit ressentie comme telle, afin de renforcer la sacralité du sanctuaire. Que ce soit en France à la fin du XIXe siècle et l’avènement des villes thermales nouvelles dans le récit de Maupassant et aujourd’hui dans le Japon contemporain avec ce musée sur l’ile de Teshima, l’eau procure des sensations. Elle participe à la création d’atmosphères particulières et éveille les sens. Elément essentiel dans notre vie quotidienne, je me rends compte que suivant son utilisation et l’endroit où elle se trouve, que l’on se joue de ses propriétés, qu’elle ondule, qu’elle soit calme, qu’on s’y glisse ou qu’on l’écoute, l’eau peut participer à nous transmettre des émotions fortes. L’architecture thermale est présente au sein de plusieurs sociétés, à différents moments de l’Histoire, avec un programme et une structure qui varie au travers des pratiques, des contextes sociaux, économiques et des évolutions techniques. On peut retrouver ainsi l’architecture thermale dans la Grèce antique, puis dans la cité romaine de Caracalla sous la forme d’un temple démocratique consacré à l’exercice du corps et de l’esprit. On observe aussi dans la seconde partie du XIXe siècle en France le développement d’une architecture thermale curative avec la création de villes nouvelles. Le bain islamique ou hammam, au même titre que les maisons de bains à vapeur coréens témoignent eux aussi de l’implantation multiple de ce programme architectural dans de nombreuses zones géographiques du monde. L’architecture thermale se dessine donc de plusieurs façons pour répondre à une multitude d’usages. Les ambiances données à chaque lieu, les modes de fonctionnement de chaque bâtiment, les rapports à leur environnement proche et à la source d’eau elle-même varient d’un extrême à l’autre.

2 Définition du dictionnaire Kokugo jiten 国語辞典 des éditions Shûeisha 集英社 3 Maki Fumiiko, L’espace des villes japonaises et l’oku, Sekai 世界, 1978, 146-162.

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Les projets contemporains de thermes, montrent que l’intérêt de l’homme pour le bain est toujours d’actualité. Des projets singuliers tels que les thermes de Vals de Peter Zumthor en Suisse, les thermas geometricas au Chili par German Del Sol et les bains publics des Docks au Havre par Jean Nouvel, réalisés ces dernières années en sont les témoins. La question de départ pourrait être de se demander : Comment l’architecture thermale fait-elle le lien entre la source d’eau, le site où jaillit cette source et un programme déterminé par une demande à un moment donné ? Au Japon, pays dans lequel j’ai passé une année à étudier l’architecture à l’Université de Kyudai dans la ville de Fukuoka, la relation de l’homme et d’un peuple avec ses bains apparaît plus forte encore. L’architecture thermale s’y décline sous de multiples formes. Cependant, parallèlement à l’existence d’établissements de thermalisme, les onsen, un autre type d’architecture qu’est le bain public, s’est fortement développé et aujourd’hui est ancré dans les mœurs. On retrouve ce bain public, appelé sento, sur l’ensemble du territoire japonais et sous diverses formes selon les régions et l’époque de leur construction. Ces établissements de bains sont des éléments intimement liés au mode de vie du peuple japonais depuis des générations. Ils perdurent au travers des siècles pour être encore présents dans le paysage de la ville aujourd’hui. Cependant, si le sento, contrairement au onsen, semble depuis quelques décennies disparaître progressivement, un autre bain public apparaît et se développe, c’est le super sento. Ainsi, c’est à partir du cas d’étude du sento que je tente de répondre à la problématique suivante : Comment les établissements de bains publics répondent aux aspirations actuelles de la société japonaise ? Je souhaite donc m’intéresser aux établissements de bains que j’ai fréquentés et observés au cours de mon année passée au Japon. Pour cela, dans ce mémoire, je me penche sur la relation singulière qu’entretient le peuple japonais avec l’eau chaude au travers de recherches sociologiques, philosophiques et poétiques tant sur l’eau que sur l’art du bain. J’étudie les propositions architecturales récentes et les projets dérivés du sento dans leur pratique et dans les divers rapports qu’ils entretiennent à l’espace urbain et au monde. J’observe ainsi des projets dessinés par des architectes ayant une pensée de projet singulière mais aussi des bâtiments plus ordinaires, ou encore des projets à échelle urbaine tels que les villes thermales, onsen gai. Chaque projet étudié est présent sur le territoire avec ses propres spécificités et son évolution singulière qui concourent à faire perdurer la tradition du bain japonais. Pour essayer de comprendre comment ce programme architectural subsiste encore dans la société actuelle, si différente de celle qui a vu naitre les premiers bains publics japonais, une approche historique du cas d’étude me semble nécessaire. En effet, les établissements de bains contemporains semblent s’établir différemment mais des corrélations apparaissent entre eux et les réalisations passées. L’habitude sociologique, le public, le programme, le fonctionnement de l’établissement et la référence sont autant de points pris en compte au cours de cette réflexion.

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PARTIE 1 - L’EAU DANS LA CULTURE JAPONAISE

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A - PRENDRE UN BAIN AU JAPON 1 - Les établissements de bains japonais Seul ou en groupe, dans un bain public rempli de vapeur, dans un large bassin extérieur rempli d’eau de source naturelle, ou dans leur propre salle de bain, yokushitsu 浴室, la majorité des japonais s’immergent quotidiennement dans l’eau chaude. Ces ablutions font plus que laver le corps. Le bain est empreint de significations et de symboles. Prendre un bain en sachant les décoder est un moyen de se plonger dans la culture nippone. Le bain japonais est particulier. Qu’il soit pris à domicile dans la salle de bain ou dans un bain public, le comportement adopté par le baigneur est le même. Il se mouille, se savonne et se rince le corps avant de pénétrer dans la baignoire ou le bassin, on appelle cela kakeyu. Ce fonctionnement implique une dissociation de l’espace de bain en deux parties. On trouve ainsi d’un coté, un espace réservé au nettoyage du corps et de l’autre le bassin. Le plancher de la pièce est étanche, souvent carrelé, et contient une bonde ou une rigole placée directement dans le sol pour que l’eau s’écoule. Un pommeau de douche est fixé au mur, généralement placé à côté d’un petit miroir, de façon à ce que l’utilisateur puisse se laver assis sur une cuvette qui fait office de tabouret, le kerorin. L’eau du bain peut être utilisée par plusieurs personnes sans être renouvelée pour chaque utilisateur. Une fois sorti de l’eau, des planchettes sont posées sur la baignoire pour la couvrir et éviter la déperdition de chaleur. On trouve ce type de salle d’eau dans de nombreux lieux au Japon. Ainsi, les salles de sport et fitness en sont équipées, le plus souvent couplé à un sauna et en lien avec l’espace des douches. Dans les résidences étudiantes où les espaces de vie sont communs, la salle de bain est partagée au même titre que la cuisine, le salon ou une salle de tatami. Enfin, on peut retrouver ce type de bassins dans les centres de repos pour personnes âgées. On peut distinguer deux types d’établissements de bains dans l’archipel : les onsen 温泉 et les sento 銭湯. Le onsen est un établissement thermal qui utilise une eau chaude naturelle jaillissant d’une des nombreuses sources volcaniques présentes dans le sous-sol. Les bains du sento sont quant à eux alimentés par de l’eau courante qui est chauffée sur place. Cet établissement fonctionne comme un bain public que l’on retrouve en milieu urbain, contrairement au onsen qui est un établissement thermal situé à proximité des sources d’eau chaude, en milieu rural. Si le onsen utilise une eau naturellement chaude, canalisée jusqu’à lui, on peut aussi trouver des bains à l’air libre, alors appelés rotenburo. Ces sources d’eau chaude qui jaillissent des roches, et qui n’ont pas été captées permettent au baigneur de s’immerger dans un milieu totalement naturel. Il existe une façon simple de déceler dès l’extérieur du bâtiment de quel type de bains il s’agit. Visibles sur la façade ou bien sur la porte d’entrée, le hiragana Yu ゆ, est le symbole du sento, tandis que le signe ♨ représentant de la vapeur s’élevant d’un bassin, est la marque du onsen. Cependant, les liens entre les deux types de bains sont étroits. Certains petits bains publics de quartier sento sont alimentés par une source chaude naturelle et prennent donc le nom de onsen. D’autre part, certains sento alimentés par de l’eau courante reprennent les mêmes dispositifs récréatifs que le onsen et sont appelés super sento. Avec le succès de ces super sento qui reproduisent plus ou moins le système des onsen, les véritables onsen de taille plus modeste mettent un point d’honneur à signifier aux utilisateurs

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Façade d’un sento dans le quartier Nishijin de Kyoto avec à la fois les symboles ♨ et ゆ

l’utilisation d’une eau de source naturelle. Cela prend généralement la forme d’un écriteau listant les bénéfices de l’eau minérale utilisée. Il existe aussi de petits sento qui utilisent le mot onsen dans leur nom bien qu’ils chauffent de l’eau courante pour alimenter les bassins. Ce mot peut être utilisé pour nommer un sento tant que n’est pas mentionné une quelconque qualité de l’eau qu’il utilise et qui pourrait tromper le client.

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La salle du bassin des hommes dans le sento I ♡ 湯 dessiné par Otake Shinro à Naoshima

2 - Les compagnons de bain Les japonais voyagent souvent en groupes, par le biais d’organismes de voyage, mais aussi avec les membres de leur entreprise, de leur club d’activités sportives et culturelles ou encore dans les associations de personnes âgées. Tous les types de groupes sont concevables. Ces voyages dans le pays peuvent avoir de nombreuses destinations, souvent à but touristique, et bien souvent l’arrêt pour une nuit dans un des établissements de bains public du pays est organisé. Cela n’est pas étonnant, étant donné leur nombre sur l’archipel. En 2004, on recense 27 644 sources d’eaux chaudes naturelles, dont 18 925 sont utilisées à des fins d’activités thermales. On dénombre 3 114 stations thermales, ainsi que 1 939 villes associées à une ou plusieurs de ces sources. Dans celles-ci ou dans des zones plus rurales, 7 280 établissements de bains publics utilisent ces eaux de sources et on recense à leur proximité directe 15 332 hôtels avec une capacité d’accueil d’un million et demi de clients4. 4 Nature Conservation Bureau, Ministry of the Environment, Use of Hot Springs, 1957-2004

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J’ai participé à différentes excursions dans la région de Kyushu, organisés par les laboratoires de recherches de l’université. Au cours de trois d’entre eux, une halte au bain public, qu’il s’agisse d’un onsen ou d’un sento était prévue. Celle-ci n’était ni la destination de notre sortie, ni un cas d’étude à observer. On y passe un moment, comme en France nous nous arrêterions dans un café, l’instant d’un bain entre camarades et professeurs. Pour qualifier ce moment, qui permet de casser les barrières entre les membres du groupe, les japonais disposent d’une expression, « hadaka no tsukiai », que l’on peut traduire par « la communion par la nudité ». Elle prend part à la constitution d’une unité au sein d’un groupe. Par ailleurs, j’ai pu également rencontrer des bandes de collégiens et de lycéens, mais aussi des collègues de bureau qui se rendent après les cours ou le travail à l’établissement de bains. Un autre mot, sukinshippu, apporte un regard éclairé sur les relations qui peuvent exister au cours de la baignade. Il est le dérivé des mots anglais « skin », la peau et « ship » de « frienship », amitié. Il est associé à la notion de contact peau contre peau, « hada to hada no fureai ». Il n’y a aucune gêne au Japon à se mettre nu devant les autres membres de la communauté, ni devant de parfaits inconnus, si cela a lieu dans le cadre d’un bain pris dans un établissement public. Originellement, prendre un bain ensemble, au sein de la structure familiale et toucher la peau de l’autre, fournit un contact intime entre les parents et leurs enfants. A la maison, cette pratique se termine lorsque l’enfant atteint l’âge de sept ou huit ans, mais dans les onsen et sento, elle perdure. Bien que l’exposition de son corps nu aux autres membres de la famille dans l’intimité du foyer s’efface, le bain public est toujours communément accepté et les manières de se comporter dans ce type d’établissement toujours inculquées. Le baigneur dispose ainsi d’une serviette tenugui, de petit format, similaire à celles utilisées pour s’essuyer les mains et le visage, avec laquelle il est possible de protéger son intimité. Toutefois, il est nécessaire de la retirer avant de s’immerger dans l’eau. Pour cela, il est possible soit de la déposer à côté du bassin, soit de la plier et de la poser sur sa tête.

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B - L’EAU UN ÉLÉMENT ENTRE MONDE RÉEL ET AU-DELÀ 1 - Le mythe shintoïste Au Japon, l’eau est la base de la vie, à la fois pour le corps humain, pour la production de riz, la culture et l’économie politique. Dans la religion shintoïste, une des plus anciennes apparue dans le pays, l’eau, comme de nombreux autres éléments naturels, est considérée avec respect comme un kami, dieu ou esprit. Selon F. Duteil-Ogata, « la première acceptation du mot kami est souvent rapprochée de son homophone qui désigne le haut, le supérieur, sous une forme honorifique. Les divinités seraient donc à respecter puisqu’elles se situent en haut de la hiérarchie, montrant ainsi leur puissance. Une autre voudrait qu’il provienne de la contraction du terme kakurimi, corps caché, et mettrait en avant le caractère invisible ou dissimulé des divinités. Toutes ces étymologies mettent donc en avant le caractère supérieur et caché du kami.» 5 Ces kami seraient omniprésents et ils peupleraient l’ensemble de l’archipel. On les retrouve dans la nature terrestre, dans la mer, les eaux, les forêts, les montagnes et les rochers, mais aussi dans le monde céleste. Ils peuvent prendre la forme de phénomènes météorologiques ou apparaître sous l’apparence d’animaux. Ces divinités shinto entretiennent un lien spécifique à l’espace et aux lieux. Ils sont vénérés dans les temples, jinja, où les rites religieux des hommes servent à régénérer leur esprit. Les kami possèdent à la fois un esprit de violence, aramitama et un esprit de douceur, nigatama. Toutefois, ils ne sont pas que des forces présentes dans la nature et attachées à un espace. Ils peuvent également prendre corps dans les êtres humains. De même, ces divinités résident dans les objets et peuvent avoir pour enveloppe corporelle l’environnement matériel de l’homme, c’est-à-dire des vêtements, de la nourriture, des outils et même l’espace domestique. De ce fait, les kami n’auraient pas de forme propre et tout ce qui compose le monde serait d’une nature identique et animée des mêmes forces vitales, tama. Ainsi, la divinité de l’eau appelée Suijin, peut prendre la forme d’un serpent, d’un dragon ou d’une tortue anthropomorphe habitant les eaux, le kappa. Cependant, sa fonction d’origine demeure, il approvisionne en eau les terres du Japon, fait tomber la pluie en cas de sécheresse et purifie. Le Kojiki, littéralement « Chronique des choses anciennes » est un recueil de mythes du VIIe siècle qui décrit les premiers kami à l’origine de la création du territoire japonais. Les iles du Japon auraient été formées par les divinités créatrices, lorsqu’elles plongèrent une lance céleste dans la mer. Sur l’une de ces iles, Izanami, la déesse créatrice mourût en donnant naissance à une autre divinité, celle du feu. Suite à cette mort, Izaniga, l’autre dieu créateur et aussi époux de Izanami, part à sa recherche dans le monde d’en bas, yomi. Au cours de ce périple, il réussit à la retrouver et entre en son contact, mais il est trop tard et il ne peut la ramener avec lui. A son retour à la surface, il se purifie alors dans le lit d’une rivière de la mort qu’il a côtoyée. De ce bain, de nombreuses divinités voient le jour. Douze en naissent lorsqu’il retire ses vêtements, puis quatorze pendant qu’il se baigne. De cette ablution, Izanagi engendrera deux divinités majeures de la religion shintoïste, Amaterasu et Susa no o. Amaterasu qui est la divinité du soleil et qui règne dans les cieux, est apparu lorsque Izanagi se rince l’œil gauche. Elle est aujourd’hui l’une des divinités les plus importantes et est vénérée dans le temple de 5 Duteuil-Ogata F., Vocabulaire de la spatialité japonaise, Paris, CNRS éditions, 2014, p.220

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Ise qui lui est consacré. La légende veut que l’empereur actuel du Japon en soit son descendant. L’autre divinité, Susa no o, le dieu des tempêtes, règne sur la mer. Il est né lorsque Izanagi se rince le nez. Ce récit est l’un des fondamentaux de la religion shintoïste et illustre l’importance de la baignade dans le cadre de purifications religieuses, à l’époque à laquelle sont compilés les récits. Depuis les premiers temps de l’histoire du Japon, il est évident que le thème de l’impureté et la souillure, ainsi que le rituel de purification par l’eau ont eu une importance notable dans l’édification de la pensée japonaise. Dans ce folklore, les divinités mêmes qui sont considérées comme les ancêtres du peuple japonais, furent créées au cours d’un acte d’ablution purificatoire. D’autres récits de purifications par l’eau peuvent être lus dans le Nihongi, les chroniques du Japon rédigées un siècle après. Elles mentionnent par exemple la pratique d’un bain donné aux nouveau-nés et qui avait pour but de les laver tout autant que de les purifier de la pollution due à la naissance.

2 – La purification par l’eau L’attention portée à la pollution, kegare, et à la pureté, hare, est donc très forte dans la religion shintoïste. Les pratiques qui se rencontrent dans les temples illustrent l’omniprésence de ce binôme dans la pensée religieuse. Aujourd’hui, le rite de lavement des mains qui est pratiqué à l’entrée de ces temples est la forme de purification la plus visible observable. Le fondement hygiéniste qui prévaut actuellement à l’action de se laver les mains, est d’éliminer les germes et bactéries. Cependant, les mains sont simplement rincées ici à l’eau claire et ne sont pas lavées avec du savon. Si l’antithèse de la pollution est la pureté, la classification de quelque chose comme étant pur ou impur dépend du contexte. Ici, rien n’est complètement pur ou impur, les êtres humains comme les kami, sont à la fois les deux. Ces derniers étant cependant moins impurs que les êtres humains. Le professeur Sokyo Ono6 explique que les différents rites de purification existant dans la religion shintoïste peuvent être regroupés en plusieurs familles. Les deux plus importantes sont harai, le fait de se libérer de quelque chose, et misogi, l’ablution autrement dit la purification par l’eau. Ces deux termes religieux réfèrent à un même concept, se débarrasser de ce qui pollue le corps et l’esprit. Ces rites peuvent être classés en trois catégories. Le bain purificateur, kessai, la purification par le lavage des mains, temizu et la purification par l’eau salée, ento. Le lavement des mains au temple shintoïste est donc la forme la plus commune de misogi encore observée aujourd’hui. Elle est complétée par le lavement de la bouche. Cette cavité buccale est une partie du corps qui s’ouvre à la fois sur l’extérieur et l’intérieur, et qui peut par conséquent servir de porte d’entrée à la pollution. Les ablutions de certaines parties du corps symbolisent l’acte de purification du croyant qui se rend au temple. C’est sous le temizuya, 手水舎, que ce rituel a lieu. Habituellement situé près de l’entrée de temple, la plupart de ces installations ont la forme d’une simple toiture supportée par des poteaux en bois. Cette toiture couvre un récipient en pierre alimenté en eau et qui est agrémenté d’une ou plusieurs louches en bambou, hishaku. Le rituel nommé temizu fait référence aux mains, te 手 et à l’eau, 水 mizu. Originellement, cette purification très codifiée se faisait directement à la source d’eau à côté de laquelle le temple était construit, 6 Sokyo Ono Ph.D., William P. Woodard, Shinto the kami way, Tuttle publishing, 2004, p. 128

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Le Kawawatari Jinkosai Festival à Tagawa sur l’île de Kyushu

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ou aux abords d’une rivière. Si l’eau est stagnante, comme c’est le cas parfois, le visiteur ne se rince que les mains. Le rituel est le suivant : le visiteur prend d’abord la louche dans sa main droite. Il puise un peu d’eau et la verse sur sa main gauche. Puis, il passe la louche dans sa main gauche et se rince la main droite de la même manière. Il prend à nouveau la louche dans la main droite et puise un peu d’eau qu’il verse dans sa paume et prend une gorgée d’eau pour se rincer la bouche et la recrache. Il lave à nouveau sa main gauche pour enfin replacer la louche dirigée vers le bas sur le bord du bassin. A certaines occasions, requérant une intimité avec les divinitées, les prêtres participent à d’autres formes de misogi. Ces pratiques peuvent aller jusqu’à des immersions complètes dans la mer, au cours de cérémonies ou festivals religieux. A ces occasions, un temple portable appelé mikoshi est transporté dans l’eau par des hommes. Cette procession est appelée matsuri. Les porteurs entrent dans l’eau et purifient symboliquement le lieu de résidence de la divinité et par extension son domaine. A l’intérieur des terres, cette cérémonie peut se dérouler dans les fleuves et rivières. Les cérémonies d’intronisation d’un nouvel empereur comportent elles aussi de nombreux rites de purifications. Ils concernent l’empereur lui-même mais aussi les officiels religieux et comportent de nombreux bains avant et après l’intronisation. Selon l’anthropologue Scott Clark, «différents types de misogi sont fréquemment rencontrés dans le Japon contemporain et bien que la relation entre l’élément eau et l’état de pureté spirituelle reste forte, les japonais n’ont pas pour habitude de penser au bain quotidien comme un acte religieux.»7 La distance entre religion et bain dépend donc des perceptions de chacun vis-à-vis de ses croyances. Le bain quotidien, à la maison comme aux bains publics ne peut être perçu au même titre qu’une visite au temple shintoïste, une offrande sur un autel ou à des funérailles. Toutefois, Scott Clark ajoute que « les japonais ne peuvent entièrement prendre leur distance avec cet ensemble de croyances qui constitue une part de leur culture. »8 Ainsi, l’impression d’être propre après le bain ne serait pas que physique. La croyance associée au rituel de misogi, est largement connue et partagée. Si celle-ci peut être ignorée lors de la prise d’un bain, son influence profonde dans la culture japonaise affecterait néanmoins les sentiments enfouis du baigneur. La propreté du corps et la pureté de l’âme seraient donc toutes les deux entrelacées, et par conséquent, seul un bain quotidien permettrait d’atteindre un tel sentiment de paix intérieure et de propreté. Autrement dit, c’est le sentiment que non seulement le corps mais aussi l’esprit, kokoro, sont nettoyés et renouvelés. Le bain au Japon ne serait pas donc pas profane, mais perçu comme lien au divin. Du moins, la dimension religieuse ancienne constituerait un arrière-plan à la pratique inconsciente de la baignade. La connexion entre les deux est indirecte. Malgré tout, le lien de cause à effet entre ces croyances religieuses et la pratique domestique de la baignade est impossible à affirmer avec certitude.

7 Clark Scott, Japan : A view from the Bath, University of Hawaii Press, 1994, p. 127 8 ibid. p. 127

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3 - Symbolique bouddhiste Le bouddhisme est introduit au Japon à la fin du VIe siècle où il devient la religion d’état. Le statut de Bouddha est alors transformé en une nouvelle forme de divinité japonaise qui coexiste avec les kami du shintoïsme, la religion déjà présente dans le pays, et ceux-ci sont considérés comme des avatars du bouddha. Les deux religions constituent depuis les deux composantes majeures d’une même culture. Les temples bouddhistes de l’époque sont souvent rattachés aux sanctuaires shinto. Ainsi, ces premiers peuvent être édifiés dans un sanctuaire shinto, où le prêtre lit les sutras bouddhistes tout en célébrant les évènements shintoïstes. L’association de ces deux religions dure jusqu’au décret de séparation prononcé par le gouvernement Meiji en 1868. On distingue alors les temples bouddhistes des temples shintoïstes. Dans le Japon contemporain, le bouddhisme est associé aux moments de la mort et des funérailles. Les autres moments de la vie, qui vont de la naissance au mariage, en passant par les examens et les diplômes, concernent le shintoïsme. On retrouve le rituel temizu du shintoïsme dans la configuration du temple bouddhiste, sous la forme du chozubachi. Ce bassin de pierre prend part au dispositif du tsukubai qui se traduit littéralement par «bassin où l’on se penche». En effet, la position volontairement basse du récipient oblige les visiteurs à se courber, en signe d’humilité. Ce type de bassin est aussi lié à la codification de la cérémonie du thé où les invités doivent, comme dans les temples, procéder au lavage de leurs mains et au rinçage de leur bouche. La coutume est adoptée de la religion. Parfois, une simple roche avec une dépression peut servir de récipient à l’eau. D’autre fois, elle coule dans un bassin à un rythme cyclique, depuis un tube fait d’une tige de bambou, appelé kakei. Positionné sur un axe pivotant, ce bambou creux permet à l’eau de s’écouler au rythme de son remplissage puis de son déversement. L’eau se retrouve symboliquement présente dans la culture japonaise sous une autre forme. Les premiers jardins zen se développent au XIIIe siècle sous l’influence du bouddhisme. Ces jardins de petites dimensions, placés dans l’enceinte des temples, sont dépourvus de sentier, clos et sont donc inaccessibles aux visiteurs. Le jardin zen est réalisé de façon à ce que seul le regard s’y promène. Ses espaces sont de l’ordre du symbolique. Les rochers et les éléments minéraux prennent progressivement une place plus importante dans leur élaboration, pour aboutir à partir du XVIe siècle aux jardins secs, kare sansui. Bien qu’elle soit absente physiquement, l’eau est omniprésente. L’élément aquatique est signifié par des ondulations tracées dans un gravier ratissé savamment par les moines. Dans la représentation de ces paysages, on peut y voir des iles qui émergent de vastes étendues d’eau calme, tout comme le ruissellement d’un cours d’eau. Dans l’histoire de l’architecture japonaise, les coutumes anciennes et les religions jouent un rôle important dans la création et la pensée des espaces architecturaux. L’analyse de projets anciens montre qu’aujourd’hui encore certaines idées persistent. Le temple Bouddhiste Byodo-in fait partie de l’un des dix-sept sites de Kyoto classés en 1994 au Patrimoine mondial de l’humanité. Cette construction religieuse, toujours existante aujourd’hui, est le fruit de la transformation en l’an 1052, de la demeure de Fujiwara no Yorichima, l’aristocrate le plus puissant de l’époque. La volonté du clan Fujiwara de réaliser un paradis bouddhiste sur terre, survient à une période de l’histoire durant laquelle la croyance veut que le monde connaisse ses dernières années d’existence. La caractéristique majeure de ce projet est son édification sur l’ilot central de l’étang Aji ike. Ce dernier reflète la beauté symétrique du bâtiment, en faisant

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Le reflet dans l’eau d’un tsukubai , estampe de Kitagawa Utamaro, fin XIXe siècle

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un palais flottant au dessus du merveilleux bassin du paradis, gokuraku. Cette étendue d’eau naturelle prend part au dessin du jardin bouddhiste de la Terre pure, appelé jodo, constitué d’un bassin sur lequel se trouve un hall, Amida do. Ce dernier s’élève sur l’ilot Naka jima face à l’Est. L’agencement est pensé de façon à ce que les anciens aristocrates puissent saluer et se pencher, depuis la rive Est de l’étang, dans la direction du Amida-do, représentant la terre pure du paradis occidental. On retrouve à l’intérieur du hall une figure du Bouddha de plus de deux mètres de haut, ainsi que cinquante-deux autres bouddhas gravés sur du bois, flottant sur des nuages et jouant d’un instrument de musique. Les parois internes du hall, son plafond, ses poteaux et ses poutres sont peints principalement de motifs floraux de couleurs vives, appelés hosoge. On y trouve aussi des représentations d’habitants du paradis dansant et voltigeant, d’enfants jouant de la musique et encore de phénix brillants, contrairement à l’extérieur laissé neutre. De plus, des miroirs de bronze suspendus au plafond réfléchissaient durant la nuit, les flammes de bougies laissées dans le hall par les fidèles. Ces effets décoratifs prennent part eux aussi à la représentation d’un au-delà paradisiaque. L’eau dans le temple bouddhiste n’est pas seulement le miroir qui le reflète. C’est une démarcation entre le monde terrestre et un monde merveilleux. Le plan d’eau instaure une mise à distance du réel. Plus récemment, le projet du temple de l’eau est réalisé pour la secte bouddhiste Shingon par Tadao Ando en 1991. Il s’élève à Hompukuji, un village de l’ile de Awaji dans la baie d’Osaka. Ici, l’eau est mise en scène pour marquer le passage d’un monde à l’autre. Plus qu’un bâtiment religieux, c’est une expérience sensorielle que propose la scénographie architecturale. Elle représente un changement radical dans la tradition ancienne du temple japonais. En terme de formes, de matériaux utilisés et séquences spatiales, le temple de l’eau s’émancipe du classique temple en bois bouddhiste. Cependant, cette construction partage avec ce dernier la qualité mystique de l’espace. Placé dans un paysage végétal fait de bambouseraies, et avec pour cadre les montagnes, des rizières et la mer, la partie visible du temple apparaît sous la forme d’un bassin ovale en béton. L’étang Aji ike dans le temple Byodoi à Tokyo

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Le bassin dans le temple de l’eau de Ando Tadao

Protégé du regard extérieur par deux voiles courbes de béton, ce bassin est rempli de fleurs de lotus. Cette plante aquatique, qui est le symbole de l’au delà, est une référence à l’apparition du Bouddha Amida, perçu par les croyants comme le porteur d’un message céleste venu des paradis. L’expérience sensorielle que propose Tadao Ando débute dès que le visiteur approche le temple. Il aperçoit premièrement la surface lisse des deux voiles en béton de trois mètres de hauteur, protégeant le bassin qui s’ouvre sur le grand paysage. Le cheminement recouvert de graviers blancs figure le début du processus de purification que les croyants empruntent avant d’arriver face au plan d’eau.9 Un escalier le tranche en son milieu et semble s’enfoncer dans la profondeur du bassin. La forme ovale de ce dernier se poursuit en sous-sol où sont organisés les différents espaces du temple. L’espace sous le bassin est divisé en deux parties par un long escalier qui lie le monde d’en haut au monde d’en bas. Une moitié est assignée au sanctuaire accueillant le public et l’autre partie aux locaux annexes réservés aux moines. Le sanctuaire est bordé d’un jeu de deux murs circulaires abritant une structure de bois. Celleci est construite sur le modèle traditionnel des temples Shingon, le courant majeur de l’école bouddhiste japonaise fondée au IXe siècle. Une statue de Bouddha Amida est placée en son centre. La sacralité de la pièce est accentuée par l’utilisation de la couleur et de la lumière. La lumière naturelle filtre à travers la grille placée derrière la statue et inonde la nef de la teinte rouge vermillon de la structure en bois. De plus, l’architecte s’inspire d’un mandala de Bouddha pour tracer le plan de l’espace de prière. On ne s’immerge pas physiquement dans l’eau, mais on y plonge symboliquement, pour découvrir le lieu sacré au delà du monde réel. L’eau est une barrière que l’on franchit pour arriver dans la pièce sacrée du sanctuaire qui abrite la statue de Bouddha.

9 Riichi Miyake, Tadao Ando : Water temple, Awajishima Island, Osaka Bay, Domus, no 742, 10 1992, p. 29-37

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C - DES PREMIERS BAINS PUBLICS AUX SENTO 1 - Premiers récits et bains de vapeurs La culture du bain public a une longue histoire au Japon. La première description du peuple japonais est recueilli en l’an 297 dans la compilation d’histoire relatant de la fin de la dynastie Han en Chine. Elle contient une référence à des pratiques d’ablations rituelles : « Lorsqu’une personne meurt, ils préparent un cercueil (…) Lorsque les funérailles sont terminées, tous les membres de la famille entrent dans l’eau et se lavent dans un bain purificateur. »10 Le premier bain purificateur serait donc apparu avant l’ère Kofun qui débute en 300 après JC. Ce bain avait pour but de se libérer de la pollution associée aux morts, après les cérémonies funéraires. De plus, l’auteur explique que : « Le peuple de Wa japonais vit sur des iles montagneuses dans l’océan, et de ce fait, ces deux éléments que sont l’eau et les montagnes, conjugués à un culte du soleil lui a toujours été très proche. Bien que nous puissions trouver au sein de plusieurs religions le culte de certains aspects visibles ou bénéfiques de la nature, la combinaison de ces trois éléments est caractéristique du Japon. Les nombreux ruisseaux d’eau claire et l’omniprésence de l’océan ont toujours ravi les japonais, comme nous pouvons le constater dans leurs premières poésies. A leur amour de l’eau, les japonais ont joint une passion pour la lustration, rituel de purification, et la propreté et de nos jours la natation. Enfin, l’attention des japonais pour la montagne n’est pas une surprise dans un pays renommé pour ses nombreux sommets, et spécialement l’incomparable Mont Fuji, et le culte du soleil n’apparaît pas contre nature dans un pays au climat tempéré. »11 Les mythes de la création relatent plusieurs cas de purification par l’eau. Ce sont des exemples anciens du misogi, qui est le rituel de purification par l’eau occupant une place importante dans le shintoïsme. De plus, les vastes monastères bouddhistes importés de l’Inde à travers la Chine requièrent un dans leur enceinte. Plus tard, les bains publics deviennent les centres de l’hygiène et de la communication dans les zones urbaines. Au XVIIe siècle, les premiers visiteurs européens observent l’usage quotidien du bain en groupe mixte. Aujourd’hui, l’ablution quotidienne, quoique changée, demeure une caractéristique importante du mode de vie. Le bain peut être pris au domicile, seul, ou avec d’autres membres de la famille. En ville, il peut être pris aux bains publics avec la famille et où l’on retrouve les voisins. Les voyages aux sources chaudes ou aux maisons de bains spéciales avec la famille, les amis, les camarades de classe ou les collègues durant les vacances sont des excursions répandues et appréciées. Le lien indissociable du bain à la religion présente l’eau comme un élément de purification. Le bain nettoie, relaxe et revigore non seulement le corps mais aussi le kokoro, qui signifie le cœur ou l’esprit. Au travers du mélange de facteurs sociaux, religieux et culturels, le bain préserve la santé physique tout autant que le bien-être psychologique des japonais. Ce regard porté sur le Japon avec l’étude des établissements de bains, donne un aperçu du changement historique et culturel, des interactions sociales, de l’ordinaire et de l’extraordinaire. Par cette entrée, on pourra peut-être percevoir un peu de la complexité, des variations, de l’harmonie et de la diversité du bain japonais. 10 De Bary, Keene, Tanabe, Varley, Sources of Japanese Traditions, Volume One : From Earliest times to 1600, 2nd Edition, Columbia university Press, 2001, p. 6 11 ibid p. 6

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Le rituel du bain pour les nouveaux nés et les maladies, le fait de se rincer les mains et la bouche à l’entrée d’un temple, le lavage des pierres tombales et les autres rituels de purification par l’eau, le bain quotidien chez soi ou aux bains publics, ainsi que la visite aux sources chaudes sont tous quelque part interconnectés historiquement et de façon contemporaine. Le iwaburo, littéralement le bain dans la roche et le kamaburo, le bain four, sont les types de bain les plus anciens connus au Japon. Le iwaburo est une cavité naturelle creusée dans la roche du littoral côtier, mais elle peut aussi être sculptée par l’homme. En faisant brûler du bois durant plusieurs heures dans la cavité, on chauffe les parois de la roche. Une fois que le iwaburo a atteint une température suffisante, des algues sont versées sur les roches chaudes, créant un bain de vapeur. Ces bains restent populaires pendant plusieurs siècles. A la fin de la période d’Edo en 1868, on en recense encore des dizaines de milliers.12 L’utilisation de ces bains a presque disparu au début de l’ère Meiji, bien que récemment plusieurs iwaburo ont été réhabilités et sont en activité. Le kamaburo ou bain de vapeur, est présent à l’intérieur des iles. Il est construit avec des pierres et de la terre battue pour former un four en forme de dôme. De la même façon que le iwaburo, on y brûle du bois et les algues sont remplacées par de jeunes branches vertes. Le premier écrit décrivant le kamaburo date de 672 lorsque l’empereur Temmu accède au pouvoir. Après avoir été blessé par une flèche dans le dos au cours d’une bataille, il se rend dans un kamaburo pour se guérir. Le lieu de ce bain, près de Kyoto a pris le nom de Yase, qui s’écrit originellement avec les symboles Ya, 矢 la flèche et Se, 背 le dos. Ces deux types de bains sont très semblables. Ils fonctionnent avec de la chaleur et de la vapeur et non avec l’immersion d’un baigneur dans de l’eau chaude. Les textes anciens ne précisent pas si ces bains de vapeur s’accompagnaient d’un lavage et d’un rinçage à l’eau claire. Plus tard, le mot karaburo apparaît pour qualifier ces deux bains et remplace les appellations précédentes. 2 - Le temple bouddhiste L’importation et le développement du Bouddhisme au cours du VIe siècle a une profonde influence sur l’établissement des bains publics et elle est aujourd’hui encore présente. Dans l’enceinte des vastes temples bouddhistes, on retrouve sept bâtiments primaires. L’un d’entre eux est une maison de bains pour le lavement rituel des statues de Bouddha et pour les ablutions des moines. Aujourd’hui encore, chaque année depuis l’an 753, le Bouddha du temple Todai-ji de Nara est purifié à l’emplacement des bains anciens. Ces bains n’étaient prévus que pour ces derniers mais au fil du temps, les croyants sont invités à les utiliser. La popularité de ces bains provoque finalement l’édification d’un bain à l’usage exclusif du peuple. En appliquant les enseignements de la religion bouddhiste, de nombreux dirigeants ou riches mécènes financent les établissements afin que le peuple puisse venir s’y laver gratuitement. L’architecture de ces bâtiments était grandement influencée par le style importé avec l’arrivée du Bouddhisme au Japon. Ce style architectural est devenu alors étroitement associé aux établissements de bains, à tel point que les bains privés de la noblesse de l’époque l’utilisent; Lorsqu’il se baigne au temple, le baigneur porte une robe blanche appelée yukatabira. Plus tard, cette robe est portée à la sortie du bain et non plus pendant. Lors de l’ère Kamakura, 12 Clark Scott, Japan : A view from the Bath, University of Hawaii Press, 1994, p. 22

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Représentations du zakuroguchi, extraites du kenguirigomisentoushinwa 賢愚湊銭湯新話, la scène du haut est visible depuis les vestiaires, la scène du bas depuis la salle du bassin

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le yukata nom raccourci que l’on donne à cet habit, cesse d’être porté en dehors d’un usage religieux, et le silence liturgique est remplacé par la nudité, le rire et les bavardages. Aujourd’hui, on le revêt lors des saisons chaudes, et tout spécialement durant les festivals de feux d’artifices, hanabi. Suite à l’abandon du port du yukatabira dans le bain, le baigneur porte un sous-vêtement cachant les parties génitales. C’est un pagne, le fundoshi, chez l’homme et une jupe qui s’enroule autour de la taille, koshimaki, chez la femme. Au cours de l’ère Edo, le port d’habits dans le bain est abandonné. Aujourd’hui encore, la nudité est la norme dans les sento comme dans les onsen. 3 - un bain d’utilité publique à l’ère d’Edo L’apparition des bains publics au Japon, que l’on peut distinguer des bains du temple, n’est pas claire. C’est en 1401 que le terme sento apparaît pour la première fois et qualifie les maisons de bains. C’est la combinaison de deux caractères : Sen, 銭 monnaie et To 湯, eau chaude, dont l’autre prononciation est yu. Le mot sento est toujours communément utilisé pour nommer les bains publics aujourd’hui. Le koshuyokujo, la place des bains publics, est une dénomination plus formelle tandis que ofuroya peut aussi être utilisée. Cependant, si les premiers bains sont principalement à vapeur, des bacs d’eau chaude en bois ou en fonte sont aussi utilisés dans les temples, les établissements de bains publics ou privés et les onsen. Cependant, la construction des bains à vapeur des temples et des villes, s’écarte de la forme courante du iwaburo et du kamaburo pour prendre la forme du todanaburo, une cabine de bain en bois. L’eau est chauffée sous la cabine dont le plancher est fait de lattes de bois ajourées. Bloquée par les parois coulissantes qui donnent accès à la cabine, la vapeur ne s’échappe pas. A l’ère d’Edo, le bain se transforme sur le plan architectural et aussi social, devenant un centre de communication, de récréation et d’interactions sociales en milieu urbain dans tout le pays. A Edo, qui est l’actuelle Tokyo, la régulation du nombre de feux allumés et de la nature de leur fonction ne permet pas aux habitants de chauffer l’eau de leur bain. Seuls les haut dignitaires et leur famille sont habilités à chauffer leur bain à domicile. Même les samouraïs servant dans les maisons des seigneurs ne pouvaient s’y baigner. Les bains publics deviennent alors une nécessité absolue, et par conséquent un lieu de rendez-vous pour les habitants de Edo. Construit en 1591, le premier bain public de Edo est probablement de type todanaburo, à cabine et portes coulissantes. Cependant, si ces bains sont efficaces pour chauffer une cabine, l’entrée et la sortie successives des baigneurs laisse s’échapper la vapeur et la chaleur. Au milieu de l’ère d’Edo, cela conduit au développement du zakuroguchi, un dispositif qui piège la vapeur. Ce terme fait référence à une entrée avec un linteau placé très bas, si bien que les baigneurs doivent se courber en deux pour pénétrer dans la salle. De plus, un mur bas est placé devant l’entrée qui sert de bordure au bassin autant que de banc. Le bassin peu profond permet au baigneur, une fois assis d’avoir de l’eau jusqu’à la taille. L’entrée du zakuroguchi est souvent construite avec la forme d’un torii, qui n’est autre qu’un portail de sanctuaire shintoïste ou une toiture de temple bouddhiste. Au-dessus de celle-ci, sont placées des peintures. Un inconvénient majeur de ce système est qu’il ne laisse pas entrer la lumière dans la salle du bassin. Cette pénombre et la difficulté à contrôler la propreté de l’eau mènent, au début de l’ère Meiji en 1868, à l’abandon de ce type de construction. Les bains publics mixtes sont majoritaires, mais l’on peut retrouver aussi des sento réservés uniquement aux femmes et d’autres aux hommes. Certains sento proposent au cours de la

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Tobanaburo dans un temple de Nara, la natte de tatami et la cabine en bois

journée des moments réservés aux uns ou aux autres. Occasionnellement, l’espace qui sert de vestiaire et où l’on se lave est mixte tandis que l’espace du bassin ne l’est pas. C’est en 1869, que le gouvernement impliqué dans les relations internationales suite à l’ouverture du pays sur le monde, condamne la mixité dans les bains publics tokyoïtes, conscient du regard critique porté par les occidentaux. Le bain de sources chaudes naturelles et les petits bains de quartier hors de Tokyo en sont exemptés. C’est à partir de ce moment que les bains publics se dotent d’entrées, de vestiaires et de bassins complètement séparées pour chaque sexe. 4 - Le bain dans l’ère moderne Avec la restauration Meiji, le Japon se modernise rapidement, ce qui est synonyme d’occidentalisation. Les intellectuels, politiciens, hommes d’affaires et dirigeants du pays étudient les enseignements de l’occident pour planifier la construction du Japon. C’est une époque de grands changements, égalant l’apport des savoirs venus de Chine des siècles plus tôt. Les structures politiques, les structures sociales, l’architecture, l’habillement, l’éducation et de nombreux autres aspects de la culture se transforment rapidement. La façon de prendre un bain est aussi influencée par l’importation de nouvelles technologies. Cependant, le bain occidental, tel qu’il existe à l’époque, est largement ignoré car il n’apporte aucune nouvelle fonctionnalité.

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C’est le bain japonais lui-même qui se modernise et évolue. Les bains publics commencent à proliférer et le nombre de ces établissements triple. Un des facteurs de ce développement est la disparition de la classe des guerriers samouraïs désormais dispersés par l’abolition de l’ancien système de classe. Cela entraine la démolition des bâtisses qui abritaient ces familles nombreuses de guerriers et des installations de bains qui leur étaient réservées. Ces bâtiments fournissent des matériaux bon marché nécessaires à la construction des bains publics, mais aussi des combustibles pour chauffer l’eau. Cependant, une raison plus importante encore est la migration de milliers de paysans vers les centres urbains où sont construites les usines avec la révolution industrielle. C’est une période d’incitation économique propice au développement de l’économie et des établissements de bains. Au départ, ces établissements utilisent le style zakuroguchi qui est déjà en place, puis au cours de l’an 30 de l’ère Meiji, soit en 1879, un homme nommé Tsurukawa Monzaemon définit une nouvelle typologie de bains, basé sur le style en vogue dans les bains de sources chaudes naturelles. Bien que les nouveaux bâtiments soient faits de bois comme les précédents, Tsurukawa supprime la pièce remplie de vapeur d’eau, en proposant l’installation d’un large bassin de bois rempli d’eau. Il élève également le plafond de cette zone de baignade qui est alors dotée d’ouvertures qui laissent la vapeur s’échapper et la lumière entrer. Ce changement apporte avec lui une meilleure hygiène et propreté. C’est pourquoi, sept ans plus tard le gouvernement interdit la construction de nouveaux zakuroguchi, au profit de ce nouveau système. Certains continuent cependant de fonctionner jusque dans les années 1910. Durant les années 1920, la faïence et le carrelage commencent à être utilisés pour couvrir les bassins et le sol de l’aire de baignade, facilitant l’entretien. Avec l’amélioration continue du réseau d’alimentation publique en eau et des progrès de la plomberie, des robinets d’eau chaude et d’eau froide viennent à remplacer les bassines d’eau chaude utilisées précédemment pour se laver. En 1923, un séisme dévaste la région de Kanto et les incendies qui en résultent brûlent une grande partie de Tokyo. Ses établissements de bains en bois sont détruits. Avec la reconstruction nécessaire de nouveaux sento, certaines innovations apparaissent : la construction des bains au second étage ou en sous-sol de bâtiments. Malgré tout, la structure élémentaire et la forme de la majorité des sento change peu par rapport aux innovations de Tsurukawa. Le changement majeur réside dans la quasi-disparition d’une institution qu’est le bain du matin, le asayu, qui ne peut plus de fait être pratiqué. En effet, suite à la destruction des sento par l’incendie et en attendant l’installation de bains publics provisoires par les organismes de secours et le gouvernement, la toilette est très limitée. Les gens se lavent et se baignent où ils peuvent, dans des barriques chauffées avec les moyens du bord, jusque dans des flaques d’eau. Avec l’industrialisation du Japon, l’urbanisation s’étend. De nombreux logements, sans salles de bains, sont construits pour la classe ouvrière. Les habitants se rendent alors dans des sento créés au sein même du complexe de ces logements, ou bien dans des établissements de quartier. En zone rurale, ce dernier continue de jouer le rôle de centre communautaire. Malgré les changements technologiques, le sento garde son essence japonaise : l’enveloppe extérieure de l’architecture conserve son influence de temple bouddhiste. Les utilisateurs se déchaussent et payent à l’entrée, tandis que l’espace où l’on se change reste séparée de l’espace du bassin. L’espace qui sert de vestiaire conserve une ambiance de la période d’Edo avec boiseries et décors traditionnels, tandis que dans la zone de bain, une atmosphère nouvelle, propre et lumineuse est fortement appréciée des clients.

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PARTIE 2 - VERS DE NOUVELLES FORMES D’ETABLISSEMENTS DE BAINS

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A - LE SENTO AUJOURD’HUI 1 – les dispositifs internes Durant les heures d’ouverture de l’établissement, un rideau, noren, est accroché sur la porte d’entrée. Dessus on peut lire le kanji yu ou bien sa transcription en hiragana qui signifie eau chaude. Dans le contexte du sento, yu évoque l’image de la vapeur, de la relaxation et de la baignade mais est aussi connecté à l’imaginaire du onsen et au symbolisme qui en découle. A l’entrée, le genkan est une zone qui permet une transition entre l’intérieur et l’extérieur du bâtiment. C’est un des éléments de l’architecture traditionnelle : encore au niveau de la terre mais déjà à l’intérieur du bâtiment, c’est là où l’on se déchausse. A l’époque Muromachi on utilise le mot pour l’entrée du pavillon principal dans le temple zen, puis par dérivation pour l’entrée domestique du monastère, ensuite pour celle de la maison de samouraï, ou de la maison noble. A l’époque d’Edo, le genkan se diffuse pour les maisons de classe supérieures de la bourgeoisie, avec une symbolique de hiérarchie sociale. Après l’époque Meiji, on l’utilisera pour toutes les entrées de maisons ou de bâtiments publics. Le client se déchausse donc avant de monter sur le plancher, séparé du sol par une marche. Il range ensuite ses chaussures dans un casier, getabako. Il récupère la clé en bois de ce casier et se rend dans l’espace où se trouve le guichet, bandai. A l’origine, ce dernier était placé sur une plateforme en hauteur, séparant le côté réservé aux hommes de celui des femmes. Le guichetier pouvait alors à la fois surveiller et parler aux clients des deux côtés de son comptoir. Dans les régions Ouest du Japon, le bandai n’est pas surélevé par rapport aux vestiaires, à la différence de Tokyo où le guichetier domine du regard le client. Cette différence semble affecter la relation entre les deux protagonistes du bain public. A l’ouest, le guichetier est dans une situation plus assujettie face au client, contrairement à Tokyo où sa position est plus autoritaire. Aujourd’hui ce guichet est placé dans le hall d’entrée, pour laisser plus d’intimité aux baigneurs, et on retrouve de part et d’autre le noren qui indique la partie homme, otokoyu, et femme, onnayu. On nomme cette disposition furonto. Des bancs et des distributeurs de boissons sont aussi présents dans l’entrée et on peut acheter du shampoing, du savon et une serviette au guichet ou bien dans des machines automatiques, si l’établissement n’en met pas à disposition. Le vestiaire, datsuijo, de chacune des parties est similaire et comporte des casiers et des paniers pour y laisser ses vêtements et autres effets personnels. On y retrouve des chaises et des bancs, des lavabos, des miroirs, des sèche-cheveux et un pèse-personne. On peut aussi trouver dans le vestiaire des femmes une table à langer. Une autre caractéristique courante est la présence d’une chaise de massage fonctionnant avec des pièces. L ‘espace du bassin se trouve séparé du vestiaire par des baies vitrées. Il est carrelé ou bétonné et contient plusieurs rangées de robinets, chacun associé à un miroir et un tabouret. Lorsque l’équipement ne contient pas de pommeaux de douche, des bassines sont mises à disposition pour se rincer. Au centre ou au fond de la pièce sont disposés un ou plusieurs bassins d’eau chaude dans lequel le baigneur se plonge après s’être lavé. Dans la majorité des sento, la température de l’eau affichée au dessus du bain est de 38°C à 42°C. Un bassin basique peut être qualifié de fukai, profond ou de asari, peu profond. Généralement, dans le premier, l’eau arrive à la taille du baigneur, voire plus haut lorsqu’il est debout. Dans le second, la tête du baigneur dépasse lorsqu’il s’y allonge. De l’eau chaude coule dans le bassin par la bouche d’eau, yuguchi, de manière à ce qu’elle déborde en continu.

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Lorsqu’un baigneur entre dans l’eau, il déplace une quantité similaire hors du bassin, participant au renouvellement et à la propreté de l’eau. Les particules de saleté ou les cheveux qui flottent à la surface du bassin en sont ainsi éjectées. A Tokyo, le pan du mur du fond des bassins est peint. Le mont Fuji est l’un des sujets de prédilection représenté. Hors de cette région, cela n’est pas commun, et l’on peut observer des mosaïques ou bien simplement un mur carrelé. Dans d’autres parties du Japon, ce mur est percé d’une fenêtre donnant sur l’extérieur ou sur un petit jardin. Dans tous les cas, cet effet artificiel a pour but de connecter le bain à la nature. La porte arrière que l’on retrouve dans la partie des hommes la majorité du temps, donne accès à la chaufferie, kamaba. Une caractéristique des sento que l’on retrouve partout est la différence architecturale entre la zone des bassins et l’espace des vestiaires. Généralement, ces derniers conservent un style japonais, excepté dans les constructions plus récentes. Cet espace est généralement composé de bois et de matériaux traditionnels. L’espace de bain, à l’inverse, est carrelé, lumineux et aéré, pensé à l’occidentale. Cela symbolise peut-être la manière dont le sento intègre des évolutions provenant de l’étranger, tout en conservant sa spécificité japonaise. Un autre aspect propre au bain public est sa cheminée, entotsu. En effet, un étranger dans un quartier peut facilement trouver un sento en cherchant son conduit de cheminée. Encore aujourd’hui, certains vieux sento fonctionnent avec la combustion de bois. Cependant le gaz ou l’électricité sont utilisés pour les établissements plus récents et la cheminée n’est donc plus indispensable. En fonction de l’implantation géographique du sento, on observe des différences dans le dessin des cheminées. Ainsi elles peuvent être composées de différents matériaux et formes. De plus, la disposition des bassins varie. Si on les trouve habituellement

Le bandai entre les deux vestiaires existe toujours dans le sento Nishida onsen à Kagoshima

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Sento communement rencontrĂŠ

0 1m

Sento Funaoka onsen Ă Kyoto

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5m


adossés au mur du fond, on peut aussi observer leur positionnement le long du mur central qui séparent les zones hommes et femmes ou encore, au centre de la salle. Evidement, cela entraine une disposition différente des rangées de robinets. La hauteur du plafond peut aussi varier d’un lieu à l’autre. On peut trouver de hauts espaces percés de fenêtres qui laissent entrer la lumière, mais qui empêchent de voir à l’intérieur depuis l’espace public. On trouve aussi des plafonds plus bas avec des ouvertures zénithales. 2 - Un sento évolutif On retrouve l’essence originelle du sento de quartier et son ambiance au sein du Funaoka Onsen, qui est le sento le plus ancien de Kyoto encore en activité. En regardant son plan symétrique se rapprochant de celui d’un sento classique, on peut observer un agrandissement de l’établissement ainsi que la présence de nombreux bassins. Ouvert en 1923, on observe depuis la rue une architecture de l’ère Edo. La construction du toit et le porche d’entrée sont de style karahafu composant un dessin traditionnel de la façade. La toiture couvre le hall d’entrée et son genkan ainsi que les vestiaires. A l’intérieur de ces derniers, les murs sont recouverts de carreaux de faïence de style Taisho, qui ont servis au revêtement de la salle des bassins lors d’une précédente configuration de ce sento. On y retrouve aussi des bas-reliefs en bois représentant des scènes de l’incident de Shanghai, marquant l’occupation Japonaise en République de Chine peu après le début de l’invasion de la Mandchourie de 1931. En fond de parcelle, on retrouve une extension moderne en béton abritant les bassins actuels. Pour relier ces deux parties, un couloir constitué à partir des parapets du pont en pierre kikusui, détruit dans les années 1940, enjambe un petit étang et crée de part et d’autre deux espaces extérieurs clos. Le plan de l’extension conserve une distribution intérieure quasi symétrique, attendue pour ce type d’établissement. L’innovation majeure provient de la présence de bassins placés en extérieur, dans un écrin de verdure et de roches, autour de l’étang. Dans la partie hommes, on y trouve un seul bassin, fait de hinoki, un bois de cyprès japonais. Sa bouche d’eau, yuguchi, est faite d’une tige de bambou, comme celle des fontaines des sanctuaires shintoïques. Un tel bassin est peu fréquent dans les sento précédemment observés. Cela marque un changement dans l’utilisation faite de ces établissements de bains publics. De plus, il est couvert ce qui le rend utilisable toute l’année. Chez les femmes, il est placé en intérieur et à l’extérieur, on trouve deux rotenburo. L’un est couvert, l’autre non. Ces types de bains se retrouvent originellement dans la configuration d’un onsen. Cet espace ouvert permet aussi d’accéder au sauna. Depuis une vingtaine d’années, la présence de saunas dans ce sento témoigne de leur démocratisation dans les établissements de bains japonais. Dans la partie des hommes, le sauna est placé dans la salle des bassins et fonctionne de pair avec un bain froid. Une tête de lion romaine sculptée déverse une eau à 18°C. Cette bouche d’eau est le témoin de l’apparition d’éléments étrangers à la culture nippone dans l’univers du bain. De plus, les innovations technologiques et industrielles au cours du XXe siècle entrainent l’apparition de nouveaux types de bains. L’un des plus étonnants est le bain électrique, denkiburo, qui apparaît la première fois dans l’archipel japonais au Funaoka onsen. Positionné dans un angle du bassin principal, un courant électrique de faible intensité traverse de part et d’autre le bain au milieu duquel s’assoit le baigneur. Plus ce dernier s’approche des panneaux émetteurs et récepteurs du courant électrique placés sur les parois du bain, plus l’effet perçu

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par son corps est important. Ses muscles se contractent et cet effet stimulant est censé avoir les effets d’un étirement. Les autres bains que l’on trouve dans ce sento sont : un bain profond très chaud à 43°C, des alcôves contenants des bains à jets d’eau puissants, un bain dit médicinal de couleur rouge, qui utilise des minéraux ou des extraits d’herbes et de plantes. Les avancées technologiques apportent d’autres différences que l’on peut qualifier de mineures parmi les équipements du sento. Désormais, dans certains établissements qui se sont adaptés, les robinets d’eau pour se laver sont couplés à un tuyau et un pommeau de douche. Des systèmes d’air conditionné apparaissent et les accessoires tels que les paniers ou tabourets sont en plastique. Enfin, les menuiseries et huisseries sont en aluminium et non plus en bois. L’évolution d’un tel sento n’est pas banale au japon où les établissements se transforment peu et perdurent bien souvent dans leur forme originelle. Ce sento est le témoin d’une évolution au cours du XXe siècle de la manière de penser et d’appréhender le bain public.

Le yuguchi à tête de lion du bain froid au Funaoka Onsen, à l’entrée du sauna

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3 - Le déclin d’une institution Un déclin du bain public traditionnel se produit actuellement. Après des décennies d’augmentation du nombre de sento, les années entre 1965 et 1985 ont vu une diminution de leur nombre de 40%. Durant la même période, la population japonaise est passée de 98 millions à 121 millions habitants. Cela signifie qu’en vingt ans, le pays est passé d’un sento pour 4 475 à un sento pour 9 132 personnes. Ce déclin croise la courbe montante liée à l’augmentation du nombre de logements équipés de salle de bains. Le bain public apparaît au cours des siècles comme la forme la plus commune de se laver. Des villages ruraux aux centres urbains, une large variété de pratiques du bain a amené les citoyens à se laver ensemble dans des établissements spécifiques. Ces lieux de rencontres régulières sont naturellement associés à des activités sociales. Le développement de l’économie japonaise, particulièrement après la seconde guerre mondiale, apporte avec elle le retour au bain individuel délaissé quelques siècles plus tôt. La salle de bain domestique devient alors un symbole de renouveau, de sécurité et est le garant d’un statut social important, après les dévastations de la guerre. Bien que déjà perçu comme tel auparavant, ce bain individuel symbolise une prospérité encore plus forte pour les classes aisées qui peuvent se le permettre. Cependant, la reconstruction du Japon progresse rapidement et dès le début des années 1960, le miracle économique s’empare du pays. Il se dote d’un plan de création de logements qui intègre le désir d’avoir un bain à son domicile. La disposition du gaz de ville ou du propane, le développement du chauffe-eau et des systèmes de plomberie permette de disposer dans chaque logement d’une salle de bain. Cependant seule la classe supérieure peut acquérir ces logements. L’habitant moyen devra attendre quelques années de plus. On comprend l’importance que revêt la salle de bain dans l’imaginaire collectif de la fin des années 1960, lorsque le gouvernement prend en compte le pourcentage de logements avec salle de bain, yokushitsu, comme un indicateur de la qualité des logements.13 En 1968, 65% des habitations japonaises comportent une salle de bain. A Tokyo et Osaka, les plus grandes villes du pays, environ 43% des logements seulement en sont équipés. En 1983, ce sont 75% des habitations en villes qui en sont équipées. En zones rurales, le pourcentage est plus important, excédant les 95%. Cette tendance va de pair avec la diminution du nombre de sento et semble continuer jusqu’à aujourd’hui, comme l’attestent les chiffres du Bureau des Statistiques. En 2010, sur les 43 millions de logements, seuls 1 278 700 ne sont pas équipés d’une salle de bain, soit moins de 3% des logements. De plus, si en 1990, le nombre de sento est de 11 725, il passe en 2012 à 4 804 établissements. On note toutefois que si les sento disparaissent, le nombre total d’établissements de bains ne diminue pas et passe même de 24 750 à 27 074 établissements, témoignant d’une évolution de la culture du bain mais pas de sa disparition.

13 Statistical Survey Department, Statistics Bureau, Ministry of Internal Affairs and Communications

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4 - La ville d’eau Parallèlement à l’évolution du sento, les onsen, utilisant l’eau chaude de sources naturelles, se développent aussi au cours des siècles. Les visites dans ces établissements, situés la plupart du temps dans les parties reculées des montagnes verdoyantes, sont souvent synonymes de retour à la nature. Leurs bains extérieurs, rotenburo sont d’ailleurs aménagés de façon à se sentir entouré par la nature. Souvent regroupés en villes thermales, appelées onsen gai, les bains peuvent être couplés à une auberge, on parle alors de ryokan. Ces espaces de détente et de villégiature sont perçus par les utilisateurs comme une façon de prendre du bon temps, « tanoshimi kata » en japonais14. Aujourd’hui, la vitalité de ces lieux touristiques passe par le renforcement de deux fonctions symboliques ancrées historiquement et partagées culturellement. L’une est la détente que procure la sensation de se trouver dans un milieu accueillant. L’autre est le plaisir éphémère du palais, qui passe par l’alimentation. Toutes les deux sont des composantes essentielles du séjour thermal contemporain. Les villes thermales japonaises revêtent une grande variété de réalités historiques, morphologiques et économiques. Leur origine remonte à l’ère d’Edo. Les séjours en cure thermale, toji, duraient une semaine ou plus et de nombreuses trouvailles furent inventées afin d’occuper le temps libre des baigneurs. C’est surtout à l’époque Meiji, avec le développement des transports et des résidences secondaires, besso, que ces pratiques se répandent, pour connaître une démocratisation grandissante et aujourd’hui être connues et partagées par tout le peuple japonais. Habituellement, le vacancier séjourne et dine à l’hôtel où il profite d’un grand bassin commun. Les soirées et les matinées sont réservées à des promenades en ville. Il y déambule en yukata, anciennement le vêtement léger de bain, ou en tanzen, un grand kimono rembourré pour les températures hivernales, fournis tous deux par l’hôtel. Il y fréquente des magasins de souvenirs où il peut se procurer les typiques onsen manju, qui sont de petits gâteaux ronds fourrés avec de la pâte de haricots rouges, mais aussi des lieux d’amusements où les adultes jouent au pachinko, la machine à sous japonaise, et les enfants s’amusent sur les stands de tir au fusil, shateki-jo, deux attractions ayant connu un grand succès à l’époque Showa. La ville thermale est elle même comprise dans un environnement plus large qui a lui aussi une importance symbolique. En effet, la purification du corps par le bain dans les eaux thermales, qualifié de onsen-yoku, fonctionne de pair avec un contact à l’espace sauvage, que peut être la forêt en montagne mais aussi la mer. La symbolique est à son apogée dans les nombreuses villes thermales côtières. Non seulement parce que la mer en tant qu’espace sauvage est l’homologue de la montagne, mais aussi parce que l’eau de mer, le sel et le sable sont eux-mêmes des symboles de pureté dans les rites religieux. En réalité, nombre de stations thermales sont des villes constituées de ryokan, construits autour d’une source. La plupart de ces auberges traditionnelles japonaises disposent de chambres séparées pour héberger les clients mais sont surtout équipées d’un bain commun, où les hommes et les femmes se baignent séparément. L’architecte Kengo Kuma restaure en 2006 un ryokan vieux de plus de trois siècles, le Ginzan Fujiya, dans la région de Yamagata. La capacité d’accueil de ce bâtiment construit sur trois niveaux est réduite à huit chambres pouvant loger seize personnes.

14 Bonnin Ph., Nishida M., Shigemi I., Berque A. préface, Vocabulaire de la spatialité japonaise, Paris, CNRS éditions, 2014, p. 377

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Deux de ces chambres reprennent le style des chambres d’hôtel occidentales avec un lit double et disposent de leur salle de bain personnelle. Parmi les six autres chambres, seule l’une d’elles dispose aussi de sa propre salle de bain. Les cinq autres reprennent le principe des chambres d’auberges classiques. Dans ces pièces de dimensions plus réduites, le sol est en tatami, et c’est sur un matelas japonais qui est déroulé pour la nuit, le futon, que le client dort. Pour permettre un accès à l’eau de source, le programme du ryokan intègre cinq espaces de bains indépendants. Chacun est composé à la façon d’une salle d’eau japonaise classique, c’est-à-dire d’une pièce pour se laver et d’une la pièce comportant un bac en hinoki, appelé ofuro, pour s’immerger dans l’eau. Elles sont accessibles aux clients à n’importe quel moment de la journée et de la nuit. L’un de ces espaces, situé au dernier étage, inclut un bassin ouvert sur l’extérieur. La façade existante est restructurée par l’architecte qui utilise le bois centenaire de la structure originale tandis que la partition intérieure est réorganisée avec l’ajout d’un atrium. Cet élément du projet est entouré d’un écran délicat, composé de panneaux faits de fines lamelles de bambou de quatre millimètres de largeur, sumushiko 簾虫籠. Ce procédé crée une entrée de lumière diffuse et chaleureuse dans la pièce. L’atmosphère relaxante au cœur du projet accompagne avec les effets bénéfiques sur le corps et l’esprit, d’un bain d’eau de source naturelle.

La façade du ryokan de Kuma Kengo au bord de la rivière Ginza

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Autour de cet espace, Kengo Kuma réutilise les procédés architectoniques associés à la notion d’oku pour engendrer des spatialités propres au ryokan traditionnel. Dans l’organisation du plan, il crée de la profondeur, pour procurer une sensation d’ampleur là même où l’espace est peu abondant. Par la complexité des cheminements qui relient les niveaux, les « replis », hida 襞, donnent de la densité à l’étendue, car ils instituent une stratification des espaces entre un type de pièce et une autre. De la complexité des parcours naît la profondeur de l’espace. Le poète Usami Eiji dit dans Meiro no oku 迷路の奥, Au fond du labyrinthe,15 à propos des longs et tortueux couloirs, que l’on y a volontairement multiplié les tours et les détours afin de procurer au visiteur l’illusion qu’il pénètre profondément dans un monde lointain. Pour Usami, les couloirs des ryokan vont de refuges en refuges, oku e oku e 奥へ奥へ.

15 Usami Eiji 宇佐見英治, Meiro no oku 迷路の奥, Tokyo, Misuzu shobô みすず書房, 1975

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5 - Le cas particulier de Beppu La ville de Beppu 別府, située dans la préfecture de Oita sur l’ile de Kyushu, est une station thermale de 122 000 habitants. Connue dans tout le Japon, elle attire de nombreux visiteurs venus à la fois profiter de ses nombreux onsen mais aussi observer les fameux enfers de Beppu, jigoku, des sources trop chaude pour la baignade qui sont naturellement colorées de teintes rouges, bleues, blanches. Les fumées de vapeur s’échappent des cheminées des établissements de bains de la ville, accrochée aux flancs des montagnes et entre ses rangées de complexes hôteliers hauts de plusieurs étages, qui ont poussé en bord de mer dans les années 1950. Cet onsen gai abrite près de trois mille sources d’eau naturellement chaude et on y trouve la plus importante concentration de petits bains publics du Japon. Ils fonctionnent comme des sento mais utilisent de l’eau chaude naturelle comme les onsen. J’ai participé à une étude menée par le laboratoire de Tanoue Sensei de l’Université de Kyushu. Cette étude a ciblé des établissements thermaux remarquables, observables uniquement dans certains quartiers de bains de Beppu. Ils se concentrent majoritairement dans les quartiers de Hamawaki 浜脇, Kan na wa 鉄輪 et Kameyama 亀山. L’association « Beppu Onsen Do » 別 府八湯温泉道, fédère 143 établissements de la ville. 85 établissements sont des onsen qui attirent une clientèle touristique et 58 sont des sento fréquentés par les résidents du quartier. On dénombre 64 autres sento de quartier qui ne sont pas membres de ce réseau. L’étude porte sur ces 122 sento. Des entretiens sont réalisés sur le terrain avec le gérant de chaque établissement et avec les utilisateurs rencontrés sur place. Des relevés de mesures sont effectués au même moment. L’étude sur le terrain, entamée l’année précédente, s’est déroulée sur un week-end et l’analyse sur laquelle je m’appuie résume la visite de 53 établissements. L’étude montre qu’à Beppu, les établissements de bains fondés pendant l’ère Taisho, entre 1912 et 1925, sont constitués d’une structure principale en bois et se développent sur un niveau en rez-de-chaussée, tandis que ceux construits après les années 1965, ont des structures réalisées en béton armé et peuvent avoir deux niveaux. La surface totale moyenne pour un établissement d’un seul niveau est d’environ 60 m2 contre 150 m2 pour ceux pour ceux ayant deux niveaux. Le plus grand sento de la ville est le Takegawara Onsen, 竹瓦温 泉, d’ une surface de 711 m2. Le plus petit, le Kameyama Eki Mae Onsen, 亀山駅前温泉, ne fait que 30 m2. Parmi ces établissements publics dispersés dans les huit secteurs de bains de la ville, nommés Beppu hatto, 別府八湯, on différencie trois types de sento. Ainsi, parmi les établissements étudiés, 20 établissements sont placés sous la direction directe de la ville. Ce sont eux qui reçoivent le nombre le plus important de visiteurs. Leur capacité d’accueil est supérieure aux autres et ils disposent aussi d’équipements de bain et de bassins toujours à la pointe du développement, ainsi que d’espaces réservés au parking. 69 autres établissements de bains sont détenus par la ville mais prêtés à un quartier et gérés par l’association de ses résidents. Enfin, 15 établissements appartiennent directement à des propriétaires locaux qui en assurent la gestion. Les huit secteurs thermaux de Beppu sont redécoupés en des quartiers. Dans chacun d’eux, on trouve un établissement géré par la communauté de quartier ou bien par des propriétaires locaux. Il existe des cas où deux quartiers ont en commun le même sento, ce qui crée des interactions entre leurs habitants. Ces établissements de bains fonctionnent tous sur un système de fidélisation avec la vente de tickets valables au mois et à prix modéré. Presque aucun ne dispose de places de parking et ils sont donc accessible quasi exclusivement à pied ou à vélo par les gens de la zone géographique proche. De fait, ils n’ont que peu de clients

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contrairement aux bains de la ville. Ces derniers attirent des baigneurs venant de secteurs plus éloignés et des touristes. De nombreux sento de quartier, qui ne disposent pas de la visibilité que peut offrir une artère principale, connaissent actuellement des difficultés financières. Leurs clients habituels désertent ces lieux pour se rendre dans les établissements de bains de la ville, qui sont mieux équipés. Enfin, le vieillissement des gérants, qui ne sont pas remplacés à leur départ à la retraite, accentue ce processus. Les caractéristiques spatiales observées lors des visites sont : la structure spatiale générale de l’établissement, l’accès entre les vestiaires et les bains et le positionnement des bassins et leur forme. A l’intérieur des bâtiments, on retrouve la structure symétrique propre aux sento et qui permet la segmentation spatiale entre les femmes et les hommes. La présence d’un banc ou d’une assise devient le point de rencontre et de communication entre les deux sexes. Il peut se trouver à l’intérieur comme à l’extérieur du bâtiment et accueille les discussions des clients, aussi bien avant qu’après leur baignade. Ce banc fait partie des équipements de voisinage, au même titre que la présence d’une salle de tatami associée au programme architectural du sento. Celle-ci permet de qualifier ces établissements de bains, de centres communautaires. Ce sont des lieux de réunions pour les assemblées publiques locales ou encore des espaces qui tiennent lieu de bureau au gouvernement local. Cependant quelque uns des sento étudiés, environ la moitié tels que Kameyama Onsen et KanNa-Wa Onsen qui sont pourtant gérés au niveau du quartier, ne sont pas liés à un tel espace d’activité communautaire. Ces halls communautaires qui se trouvent souvent au premier étage des bâtiments de bains, sont accessibles par un escalier directement depuis l’espace public de la rue et peuvent prendre différentes formes. Quelquefois, le hall est situé dans une pièce annexe, au rez-de-chaussée. Cela est dû à la période de construction du bâtiment. Ce hall, dont le sol est tapissé de tatami, peut être pourvu d’une scène ou d’une estrade, d’espaces de bureaux et d’une pièce avec un point d’eau pour la cuisine ou la préparation du thé. Ces espaces partagés sont utilisés lors des activités de la communauté des résidants du quartier et alloués aux associations locales, telles que le club senior, le cercle de danse japonaise Nihon Buyo, 日本舞踊, ou encore le cercle des joueurs de percussion taiko, 太鼓. Les habitants y tiennent leurs réunions, préparent les festivals. Les sento de quartiers et ces centres communautaires fonctionnent en coopération. Ils rassemblent les gens et la relation qui est instaurée leur permet d’exister encore aujourd’hui. Cependant, tous ces halls communautaires ont une structure spatiale similaire, standardisée et leur utilisation est figée. Les jeunes ne se les approprient pas, car la structure ne s’adapte pas à des usages différents. Pour que cela change, ces halls doivent retrouver de l’intérêt dans la vie de tous les habitants. Cela permettrait d’inverser la faible fréquentation des établissements de bains. Trois conditions apparaissent nécessaires à cette revitalisation. Il faut que ces sento particuliers conservent leur rôle de noyau pour les activités à l’échelle du quartier. Il est impératif aussi qu’ils continuent d’être utilisés par les membres des quartiers environnants et que l’espace du bain soit toujours lié à la salle de réunion de la communauté. Si chaque sento se diversifie et trouve une identité propre, alors il pourra attirer de nouveaux utilisateurs tout en améliorant son action de catalyseur social.

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Les fumées caractéristiques de Beppu, s’échappant des sento et onsen du quartier kameyama

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B - VERS LE SUPER SENTO 1 - Le sento s’associe pour perdurer En passant dans certaines villes ou villages, on peut apercevoir d’anciens bâtiments ayant été des sento et qui sont désormais fermés. On en rencontre d’autres, toujours ouverts mais qui n’ont plus la vocation d’accueillir les baigneurs. Des actions locales menées par des riverains visent à conserver une trace de ces lieux, pour que le souvenir perdure. La réaffectation des établissements passe par un réaménagement intérieur ou par une transformation de l’activité. Ainsi, le sento devient un restaurant où sont exposées des œuvres d’art, dans le village de Taketa sur l’ile de Kyushu. Ailleurs, il peut être transformé en café, comme dans le quartier Nishijin de Kyoto, où le Sarasa caféさらさ西陣 conserve la façade de l’ère d’Edo du sento. A l’intérieur, les décorations, les mosaïques et la patine que le temps a laissée sur les murs témoignent du passé, malgré le recouvrement des bassins et la destruction partielle de la cloison de séparation entre les espaces hommes et femmes. Le sento est bel et bien un témoignage de la culture japonaise.

Dans le Taketa onsen, devenu restaurant et salle d’exposition, la salle des bassins est clairement identifiable

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La typologie du sento de quartier ne disparaît cependant pas totalement du paysage. Des projets d’architecture récents témoignent de son ancrage dans la pensée collective japonaise, comme un lieu de sociabilité qui se vit quotidiennement. Les architectes peuvent s’emparer de ce programme du bain public traditionnel et continuer à le faire vivre aujourd’hui. Un projet de sento pensé par Shigeru Ban associe celui-ci à un autre équipement public qui est la station de train. Le projet inauguré en mars 2015 situé à Onagawa, dans la préfecture de Miyagi, témoigne du pouvoir évocateur de la baignade dans l’inconscient japonais. Cette région est dévastée le 9 mars 2011 par le séisme de Tōhoku et le tsunami ravageur qui en résulte. 8 % de la population de Onagawa périt ce jour-là, soit 914 habitants et 70 % des constructions sont détruites. Ainsi, des bâtiments gouvernementaux, des logements, des écoles, le bain public et la station de train, sont emportés par la puissance de la vague. En plus de la quasi disparition de son centre ville, la ville se retrouve amputée de son réseau de transport majeur, la voie ferrée. La réouverture de la gare et du bain public représente un nouveau départ pour la reconstruction de la ville. La nouvelle structure de Shigeru Ban, installée à seulement 150 mètres de l’ancienne gare, intègre donc ces deux programmes recréant un carrefour social pour la communauté. Le terminus ferroviaire reconnecte cette ville à la région environnante de façon visible. La remise en service de la ligne de train a pour ambition d’être le point focal du redéveloppement en cours de Onagawa. Le premier travail entrepris par l’architecte après la catastrophe, fut bien évidemment la proposition de logements provisoires pour les sinistrés ainsi que l’élaboration d’un hall civique temporaire. Cependant, une fois la réponse donnée aux besoins de première nécessité, cet édifice est le premier voué à perdurer. Il a pour vocation de devenir un point d’ancrage vers le futur. Le bâtiment de la gare se développe sur trois niveaux. Au rez-de-chaussée, on y trouve les quais, les zones d’attente, des locaux commerciaux et l’entrée du sento. Au second niveau, sont installés les équipements du bain public, à savoir : les vestiaires, les bassins, ainsi qu’une salle tatami. Pour son approvisionnement en eau chaude, la station bénéficie d’une source naturelle située à proximité. On peut donc qualifier cet établissement de onsen, mais sa typologie architecturale et la pensée de fonctionnement le rapproche plus du sento. Le troisième étage s’ouvre quant à lui sur une terrasse d’observation. Dans l’entrée du hall de gare, sur le parvis, un des premiers éléments accueillant le voyageur est un bassin d’eau chaude pour les pieds. Celui-là est libre d’accès lorsque la gare est ouverte. L’idée de mêler le programme à un sento est une réponse attentive aux besoins et au contexte. En effet, la majorité des utilisateurs de la gare sont, soit des habitants de Onagawa, soit des ouvriers du bâtiment travaillant à sa reconstruction et qui ne logent pas dans la ville. Ces derniers prennent le train quotidiennement pour effectuer les trajets jusqu’à leur domicile. Le message donné aux utilisateurs et potentiels clients du sento est celui d’un répit, d’une pause. Les touristes et visiteurs de passage peuvent aussi y trouver leur compte. En effet, de nombreux autres projets qui se développent pour et autour de cette ville, visent à redonner vie à cette région par l’attractivité touristique. Une vue sur la baie de Onagawa est accessible depuis la terrasse du troisième étage du bâtiment. Cela est dû à la situation géographique de la gare située sur un point relativement haut. Elle est positionnée sur une pente qui redescend doucement jusqu’à la côte. A l’intérieur, le bain public présente une atmosphère calme et reposante. Les espaces en double ou triple hauteur sont couverts par la voûte de bois tressée et sa fine structure de poutres métalliques blanches, signature de l’architecte, qui sert de toiture à l’ensemble du

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Plan et coupe du sento de la gare de Onagawa par Ban Shigeru

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bâtiment. Elle se déploie avec modestie, face à l’océan et avec les montagnes en arrière plan. L’espace des bassins et des vestiaires est agrémenté de plusieurs peintures murales imaginées en collaboration avec des habitants. Ils sont invités à peindre avec des teintes bleues, les carreaux blancs de céramique assemblés en plusieurs fresques murales. L’implication de la communauté commence dès le début du rétablissement de la vie post-tsunami. Une scène représentant des arbres et des animaux sauvages mène le baigneur depuis l’entrée des vestiaires, jusqu’à l’imposante fresque du mont Fuji qui se trouve dans la salle des bassins. La simplicité et la pureté de l’intérieur des espaces donne à la nouvelle gare et des bains publics une ambiance apaisante. Ces œuvres d’art, penkie, décorent en général uniquement la paroi située au-dessus du bassin principal. La première de ces œuvres serait apparue en 1912 dans le sento Kikai yu, un bain public tokyoïte, pour faire plaisir aux enfants qui le fréquentent16. L’artiste peintre qui fut en charge de cette commande décida de peindre le Mont Fuji, cette montagne sacrée qui porte bonheur. C’est encore aujourd’hui l’image la plus commune que l’on rencontre dans les sento de la région de Tokyo. De plus, comme la fresque se trouve toujours au-dessus du bassin principal, cela donne l’impression que les neiges du mont, quand elles fondent, se répandent directement dans le bassin. Aujourd’hui, on ne trouve ce type de décor que dans les établissements construits avant les années 1970. Shigeru Ban réinterprète le patrimoine du sento traditionnel et l’adapte encore une fois à la spécificité de ce projet. Ainsi, l’objectif et le message délivré par cette proposition architecturale singulière, semblent cohérents avec le contexte. Avec l’apport de nouvelles fonctionnalités mêlant les rôles de gare et de bain public, la réouverture de ce terminus de gare est une étape clé qui favorise la reconstruction de la communauté. A travers l’édification d’une nouvelle centralité, elle joue aussi un rôle vital dans le développement de la ville entière. Ce projet voulu par le pouvoir politique en place, n’est pas un bien public, c’est une commande privée. En 2009, sur l’ile de Naoshima, c’est l’artiste Shinro Ohtake qui réaménage le sento traditionnel en créant un atelier où les habitants ont participé à l’élaboration d’une partie du projet. Ils ont fourni des objets et matériaux ayant servi à l’élaboration de la façade du bâtiment. Le sento dénommé « I <3 湯 » « I love Yu », est basé sur un jeu de mot signifiant à la fois « je t’aime » et « j’aime le bain ». C’est un lieu public fonctionnel où la population locale côtoie les touristes au sein d’une œuvre d’art. Ce bain public est exploité conjointement par l’association de tourisme de Naoshima et par l’association du quartier de Miyanoura. Il est emblématique de l’île et du projet de revitalisation économique de la région au travers de l’art, menée par la fondation Benesse Art Site Naoshima. Les projets de sento tels que celui là restent marginaux. Cependant, ce sont désormais de grands groupes qui mettent la main sur le marché des établissements de bains publics.

16 Jérémie Souteyrat, Machida Shinobu, prince du sentô, Zoom Japon, no 35, 11 2013 p. 10

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2 – Des établissements standardisés et franchisés Tandis que le nombre d’établissements de bains traditionnels décline radicalement, un autre type d’établissement se développe aujourd’hui. C’est le super sento. Il semble indiquer la persistance de la baignade en société au Japon. Ces nouveaux établissements de bains varient en taille, mais sont de dimensions tout à fait considérables si on les compare aux établissements de bains précédemment observés. Le superlatif qui compose le nom qui leur est donné n’est pas anodin. En effet, le modeste établissement de bains devient un véritable complexe récréatif. Au même titre que les onsen et les sento, la fonction principale au cœur du projet est la salle des bassins d’eau chaude. Cependant, le projet se développe à toutes les échelles. Ainsi, la programmation architecturale s’enrichit de nouvelles fonctions, les offres faites au baigneur se diversifient et le bâtiment augmente sa capacité d’accueil. Il évolue pour devenir le nouveau lieu qui attire les baigneurs. Le développement de ces nouveaux bains publics n’est pourtant pas responsable de l’effondrement de l’industrie du sento, il en est une conséquence. L’exode des baigneurs, qui se reportent sur les complexes des super sento, intervient pour d’autres raisons. En effet, le super sento apporte une réponse plus appropriée aux aspirations de la société japonaise d’aujourd’hui. Contrairement au sento, le super sento n’est ni un lieu de nécessité, ni un projet politique ou une démarche gouvernementale engagée pour le bien collectif. Cette indépendance vis-à-vis de la nécessité, lui permet de diversifier ses fonctions et d’y développer des nouvelles formes de divertissements.Cette prise de position semble répondre à l’attrait des citoyens japonais de l’ère post-moderne pour toutes les expériences de la vie, plaisantes, distrayantes et peu onéreuses, telles qu’associer le plaisir du bain au plaisir de manger. Pour un prix oscillant de 500 à 1000 yens (3,5 à 7 euros), cette expérience est accessible à la grande majorité des citoyens. Ce prix donne accès aux bains pour toute la journée ou pour vingt-quatre heures d’affilée, en fonction des établissements. La conception du super sento a toujours pour priorité le dessin de l’espace des bassins. Cependant, les références à des univers éloignés du sento ouvrent des perspectives et de nouveaux possibles en ce qui concerne les autres programmes qui composent un tel établissement. Gokurakuyu 極楽湯, est la plus grande chaîne de super sento du Japon. Son nom traduit le titre évocateur de « paradis de l’eau chaude ». Les affaires de cette société cotée en bourse, connaissent une croissance rapide durant la phase de récession économique du Japon et coïncident avec l’avènement d’une prise de conscience collective sur le plan de la santé et du bien-être. L’entreprise Gokurakuyu ouvre son premier établissement de bains en 1996 dans le Nord du pays, à Furukawa. Depuis, quarante autres établissements ont ouvert dans l’archipel et même plus récemment trois à l’international, en Asie. L’entreprise propose ses services en tant que consultant et participe au développement d’établissements dans la province chinoise de Liaoning en 2009, à Hongkong en 2010 et à Shanghai en 2011. Le bain japonais s’exporte et l’un des établissements intègre dans son complexe un musée du bain japonais. Au Japon, la clientèle principale de ces établissements de bains est constituée des babyboomers, maintenant âgés d’une cinquantaine d’années. Ils constituent la plus grande tranche de population du pays bien que touchés par la récession économique et financière. Le marché des super sento semble avoir trouvé sa place dans le paysage et un bel avenir se profile devant lui malgré la crise. En moyenne, chaque super sento accueille 1500 personnes par jour, ce qui est nettement plus que les 500 visiteurs en moyenne dans un sento régulier. En 2015, le capital financier de Gokurakuyu CO Ltd. s‘élève à plus de 2,3 milliard de yens soit 46


environ 17,5 millions d’euro et l’entreprise emploie sur l’archipel 525 personnes à temps plein et 762 à temps partiel. La chaine se compose de 23 établissements directement gérés et exploités par la société, mais aussi de 16 établissements franchisés. Tous développent la salle des bassins du sento traditionnel au sein de vastes établissements où un même niveau de standardisation s’applique. Cependant, on y trouve une grande variété de bains et un choix d’activités peu communes pour un sento. Des équipements tels que des restaurants, des bars, des salles de massage, des salons de coiffure, de grandes salles de tatami pour se détendre et des espaces de jeux, sont autant de caractéristiques qui amènent le super sento au delà de son homologue plus modeste et traditionnel. Gokurakuyu affiche son ambition d’inonder le marché japonais. L’entreprise présente ses établissements de bains comme des espaces où se prolonge la vie quotidienne. Par l’immersion dans l’eau chaude, elle propose de guérir le corps et l’esprit de ses clients, mais aussi de combler leurs envies d’après bain. Une fois le baigneur adouci, il faut satisfaire sa faim et sa soif, d’où la présence de services de restauration. Enfin, pour définitivement remédier à la fatigue accumulée au cours de la journée, des installations de soins et de bien-être sont prévues. L’établissement est pensé autour de jardins intérieurs, de salles de tatami et d’éléments identifiables propres à la culture thermale traditionnelle japonaise. Pour que la famille se retrouve, se baigne et passe le temps de façon agréable, les trois grands principes mis en œuvre dans ces établissements sont donc les bains chauds, les plaisirs de la table et la détente par les soins. Ces super sento proposent un service en continu et s’adaptent à des temporalités variables afin d’attirer le plus grand nombre possible de clients. 3 – Du quartier à la périphérie des villes Jusqu’au milieu du XXe siècle, chaque quartier possède son sento. La ville est structurée en quartiers de bains, tandis que les nouveaux arrondissements périphériques construits dès lors n’en sont pas pourvus. Le sento est un lieu d’animation fort qui attire du public composé majoritairement d’habitants du quartier. Ils s’y rendent à pied, c’est un lieu de proximité, proche du domicile, où les mêmes baigneurs se retrouvent et sociabilisent. L’établissement est ouvert jusqu’à une heure tardive pour accueillir les travailleurs. Même si les frais d’entretien sont moindres et l’activité ne nécessite le salaire que d’un ou deux employés seulement, le désintérêt dont il souffre le rend fragile économiquement. L’histoire récente montre que de nombreux sento ferment chaque année. La notion de bains de quartier n’a plus de sens aujourd’hui, car la fonction de ces établissements est définitivement assurée par la salle de bain individuelle. De plus, ils véhiculent parfois l’image d’un lieu vétuste, utile aux populations pauvres qui ne disposent pas de leur propre salle d’eau. Enfin, de nombreux établissements sont tenus de mettre à disposition des places de parking pour pouvoir accueillir des clients qui s’y rendent depuis des zones situées au-delà du quartier. Avec le prix des terrains, obtenir des places pour les voitures est un véritable investissement que ne peuvent s’autoriser la plus grande majorité des sento, mais qui est pourtant essentiel. Dans une période de baisse de fréquentation, l’accent est donc mis sur la diversification des services et l’accessibilité à l’établissement par le plus grand nombre. C’est une rupture avec le sento né à l’ère d’Edo. Le super sento s’installe désormais hors des quartiers historiquement constitués en cœur des villes. Ces nouveaux bâtiments sont bâtis sur d’anciens sites de

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Vue aérienne du complexe Vegas Vegas de sendai minami, l’espace des bassins extérieur du super sento apparait dans l’angle formé par le volume du parking silo et le volume des espaces commerciaux

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stockage de matériaux, en lieu et place d’usines désaffectées, ou bien s’insèrent dans des zones commerciales et industrielles, situées en périphérie des métropoles. C’est là que les plus grandes parcelles peuvent être achetées, tout en étant placées le long d’axes routiers majeurs et donc visibles et accessibles en voiture. On peut différencier les super sento de la compagnie Gokurakuyu en deux catégories : ceux développés à l’intérieur de centres commerciaux et ceux installés sur leur propre parcelle. Dans la première catégorie, celui construit à Miyazaki se trouve au sein d’un complexe nommé Aceland, construit sur une parcelle de 4 000 m2 et développé sur quatre niveaux. La parcelle est située à proximité de la route principale constituée de deux fois trois voies, qui traverse un espace autrefois périurbain et qui est aujourd’hui englobé par la croissance de cette ville de 400 000 habitants. Le super sento participe à l’atmosphère si caractéristique de cette frange de la ville qui se développe dans tout l’archipel. Le site associe des immeubles de logements collectifs, des zones commerciales et des espaces de production technologiques et quelques résidences pavillonnaires. En plus de l’établissement de bains, le complexe récréatif comporte une salle de fitness, une salle de bowling et de tennis de table, une salle d’arcade, un restaurant et un manga kissa 漫 画喫茶, qui est un cyber café ouvert 24 heures sur 24, où les bandes dessinées sont en libre service. L’autre partie du bâtiment est un parking en silo qui se poursuit sur les deux derniers étages et en toiture. La façade simplement constituée d’un bardage gris ne laisse pas présager ce que le bâtiment contient. La signalétique est effectuée par des panneaux publicitaires aux couleurs criardes et encadrés de néons clignotants, placardés sur les trois façades visibles depuis la rue. La présence du super sento n’est pas clairement identifiable dans le quartier. Dans cette même catégorie, on peut faire une distinction entre ce premier exemple et les établissements de bains qui sont situés le long des ceintures périphériques des métropoles et dont l’entrée est accessible uniquement par cet axe routier. C’est le cas du super sento Gokurakuyu de Natori dans la préfecture de Sendai. On retrouve l’établissement de bain au sein d’un véritable centre commercial du jeu d’une surface de 20 000 m2 nommé « Vegaropolis, amusement complex ». Le bâtiment qui se développe sur deux niveaux est constitué des mêmes services que ceux observés précédemment, mais ici un pachinko, le casino japonais, nommé Vegas Vegas, est l’élément central du dispositif. On retrouve ce centre commercial au centre d’une parcelle de 55 000 m2. Les espaces dédiés au stationnement automobile sont un parking extérieur de 15 000 m2 et un parking silo de 5000 m2 sur deux étages. Ici aussi la façade fait office d’un tableau de signalétique étourdissant, qui capte le regard et est clairement identifiable depuis la route. Les centres commerciaux dans lesquels s’insèrent les super sento qui sont observés ici, mettent au centre de leur dispositif l’alliance du commerce et du jeu, conjugués aux techniques publicitaires de l’univers de la grande consommation. Ce sont des lieux autosuffisants, des espaces fermés sur eux-mêmes, dont le poumon est un parking qui se remplit de clients toute la journée et la soirée. Ces lieux parfaits et clos du divertissement vivent derrières de grands murs aveugles, communément observables dans les espaces périurbains des villes, et qui semblent constituer des ilots sur une mer de parkings. Ils ne dialoguent pas avec le contexte proche, qui est constitué de ces extensions de la ville mais sont liés à cette dernière et à ses habitants par les larges voies routières qui y conduisent. Les établissements de bains se développent aujourd’hui dans l’espace des lisières et des contours : la « nouvelle frontière » de la ville japonaise, dans des nœuds suburbains qui regroupent des lieux de résidence, de

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commerce, de travail tertiaire et de loisirs. Ces territoires se distinguent par des points de repères que sont les centres commerciaux et qui correspondent avant tout à une certaine façon d’être, de travailler et de consommer. Ce déplacement dans les «abords» de la ville correspond à un changement d’état d’esprit de la société, qui se répercute sur la manière d’accomplir le rituel du bain japonais. L’établissement Gokurakuyu, de la ville de Toyohashi avec ses 385 000 habitants présente un autre aspect extérieur et son plan de masse diffère des deux exemples précédents, il fait partie de la seconde catégorie. En effet, s’il est lui aussi situé dans une zone périphérique de la ville, ici entre les rizières d’un côté et un axe autoroutier de l’autre, il ne fait pas partie d’un complexe commercial ou récréatif. Le site est composé de vastes parcelles accueillant des concessions automobiles, des entrepôts, quelques restaurants et logements individuels. Le bâtiment se déploie sur un seul niveau au fond d’une parcelle de 7 000 m2 et dont les 4 500 m2 dévoués au parking sont placés le long de l’axe routier. L’établissement est annoncé depuis la route par une enseigne marqué de l’hiragana Yu ゆ utilisé par les sento, qui est placée à sept mètres de haut. Contrairement aux établissements précédents, l’aspect extérieur de ces super sento réinterprète les formes architecturales vernaculaires japonaises. De grands pans de toits reprenant le style simple du kirizuma 切妻屋根, couvrent les espaces intérieurs. Ils peuvent être en tuiles traditionnelles gawara, ou bien en tôle. On peut y observer aussi la présence de pignons décoratifs chidori hafu 千鳥破風, qui sont présents dans l’architecture des temples et des constructions défensives traditionnelles. Parfois le nom de l’établissement est inscrit sur ces pignons. Les murs extérieurs sont blancs ou d’une teinte ocre et laissent dans certains cas apparaître une structure porteuse en bois. Ces façades simulent le système constructif ancien à ossature bois et remplissage de torchis. Leur aspect est simplement décoratif car elles n’assurent pas un rôle porteur. Certains de ces bâtiments offrent aussi de larges parties vitrées donnant sur l’espace d’accueil ou la salle de restaurant. Si parfois, ces surfaces sont de simples baies vitrées, elles sont la plupart du temps habillées de panneaux faits d’un croisement de lamelles de bois verticales et horizontales kōshi 格子, que l’on retrouve dans l’architecture des maisons marchandes traditionnelles. A l’intérieur, ces kōshi peuvent être doublés de parois coulissantes shōji 障子, composées de papier washi 和紙, qui filtre la lumière. Dans quelques cas, le chemin qui mène à l’entrée du super sento, traverse une porte en bois à double battant, couverte d’une toiture à deux pentes et qui est nommée kidomon 木戸門. On la retrouve habituellement à l’entrée des jardins japonais. Si le sento disparaît de la vie de quartier, le super sento apparaît dans les espaces périurbains qui témoignent d’un affranchissement géographique à la ville. Cet espace qui n’est plus simplement ce qui ceinture la ville et constitue ses abords, devient une nouvelle manière de penser et de constituer l’espace urbain. L’essor du super sento n’aurait pas été possible sans son avènement. Ces établissements de bains nouvelle génération confirment leur dynamisme et la capacité de ce type de programme architectural à transposer des particularités de la vie de quartier à une échelle différente. C’est aussi le témoignage d’un changement dans la planification de la ville et de son utilisation, l’avènement d’un espace urbain où circulent des milliers de véhicules entre des enclaves de vie interne. C’est dans ces enclaves et dans ces super sento que les japonais retrouvent ce que cet étalement indifférencié ne leur fournit pas : le contact physique, la proximité, la rencontre avec l’autre.

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Panneau de signalétique à l’entrée d’un parking de super sento

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C - DANS LE BAIN DU SUPER SENTO 1 - Le temple du bien-être Le schéma insulaire des super sento est certainement le plus à même d’expliquer leur fonctionnement interne. Ce type d’établissement de bains se coupe habituellement du monde ambiant en délimitant un espace qui lui est propre, singulier et sécurisé. Ainsi isolé, un imaginaire, que le contexte extérieur ne peut ni limiter ni contraindre, s’y développe librement. L’insularité de ce lieu de loisirs, séparé du monde par une mer de parkings, est propice au développement d’un univers du bain différent de ceux qui le précèdent dans l’Histoire. Le super sento Fukunoyu ふくの湯春日店 est situé dans la banlieue de Fukuoka, préfecture de région d’un million et demi d’habitants. Il fait partie des établissements qui ne sont pas intégrés à un complexe commercial. Son plan est caractéristique des super sento rencontrés dans l’archipel et se divise en deux grandes parties. L’une d’elles, que l’on peut qualifier d’espace des bains, se développe autour d’un patio où l’on retrouve des bassins extérieurs. L’autre partie est pensée comme un vaste hall d’accueil qui condense en son pourtour les autres activités proposées par l’établissement de bains. La séquence d’entrée du bâtiment reprend les principes déjà observés dans le plan des sento préalablement étudiés. On retrouve le genkan, où les clients se déchaussent, puis une salle de getabako où ils déposent leurs chaussures. Ces deux salles permettent à plusieurs centaines de clients de déposer leurs chaussures dans les casiers prévus à cet effet. Le client ne se retrouve alors pas face au comptoir pour payer son entrée, mais il découvre un vaste hall

Le grand volume du hall de super sento

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en double hauteur. Sur l’un des côtés, des machines automatiques permettent de payer le prix de l’entrée, en faisant un choix parmi les différentes activités proposées. Il est ainsi tout autant possible de régler le coût d’un massage ou d’une entrée aux salles des bassins que d’acheter un flacon de shampoing. Ce hall, c’est l’espace principal, un lieu de repos avant et après la baignade. Il fait à la fois office d’espace de vente avec des étals de fruits et légumes de saison, des machines à boissons, mais aussi d’espace de repos avec l’accès à des chaises de massages électriques et d’écrans de télévision branchés sur des chaines de divertissement. Enfin on y trouve les services d’un salon de coiffure et d’un salon de massage. Cependant, c’est le restaurant qui occupe le plus grand espace de cette salle. Au centre du hall, des tables et des chaises à l’occidentale sont disposées à côté d’un espace surélevé en parquet permettant de manger à la japonaise, sur des tables basses, assis en tailleur sur des coussins, zabuton 座 布団. Cet espace traditionnel occupe la moitié du hall percé par de grandes baies vitrées sur une de ses faces. Elles permettent à la lumière naturelle d’entrer et offrent une vue sur un jardin japonais, nihon teien日本庭園. L’espace de transition entre le jardin et l’intérieur est constitué de l’engawa 縁側, une galerie qui prolonge le plancher surélevé en bois de l’espace de restauration et qui semble flotter au dessus du jardin. Un auvent en bois, noki軒 le protège à la fois du soleil et de la pluie. Une pièce attenante, dont le sol est composé de nattes de tatami, est tournée elle aussi vers le jardin. Cette pièce plus intime est propice à la dégustation d’un thé à la sortie du bain. L’espace de liaison entre ce hall et l’espace des bassins est occupé par le comptoir d’accueil. C’est là que le client présente les tickets qu’il a achetés préalablement afin d’accéder aux salles des bains. Dans le super sento, trois espaces de bains différents coexistent. L’espace principal, qui est le plus vaste, est celui des bains qu’on peut rattacher au sento. Il en conserve les dispositifs internes et la symétrie en plan. Ainsi, une fois passé au comptoir et après avoir récupéré une clé de casier, le client se dirige dans un couloir d’où il peut distinguer à chacune des extrémités un rideau de tissu, noren 暖簾, suspendu dans l’encadrement des portes. Ces rideaux lui indiquent la partie réservée aux hommes otokoyu, et celle réservée aux femmes onnayu. Le vestiaire datsuijo, de chacune des parties est similaire. On y retrouve la salle de mise en beauté avec des lavabos, des miroirs, des sèche-cheveux, jouxtant la salle des casiers et son pèse-personne ainsi que les sanitaires. Les espaces de baignade sont séparés du vestiaire par un sas. Ils sont eux aussi divisés en deux parties. On distingue une partie intérieure, comportant des bassins et l’aire des douches, dont on en dénombre une cinquantaine. Deux bains de vapeur, un sauna et un hammam, complètent cet espace que de hautes baies vitrées séparent du second espace de baignade. C’est une aire de bassins en extérieur, située dans le patio central. Contrairement au sento traditionnel, le super sento est doté de larges ouvertures vitrées qui font entrer la lumière. Cependant, la ventilation n’est pas assurée par ces ouvertures fixes. Les ventilations servant à aérer cet espace très humide sont placées discrètement dans le plafond où l’on peut retrouver quelquefois des puits de jour. Le courant d’air créé par la montée de la chaleur vers le haut est agréable pour le baigneur. La plus grande différence entre l’espace des bains du super sento et celui du sento est leur dimension, le volume étant décuplé. Si le super sento intègre désormais le bain turc et le bain nordique dans son programme, il propose également un autre type de bain à vapeur. Il s’agit du bain coréen, jimjilbang 찜질방, une forme de sauna avec une technique de chauffage par le sol. On trouve ce bain à l’étage de l’établissement Fukunoyu, auquel on accède par l’escalier faisant face au comptoir d’accueil. Tout d’abord, les hommes et les femmes se séparent pour aller prendre une douche et profiter

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d’un bain chaud avant d’enfiler des vêtements de coton remis à l’entrée. Ils rejoignent ensuite la salle commune chauffée au sol dans laquelle ils peuvent lire, jouer, faire une sieste. Elle est entourée de petites salles basses de plafond dans lesquelles il est impossible de tenir debout. Les baigneurs s’allongent ou s’assoient sur des tapis. Chaque salle est différente. Ainsi, la salle chamsoot bang 찜질방 a un plafond recouvert de charbon de bois de chêne. Bulgama 찜질방, la salle chaude a une température de 80°C à 90°C. La salle sogeum bang 찜질방, utilise du sel sous forme de pierre. Enfin, uleum bang 찜질방, la salle de la glace a une température de moins 6°C. Ces différents minéraux, des éléments utilisés dans la médecine traditionnelle Coréenne, participent par leur senteur particulière à créer une ambiance. Dans une culture du bain mondialisée, les nouveaux programmes représentés dans le super sento japonais, sont des bains de vapeur d’origines étrangères. La troisième sorte de bain utilisable dans un super sento est un bain privatisable pour un temps donné. L’établissement de bains Fukunoyu en compte cinq. Chacun d’eux contient les mêmes services que la salle collective des bassins. On y retrouve un salon avec un canapé et un écran de télévision, un sanitaire puis un espace de douche et un bassin de pierre. Ces espaces intimes permettent une baignade en famille qui n’est pas possible dans les espaces non mixtes de l’établissement.

1 genkan 2 casiers à chaussures 3 espace vente 4 distributeurs de boissons 5 salon de coiffure 6 espace restauration 7 cuisine 8 comptoir d’accueil / bandai (A) 9 salon de massage 10 vestiaires 11 bassins intérieurs 12 hammam 13 sauna 14 bassins extérieurs 15 vers l’étage et les bains de vapeurs coréens 16 bains privatisés 17 engawa 18 jardin japonais 19 chaufferie / locaux techniques

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Plan du super sento Fukunoyu

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2 – Voir sans être vu Au sein des établissements de super sento, l’espace extérieur occupe la moitié de la superficie dédiée aux bassins d’eau chaude japonais qui s’inspirent du sento. Il prend la forme d’une cour intérieure à ciel ouvert, de base rectangulaire et séparée en deux parties en son milieu. Ce patio occupe une position centrale dans le dispositif des salles d’eau du bâtiment. C’est autour de lui que s’articulent la circulation qui mène à l’espace de baignade, les vestiaires et la salle des bains intérieurs. Cette disposition architecturale apporte d’une part, la lumière naturelle qui vient éclairer les espaces limitrophes et d’autre part, elle permet de conserver l’intimité nécessaire à la baignade et de protéger du regard extérieur. Ce patio est végétalisé et décoré pour recréer en interne un semblant d’espace naturel pour permettre au baigneur de retrouver l’atmosphère d’un bain pris au onsen. Le symbole ♨ du onsen convoque chez les japonais l’image mentale d’un bassin d’eau chaude creusé dans la roche ou d’un bain en bois fumant duquel s’échappe de la vapeur. Il évoque le souvenir de forêts, de vallées montagneuses, de rivières et finalement d’un bain pris dans la nature17. La source d’eau chaude est la raison première de l’existence d’un onsen ; c’est pourquoi les bains occupent la meilleure partie du bâtiment, avec la vue sur la mer, les rivières, les montagnes ou les forêts. Si la plus belle vue sur le paysage se trouve en haut du bâtiment, c’est au dernier étage que le bassin devra être placé, parfois même en toiture. Au milieu du XVIIIe siècle, dans la ville de Niigata, il y a dix-huit onsen d’une capacité d’accueil de 700 baigneurs environ. Il n’existe alors pas d’installations hôtelières dédiées au bain. Les gens se rendent simplement dans les cavités naturelles d’eau chaude, rotenburo, placées le long de la rivière. Au XIXe siècle, des barrières en bois sont érigées autour de certains d’entre eux et la combinaison d’un onsen à la fois ouvert et clos commence à devenir populaire. Aujourd’hui, on peut prendre un bain, protégé des intempéries et à l’abri du vent, dans un cadre ouvert sur l’extérieur. L’architecte Kengo Kuma
conçoit en 2001 le onsen Shirogane Yu, しろがね湯, dans la préfecture de Yamagata. Ce bain public, situé au sein d’un quartier historique thermal, se déploie le long de la rivière Ginzan, dans une vallée profonde où vingt ryokan sont alignés. Les contraintes géographiques particulières du site font que l’espace au sol disponible est limité. Ainsi, les bâtiments qui se dressent sur un plan en lanière s’élèvent sur 3 ou 4 étages et cela crée une ambiance singulière, comparée aux autres régions japonaises qui sont traditionnellement dominées par une architecture horizontale. Ce onsen d’une surface de 63 m2, distribué sur deux niveaux, occupe une parcelle étroite dont la largeur varie de 2 à 6 mètres seulement. D’un côté l’établissement est positionné contre un haut pan de falaise bétonné, de l’autre sa façade principale s’élève face à une petite route de 2 mètres de large qui dessert la vallée et qui sépare la parcelle de la rivière en contrebas. Kengo Kuma a la volonté de concevoir des espaces communicants entre les éléments qui composent le site : le lit de la rivière, le corridor de transport et l’espace du bain. Dans le cadre de ce bâtiment, il est impossible de réaliser une façade totalement ouverte sur la rue. La nudité du baigneur serait exposée à tous. Aussi, l’architecte propose une solution permettant à l’espace intérieur de dialoguer avec l’environnement du site. La façade est constituée de deux épaisseurs : un premier écran en lattes de bois verticales ajourées est secondé par un deuxième écran de verre acrylique translucide, qui fonctionne 17 Clark Scott, Japan : A view from the Bath, University of Hawaii Press, 1994, p. 89

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comme le papier washi. Cette enveloppe semi-ouverte, constituée de panneaux fixes ou coulissants suivant la disposition, offre au bâtiment des limites poreuses. Les ombres de cet essaim de lignes droites s’étendent à travers l’espace intérieur et se déforment au cours de la journée, créant une atmosphère en contact avec le monde extérieur. La nature dépasse les limites physiques et les séparations artificielles. Chaque élément naturel s’engouffre à l’intérieur, comme le bruit de l’eau de la rivière et le bruissement des arbres, ainsi que les variations de lumières du ciel et de chacune des vues visibles depuis ces persiennes. De plus, ce système de lames verticales sur toute la hauteur du bâtiment lui donne une impression de légèreté et permet lors du déplacement du baigneur à l’intérieur comme à l’extérieur, d’apercevoir le projet sous un angle différent à chaque fois. On retrouve un bassin en rez-de-chaussée, qui ne dispose pas de vue et un second à l’étage qui dispose d’une large ouverture sur le paysage. Le parcours effectué par le baigneur n’est pas le même selon qu’il est un homme ou une femme. Ainsi, l’accueil du bâtiment est commun mais Vue sur le bassin du premier étage, un baigneur et la paroi en arrière plan

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le bain en rez-de-chaussée est séparé du bain placé à l’étage, aucun vis-à-vis ne donne à voir sur l’un ou sur l’autre. A l’intérieur, la partition architecturale est réalisée par les panneaux de verre acrylique translucide que l’on retrouve en façade. Il apparait clairement que la séparation entre la nature et l’architecture doit être aussi ambiguë que possible, permettant à ces différents espaces d’interagir, tout en marquant la frontière entre les différentes fonctions. Ici, la nature est filtrée à travers un mur translucide ou un voile enveloppant l’architecture. En d’autres termes, la nature à cet instant est architecturalisée. Elle n’est plus dans son état brut, sauvage, mais elle est au contraire contrôlée. Cette forme de nature, bien que variable au cours de la journée et des saisons se transforme au contact des murs et autres systèmes architecturaux mis en place pour les révéler, les faire oublier, créer une atmosphère.18 L’architecte développe ce principe dans les détails. Une fois le baigneur assis dans le bassin du haut, seule sa tête dépasse de l’eau. Son corps est protégé du regard extérieur par l’eau. Quant à son regard, il glisse sur les dalles de pierre polie encadrant le bassin et qui reflètent les mouvements du ciel, pour plonger dans les montagnes vertes de l’autre coté de la rivière. Il semble qu’il n’y a pas de limite entre l’homme et la nature qu’il observe. Ainsi, le dessin technique, les matériaux et le jeu de lumière visent à faire disparaître tout élément construit entre le baigneur et la nature. Avec à la fois un projet ouvert et clos, la proposition met donc en avant un dispositif fonctionnel de deux volets coulissants qui se chevauchent afin de faire évoluer l’ambiance selon les conditions voulues. Le client de cet onsen peut observer et profiter du paysage majestueux sans être vu. Ce système de panneaux ajourés qu’on déplace librement, produit une sensualité spatiale et donne une légèreté au bâtiment compact. En proposant une architecture, non par des parois opaques mais par un dispositif léger, signifiant l’ouverture, l’architecte propose un regard différent sur la nature. Kengo Kuma résume ce travail par ces mots : «Entouré de murs lourds, fixes, j’ai de la difficulté à respirer, alors que dans un environnement créé par des dispositifs d’ouverture légers, je m’ouvre à l’environnement extérieur apaisant.»19 La nature est ici au cœur de l’établissement de bain, mais elle perdrait son intégrité au moment même où elle entre en contact avec l’architecture. Son apparence change, son état est réduit à des éléments tels que la lumière, le vent, l’eau ou le ciel, qui se transforment en symboles de la nature. La nature en entrant en dialogue avec la géométrie de l’architecture devient une abstraction.20 Les super sento construits dans les espaces périurbains industriels sont loin des paysages naturels grandioses des villes thermales et de leurs onsen. Pourtant, c’est cette nature apaisante qui est recherchée et semble-t-il proposée aux clients au sein de ces patios. Ici, la mise à nu engendre un rapport à l’espace extérieur différent. Contrairement au onsen de Kengo Kuma, qui s’ouvre sur la nature tout en dissimulant ses espaces intérieurs, les bâtiments de la compagnie Gokurakuyu, ou bien celui de Fukunoyu, s’ouvrent sur des espaces clos ouverts eux-mêmes sur le ciel. On ne recherche pas de cadrages sur le monde extérieur. Ces bâtiments sont coupés de toute réalité spécifique à la région ou au site. De larges ouvertures, souvent des baies vitrées encadrent ce patio où est recréé un paysage de jardin japonais ou de paysage naturel. C’est une enclave végétale et minérale artificielle, située au centre d’un complexe récréatif, lui-même entouré par de vastes espaces de parking. 18 Fernando Marquez C., Richard C., Tadao Ando 1983-1992, no 44+58, Madrid, El Croquis, 1996, p. 143 19 Buntrock Dana, Material and meaning in contemporary Japanese architecture, Tradition and today, London, Routledge, 2010, p.78 20 Fernando Marquez C., Richard C., Tadao Ando 1983-1992, no 44+58, Madrid, El Croquis, 1996, p. 115

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3 – L’artifice et le bassin Les bassins naturels des onsen traditionnels sont reproduits artificiellement dans les super sento. On assiste à un collage d’éléments et de matériaux spécifiquement choisis, visant à recréer l’imaginaire du onsen au sein d’un espace clos, qui prend la forme d’un patio dans le super sento Fukunoyu. Cet espace extérieur veut évoquer les bains naturels tels que les rotenburo, au mieux en recréant des paysages qui peuvent sembler naturels et parfois en récréant un décor qui ne laisse pas de doute quant à son authenticité. La nature, dans sa dimension sauvage et sa manière d’envahir l’espace n’est pas présente ici. En effet, elle est contrôlée et l’architecture introduit ingénieusement la nature en son sein. A l’origine, le bain se prend dans une source chaude dans un paysage naturel. Il est donc logique de concevoir le bassin extérieur comme une partie intégrante de l’ensemble de l’installation. Tous les emplacements disponibles ne sont pas idéaux pour la réalisation d’un bassin en plein air. Dans le cas d’un établissement de bain tel que le super sento, cette question n’apparait pas. En effet, le bassin se déploie entre quatre murs, hors de tout milieu naturel. Cependant, dans tous les cas de figure, un jardin artificiel est nécessaire pour harmoniser ces nouveaux éléments avec le site existant. Les bains des onsen placés en extérieur ont de nombreux points en communs avec la conception des jardins japonais. Des rochers et de la végétation sont disposés pour se fondre dans l’environnement existant. Les mêmes techniques sont incorporées à la conception du bassin et de ce qui l’entoure. Mais toutes les règles n’y sont pas applicables, par exemple, l’utilisation de rochers à bords tranchants est inadaptée et dangereuse pour le baigneur. La science de la stéréotomie du jardin sec japonais, karesansui 枯山水, est donc adaptée à l’utilisation d’un bassin. Le mot «paysage» en japonais se compose des signes 山, san, la montagne et 水, sui, l’eau. La nature est symbolisée par ces deux éléments et bien que l’eau soit physiquement absente dans le karesansui, elle est représentée symboliquement par des étendues planes Vue sur les bassins extérieurs du super sento Fukunoyu

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recouvertes de mousse, de sable ou de gravillons, au milieu desquelles les rochers sont savamment disposés. L’ensemble représente alors des paysages réels ou mythiques. Le professeur Uehara de l’université d’agriculture de Tokyo définit certaines règles lors de l’utilisation de roches naturelles dans l’élaboration d’un bassin de onsen et son contexte proche21. Tout d’abord, les rochers ne sont pas « placés » mais se « fondent » dans la scène. Un autre point est de ne pas mélanger trop de types de roches différentes. Il est essentiel de ressentir l’énergie interne de la roche et de sa relation aux autres roches. Dans la formation globale, les rochers forment la structure osseuse, les arbres et arbustes sont la peau et la mousse et l’herbe sont des accessoires. La beauté de la structure est essentielle, pour cela l’équilibre et l’harmonie entre les roches sont primordiaux lors de leur installation. L’ensemble forme alors un paysage. On distingue ainsi sous plusieurs appellations les rochers de formes différentes. Yamagata ishi 山形石, littéralement la « pierre en forme de montagne » sert à représenter une chaîne de montagne avec un ou plusieurs sommets. Toyama ishi 遠山石, représente une montagne lointaine. Iwagata ishi, 岩潟石, la pierre en forme de falaise, ressemble à une côte abrupte, sortant de l’eau. Doha ishi 土玻石, suggère une étendue, une plaine s’élevant doucement vers une colline ou une falaise. Shima gata ishi, 島形 représente une île lointaine de faible hauteur affleurant l’eau, comportant des criques ou des baies. Enfin, sugata ishi姿石, est une roche qui imite habituellement la forme d’un animal, une tortue ou une grenouille. Les pierres de rivière kawa ishi 川石, et celles de l’océan umi ishi海 石 ont une surface lisse, polie par le courant ou les vagues. Les premières sont de taille plus petite que les secondes qui peuvent être de grande dimension. Ce sont les roches les plus recherchées lors de la construction d’un bassin de onsen et qui ne sont jamais utilisées dans le dessin des jardins secs. Enfin, comme les baigneurs marchent pied nu, il est essentiel de comprendre la texture, la forme et la porosité des matériaux que sont les pierres et le bois parfois utilisés à la construction de ce décor. Pour obtenir un espace artificiel harmonieux des bassins et du paysage qui les entoure, l’ordonnancement des blocs de roches entre eux est réfléchi. Dans les assemblages de deux roches ou de trois roches, l’un d’eux est toujours considéré comme le principal et les autres comme ses subordonnés. Il faut éviter de choisir des roches de même forme et dimension. Il est important aussi de recréer un courant lors de l’écoulement de l’eau pour obtenir un aspect naturel. En effet, dans le rotenburo, l’eau chaude qui jaillit du sol prend sa course naturellement pour former un ruisseau. Dans le dessin du bassin et de son contexte, il faut donc calculer la quantité d’eau nécessaire pour parvenir à une apparence naturelle et retrouver le son produit par l’écoulement d’une source d’eau. L’eau s’écoule dans le bassin par le yuguchi 湯口. Dans un bain extérieur, il prend la forme discrète d’une petite roche en forme de bol placée à une trentaine de centimètres du bassin. L’eau acheminée jusque là déborde alors de la cavité remplie, à l’instar d’une source naturelle qui jaillit des fissures de la roche, pour s’écouler ensuite jusqu’au bain. Dans un bassin placé à l’intérieur d’une pièce ou bien simplement qui ne reprend pas la forme du rotenburo, le yuguchi peut prendre des formes plus variées. Il apporte une singularité et agrémente un bassin monotone. En utilisant des matériaux similaires à ceux du bassin, il permet de conserver une harmonie dans la composition, tout en prenant des formes plus étonnantes. Idéalement, l’eau doit s’écouler à moins de dix centimètres de la surface du bain. Placé plus haut, l’écoulement de l’eau serait trop fort et deviendrait gênant. 21 Hiroshi Ebisawa, Onsen : Design for Japanese style Spa, Hiroshi Book of my onsen projects, Tokyo, Rikuyo-Sha Publishing, 2006, p. 62

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Divers bains sont aujourd’hui accessibles dans les espaces extérieurs du super sento. On y trouve donc des bassins de type rotenburo, dans lesquels de nouveaux éléments de bain sont installés. L’un d’eux le neyu, 寝湯 «le bain du dormeur», se prend en position couché dans une eau entre 35°c et 38°c. Ce bain de très faible profondeur, est profilé pour épouser la forme d’un corps allongé. Le niveau de l’eau qui recouvre le baigneur doit être environ de cinq centimètres, tandis que l’espace où déambule le baigneur avant de s’allonger est de cinquante centimètres de profondeur. Le corps entier étant au contact de la roche, les roches tendres sont de ce fait, les plus adaptées à ce type de bassin. Une méthode de massage nommée utase yu 打たせ湯 «le massage de la chute d’eau», fait aussi son apparition dans le super sento. Le baigneur vient se placer sous une chute d’eau jaillissant à partir d’un point haut. Il peut s’assoir ou se tenir debout pour que l’eau à 45°c vienne exercer une pression en un point sur son corps. Souvent, un parement de pierre est intégré à la surface de la paroi pour simuler une source d’eau naturelle. Ce parement mural se poursuit dans le super sento Fukunoyu sur toute la longueur du mur séparatif des parties hommes et femmes. Il se fond au niveau du sol avec les rochers des rotenburo attenants, formant un ensemble cohérent. Une cavité de chaque côté de la paroi est prévue dans l’épaisseur factice du mur de roches. Le bassin se prolonge à l’intérieur pour former un dōkutsu furo 洞窟風呂, le bain dans la caverne. Des bassins non liés au rotenburo apparaissent aussi dans les patios végétalisés de ce type d’établissement. Le kamafuro, 釜風呂, un pot en fonte individuel rempli à ras bord d’eau chaude, en fait partie, ainsi que les bassins de hinoki, le bois de cyprès, prisé pour sa beauté, sa senteur et sa durabilité. Ces bassins sont, la plupart du temps, couverts par une toiture soutenue par une structure en bois à laquelle vient s’ajouter diverses solutions pour lutter contre le vent. En effet, le froid de l’hiver, la pluie ou un temps venteux peut rapidement faire baisser la température du baigneur. Les bassins du super sento sont disposés le long des murs du patio, qui offrent une barrière appropriée, conjuguée aux débords de toitures. Parfois, un arbuste ou un paravent est ajouté autour d’un bassin le plus exposé aux éléments. Les bassins extérieurs du super sento reprennent donc des éléments du onsen, ce bain en milieu naturel. La nature est contrôlée ; la végétation comme les éléments minéraux sont assemblés pour fonder le décor du bain à l’air libre. Entre les quatre murs du patio, cet espace devient à la fois une source de lumière pour les espaces agencés autour et une véritable respiration par rapport aux salles des bassins intérieurs et des bains de vapeur qui les jouxtent.

Coupe sur le dōkutsu furo 洞窟風呂 du super sento

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CONCLUSION

Prendre un bain en société au Japon est une activité toujours vivante qui se porte bien aujourd’hui, et ce, malgré le déclin de l’établissement de bain traditionnel, le sento, où la plupart des citoyens des villes se lavent jusque dans les années 1960. Le super sento et la résistance héroïque de quelques sento, sont une évidence de la continuité d’une pratique sociale du bain. De plus, l’existence de larges bassins dans certains ryokan, condominiums, logements étudiants ou encore salles de sports et autres établissements pouvant recevoir des groupes de personnes, atteste de la vivacité de cette culture du bain. Plus qu’une occurrence occasionnelle, c’est une part régulière des activités sociales. Les bains du sento ont pu être prévus à des fins hygiéniques, mais quel que soit leur emplacement, on y trouvera aujourd’hui encore des japonais se baignant ensemble dans le même bassin et partageant la même eau chaude. Notons alors l’absence ou le peu de «lieux publics» au Japon, tels que les places ou agoras. Ces sento sont les bains collectifs et publics au sens de la relation qui s’y établit, de la sociabilité qui s’y manifeste. Dans certaines régions, lorsqu’ils ne sont pas muséifiés, servent encore de centre communautaire de quartier, l’essence du sento que sont les brèves de comptoir perdure. Le programme des bains publics est réutilisé par les architectes contemporains. Il est source de réflexion et matière à projets dans la société actuelle. Les projets récents de sento comme de onsen choisis dans cette étude, ont été conçus lors les deux dernières décennies par des architectes japonais aux profils variés, qui appréhendent le projet d’architecture singulièrement. Dans leur mise en œuvre, se retrouvent des principes de composition, des ambiances, des rapports au paysage qu’ont entretenus des projets liés à l’eau et conçus dans une société japonaise qui a depuis évolué. Ces projets d’établissement de bains marquent un tournant dans la perception de la finalité du sento. Si le bain en société ne prend plus forme dans l’élémentaire sento de quartier qui répond à des besoins passéistes, à l’inverse, il témoigne toujours d’une culture. C’est un symbole fort du mode de vie japonais. Aussi, les architectes dans leurs projets, additionnent sa fonction à d’autres programmes. Ils en font un maillon identifiable, valorisant des intentions qui dépassent le simple cadre du sento. C’est un élément qui acquiert le pouvoir d’évocation d’une culture et d’une vie de quartier qui semble révolue dans le Japon contemporain.

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Dans les établissements publics, se baigner avec les autres engendre incontestablement des rapports entre les gens. Cette pratique se base sur une croyance toujours actuelle qui veut que partager le même bain et être nu devant les autres, crée une situation où la communication se développe de façon intime. La communication dans ces conditions représente plus qu’un acte verbal ou écrit : c’est une expérience commune. En ce sens, le reflet de deux baigneurs dans un miroir d’un sento peut être un perçu comme un acte de communication, même s’ils ne se connaissent pas et ne se parlent pas. La communication des baigneurs est basée sur l’implication d’actes partagés. Le comportement qu’ils adoptent est identique. Si le nombre de sento a décliné, les japonais se baignent toujours ensemble dans des bassins publics prenant la forme d’autres établissements de bains. Cela implique un changement de nature de la baignade publique mais reflète aussi la persistance de cet aspect particulier de la culture japonaise. Pour qualifier le fait de se retrouver aux bains, les japonais utilisent l’expression sukinshippu, qui dérive des mots anglais « skin » et « ship », associée à la notion d’un contact peau contre peau : hada to hada no fureai. Originellement, au sein de la structure familiale, prendre un bain et toucher la peau fournit un contact intime entre les parents et leurs jeunes enfants. A la maison, cette pratique s’arrête lorsque l’enfant atteint l’âge de 7 ou 8 ans, mais elle perdure dans les onsen et les sento. La manière de se comporter face à la nudité dans les établissements de bain est cependant toujours inculquée. Même avec le développement de la salle de bain dans chaque logement, prendre un bain reste un acte important centré sur le groupe. En effet, les japonais attendent le moment approprié pour que le bain soit profitable à l’ensemble des membres de la famille et chacun veille à ce que l’eau du bain reste à une température convenable pour tous. Le bassin et la salle d’eau doivent être nettoyés avant que la personne suivante ne les utilise. Ainsi, si chaque membre de la famille prend le bain individuellement, le confort du groupe entier reste à l’esprit de chacun. Les besoins et les exigences spécifiques du baigneur évoluent avec le temps, entrainant des modifications. Cependant, l’essence même de la culture de la baignade n’a pas changée. Elle évolue sans disparaître, elle se réinvente. La source d’eau et le bassin sont des éléments indissociables de l’architecture du bain. Ils ont donné naissance à divers modèles d’établissements. Les projets prennent des voies différentes suivant le contexte géographique, c’est-à-dire un emplacement urbain ou rural, la présence ou non d’une eau de source, tout en tenant compte du contexte socio-économique. On peut distinguer les onsen, des sento, du super sento, des ryokan et du ofuro. La description du bain japonais dans l’Histoire révèle que s’immerger dans l’eau est plus qu’un acte de toilette, c’est une immersion dans des symboles et des idées. Plus que le bain, c’est l’eau qui est évocatrice d’un imaginaire. Elle en appelle à de mythes liés aux religions shintoïste et bouddhiste présentes au Japon depuis des décennies et à leurs rituels purificateurs. Cette symbolique est la composante primaire de l’immersion du baigneur. Si le bain prend diverses formes et occupe différentes fonctions au cours des siècles, la symbolique semble les traverser en diluant peu à peu sa signification. De nombreuses corrélations existent entre les premiers sento, ceux encore en activité aujourd’hui et l’arrivée des super sento. Si des divergences de style, de volumétrie, de situation dans la ville et dans la dimension des établissements existent, elles marquent des singularités à chaque époque. En effet, le programme du bain public japonais a vu défiler différents acteurs dans son processus d’élaboration. Développé dans un contexte religieux, puis démocratisé, devenu un programme d’Etat puis aujourd’hui aux mains de grandes compagnies commerciales, le sento s’agrémente à chaque fois d’espaces porteurs de sens et

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révélateurs d’un contexte qui lui est propre. Il conserve toutefois des éléments antécédents à ces changements ; des résurgences apparaissent. La symétrie des espaces en plan et la distribution intérieure successive de pièces est conservée. On retrouve ainsi le genkan, puis les getabako, le comptoir, les noren marqué du hiragana Yu ゆ, marquant l’entrée des vestiaires hommes et des vestiaires femmes, l’espace de douche et enfin les bassins d’eau chaude et leur chaufferie. Des éléments caractéristiques d’une période de l’histoire des bains perdurent en façade et attestent d’un l’éclectisme stylistique qui s’étoffe au fur et à mesure des évolutions. Le positionnement du comptoir d’accueil, tout d’abord placé dans les vestiaires communs, puis les séparant en deux, enfin relégué dans le hall d’accueil témoigne d’une évolution des mœurs. Si le plan de l’établissement évolue peu à première vue, il s’agrémente à chaque fois d’espaces porteurs de sens et révélateurs d’un contexte social. Les super sento n’imitent pas simplement les établissements de bains qui les précèdent dans l’Histoire du Japon. Dans un paysage périurbain accessible en la voiture, ils simulent ce qui n’existe pas sur place afin de le rendre réel. Ainsi, les renvois apparents aux réalités extérieures, font à première vue un clin d’œil à des sites et des espaces emblématiques, empreints de significations. Ces établissements de bains publics récents ne semblent pas régis par la logique mimétique de la reproduction pure et simple, mais plutôt selon les principes de l’association libre, à savoir de la combinaison inédite d’éléments sans rapports directs. Ils sont puisés dans la tradition du bain japonais établi auparavant, d’où l’impression surréaliste que peuvent produire ces lieux, même lorsqu’ils se veulent d’un étonnant réalisme. Ce n’est donc pas la sensation étrange du déjà vu qui saisit le client. Mais c’est la découverte d’une architecture qui dans des conditions d’isolement radical tente de reproduire par ses propres moyens un modèle, jamais véritablement connu, à la croisée du sento, du onsen, du ryokan. L’univers développé dans ces ilots émergeant au beau milieu d’une mer de parkings, conjugue des éléments architecturaux traditionnels à des techniques de construction contemporaine. Les paysages sont recréés artificiellement, utilisant les techniques de compositions des jardins japonais. Le programme des activités n’est plus tourné uniquement vers la baignade mais désormais aussi vers des services de restauration et de soin pour le corps. C’est un établissement de bain hybride qui fait la synthèse de ce qu’a pu offrir le bain japonais au cours des siècles précédents, sans en conserver les valeurs. L’établissement de bain prend avec le super sento une forme récréative et ludique. On s’y rend pour profiter d’un moment ludique et de bienêtre. Le bâtiment intègre en son sein des éléments empruntés aux bains de vapeur coréens, scandinaves et arabes, il s’ouvre à d’autres horizons. Enfin, ces super sento sont parfois situés au cœur de complexes commerciaux plus vastes, ils participent à l’élaboration de véritables lieux de la consommation et du jeu. Jusqu’à présent, les japonais semblent arriver à détourner ces lieux en les rattachant à des bribes de traditions héritées d’autres époques. Derrière ce qui apparait naïvement comme une évolution de l’architecture dans la «décoration» intérieure des bassins et du bâtiment, c’est l’esprit du sento qui est réinventé. Il s’adapte aux conditions de vie et de pensée de ses clients et colle à leurs désirs, seuls éléments de mesure. Le super sento va désormais aller plus loin. Il modifie les habitudes en proposant de nouveaux types de bassins. Par le biais de groupes commerciaux, il devient prestataire de services, de produits et veut inventer un mode vie lui correspondant. Là où l’on peut percevoir un déclin, on peut aussi observer une naissance. Le super sento n’est pas une révolution dans l’architecture du bain japonais mais en

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est une évolution. Celle-ci témoigne de sa capacité à se réécrire en questionnant à nouveau les aspirations d’une société. L’avènement du super sento est un sujet révélateur de l’évolution du pays, l’urbanisation subit elle aussi des changements. La présence de parkings immenses, de zones indécises entre deux hangars, ces terrains vagues qui prolifèrent, sont l’expression d’une nouvelle façon d’appréhender la ville. En effet, l’adaptation de l’architecture commerciale à proximité directe du flux automobile, implique que l’espace public disponible soit réservé essentiellement à son déplacement et à son stationnement. Il en découle évidemment une faible densité de l’habitat et la présence limitée d’indices de vie. L’activité sociale de ces espaces urbains se concentre ainsi à l’intérieur même des grands bâtiments commerciaux qui le compose, à l’instar du super sento. L’étude de l’évolution de l’établissement de bains japonais jusqu’à ce jour, est révélatrice d’une diversité d’approches du projet. Elle permet d’établir des liens, des passerelles pour comprendre l’architecture des bains japonais actuels. Ces derniers témoignent d’un rapport à la source d’eau, au site et au programme, non pas identiques mais dans une certaine continuité intellectuelle. On peut distinguer parmi ces projets, des constructions au service d’une vision politique, culturelle et sociale, d’autres instrumentalisés dans un but commercial, ou encore répondant à des fonctions purement utilitaires. Au-delà de ces problématiques, les bains chauds représentent peut-être pour le peuple japonais, les centres les plus importants de la vie sociale. Se rendre aux bains n’est pas seulement une activité thérapeutique, calmante ou même hygiénique, c’est surtout un moment de sociabilité et de détente où l’on retrouve la compagnie des autres, à tout moment de la vie.

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BIBLIOGRAPHIE

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ANNEXES

ゆ

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Etablissements de bains étudiés et visités 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20

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Kairoukan Ryokan, Yunomoto Hirayama Ryokan, Yunomoto Motoyu Onsen,Takeo Kaisakan Onsen, Usibuka Yuno Hana super sento, Fukuoka Fukunoyu Sawara super sento, Fukuoka Gozenoyu, Dazaifu Nishida onsen, Kagoshima Tsukushinoyu, Dazaifu Sakurayu, Yamaga Kugino onsen, Kawayo Takachiho onsen, Takachiho Lamune onsen par Terunobu Fujimori Taketa sento transformé en restaurant Beppu ville termale I love Yu sento, Naoshima par Otake Shinro Funaoka onsen, Kyoto Sarasa, sento transformé en café, Kyoto Fujiya ryokan à Ginza, par Kengo Kuma Onagawa station & sento, par Shigeru Ban


Les 39 super sentos de la compagnie Gokurakuyu au Japon dont les 3 ĂŠtudiĂŠs 1 2 3

71

Gokurakuyu, Myazaki Gokurakuyu, Toyohashi Gokurakuyu, Natori


1

2

Vues aériennes des établissements de bains à l’échelle du quartier 1 2

Sento à Kagoshima Sento Funaoka onsen à Kyoto

3 4 5

Super sento Gokurakuyu à Myazaki Super sento Gokurakuyu à Toyohashi Super sento Gokurakuyu à Natori

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50m


3

4

73

5


A

B

0 1m

5m

Plan des établissements de bains, du sento au super sento A B C

Sento communement rencontré Sento Funaoka onsen à Kyoto Super sento Fukunoyu à Fukuoka

1 genkan 2 casiers à chaussures 3 espace vente 4 distributeurs de boissons 5 salon de coiffure 6 espace restauration 7 cuisine 8 comptoir d’accueil / bandai (A) 9 salon de massage 10 vestiaires 11 bassins intérieurs 12 hammam 13 sauna 14 bassins extérieurs 15 vers l’étage et les bains de vapeurs coréens 16 bains privatisés 17 engawa 18 jardin japonais 19 chaufferie / locaux techniques

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C

0 1m

75

5m


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(1) Kairoukan Ryokan, Yunomoto, Iki A

l’établissement depuis la rue

B

le bassin intérieur

C

le rotenburo avec vue sur la mer

A

(2) Un bain privé du Hirayama Ryokan, Yunomoto D

le vestaire

E

la douche

F

le bassin

B C

D

E

F

77


(3) Motoyu Onsen, Takeo A

l’entrée et les machines à tickets

B

le bassin intérieur

A

(4) Kaisakan Onsen, Usibuka C

le bassin extérieur

D

les bains intérieurs

B

C

D

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(5) Yuno hana super sento, Fukuoka A

la façade du super sento

B

la partie femme et la partie homme à l’étage

C

les bains à jets d’eau

D

cuve individuelle en fonte

E

les bassins extérieurs et le sauna

A

79


(6) Fukunoyu super sento Ă Fukuoka

A

B C

D

E

80


G

F H

I

81

A

le super sento et son parking

B

les machines à tickets pour manger

C D

l’escalier qui mène aux bains coréens

E

les casiers à chaussures

F

le restaurant

G

les sièges massants

H

la salle de restaurant

I

vue depuis la salle tatami sur le jardin

les bains coréens


(6) Fukunoyu super sento Ă Fukuoka suite.

J

K

L M

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N

P

Q

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J

les vestaires

K

le hammam

L

le sauna

M

la salle de massage

N

les baies vitrĂŠes de la salle des bassins

O

les bassins intĂŠrieurs

P

les bains en extĂŠrieurs

Q

les bains privatifs


A

(8) Sento Nishida onsen Ă Kagoshima

B

D

C

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E

F

G

A

le sento depuis la rue

B

le genkan, les casiers à chaussures et les entrées séparée hommes et femmes

C

le bandai et la guichetière depuis le vestiaire homme

D

les paniers en plastique, les miroirs et la baie vitrée donnant sur les bassins

E

l’espace de bain observé depuis les vestiaires

F

les bassins, au fond la porte du sauna et celle de la chaufferie à droite

G

l’eau s’écoule dans les bassins depuis la fontaine

85


(17) Funaoka Onsen à Kyoto

A

l’entrée du sento

B

le guichet et les entrée des vestiaires

C

la cheminée du sento

D

l’esapce d’attente et de collations

E

un vestiaire

F

le bassin extérieur en cyprès

G

le pont de pierre et l’étang des carpes

H

le bassin de pierre extérieur

I

la salle des bassins

A

B

C D

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E

G

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I


Je remercie mes directeurs de mémoire Monsieur Xavier Guillot et Madame Julie Ambal, pour leur suivi et les conseils qu’ils m’ont apportés durant ce semestre de travail à Bordeaux, Je remercie également le Professeur Doi Yoshitake qui a encadré mes recherches à l’Université de Kyushu entre septembre 2014 et Août 2015, Enfin je remercie mes parents pour leur soutien, Ainsi que mes nombreux partenaires de bains au Japon !

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Au Japon, les sources d’eau chaude naturelles sont nombreuses dans le sous-sol volcanique et le territoire est composé de nombreuses îles. La relation d’un peuple avec l’eau y est très forte. Seul ou en groupe, dans un bain public rempli de vapeur, dans un large bassin extérieur rempli d’eau de source naturelle ou dans leur propre salle de bain, la majorité des japonais s’immergent quotidiennement dans l’eau chaude. Mais ce bain n’a pas qu’une valeur hygiénique, il fait partie intégrante de la culture japonaise, qui est imprégnée d’une symbolique de l’eau, un élément perçu comme purificateur. Au travers des rituels bouddhistes, des mythes shintoistes et des formalisations architecturales religieuses, cet élément témoigne d’un lien au sacré. Depuis les premiers récits sur la culture japonaise et les bains pris en mileu naturel, la baignade en société a évolué. L’architecture de l’établissement de bains se décline aujourd’hui en de multiples structures. Parallèlement au developpement du thermalisme, qui prend la forme des onsen, la visite à un autre type d’architecture est fortement ancré dans les mœurs japonais. Il s’agit du bain public : le sento. Cependant, ce dernier semble depuis quelques décennies disparaître progressivement au profit d’un autre, le super sento, entrainant l’évolution d’une pratique de quartier à une échelle métropolitaine. Ce mémoire veut comprendre le processus de construction de ces lieux dans le Japon contemporain. mots clés : établissement de bains publics, Japon, sento, super sento


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