« Retissage d'un paysage quotidien numérisé » - Camille Vinas

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Retissage d’un paysage quotidien numérisé L’influence des « nouvelles » technologies de communication sur les pratiques de l’espace

Camille Vinas

Résumé : Notre quotidien est aujourd’hui de plus en plus marqué par la présence du numérique. Son impact sur les modes de vie se traduit à la fois de manière physique et virtuelle en nous proposant de nouveaux services, une extension des possibilités. Même si cela se développe spatialement de manière assez discrète on remarque un réel changement dans la perception du temps qui évolue conjointement avec les nouvelles technologies de communication.

Connecté / Espace / Intermédiare / Mutation / Numérique / Réel / Temporalité / TIC / Virtuel /


Retissage d’un paysage quotidien numérisé.

L’influence des « nouvelles » technologies de communication sur les pratiques de l’espace Camille Vinas L’essor très rapide des nouvelles technologies de communication changent notre rapport au monde et également notre rapport entre individus. C’est le développement de nouvelles dynamiques entre espace social, individuel, modes de vie et usages. Depuis plusieurs dizaines d’années nous faisons face à l’émergence d’un espace virtuel, immatériel. L’accès à cet espace se fait par l’intermédiaire d’objets connectés tangibles (smartphones, tablettes, ordinateurs …) qui sont la porte d’entrée d’un espace intangible donnant accès à une profusion d’informations. En parallèle, l’espace physique reste quant à lui, par essence, un lieu que l’on peut parcourir et avec lequel il est possible d’interagir directement. Mais cette « dualité » entre réel et virtuel ne se dessine pas si clairement.

Deux écoles de pensée

Lorsque la question de l’impact du numérique sur notre société à commencée à se poser, deux écoles de pensée ont vu le jour. D’un coté une vision assez sceptique et alarmiste du numérique soutenue par Paul Virilio et Hartmut Rosa qui pointent les périls de la technologie. Dans son ouvrage « Cybermonde, la politique du pire », Paul Virilio blâme l’émergence de la télé-città qui annonce « la désintégration de la communauté des présents au profit d’une spectralité du lointain ». Il parle de «temps réel qu’on urbanise au moment où l’on désurbanise l’espace réel». Ces réflexions se tournent vers une notion récente qui est celle de la « technophobie ». Le « technophobe » étant une personne malade, éprouvant une réelle peur vis à vis de la Technique. Ce terme est aussi utilisé pour désigner les personnes mettant en doute les bienfaits des nouvelles technologies et leurs usages. « Rien n’arrive, tout se passe » Paul Virilio, La bombe informatique, Paris, Éditions Galilée

Michel Lussault, géographe, dans son ouvrage « L’Homme spatial » nous dit : « l’instantanéité communicationnelle n’oblitère ni l’espace ni la spatialité : elle leur donne une fonction et des registres nouveaux. Ceux qui estiment que la télécommunication annihile l’espace sont surtout aveugles à la complexité des situations spatiales qu’elle autorise ». « La ville est là. Elle est notre espace et nous n’en avons pas d’autre. »

Georges Perec, Espèces d’espaces, 1974

Il existe une ambivalence à propos de cette mutation survenue dans nos sociétés. Même si nous vivons aujourd’hui dans un monde connecté qui induit de nouveaux modes de vie, le numérique ne ferra pas disparaître les liens sociaux qui unissent les sociétés. Le numérique offre une nouvelle dimension à de nombreux domaines. C’est une couche, une strate qui vient s’ajouter à ce que l’on connait déjà, de l’ordre de la complémentarité. On pourrait parler de supplément numérique, une extension qui s’applique au monde physique. L’espace public est l’espace ou les gens se rencontres, échangent et sans l’action des individus dans ce dernier il n’y aurait pas de vie urbaine. La croissance des outils numériques s’accompagne de la croissance des évènements réels ou virtuels. Pour ce qu’il en est de l’espace physique, plutôt que de supposer que le numérique est un vecteur de détachement de nos territoire, voyons plutôt comment un contexte spatial qui propose un second niveau de lecture peut enrichir l’expérience de ses usagers. Comment les TIC instaurent-elles une nouvelles forme de sociabilité, de nouveaux usages ? Les TIC sont elles génératrices d’une nouvelles vision de l’espace physique ? Dans un premier temps il est important de rappeler qu’Internet est un média qui diffère de la TV ou la radio par exemple, qui sont juste des moyens de diffusion. Internet est participatif et permet des échanges. C’est notamment cet aspect qui est vecteur du déplacement de l’action depuis les outils numériques vers l’espace physique pour en assurer une continuité.

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Certaines pratiques numériques ont besoin d’un support physique. On assiste à l’apparition d’espaces nouveaux d’interaction entre usages virtuels et pratiques réelles. Certains exemples montrent bien comment les TIC modifient certains modes d’organisation dans le domaine du travail ou de la mobilité par exemple, en agissant sur l’espace réel de nos territoires. En effet, des individus aux intérêts communs tendent à se rapprocher et le numérique peut être une clé de développement des certains liens et nouvelles formes d’interactions.

Quelques exemples significatifs

Si l’on cherche à comprendre quel est l’impact au quotidien des TIC sur nos vies, nous pouvons prendre comme base de nos recherches le déroulé d’une journée type. Dans un premier temps nous pouvons nous interroger sur la transformation au niveau des transports, puis des lieux de travail, du commerce et enfin du divertissement. - Le numérique et le partage de transports. Nous prendrons l’exemple le plus développé aujourd’hui qui est celui du partage de voitures, notamment par l’intermédiaire du site internet développé à l’international, Blablacar. Le site permet la mise en relation des passagers et des conducteurs via Internet. De nouvelles pratiques de la mobilité se dessinent. L’automobile en elle même reste inchangée en tant qu’objet de déplacement mais change dans l’usage qu’il en est fait. Le covoiturage fait de plus en plus partie de la vie quotidienne de nombreux français. Le numérique permet d’enrichir la qualité de vie de chacun par l’intermédiaire de nouveaux services de mise en partage des resources. Cette pratique passe par le partage des coûts de trajet et une plus grande convivialité car en effet, la qualité ne passe pas seulement par un temps de déplacement idéal, un gain de temps mais a aussi une composante sociale. De plus, à une époque où l’on essaie de faire plus attention à la consommation énergétique, à la pollution, le covoiturage permet à chacun d’être un peu plus responsable vis à vis de ces thématiques. Le numérique permet d’enrichir la qualité de vie de chacun par l’intermédiaire de nouveaux services. Spatialement on note l’apparition d’aires de covoiturage. Les collectivités se préoccupent davantage de proposer des aménagements pour faciliter le covoiturage. Nous pouvons également évoquer l’apparition des services d’autopartage, ce sont des véhicules électriques en libre service, nommés BlueCub à Bordeaux. Ces services nécessitent des emplacements de stationnement spéciaux. Plus de 70 stations ont été créées sur la métropole bordelaise depuis le lancement du service BlueCub en janvier 2014. Concrètement, par l’intermédiaire d’un smartphone via une application dédiée, chaque personne voulant utiliser une voiture du réseau doit la réserver avant d’aller la retirer. Ce système permet de trouver une voiture en arrivant à la station. De la même manière il est possible de réserver un emplacement pour stationner la voiture à l’endroit de la destination voulue.

Panneaux de signalisation d’aires de covoiturage, nouveaux points de rencontre.

Ensemble des stations BlueCub disponibles sur la Métropole Bordelaise. Source : https://www.bluecub.eu/stations/

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- Le numérique et la transformation du travail. Le développement de lieux de travail en lien avec le numérique est de plus en pus fréquent. Ces lieux semblent mettre en avant une forte dimension communautaire. Les espaces de coworking permettent d’établir et de favoriser les échanges en un lieu dédié ou le passage permet des rencontres qui n’auraient peut-être pas eu lieu autrement. Parmi les espaces de coworking il existe les MédiaLab, centrés sur la fabrication de contenu numérique et multimédia. Aujourd’hui ces lieux de partage de bureaux, initialement nommé «desk sharing» - lancé par Anderson Consulting en 1995 -, sont possibles grâce à l’apparition de terminaux mobiles tels que les ordinateurs portables ou du stockage ou partage de données sur Internet. En effet, ce sont ces innovations qui permettent une liberté de travail sans besoin d’un poste de travail fixe.

Capture d’écran du site internet Makery qui recense les Labs, «Lieux et espaces tiers dédiés à la fabrication numérique». «Cette carte est une ressource en cours, qui propose un état des lieux complet sur la France et une vision partielle pour le reste du monde de ces nouveaux lieux de fabrication ouverte.»

- Le numérique et le commerce. Les espaces Drive des supermarchés offrent de nouvelles commodités. Le Drive permet aux consommateurs de préparer une liste de commande de courses sur internet et de pouvoir récupérer directement leurs courses dans un endroit dédiés des supermarchés sans avoir à parcourir les rayons. Cette nouvelle manière de faire ses courses est basée sur l’évolution des comportements des consommateurs. En effet, les grandes surfaces ont observés une baisse de fréquentation de 12% en 2012.2 Les TIC ouvrent la voie à de nouveaux modes de consommation. Au delà des Drives se développe de plus en plus le commerce libre accès 24/24h. On voit apparaitre des services de retraits sous formes de casiers accessibles à n’importe quelle heure, qui mettent à disposition des clients les commandes (y compris frais et surgelés) passées en ligne, dans un délai de trois heures chez Intermarché par exemple initié à Libourne en mars 2015.

- Le numérique et le divertissement : jouer en ville. Il existe des jeux urbains initiés par le numérique. Ces jeux ont comme but premier d’initier des rencontres et d’interagir avec le milieu urbain en proposant par son intermédiaire une nouvelle vision, perception de celui-ci. 2

«Les commerces en France», CBRE Etudes et recherches, étude annuelle 2013

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En ayant comme terrain de jeu un espace physique ces jeux numériques se différencient des jeux vidéos « classiques » dont l’unique interface est un écran. Même si il est possible grâce au réseau internet de jouer en multi-joueurs, ces jeux n’ont pas d’interaction avec le monde réel. Nous prendrons pour illustrer ces nouvelles pratiques de jeu l’exemple du jeu « Street Wars ». C’est une jeu dit de traque urbaine. Le but du jeu consiste à pourchasser une personne dont le joueur a au préalable reçue des informations (photo, indices …) en s’inscrivant sur le site internet du jeu. Le jeu se déroule sur une période de trois semaines. Le jeu peut regrouper jusqu’à 300 joueurs. Chaque joueur ayant trouvé une cible le notifie sur le net. La dernière personne à ne pas avoir été retrouvée est la gagnante. Les frontières entre le monde réel et le jeu sont gommées. Tous les joueurs peuvent être traqué à n’importe quel moment de leur quotidien du moment qu’ils sortent de chez eux. Chaque joueur créer l’action et fait évoluer le jeu. Avec ce nouveau type de jeu, le réel est intégré comme une compostante du scénario de jeu. Un réseau communautaire à la fois virtuel et réel se créer. Ces jeux sont l’occasion d’expérimenter la ville de manière inhabituelle. - Le numérique et la transmission de savoirs. On observe un rapprochement des générations par le numérique. En effet, c’est une technologie relativement récente qui apparaît complètement intuitive aux générations actuelles (nommées « Digital Natives »), mais sa compréhension l’est généralement moins pour une certaine catégorie de population plus âgée. Ces écarts de connaissance sont une occasion de partage et de transmission. Il existe plusieurs programmes qui visent à faire découvrir l’univers du numérique aux séniors. La transmission est alors « inversée ». Alors que traditionnellement les séniors enseignent aux juniors, il se produit ici l’inverse. L’idée est de créer une dynamique de transmission plutôt que de laisser le numérique s’instaurer comme un élément de ségrégation et de fracture. L’antenne parisienne du réseau PWN (Professional Women’s Network) a lancé, le 2 février 2016, ce qu’elle nomme le « reverse mentoring digital », autrement dit un mentorat numérique inversé, qui promeut, comme nous l’avons évoqué précédemment la transmission des compétences numériques des juniors aux séniors. Ce projet s’inspire d’autres programmes similaires mis en place par des entreprises telles que Danone, Orange, SNCF etc...2 Même si comme nous l’avons vu le numérique induit des changements spatiaux assez mineurs, nous voyons en revanche que l’impact sur le temps n’est quant a lui pas négligeable.

TIC et temporalité

Le sujet de l’accélération des villes et des modes de vie est un sujet d’actualité qui induit un questionnement sur la naissance de nouvelles pratiques de l’espace et également du temps. Grâce à l’apparition de nouvelles technologies les distances se réduisent tant physiquement que virtuellement, les territoires se transforment et se globalisent. Selon certaines études il paraitrait que la Terre nous apparaît soixante fois plus petite qu’avant la révolution des transports. On observe cette accélération dans tous les domaines, des transports, comme évoqué précédemment, à la consommation en passant par le travail et la communication. En effet, la perception du temps prend de plus en plus de place dans notre vie quotidienne. Ces progrès, paradoxalement, donnent l’illusion que le temps passe de plus en plus vite. Selon Hartmut Rosa, «plus nous gagnons du temps, et moins nous en avons ». Il parle de ce sujet en utilisant le terme de « famine temporelle ». Le nombre d’heures dans une journée n’a pourtant pas changé mais, de plus en plus, un phénomène de société incite à rentabiliser chaque seconde et convertie notre quotidien en une succession d’actions exécutées sur un rythme effréné. En effet, la vitesse est grandement valorisée dans notre société. Chaque individu est poussé à exercer de plus en plus d’activités dans un même espace-temps (multitasking). Le temps se fractionne car la quasi instantanéité des informations permet de changer rapidement d’activité et permet une réaction immédiate. Après la révolution industrielle du XIX° siècle et l’apparition des transports de masse ainsi que la démocratisation des véhicule automobiles, nous assistons à une nouvelle révolution qui est celle des moyens de transmissions. Comme le dit Michel Lussault dans son texte « L’espace à toutes vitesses », nous vivons dans http://www.lemonde.fr/emploi/article/2016/02/10/reverse-mentoring-quand-le-numerique-permet-de-rapprocher-les-generations_4862885_1698637.html#q2ZI2SBUjird0gSj.99

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une société « post-mobilitaire ». Après la seconde moitié du XX° siècle et la mobilité physique, aujourd’hui les nouveaux fondements de notre culture temporelle et spatiale sont dans le numérique. « On dit que la vitesse de la communication a augmenté de 107 %, la vitesse des transports personnels de 102 % et la vitesse du traitement des données de 1010% » (Geißler, 1999; 89, in Rosa, 2012, p. 18) En effet, la perception du temps prend de plus en plus de place dans notre vie quotidienne jusqu’à se transformer en élément consommable. En réalité, ce n’est peut être pas le temps qui manque mais la manière de l’utiliser qui se complexifie. On observe une volonté de pouvoir mesurer le temps. L’heure est un élément qui apparaît très souvent que ce soit par l’intermédiaire d’une montre, sur la majorité des objets connectés (ordinateurs, téléphones, …) En réponse à ce phénomène on a constaté l’émergence d’un mouvement dit « Slow ». Ce mouvement a vu le jour dans un premier temps dans les années 80, à l’initiative de l’italien Carlo Petrini qui a lancé le « Slow Food ». Cette envie de se réinterroger sur les habitudes alimentaire est apparue en réaction au développement des fastfoods. Ce courant du « slow » s’est ensuite rependu dans d’autres domaines dont celui de la ville avec la « slow city » qui amène le citoyen à pendre conscience du temps. Il existe également un label « slow city » qui promeut 70 recommandations sur la conception des villes pour amener à un nouvel état d’esprit. Mais ralentir, est-ce possible au XXI° siècle ? N’est-ce pas une idée incompatible avec le développement des nouvelles technologies ? Plutôt que de ralentir, l’objectif n’est-il pas de trouver le bon rythme ? Désacraliser la vitesse ?

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Bibliographie : Ouvrages : -

ROSA, Hartmut, Accélération. Une critique sociale du temps, La Découverte, coll. « Théorie critique », 2010. LUSSAULT, Michel, L’Homme spatial : la construction sociale de l’espace humain , éd Seuil, 2007. MARZLOFF Bruno, Sans bureau fixe - Transitions du travail, transitions des mobilités. FYP Edition 2013. VIRILIO,Paul, La vitesse de libération, Paris, éd. Galilée, 1995.

Articles : - «Les «drives» : une nouvelle forme de commerce en forte croissance», Communiqué de presse - Une nouvelle publication de la DGE, 19/09/2014. Sites internet : -TROMPETTE Yoan, «Design et accélération», Essais, 2013. Disponible sur : https://issuu.com/clarariviere/docs/ essais - BlueCub, Société BlueCub, [consulté le30 décembre 2016 ]. Disponible sur : https://www.bluecub.eu

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