Alexia Barritault
Le squat,
porteur d’une révolution urbanistique ? Etude du cas de Christiania, à Copenhague
Mémoire de master en architecture Parcours IAT enseignants : Xavier Guillot et Julie Ambal Juin 2016 ensapBx
Table des matières p. 4
Avant propos p. 6
introduction
01. Le squat, révélateur des nouveaux processus de production de la ville ?
p. 16
1.1
Fabrication urbaine : la ville en perpétuelle mutation
p. 18
1.2
L’occupation illégale, un phénomène nouveau ?
p. 21
1.2.1 Le squat, installation inhérente à la fabrication de la ville
1.2.2 Le squat, espace vivant et mobile
1.3 Peut-on parler d’un urbanisme de squatteur ?
p. 28
1.3.1 Le squat synonyme de révolution : 1ère forme d’urbanisme
1.3.2 La réhabilitation et la participation : fondements d’un urbanisme du squatteur
02. Le squat, au delà de sa stigmatisation, un moteur de la régénération urbaine ? p. 36 2.1 La temporalité du squat, levier d’action d’un nouveau dynamisme urbain
2.1.1
2.1.3 L’enrichissement par l’appropriation
2.2
Christiania, un espace subversif
Processus d’interventions urbaines dans la ville
2.1.2 Élaboration d’une « pluri-compétence » du squatteur
2.2.1
2
p. 40
Christiania théâtre de l’action politique
p. 69
2.3 Tolérance et contractualisation, le squat, nouveau lieu de l’expérimentation sociale et urbaine
2.3.1 Christiania, mise en place de l’action publique
2.3.2 Christiania et stigmatisation territoriale
2.3.3 De la tolérance du squat, au statut d’expérimentation sociale
03. Le squat, Apports et limites d’un modèle d’urbanisation alternatif
p. 75
p. 86
3.1 Vers une normalisation du squat, un contrôle de ce nouvel ordre urbain p. 88
3.1.1
Institutionnalisation progressive des pratiques de la «ville libre»
3.2
Métropole et représentation : Christiania au cœur de nouveaux enjeux
3.2.1 Le squat, une aubaine d’usages pour la ville
3.3 Quel avenir pour Christiania ?
3.3.1 Christiania, dans l’impasse de l’utopie
3.3.2 D’autres formes de transactions urbaines
3.4 De l’alternative à l’institution, un processus inévitable ?
p. 97
p. 107
p. 121
3.4.1 Les limites de l’institutionnalisation
04. Conclusion bibliographie
p. 126
p. 136
tableau des illustrations p. 142
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Avant propos Sur le chemin...
figure 01. Au-delĂ des apparences, 2012
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Avant propos
I
l y a maintenant cinq ans, je me souviens être entrée dans cette salle de l’école, pour défendre mes ambitions, et ma volonté d’être architecte. J’étais jeune, sûrement naïve aussi, et sans aucune connaissance pointue de l’architecture. Et pourtant. Je n’avais jamais entendu parler de Le Corbusier, ni d’Alvar Alto, ni de Renzo Piano ou encore même de Tadao Ando. Je ne connaissais pas cette architecture qui semblait être la référence de tout bon architecte; mais je connaissais la mienne, celle que je pratique chaque jour. Je me souviens avoir conté cette architecture, celle qui m’entourait quotidiennement et que je qualifiais de belle parce qu’elle était le cadre de ma vie, de nos vies. En réalité, ce n’est seulement aujourd’hui, que je perçois la vérité et la justesse de ces mots. De la cathédrale monumentale à la station de tramway, l’architecture nous entoure sans que nous en ayons toujours pleinement conscience. Elle est pourtant au cœur de notre vie : elle nous abrite, et nous permet de vivre ensemble. Elle est un abri, notre «chez soi», notre restaurant préféré, notre église, notre école, notre cour de récrée, notre gymnase, notre bibliothèque de quartier, notre maison de vacances, notre maison d’enfance, elle est notre quotidien et compose mélodieusement notre ville. À chaque minute, chaque pas que nous faisons, nous vivons l’architecture, nous la pratiquons, l’usons d’appropriations et en composent des poèmes d’actions. Chacun, à sa manière façonne l’architecture de notre quotidien, et dessine le visage de notre ville. Je suis désormais à quelques mois de ce diplôme qui m’autorisera officiellement à dessiner mon architecture. Et pourtant, j’ai le sentiment de n’avoir observé et considéré qu’une seule partie de celle que j’ambitionne de faire. C’est pourquoi, aujourd’hui, loin du côté élitiste de la pratique architecturale, je souhaite au travers de ce mémoire, observer et raconter l’architecture de l’Homme, acteur de son environnement, cet architecte de la rue n’ayant suivit un quelconque enseignement et qui pourtant est auteur d’une urbanité riche et fertile pour nous, futurs architectes et urbanistes. Je souhaite considérer cette autre façon de vivre la ville, et de la concevoir ; loin de la norme et de la rationalité, mais proche de cette pensée et vision de la discipline que je me construis chaque jour.
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introduction
Lettres aux villes qui s’aseptisent
figure 02. S'approprier l'espace et le vivre, 1950
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Introduction
«[…] Vous vivez dans le dernier « vieux » quartier de Genève : les Grottes. Il est en train de se faire raser, sous vos yeux, sous votre fenêtre, jour après jour. On le rase comme on sait le faire de nos jours, en douceur, avec une douceur sardonique, avec un joli sourire écologiste et des jolies sérénades au «développement durable ». C’est le fameux capitalisme à visage humain, qui ne détruit plus les vieux quartiers à coups de bulldozer mais à coups de rénovations, qui n’y plante plus des tours en béton, mais des lampadaires et des pavés en plastique, des nouveaux habitants et des nouvelles habitantes, aisé-e-s […]. Le service de l’urbanisme est bien plus apte que quiconque à choisir la norme qui est bonne pour tout le monde et surtout pour l’image de la ville, laissons le faire du modélisme avec nos rues, il nous peaufinera les plus belles maquettes qui soient, et elles seront grandeur nature. Nos hôtes aux cravates satinées (et aux poches pleines) pourront enfin aller de l’ONU à la banque sans risquer à aucun moment d’être surpris. La même netteté, la même asepsie, la même sécurité, la même sécheresse, couvrira tous les trottoirs qu’ils emprunteront, et ils n’auront même plus l’impression de quitter leur bureau en arpentant la rue de la Faucille […]. Voisine ou voisin, j’enrage maintenant parce que je suis jeune et fougueux. Mais ne t’en fais pas. Tout le monde me dit que c’est une étape. Il paraît qu’on vieillit très très vite. Qu’en vieillissant on voit des tonnes de Grottes poignardées, on voit des Croix Rousses, des Paniers, des centres florentins, crever par dizaines, par centaines, et on se blase, on comprend que c’est comme ça, que c’est le cours de l’Histoire, qu’on n’y peut rien. Quand je serai vieux (l’année prochaine ?) je n’arriverai pas à enrager parce que je serai comme toi, je chercherai mon petit nid dans la société, mes petites matinées sucrées dans mon studio, je paierai mes impôts et je ferai mes courses : je financerai les Etats, les armements, les autoroutes, les multinationales, la misère noire du Sud, parce que faire autrement c’est trop compliqué quand on est des hommes, des vrais. Autant se ménager une vie pas trop extraordinaire avant que notre passivité complice ne fasse exploser la planète. Ou ne la transforme en verre. Une bille toute ronde, toute lisse, absolument sûre, complètement morte.» Anonyme, Genève, non daté Les mondes du squat, anthropologie d’un habitat précaire, Florence Bouillon(2009)
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Cet anonyme de Genève nous l’affirme dans sa lettre. Les villes s’aseptisent
et se façonnent au gré des grandes décisions politiques, entraînant avec elles la mort progressive de ses pratiques. Les espaces publics tendent à s’immobiliser et se stériliser de toutes formes d’usages et d’appropriations. La vie qui faisait écho autrefois dans les rues ne résonne plus et laisse place au silence de la norme qui « est bonne pour tout le monde et surtout pour l’image de la ville ». Cette question de l’image, est aujourd’hui très ancrée dans le phénomène de métropolisation auquel nous assistons tous. Les villes rentrent peu à peu dans une compétition intense de la représentation, où chacune, développe ses propres politiques urbaines en vue de façonner un nouveau visage. On assiste alors aujourd’hui à une multiplication et une diversification des modes d’interventions sur le territoire où, sous le poids des décideurs, les architectes, urbanistes et désormais les usagers, s’unissent pour imaginer et dessiner la ville de demain. À l’heure des grandes questions de durabilité des villes, un nouvel intérêt pour les espaces délaissés émerge, et fait l’objet d’une révolution dans l’appréhension et la représentation de la ville d’aujourd’hui, ainsi que dans les modes de fabrication de celle de demain. S'ils ont bien longtemps été considérés comme un « négatif » de l’espace de représentation, ils semblent au contraire être le nouveau terrain de jeux des citadins, le théâtre de nouvelles appropriations et l’aire de nouvelles urbanités. En effet, parallèlement aux politiques urbaines visant à dessiner des espaces représentatifs du pouvoir et de l’autorité, de nouvelles tendances alternatives y voient le jour. Là où la métropole contemporaine est désireuse de créer une nouvelle morphologie urbaine pour une ville mondialisée, des organisations en marge de la société à la recherche de nouvelles façons d’habiter, réinjectent de la vie au cœur de ce patrimoine oublié et redonnent à l’usager son rôle d’acteur social au sein du processus de fabrication de la ville. Si ces systèmes alternatifs font intégralement parti de la composition des villes de nos jours et tendent à être reconnus, leur parcours n’a pas été des plus sereins et sans encombre. Parmi eux, s’inscrivent les squats; installation illégale d’un lieu inoccupé par des personnes sans logement. Étymologiquement, le verbe squatter provient du vieux français esquatir ou esquater, autrement dit, aplatir, écraser. Exporté aux États-Unis autour du XVIIIème siècle, to squat signifie dans un premier temps s’accroupir, se blottir. A la fin du XVIIIème siècle, le verbe désigne plutôt le fait de s’agripper, et l’image du squatteur devient par devenir celle du pionnier qui s’emparait des terres de l’Ouest encore inconnues, sans aucun titre de propriété et sans aucun loyer payé.
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Introduction
À l’instar du bidonville, du logement insalubre voir même du ghetto, le terme squat est souvent utilisé de manière péjorative et intègre indiscutablement la famille des « mots de la stigmatisation urbaine1 ». Selon Florence Bouillon, qui a étudié les squats dans son ouvrage Les mondes du squat, anthropologie d’un habitat précaire, les squatters ont mauvaise réputation car ils incarnent l’angoisse de nos sociétés modernes vis-à-vis du parasitisme. Leur mobilité renvoi l’image de celle de vagabonds qui, en contrevenant le droit de propriété, porte atteinte aux libertés individuelles, à l’ordre public et la sécurité des citadins. Toutefois, si le principe d’occupation illégale relève d’une image négative aux yeux de tous, le squat possède d’autres visages capables d’équilibrer les opinions publiques. En effet, il lui est également associé la qualification juridique « d’occupation sans droit ni titre », celle « d’occupation par nécessité » voire de « squart » quand il est énoncé de manière plus poétique par les journalistes souhaitant désigner les squats artistiques. Ainsi, le squat semble pouvoir être envisagé comme « résidence permanente pour certains habitants, un point de chute ponctuel au sein d’une trajectoire migratoire pour d’autres, et un lieu d’activités politiques ou artistiques pour d’autres encore. Il peut être collectif, familial ou individuel, ouvert sur l’extérieur ou pas, en quête de visibilité ou au contraire de discrétion, insalubre ou confortable, situé en centre-ville ou en périphérie, violent ou pacifique [...]2» (Bouillon, 2009, p.6). Mais quelles sont réellement les raisons qui motivent les squatteurs à occuper un lieu illégalement ? Et en quoi ces motivations impactentelles l’occupation du lieu ? L’énumération des différents visages du squat nous amène à considérer l’existence de deux formes de squats ; ceux dits «de nécessité», invisibles et cachés, répondant à un besoin primaire de trouver un toit, et ceux dits «d’activités», où la contestation d’une société capitaliste qui déshumanise nos villes et individualise nos citoyens se fait entendre. A chacun de ces squats, s’attachent naturellement des acteurs et des motivations différentes. Au sein du squat dit « de nécessité », la situation de précarité dans laquelle se trouvent les squatteurs, justifie dans un premier temps leur occupation illégale. Force est de croire que le manque de logement au sein des villes serait la raison principale de l’existence de ces squats. Cependant, ces lieux dénoncent avant tout le rôle majeur joué par les politiques urbaines. Le problème est en effet bien politique. Le parc immobilier se structure en marché. La propriété est un droit et le logement un bien qui se monnaie.
1 DEPAULE Jean Charles, Les mots de la stigmatisation urbaine, édition de la Maison des sciences de l’homme, Paris, 2006, p.15 2 BOUILLON Florence, Les mondes du squat, anthropologie d’un habitat précaire, collection Partage du savoir, 2009, p.13
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Le squat, synonyme de crise du logement, n’a jamais émergé d’une pénurie réelle de logements, mais toujours de son inadéquate répartition. C’est donc la tendance à l’exploitation de la politique immobilière des propriétaires qui est dénoncée. Si les HLM ont tenté de se poser en solution à ce problème, ils répondaient seulement dans l’urgence, à un manque quantitatif de logements plus qu’à la création de logements de qualité pour accueillir décemment ces personnes dans le besoin. Finalement, le constat du renforcement de l’exclusion de ces populations ainsi que la multiplication de logements non conformes, ont pointé du doigt l’incapacité des politiques urbaines et notamment des HLM à répondre à la problématique de ce mal logement. Bien au contraire, ils ont poussé les squatteurs à investir les interstices urbains, lieux vacants de la ville jusqu’ici, tombés dans l’oubli. Pour la plupart, travailleurs immigrés, « salariés en crise », et sous-prolétaires, ces squats « de nécessité » représentent pour les squatteurs, un moyen de manifester leurs revendications pour un logement décent. Loin d’être une bataille politique ou idéologique, leur occupation est au contraire, « un moyen de quitter leur taudis, un 3 moyen de pression pour obtenir un logement, plus qu’un but ou qu’une fin en soi » Au-delà de lutter pour l’obtention de logements décents pour tous, et d’établir un rapport à la crise du logement, les squats « d’activités », s’attachent eux, à des enjeux d’ordre politique, social et urbain. Animés principalement par des militants, des étudiants et des intellectuels révolutionnaires, les squatteurs utilisent la situation précaire des premiers acteurs du squat énoncés plus tôt, pour amener le débat sur un terrain plus politique et social, afin de provoquer une réponse des gouvernements. Leurs revendications prônent alors l’aspiration à un autre mode de vie. Plus marginale et contestataire, ils dénoncent et refusent une société du tout contrôle, où le capitalisme l’emporte sur le «vivre ensemble», et où les usagers sont démunis de leur rôle d’acteurs sociaux. Par leur dynamisme et leur implication dans la construction de cet autre mode de vie et le développement de lieux de rencontres et d’échanges, les squats d’activités réinventent résolument la ville achevée et formatée qu’on tente de leur imposer, et offrent paradoxalement, une liberté d’élaboration de nouveaux possibles urbains. Leur revendication est donc double : le droit au logement, mais surtout désormais, le droit à la ville, le droit de s’approprier les lieux, d’en user de pratiques, de se rassembler pour affirmer son intériorité, l’accomplissement de soi et de «l’être», au sein d’un collectif pour une réhabilitation digne de l’Homme.
3 DUPREZ Dominique, Les revendications à vivre autrement. Déclassements, paupérisation, marginalité et nouveaux rapports à l’espace, Contradictions, 1984, n°38, « Les squatters : les genèses sociales d’un mouvement urbain localisé », p.104
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Introduction
En se positionnant en tant que contestataires face à la ville, les squatteurs et donc les squats apparaissent alors comme dimension constitutive et inhérente à la construction même de la ville moderne. Ils naissent là où la ville disparaît et comblent les gouffres provoquées par des restructurations urbaines mal menées. Les squatteurs, aux vues de leurs actions menées, deviennent certaines fois de nouveaux interlocuteurs légitimes aux yeux de la ville, et tendent à devenir le terrain d’expérimentation pour de nouveaux possibles urbains. De squats d’activités éphémères, certains, évoluent donc au statut de lieux alternatifs, allant même jusqu’à requalifier le territoire dans lequel ils s’inscrivent. Alors ancrés dans le paysage de la ville qui pourtant autrefois, les stigmatisait, ces lieux alternatifs révèlent ainsi un des grands paradoxes de la fabrication de la ville. Si des pratiques « parallèles » ou alternatives d’occupation existent, elles sont en partie dues à une incapacité des pouvoirs publics à assurer certains besoins de la population. Les squatteurs, cherchent à investir des espaces vacants, pour pallier aux carences des services publics et faire émerger un lieu des possibles grâce à leurs actions. Aujourd’hui, au cœur du phénomène de mondialisation, les villes sont désormais perçues comme une ressource finie, attractive et concurrente, conduisant progressivement les décideurs à intégrer à leur tour, les espaces vacants de la ville dans leurs propres politiques urbaines. De plus, la multiplication d’organisations alternatives au cœur des interstices où semble se développer un nouveau lieu de l’innovation urbaine, riche d’appropriations, révèle une source certaine d’un enrichissement du visage de la métropole. Les autorités publiques entretiennent alors doucement un rôle ambiguë avec ces installations pourtant illégales, et placent les squats au centre d’un combat sans fin entre légitimité et légalité. Entre répression et tolérance, la ville cherche dans un premier temps, à contrôler, encadrer ces lieux de contestations pour ensuite les accompagner dans leurs démarches. Peu à peu, elle reconnaît l’urbanité de ces lieux, et le retour d’un dynamisme qui s’étend au-delà de la réhabilitation d’un patrimoine oublié, à savoir la reconnaissance de l’usager en tant qu’acteur social de son environnement et de son rôle dans la conception de la ville de demain. Désormais, c’est donc une dualité dans le processus de fabrication de la ville qui apparaît : deux démarches qui s’opposent et se croisent à la fois. Dans une nouvelle ère urbaine, la combinaison de ces deux procédés semble répondre aux exigences de la ville, par la projection de nouvelles pratiques urbaines et citadines, mais surtout par l’intégration de l’usager au cœur du foisonnement décisionnel des villes.
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Ces deux démarches présentent des critères à l’origine de ces actions certes différents, mais paraissent néanmoins développer une ambition commune : celle de l’évolution de la ville contemporaine s’appuyant sur les potentiels de reconversion et de régénération urbaine. Le but étant dans un premier temps, de palier à l’étalement urbain et dans un second, à l’absence de participation de l’usager au sein du processus de conception de la ville. Christiania, île située au cœur de Copenhague au Danemark et auto-proclamée «ville libre» depuis quarante-cinq ans, fait de nos jours figure parmi ces squats d’activités à l’origine du développement de quartiers alternatifs. Cette île accueillant autrefois une caserne militaire, fut réinvestie par un groupe de squatteurs hippies dans les années 1970, à la recherche d’un terrain pour pouvoir expérimenter et construire cet autre mode de vie, contestant le système capitaliste danois. Les quelques trente-quatre hectares de terrains sont aujourd’hui bien loin de l’image de bâtiments vétustes, voire pollués de restes nocifs de poudre à canons abandonnés par le départ des troupes militaires. Désormais, ces anciens édifices sont éclectiques, colorés, et le support de peinture au service d’un art contestataire. Ils abritent plus d’une cinquantaine de collectifs divers exerçant des activités industrielles, artisanales, commerciales, culturelles, sanitaires ou théâtrales. Du plus « grunge » au plus bucolique, chaque quartier développe sa propre atmosphère, faisant de cette île, une véritable « ville dans la ville » de Copenhague. J’ai eu l’occasion lors de mon expérience Erasmus, de pouvoir atterrir à Copenhague et de me perdre librement dans les rues colorées et animées de Christiania. J’ai erré dans ces rues et baigné dans ce monde aux milles imaginaires. Étrangement, il est assez difficile d’exprimer ce que l’on ressent en entrant dans cette «ville libre», hormis le fait que la réalité de ce lieu nous transporte dans un tout autre monde sans en avoir réellement pleinement conscience. Loin de la rigueur scandinave des rues de la capitale et de l’âpreté de la tenue vestimentaire de ses habitants, le fourmillement anarchique de cette île, se dissipe dans l’ambiance joyeuse et juvénile de ce monde atypique. C’est finalement en dépassant le panneau qui annonce «Vous entrez à présent dans l’Union européenne» à la sortie de Christiania, qu’on mesure pleinement son originalité, son imaginaire et son audace. Cette expérience unique m’a rapidement porté à m’interroger sur le pouvoir que détiennent ces hommes, ces habitants, ces citadins à la revendication franche et déterminée dans l’élaboration d’espaces urbains.
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Introduction
Au plus prêt des conséquences dramatiques de cette société capitaliste qui nous entoure, ils ont fait naître un lieu des possibles, un espace où l’urbanité créée, réinterroge le processus de fabrication de nos villes et semble au-delà, questionner les fondements même de la pratique architecturale et urbanistique. À l’image d’autres squats d’activités, politiques et/ou culturels, le quartier de Christiania a lui aussi suivi un parcours tumultueux pour s’imposer et s’autoproclamé «ville libre», face à un contrôle public danois autoritaire. Ces quarantecinq années de luttes acharnées pour défendre les valeurs christianites, ont mené les habitants de l’île et les autorités politiques et urbanistiques danoises, à notamment trouver un terrain d’entente, lui conférant le titre de territoire à vocation expérimentale, quelques années après sa création. Actuellement, l’île de Christiania est toujours dans une situation d’occupation illégale. Tolérée depuis l’arrivée des squatteurs, elle est aujourd’hui le deuxième site touristique le plus attractif de la capitale, l’obligeant à répondre de son succès, face à un capitalisme qui l’a rattrape. Il est l’heure pour l’État Danois d’activer une nouvelle stratégie pour récupérer cette île qui lui revient de droit, et bénéficier de sa position stratégique pour élaborer un projet immobilier destiné aux plus fortunés. Les habitants n’ont cependant pas dis leur dernier mot, et ne tarderont pas à défendre leurs valeurs, et leur île encore une fois. Christiania gardera-t-elle son statut « d’île insaisissable » au cœur de la capitale danoise ? La ville de demain se construit chaque jour au cœur de cette compétition métropolitaine où le travail sur l’espace de représentation prend le pas sur la ville et la création d’interactions sociales, d’appropriations spatiales, en somme d’urbanité. Nous rentrons désormais dans une ère où d’autres solutions alternatives tentent d’enclencher à nouveau ces pratiques citadines à la recherche d’un vivre ensemble, et remettent en question jusqu’alors la pratique architecturale et urbanistique. Aujourd’hui, j’ai choisi d’étudier ces squats d’activités, organisations alternatives parmi d’autres, car je suis intimement convaincue que les solutions apportées dans ces espaces, sont capables d’offrir de nouvelles perspectives à la pratique architecturale et urbanistique. Ces lieux nous conduisent à réinterroger les processus de fabrication de la ville, et à démontrer qu’il n’existe ni un unique constructeur de la ville, ni une seule façon d’opérer. Ainsi, le squat est-il porteur d’une révolution urbanistique ?
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L’enjeu de ce mémoire est d’une part d’éclairer l’action de ces squats d’activités au sein de la ville d’un point de vue social, politique, économique et urbanistique. Il est l’occasion aussi de mettre en lumière les compétences de ces architectes de rues, qui par une somme d’interventions à l’échelle du squat, du quartier, voire même de la ville dans certains cas, participent au processus de revitalisation de ses interstices. Afin de saisir au plus près la réalité de l’action de ces squats et de l’exposer ici, il me semble pertinent d’étudier le cas de l’île de Christiania et d’essayer de rendre compte de la vie, de l’organisation et du fonctionnement de la freetown. Nous élaborerons une série de questionnement concernant les relations entre l’État Danois et les différentes institutions compétentes, en résumé « le pouvoir », et Christiania, ainsi que sur la portée contestatrice d’une telle « ville libre » après quarante-cinq ans d’existence. La première partie de ce mémoire consistera tout d’abord brièvement, en l’étude du processus de fabrication des villes au cours de l’histoire. Cette analyse historique, nous permettra de noter la perpétuelle mutation des villes suivant les périodes, et d’étudier parallèlement la montée d’organisations alternatives telles que les squats d’activités. Nous nous interrogerons ainsi, sur les différentes relations établies avec la ville et verrons comment finalement l’existence des squats est inhérente à la fabrication de celle-ci. Nous démontrerons également comment le squat, espace vivant et mobile semble se substituer dans certains cas, à l’espace public froid et aseptisé de la ville. Ce constat nous conduira ensuite à aborder la question de l’existence d’un possible urbanisme de squatteur, à l’origine d’une réanimation d’un territoire et d’un patrimoine oublié. La seconde partie sera l’occasion de présenter plus précisément, les différents processus d’interventions urbaines du squat dans la ville. Nous expliquerons également le rôle clé d’un contexte temporel singulier à l’origine du développement de compétences particulières propres aux squatteurs. De la décoration à la dynamisation d’un quartier entier, en passant par la réhabilitation de bâtiments délabrés, et l’organisation de manifestations politiques, nous verrons comment ces actions aux dynamiques subversives menées par les christianites, sont capables de justifier une tolérance du lieu et des efforts de contractualisation. Ainsi nous verrons comment ce phénomène d’occupation illégale et sa revendication à vivre et habiter autrement, peut-il être une source motrice de la régénération urbaine. Mais également, en quoi peut-il se porter plaidoyer pour un autre mode de fabrication de la ville par la réinjection notamment d’interactions sociales au cœur de l’espace urbain.
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Introduction
Enfin, nous continuerons d’étudier dans une troisième partie, les différentes relations entretenues entre les autorités publiques danoises et le squat, à l’origine d’un paradoxe florissant : celui de l’inscription d’un lieu pourtant illégale dans la ville, quarante-cinq ans encore après son installation. En institutionnalisant progressivement les pratiques du squat, nous verrons comment finalement le gouvernement danois voit désormais en Christiania, une aubaine d’usages et une source d’innovation, capable d’enrichir le nouveau visage métropolitain qu’il se donne la tâche de dessiner. Également, aujourd’hui à nouveau sous la menace d’une expulsion, nous verrons de nouvelles stratégies apparaître chez les deux parties et constituer des questionnements plus large sur le devenir des squats comme Christiania. Alors le squat de Christiania échappera-t-il finalement à l’avenir normalement réservé aux occupations illégales ? D’autres formes de transactions urbaines en Europe, telles que le quartier Kreuzberg, et l’éco quartier Vauban à Fribourg en Allemagne, ou encore l’association Plateau Urbain en France, feront l’objet d’études comparatives. Elles nous permettront d’ouvrir la question de revitalisation urbaine selon d’autres processus, susceptibles d’offrir de nouvelles perspectives à Christiania et au gouvernement danois. Cette observation, nous permettra également dans un second temps, d’interroger les impacts de l’institutionnalisation sur ces lieux alternatifs et d’ouvrir le débat sur la place des squats d’activités dans le processus de planification urbaine des villes, invitant nous-mêmes, architectes et urbanistes, à redéfinir les limites de la discipline architecturale et urbanistique qui, incontestablement, ne joue plus le même rôle qu’il y a dix ans.
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01. Le Squat, révélateur des nouveaux processus de production de la ville ? «Habiter, c’est une activité, une situation […] ; habiter, pour l’individu, pour le groupe, c’est s’approprier quelque chose. Non pas en avoir la propriété, mais en faire son œuvre, en faire sa chose, y mettre son empreinte, le modeler, le façonner. […] Habiter, c’est s’approprier un espace » Henri LEFEBVRE, L’urbanisme d’aujourd’hui : mythes et réalités
L
es squats d’activités font aujourd’hui partie intégrante de l’espace urbain de la ville. Cachés ou affirmés dans les vides urbains, les squats et les squatteurs analysent la ville, s’immiscent dedans et composent avec ou sans les autorités publiques, une certaine mélodie de l’espace, à l’origine d’un développement urbain surprenant. Aussi, si cette autre voie alternative tend peu à peu à être considérée aujourd’hui, le poids des actions révolutionnaires menées jusqu’à maintenant, laisse derrière lui, un lourd passé de luttes urbaines prônant un retour aux fondamentaux. Ainsi, le squat semble depuis toujours combler les creux béants, symbole d’échecs de politiques urbaines, et appartenir pleinement à la ville. Mais qu’en est-il réellement ? Le squat a-t-il toujours occupé les interstices de la ville ? Si l’on est conscient à présent de son rôle clé dans la mutation des pratiques urbaines actuelles, l’a-t-il simplement toujours été ? Pour répondre à ces questions, nous étudierons brièvement, les différentes évolutions qui ont amené à la ville globalisée que l’on connaît aujourd’hui. Dans un second temps, nous observerons également celles des squats, qui nous permettront de comprendre de quelles manières, ils se sont creusés une place unique et inchangée au cœur d’une ville en perpétuelle mouvement.
01. Le squat, rĂŠvĂŠlateur des nouveaux processus de production de la ville ?
figure 03. Improviser la construction d'une ville informelle, 1971
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1.1
Fabrication urbaine : la ville en perpétuelle mutation
Dans l’étude des phénomènes de mutations de la ville, il faut avant tout bien comprendre que par le terme mutation, nous considérons la ville comme un organisme vivant et non figé, en perpétuelle évolution. La société évolue, et s’accompagne de la mutation de la ville, induisant le développement de morphologie urbaine nouvelle. Nous étudierons donc brièvement l’étude de l’évolution de notre société en rapport à ses morphologies développées et de comprendre comment les pratiques urbaines elles aussi évolutives, relèvent dans certains cas de processus alternatifs. Bien avant l’essor de l’ère industriel, où la ville est projetée dans un phénomène de globalisation, le modèle préindustriel de la ville, se caractérise par une configuration radio concentrique dans laquelle les espaces publics sont le miroir de la société et du pouvoir. Le décor et la représentation guide la maîtrise de l’espace urbain, tandis que les boulevards et la valorisation des parcs témoignent, d’une volonté de la ville à générer des lieux de rencontres, de partages, et faire écho de tensions sociales. L’essor de l’âge industriel témoignant de l’arrivée d’un système économique connecté à l’échelle mondiale, nous plonge quelques décennies plus tard, dans un nouveau rapport à la ville, qui tente cette fois-ci, de se « globaliser » et de rompre avec le modèle précédent. La ville s’éloigne de toutes formes de ressources autonomes et entre dans une certaine dynamique productive témoignant des avancées techniques d’une société. La forme urbaine est alors réduite au profit de la construction d’îlot monofonctionnels, et les pratiques urbaines délaissées, pour privilégier l’installation de nouvelles activités. Cette période marque ainsi le changement d’intérêt pour l’espace public et ses interactions sociales, pour se concentrer sur les nouveaux principes spatiaux et sociaux concentrés autour du travail. Le début du XXème siècle offre quant à lui, un nouveau cadre à la mutation de la ville capitaliste. Le secteur public montre à cette époque, un regain d’intérêt pour la maîtrise du territoire et désire se lancer dans la reconquête de la ville au travers de planification et de développement de programmes publics forts. Plusieurs expérimentations dont les plus connues sont celles de Le Corbusier et les membres du CIAM furent réalisées, illustrant alors, le désir de reprendre en compte l’individu, et de rompre avec un système où l’économie et la production font loi.
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01. Le squat : révélateur des nouveaux processus de production de la ville ?
figure 04. La ville radieuse de Le Corbusier, 1925
figure 05.Le plan voisin de Paris, Le Corbusier, 1925
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La ville a alors ensuite poursuivi son modèle d’extension vers les banlieues et délaissé le cœur des villes. Ensuite, l’arrivée de l’automobile a considérablement accentué la séparation entre les centres et les périphérie et même définitivement démanteler les formes d’interactions sociales dans l’espace urbain.
Aujourd’hui la ville devient son propre paradoxe. Elle ne parvient plus à faire émerger de nouvelles interactions sociales et au contraire laisse place à une stigmatisation spatiale et de grandes inégalités sociales. Ce constat alarmant d’un déclin d’urbanité de la ville, remet alors en question le modèle industriel et le phénomène de métropolisation, plongeant une nouvelle fois la ville dans de nouvelles interrogations. Désormais, la ville entre dans une ère nouvelle. Cherchant à rejeter la conception classique de l’espace public, elle désire au contraire tendre vers l’innovation et interroger la mémoire de ces espaces. On s’intéresse alors désormais au « creux » de la ville, espaces résiduels et symboles du déclin de la ville industrielle, afin de favoriser des lieux de convergences d’usages. Si ces espaces délaissés se présentent en premier lieu comme un point noir de la ville, il offre en vérité de multiples possibles urbains.
En évoluant perpétuellement, la ville s’accompagne naturellement d’un changement de ses pratiques. Aussi, si les différentes mutations de la ville au cours du temps ont généré un repli des citadins sur eux-mêmes et les ont démunis peu à peu de leur rôle d’acteurs, on cherche désormais à créer des interfaces urbaines utiles, capables de permettre la réintégration sociale, l’échange et le partage. L’individuation dépasse alors l’individualisme. Cette nouvelle notion urbaine dicte désormais de nouvelles pratiques et prône la « multi-appartenance ». Chaque individu est alors poussé à investir les lieux de mémoire et d’y développer un sentiment d’appartenance. L’espace public désormais ne suffit plus, et tend au contraire à être concurrencé par de nouveaux lieux, alternatifs certes, mais empli d’une richesse d’usages et d’appropriations où l’usager cette fois est intégré véritablement au cœur de la réflexion et la pratique de l’espace urbain.
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01. Le squat : révélateur des nouveaux processus de production de la ville ?
1.2
L’occupation illégale, un phénomène nouveau ?
Nous avons pu voir brièvement les différentes mutations dont la ville a fait l’objet ces derniers siècles, et noter un changement des pratiques urbaines à l’origine d’un réinvestissement des dents creuses de la ville. Si des pratiques « parallèles » ou alternatives d’occupations existent, elles sont en partie dues à une incapacité des pouvoirs publics et donc de la ville à assurer certains besoins de la population. En prolongement de l’étude de la fabrication urbaine, l’apport d’une étude historique sur la question des occupations illégales semble intéressante pour nous permettre de voir sur quels faits, et dans quels contextes, le phénomène du squat s’inscrit-il. Est-il issu seulement de problèmes récents tels que ceux du manque de logement ou de conjonctures économiques diverses, ou bien au contraire s’est-il toujours creusé une place au sein de la ville ? Dans l’Europe industrielle, nous le savons, le monde ouvrier marchait à plein régime pour satisfaire les enjeux du capitalisme florissant. Les ouvriers vivaient dans des conditions très précaires, et n’avaient que très peu de moyens pour subvenir à leurs besoins. Certains, firent donc le premier choix de squatter les chantiers de la ville, ou encore de vieilles bâtisses abandonnées pour économiser le peu d’argent qu’ils gagnaient. Le squat se présenta alors rapidement comme une forme potentielle de résistance et un outil informel d’entraide, permettant de soutenir cette classe laborieuse. Toutefois, leurs conditions de vie ne s’améliorant pas, les premiers squatteurs furent rejoints par d’autres ouvriers, accordant alors au phénomène plus d’importance. La fin du XIXème siècle fut donc marqué par l’accroissement de ces réseaux de solidarité, qui s’organisèrent progressivement en associations. Nous l’avons vu, la ville durant cette même période, exprime le désir de reprendre en compte l’individu dans ses projets de planification urbaine. Presque naturellement, ces nouvelles associations émergentes, devinrent l’objet de lutte syndicale contre les expulsions. C’est donc au courant du XIXème siècle, que naît une prise de conscience collective de ce qu’à engendré la société industrielle. Les premières formes de remises en question de ses réalisations apparaissent alors et se traduisent au travers de révoltes idéologiques. Le XXème siècle lui, semble se dessiner plus précisément en deux périodes majeures où l’actualité sociale se retrouve fortement bousculée par des idéologies contestataires. La période des années 1970, représente le réel point de départ de l’existence des squats tels que nous les connaissons aujourd’hui, à savoir idéologique, politique, sociale, et même architecturale.
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les formes de squat de la première période laisseront à l’histoire une importante contribution à l’élaboration du droit au logement, tandis que ceux émergents au cours des années 1990 à nos jours, articuleront, des revendications à vivre autrement. Enfin, par le biais de cette étude, je souhaite également saisir le lien qu’il peut y avoir entre les idéologies architecturales et urbanistiques, et la nature des revendications révolutionnaires des squatters d’aujourd’hui. l’historique mouvement de mai 68, marqua le début d’une multiplication de mouvements de lutte urbaine où la question de l’usager regagna le cœur du projet. En effet, l’échec des tentatives modernistes et la montée individualiste d’une société de consommation ont finalement au contraire, poussé à de nouvelles perceptions de l’espace urbain. la particularité des mouvements de cette période, réside dans la posture politique radicale et assumée des militants pour défendre la situation précaire des utilisateurs directs du squat. Aux revendications politiques trop grandes pour être satisfaites, viennent s’ajouter les revendications plus modestes des étudiants qui s’attachent à vouloir sortir simplement de la misère un certain nombre de mal-logés. une divergence d’objectifs entre la population à laquelle est destinée le squat et ceux qui articulent leurs besoins émergent alors et une première dissolution au sein même du squat se fait ressentir. Quelques années plus tard, elle eu raison d’ailleurs, de l’échec partiel du mouvement des squatteurs des années 1970. Toutefois, elle marqua une première réelle prise de conscience politique. des possibilités urbaines sont nés. Il est possible de vivre autrement, et il devient impératif de dénoncer cette société capitaliste qui formate et démunis l’usager de son rôle d’acteurs de la ville.
figure 06. Affiche résistance prolétarienne, 1968
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figure 07. Occupation illégale, Secours rouge, 1972
01. Le squat : révélateur des nouveaux processus de production de la ville ?
Jusque dans les années 1980, l’existence de grands projets urbanistiques visant à mieux répondre aux exigences grandissantes de l’automobile, ont enclenché une autre action du squat. Cette fois-ci, ils se retrouvent souvent liés à des opérations de restructuration urbaine, en étant notamment la cible d’un délogement massif. Les squats naissent alors à nouveau pour contester l’injustice dont des populations, souvent les plus fragilisées, sont victimes. La multiplication de vagues d’occupations illégales en Europe témoignent vers la fin des années 1980, de la popularité grandissante du mouvement des squats. De nombreuses villes telles que Berlin ou Amsterdam ont vu des immeubles d’habitations vides, être investit par des groupes entiers de squatteurs et retrouver une forme de « regain d’énergie ». Dans leurs luttes urbaines, les squatteurs réclamaient alors à présent le droit d’user de ces bâtiments pour sauver des constructions de la démolition, au-delà d’aider « uniquement » des populations fragiles à l’avenir incertain. À Amsterdam, les célèbres squatteurs les Krakers aujourd’hui délogés ont « sauvé de nombreuses maisons de maître de la démolition et incité la ville d’Amsterdam à prendre en charge la rénovation des immeubles 4 afin de les rendre habitables avec tout le confort moderne ». En se positionnant en tant que défenseurs d’un patrimoine de la ville, et entendus par celle-ci, les squats ont joué à cette époque, un rôle de charnière pour la politique de réhabilitation. La portée sociale des squats est alors à cet instant, engagée dans une lutte urbaine pour une réhabilitation digne de l’homme.
figure 08. Lutte des Krakers pour la défense du squat, Amsterdam, 1981 4 VERSLUYS, « Le Kraken : pourquoi ne pas aller habiter dans une maison abandonnée ? » Le Journal des Procès, Bruylant, Bruxelles, Avril 1994, p.16
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Progressivement, les squatteurs se disent satisfaits de leur nouveau mode de vie et nombre d’entre eux insistent même sur l’amélioration de leurs conditions d’habitat que sont les logements squattés. « Tous évoquent un type d’habitat qui correspond à leurs aspirations, la présence d’un jardin, la possibilité de pouvoir y 5 préparer des concerts, le lieu d’une nouvelle socialité ».
Jusqu’alors, si l’occupation illégale exercée par les squatteurs se justifiait par la volonté d’améliorer sensiblement leurs conditions de vie, d’hygiène et de confort, le squat peut aussi s’expliquer, par l’aspiration des squatteurs à vivre autrement. En effet, ils profitent à présent, « d’une opportunité en matière de logement6»pour investir, un lieu, une architecture, qui correspond à leurs envies et aspirations, loin de l’agitation urbaine vide de sens. La période des années 1970-1980, témoignent donc de la multiplication des squats et du rattachement de nombreux révolutionnaires, autres que les squatteurs mêmes, à la cause de ces formes d’occupations. La transition qui s’opère vers les années 1990, est elle, ponctuée d’événements divers relevant d’une action répressive des autorités publiques dont le seul objectif était de mettre fin aux mouvements des squats. Comme nous l’avons vu à Amsterdam, la ville progressivement, est rentrée dans un jeu de gouvernance de l’illégalité, en mettant en place une politique de réhabilitation des lieux abritant certains squats. Si elle réussi en partie à endormir ces actes révolutionnaires, la nouvelle crise économique des années 1990, ne tarda pas a enclenché de nouveau des mouvements de contestations au cœur des squats, cette fois-ci encore plus incisifs avec les politiques menées. Ainsi, comme Thomas Dawance le remarque, cette étape du squat « ne représente plus uniquement le cri catalysé, par une autorité charitable, de classes défavorisées réclamant une prise en compte de leurs conditions de vie désastreuses, comme avant mai 1968. Elle n’est plus non plus le lieu d’une lutte idéologique menée par des dirigeants politiques souvent extérieurs à leur cause, mais aussi une solution trouvée par une jeunesse marginalisée par 7 des dites crises économiques des années 1980 et 1990 ».
5 DUPREZ Dominique, Les revendications à vivre autrement. Déclassements, paupérisation, marginalité et nouveaux rapports à l’espace, Contradictions, 1984, n°38, « Les squatters : les genèses sociales d’un mouvement urbain localisé », p.114 6 Ibid, p.104 7 DAWANCE Thomas, L’histoire du squat, mémoire de fin d’études, Architecture, Bruxelles, 1999, p.12
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01. Le squat : révélateur des nouveaux processus de production de la ville ?
1.2.1 Le squat, installation inhérente à la fabrication de la ville
L’étude de l’histoire du squat depuis l’ère industrielle associée à celle des différentes mutations urbaines et sociales de la ville, nous ont permis de faire émerger une revendication double de ces mouvements contestataires. D’abord le droit à un logement décent, dû à des conditions de vie précaires et le droit à vivre autrement ensuite, lui-même fonction de la situation marginale de ces jeunes, sur la carte économico sociale.
Si les squats naissent là où la ville disparaît et comblent les gouffres provoqués par des restructurations urbaines mal menées, ils sont aussi une réponse face à une société capitaliste, où la ville se déshumanise et s’individualise. Les squatteurs sont qualifiés de révolutionnaires aspirant à un mode de vie autre, tourné vers la vie en communauté et possédant sa propre organisation, ses propres lois. En se positionnant en tant que contestataire face à la ville, les squatteurs et donc le squat, apparaissent comme dimension constitutive et inhérente à la construction même de la ville moderne. Ils participent à tout processus d’urbanisation et de gouvernement urbain. En effet, l’occupation collective de ces lieux vides et abandonnés dessine les premières lignes d’un urbanisme spontané. Si les occupants investissent et entretiennent un bâtiment abandonné au départ, ils y projettent très vite une occupation à l’échelle urbaine et développent des activités qui en structure le sens. De la crèche, à l’animation culturelle en passant par l’installation de restaurants, cafés, repas de quartier, le squat entreprend une démarche d’ouverture sur la ville. Il est alors porteur d’un dynamisme urbain par la réappropriation alternative de l’espace urbain où l’individu semble retrouver définitivement sa place en tant qu’acteur social.
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1.2.2 Le squat, espace vivant et mobile
Nous avons pu le constater, la ville est en perpétuelle évolution, et s’accompagne à chaque tournant de la société, d’une morphologie urbaine capable de répondre à de nouveaux enjeux. Cette accumulation de « formes urbaines » peut se résumer par une somme d’aller-retour entre un désir intense de vouloir maîtriser le territoire, et celui plus complexe, de vouloir replacer l’usager au cœur de l’espace urbain. Finalement, cette incertitude permanente a provoqué un effet inverse des ambitions énoncées, et a même conduit à un semi échec des politiques urbaines. En effet, là où l’on souhaitait créer un espace riche d’appropriations et d’usages, l’espace se révèle être en vérité, un assemblage de dalle de pierres brutes qui n’ont pour seuls éclats que ceux de celui qui les a taillés. Les villes, alors façonnées au gré des grandes décisions politiques, se sont aseptisées, et les pratiques urbaines, immobilisées, voire effacées. En effet, selon Nicolas Bernard, « l’espace urbain a tendance à se distribuer arbitrairement. Les institutions jouent avec les volumes, les immeubles et les habitants. Elles dispersent les résidents, les isolent, les comptabilisent ou les effacent à leur guise du schéma urbain remodelé. Au gré des circonstances, les autorités refaçonnent la ville, continuellement. Peu à peu, les habitants paraissent déniés en tant qu’acteurs sociaux […]8 ». Les espaces publics ne semblent alors depuis, tenir seulement le rôle d’outil de mise en valeur du visage de la ville, plus que celui de cadre d’actions urbaines. Les critiques de la ville moderne se font donc sentir, et l’apparition de nouveaux vides urbains succède rapidement au déclin de la ville industrielle. Nous avons vu que les pratiques urbaines ainsi que les représentations de l’espace urbain, ont elles aussi évolué considérablement au cours des mutations de la ville. Si elle tend aujourd’hui à s’aseptiser, de nouveaux lieux tels que les squats d’activités, apparaissent dans les interstices de la ville, et semblent combler certains enjeux de l’épanouissement des pratiques citadines. En effet, ces « nouveaux lieux » gagnent progressivement le cœur des citadins qui y trouvent bien plus de vie et de chaleur que dans l’espace public en bas de chez soi. Les appropriations y sont multiples, et témoignent d’un regain d’intérêt pour des espaces jusqu’ici délaissés. Les squats d’activités, demeurent également des lieux de respiration possible, visant à améliorer la qualité de vie urbaine, et la réservation d’espaces pour l’exploration de nouvelles appropriations.
8 BERNARD Nicolas, Le squat, comme réappropriation alternative de l’espace urbain et vecteur du droit au logement, 2009, p229
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01. Le squat : révélateur des nouveaux processus de production de la ville ?
figure 09. Promenade Larsens Plads, individualisation de la pratique urbaine, Copenhague, 2015
figure 10. Concert sur les rives du Københavns Havn, vivre la ville, 2009
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Dans une démarche contextuelle et alternative, les squatteurs restructurent les vides de la ville pour y réintroduire une dimension sensible et poétique capable de réanimer un patrimoine oublié. Là où la ville semble échouer, les squats d’activités semblent proposer une forme de ponctuation du parcours urbain triste et monotone de la ville, grâce à la création de nouvelles identités, riches et animées d’un élan alternatif capable de présenter une véritable aubaine pour la ville. Aussi, l’ensemble d’activités proposées et animées par les squatteurs caractéristiques d’un squat d’activité peut-il faire écho de la naissance d’un urbanisme de squatteur ?
1.3
Peut-on parler d’un urbanisme de squatteur ?
Précédemment, par la définition du squat d’activité et de ses enjeux, nous avons émis l’idée de l’existence d’un possible squatteur urbaniste. En effet, le processus de recherche d’un bâtiment à investir, puis de réhabilitation dans celui-ci, ainsi que la création d’espaces collectifs au sein duquel les squatteurs établissent un nouveau lieu de socialité, s’apparente à un travail où l’approche engagée tend à être considérée comme véritable méthode urbanistique. Mais avant d’assimiler le travail de projection d’un espace collectif au sein du squat par le squatteur à celui d’un urbaniste, il est important de définir le terme même de celui-ci. L’urbaniste est « le technicien spécialisé dans les réalisations de l’étude systématique des méthodes permettant d’adapter l’habitat urbain aux 9 besoins des hommes ». Comme nous l’avons défini plus tôt, plusieurs acteurs issus d’horizons différents, agissent au sein du squat déterminant ainsi au fond même la qualification du lieu ; « caché » ou « assumé » voire « d’activité ». Les squatteurs que nous identifions comme urbanistes, sont ceux qui squattent, non pas uniquement dans un besoin de se loger et de trouver un abri, mais surtout dans la volonté de donner sens à leur vie, d’affirmer leurs choix et leurs valeurs pour créer un nouveau lieu de socialité, un foyer pouvant constituer les bases d’une communauté autogérée. Ce second type de squat, que nous appelons « d’activités », considérés comme siège d’une communauté innovante à l’impact social et urbain fort, fera donc l’objet de cette étudie afin d’apprécier la visée urbanistique engagée par certains de ces lieux qui, souvent traduit à l’échelle du quartier et du territoire, enclenche un dynamisme nouveau vecteur de régénération urbaine.
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Définition du terme urbaniste, Larousse, 2015.
01. Le squat : révélateur des nouveaux processus de production de la ville ?
1.3.1 Le squat synonyme de révolution, 1ere forme d’urbanisme
À notre époque, l’économie impose le système capitaliste au monde entier et formate notre pratique de la ville. L’étude du phénomène des squats, nous a permis de montrer l’ancrage certain de ces lieux dans le système capitaliste, et leur ambition de constituer un système alternatif visant à le dépasser. Ce système d’occupation semble s’inspirer dans ses méthodes, des deux seuls grands systèmes que l’histoire ait opposés au système capitaliste, à savoir, le communisme et l’anarchisme. Cependant, si ces deux grands systèmes ont montré leurs limites dans leur application, le mouvement des squats lui, élabore de nouvelles stratégies et témoigne d’un positivisme d’actions intégrant les débats politiques, sociaux, et désormais urbanistiques. Friedrich Engels, grand socialiste et théoricien allemand du XIXème siècle qui a fondé ce que l’on appelle le pré-urbanisme aux côtés de Marx, parle « d’un urbanisme sans modèle où cependant l’action révolutionnaire s’impose en méthode10 ». En effet il prend « vigoureusement parti pour des solutions provisoires et pragmatiques : le logement n’est, à ses yeux, qu’un aspect partiel d’un problème global dont il ne peut être dissocié et que, seule, l’action révolutionnaire permettra de résoudre. (...) et il refuse radicalement de séparer la question du logement de 11 son contexte économique et politique ». Engagé dans la lutte pour défendre les conditions misérables des populations les plus fragiles, Engels déclare que les solutions provisoires et pragmatiques permettraient d’adapter l’habitat aux besoins des gens. Ces solutions quelques peut révolutionnaires articulent donc ce que nous appelons les fondements de l’urbanisme des squatteurs : la temporalité, la réhabilitation sociale et la participation.
10 CHOAY Françoise, L’urbanisme, utopies et réalités, une anthologie., Ed. Du Seuil, Paris, 1965, p.181 11 Ibid
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1.3.2 La réhabilitation et la participation : fondements d’un urbanisme du squatteur
L’action révolutionnaire qui émane de la disqualification vécue par les squatteurs est engendrée en grande partie par un système capitaliste qui tend à favoriser une population porteuse de capitaux. Elle consiste à identifier les besoins fondamentaux des Hommes, auxquels les politiques menées se posent en obstacle. Les squatteurs interrogent les problèmes de logement ou encore de la vie sociale au cœur de l’espace urbain, et proposent des solutions alternatives adaptées à chaque contexte et chaque individu. C’est donc dans ces actions révolutionnaires que s’expriment au fond les besoins réels des Hommes, lesquels doivent impérativement intégrer les réflexions des architectes et urbanistes pour proposer des solutions architecturales adaptées et une pratique urbaine harmonieuse. Le révolutionnaire d’aujourd’hui doit donc se construire en tant qu’individu autonome, mais surtout doit se recréer un lieu de socialité, à savoir un groupe dans laquelle il peut s’exprimer et s’épanouir non plus seulement individuellement, mais collectivement. Les occupants des squats d’activités aspirent donc à un autre mode de vie et désirent fonder une nouvelle société basée sur la création d’une communauté autogérée avec ses propres lois et sa propre organisation. En revendiquant une nouvelle forme de socialité, ils redéfinissent les fondements de la nouvelle société qu’ils se donnent la tâche de construire, et en cela se placent en révolutionnaires. Nous le savons, l’occupation de ces squatteurs se révèle, à travers l’usage de bâtiments vides qu’ils considèrent comme la mise à disposition d’une richesse abandonnée par la société qui la rejette. Sans grandes réelles ressources financières, les squatteurs s’engagent à réhabiliter et réanimer le lieu que la ville leur « offre » sans le vouloir. Au-delà de l’occupation du lieu, et du travail de « rénovation » qu’ils opèrent, c’est aussi la création de tout un réseau de solidarité qu’ils animent et articulent, donnant ainsi un sens à leurs actions. Le squatteur investit donc des lieux et une architecture parce qu’ils leurs offrent des possibilités pour élaborer un véritable « chez soi », et proposent des activités qui en structurent le sens.
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01. Le squat : révélateur des nouveaux processus de production de la ville ?
figure 11. Participer collectivement à la construction d'un nouveau monde, 1972
figure 12. Se recréer un lieu de socialité, vivre collectivement la ville, 2011
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N
ous venons d’aborder, globalement, la prise de conscience politique qui s’opère chez les squatters, et vu comment celle-ci s’articule autour de son exclusion en marge de la société à travers des actions quotidiennes positives et volontaires, lui conférant notamment une nouvelle identité. Pour se matérialiser, la volonté politique du squat doit donc se transformer en action. Vivre autrement, c’est agir autrement. Je souhaiterai dans une seconde partie, envisager ces actions non plus selon une approche socio-politique, permettant de dégager les grands axes de ces pratiques humaines rencontrées dans le squat, mais plutôt selon une approche urbaine. Ainsi, au travers de l’étude du cas du quartier de Christiania à Copenhague, squat d’une ancienne caserne militaire qui aujourd’hui participe pleinement à l’identité de la capitale, nous tenterons d’élaborer une analyse urbaine, qui nous permettra de comprendre l’émergence et la nature des revendications à vivre la ville et l’habitat autrement. Aussi, si l’histoire du squat nous a exposé précédemment les réactions de la ville face à ces occupations illégales, entre répression et tolérance, intégration et institutionnalisation, nous observerons également ses relations (négociation, contractualisation) entretenues avec la ville. Ainsi, nous verrons en quoi finalement, la ville participe-t-elle par des efforts de contractualisation, à l’inscription de ces lieux dans le paysage urbain et durable de la ville.
Christiania, squat reconnu pour être le plus grand d’Europe et situé sur une île bénéficiant aujourd’hui d’une situation géographique privilégiée au cœur de Copenhague au Danemark, exprime très clairement après quarante-cinq années d’existence, cette visée urbanistique. Lorsque l’on arrive dans le quartier de Christiania, nous sommes rapidement frappés par l’extrême richesse de ce lieu. Empli d’une complexité généreuse où l’harmonie des couleurs, des matériaux et des formes, reposent sur une réflexion quelque peu aléatoire des habitants, un sentiment déroutant s’empare de nous, à la seconde où nous « atterrissons » sur l’île. Loin de la rigueur scandinave des rues de la capitale et de l’âpreté de la tenue vestimentaire de ses habitants, le fourmillement anarchique de cette île se dissipe dans l’ambiance joyeuse et juvénile de ce monde atypique nous renvoyant alors l’image d’un espace riche d’esprits créatifs. De la façade de la maison, à celle du commerce en passant par des installations loufoques et complètement « bancales », les anciens bâtiments militaires qui ponctuaient l’ensemble du territoire de l’île, ont tous, perdu l’image de bâtiments vétustes voire de ruines.
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01. Le squat : révélateur des nouveaux processus de production de la ville ?
Aujourd’hui, ces édifices sont colorés, éclectiques, et exposent au contraire, un remarquable travail de réhabilitation réalisé par une communauté autogérée qui ne semble pourtant aucunement posséder une quelconque connaissance ou expérience en matière de rénovation. Envahi par une végétation généreuse et verdoyante, le quartier s’habille de couleurs chatoyantes et d’odeurs enivrantes quand le printemps pointe le bout de son nez. Le tout exprime alors une atmosphère chaleureuse, conviviale et d’immense partage dans un esprit propre à Christiania, libertaire et créatif, laissant entrevoir une étincelle d’utopie sur le plan social et urbain. C’est finalement dans un épanouissement individuel et collectif, que le quartier de Christiania, s’est engagé, à vivre autrement et à affirmer leur occupation contestataire face à une société de « tout contrôle ».
L’étude du quartier de Christiania semble pouvoir offrir des réponses pertinentes sur les questions que nous mettons en jeu dans ce mémoire, à savoir l’existence d’un potentiel de reconversion et de régénération urbaine de la ville au sein des squats, capables de bousculer les codes de notre société. En effet, engagés depuis près d’un demi-siècle sur les terres danoises pour défendre leurs aspirations et revendications, les habitants ont non seulement occupé l’île mais surtout ont dynamisé et régénéré tout un quartier qui, jusqu’à présent ne représentait que le triste souvenir de l’occupation des forces militaires. À l’aube de la menace d’une énième expulsion des habitants pour la réalisation de projets immobiliers, Christiania arrive dans un tournant important qui marquera sans nul doute son histoire et impactera l’activité des autres squats. Entre illégalité, et légalité, nous verrons au travers de cette étude, comment Christiania a su durant toutes ces années, s’installer et maintenir son occupation, contre et parfois avec les autorités urbaines et politiques de la ville, pour devenir un champ d’expérimentation de possibles urbains au cœur même de Copenhague. Également, nous observerons les outils mis en place et la voie vers laquelle peut s’orienter ce squat et ses habitants afin d’échapper ou non à une éventuelle expulsion et destruction de leur habitat et de leur quartier.
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figure 13. Construction de la porte de Christiania, 1973
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figure 14. Quarante-cinq ans d'existence, et une porte toujours debout, 2016
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02. Le squAt, Au-delà de sA sTIGmATIsATIon, un moTeur de lA réGénérATIon urBAIne ? « La première langue des hommes est l’action de l’homme dans la réalité. Les hommes font des petits poèmes d’action. et tous ces poèmes modifi ent un peu la réalité. La réalité physique de ce qui nous entoure, l’architecture, est la mémoire construite de l’action humaine. L’édifi ce est l’élément premier sur lequel se greff e la vie. » Aldo rossI, L'architecture de la ville « Nous marchons le long d’un mur de fortification de ce qui ressemble, de l’extérieur, à une cité médiévale. Au bout de quelques minutes, nous nous retrouvons face à une arche de pierre marquant l’entrée de cette mystérieuse enclave. soudain, c’est comme si nous avions pénétré un autre monde ou une autre époque. Au lieu de la ville frénétique que l’on vient de laisser derrière nous, l’endroit est incroyablement paisible. Pas de lampadaires, pas de néons, pas de panneaux publicitaires. Au lieu des cris stridents des klaxons et du brouhaha assourdissant des moteurs, il n’y a que le calme des rues pavées et des simples chemins de terre battue où seuls circulent vélos et piétons. nous sommes au cœur d’une capitale européenne et, pourtant, on peut respirer, voir les étoiles, discuter sans avoir à élever la voix ! Bienvenue à christiania, « ville libre » depuis 1971, chef-lieu de l’imprévu12».
12 JordAn John et fremeAuX Isabelle, Les sentiers de l’utopie, la découverte Poche, essais n°378 2011, p269
02. Le squat : au-delà de sa stigmatisation, un moteur de la régénération urbaine ?
figure 15. Une rue, un repas partagé, vivre la ville sans limites et sans contraintes, 1982
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L’histoire de Christiania commence en 1971, lorsque qu’une bande
de quelques « hippies » décide de squatter cet ancien territoire militaire de Copenhague, fraîchement abandonné par le Ministère de la Défense danois. L’enceinte prend la forme d’un long bandeau d’environ 1,5km dont une extrémité, plus large, rejoint le centre de Copenhague mais en reste séparée par un long mur. Elle s’étire ensuite vers le nord en deux bras étroits non loin de l’Øresund, le détroit reliant la mer Baltique et la mer du Nord. Si ces derniers sont rejoints par des ponts et passages jusqu’à l’autre extrémité de l’île, le site reste toutefois malgré tout, isolé et naturellement protégé sur ses bordures par une nature venant reprendre ses droits sur une architecture oubliée. L’arrivée des premiers occupants dans ce quartier abandonné a dès le départ été motivée par la volonté de créer une société autonome, de quitter le Danemark et son système pour en créer un autre en son cœur, libre et indépendant. La structure géographique du site crée une frontière naturelle et même si les bâtiments existants sont assez vétustes, voire pollués de restes nocifs de poudre à canon, « l’espace vert de Christiania est attrayant et fait parfaitement écho à l’imaginaire 13» communautaire « hippie » qui fleurit dans le monde à cette époque . L’initiative de cette installation est dans un premier temps plus anarchique qu’idéologique. C’est pour les squatteurs, la conquête d’un nouveau monde inspirant et ouvert plutôt qu’un projet idéologique structuré. Les premiers arrivants ne sont pas nécessairement des dénonciateurs politiques, et au contraire, sont distants de la communauté intellectuelle de Copenhague. Ils veulent avant tout passer à l’action et construire leur monde. Parmi les premiers arrivants figuraient des Norvégiens qui justifient sûrement le nom de Christiania, ancien nom d’Oslo, capitale de la Norvège. Après quarante-cinq années passées illégalement sur l’ancien territoire militaire, Christiania, est actuellement un quartier influent de Copenhague et représente une source économique non négligeable pour la ville. Si au départ cette île n’était réservée qu’aux personnes souhaitant expérimenter cet autre mode de vie, il est à présent le « territoire de tous ». En effet, il est de nos jours quasi impossible d’effectuer un séjour dans la capitale, sans faire un détour dans ce quartier aux milles imaginaires.
13 BIDAULT-WADDINGTON Raphaëlle, Petite histoire de Christiania en 3 utopies, revue France Fiction, 2007, p.6-7.
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02. Le squat : au-delà de sa stigmatisation, un moteur de la régénération urbaine ?
christiania
figure 16. Christiania, une île située au coeur du centre historique, 2016
figure 17. Patrimoine architectural abandonné, potentiel d'action du squat, 1969
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2.1 La temporalité du squat, levier d’action d’un nouveau dynamisme urbain 14
«Le temps et l’espace constituent des clés de compréhension de tout projet »
Nous parlions un peu plus tôt de la méthode urbanistique décrite par Engels inspirant l’installation de nos « squatteurs actifs » dans la société. Dans un ordre défini, le squatteur cherche à mettre en place son installation au sein du bâtiment, de la ville et de la société. À la manière de l’urbaniste, il analyse la ville, étudie ses envies et dessine les grandes lignes d’un projet urbain. De la découverte du lieu, du bâtiment jusqu’à la régénération d’un quartier tout entier, en passant par l’ouverture du lieu, et l’évolution de sa vie interne, le squat d’activité s’établit dans la ville au travers de différentes étapes d’interventions urbaines. Cependant, si l’on associe le squatteur et ses interventions à une méthode urbanistique, elle est néanmoins bien différente. En effet, de par son caractère illégal, la mise en place de ces lieux et leur organisation est elle, régit par le temps. « Le temps de l’installation, le temps de la revendication, le temps de l’action mais aussi le temps nécessaires à la ville pour prononcer ou non un arrêté d’expulsion15 ». Cette question de la temporalité est déterminante dans le processus d’installation des squatteurs. En effet, sous la menace d’une éventuelle expulsion par la ville et le propriétaire, les occupants du « squat assumé » ne projettent pas un espace de la même manière. À l’inverse de l’urbaniste qui imagine et planifie une programmation spatiale commandée par la ville dans un contexte urbain qui se veut durable, le « squatteur urbaniste », anime un espace pour lui et son collectif dans une durée indéfinie, où la seule demande s’exprime au travers de la nécessité à trouver un lieu pour développer un autre mode de vie et d’habiter. Le « squat d’activité » se révèle alors être un espace d’acquisition et d’exercice où le squatteur développe des savoirfaire sous la contrainte du temps. Florence Bouillon dans son ouvrage, nous énonce 16 l’existence d’une véritable « pluri-compétences des citadins disqualifiés ». Si le squat, lieu d’occupation illégal, est « protégé » par la loi du droit au logement, il n’est néanmoins pas à l’abri d’une éventuelle fermeture. La ville, dans un souci de préserver l’ordre urbain, cherche à faire sans cesse pression sur les occupants, à les encadrer et les contrôler. Elle peut signer un arrêté d’expulsion à tout moment, si le squat est jugé comme « perturbateur de l’ordre urbain ». 14 BOUTINET Jean Pierre, Anthropologie du projet, Presses Universitaires de France, 2005, p. 38 15 BOUILLON Florence, Les mondes du squat, anthropologie d’un habitat précaire, collection Partage du savoir, 2009, p.42 16 Ibid
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Dés lors, les occupants sont dans l’obligation de fermer les portes du squat et de mettre fin à toutes activités du lieu. Une nouvelle fois dans une grande situation de précarité, les squatteurs se mobilisent pour trouver un autre trésor abandonné et se reconstruire. Pour les occupants des « squats d’activités », la fermeture du squat, ne rime en aucun cas avec la fin de leurs revendications. Bien au contraire, 17 « un squat fermé, est un autre squat qui s’ouvre ». Cette initiative permanente du réseau de solidarité d’ouvrir un squat, met l’accent sur des revendications de vie qui ne sont pas prêtes de se taire. Comme nous l’avons déjà montré précédemment, la fabrication de la ville s’accompagne toujours de la naissance de lieux de contestations proposant souvent une alternative à la façon de vivre et de faire la ville. En fermant ces lieux, la ville en réalité ne fait qu’alimenter les mouvements de résistance et troubler l’ordre urbain. Peu à peu, les autorités publiques prennent alors conscience du rôle qu’elles doivent jouer face à l’existence de ces lieux. Tolérer pour mieux contrôler, tels sont les nouveaux enjeux des politiques publiques. Les autorités établissent avec les occupants désormais « des contrats de confiance et baux associatifs visant à autoriser leur séjour dans le bâtiment en contrepartie de certaines règles et 18 de départ en cas de projet accepté ». La contractualisation actionne une autre temporalité du squat, celle de l’évolution de la vie interne à la collectivité et du modèle architectural, qui n’est désormais « plus menacée » par l’expulsion. L’autorisation de la ville permet alors aux squatteurs de développer d’avantage leurs compétences d’urbanistes par l’installation de nouvelles pratiques de vie, allant même jusqu’à parfois intégrer la ville et ses usagers dans leur démarche. Paradoxalement, la tolérance et l’effort de contractualisation menés par la ville, laisse donc le temps aux squatteurs de s’installer et de s’inscrire dans le paysage de celle-ci. Devenant dans certains cas un point d’ancrage du quartier voir même un repère dans la ville, le « squat d’activités » nous révèle alors le paradoxe de « l’habité éphémère » qui se veut durable. Si le phénomène de squat cherche dans un premier temps à offrir illégalement un abri à des personnes dans une situation de précarité, il est aussi le symbole fort d’une dynamique à l’échelle de la ville, celle de la régénération urbaine par de nouvelles pratiques de l’espace. Les squatteurs voient en ces morceaux de ville délaissés, le reflet de leur situation dans la société. Tout comme ces espaces abandonnés, ils sont rejetés et en marge des pratiques de la ville.
17 Op. cit. p.43 18 PATTARONI Luca, « La ville plurielle, quand les squatteurs ébranlent l’ordre urbain », dans BASSAND Michel, KAUFMAN Vincent, JOYE Dominique (dir.), Enjeux de la sociologie urbaine, Lausanne, PPUR, 2007, p. 295
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Revitaliser, rénover, et réhabiliter, telles sont les premières actions menées par les acteurs du squat afin de construire un espace de vie correspondant à leurs besoins et leurs envies. Par cette nouvelle occupation, ces lieux qui sont le plus souvent des anciennes usines, hôpitaux, immeubles ou casernes militaires désaffectés, reprennent un second souffle et témoignent, de cette « pluri-compétences » des squatteurs. Le lieu anciennement inoccupé se transforme, voit de nouvelles pratiques émergées, et joue désormais un nouveau rôle dans l’espace urbain, un rôle différent de celui à l’origine de sa conception, à savoir celui d’abriter et de solidariser une communauté alternative. Ainsi, le travail du squatteur, témoigne de la capacité d’un lieu à se régénérer et à enclencher plus largement un processus de recyclage urbain, où la ville exprime sa capacité à se fabriquer sur elle-même. Il n’existe pas un seul usage pour un lieu. Au contraire plusieurs usages peuvent être envisagés pour un même lieu et cela à des temporalités différentes. Ainsi, la question de revitalisation d’un bâtiment, d’un quartier, d’un morceau de ville met en lumière l’existence d’une autre temporalité, celle du lieu au-delà de la temporalité du squat. Le lieu habité et animé, se déforme et se reforme au gré des usages et des pratiques. Si le squat se ferme un jour, le lieu lui se veut intemporel. Il conserve les traces d’une activité passée, et joue un rôle de mémoire d’une pratique de l’espace et de la ville. À son tour, le squat de de Christiania est témoin d’un possible changement de temporalité. S’il est aujourd’hui un quartier vivant et un ancrage fort dans la société danoise, sous le poids de son succès et sous la menace de son expulsion, il pourrait voir la temporalité du lieu dépasser celle du squat. Ainsi, la création d’espace urbain alternatif comme le « squat d’activités » est régie par la question du temps. Cette temporalité se définit comme véritable levier d’action d’un dynamisme nouveau à l’échelle urbaine, remettant en question nos pratiques urbaines et l’organisation même de notre société. Ce temps, « contrôlé » par les autorités publiques nous permet de distinguer des étapes clés dans le processus de création et régénération alternative d’un « morceau de ville ». L’étude de ces différentes phases d’interventions urbaines, qui s’appuieront sur les observations menées par Florence Bouillon dans son ouvrage, nous permettra d’énoncer les « compétences urbanistiques » pouvant être soulevées chez le squatteur jusqu’à même lui attribuer le statut de « squatteur urbaniste ». Enfin, elle nous révélera en quoi cette pluri-compétence du squatteur, peut-elle être acceptée et intégrée dans la démarche des politiques urbaines en vue de développer ce processus de recyclage urbain engagé et de créer des espaces adaptés à une mutation perpétuelle de la ville et de ses pratiques citadines.
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02. Le squat : au-delà de sa stigmatisation, un moteur de la régénération urbaine ?
Fig 18. Abandon des bâtiments militaires, aire de nouveaux possibles pour les squatteurs, 1989
Fig 19. Haus 037, témoin d'une revitalisation de son patrimoine architectural, 2013
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2.1.1 Processus d’interventions urbaines dans la ville • La découverte du bâtiment
La découverte du bâtiment constitue la première étape importante dans le processus d’installation du squat. En effet, il est d’abord motivé par une double prise de conscience du squatteur à rechercher un toit pour s’abriter, celle de l’utilisation d’un lieu abandonné dans un premier temps pour revendiquer ensuite, dans un second temps, leurs actions politico-sociales. Nous avons caractérisé précédemment l’action du squat comme collective. L’émergence d’un nouveau lieu de socialité est le résultat d’une projection par un groupe de personnes, d’un lieu de vie et d’échange. Cependant, avant d’être la création d’un lieu de solidarité par un acte collectif, c’est l’identification d’un besoin de se loger qui pousse l’individu à squatter. La recherche du futur lieu d’occupation ne se fait pas de façon aléatoire. Les squatteurs lors de recherches connaissent leurs besoins et leurs moyens. Ils analysent la ville dans un premier temps et identifient tour à tour chacun des lieux susceptibles de s’offrir à eux. Une fois que l’un des lieux semble présenter des possibilités, le squatteur se projette une première fois dans un projet d’aménagement de lieu de vie pour lui, mais surtout pour son collectif. Ce lieu conviendra-t-il ou non ? Est-ce que ces lieux répondent à mes besoins et à ceux de mon collectif ? Dès lors, plusieurs imaginaires s’offrent à lui, et représentent en cela la première étape de la création urbanistique. Si le choix porté sur l’édifice abandonné est ensuite alors validé par l’ensemble de la communauté, le processus d’urbanisation est réellement engagé, marquant de fait, le début de la construction de leur habitat, et la naissance de leur communauté. À la différence de n’importe quel homme à la recherche d’un toit pour établir son espace de vie, le « squatteur urbaniste » utilise une autre méthode, portée davantage sur les besoins de la collectivité et la portée urbanistique de leur occupation. En effet, le processus créateur engagé par les squatteurs consiste naturellement en la trouvaille, dans le tissu urbain réel, d’un bâtiment qui puisse lui révéler ses propres utopies. Un lieu qui par l’injection de nouvelles pratiques, transforme sa fonction, et en cela porte un message contestataire, à l’image de leurs revendications. Ce constat engendre une conception du processus créatif de l’urbanisme, radicalement opposée à celle de l’urbanisme tel qu’on le connaît aujourd’hui. Pour l’occupant, « c’est l’architecture qui révèle une utopie de la collectivité et non l’architecture créée qui propose un cadre utopique à une 19 collectivité donnée ». 19
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DAWANCE Thomas, L’histoire du squat, mémoire de fin d’études, Bruxelles, 1999, p.31
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Ainsi, là où les autorités publiques pensent que l’architecture est capable de fédérer des espaces d’interactions par le « simple dessin de lignes directrices », le squatteur lui, voit en l’architecture un moyen d’exprimer ses revendications et être un véritable support de contestations, de soutien à un autre mode de vie. Une fois de plus, les squatteurs semblent pouvoir dépasser la question de leur installation pour tendre vers d’autres interrogations. Ils questionnent leur environnement, et captent les éléments qui les entourent afin de les détourner, de s’en servir pour y construire leur habitat. Chaque édifice devient le cœur d’un projet, considéré comme une offrande patrimoniale qui mérite d’être respectée, et d’effectuer la tâche qu’elle a à accomplir : abriter. C’est donc, ici avec les squatteurs que l’architecture devient un outil, un moyen, et non plus désormais une simple finalité. fig.20. Réinventer collectivement Christiania
fig. 21. Espaces vacants, potentiel de reconversion, 1971
figure 22. Réinvestir l'île pour lui redonner une seconde vie, 1971
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• L’ouverture du squat
Si la découverte du lieu est un moment important dans le processus d’urbanisation du squat, l’ouverture du squat constitue elle aussi une étape clé. On s’éloigne de l’analyse et de l’identification d’un lieu pouvant correspondre à une nouvelle aspiration de vie pour désormais agir et intervenir dans l’espace urbain. De l’observation, on passe à l’acte, celui d’ouvrir le squat et de le maintenir ouvert. Symboliquement, cette ouverture marque le début d’une « révolution urbaine ». C’est à travers cette action que la collectivité se voit désormais exister réellement, leur permettant de définir ainsi la nature du lieu qu’ils occupent, et de s’installer même si ce n’est que temporairement. Naturellement, la prise de décision des squatteurs ne se fait pas aléatoirement et au contraire, est mûrement réfléchie. Ouvrir un squat nécessite après avoir choisi le futur lieu d’occupation, de prendre en considération les besoins et moyens mis à leur disposition, ainsi que de connaître le contexte spatial et politique dans lequel ils agissent. En effet, dès le début de l’occupation, par leur situation illégale, les squatteurs suscitent un vif intérêt de la part des autorités. De fait, le contexte dans lequel agissent les autorités influencent de la même manière les outils et moyens activés pour aboutir à l’exclusion des squatteurs. Nous le savons, les premières semaines d’occupation sont déterminantes pour le maintien du squat à plus ou moins long terme. Ainsi, le moment choisi par les squatteurs pour ouvrir le squat est lui aussi déterminant. Nous verrons d’ailleurs plus tard, comment à Christiania, les hippies ont su profiter de l’instabilité politique du gouvernement danois, pour ouvrir le squat et s’installer stratégiquement sur le territoire.
• Évolution de la vie interne à la collectivité
Découvrir et ouvrir le squat, sont des actions significatives dans le processus d’installation. On se découvre une opportunité pour vivre autrement, et l’on trouve une vie sociale, un collectif portant les mêmes valeurs. Elles sont les étapes déclenchant une certaine réalité du squat au travers de la volonté des occupants, d’aménager et d’organiser l’espace social et architectural pour l’habiter. À l’instar d’un architecte, les acteurs du squat cherchent à organiser les espaces personnels et communs en respectant l’intimité et les volontés de chacun. Aussi, en créant des espaces confortables qui leurs ressemblent, les squatteurs souhaitent s’établir au sein de leur communauté, et développer un véritable « chez soi ». Cependant nous verrons plus tard que les squatteurs ne disposent aucunement des mêmes outils et méthodes d’interventions pour réfléchir et aménager leur lieu de vie, que n’importe quel autre citadin.
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Une fois de plus, ces opérations sont régies par la question du temps. Comparée aux deux étapes précédentes, cette action s’établit sur une durée plus longue. Chaque acteur du squat participe à son niveau, à l’élaboration d’un espace personnel, mais surtout d’espaces communs. Les tâches commencent tout d’abord par la réhabilitation des réseaux d’eau et d’électricité ainsi qu’à la remise en état des planchers, et murs délabrés par l’humidité et le manque d’entretien. L’objectif consiste alors dans un premier temps à offrir un espace « sain » et vivable, pour ensuite, si le temps et donc les autorités le permettent, aménager et décorer le nouvel habitat selon le désir de chacun.
• Le squat et l’ouverture sur la ville
Une fois que les squatteurs échappent aux expulsions qui menacent les premières semaines d’occupation et que l’installation de la communauté semble enfin stable, la difficulté rencontrée pour ouvrir le squat se transforme en une nouvelle ; celle de le maintenir ouvert. En effet, si l’ouverture constitue une première étape pleine de péripéties, le maintien du squat dans la ville, nécessite à son tour, la mobilisation de nombreuses ressources. Au-delà de conserver un toit pour s’abriter, les habitants de ces « squats d’activités » cherchent à faire reconnaître leurs aspirations, un autre mode de vie. Affirmant leurs postures contestataires face à la société contre laquelle ils s’érigent, les squatteurs tentent de se créer un nouveau réseau de solidarité s’étendant au-delà de leur cercle. Grâce à la création d’événements tels que des concerts alternatifs, des spectacles pour les enfants du quartier, la réalisation de repas festifs ou encore l’offre de services comme l’ouverture de crèche, de médiathèque de quartier, de bars et restaurants alternatifs, le squat instaure un nouveau dynamisme pour son territoire, et intègre les habitants à son projet communautaire. Cette dernière étape constitue alors au fond pour les occupants, un moyen non seulement d’exister et d’affirmer leur utopie, mais aussi de prolonger leur occupation. En dévoilant les coulisses de leur installation, les squatteurs poussent ainsi les gens à considérer leur mode de vie et à se rattacher progressivement à leur cause, notamment en cas de menace d’expulsion. En effet, l’expérience des « squats d’activités » ont montré que bien souvent, lors de conflits avec les autorités, les obligeant à quitter les lieux, la population se mobilise pour défendre la cause des occupants, et justifie ainsi en partie, la permanence de ces lieux dans la ville. C’est d’ailleurs le cas de Christiania, qui depuis quarante-cinq ans, lors de menaces d’expulsions, fait l’objet de grandes manifestations, où squatteurs et danois se mobilisent ensemble pour le maintien de ce lieu alternatif dans la capitale.
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figure 23. Découvrir un nouveau lieu des possibles, 1971
figure 24. Ouvrir le squat, début d'une lutte urbaine intense, 1971
figure 25. Réhabiliter un espace pour soi et son collectif, 1972
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figure 26. Ouverture d'une bibliothèque destinée à tous, 1973
figure 27. S'ouvrir, communiquer et s'intégrer, 1972
figure 28. Ouvrir le squat à son quartier, sensibiliser les visiteurs, 1972
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Ainsi, les différentes étapes du processus d’interventions urbaines menées par les squatteurs, nous ont révélé l’existence d’une multitude d’interactions qui s’établissent continuellement avec leur environnement. De la découverte d’un lieu souvent en état de désuétude, à son occupation jusqu’à l’ouverture du squat établit sur la ville, les squatteurs mobilisent à chaque instant des ressources fondamentales et indispensables au développement de leur lieu de sociabilité. Si les trois premières étapes de ce processus discutent d’interventions à l’échelle de la communauté, la dernière consistant à l’ouverture du squat sur la ville, entreprend des échanges avec d’autres acteurs et convoque une nouvelle échelle, celle du territoire.
Là où cette étape semble déterminante pour le maintien du squat dans la ville, elle fait également écho de tout le positivisme d’actions de ces organisations alternatives sur son environnement. En effet, le squatteur prend place dans la ville, et s’accommode progressivement des éléments autour pour dompter son environnement et l’enrichir de ses pratiques. À la manière d’un « citadin ordinaire », le squatteur montre donc sa capacité à enrichir un espace, un environnement par sa simple appropriation du lieu. Ils cherchent résolument à créer un espace confortable correspondant à leurs aspirations et leurs goûts. Néanmoins, les outils et méthodes convoqués pour aboutir à la réhabilitation des bâtiments occupés restent toutefois différents, et révèlent la capacité des squatteurs à développer des compétences particulières. Là où un architecte crée pour dévoiler une utopie, les actions menées par le squatteur sous la menace perpétuelle de l’expulsion, relèvent elle plus « de l’investissement d’un lieu et de son adaptation l’engageant ainsi à intervenir sur des temporalités plus courtes et plus intenses20».
Malgré le constat d’un dynamisme singulier du territoire enclenché par l’existence des squats d’activités dans certains quartiers de la ville, les occupants de ces squats restent cependant des individus peu sollicités et peu consultés par les autorités publiques. On ne reconnaît ni leurs compétences, ni leur légitimité de prendre part au débat public sur la manière de produire et de concevoir la ville. C’est pourtant sous un nouveau regard et avec de nouveaux modes d’actions, que les squatteurs proposent de recycler la ville et de réanimer son patrimoine.
20 BOUILLON Florence, Les mondes du squat, anthropologie d’un habitat précaire, éd. Partage du savoir, 2009, p.45
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L’imaginaire projeté puis créé par les habitants de Christiania dès l’ouverture du squat, l’ont amené à son statut privilégié de seconde attraction touristique de la capitale danoise. Est-ce l’architecture, le mode de vie des squatteurs, l’ambiance des repas festifs, les couleurs chatoyantes ou bien l’univers insolite de cet autre monde qui rend ce lieu pourtant défendu aussi attractif et désirable ? Installée depuis presque un demi-siècle au cœur de Copenhague, et grâce à la mobilisation de ressources et de compétences sociales, politiques, architecturales et urbanistiques, Christiania et ses habitants ont su opérer magiquement à l’élaboration d’un lieu unique justifiant alors son existence encore aujourd’hui.
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2.1.2 Élaboration d’une « pluri-compétence » du squatteur
« La notion de compétences désigne ici, les savoirs et savoir-faire acquis au cours de l’expérience du squat. Les compétences relèvent de formes 21 d’apprentissages et de transmissions en situation ». Florence Bouillon dans son ouvrage, questionne cette pluri-compétence du squatteur, et la défini en tant qu’apprentissage et l’élaboration de savoirs et de savoir-faire comme outils de fabrication de la ville. En comparant l’acteur du squat d’activités à un urbaniste, elle replace l’individu considéré comme un « incapable » par la ville, au cœur d’une réflexion plus grande, celle de le définir en tant qu’acteur direct de la fabrication de la ville avec ses propres interventions et son propre regard. À chaque « moment du squat », s’établissent aussi des moments de mobilisation de savoirs et de savoir-faire spécifiques. « S’établir dans un squat, c’est enfin 22 répartir et aménager l’espace, en somme, se l’approprier. » C’est désormais ici que le travail accompli par les occupants dans le squat d’activités, se révèle être un élément démonstratif d’une pluri-compétence du squatteur. Nous sommes désormais dans l’établissement d’un habiter où la temporalité du lieu tient un rôle primordial dans la production d’un « chez soi ». Dans l’analyse de ces compétences du squatteur nous pouvons discerner trois échelles. La première correspond à celle du logement même, et donc à la capacité de l’occupant à aménager un espace de vie pour lui et son collectif, tandis que la seconde, relève de l’échelle du quartier dans l’établissement d’une « relation de voisinage ». Enfin, la troisième échelle convoque une dimension plus large, celle de la ville, au travers de l’ouverture du lieu squatté et de son adaptation à l’environnement.
Échelle locale, se définir et s’aménager un espace habitable
• Analyse urbaine, savoir lire la ville
On identifie souvent l’ouverture du squat comme étant la première étape importante du processus d’installation. Mais comme nous l’avons présenté précédemment, cette étape n’est nullement envisageable sans une étude et une analyse préalable du lieu pour pouvoir s’investir dans une installation, en vue de la production d’un éventuel « chez soi ».
21 Op. cit. p.45 22 Ibid, p.46
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Florence Bouillon raconte que l’action d’ouverture d’un squat « exige dans un premier temps de savoir lire la ville23». Cette lecture passe alors par l’observation à différentes échelles du squat. Celle dans un premier temps du local, puis du terrain ou du bâtiment dans lequel il se situe, et enfin celle du quartier. Cette analyse de la ville est avant tout, le « point de départ de tout investissement d’un lieu inoccupé pour développer un squat d’activités24». L’objectif ici, est d’estimer correctement la disponibilité d’un bâtiment et sa durée, c’est-à-dire déterminer si ce lieu fait l’objet d’un éventuel projet de réhabilitation. Cette première étape requiert en cela, déjà, une grande capacité d’observation. Il s’agit de vérifier si les volets restent fermés, si du courrier arrive dans les boîtes aux lettres, ou même de rendre compte de l’état de dégradation du lieu afin d’estimer sa capacité à accueillir correctement ses futurs occupants. Les squatteurs vont parfois même jusqu’à interroger les habitants du quartier et à installer « un camp de base » afin de surveiller jour et nuit si le lieu, est habité voire déjà occupé par d’autres squatteurs. Aussi, Florence Bouillon énumère les critères d’analyse de l’état du bâtiment. Ainsi, « s’il est trop neuf, cela signifie très certainement qu’il va être loué rapidement. S’il est trop insalubre, les squatteurs seront difficilement en capacité de le rénover et donc de l’habiter25». Trouver un lieu, un bâtiment ou un local qui soit adéquat et réponde aux différents besoins et envies de ses futurs occupants, constitue un réel travail d’analyse, comparable sur certains point à celui d’un urbaniste. Nous pouvons donc observer le rôle déterminant de ces « ouvreurs de squat » dans la future élaboration de leur lieu de vie. Durant l’été 1971, Christiania ne faisait l’objet d’aucune forme de reconversion après le départ de l’armée. Aucun plan planifiant un projet de réinvestissement futur de la zone ne fut dessiné par les autorités publiques, laissant de fait, l’île à l’abandon pendant que la ville poursuivait elle, son expansion sur les berges du Københavns Havn. Les années 1970 sont marquées aussi par la montée de groupes hippies dans le monde, qui souhaitent condamner les politiques de la ville pour tendre vers la création de leur propre communauté. Partisans du haschich et de drogues douces en tout genre, les hippies espéraient vivre librement sans être dirigés par la société de consommation contre qui ils s’érigeaient. À la recherche d’un lieu où pourrait se construire cet espace de socialité que la ville refuse de leur offrir, ils arpentèrent la ville de Copenhague en long et en large, à la recherche d’un terrain pouvant répondre à leurs besoins.
23 BOUILLON Florence, Les mondes du squat, anthropologie d’un habitat précaire, éd. Partage du savoir, 2009, p.46 24 Ibid, p.47 25 Ibid
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Rapidement, l’île de Christiania se présenta à eux, comme un lieu des possibles, correspondant à leur imaginaire un brin psychédélique. C’est ainsi que le 26 Septembre 1971, un premier groupe décide de briser les chaînes, et d’ouvrir les portes de Christiania pour y établir leur nouveau lieu de vie. Au travers de cet acte symbolique, les premiers christianites proclament la naissance du quartier de Christiania et le début d’un urbanisme spontané qui ne cesse de surprendre encore aujourd’hui. Leur revendication est annoncée : faire de Christiania une société autonome, où chaque individu peut s’épanouir dans un système collectif et proposer une alternative visant à solutionner la misère ambiante que la ville tente de cacher. « Christiania’s objective is to create a self-governing society, whereby each and every individual can thrive under the responsibility for the entire community. This society must economically rest in itself, and the joint efforts must continue to be about showing that psychological and physical destitution can be diverted26 » Sven, Kim, Ole and Jacob, 13 Novembre 1971
figure 29. Les christianites brisent la barrière de l'île, et se proclament ville libre, 1971
26 SØDERDAHL THOMASSEN Susanne, «History of the Christiania area», Bygningsstyrelsen, 8.Août 2013, url : http://www.bygst.dk/english/knowledge/christiania/ Traduction personnelle, « L'objectif de Christiania est de créer une société autonome, où chaque individu peut s'élever sous la responsabilité de toute la communauté. Cette société doit garder son propre système économique, et les efforts réalisés doivent en permanence montrer que la misère psychologique et physique peut être détournée »
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Comme nous l’avons énoncé précédemment, l’ouverture d’un squat nécessite une connaissance aiguë du contexte politico-social dans lequel il s’inscrit, afin de déterminer stratégiquement le moment, pour lequel les squatteurs décident enfin de pousser la porte et de se déclarer « propriétaires ». Ainsi, ce moment de proclamation de la freetown en 1971, ne fut marqué par aucune forme de contestations immédiates de la part des autorités bien que l’occupation fut illégale. En effet, à cette même période, le Danemark traversait une crise politique importante. Quelques jours avant l’ouverture du squat, s’étaient tenues les élections nationales, où le parti de centre droit ainsi que la coalition de gauche avaient obtenu quatre-vingt-huit députés. Le Danemark jusqu’alors monarchie parlementaire, vit leur système politique bouleverser par les élections législatives. C’est alors le 10 Octobre 1971, que la majorité est accordée au Parti Social-Démocrate, soutenu également par le Parti Socialiste. La souveraineté de l’État dépossédée d’un gouvernement fonctionnel, se retrouve alors dans une instabilité politique conséquente, l’empêchant ainsi d’agir immédiatement face à l’installation des squatteurs sur l’île.
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figure 30. RĂŠhabiliter pour revaloriser l'ancienne zone militaire, 1971
figure 31. AmĂŠnager et s'approprier collectivement l'espace, 1972
figure 32. Transmettre des idĂŠes au travers de la dĂŠcoration, 1974
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• Aménager l’espace, le répartir et se l’approprier
Si la temporalité joue un rôle primordial de levier d’action dans l’installation d’un « squat d’activités » à l’échelle de la ville, elle est aussi déterminante à une échelle plus locale. Sous la contrainte du temps, chaque occupant aménage alors son espace plus ou moins durablement dans un but commun : rendre l’espace vivant et familier pour permettre l’épanouissement collectif et individuel. C’est donc différemment des autres habitants de la ville, que le squatteur convoque d’autres outils et méthodes pour concevoir ces espaces selon leurs propres désirs. Suite à l’ouverture du squat, les premières interventions consistent le plus souvent, dans un premier temps à déblayer les éventuels gravats, réparer les fenêtres cassées, avoir accès aux fluides (électricité et eau), et installer les premiers meubles de nécessité. La question de l’organisation fonctionnelle du lieu arrive dans un deuxième temps. Chaque occupant organise l’espace de manière à s’établir doublement dans le squat, c’est-à-dire en tant que seul individu et individu au sein d’une communauté. Deux organisations s’opèrent alors. D’une part, l’organisation d’espaces communs où se rassemblent les habitants pour notamment discuter de leurs règles de vie et débattre sur la création d’événements dans la ville, et d’autre part, l’organisation d’espaces plus intimes, pour se « construire » individuellement. C’est donc naturellement dès leur arrivée à Christiania, que les premiers occupants du squat ont investit les anciennes bâtisses militaires afin de les transformer en quartier d’habitation. Chacun assujetti à sa tâche, participait à son niveau, à la rénovation des édifices pollués. Ainsi, pendant que les enfants aidaient les femmes à dépoussiérer les locaux, les hommes se chargeaient de changer les fenêtres, et de cloisonner et décloisonner les espaces, afin de répartir fonctionnellement et de rendre habitables les lieux communs et individuels. Ce sont alors dès les premières interventions, que nous pouvons faire le constat d’une première capacité du squatteur à savoir bricoler et à organiser l’espace de manière fonctionnelle. Cette compétence, relevant plus de l’habilité technique, semble être une nécessité pour s’établir dans un squat, sans laquelle la qualité de vie des squatteurs, serait réduite et les pousserait très certainement à quitter les lieux. Ensuite, si les autorités publiques « autorisent » l’occupation sous certaines conditions, les squatteurs commencent progressivement à s’installer « durablement » en ajoutant de nouveaux meubles sur lesquels des « babioles » et des photos auront une place toute réservée. Les premiers travaux laissent donc place à l’aménagement et la décoration des espaces communs projetant ainsi réellement les espaces de vie communautaire. Les murs sont repeints et les planchers revissés.
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Les tableaux, les lumières et les pendules sont accrochés aux murs, tandis que les chaises se rassemblent autour de grandes tables rondes. Les christianites, une fois leur occupation tolérée par les autorités danoises en 1972, commencèrent véritablement à s’investir dans la réhabilitation de l’ancien quartier militaire, outre la transformation des casernes. De simple occupation, ils habitaient désormais l’île et se construisaient le quartier auquel ils avaient toujours aspiré. Mobilisant alors le peu de ressources à leurs dispositions et laissant leur esprit créatif s’exprimer librement, les squatteurs entreprirent dès lors, de grands travaux de rénovation et la construction de nouveaux baraquements. figure 33. construction de nouveaux baraquements pour accueillir de nouvelles activités, 1973
figure 34. Organiser la restauration, habiter la caserne, 1972
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figure 35. Offrir un nouveau confort de vie, 1971
02. Le squat : au-delà de sa stigmatisation, un moteur de la régénération urbaine ?
Au-delà d’aménager un espace habitable pour tous, il s’agit dans un deuxième temps de communiquer l’état d’esprit des squatteurs. Une dimension décorative intègre alors les travaux des occupants. En effet, tout aussi vital pour la communauté que l’aménagement fonctionnel, la décoration devient pour les squatteurs l’expression d’une identité, d’une culture mais surtout l’expression d’une nouvelle socialité. Ainsi, des cloisons sont abattues, des extensions des bâtisses sont créées, des bars ouverts et des terrasses aménagées. Leur créativité est à présent sans limite. Les squatteurs construisent même des « huttes mobiles » et des « foyer sur roues » pour prévenir non seulement des risques d’expulsions, mais aussi dans l’idée d’accueillir de nouveaux arrivants et d’agrandir « cette grande famille ». Une fois le titre de territoire à vocation expérimentale accordé au squat de Christiania, la créativité des christianites ne fit qu’augmenter et s’enrichir. D’un mois à l’autre, suivant la participation des habitants, voire même de personnes extérieures au squat, le lieu changeait totalement d’atmosphère et de tonalité. Des maisons en forme de bateau ou de vaisseau spatial s’érigeaient, tandis que les façades des anciens bâtiments militaires prenaient une teinte plus colorée et expressive. Progressivement, une fantaisie architecturale se dessina sur l’île, contrastant alors très clairement avec l’architecture « inanimée » de la capitale. Ainsi, les bords du lac « sont parsemés de maisons fabriquées au cours des années par les christianites, avec pour seules restrictions leurs goûts, leurs envies, leurs fantasmes. On y trouve au hasard une maison flottante, un luxueux chalet de bois ou une habitation entièrement faite de verre plus loin, une sorte de vaisseau spatial semble posé à côté d’un arrangement complexe de baraques de chantier décorées de peintures d’inspiration népalaise27». Les espaces imaginés par les habitants, se font alors et se défont sans arrêt pour suivre les envies des occupants et s’adapter continuellement à leurs besoins. Nourrissant alors même leur architecture, les squatteurs nous prouvent bel et bien, que l’éphémère peut être au service d’une architecture de l’instant. Ainsi, la compétence du squatteur ici, est plus de l’ordre de la capacité à « user » et à « utiliser » le bâtiment, de l’aménager et de se l’approprier plus que d’entreprendre de réels travaux de réhabilitation au départ. Une nouvelle fois, le travail des squatteurs se différencient de celui d’un urbaniste ou d’un architecte. Ils ne créent pas de l’architecture en vue de produire une quelconque appropriation, au contraire, ils l’investissent pour lui donner du sens.
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FREMEAUX, Isabelle & John JORDAN, 2011, Les sentiers de l’utopie, Paris, La Découverte, p.271
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Échelle du quartier, performances urbaines et savoir circuler L’échelle locale étudiée précédemment correspondant à celle de l’habitat, du bâtiment transformé en vue d’abriter ses nouveaux occupants, nous a permis d’identifier des compétences architecturales et décoratives. Capables de réhabiliter, parfois même de construire, d’organiser, d’aménager et de décorer les espaces communs et individuels, les squatteurs ont su réanimer un patrimoine architectural laissé jusqu’alors en désuétude. Le cas de Christiania est également l’occasion d’exposer de nouvelles compétences de ses occupants s’attachant cette fois-ci à une échelle différente, celle du quartier. Dans cette seconde échelle, le squatteur développe des aptitudes relevant plus de l’ordre de performances urbaines et de théâtres d’action, et à l’origine bien souvent, d’un dynamisme social et physique. Après s’être installé et avoir développé un espace de vie confortable en accord avec les désirs de toute la communauté, Christiania et ses habitants se sont engagés à porter plus loin leurs revendications et à créer une véritable « ville dans la ville » de Copenhague. En effet, une fois leur rénovation effectuée, le territoire de l’ancienne caserne militaire a fait l’objet d’une réflexion urbaine, dont le but était d’assurer une cohérence, et une lecture harmonieuse de la nouvelle « ville ». C’est donc vers de nouveaux modes d’actions, que les squatteurs dans une seconde temporalité du squat, ont développé de nouvelles compétences. Des rues furent dessinées, des places créées et des maisons construites sans aucune validation d’un permis de construire. Christiania se définirait alors comme un phénomène urbain « marginal », intégré dans un phénomène urbain lui-même « traditionnel ». Quelques années plus tard, ces premières interventions urbaines furent complétées par la rédaction du Christiania's green plan en 1991, soulignant alors les visions d’un environnement écologiquement durable avec notamment l’interdiction de l’accès de la voiture sur l’île. C’est donc une nouvelle fois, que les christianites ont tenu un autre rôle que celui du « simple squatteur ». Celui d’acteur de son environnement dont les compétences cette fois-ci urbanistiques, visèrent à assurer un nouvel ordre urbain de Christiania.
• Savoir représenter, savoir communiquer
Si les squatteurs souhaitent assurer une lecture cohérente de leur occupation dans un contexte spatial bien particulier, c’est en grande partie dans le but de s’inscrire et de prendre place dans la ville à plus long terme. En effet, bien qu’ils revendiquent des modes de vie alternatifs se traduisant souvent par des installations éphémères, leurs ambitions se veulent toujours durables.
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02. Le squat : au-delà de sa stigmatisation, un moteur de la régénération urbaine ?
Il s’agit pour ces acteurs du squat, d’entreprendre un rôle double : affirmer leur posture contestataire d’une part, et d’utiliser d’autre part le patrimoine investi pour transmettre leurs idéologies. Progressivement, c’est à nouveau au travers d’une dimension décorative que chaque squatteur, au travers de peintures, de slogans, de sculptures ou encore d’expositions, entreprirent un travail d’expression des revendications de sa communauté. À Christiania, aucunes affiches publicitaires ne placardent les murs de promotions immobilières, de crédit à taux zéro, ou de message politique rappelant qui est à la tête du gouvernement. Les façades représentent le seul moyen d’expression des habitants et sont le support de réalisations artistiques admirables participant à l’imaginaire psychédélique de Christiania. Si la dimension décorative du squat à l’échelle du bâtiment représente un moyen de rendre un espace plus familier, il est intéressant de voir ici comment les squatteurs envisagent cette limite entre l’intérieur et l’extérieur, le dehors et le dedans, le public et le privé, comme un moyen d’expression public qui médiatise la lutte et l’identité du quartier. Les squatteurs montrent alors une nouvelle fois leur capacité à savoir user des éléments, pour communiquer avec son environnement dans le simple but ici, d’effectuer un premier contact avec le voisinage, en vue d’une intégration plus large dans la ville.
figure 36. L'expression au service de la revitalisation, 1973
figure 37. Les façades, supports de messages revendicateurs, 1974
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• Coopérer pour intégrer
Si il est nécessaire pour les squatteurs de développer des compétences de communication dans une logique de construction du squat pour revendiquer cette posture alternative de vivre autrement, c’est aussi dans le but de développer un espace de sociabilité s’étendant par delà les murs, et dialoguant avec son environnement. S’approprier des lieux inoccupés, c’est aussi y être toléré. Toléré par les autorités, mais aussi par le voisinage. Si au départ, à l’ouverture du squat, les habitants cherchent à se faire discrets, ils désirent ensuite petit à petit, s’ouvrir sur l’extérieur dans le but d’établir un premier contact avec le voisinage. La coopération représente alors la première démarche d’ouverture du squat sur le quartier et plus largement sur la ville. L’intégration au sein du voisinage, permet de transmettre des idées, mais surtout de bénéficier d’un éventuel soutien de la part de la population en cas de menace d’expulsion. Il convient donc pour les habitants du squat, de proposer leurs aides et d’offrir des services, des programmes ouvert à tous. Ainsi, là où la société actuelle conduit les habitants à se soustraire de la vie collective pour se retrancher dans leur foyer, le squat d’activités lui, décide d’ouvrir ses portes pour rassembler squatteurs et citadins. De la mise à disposition de locaux pour les associations, au restaurant, en passant par l’organisation de repas de quartier, ou de marché de Noël, la revitalisation d’un lieu abandonné par les squatteurs, s’accompagne généralement de la promotion d’un véritable projet communautaire de régénération urbaine. Christiania enregistre aujourd’hui la présence de plus de quatre-vingt-dix entreprises et associations répartis en trois groupes : les espaces ouverts au public (bars et restaurants), de production et point de vente, et enfin les petites entreprises et clubs ouverts plus spécifiquement aux christianites tels que la célèbre boulangerie « Bageriet » ou encore la crèche et le jardin d’enfants. Ce squat d’activités s’est donc constitué à la manière d’une ville informelle, et bénéficie aujourd’hui de toutes les activités nécessaires à son fonctionnement (un épicier, un marchand de légumes, une buanderie etc..). Une fois ces services « primaires » établis, d’autres services sont venus compléter l’offre, par un certain nombre de restaurants, bars et café qui témoignent aujourd’hui, d’une certaine popularité à l’échelle de la ville. Ainsi, bons nombres de danois et étrangers du monde entier de passage à Copenhague, ont déjà mis les pieds dans le célèbre restaurant bio Spiseloppen, et le café Manefiskeren, et s’est déjà déhanché dans le populaire club de jazz « Børneteatret». Ces lieux alternatifs sont alors depuis, le symbole d’une intense volonté des christianites de s’ouvrir, d’échanger et de rencontrer le « monde extérieur » sur leur propre territoire, mais également témoins du succès de leur désir d’ouverture sur la ville.
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02. Le squat : au-delà de sa stigmatisation, un moteur de la régénération urbaine ?
figure 38. Aménager des espaces de rencontre, 1973
figure 39. Animer le squat pour soulever un soutien populaire, 1993
figure 40. Le café Manefiskeren, rendez-vous de tous les danois, 2002
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figure 41. Organiser des événements pour partager une expérience urbaine unique, 2011
figure 42. Spectacles et concerts, exposer des sujets de société, 2009
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02. Le squat : au-delà de sa stigmatisation, un moteur de la régénération urbaine ?
Échelle de la ville, explorer la ville et y prendre place
• Animer pour rester Florence Bouillon, nous décrit le squat comme un triple support de 28 communication ». Le premier relève de l’affichage dénonçant les politiques publiques et le « droit au squat », tandis que le second présente des rencontres informelles entre habitants du squat et les commerçants avoisinants. Le dernier support lui, discute des rencontres placées sous le signe de la « convivialité » comme les repas de quartier. De fait, le rôle du squatteur évolue. Dans un second temps de l’occupation, il met ses compétences d’animation autant à disposition de sa communauté que de la ville, invitant même dans certains cas, les habitants du quartier à eux aussi participer. L’énumération des différentes étapes composant le processus d’installation de tous squats, nous ont permis de faire état d’une « pluri-compétence » du squatteur, telle que Florence Bouillon nous la décrit. Si la revitalisation urbaine paraît définir en grande partie leur travail, le lieu anciennement abandonné se revitalise également socialement, témoignant de fait, de l’intérêt des squatteurs pour la création d’espaces destinés à l’Homme. En proposant des activités ouvertes à tous, les squatteurs réinjectent de nouveaux usages, et réaniment le territoire. Cependant, si le travail de coopération et d’intégration pour se creuser une place dans la ville occupe une grande partie du travail des squatteurs, ils doivent aussi faire face continuellement à la menace de l’exclusion qui pèse sur eux. Stratégiquement, les habitants ouvrent alors à nouveau leur porte, et créer des événements. Souvent porteurs de messages politiques forts, le but de ces actions est de se solidariser avec le territoire proche et de faire émerger cette fois-ci, un soutien populaire. Si les compétences identifiées chez les christianites ont permis au gouvernement de voir en eux des interlocuteurs légitimes, d’autres éléments tels que l’aspect subversif du squat ou encore la richesse d’appropriation qui s’y déroule, ont vigoureusement fait basculer l’opinion publique au sujet de Christiania, le projetant rapidement après quelques années d’existence, au statut de lieu à vocation expérimentale. Nous étudierons donc par la suite, ces deux éléments clés du squat, qui ont impacté et orienté les démarches du gouvernement, afin de saisir les raisons qui l’ont poussé à développer ce statut unique. Également, ces différentes observations seront l’occasion de faire émerger des enjeux plus large de cette expérimentation. En effet, nous verrons qu’au delà des intérêts privés, de nouveaux enjeux visant à satisfaire le développement de la ville apparaîtront.
28 BOUILLON Florence, Les mondes du squat, anthropologie d’un habitat précaire, éd. Partage du savoir, 2009, p.50
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2.1.3 L’enrichissement par l’appropriation
De l’ordre de l’investissement et de la capacité à user d’un lieu et de se l’approprier, les actions menées par les squatteurs se distinguent de l’architecte, de l’urbaniste ou encore du simple citadin vivant dans un cadre légal. En effet, ils enrichissent des terrains, des lieux par leur seule appropriation, et en cela peuvent être comparés au travail de l’abeille. Dans son article, Le domaine des possibles, Patrick Bouchain fait un rapprochement très intéressant entre le travail de l’abeille et celui de l’Homme. Il y fait un état des lieux des observations faites sur les territoires agricoles, et s’en aspire pour proposer de voir les pratiques urbaines différemment. « Les abeilles n’ayant pas la notion de la propriété, elles iront très certainement butiner au-delà de la clôture du terrain sur lequel est fixée la ruche. Autour d’elles, des forêts et des champs sont plein de fleurs sauvages, elles iront en recueillir le sucre avant que le fruit n’apparaisse, travaillant sur un terrain au nez et la barbe de tous les propriétaires : le leur, celui du terrain butiné, et celui du terrain de la 29 ruche, ignorant le lieu de glanage de ses locataires ». Patrick Bouchain au travers de l’étude du code rural démontre l’enrichissement par l’appropriation. En effet, ici, l’abeille, libre et mobile, ne connaît pas les limites des terrains agricoles. Elle butine librement sur le terrain d’à côté, s’enrichissant du fruit offert et par là même occasion fructifie cette terre qui ne lui appartient pas. Là où Patrick Bouchain propose de faire un rapprochement entre le logement social et le travail de l’abeille, ne pourrions-nous pas élargir ce raisonnement à la question du squat et de ses occupants? En effet, les squatteurs semblent user d’un lieu, d’une architecture qui ne leur appartient pas. Pourtant, les compétences qu’ils développent dans ces lieux leurs permettent de redonner un second souffle à ces espaces qui, pour la plupart tombent en ruines. Ainsi, les occupants du squat d’activités en s’appropriant ces espaces abandonnés peuvent-ils traduire un enrichissement du lieu par là même occasion ? À la manière du travail de l’abeille qui fait fructifier les terres qui ne lui appartiennent pas, le squatteur urbaniste ne pourrait-il pas être reconnu comme un producteur de liaison social dans une société capitaliste ?
29 BOUCHAIN Patrick, « Le domaine des possibles », ArchiSTORM, n°3 Novembre 2011, url :http:// www.perouparis.org/pdf/Ressources/ChroniquesPatrickBouchain.pdf
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02. Le squat : au-delà de sa stigmatisation, un moteur de la régénération urbaine ?
figure 43. S'approprier son environnement et user de ce qu'il a à nous offrir, 1968
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Également, en poursuivant sa réflexion, Patrick Bouchain interroge la question de propriété qui semble à cause des lois environnementales, dans le cas de terrains en désuétude, contraignante pour les propriétaires. Ces terres délaissées appelées « vaines, vagues et sans maître » dans le code rural, font l’objet d’une reconquête naturelle, où la nature et les animaux reprennent leurs droits et réparent les actions de l’Homme. Encore une fois, nous pouvons voir un rapprochement avec l’architecture et plus largement les politiques urbaines de la ville. Ne pourraiton pas penser l’architecture « vaines et vagues » de nos villes, comme des lieux à réparer, des interstices urbains à cicatriser ? Au lieu de détruire ces bâtiments, ces lieux ou tout simplement de les laisser mourir par leur inoccupation, ne serait-il pas préférable d’observer une reconquête de ces lieux pour les réparer soigneusement par l’injection de nouveaux usages ? Nous l’avons vu, le travail des squatteurs semble déjà opérer dans ces lieux à la manière de « pansement urbain ». Par leur appropriation du territoire, ils développent de nouveaux usages, réinjectent de la vie dans des quartiers qui s’éteignent, et « sauvent » un patrimoine jusqu’alors en sursis. Ainsi, Patrick Bouchain considère cette d’architecture en recherche de reconquête « d’utilité sociale » pour la ville, et imagine les citoyens « comme un paysan à qui 30 on donne un semis et un outil ». À nouveau, le travail des squatteurs dans leurs conquêtes de ces richesses abandonnées, ne fait-il pas écho de cette reconquête « utilité sociale » ? En s’appropriant et en développant des activités dans ces lieux, ils offrent une dynamique à l’échelle du quartier et de la ville. Ils réhabilitent le bâtiment par leur installation, mais surtout, ils enrichissent les pratiques urbaines en recréant des nouveaux lieux de sociabilité, ouvert à tous. L’aménagement de la ville aujourd’hui semble être aussi complexe que l’organisation de l’espace agricole. Les premiers usagers de la métropole que sont les habitants, semblent condamnés à subir la ville et ses pratiques, et paraissent déniés en tant qu’acteurs sociaux de l’espace urbain. Les habitants des squats d’activités recréent eux, des dynamiques nouvelles. En se glissant dans les interstices oubliés de la ville, ils se réapproprient l’espace et réinventent sous la contrainte, cette ville achevée et formatée qu’on tente de leur imposer. Ainsi, en prolongeant la pensée de Patrick Bouchain à celle des squats, pourrions nous concevoir cette activité urbaine du squat, qui au même titre que l’agriculture, répondrait au besoin de son cultivateur et contribuerait au développement de la ville et à la beauté du paysage urbain ?
30 BOUCHAIN Patrick, « Le domaine des possibles », ArchiSTORM, n°3 Novembre 2011, url :http:// www.perouparis.org/pdf/Ressources/ChroniquesPatrickBouchain.pdf
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02. Le squat : au-delà de sa stigmatisation, un moteur de la régénération urbaine ?
2.2
Christiania, un espace subversif
Si le squat se caractérise par l’occupation illégale d’espaces ou de territoires abandonnés et l’image utopique d’une société idéale, il est avant tout un espace subversif. Dès le départ, les squatteurs se constituent une communauté dont le but est de subvertir les normes existantes et de dénoncer les pratiques individualistes de notre société. Contredire, pour soulever des problèmes publics existants, se mobiliser, pour agir ensemble ; tels sont les mots d’ordre de ces organisations alternatives. De la manifestation politique à l’organisation d’événements culturels, les squatteurs se réunissent donc et mobilisent différents outils pour faire entendre leurs revendications. À Christiania, la subversion s’exprime aussi dans chacune des actions menées par les squatteurs, et emprunte différentes échelles d’interventions. Elle agi d’une part à une échelle dite endogène, en s’intéressant au mode de fonctionnement interne à la communauté christianite, et d’autre part, à une échelle dite exogène, en s’attaquant à la ville et ses pratiques, devenant ainsi le théâtre d’actions politiques.
figure 44. Christiania, un terrain d'actions politiques, 1978
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2.2.1 Christiania théâtre de l’action politique
Depuis le départ, Christiania puise sa force dans l’esprit originel d’une jeunesse au mode de vie hippie souhaitant profondément expérimenter une gouvernance démocratique alternative. Les squatteurs prônent une démocratie directe avec des assemblées de quartiers, et établissent un certains nombre de normes implicites qui ont jusqu’alors, « discplinarisé l’espace et les corps31». S’éloignant de tout fonctionnement hiérarchique qui pousse les habitants à être placés dans des cases, les christianites, souhaitent désormais être acteur de leur environnement et considérés sur un même pied d’égalité. Aussi, tous les mois, chaque habitant du squat à l’occasion de participer aux réunions mensuelles områdemøder organisées au sein de son quartier pour débattre des affaires intérieures à Christiania. Si à la suite de ces réunions, aucune solution n’est apportée au problème soulevé, le débat bascule alors ensuite au Fællesmøde, « ultime corps politique christianite », jusqu’à ce que le conflit soit résolu par une action concertée ou l’édiction d’une règle contraignante.
Au-delà du simple rassemblement territorial ou économique, la participation active des habitants projette donc le squat vers une autonomie politique qui s’inscrit en tant que porte parole d’une démocratie participative alternative. Toutefois, quand bien même l’expérience de Christiania, semble être le point de départ d’un système politique plus éthique, elle témoigne également de certaines difficultés rencontrées au sein de ces échanges. En effet, reposant uniquement sur le principe de consensus démocratique, les prises de décisions révèlent en vérité l’existence de rapports sociaux hiérarchiques semblables à ceux qui structurent nos sociétés. « Les ambitions personnelles, les logiques de confiscation du pouvoir, la confiscation de la parole ou encore l’instauration de médiations qui limitent les relations interindividuelles32» constituent en définitive des obstacles à la prise de décision unanime. Ils expliquent aussi une certaine lenteur, renvoyant de fait une image négative d’une organisation interne mal constituée. Néanmoins, cette lenteur constatée, a su également joué d’un impact positif pour ralentir considérablement l’action répressive du gouvernement. En choisissant d’établir un dialogue plutôt qu’un rapport de force avec les christianites, les squatteurs ont usé de ce mode de prise de décision pour obtenir un moyen de « contrôle sur le temps » et ainsi, de prolonger leur installation.
31 RAINAUD Félix, Christiania, micro-société subversive ou «hippieland»?, thèse pour le Master en Sociologie, Université de Poitiers, 2012, p.26 32 Ibid, p.27
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02. Le squat : au-delà de sa stigmatisation, un moteur de la régénération urbaine ?
figure 45. Rédaction des règles de vie christianite au sein des Fællesmøde, 2006
Les premières tendances politiques du squat de Christiania s’expriment donc en premier lieu au travers de son l’organisation interne et par le biais d’une gouvernance démocratique. Toutefois, l’élan contestataire caractéristique de l’installation du squat, ne tarda pas à porter ses enjeux politiques plus loin, afin de dénoncer les problèmes de notre société et de se constituer en tant qu’espace de la contre-culture. Les mouvements contre-culturels sont qualifiés de tendances marginales en opposition à la société et à la culture dominante. Par le biais de manifestations culturelles, les mouvements contestataires abordent des sujets de société contemporaine, tels que la vie communautaire, la liberté sexuelle, ou encore les guerres. En refusant l’aliénation, et en proposant des solutions alternatives par le biais de la culture, le squat de Christiania trouve alors naturellement sa place au sein de ces mouvements. Dans une forme de romantisme libertaire, les christianites allient donc esthétique et politique, mélange paradoxal de contestation. L’expérience du théâtre d’action politique de Solvognen est un exemple remarquable de cet engagement politico-culturel. En 1972, influencé par le groupe des Diggers33 de San Francisco, qui considérait le théâtre de rue comme un moyen de contestation politique mobile, quelques squatteurs, hippies et activistes se rassemblèrent à Christiania pour former le groupe Solvognen (« Charriot du soleil »).
33 « Le projet initié par les Diggers dans le quartier du HaightAshbury à savoir la construction d’une « ville libre » dans la ville de San Francisco qui se nourrirait des déchets de son hôte et distribuerait librement les moyens de sa survie a exposé le fait de l’abondance matérielle et la possibilité d’un nouveau monde fondé sur le principe du don ». Traduction de KNABB Ken, « De la misère en milieu hippie », groupe contradiction 1972, mars 2004.
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Leur objectif était de réaliser des « théâtres d’actions » impliquant « une intervention dans une situation déjà établie, c’est-à-dire, où le public et les autorités sont contraintes à co-agir et donc à révéler ce qui est normalement masqué par l’ordre établi34». Chacune de ces pièces de théâtre d’action réalisées sur l’île ou même dans Copenhague, détenait sa propre dénonciation. De la critique de la Chine de Mao dans Elverhøj (1972), à l’impérialisme américain dans la NATO Army (1973), les membres du Solvognen sensibilisaient peu à peu la population sur des sujets de société, par le biais du spectacle de rue. L’impact de ces pièces grandit alors, et attira l’attention des médias qui leur offrirent une large couverture médiatique, bénéfique au maintien de leur installation. Mais c’est surtout en 1974, que Solvognen présenta sa plus grande « œuvre » aux habitants de Copenhague. Il constitua une « armée du père Noël » dont le rôle prévoyait de « montrer que la générosité et la bonté ne peuvent être vraiment réalisées selon les modalités offertes par une société capitaliste35». L’armée de bonnets rouges envahit à cette époque, les rues de la capitale accompagnée de son « oie de Troie » pour distribuer des bonbons aux enfants et personnes âgées, et chantèrent des chants de noël en défilant dans la cour du quartier général de la police. Dans une seconde phase d’action, l’armée du Père Noël, prit cette fois-ci, la défense de la classe ouvrière délaissée par le gouvernement, pour exprimer leur solidarité dans la lutte contre le chômage. Après l’action des pères noël, Solvognen réalisa encore plusieurs pièces de théâtre à Christiania. D’autres thèmes tels que le fascisme, la domination masculine, la dépendance aux drogues, la pollution ou encore le chômage furent abordé, et le public danois fut conquis par cet élan de vérité. Continuellement en opposition avec les codes de la société, ce théâtre politique de Christiania s’est imposé en tant qu’acteur principal de son caractère subversif. Des centaines de personnes furent mobilisées et organisées suivant un mode de fonctionnement auto-géré, rappelant familièrement l’organisation même du squat. Finalement, au-delà de dénoncer les dysfonctionnements du système, ils participèrent également au détournement du théâtre de ses usages conventionnels pour en inventer de nouveaux. Ces « artistes politiques » s’amusèrent non seulement à rapprocher le théâtre de la vie quotidienne, mais aussi, à organiser l’existence humaine dans un cadre où, théâtre et activités politiques ne possèdent plus de limites.
34 JORGENSEN Aage, Touring the 1970’s with the Solvognen in Denmark, The Drama Review, Vol. 26, No. 3, Automne 1982, p.17 35 Ibid
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figure 46. Solvognen et le théâtre au service de l'action des squats, 1976
figure 47. Une armée de père noël pour dénoncer une société du tout contrôle, 1974
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Une nouvelle fois, le squat de Christiania renvoie l’image d’un espace paradoxal à double tranchant. L’appropriation à la source d’un enrichissement certain d’un ancien quartier historique de la capitale et la subversion caractéristique de l’action des squatteurs, ont naturellement mené les autorités à considérer leurs « adversaires » en tant qu’interlocuteurs légitimes. Si dès le départ, le gouvernement a montré son désir de légaliser l’installation du squat par un contrôle de ce nouvel ordre urbain, il a entrevu cependant Christiania sous un nouveau jour, susceptible de faire totalement basculer les stratégies opérées. En effet, le gouvernement a reconnu progressivement les problèmes soulevés par les squatteurs et perçu un « fil d’urbanité » surprenant, capable de se substituer au manque évident de l’espace urbain. La ville de Copenhague dès lors, s’est mise à entreprendre des relations différentes avec Christiania que celles développées jusqu’à présent avec les autres squats, et lui confia le statut privilégié de laboratoire d’expérimentation sociale et urbaine, renforçant de fait, son caractère singulier dans la ville.
20 18 16 14 12 10 8 6 4 2 0
1945 1950 1955 1960 1965197019751980 19851990 1995 2000 2005 figure 48. Principales actions du squat au Danemark de 1945 à 2005
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02. Le squat : au-delà de sa stigmatisation, un moteur de la régénération urbaine ?
2.3 Tolérance et contractualisation, le squat, nouveau lieu de l’expérimentation sociale et urbaine Autour des années 1970, le squat de Christiania ne fut pas le seul à s’installer sur le territoire danois. Comme nous pouvons le voir sur le graphique ci-contre, entre les années 1967 et 1973, le Danemark répertoriait plus de dix-huit actions de squat. Les années suivantes décrivent à l’inverse, une sévère répression de ces actions collectives, qualifiées de « marginales » par les autorités. En effet, autour de 1975, ce n’est seulement pas plus de quatre squats qui sont répertoriés dans le pays, démontrant alors l’efficacité du « plan de nettoyage » lancé par la ville à cette même période. Si l’histoire de Christiania est décrite par une succession de luttes et d’obstacles visant à provoquer sa fermeture, les relations établies entre elle et les autorités danoises n’ont cependant pas été les mêmes que celles entretenues avec les autres squats de Copenhague. Bien que stigmatisée et associée à l’image de « havre du haschich » et d’espace d’insécurité, son existence depuis plus de quarante-cinq années, prouve malgré son statut illégal, une certaine légitimité de son installation. En effet, désormais quartier symbolique et identitaire de la capitale danoise, Christiania semble faire bien de l’ombre au Parc de Tivoli et à la sculpture populaire de la petite sirène. À la fois quartier ordinaire de Copenhague et quartier un brin utopique, l’ambivalence ressenti à l’égard de Christiania, nous amène à nous interroger quant à la définition même de son statut. Si comme nous l’avons montré plus tôt, le squat d’activité est inhérent à la fabrication de la ville et semble pointer du doigt les systèmes défaillants de notre société, il paraît surtout se proposer en alternative et combler ses limites. Alors, organisation alternative ou miroir de la société danoise ? Le squat de Christiania se veut-il être un exemple du rôle paradoxale associé aux squats d’activités ? Au départ simple squat orchestré par un groupe de hippies en quête de liberté, puis espace promu au rang « de lieu à vocation expérimentale », Christiania est depuis son arrivée, en route vers sa normalisation. Nous tâcherons de voir au cours de cette étude, comment finalement, la ville de Copenhague a su trouvé des intérêts et reconnut une forme de légitimité du squat, l’amenant à établir différents accords et négociations avec les christianites depuis son installation en 1971.
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2.3.1 Christiania, mise en place de l’action publique
Selon les politistes, « les faits sociaux doivent être distingués des problèmes publics, de même que ces derniers sont à différencier des problèmes politiques36». En effet, un fait social ne relève en réalité d’un problème public que si il fait l’objet d’une attention particulière et est considéré comme un problème par une partie de la société. Ainsi, est envisagé en problème public, tout phénomène social résultant d’un « travail collectif de construction, et de confrontation de différentes positions37». De cette manière, si un problème engendre une menace pour la société, il est directement projeté au rang de problème public, nécessitant alors dans certains cas l’intervention des autorités publiques pour conclure à sa résolution. Il se traduit alors soit par la mise en forme d’une action publique soit au contraire une abstention. Le problème public devient alors problème politique et se doit d’être inscrit à l’agenda. Jusqu’alors les études ont montré qu’aucune relation directe n’existait entre l’intensité d’un problème et son inscription à l’agenda. Au contraire, la mise en visibilité par différents acteurs semble être un critère pertinent, capable d’expliquer la mise à l’agenda d’un problème plus qu’un autre. Trois dynamiques permettent alors de faciliter la publicisation d’une question : la logique de mobilisation collective, c’est-à-dire à la mobilisation de groupes qui, grâce à un certains nombre d’actions et d’outils, cherchent à attirer l’attention de l’opinion publique, la logique de médiatisation, et la logique de politisation. Ainsi, c’est donc naturellement que le squat d’activité, à l’origine d’un mouvement social important, se constitue en problème public avant même de faire l’objet d’une action publique. Au croisement d’actions collectives, des médias et de la politique, les squats pointent du doigt les problèmes liés aux logements, au travail ou encore à la consommation d’alcool et de drogues dures. Confrontées à une réaction collective intense, et à la mobilisation d’acteurs et outils variés, les autorités n’ont donc d’autres choix que de porter le problème public des squats en problème politique. Ainsi se pose la question suivante : sous prétexte que les squats se caractérisent par un statut illégal, la mise à l’agenda doit-elle nécessairement conduire à une action publique répressive ?
36 Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative (DGESCO), « Comment un phénomène social devient-il un problème public? », Regards croisés action publique et régulation, 2011, url : http://cache.media.eduscol.education.fr/file/SES/02/3/LyceeGT_Ressources_SES_1_RC2_2_ Construction_politiques_publiques_mp_183023.pdf 37 Ibid
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02. Le squat : au-delà de sa stigmatisation, un moteur de la régénération urbaine ?
À la manière de n’importe quel autre squat de Copenhague, Christiania a rencontré les mêmes obstacles et fut inscrit à l’agenda politique en vue de déclencher l’action publique. Si au départ Christiania n’a pas suscité l’intérêt immédiat des autorités publiques, c’est en partie parce que le squat s’est ouvert dans un contexte socio-politique particulier. Le Danemark, à la suite des élections, connu plusieurs semaines de situation politique chaotique, qui ne lui ont alors pas conféré les outils dont nécessitait la mise en place d’une action répressive immédiate du squat. Toutefois, les institutions publiques n’ont pas tardé à saisir le danger que pouvait représenter Christiania pour l’État Danois. Perçu au départ comme une zone de « non-lieu », synonyme d’insécurité pour les habitants, et où la circulation de drogues dures organisait l’économie du squat, l’auto-proclamation de « ville libre » à l’égard du squat a accéléré la projection de Christiania au rang de problème disciplinaire. Le squat de Christiania s’est également exposé en tant que problème public, en ce qu’il constituait dès le départ, un mouvement social important. Confrontant les autorités à des sujets « sensibles » de la société, le squat, par ses différentes actions menées, défendait des causes susceptibles d’être posées dans l’agenda politique et ainsi, de conduire les autorités à apporter des solutions. Si le débat concernant la circulation de la drogue au Danemark, a trouvé naturellement une place dans les débats politiques portés par le squat, le pays n’a cependant pas attendu l’installation des squatteurs sur l’île pour enclencher l’action publique. Néanmoins, l’arrivée des christianites a révélé une ré-actualisation du débat et l’apport de nouvelles ressources. En effet, à la légalisation, dépénalisation ou répression du cannabis qui occupaient à cette époque le débat politique, Christiania a proposé des solutions alternatives en organisant notamment ses propres traitements de désintoxication et l’ouverture de ses propres cellules de soins. Elle a également soutenu une ligne radicalement libérale qui fut reprise, quelques années plus tard, dans le débat politique. Ainsi, Christiania s’est constitué à la manière d’un squat ordinaire. Portés par des revendications, les squatteurs ont ouvert et se sont installés illégalement dans un lieu abandonné par la ville. Cependant, la force de Christiania, se trouve dans la capacité des squatteurs à détenir un pouvoir de proposition pour la société. Au-delà de la simple occupation, les christianites ont depuis toujours intégré le débat politique, en ce qu’ils se constituent en tant que problème public dès leur installation, mais aussi grâce à leur rôle d’acteur du débat. Ce rôle ambiguë détenu, a alors conduit les parlementaires à reconnaître une certaine légitimité du squat, et donc à opérer pour une intervention publique singulièrement différente des autres.
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2.3.2 Christiania et stigmatisation territoriale
La stigmatisation se définit par l’exclusion, le rejet social associé à une connotation de dévalorisation, du moins aux yeux de celui qui stigmatise. Depuis toujours la stigmatisation joue un rôle déterminant dans le devenir des squats. Les autorités publiques énoncent des arguments négatifs pour décrire ces occupations illégales, et les utilisent pour servir une intervention publique répressive visant la fermeture des lieux. Si Christiania est aujourd’hui tolérée et acceptée par le gouvernement, le squat fut pendant longtemps victime de sa stigmatisation. Le statut illégal de son occupation et le caractère subversif de ses actions, ont conduit dès le départ, à porter une image négative de la freetown, et surtout appuyer les autorités publiques à énoncer des arguments en faveur de la stigmatisation territoriale déjà constatée, dans le simple but de déclencher la fermeture du squat. Plus précisément, pour arriver à ses fins, la ville a mis en place des outils afin « d’exacerber les pratiques de différenciation et de distanciation sociales internes qui contribuent à diminuer la confiance interpersonnelle et à saper la solidarité locale38». Des mesures telles que l’intervention régulière de la police afin de surveiller et contrôler les échanges de drogues, ont alors été prises, imposant alors une pression constante sur le squat, et provocant l’accentuation des tensions internes. Le gouvernement s’est donc appuyé sur les formes de stigmatisation présentent à Christiania pour les reprendre et servir des intérêts privés. Cependant, ces stigmatisations ont paradoxalement servi aussi le camp opposé, pour s’extraire de cette image négative qui lui était accolée. En effet, nous verrons en énumérant les différentes formes de stigmatisation dont a été victime Christiania, comment les occupants ont su faire de la faiblesse du squat, un pouvoir de proposition pour la ville. La première forme de stigmatisation dont Christiania a fait l’objet, fut celle d’être considérée comme un lieu d’accueil des exclus de la société. De la classe sociale la plus basse aux toxicomanes, en passant par les inuits du Groenland, ce nouveau refuge destiné aux « rejetés » de la société, n’a fait que renforcer l’image négative de son statut illégal, déjà porté à son égard.
38 WACQUANT Loïc, Parias urbains. Ghetto, banlieues, Etat. Une sociologie comparée de la marginalité sociale, La Découverte, Paris, 2007, p 188
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02. Le squat : au-delà de sa stigmatisation, un moteur de la régénération urbaine ?
figure 49. Actions policières au service de la stigmatisation du squat, 1971
figure 50. Surveiller les actions des squatteurs, tolérer pour mieux contrôler, 1971
figure 51. Arrestation d'un père noël de l'armée Solvognen, 1974
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L’argument sanitaire a joué lui aussi un rôle considérable dans la stigmatisation territoriale de Christiania. En effet, l’installation des premiers squatteurs dans des anciens bâtiments militaires abandonnés et le plus souvent en état de délabrement ne présentaient pas le confort nécessaire pour répondre aux besoins primaires d’une habitation. Les douches, les baignoires, les toilettes furent pillés et les circuits d’eau et d’électricité détruits après le départ des forces militaires en 1969, et l’arrivée des squatteurs en 1971. Ainsi, bien que les premiers squatteurs aient dès le début payé l’eau et l’électricité, le gouvernement, de peur de développement d’épidémies, n’engagea aucune procédure visant à couper les réseaux de Christiania. Au fur et à mesure des années, le squat s’est également construit une image de « repère du hachisch et des drogues dures » du pays. Renfermant des pratiques aussi illégales que dangereuses, le squat n’a pas tardé à souffrir d’un autre stigmate qui cette fois-ci, pèsera fortement dans la balance de l’action publique. En effet, « accusé d’être la plaque tournante de l’exportation de drogue vers la Suède, entraînant à plusieurs reprises des tensions diplomatiques entre les pays voisins39», le gouvernement danois a vu les problèmes du squat porter atteinte à l’image même de la ville. L’usage et la vente de drogues dures associés alors à l’existence de gangs au sein même du squat terrifiant les voisins, ont alors peu à peu fait naître des tensions internes au squat et dessiné un fossé, répartissant d’un côté les militants, et de l’autre les « pushers » et trafiquants. Les militants pour s’extraire de cette image négative organisèrent un jour de 1979, la « Junk Blockade », qui constitua sans aucun doute, l’un des événements les plus marquants dans l’histoire de Christiania. Durant quarante jours, les christianites décidèrent de fermer les accès à l’île dans le but d’organiser l’expulsion des junkies et des revendeurs de drogues dures. Cette première intervention radicale qui a eu pour effet de déclencher une réelle prise de conscience chez les habitants a ensuite été poursuivie jusqu’à la dissolution complète en 1987 du gang « Bullshit ». De nouvelles règles furent alors ensuite établies, interdisant notamment la violence, le port d’armes et d’insignes montrant une quelconque appartenance à un gang, et surtout réprimant toutes formes de trafic de drogues dures. Également, dans ce combat incessant contre la drogue, les christianites ont dû répondre face à l’organisation de « structures de stigmatisation ». En effet, la police a alimenté considérablement cette stigmatisation territoriale jusqu’à être même qualifiée « d’entreprise de stigmatisation40». 39 RAINAUD Félix, Christiania, micro-société subversive ou «hippieland»?, thèse pour le Master en Sociologie, Université de Poitiers, 2012, p.14 40 TRAIMOND Jean Manuel, Récits de Christiania, Atelier de création libertaire, Lyon, 1994, p 128
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02. Le squat : au-delà de sa stigmatisation, un moteur de la régénération urbaine ?
figure 52. Réunion des christianites pour l'organisation de la Junk Blocade, 1979
Jean Manuel Traimond qui nous fait part des Récits de Christiania, raconte ainsi le « coup de génie » opéré par la police durant des années : « elle comprit comment faire d’une pierre deux coups et se débarrasser des junkies de Copenhague tout en détruisant Christiania. [...] Elle offrit l’impunité aux junkies arrêtés en possession de drogues en échange de promesse de s’installer à Christiania et de ne plus en sortir. Avec le temps, la police ne demanda plus leur avis aux junkies : elle les déposait dans Prinsessegade en les avertissant qu’ils seraient coffrés si on les 41 revoyait en ville » . En réponse à cela, les christianites se sont mobilisés davantage une fois encore, allant jusqu’à organiser des débats ouverts sur la place de la drogue dans la société, ainsi que la création de cellules de soins pour le traitement des toxicomanes au sein même du squat. Ils ont aussi réalisés en parallèle une campagne pour la légalisation des drogues douces, dont l’objectif était de diminuer l’impact de l’usage de drogues dures sur le territoire danois. Une nouvelle fois, ils ont donc prouvé leur capacité à offrir des solutions temporaires ou permanentes, en participant continuellement au débat politique. Ainsi, là où les autorités publiques cherchaient à servir la stigmatisation territoriale de Christiania, les squatteurs eux, tenaient un rôle de plus en plus important dans la mise en place de l’action publique de lutte contre la drogue au Danemark. À la fois instrument politique et argument en faveur de la légitimité du squat, la stigmatisation de Christiania a donc joué un rôle double, et déterminant dans le changement de stratégie politique opérée par le gouvernement trois ans après son ouverture. De la tolérance du lieu, la ville a procédé à l’expérimentation d’un nouveau contrôle de ce territoire, orienté davantage sur l’échange et le consensus. 41 Op. cit. p 128
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2.3.3 De la tolérance du squat, au statut d’expérimentation sociale En reprenant dans leurs discours celui porté par les christianites concernant la légalisation des drogues dures au Danemark, les parlementaires ont reconnu alors dans un sens, une forme de légitimité de Christiania. Aussi, ce squat à ciel ouvert, réunissant les cas sociaux et exclus, représentait une occasion intéressante pour « nettoyer » les rues de la capitale et dédier l’espace urbain à une population « plus favorable ». La légitimé du squat aux yeux du pouvoir, représente donc en un sens, la première étape conduisant à une tolérance des lieux. Les intérêts du gouvernement doivent toutefois primer avant celui des occupants, et le squat se faire discret pour ne pas perturber le développement de la ville et ses habitants. Depuis plus de quarante-cinq années, le squat de Christiania bénéficie d’un statut exceptionnel de « lieu à vocation expérimentale » qui jusqu’à présent, lui a permis de se maintenir ouvert. Pourtant, la première stratégie engagée par les autorités publiques danoises, visait à gouverner et reprendre le contrôle de la freetown. Deux solutions s’offraient donc à l’État danois : la première, consistait à la récupération des terrains militaires par la force, en demandant l’intervention des forces de police, et la seconde, quant à elle, optait pour une approche plus collaborative. Après, une période de crise politique, le gouvernement pris parti pour la seconde option. La tolérance des lieux fut donc assumée, sans pour autant cacher aux squatteurs le désir du gouvernement à normaliser les conditions d’existence du squat. Dès lors, les autorités publiques entrèrent dans un jeu de gouvernance qui marqua le début d’un paradoxe grandissant ; celui d’un gouvernement qui normalise un lieu qui s’est pourtant constitué contre. Le 31 Mai 1972 est alors signé le premier traité entre Christiania et le Ministère de la Défense, propriétaire de l’île à l’époque. Ce premier «contrat de confiance» a officialisé le statut de Christiania à celui de laboratoire d’expérimentation sociale ainsi que les rapports entretenus entre les « deux camps ». Des règles concernant la question du financement de l’eau et de l’électricité ont été fixées, un groupe de contact avec les christianites créés, quant l’arrêt des constructions sauvages et le paiement de la TVA par les commerces, devaient être respectés. En signant cet accord, les deux parties s’engagèrent donc à respecter les règles du jeu visant à assurer un avenir à Christiania. Les premiers éléments de la normalisation du squat sont alors à trouver dans ce premier accord, et marquent le début de ce développement urbain et social décrit précédemment, à l’origine d’un quartier ancré aujourd’hui, dans le quotidien de tous.
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02. Le squat : au-delà de sa stigmatisation, un moteur de la régénération urbaine ?
figure 53. Invitation des christianites au gouvernement pour la signature du premier traité, 1972
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insi, si des pratiques « parallèles » ou alternatives d’occupation existent, elles sont en partie dues à une incapacité des pouvoirs publics à assurer certains besoins de la population. Dès le début de leur installation, les squats d’activités révèlent l’image d’espaces stigmatisés, semblant en revanche déborder d’urbanité et de proposer des solutions alternatives aux problèmes soulevés. Nous l’avons vu précédemment, les compétences répertoriées chez le squatteur, sont multiples. Au-delà d’une capacité à savoir réhabiliter, construire, et développer des activités à l’origine d’un développement urbain et architectural du territoire, les squatteurs se positionnent également en tant qu’analystes des problèmes publics, et tiennent dans un sens, un rôle de pansement social et politique. Sous la contrainte du temps, mais surtout dans un élan contestataire traduit au travers de sa simple occupation illégale et de manifestations politiques à l’échelle du squat et de la ville, ils dénoncent des conditions de vies précaires et une société capitaliste à l’origine d’une stérilité de l’espace urbain et de nos pratiques. En proposant un autre monde, plus harmonieux et plus chaleureux, les squatteurs, au-delà de satisfaire leurs propres besoins, s’intéressent également au sort de la ville. Ils détournent ses usages pour l’enrichir, la sauver de cette cage stérile qui ne fait que la conduire vers un triste sort. Un patrimoine est alors réanimé, des pratiques urbaines revisitées et la stigmatisation dont ils sont victimes, transformée en pouvoir de proposition pour la société. Petit à petit, le gouvernement voit donc en ces lieux alternatifs des interlocuteurs légitimes et un lieu d’innovation intéressant pouvant se substituer à ses propres politiques inefficaces, l’entraînant par ailleurs à tolérer de plus en plus ces lieux. Dans une nouvelle ère de la ville, où la compétition intense de la représentation régit la mise en place de nouvelles politiques urbaines, les squats deviennent alors des solutions « pour des décideurs 42 en manque d’inspiration et incapables de gérer tous les interstices de la ville » et un support de création pour une société de consommation et culturelle. En réponse à ce monde en perpétuel mouvement, les squats deviennent donc progressivement de véritables laboratoires d’expérimentation pour l’espace social et urbain. Ils construisent de nouveaux enjeux pour les villes, justifiant alors des efforts de contractualisation et l’emprunt d’un autre avenir que celui réservé au squat ordinaire, ou de « nécessité ». Nous faisions état précédemment de la critique des villes résonnant autour de la question de l’usager dans l’espace urbain, et de son contrôle sur ces derniers à l’origine d’une stérilité spatiale ne laissant aucune place à toutes formes d’appropriation.
42 AGUILERA Thomas, Gouverner l’illégal : les politiques urbaines face aux squats à Paris, mémoire de recherche en Master Stratégies Territoriales et Urbaines, 2010 p.53
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02. Le squat : au-delà de sa stigmatisation, un moteur de la régénération urbaine ?
Alors, si ce nouvel intérêt de la ville pour les squats au creux de ces interstices urbains répond à de nouveaux enjeux, la normalisation vers laquelle ils s’orientent, ne conduira-t-elle pas au même sort, à savoir transformer ces espaces vivants et mobiles, en espaces froids et inanimés ? Cette dernière partie sera donc l’occasion pour nous d’observer le regain d’intérêts des autorités publiques pour ces espaces face au phénomène grandissant de métropolisation. Nous verrons également quelles sont les nouvelles perspectives d’avenir pour Christiania, et les effets de la normalisation sur son développement. Enfin, si nous avons pu révéler l’existence d’un enjeu urbain du squat, nous noterons comment le modèle de Christiania peut-il être à l’origine d’un modèle d’urbanisation alternatif, capable d’impacter positivement la fabrication de la ville tout en interrogeant les processus actuels. Enfin, comme à toutes démarches expérimentales, les innovations soulevées s’accompagnent très souvent de limites. Nous tâcherons donc de soulever celles rencontrées au cours du processus de normalisation du squat et d’interroger ainsi, plus largement, le nouveau rôle qu’ils peuvent jouer au sein même du processus de fabrication de la ville.
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03. Le Squat, aPPORTS ET LIMITES D'un modèle d'urbanisation alternatif
«Cities have the capability of providing something for everybody, only because, and only when, they are created by everybody43» Jane JACOBS, The Death and Life of Great American Cities
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ès son ouverture, tout squat, semble être en route vers sa normalisation, peu importe la finalité, fermeture ou légalisation. Le gouvernement souhaite contrôler l’émergence d’actions collectives au caractère révolutionnaire et mettre en place des stratégies et des règles afin de limiter l’emprise et l’influence de ces squats sur la société. Si le caractère expérimental du squat de Christiania, laissant la « liberté » aux squatteurs de développer leurs activités et procéder à une animation de l’espace urbain semble prendre une autre voie que celle de la normalisation synonyme de contrôle urbain, cette étape représente néanmoins un premier pas vers une régularisation de son statut. Face à l’engagement politique grandissant des squatteurs, le gouvernement ne tarde pas à relancer le débat sur la gouvernance des squats d’activités, entraînant de fait, une accélération de son processus de normalisation. En institutionnalisant, cette fois-ci les pratiques du squat, nous verrons comment les occupants entrevoient alors progressivement un avenir à leur installation. Mais cet avenir serait-il celui auquel ils pensaient un jour appartenir ? 43 Traduction personnelle, « Les villes ont la capacité de fournir quelque chose pour tout le monde, si et seulement si, elles sont créées par tout le monde. »
03.Le squat, apports et limites d’un modèle d’urbanisation alternatif
figure 54. Quand la stigmatisation prend le pas sur le bienfait des différences, 1972
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3.1 Vers une normalisation du squat, un contrôle de ce nouvel ordre urbain Christiania s’est installé il y a plus de quarante-cinq ans au cœur d’un contexte politique particulier. Caractérisé par la montée de la « nouvelle gauche », celui-ci lui a permis d’obtenir quelques années après son installation, son statut privilégié de « laboratoire d’expérimentation sociale ». Ce changement politique s’est alors profondément empris d’une autre culture politique, basée sur le principe de « culture du consensus44», et où la négociation représente un outil clé dans la gestion de ces occupations illégales. En effet, employé par les deux partis, ce moyen de communication impliquant un « pouvoir disciplinaire soft », basée sur une coopération conditionnée45» a jusqu’ici permis d’une part, de limiter les actions répressives menés par les autorités publiques, et d’autres part, les réactions violentes chez les squatteurs. Le but étant de conclure à un accord satisfaisant les désirs de chacun. Ainsi, cette nouvelle source de légitimité conduite par cette culture du consensus, fournissait alors à la ville un certain agencement de l’espace, au travers duquel des mouvements urbains autonomes tels que Christiania ont pu s’établir « tranquillement ». Toutefois, la question de la normalisation du squat ne tarda pas réintégrer le débat politique. En effet le constat d’un engagement politique grandissant des squatteurs, même si il a conduit à la reconnaissance d’interlocuteurs légitimes aux yeux du gouvernement, a peu à peu soulevé des problèmes mettant en danger l’État danois. Au fil des ans, et des gouvernements, le squat de Christiania a alors vu l’accélération de son processus de normalisation, et une évolution de son expression, tournée davantage vers une forme de légalisation complète du squat. Nous nous attacherons donc à observer ce contexte dans lequel s’est inscrit Christiania, et à étudier l’évolution de cette expression de normalisation, caractérisée par l’émergence de nouvelles alliances, visant à satisfaire en grande partie les intérêts de la ville. Dès les années 1970, après la signature du premier accord passé avec les christianites, la normalisation du squat traduite dans un premier temps par l’élaboration de son statut « d’expérimentation sociale », fut considéré par les autorités publiques comme un outil clé, permettant de répondre au « problème social » que le squat représentait. 44 THÖRN, Håkan, « Governing freedom: debating the Freetown in the Danish parliament » in THÖRN, Håkan, WASSHEDE, C. and NILSON, T. (Eds.), Space for Urban Alternatives? Christiania 1971-2011, Stockholm: Gidlunds, 2011, p.71 45 Ibid, p. 72
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03.Le squat, apports et limites d’un modèle d’urbanisation alternatif
En opposition aux stratégies répressives employées par le welfare state danois ou les institutions de l’État providence, les sociaux-démocrates nouvellement au pouvoir, ont alors choisi de préférer les négociations afin de répondre à des problèmes d’ordres sociaux. La normalisation dans ce premier essai, s’assimile donc dans un premier temps, à l’image de laboratoire d’expérimentation sociale, plus qu’à celle de véritable contrôle de ce nouvel ordre urbain. Il faudra alors attendre 1984, année marquée par l’arrivée d’une nouvelle alliance de conservateurs et de libéraux au pouvoir, pour voir une évolution des stratégies opérées par le gouvernement. En 1989, la droite et la gauche se sont organisés pour élaborer le « plan local » de Christiania, visant à lui offrir un nouveau statut, cette fois légal, où les christianites possèdent désormais le droit de jouir de la propriété collective. Cependant, bien que le vote fut unanime, il laissa place à des interprétations nettement différentes. Tout comme l’opposition christianites/autorités, les parties politiques possédaient une vision différente de la normalisation établie. En effet, pour les sociaux-démocrates et le Parti Socialiste, cette loi représentait un moyen d’assurer l’existence du squat de Christiania, quand pour la droite, elle était un outil permettant de renforcer les dispositifs sur un territoire considéré comme dangereux pour la souveraineté du pouvoir. Face à ce plan, les habitants du squat se mobilisèrent à nouveau dans un élan contestataire pour réaliser leur propre plan : « le plan vert ». Ils dessinèrent une ville résolument verte et imaginaient un monde écologiquement responsable où le recyclage de l’eau, le compostage des déchets, les énergies renouvelables, composeraient le quotidien des habitants. Au travers de ces deux plans élaborés, se dessine donc un profil double de normalisation du territoire. Une normalisation d’une part « interne », qui s’effectue à l’intérieur même du squat, où les squatteurs établissent des règles, qui ordonnent l’espace et organisent les pratiques. Et d’autre part, une normalisation dite « externe », où les autorités publiques appliquent la pensée foucaldienne, à savoir l’idée que « des espaces ordonnés et réglementés peuvent transformer des corps indisciplinés et incontrôlés en sujets volontaires et disciplinés46». En 2001, l’élection du nouveau gouvernement d’Anders Fogh Rasmussen47, fruit d’une alliance entre conservateurs, libéraux et nationalistes, marqua une nouvelle fois un changement de stratégie pour la normalisation du squat de Christiania. Naturellement, le nouveau gouvernement changea son fusil d’épaule, et remis la question de la légalisation du squat à l’agenda politique. 46 RAINAUD Félix, Christiania, micro-société subversive ou «hippieland»?, thèse pour le Master en Sociologie, Université de Poitiers, 2012, p.15 47 Anders Fogh Rasmussen fût nommé premier ministre le 27 Novembre 2001. A la tête d’une coalition de centre-droit constituée de son parti libéral et du Parti populaire conservateur, il engagea dès son élection, le lancement de nouvelles actions répressives visant à diminuer le taux de criminalité présent sur l’île.
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figure 55. RĂŠdaction du plan vert par les christianites, 1991
figure 56. Visite de la commission des affaires juridiques, engagement d'un nouveau dialogue, 2012
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03.Le squat, apports et limites d’un modèle d’urbanisation alternatif
Le premier ministre, jugeant inefficaces et trop souples les stratégies employées par l’ancien gouvernement de gauche, se lança dans la rédaction du « plan de normalisation ». Il souhaitait rompre avec toutes formes de « tolérances injustifiées » et opérer un changement plus radical. Influencé par la montée du néolibéralisme, qui témoigne d’une privatisation croissante des espaces publics en lien avec le développement de la politique de la tolérance zéro, le nouveau gouvernement désirait prolonger le « nettoyage » entrepris dans Copenhague jusqu’à Christiania, et rendre ce squat à tous les danois. Ainsi, les autorités publiques ont en autres, organisé l’arrestation des dealers, déclaré la fermeture de Pusherstreet (rue où de nombreux dealers venaient vendre leurs marchandises), détruit certaines constructions informelles qui n’étaient pas aux normes, et réintroduit la propriété privée à Christiania. Progressivement, les interventions menées par les autorités, ont donc permis à l’État de gagner du terrain et à l’inverse, ont conduit les christianites à s’adapter à ce nouveau « climat légal ». La privatisation, la rénovation urbaine ou encore les expulsions forcées sont alors témoins de méthodes organisées, visant à déstabiliser le fonctionnement christianite et a amené Christiania à un même niveau d’égalité que Copenhague et le Danemark. Ainsi, les gouvernements se sont succédés, et Christiania transformée pour suivre paradoxalement les désirs des décideurs. Elle témoigne alors par la même occasion, de sa capacité à tirer profit de son contexte et plus particulièrement de la discordance présente au sein même du gouvernement pour pouvoir s’inscrire durablement. Si les squatteurs cherchaient au départ à s’extraire des stratégies politiques pour les contester, ils ont alors progressivement, adapté leur quotidien et leurs activités à la volonté du gouvernement et au rythme métropolitain. En acceptant les réglementations imposées par la ville, tel que le paiement de loyers et de taxes, ou la rédaction de leurs propres règles de vie, les squatteurs, ont finalement laissé de côté (sûrement pour un temps) leur esprit contestataire, pour participer à l’institutionnalisation du squat et de ses pratiques. De nouveaux acteurs, et surtout de nouvelles stratégies ont alors vu le jour, modifiant ainsi le visage de Christiania en un lieu de loisirs, plus qu’un lieu de contestation. Aussi, l’institutionnalisation du squat, qui n’est autre que la conquête de la norme, semble s’accompagner naturellement de la mutation de ses pratiques et la perte de son rôle subversif au profit d’enjeux métropolitains. Ainsi, nous verrons alors comment la question de l’institutionnalisation de Christiania, est capable de faire complètement basculer une nouvelle fois les stratégies opérées chez les deux parties. Et plus largement, nous observerons également en quoi elle a conduit à une interrogation de son impact social et urbain sur le squat et la ville.
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3.1.1 Institutionnalisation progressive des pratiques de la «ville libre»
Dès la signature du premier contrat de confiance, marquant le début de l’expérimentation christianite, le squat s’est peu à peu éloigné de sa figure subversive pour tendre vers de nouveaux usages de la ville libre. Comparable à l’évolution de la morphologie urbaine de la ville en rapport à l’évolution des sociétés, le squat, suite à l’intervention du gouvernement par l’élaboration d’une somme de réglementation, s’est transformé urbainement et socialement. Son nouveau statut « légal » a permis à de plus en plus de commerces de s’installer, et les événements alternatifs de se multiplier. D’un simple lieu de vie et de contestation, Christiania est alors devenue un lieu de loisirs puis même de travail. Loin de l’image insalubre de squat, Christiania révéla alors un nouveau visage de son occupation aux autorités publiques et aux danois, celui d’un visage chaleureux et convivial où il fait bon vivre en communauté, loin de la raideur du centre-ville de Copenhague. Mais surtout, il dévoila une source certaine d’un enrichissement urbain, social et économique pour la ville. Chaque année, le squat s’est alors vu accueillir de nouveaux usagers, danois et étrangers, adultes et enfants, squatteurs et travailleurs. Tous, se sont imprégnés du dynamisme ambiant et ont intégré les pratiques de la « ville libre » à leur quotidien. Certains y vont pour aller boire un verre en sortant du travail, ou assister à un concert le samedi soir et visiter les expositions d’artistes en vogue, quand d’autres, gagnés par l’originalité du lieu, cherchent à s’installer parmi les squatteurs et adopter leur mode de vie. De nouveaux parcours résidentiels émergent alors, et plonge de fait Christiania, au cœur du marché immobilier. Ainsi, en institutionnalisant les pratiques du squat, ce sont non seulement le maintien et le développement de nouvelles activités qui ont pu voir le jour, mais surtout la création de formes de mixités inédites entre des acteurs qui, autrefois, s’affrontaient. De plus, si les pratiques urbaines se sont transformées, la normalisation du squat a également eu pour effet un changement considérable des stratégies opérées par les christianites. D’un élan contestataire qui s’opposait à une ville capitaliste, les squatteurs, regagnés par la norme, se trouvent à présent noyés dans ce système, allant même parfois à l’encontre de leurs idéologies originelles.
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figure 57. Christiania, un nouveau succès populaire, 2015
figure 58. Anniversaire de Christiania, un événement métropolitain, 2015
figure 59. Le grey hall, nouvelle institution culturelle du Danemark, 2011
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De nombreux changements d’ordre économique, social et politique ont alors été les témoins de l’institutionnalisation de la freetown. L’achat d’une partie de l’ancien territoire militaire par les christianites en 2012, en représente l’événement le plus marquant. En 2011, l’État danois réclama la somme de 76 millions de couronnes danoises, afin de reprendre définitivement le contrôle sur Christiania. Sans aucune surprise, les squatteurs se mobilisèrent une nouvelle fois pour défendre leur territoire, et créèrent la fondation Christiania en vue de récolter les fonds demandés. Ainsi, plus de 51 millions de couronnes danoises (6,8 millions d’euros) dont 8 millions issus de dons48, (le reste provenant d’un prêt contracté auprès de la banque Realkredit Danmark),furent récoltés, témoignant de fait d’une mobilisation considérable, s’étendant au-delà de celles des christianites. Pour les 25 millions de couronnes restantes, les squatteurs s’engagèrent à verser 15 millions à l’État sur une durée de trois ans, et à rénover les bâtiments historiques du quartier. Seulement, si l’accord et la construction d’un nouveau fonds, veille à ce que le logement à Christiania échappe à la spéculation dans l’avenir, la notion de propriété réintroduite dans l’accord passé, replace de fait, l’île dans un système d’actionnariat, piliers du capitalisme et de l’économie de marché, contre lequel il s’était pourtant jusqu’alors érigé. Aussi, les habitants empruntent désormais un nouveau de statut. De squatteurs, ils sont devenus propriétaires, nous poussant de fait, à s’interroger au fond, sur la qualification même de ce lieu à présent. En effet, dès lors que les squatteurs ont procédé au rachat d’une partie du territoire, est-il toujours juste de considérer encore Christiania comme un squat ? Si l’économie témoigne du retour de la norme au sein du squat, d’autres éléments tels que le droit du travail ou encore les manifestations culturelles se sont eux aussi fait « polluer par le droit extérieur ». En effet, si Christiania souhaitait bâtir une économie loin du système capitaliste, la normalisation du squat à tout de même entraîné un changement des activités économiques et culturelles. Les règles établies et respectées jusqu’alors par les christianites, furent donc délaissées, et la déclaration auprès des autorités des activités économiques, obligatoires. Pour ce qui est des artistes venus s’installer à Christiania pour chercher un refuge et l’inspiration, le succès grandissant du squat a conduit parallèlement au succès de cet art christianite. Les œuvres quittèrent peu à peu les galeries informelles de l’île pour gagner la classe des arts institutionnalisés, et s’expatrier dans la capitale, voire parfois le monde entier.
48 LA DÉPÊCHE, «À Copenhague, le squat géant de Christiania a acheté sa liberté» 02.07.2012, url : http://www.ladepeche.fr/article/2012/07/02/1392061-a-copenhague-le-squat-geant-de-christiania-a-achete-sa-liberte.html
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Face à l’institutionnalisation de ses pratiques et leurs mutations, les christianites pour ne pas perdre le contrôle de leur création, engagèrent à leur tour de nouvelles stratégies permettant de continuer leurs animations urbaines, mais surtout « d’assurer leurs arrières », en cas d’une éventuelle expulsion. Aussi, si la popularité grandissante de Christiania, a permis l’apparition d’un soutien populaire considérable à l’origine de récoltes de fonds pour le rachat d’une partie de l’île, les christianites ont aussi rapidement entrevu les autres avantages qu’elle pouvait leur offrir. En effet, le marketing et la commercialisation du symbole du squat, ont permis d’exploiter cette popularité afin de récolter des fonds supplémentaires. Sur des tee-shirts, des autocollants, des drapeaux, le symbole des trois points jaunes de Christiania remporte encore aujourd’hui un franc succès. Néanmoins, cette commercialisation plonge une nouvelle fois, les christianites dans une logique du « tout marché », cédant ainsi « à la tentation de la promotion commerciale, voire publicitaire49». Ainsi, bien qu’ils défendent depuis toujours l’image d’une société anti-conformiste, les squats semblent perdre face à la norme qui les guide lentement mais sûrement, vers de nouvelles activités, à savoir la transformation de signes contre-culturels « en objets de consommation standardisés50».
figure 60. Le marketing des célèbres trois points, témoins d'un figure 61. Les trois points : plus changement de stratégie des squatteurs, 2015 qu'un logo, une identité, 2014
49 RAINAUD Félix, Christiania, micro-société subversive ou «hippieland»?, thèse pour le Master en Sociologie, Université de Poitiers, 2012, p 32 50 Ibid
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Comme nous venons de le voir, la normalisation de Christiania vecteur de l’institutionnalisation de ses pratiques, s’est accompagnée inévitablement d’une mutation des usages et des usagers, mais également des stratégies employées par les habitants. Sur le chemin de sa normalisation, le squat a donc délaissé son activisme social pour rentrer petit à petit dans les rangs de la norme, et se creuser une place dans la société contre qui, pourtant, il s’était érigé. Rattrapés par le système capitaliste, les christianites se retrouvent ainsi plongés dans une forme de confusion de leurs pratiques et agissements. En désaccord avec leurs propres idéologies contestataires. Ils développent un lieu de loisirs et de tourisme qui, au plus grand bonheur du gouvernement danois, se place aujourd’hui parmi les sites les plus touristiques de Copenhague. Ainsi, il est intéressant de s’interroger sur la spontanéité du lieu face à cette régularisation. En d’autres mots, le squat de Christiania peut-il être régularisé sans perdre la spontanéité qui en fait le sel ? Ou à l’inverse, peut-il devenir un modèle d’aménagement du territoire ? Si jusqu’à présent la tolérance de Christiania nous a laissé entendre la portée sociale du squat, sa régularisation nous a permis d’entrevoir d’autres enjeux, à nouveau urbains. Face à la croissance des villes, et le phénomène de métropolisation, les interstices représentent de nouvelles dynamiques capables de répondre aux enjeux d’une ville dense et mondialisée. Ainsi, Christiania ne reflète plus désormais uniquement l’image d’un espace subversif, mais au contraire laisse entendre la portée urbanistique de son installation. D’un lieu d’expérimentation sociale, elle est aujourd’hui également un lieu d’expérimentation urbaine pour la ville, témoin de la régénération certaine du quartier historique danois. Située au cœur de la capitale danoise, à quelques pas du centre ville, bénéficiant ainsi de tous les services à disposition, Christiania se trouve une nouvelle fois projetée au premier rang de l’agenda politique. À l’aube d’un nouveau grand nettoyage des espaces « non contrôlés » de la ville, pour répondre au défi du phénomène de métropolisation, et d’une énième lutte pour défendre sa place, quel avenir se réserve pour Christiania ? Jusqu’à ce jour, nous avons connu une puissante mobilisation pour la défense de la freetown, mais face à une société du « tout contrôle » et une ville en quête de représentation, les autorités n’auront-elles pas raison de l’expulsion des christianites ?
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03.Le squat, apports et limites d’un modèle d’urbanisation alternatif
3.2
Métropole et représentation : Christiania au cœur de nouveaux enjeux
En près de quarante-cinq ans, le squat de Christiania a suivi une évolution considérable. L’institutionnalisation du lieu a conduit à une baisse du taux de criminalité qui jusqu’alors engendrait une image négative du squat, et laissé place à un lieu attractif et prospère. Si il subsiste encore aujourd’hui, ce n’est sans nul doute grâce au système politique danois fondé sur le principe de consensus, et la prise de conscience de ce dernier, que la freetown ne représente définitivement plus une menace pour l’État, voire même le soulage. En effet, Jean-Manuel Traimond ayant étudié le cas de Christiania, raconte que la non expulsion des squatteurs dès les premières semaines, s’explique en partie par l’image du squat de « réserve de cas sociaux » et de « havre de la drogue ». En le fermant, le gouvernement à l’époque, n’aurait finalement fait que déplacer le problème, et augmenter le coût de prise en charge de ces personnes. De plus, le rôle dont disposait Christiania sans le vouloir, présentait au contraire l’avantage pour les autorités publiques, de pouvoir contrôler plus facilement les débordements. Toutefois, la menace d’une énième expulsion plane encore sur le squat. Le rôle d’accueil de cas sociaux et même de structure capable de permettre la réinsertion sociale de ses habitants, ne suffisent plus à satisfaire les efforts de contractualisation engagés par la ville. De nouveaux enjeux, cette fois-ci, internationaux entrent alors dans l’équation et semblent conduire peu à peu le squat vers un avenir incertain.
« La « troisième mondialisation » que nous connaissons actuellement ne se réduit pas au phénomène strictement économique que l’on désigne habituellement par le terme de « globalisation », qui sousentend l’idée d’un vaste processus d’unification, mais correspond à des réalités multiples sur le plan culturel, politique, juridique et social, qui s’inscrivent progressivement dans les territoires et tout particulièrement dans l’espace urbain51 ».
51 ANTONIOLI, Manola et CHARDEL Pierre Antoine, Reterritorialisation et obsession sécuritaire dans la mondialisation, L’homme et la société, n°165-166, 2007, p. 181
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Nous avons défini plus tôt la ville comme un organisme vivant se renouvelant perpétuellement dans sa morphologie et ses pratiques. Aujourd’hui, le phénomène de métropolisation des villes lui-même associé au à celui de globalisation et de gentrification, nous replonge directement dans cette mutation urbaine, au travers de l’élaboration d’un nouvel urbanisme encore plus défini par sa représentation, et par une « guerre de l’espace » (space wars52). Chaque ville dans ce nouveau contexte métropolitain, développe alors ses propres politiques urbaines et façonne un nouveau visage, afin de valoriser son image et favoriser l’investissement de capitaux. Sous le poids de la mondialisation, l’espace de la ville est alors menacé, et témoigne bien souvent de transformation radicale du paysage urbain, de ses fonctionnalités, et parfois même de notre rapport à la ville. Jusqu’à présent les villes s’attachaient aux espaces publics les plus remarquables, et les éléments architecturaux les plus photographiables, et rejetaient à l’inverse, les interstices urbains générés par la chute de la ville industrielle. Toutefois, ces derniers se révèlent être de plus en plus, des supports de création pour une société de consommation, une plate-forme d’innovation ouverte à tous, et très certainement une solution à un urbanisme en crise. Comme nous l’avons déjà énoncé plus tôt, Copenhague concentre plus d’un tiers de la population totale du Danemark, et reste deux fois plus grande que la seconde ville du pays. Sans réelle concurrence nationale, la capitale danoise représente alors la seule ville du pays dont l’attractivité urbaine est capable de répondre au système urbain Européen. C’est alors face à Stockholm, capitale suédoise, que Copenhague se trouve être aujourd’hui, en intense compétition dans la lutte pour le contrôle de l’espace du Nord de l’Europe. Mobilisant diverses ressources urbaines, économiques, sociales et politiques, chaque ville à l’image d’une entreprise sur le marché économique, développe alors de multiples stratégies visant à atteindre ce nouveau statut. En s’alliant avec la ville Suédoise de Malmö, Copenhague joue depuis quelques années, la carte de la coopération métropolitaine et met un point d’honneur sur la puissance de l’attractivité des villes au travers de développement de politiques territoriales transfrontalières. Ainsi, la mondialisation impacte bel et bien l’espace urbain, le transforme et le projette dans des échelles nouvelles.
52 D’après la théorie développé par Bauman, Anders Lund Hanser a développé l’image de « guerre de l’espace » (space wars), dont la substance est la façon dont l’État moderne augmente sa demande de contrôle sur l’espace.
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Bien loin de celle que convoquait le fingerplan53 en 1947, le gouvernement danois présente désormais un nouveau plan d’urbanisme, où l’échelle convoquée dépasse les frontières, préférant orienter le développement de la ville par rapport à son intégration et celle du Danemark, parmi la Scandinavie, l’Europe orientale et occidentale.
figure 62. Le finger plan, 1947
COPENHAGUE
MALMÖ
figure 63. Nouvelle échelle d'action, dialoguer à l'échelle européenne, 2010 53 Le finger plan, élaboré en 1947 axait le développement de Copenhague le long de « ces cinq doigts » (représentant les cinq lignes de trains qui relie la périphérie au centre-ville), et la préservation d’espaces agricoles entre.
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figure 64. Le black Diamond, symbole architectural au service du nouveau visage mĂŠtropolitain, 2015
figure 65. Inscription de l'Arken dans le patrimoine culturelle danois, 2015
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03.Le squat, apports et limites d’un modèle d’urbanisation alternatif
cette mondialisation de l’économie est donc à l’origine de nouvelles politiques territoriales, destinées à attirer une nouvelle classe moyenne appelée « classe créative » par richard florida54, et surtout l’investissement de capitaux. Pour répondre à l’exigence de ce phénomène, les décideurs publics cherchent donc à dessiner un nouveau visage de copenhague tendant à appliquer les principes de la ville créative55. des œuvres architecturales emblématiques telles que le nouveau musée d’art moderne, l’Arken (l’Arche) ou encore le Den Sorte Diamanten (le Black Diamond) sont alors érigés aux côtés de nouvelles structures offrant à cette nouvelle classe, des services de qualité (hôtels de luxe, restaurants, centres commerciaux...). à cela, s’ajoute aussi l’investissement dans la création de logements de luxe, et le « rafraîchissement » du centre ville, qui par voie de conséquence, entraînent le déplacement de populations marginalisées vers la périphérie, traduisant alors un phénomène de gentrification.
figure 66. Mondialisation, vecteur d'un changement géostratégique danois, 2010
54 richard florida est un chercheur économiste et géographe américain qui a inventé en 2002, la théorie de la « classe créative » avec son ouvrage, « The rise of the creative class » 55 la ville créative consiste à la présence en son sein, d’un haut niveau de développement économique généré par la présence même d’une classe créative. cette classe créative désigne elle, une population urbaine, mobile, qualifiée et connectée.
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Ce phénomène de gentrification établi à Copenhague, et participant activement à cette « guerre de l’espace », explique, au-delà du potentiel de régénération urbaine du squat, le regain d’intérêt des autorités publiques pour le territoire de Christiania. En effet, durant le développement du squat, la ville a elle aussi poursuivit sa croissance urbaine, encerclant ainsi l’île. De nouveaux quartiers voisins se sont installés, comme le quartier Ørestaden (dont l’objectif est d’accueillir 52 000 emplois et plus de 20 000 habitants d’ici 2020-2030), et se sont nourris du succès du lieu. Désormais situé au cœur du centre-ville, le squat qui bénéficie d’une position stratégique et d’activités florissantes pour attirer de nouveaux investisseurs, semble inévitablement destiné à reculer face à la logique immobilière engagée. Ainsi, la convivialité et la générosité complexe de Christiania seront-elles évincées au profit de grands studios de luxe, et d’espaces publics bétonnés ? Henri Lefebvre, dans son ouvrage Le droit à la ville, nous décrit la ville, depuis l’ère industrielle et donc la montée du capitalisme, comme un espace où tout n’est que produits, planifiés, contrôlés. Sur ces mots, le phénomène de gentrification participe profondément à la propagation d’espaces urbains où l’économie fait loi, et conduit à la stérilisation des pratiques urbaines. Selon lui, une voie s’ouvre à présent, « celle de la société urbaine et de l’humain comme œuvre dans cette société qui serait œuvre et non produit56», et permettrait de procéder à une révolution du droit à la ville. Ainsi, si la gentrification paraît conduire finalement à la renaissance économique de nos villes, et parallèlement à l’extinction de ses pratiques urbaines, le nouveau visage qu’elle tente de se modeler aujourd’hui ne serait-il pas une simple reproduction des échecs du passé, à savoir la perte de toutes formes d’urbanités, qui pourtant représentent l’essence même de la ville? Aussi, si l’on suit la logique de compétition territoriale engagée par les villes, l’innovation urbaine proposée par ces sociétés marginalisées, telles que Christiania, ne pourraient-elles pas satisfaire d’autres enjeux, que la rentabilité foncière, à savoir l’animation de la ville et la création de nouvelles appropriations de l’espace urbain ? « […] the right to the city […] is not merely a right of access to what the property speculators and state planners define, but an active right to make the city different, to shape it more in accord with our heart’s desire, and to re-make ourselves thereby in a different image.57» David Harvey 56 LEFEBVRE Henri, Le droit à la ville, espace et politique, Editions Anthropos, 1968, p. 92 57 HARVEY David, «Christiania and the Right to the City», in THÖRN, Håkan, WASSHEDE, C. and NILSON, T. (Eds.), Space for Urban Alternatives? Christiania 1971-2011, Stockholm: Gidlunds, 2011 p. 293 Traduction personnelle, « [ ... ] Le droit à la ville [ ... ] est non seulement un droit d'accès à ce que les spéculateurs immobiliers et les planificateurs de l'État définissent , mais il est surtout un droit actif pour changer la ville, pour la modeler plus en accord avec nos désirs les plus profonds, et de la redessiner ainsi chacun sous un nouveau visage. »
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3.2.1 Le squat, genèse de nouvelles formes d’actions
La ville est depuis toujours, placée au cœur d’un projet politique en ce qu’elle doit répondre impérativement aux exigences de sa société, et être support d’économies propices à son développement. Aujourd’hui, le phénomène de métropolisation accélère et intensifie considérablement le rôle politique de la ville, en la plongeant directement dans une « guerre de l’espace », où la seule finalité semble conduire à la banalisation de l’espace public. Si nous avons pu entendre jusqu’à présent les capacités urbaines du squat, nous sommes également témoins, de son rôle politique. En effet, au-delà, de développer des espaces urbains et d’enclencher la réanimation d’un patrimoine à l’origine d’appropriations plurielles, les squatteurs critiquent la ville, et l’accusent même de rester figée dans un passé vidé de ce qui autrefois lui donnait sens : la vie. Tandis que la ville se meurt progressivement, ils lui proposent alors de nouvelles dynamiques de projet. Centrées autour de l’individu, de ses pratiques et de ses envies, ils pointent alors du doigt les échecs des politiques urbaines menées jusqu’ici. Comme nous l’avons énoncé précédemment au début de ce mémoire, les mouvements révolutionnaires tels que le squat, appartiennent à des philosophies bien instituées, dont les actions et questionnements représentent les prémices de celles portées par le squat. Dans les années 1950, un mouvement contestataire d’inspiration marxiste, incarné par l’Internationale Situationniste et la figure notamment de Guy Debord, a influencé grands nombres d’opérations alternatives. Sur une méthode, la dérive, les situationnistes ont interrogé la société, et plus largement l’espace de la ville comme territoire d’expérimentation et d’innovation de la vie quotidienne, où chaque action est capable d’entraîner le spectateur dans une posture active. L’étude de cette méthode, à l’origine d’une remise en question fondamentale des processus de fabrication de la ville, nous permettra alors de voir comment, un mouvement tel que le squat, se veut être un prolongement des interrogations portées par les situationnistes, et ainsi, se présenter en tant que source d’un renouvellement certain des modes de fabrication urbains. Si au départ, la pensée situationniste se veut dépasser des mouvements artistiques révolutionnaires avant-gardistes du XXème siècle, tels que le dadaïsme, le surréalisme ou encore le lettrisme, rapidement, elle s’oriente vers une critique de la société qu’elle qualifie de « spectaculaire-marchande58» et désire « changer le monde » grâce à la construction de situations. 58 DEBORD Guy, « Rapport sur la construction des situations et sur les conditions de l’organisation et de l’action de la tendance situationniste internationale », Inter : art actuel, été 1989, Numéro 44, p. 1-11 URL : http://id.erudit.org/iderudit/46876ac
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Pour cela, les situationnistes réinterrogent, « la société dans son cadre spatiotemporelle et définissent son incohérence grâce à un renouvellement de la créativité et d’une certaine liberté retrouvée59». Tout comme les squatteurs, ils voient le changement par l’action sur la vie quotidienne, et la mobilisation de chacun pour la fabrication de son environnement. Ils ne souhaitent pas refuser la culture moderne mais au contraire « s’en emparer pour la nier60». Ainsi, l’art, l’architecture ou encore l’urbanisme, ne sont plus simplement prétextes à la contemplation, mais au contraire, deviennent des actions pour « changer le monde » et un outil, pour retrouver la vie dont les rues, les espaces publics, la ville, ont été dépossédés par cette « société de spectacle ». L’adoption de cette posture devant permettre de vivre, pratiquer, comprendre et transformer la ville, repose sur une méthode : la dérive. La dérive est une « technique du passage hâtif à travers des ambiances variées, basées sur une interrogation de l’imaginaire et l’expérimentation par le vécu61». Associant des effets de nature « psycho-géographique » et des comportements « ludique-constructif », chacun, parcourt et déambule librement dans la ville, afin ensuite de raconter son itinéraire effectué, de poser des mots, des odeurs, des sons sur les ambiances rencontrées. Ainsi cette expérience imaginée par Guy Debord, invite naturellement les usagers à s’approprier les espaces urbains par une pratique subjective des lieux, et guidés par des désirs individuels d’ambiance. La dérive permet alors à chacun de construire son propre imaginaire spatial, qui, en retour, modifie sa propre pratique de la ville.
figure 67. Vivre la ville selon nos désirs individuels d'ambiances, the naked city, 1957 59 DEBORD Guy, « Rapport sur la construction des situations et sur les conditions de l’organisation et de l’action de la tendance situationniste internationale », Inter : art actuel, été 1989, Numéro 44, p. 1-11 URL : http://id.erudit.org/iderudit/46876ac 60 Op. cit. 61 DEBORD Guy, « Théorie de la dérive », publié dans Les Lèvres nues n°9, décembre 1956, URL : http:// debordiana.chez.com/francais/levres9.htm
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Grâce à cette méthode, les situationnistes ont analysé et critiqué la ville. Qualifiée d’ennuyeuse, ils l’accusaient même de conduire à une aseptisation de l’espace : « Nous nous ennuyons dans la ville, il faut se fatiguer salement pour découvrir encore des mystères sur les pancartes de la voie publique, dernier état de l’humour et de la poésie62». Loin de cette image de la ville comme paysage à contempler que semblait nous renvoyer l’urbanisme fonctionnaliste de l’époque, les situationnistes nous parlent eux, d’un lieu de « tensions et de luttes sociales » permettant de faire émerger la conscience collective, de donner du sens et de la vie. Si le squatteur tel qu’on le connaît aujourd’hui, fait face à d’autres phénomènes jugés pourtant responsables du même déclin de la ville, ils dénoncent toutefois tous les deux une société de consommation et de loisirs, et se proposent de réanimer la ville grâce à la construction de petits poèmes d’actions, guidés par les désirs de chacun. Ainsi, dès les années 1950, la méthode de la dérive, a permis de développer un nouvel outil afin d’approfondir nos connaissances de la ville, d’expérimenter nos désirs, nos envies, et de se laisser errer sans savoir vers où, dans le simple but d’apprécier les plaisirs qu’elle a à nous offrir. Par sa posture critique de la société et de son développement urbain, la dérive, devient alors le cœur d’un projet subversif. Renversant alors tous les codes de la ville d’aujourd’hui et de demain, elle se constitue alors comme base pour une révolution alternative de l’espace urbain. Aujourd’hui, le squat semble se positionner dans le prolongement de cette pensée situationniste. Au-delà de s’affranchir des obstacles de la ville pour faire entendre leurs revendications, ils se battent pour rendre à l’espace urbain son rôle de support de luttes sociales, et de bâtisseur de conscience collective. Tout comme les situationnistes, les squatteurs apportent une critique fondamentale de l’urbanisme de nos villes, et mettent en place les prémisses d’outils d’appréhension et de conception de l’espace urbain, capables de répondre aux besoins d’une société hétéroclite. Ainsi, si nous avons démontré que les squatteurs développaient des compétences comparables à celles d’un urbaniste ou d’un architecte, il nous est désormais possible de dire qu’il existe un urbanisme du squat, susceptible de renverser les codes et de proposer un renouvellement des démarches urbaines actuelles.
62 IVAIN Gilles, « Formulaire pour un urbanisme nouveau », réédité dans MOSCONI Patrick (dir.), 1997, Internationale situationniste, Paris, 1958, Fayard, p13.
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Nous avons parlé au début de ce mémoire, de la mutation perpétuelle des villes qui, au cours des sociétés et des époques, ont toujours témoigné, malgré le constat d’un délaissement pour les pratiques urbaines au profit d’une dynamique productive des villes, d’une volonté impérissable des concepteurs, d’intégrer l’individu dans le projet urbain. Christiania, semble alors avoir réussi là où la ville a échoué. Le squat paraît aujourd’hui très clairement être porteur d’une urbanité, non comparable à celle présente dans l’espace public de la capitale. Ainsi, en développant un urbanisme où chaque usager peut-être positionner dans une posture active de la création de son environnement, le squat danois nous projette dans un tout autre mode de fabrication, nous poussant nous, architectes, urbanistes, politiques, et même usagers, à repenser nos pratiques actuelles. Toutefois, la réussite de Christiania a aussi été permise en grande partie grâce à l’accompagnement de politiques urbaines en faveur de la tolérance de ce lieu. Alors, la combinaison de deux démarches de compositions de ville, l’une alternative et l’autre plus capitaliste, constatée à Copenhague, ne témoigne-t-elle pas d’un nouveau processus de fabrication de ville, orientée vers un urbanisme non plus immobile mais au contraire ouvert à l’expérimentation et à l’innovation ? Aussi, si le gouvernement reconnaît peu à peu l’utilité de ces lieux alternatifs au sein de la ville pour l’expérimentation de nouveaux possibles urbains, sa remise en question d’un processus de fabrication de la ville centré autour du modèle de représentation, et éloigné de la portée sociale de l’espace urbain, ne pourraitelle pas définir de nouvelles opportunités ? Autrement dit, les villes, dans leur course pour la métropole, n’auraient-elles pas intérêt à réserver une place à ces lieux alternatifs, qui, dans l’élaboration de projet urbain, pourraient désormais contribuer « officiellement » au dessin du nouveau visage de la ville ? Si la ville est consciente de la richesse urbaine présente dans ces lieux alternatifs et tend à les légaliser, la dynamique productive des villes prime toutefois encore sur l’urbanité aujourd’hui, et les choix du gouvernement sur l’envie des usagers. Sous le poids de la mondialisation, l’avenir de ces squats d’activités restent alors incertain, et questionne au fond, le rôle de ces occupations illégales, devenues espaces alternatifs dans notre société et la ville.
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3.3 Quel avenir pour Christiania ? Christiania se trouve à présent, dans « l’impasse de l’utopie », et semble jouer de nouvelles cartes qui détermineront si, oui ou non, une nouvelle fois, le squat peut se maintenir face à l’arrivée de « gros blocs de béton» aux abords du fleuve. Nous venons de le voir, si le gouvernement a reconnu le pouvoir urbain, social et politique de ce lieu, il est reste néanmoins le symbole d’un espace né sous l’initiative des « exclus » de la société et qui, dans la course pour la métropole n’arrive pas à peser lourd dans la balance. L’expansion de nouveaux quartiers pour la classe la plus luxueuse semble alors inévitable, et le phénomène de gentrification indomptable. Pourtant, à ce scénario encourageant fortement la fermeture de Christiania, et mettant à mal l’image des lieux alternatifs, le tourisme et le « gâchis du patrimoine » intègrent à leur tour l’équation complexe de gouvernance du squat, capables alors de faire basculer une nouvelle fois la stratégie opérée par le gouvernement, en faveur du squat. Le travail de préservation d’un patrimoine en abandon et l’intégration de nouveaux usages en son cœur qui ont été révélé par les squatteurs à Christiania, nous poussent au-delà de signifier les compétences urbaines, sociales et politiques des christianites, à s’interroger sur l’existence d’un patrimoine propre à Christiania. En effet, même si la grande majorité des maisons fut construite sur l’île sans permis, la question de la conservation de l’incroyable patrimoine architectural christianite est bien réelle. Si pour certains, l’architecture présente sur l’île relève d’œuvres artistiques, elle est pour d’autres également la mémoire d’une communauté, et plus largement, témoin de l’histoire de Copenhague, justifiant de fait, sa préservation. Certaines des réalisations des christianites, à la suite de longues discussions au sein même du gouvernement, ont alors été classées, empêchant ainsi toutes destructions et assurant la préservation de ce patrimoine jusqu’alors incontrôlé.
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figure 68. Maisons containers au bord du fleuve, 1995
figure 69. the house boat, construction d'une maison recyclĂŠe, 1985
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figure 70. Redessiner un nouveau visage des bâtiments militaires, 2002
figure 71. The lake house, habiter les rives de l'île, 2001
figure 72. Maison flottante, 2001
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figure 73. Maison recyclĂŠe, signature d'une architecture christianite, 2013
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figure 74. La caravane flottante, performance artistique pour les 44 ans de Christiania, 2015
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L’institutionnalisation des pratiques du squat énoncée précédemment, participe tout particulièrement au développement du tourisme au cœur de Christiania. Aujourd’hui, ce sont chaque jour, plus de 20 000 personnes, qui se rendent sur l’île pour flâner, apprécier les services offerts ainsi que cette architecture « exotique » mémorable. Il est désormais impossible de séjourner dans la capitale danoise, sans faire un tour au célèbre squat. Les bus touristiques ont pris place devant l’entrée, et le calendrier des visites guidées est bouclé pour les six mois à venir. Progressivement, l’utopie originelle du squat s’évapore donc au profit d’un tourisme de masse, drainant le million de visiteurs annuels. D’un espace anti institutionnel, Christiania s’est transformée en une « institution bureaucratique comblant les limites du welfare state63 » (finissant par opérer le travail de travailleurs sociaux), et en un haut lieu de la (contre)culture à Copenhague. L’activité politique est désormais difficilement remarquable, et témoigne de l’impact de l’institutionnalisation du squat. De plus, la critique radicale du capitalisme paraît avoir été neutralisée au profit d’un discours de conservation : « laissez-nous vivre comme nous l’entendons », laissant au phénomène de gentrification l’opportunité de poursuivre l’aseptisation de l’espace urbain.
figure 75. Christiania, quartier identitaire de Copenhague, 2014
63 RAINAUD Félix, Christiania, micro-société subversive ou «hippieland»?, thèse pour le Master en Sociologie, Université de Poitiers, 2012, p 16
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03.Le squat, apports et limites d’un modèle d’urbanisation alternatif
figure 76. Intégration de Christiania parmi les grands symboles architecturaux de Copenhague, 2014
Si d’un côté, cet apport touristique représente une source d’enrichissement pour la ville, et de l’autre, un argument important de promotion et de défense de la « ville libre », son double rôle traduit surtout, l’élaboration de nouvelles stratégies d’occupation du territoire aussi bien pour les squatteurs, que pour les décideurs publics. L’utopie de Christiania mute donc à nouveau et bascule dans une autre forme, cette fois-ci plus fictionnelle que réelle, c’est-à-dire au travers « d’un discours qui enveloppe une réalité elle-même normalisée64». Le gouvernement danois, prenant conscience de l’enjeu touristique que génère Christiania, pourrait alors s’orienter vers la stratégie de la « ville-musée », destinée essentiellement aux plus fortunés. En conservant les éléments d’architecture les plus remarquables et quelques uns des services offerts comme un restaurant ou deux, un café ou encore une galerie d’art et un petit musée, Christiania, bien que privée de son âme (les christianites), serait immortalisée dans le paysage de Copenhague à la manière d’un décor de théâtre, et assurerait l’activité touristique. Ainsi, les touristes auraient accès au musée de Christiania « grandeur nature », tandis que les nouveaux privilégiés de l’île, habiteraient discrètement de somptueuses maisons cachées, derrière ce décor de squat institutionnalisé.
64 BIDAULT-WADDINGTON Raphaëlle, Petite histoire de Christiania en 3 utopies, revue France Fiction, 2007, p.6-7
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De l’autre côté du miroir, les christianites ont parfaitement pris conscience de leurs enjeux touristiques et ont développé à leur tour, leur propre stratégie. Lorsque le gouvernement se perd dans une logique immobilière, les christianites créent parallèlement, un accueil touristique, une galerie d’art, et des projets de logements éphémères pouvant accueillir de nouveaux visiteurs. Or, rappelons-le, la nouvelle génération des christianites ne peut résider à Christiania par manque de logements. À l’inverse des démarches entreprises par la ville, les christianites orientent donc le développement touristique de l’île vers l’image de mémoire du squat tel qu’il l’était dans les années 1970. Ainsi, le modèle conceptuel élaboré se rapprocherait plus de celui du « parc à thème », où le christianite jouerait le rôle du christianite des années 1970, devenant ainsi une caricature de lui-même. Si ces deux issues représentent deux stratégies permettant de conserver l’activité touristique de l’île et offrirait un « avenir » à Christiania, elles semblent toutefois ne tenir compte uniquement que de son visage beau et originale, photographiable et mémorable, ainsi que de l’enthousiasme qu’il produit auprès des gens, délaissant dès lors, l’impact urbanistique généré sur plusieurs décennies.
En effet, la somme d’interventions réalisées par les squatteurs, a procédé à l’émergence d’une nouvelle dynamique du territoire, contrastant aujourd’hui avec la raideur des espaces publics de Copenhague, mais surtout susceptible de contaminer positivement l’espace urbain danois. Désormais, il est envisageable de construire autrement, en détournant la ville pour en faire un champ d’expérience et de vie. Ainsi, au lieu de percevoir Christiania comme un simple espace illégal devant « s’effacer » au profit de d’autres interventions, pouvons nous à l’inverse, le considérer comme un espace d’innovations urbaines, capable de réunir les gens autour de valeurs communes tels que le droit à la ville, et d’apporter un nouveau souffle aux villes dont l’absence d’appropriations se fait sentir ? Mais aussi, l’acte urbanistique relevé à Christiania peut-il représenter la clé d’un avenir du squat d’activité ?
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3.3.2 D’autres formes de transactions urbaines
Dans d’autres villes européennes, la prise en compte des squats d’activités à parfois mené à une reconnaissance durable du projet des occupants. Certaines villes comme Berlin ou Friburg, ont reconnu l’impact positif de ces lieux d’un point de vue urbanistique, social et économique, et lancé un programme d’aide à la rénovation de certains squats. Le but : les stabiliser pour assurer l’activité du lieu (action rentable pour la ville), et parallèlement, renforcer les actions répressives auprès des squats qui ne désirent pas suivre les exigences d’intégration. La ville agit donc comme une pompe à l’échelle du territoire; aspirant les squatteurs « tolérables » pouvant concourir à valoriser son image de ville de la culture émergente et de l’innovation, et rejetant en parallèle vers ses marges, les squatteurs qui posent problèmes. Au cœur de Berlin, capitale des démarches urbaines et sociales alternatives, l’histoire du quartier Kreuzberg n’est pas sans rappeler celle de Christiania. Célèbre niche d’expérimentation sociale des formes alternatives du vivre ensemble en Allemagne, le squat s’est érigé il y a plus de cent ans pour accueillir une population pauvre peinant à subvenir à ses besoins. Après le passage de la seconde guerre mondiale et la destruction massive d’une grande partie de l’Allemagne, les premiers habitants de ce quartier ont entrepris un travail de réhabilitation des bâtiments détruits pas les bombardements, puis opéré un travail d’expression de leur mode de vie communautaire. Du dessin de fresques géantes sur les murs, à la création de centre artistique et culturel, d’un centre de santé, ou encore d’une ferme collective, le quartier Kreuzberg s’identifie rapidement comme un quartier populaire et convivial, où les habitants et visiteurs réguliers restent solidaires face aux pouvoirs publics. À cette époque, si le mouvement des squatteurs devient peu à peu criminalisé en Allemagne, la légalisation de Kreuzberg semble offrir toutefois, des perspectives intéressantes pour la ville. En effet, la revitalisation d’une zone de Berlin laissée jusqu’alors en désuétude, grâce au rôle de « pansement urbain » joués par les squatteurs, explique principalement les démarches entreprises pour sa légalisation. De nouvelles entités du squat telles que la coopérative ou groupement de travailleurs sont ainsi adoptées, afin de permettre la location ou le rachat des bâtiments du quartier et d’entreprendre légalement leur rénovation, si nécessaire. À la différence du squat danois, le quartier Kreuzberg bien que marqué par un semi échec du mouvement squat, relève néanmoins la démarche positive des pouvoirs publics, dans la mise en place de procédures de consultation des habitants, dans les programmes de rénovation urbaine.
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Ainsi, là où les christianites sont exclus des projets immobiliers dessinés par la ville, les habitants de Kreuzberg trouvent une place parmi les décideurs. Le mot d’ordre de cette « rénovation prudente » consiste alors à « l’orientation des projets vers les habitants pour une réhabilitation du « mélange » traditionnel, et un renforcement des infrastructures sociales65». De petites usines réapparaissent alors, des espaces communs sont revalorisés et des jardins d’enfants construits. Progressivement, le quartier se réanime aux yeux de la ville et de ses habitants, provoquant de fait un regain d’intérêt pour ce « nouveau quartier ».
figure 77. Kreuzberg, quartier historique témoin d'une action collective emblématique, 2014
figure 78. Kreuzberg au coeur d'une convergence d'usages et de pratiques urbaines, 2014 65 LECHEVALIER Lucie, Histoire du quartier de Kreuzberg à Berlin, Rénovation urbaine, mobilisations des habitants et mouvement squat HURARD, 2008 url : http://base.d-p-h.info/fr/fiches/dph/fichedph-7687.html
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Ce premier élan de consultation des habitants dans les programmes de rénovation urbaine dans le quartier Kreuzberg, bien que timide, laisse toutefois entrevoir une première brèche de considération pour la portée urbanistique des squats. Si la consultation a permis de prendre en considération l’avis des habitants pour la transformation de leur lieu de vie, l’exemple du quartier Vauban situé à Fribourg en Allemagne, se veut lui, être un modèle d’engagement de construction d’un projet collectif. La collaboration entre les deux partis à alors pousser plus loin le paradoxe du squat, témoignant très clairement de la ré-attribution du rôle d’acteur à l’usager, dans la construction de son environnement. Dans le début des années 1990, face à une population en nombre croissant et une pénurie extrême en logements, des étudiants et militants locaux engagés sur des questions d’habitat et d’écologie, se sont emparés de lieux vacants afin de construire leurs habitats et d’expérimenter leurs idéologies. Les anciens bâtiments de la caserne militaire, situés à l’Ouest de la ville, et laissés à l’abandon suite aux départs des forces militaires lors de la réunification de l’Allemagne, furent les premiers lieux investit. Installés dans des roulottes toutes plus colorées et éclectiques les unes que les autres, les premiers habitants se mobilisèrent pour tenter d’apporter une réponse à la crise du logement constatée, mais également, de proposer une alternative aux modes de vies contemporains par la création d’une véritable communauté autogérée.
figure 79. Les roulottes, première occupation éphémère de Vauban, 1989
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«Nous faisons le monde comme nous l’aimons»
Tiré de la chanson allemande Pippi Langstrumpf.
figure 80. Les façades des anciennes bâtisses militaires au service d'une revendication : "nous faisons le monde comme nous l'aimons", 2012
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03.Le squat, apports et limites d’un modèle d’urbanisation alternatif
Le Forum Vauban créé en 1995, à l’initiative des squatteurs, représente le point de départ de cette « co-construction ». Représentant légal du processus de participation citoyenne, le forum est une « plateforme associative à but non lucratif, dont la force d’invention et d’intervention est incontournable dans l’acte politique d’édification urbaine. Travaillant avec la ville tantôt en accord, tantôt en contre-pouvoir, il propulse une nouvelle manière de générer de l’espace urbain et 66 du logement, à la fois écologiquement et socialement novatrice ».
figure 81. La co-construction démarche pour un urbanisme innovant, 2009
figure 82. Haus 037, symbole d'une participation citoyenne, 2013 66 RABIE Joseph «L’écoquartier Vauban à Fribourg : une démarche globale pour une réalisation exemplaire», Hesp’ère 21, Septembre 2009, p.2 URL : http://www.habitatparticipatif-paris.fr/wpcontent/uploads/2014/05/Vauban_visite-Hespere_JRabie.pdf
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Bien qu’expérimental au départ, le processus de conception participative a été élaboré et adapté à chaque prise de décision, lui conférant aujourd’hui une place déterminante dans l’histoire de la construction de l’écoquartier. Au travers du processus dit : « apprendre en planifiant », l’association a méthodologiquement mis en place des groupes de travail autour de thématiques particulières telles que l’énergie, la circulation, l’organisation de leur futur habitat ou encore l’urbanisme de leur quartier. Grâce alors à la prise de décisions consensuelles, cette méthode « plus éthique », a permis à chacun d’être « architecte et urbaniste » de son quartier. Ainsi, de l’aménagement urbain du quartier à l’organisation intérieure de chaque logement en passant, par la conception des parties communes, le quartier Vauban, phase après phase a poursuivit une métamorphose spectaculaire. Au gré des décisions d’acteurs aux rôles différents (architectes, urbanistes, politiques, habitants), l’ambition du quartier reste commune : celle de vouloir révolutionner les outils de fabrication de la ville. Le dynamisme de l’écoquartier de Vauban s’explique donc en grande partie par « la force d’intervention et d’invention incontournable dans l’acte politique 67 d’édification urbaine ». En cultivant les échanges entre ville, experts et projets pour créer des expériences, Vauban témoigne de la possibilité urbaine pouvant être enclenchée au cœur des squats. En encourageant ces nouvelles pratiques émergentes et non conventionnelles, il permet de dépasser nos démarches actuelles pour proposer des solutions alternatives pour la construction de la ville d’aujourd’hui et de demain. Ainsi, tout comme à Christiania, ces deux exemples ont montré l’initiative des squatteurs pour élaborer un nouveau lieu des possibles, où chacun peu vivre et s’épanouir en communauté au cœur de niches vacantes. En considérant les acteurs du squat comme des interlocuteurs légitimes dans la planification urbaine, les pouvoirs publics reconnaissent alors l’existence d’une portée urbanistique capable d’interroger et de renouveler les pratiques actuelles. Les processus d’édifications et de rénovations urbaines engagés à Vauban et Kreuzberg, bien que contemporains à Christiania, semblent alors pouvoir offrir des perspectives d’avenir au squat danois. Leurs revendications et actions sont certes différentes, néanmoins elles sont en route vers une même finalité, celle de faire émerger une nouvelle voie d’action, une ouverture vers un urbanisme innovant où la ville accepte désormais son rôle de champ d’expériences.
67 Op. cit.
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03.Le squat, apports et limites d’un modèle d’urbanisation alternatif
Nous l’avons démontré précédemment, le squat de Christiania représente un impact urbain positif, considérable pour Copenhague, et sa légalisation témoigne d’une reconnaissance du gouvernement envers cette portée urbanistique. Ainsi, en s’inspirant des échanges développés dans ces deux quartiers, Christiania et le gouvernement danois, seraient-ils à même de conclure à une collaboration pouvant dessiner et compléter le visage de l’île, et ainsi satisfaire les désirs de chacun ? Certes l’ambition de ces processus restent attachés à des démarches un brin utopiques, car nécessitent un investissement sincère et sans « complots » de la part des acteurs, toutefois ils semblent pouvoir jouer un rôle important dans l’avenir des squats d’activités, mais surtout d’influencer et de faire évoluer la pratique architecturale et urbanistique actuelle.
3.4 De l’alternative à l’institution, un processus inévitable ?
3.4.1 Les limites de l’institutionnalisation
Jusqu’à présent, ce mémoire a été l’occasion pour nous, d’observer, d’analyser, et d’élaborer une réflexion autour des capacités urbaines, sociales et politiques du squat d’activité, à l’origine d’un impact positif dans l’espace urbain de la ville. L’institutionnalisation des pratiques du squat dans sa route vers la normalisation, a alors offert une trajectoire plus longue que celles observées chez les « squats de nécessité », et témoigne par conséquence, d’une certaine justesse des propos énoncés. Toutefois, il est important de noter que si ces démarches innovantes proposent des solutions à un urbanisme froid et inanimé, elles s’accompagnent malgré tout d’échecs qui peuvent réinterroger leurs engagements, et montrer les limites d’une institutionnalisation des squats d’activités. En effet, à Kreuzberg, si les efforts des pouvoirs publics et des squatteurs pour redynamiser ce territoire n’ont pas eu pour effet une mixité sociale attendue, la chute du mur de Berlin en 1989, replaçant le quartier au centre de la capitale, marqua un changement de fréquentation du quartier, le conduisant aujourd’hui très certainement à la mort de ses démarches alternatives. Dés lors, l’argent des programmes de rénovation urbaine fut investit dans d’autres quartiers à l’Est, encourageant alors fortement le déplacement de cette population pauvre dans des bâtiments non rénovés et proposant des prix très attractifs. Le scénario ne se reproduirait-il pas ? Parallèlement, la situation géographique du quartier, et l’originalité du lieu gagne l’esprit de nouveaux habitants plus aisés, qui décident de s’y installer.
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Tout comme à Christiania, le squat semble faillir face au phénomène de gentrification, qui offrent une image et une économie profitable au gouvernement. La démarche de consultation, bien qu’encourageant l’émergence de dynamiques nouvelles pleine d’enthousiasme et prometteuse pour l’avenir de ces quartiers, ne fut donc bénéfique aux habitants du quartier, pour seulement que quelques années. À Vauban, le phénomène de participation remporta un succès considérable. Les habitants sont fières de l’entente avec les pouvoirs publics qui leur permet aujourd’hui d’habiter un espace qu’ils ont eux mêmes imaginé. Cependant, tout comme à Kreuzberg, l’objectif de mixité sociale souhaité n’a lui non plus pas été atteint. La majorité des habitants de l’écoquartier se trouvent finalement être des jeunes familles ou des personnes âgés, dont l’installation a été motivée par la démarche innovante de co-conception. De plus, si les premiers habitants de Vauban à savoir les squatteurs, à l’origine de cette participation, avaient jusqu’alors obtenu la possibilité de maintenir leur « camp de base » au sein des roulottes, leur expulsion en Août 2011 (soit près de vingt ans après leur arrivée sur l’ancienne friche militaire), marque fatalement l’échec du squat face au processus de normalisation.
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03.Le squat, apports et limites d’un modèle d’urbanisation alternatif
figure 83. L'écoquartier Vauban, penser et dessiner la ville collectivement, 2011
figure 84. Fracture urbaine, institutionnalisation synonyme d'un délaissement du squat, 2009
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Jusqu’à présent, l’institutionnalisation des pratiques du squat, grâce l’apparition de nouvelles alliances actives, a permis de prolonger l’installation au départ temporaire, des squatteurs, et de procéder à une reconnaissance de leurs activités. Le quartier de Kreuzberg ou de Vauban, sont donc témoins d’une démarche urbaine innovante, où la combinaison de deux modes de compositions de ville, l’une alternative et l’autre plus capitaliste, font émerger un nouveau processus de fabrication. Toutefois, si les premières esquisses de cette institutionnalisation offrent de nombreuses opportunités aux squatteurs comme à la ville, aujourd’hui, les constats sont tout autres. Au fil des années et des règles instituées, force est de constater que l’impact urbain et social de ces squats, ne relèvent pas du même dynamisme. Leur caractère subversif s’efface au profit de la norme, et les populations sont « expulsées » lentement de leur propre habitat, pour laisser place à une population plus aisée, et plus représentative de la nouvelle image métropolitaine. Le squat, dès lors qu’il se trouve régularisé, ne semble plus répondre à son statut illégale, devenant de fait son propre paradoxe. Christiania au cours de son développement, s’est elle aussi vu rattrapée par la norme. Dans un tournant, où l’esprit anti-autoritaire et l’organisation antihiérarchique ne réussit pas à contrebalancer avec la chute évidente de l’activité militante, sa perspective d’avenir se resserre doucement. Bien qu’il conserve l’image d’un espace de formation politique nourrissant et influençant des générations de mouvements politiques contestataires, le squat ne répond plus « aux exigences de son rôle de catalyseur de mouvements sociaux68» et doit trouver de nouveaux outils pour maintenir son militantisme. Aujourd’hui, nul ne sait, si Copenhague sera à même d’abriter encore dans quelques années les christianites, et de conserver cette architecture psychédélique. Mais une chose est sûre, si Christiania n’a pas encore conquit l’ensemble du gouvernement, elle fait aujourd’hui l’unanimité pour tout ceux qui ont posé ne serait-ce qu’une seule fois, un pied là-bas. « Christiania est une oasis dans ce monde moderne hyperactif. Nous avons cette chose si unique ici au Danemark, et nous ne devrions pas la tuer 69 au nom de la normalité ». La fermeture de Christiania ou sa requalification ne marquera en aucun la fin de son existence. Les symboliques trois points prouvent au contraire que l’histoire continue...
68 RAINAUD Félix, Christiania, micro-société subversive ou «hippieland»?, thèse pour le Master en Sociologie, Université de Poitiers, 2012, p29 69 «La fin de Christiania, dernière ville libre hippie d’Europe », Slate. fr, 10 mars 2011. url : http:// www.slate.fr/lien/35211/christinia-hippie-europe-danemark
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03.Le squat, apports et limites d’un modèle d’urbanisation alternatif
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04. conclusion
figure 85. Christiania, un squat porteur d'une rĂŠvolution urbanistique, 1971
04.Conclusion
“L’architecture répond à deux besoins essentiels des individus et de l’humanité : Etre abriter et Vivre ensemble […] ” Philippe MADEC, L'architecture
A
ujourd’hui, nous habitons, nous travaillons, nous vivons la ville qui se génère dans un processus commercial et qui répond à des besoins primaires politiques et économiques. Tout semble joué d’avance. Les constructions de nouveaux quartiers se succèdent, et notre expérience urbaine ne renvoie plus seulement que le triste reflet de cette ville achevée et formatée que nous subissons chaque jour. Pourtant, à ce triste schéma, l’émergence d’initiatives collectives aux creux des interstices, générées par le déclin de la ville industrielle, fait la promotion d’une nouvelle ère de la ville. L’existence d’autres formes d’actions, bousculent les codes actuels et font apparaître de nouvelles perspectives quant à la place des usagers dans la fabrique urbaine. Alors, à l’aube d’un monde livré à une génération que l’on dit sans valeurs et sans avenir, et face au déclin grandissant de nos pratiques urbaines, la perspective d’ouverture vers ces modes d’interventions alternatifs, semble être une voie indispensable, pour la reconquête d’un modèle de société et de ville.
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Dans ce mémoire, grâce à l’étude de Christiania, auto proclamée « ville libre » depuis 1971, nous avons pu jusqu’ici, nous plonger dans une intense lutte spatiale en marche depuis plus de quarante-cinq années, où l’élan militantisme des squatteurs, s’est révélé être riche d’enseignements pour la pratique architecturale et urbanistique. Dans un contexte politique caractérisé par la montée de la « nouvelle gauche », nous avons vu se développer l'installation d'une communauté autogérée au coeur de Copenhague. Sous la menace continue d’une expulsion, les squatteurs ont procédé collectivement à la réanimation d'un patrimoine architectural en désuétude ainsi qu'à un retour d'interactions sociales au coeur d'un espace urbain tendant à s'aseptiser. À la fois refus d’exclusion sociale et spatiale, le squat de Christiania, s’appuyant sur la « critique de la vie quotidienne » portée par Henri Lefebvre, a jusqu’alors mis en cause des formes traditionnelles et conservatrices au profit d’organisations alternatives, moins hiérarchisées et plus souples. De nombreuses ressources ont été mobilisées, et différents outils actionnés. Le but : construire des solutions adaptatives face à la situation d’exclusion du logement, et de satisfaire l’aspiration à vivre autrement, loin de cette société de « tout contrôle ». Le choix du bâtiment à investir se trouve alors lui aussi être un élément fédérateur du chemin entrepris par les squats. En investissant des bâtiments pour la plupart désaffectés en hyper-centre, les squatteurs renversent le schéma actuel d’organisation du territoire. Ils s’affranchissent en vérité des logiques de concentration de l’habitat populaire en marge de la ville, pour questionner en pratique, au-delà du droit au logement, le droit à la ville. Ni naturel ni contractuel, le droit, en terme aussi «positif» que possible, signifie selon Henri Lefebvre, « le droit des citoyens-citadins, et des groupes qu’ils constituent, à figurer sur tous les réseaux et circuits de communication, d’information, d’échanges70». Autrement dit, il est le refus légitime de populations actuellement exclues de l’urbain, de se laisser écarter de la réalité urbaine par une organisation discriminatoire et ségrégative. Face à une ville en perpétuelle mutation qui rejette ces communautés et délaissent certains espaces, les squats se glissent alors naturellement au cœur des fractures de la ville, dommages collatéraux des échecs des politiques urbaines distantes de leur rôle sociale menées jusqu’à présent. Si les bâtiments investis sont pour la plupart en état de désuétude, et témoignent d’une forme de pathologie de l’espace urbain, que l’on laisse mourir paisiblement, ils révèlent toutefois aux yeux des squatteurs, une richesse endormie d’un patrimoine oublié, qu’ils s’empressent de réanimer. Cadre idyllique pour se construire « un autre monde », les squatteurs saisissent alors l’opportunité que ces espaces leurs offrent, pour pouvoir envisager des possibles urbains et élaborer leur propre définition de la ville : un champ d’expérience et de vie. 70
LEFEBVRE Henri, Le droit à la ville, espace et politique, Editions Anthropos, 1968, p. 117
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04.Conclusion
Ainsi, au fil des années et de leur installation, ils ont jusqu’ici expérimenté un nouveau rapport social à l’espace et la mise en place d’interventions urbaines, témoignant très clairement d’un impact positif du squat sur la capitale. De la préservation et la réanimation d’un patrimoine urbain abandonné, à la revitalisation d’un territoire entier par l’injection de nouveaux usages, ou encore la création d’un nouveau tissu social permettant de fédérer les usagers autour de pratiques communes, les squatteurs nous ont révélé un autre visage de ces lieux abandonnés. Jouant alors le rôle fondamental d’analystes des carences urbaines de la ville et remplissant en quelque sorte une mission de service public, ces nouveaux acteurs, dans une démarche alternative, ne semblent plus fragmenter l’ordre urbain, mais au contraire participer pleinement à la fabrique urbaine. Ainsi, par leurs actions quotidiennes d’autogestion, les squats et ses occupants, bien que leur statut reste illégal et leurs actions érigées contre le système, interpellent notre société si insidieusement contrôlée, sur la capacité qu’il lui reste « à libérer la vie et à créer des espaces où les normes de régulation sont radicalement différentes et autonomes des règles dominantes71». Les squats, manifestant alors de nouvelles opportunités pour la construction de la ville de demain, sont naturellement amenés sur le chemin de la régularisation. Le gouvernement laisse place pour ces intrusions spontanées dans les interstices urbains, qui dès lors, deviennent les enjeux de l’épanouissement de pratiques citadines contemporaines, et les espaces interstitiels, de la «matière encore disponible pour modeler le visage de la ville de demain72». À Copenhague, les christianites semblent avoir littéralement œuvré à la définition d’un modèle économique viable de l’occupation éphémère. En donnant une valeur d’usage à un lieu provisoirement inexploitable économiquement parlant, ils ont permis de donner libre cours à des programmations urbaines inédites, où la convergence d’usages a redonné corps au principe de droit à la ville. Si la force de ces lieux est à trouver dans cette mobilisation intense pour défendre un urbanisme plus soucieux de son environnement et de sa dimension sociale, cette dynamique d’impulsion du territoire rejoint surtout les notions de temporalités et d’espaces décrits jusqu’alors. L’occupation illégale de bâtiments comporte des risques qui, en plaçant les squatteurs face à un avenir incertain de leur occupation, se révèle être généralement vecteur de cohésion sociale entre les occupants.
71 DAWANCE Thomas, « Le squat collectif autogéré, une réponse à la crise urbaine », La Revue Nouvelle, Février 2008, p. 5 url : http://www.revuenouvelle.be/IMG/pdf/030-41.pdf 72 LIANG Emmanuel, La ville 2.0 : les nouvelles alliances dans le processus de création de la ville, Mémoire de fin d’études, Architecture, Bordeaux, année 2008, p. 28
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De plus, nous avons vu également que, sous la menace d’une éventuelle expulsion, le « squat d’activités » s’avère être en réalité, un espace d’acquisition et d’exercice, où le squatteur développe des savoir-faire urbains, politiques et sociaux, nous amenant à comparer son travail à celui d’un urbaniste. Toutefois, l’urbanisme du squatteur est à différencier de celui conçu pour nos villes. Sans réelle méthode ou processus institué, la force de proposition des squats réside en vérité, dans la motivation d’actions de création par une euphorie de l’instant. Le temps s’affirme être alors un outil déterminant dans le processus de revitalisation opéré par les squats, représentant très certainement la clé d’un urbanisme innovant, où le déclin de l’individualisme laisse place à des formes d’actions communautaires fondées sur le partage de moments intenses de vies urbaines. Toutefois, le temps de l’installation, le temps de la revendication ou encore de l’action, à l’origine d’un développement du squat, ne serait envisageable sans l’intervention du gouvernement en faveur de ces lieux. Interroger l’existence des squats sous l’axe de la temporalité, c’est également interroger la question de leur gouvernance. En effet, si Christiania est aujourd’hui inscrit comme un quartier à part entière de Copenhague, nous l’avons vu, c’est en partie grâce au statut d’expérimentation sociale accordé par le gouvernement, et de ses différentes relations entretenues avec lui. Le temps, et donc la gouvernance de ces lieux illégaux, au-delà d’être à l’origine d’une performance urbaine, nous ouvre alors le débat sur le grand paradoxe des squats d’activités. Celui d’un « habité éphémère » qui se veut durable, mais surtout celui d’un jeu de gouvernance ambiguë, tolérant des lieux alternatifs, à l’origine pourtant, érigés contre lui, et dévoilant un gouvernement réinventant même parfois la ville, à leurs côtés. Si le temps permet aux squatteurs de mettre en place leurs actions et revendications, il laisse cependant aussi l’occasion à la norme de « regagner sa place ». En effet, une fois le processus de normalisation enclenché, le squat de Christiania a vu se mettre en place de nouvelles règles à respecter, l’intégration de nouveaux acteurs, et surtout le développement de nouvelles stratégies devant répondre aux exigences d’une ville touchée par le phénomène de métropolisation. Le tourisme de masse a alors remplacé l’utopie du lieu, et entraîné progressivement malgré un succès économique, la perte de son rôle subversif à l’origine pourtant, d’un dynamisme novateur. Au fil des années et des règles instituées, « le caractère contestataire de l’occupation illégale est donc remis en cause au profit d’un modèle communautaire plus conventionnement et potentiellement moins dissident73», laissant le squat devenir de fait, son propre paradoxe.
73
Op. cit. p. 6
130
04.Conclusion
Ainsi, ce mémoire représente l’occasion de s’interroger sur la question de la régularisation du statut de ces lieux alternatifs et de saisir, en quoi cette notion de temporalité du squat se trouve être au cœur de ce paradoxe constaté. Si sa régularisation semble procédé à la perte de ce qui compose son âme, à savoir l’élan contestataire des actions menées, pouvons nous conclure à ce que le statut de squat régularisé, qui offre normalement un parcours plus long de son installation, le conduit finalement fatalement à son propre échec ? En d’autres termes, la redynamisation d’un territoire généré par le développement même du squat ne trouve-t-elle pas justement sa source, et sa force, dans cet aspect illégal et donc éphémère du squat ? Mais surtout, si l’expérience de ces lieux, a su jusqu’ici proposer des formes d’actions requestionnant nos pratiques actuelles, est-elle cependant à même, de pouvoir renouveler au-delà, la pensée architecturale et urbanistique ? Comme nous l’avons vu, la ville mute continuellement et s’accompagne inévitablement de mouvements contestataires tel que le squat. Ces derniers comblent les gouffres provoqués par des restructurations urbaines mal menées, et offrent une réponse à une ville qui se déshumanise et s’individualise. Alors, à l’aube de nouvelles mutations et de nouvelles révoltes urbaines et de société, ne serait-il pas envisageable d’entrevoir dans ces modes de fabrication alternative, une solution à la crise urbaine ? Manuel Castells disait : « ce sont les mouvements sociaux urbains, et non pas les institutions de planification, les véritables groupes de changement et d’innovation de la ville74». Aussi, des différentes formes de prises en compte par les autorités publiques danoises à propos des projets d’occupation des christianites, il ressort que c’est notamment au contact du mouvements des squatteurs que les politiques urbaines sont amenées à évoluer. Ainsi, si jusqu’à présent, ce mémoire a été l’occasion de prouver le rôle social et urbain affirmé au sein des squats d’activités, il nous pousse surtout à s’interroger sur la gouvernance à adopter pour ces lieux, qui, bien qu’illégaux, offrent assurément, une autre voie d’avenir pour la fabrication de nos villes. Alors, régularisation, « laisser faire », ou encore simple tolérance ? Quelles voies d’actions pour ces squats en manque de reconnaissance ? Si elles offrent certes toutes, un avenir plus ou moins long aux squats d’activités, elles ne répondent cependant pas, de la même finalité. À Vauban, comme à Kreuzberg, nous avons vu comment la nouvelle alliance active entre deux modes de composition de la ville, l’un alternatif et l’autre plus capitaliste, engendrés par la régularisation de son statut, représentent le fruit d’un nouveau processus de fabrication de la ville.
74 CASTELLS Manuel, Lutte de classes et contradictions urbaines : l’émergence des mouvements sociaux urbains dans le capitalisme avancé,intense Espaces et sociétés n°6-7, Paris, 1972 p.7
131
Ces expériences ont alors prouvé que par l’action des squatters, des intérêts sociaux peuvent devenir volonté politique, mais surtout, que d’autres formes d’organisation dans la production collective d’habitat et d’espaces publics, potentiellement contradictoires avec la logique sociale dominante, peuvent être mises en place. Néanmoins, l’institutionnalisation, bien qu’elle eu un impact positif sur le questionnement de la place des usagers au sein des processus urbains, s’avère, inévitablement s’accompagner de la perte de ses « piliers » : les squatteurs. Alors, devons nous réellement procéder à une régularisation des squats d’activités, quand bien même nous savons que la richesse de leurs propositions, est à trouver dans cette temporalité courte et dans la mobilisation unique des squatteurs, définis eux-même par leur occupation illégale ? Néanmoins, à l’inverse, le « laisser faire », c’est-à-dire, offrir la possibilité à ces organisations alternatives de s’exprimer librement dans ces interstices sans aucun contrôle des autorités, ne conduirait-il pas à une perte de cohérence totale de leurs réalisations, et par conséquent, à renforcer leur stigmatisation ? C’est alors ici, que tout le paradoxe de la ville et de ses squats d’activités prend racine. En effet, chaque squat est différent, son impact sur la ville aussi. Par conséquent, il est difficile de définir un mode de gouvernance propre aux squats, qui pourrait se répéter à chaque fois que le schéma se reproduirait. Au contraire, à l’image du squat, qui nous fabrique une « ville de l’instant », il est désormais au tour du gouvernement, de s’adapter aux fonctionnements de ces lieux et d’y trouver un équilibre de ses interventions. C’est-à-dire, laisser « librement » le choix aux squats d’intervenir dans l’espace urbain, et parallèlement, de s’engager à leurs côtés, pour servir et contrôler leurs réalisations. Peut-on alors parler d’occupation temporaire régulée ? Si les squats d’activités ont montré jusqu’ici, que la régularisation était souvent synonyme de la perte de la spontanéité du lieu, ils auront toutefois permis d’ouvrir la voie à l’intention de d’autres formes d’actions, défendant elles aussi, les valeurs de nos villes et poussant à interroger l’existence d’un modèle d’aménagement temporaire du territoire. Avec pour slogan « Résorber la vacance, servir la création », l’association Plateau Urbain voit le jour en 2013 à Paris, dont le processus d’action s’inspire pleinement de celui engagé au sein des squats. Leurs actions, visent à redonner vie à court terme à un certain nombre de bâtiments, pour réanimer des zones pour l’instant délaissées, afin d’orienter leur attractivité à plus long terme. Tous comme les squatteurs, les membres de l’association dénoncent la vacance et l’obsolescence grandissante du parc immobilier, et se proposent par l’occupation temporaire, de renverser la situation et de pallier l’immobilisme des pouvoirs publics.
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04.Conclusion
Toutefois, ils portent un nouveau rôle, celui de se présenter en tant que « lien entre deux mondes qui s’ignorent : celui des gros propriétaires et celui des acteurs associatifs, culturels ou issus de l’économie sociale et solidaire75». Ainsi, l’occupation temporaire, ici vise à utiliser la « dent creuse temporelle » entre la dernière utilisation d’un bâtiment et sa restructuration pour monter des projets, et redonner une valeur d’usage à des lieux qui ne possédaient plus aucune valeurs d’échanges. Situé au cœur de l’hôpital Saint Vincent de Paul à Paris, le projet « les grands voisins » a au départ, été lancé sous l’initiative de la mairie de Paris, qui dès sa fermeture, souhaitait lui donner de nouveaux usages avant le lancement de l’opération du projet d’écoquartier déjà planifié sur ce site. Grâce à la médiation de Plateau Urbain, le site est alors devenu (en toute légalité) d’un pôle d’hébergement d’urgence, un véritable mini village collaboratif social et solidaire. À l’image alors d’un véritable laboratoire urbain, chaque occupant ; associations, « personnes vulnérables », ou jeunes artistes, participent collectivement à la revitalisation du lieu, et plus largement de la ville. Ainsi, à l’heure où l’urgence d’une transformation des démarches et des instruments intellectuels se fait sentir pour lutter contre la stérilisation de nos villes, ces occupations temporaires régulées et « guidées par l’urgence du désir76» semblent bel et bien en passe d’être reconnues comme une des solutions capables d’apporter à la ville, la bouffée d’air frais dont elle avait grand besoin. Loin des pratiques actuelles, l’occupation temporaire des squats, nous montre le nouveau rôle que doivent jouer architectes, urbanistes ou encore politiciens. Plus de l’ordre de la médiation, de la co-conception, il n’est désormais plus l’heure, de construire des formes belles et pures, qui ne servent qu’à embellir le visage de nos villes, mais au contraire de mettre nos connaissances au service de ces organisations alternatives pour, à leurs côtés, enrichir l’expérience urbaine. Ainsi, les squatteurs (légaux et illégaux), nous poussent à considérer une part d’éphémère et de liberté dans les cadres de conception et d’innovation, et nous ouvrent une nouvelle voie d’avenir. Celle d’une ville qui se construit tout comme les squats, dans une euphorie de l’instant. Cette vision, a d’ores et déjà amené de nombreux penseurs de l’espace à considérer aujourd’hui la notion de l’éphémère dans nos villes. Certains, comme Gilles Ivain, imagine un urbanisme pouvant s’appuyer sur cette civilisation mobile et actrice de son environnement : « Le complexe architectural sera modifiable. Son aspect changera en partie ou totalement suivant la volonté de ses habitants.77». 75 LUQUET- GAD Ingrid, « Faut-il institutionnaliser les squats ? », Les Inrocks, 11 avril 2016, url : http://www.lesinrocks.com/2016/04/11/arts/artsfautinstitutionnalisersquats11816399/ 76 Ibid 77 IVAIN Gilles, « Formulaire pour un urbanisme nouveau », réédité dans MOSCONI Patrick (dir.), 1997, Internationale situationniste, Paris, 1958, Fayard, p17
133
Imaginant et concevant alors « l’espace urbain comme une mise en scène sociale, et l’espace public comme un lieu d’interactions des intelligences78», la fabrication de la ville ne représenterait plus selon lui, une fin en soi. Bien au contraire, elle serait un moyen de parvenir à la construction d’un modèle social d’échanges et de bien commun. L’espace ne serait alors jamais réellement défini et se modifierait continuellement par son appropriation, laissant ainsi l’opportunité au droit à la ville de remporter cette lutte de l’espace, face à des politiques urbaines ségrégatives. Néanmoins, cette vision d’une ville plus proche de ses usagers et de leurs désirs, réintégrant les formules du droit à la ville, prise dans toute son ampleur, apparaît pour certains aujourd’hui, comme utopiste. Mais, n’est-ce pas au plus près de ces formules, des réflexions de penseurs tels que Constant Nieuwenhuys avec New Babylon et bien d’autres, sur la ville et ses devoirs, que l’innovation et très certainement le progrès, apparaîssent ? Quoiqu’il arrive, si les squats d’activités peinent encore à être considérés au coeur du foisonnement décisionnel de nos villes, ils restent toutefois l'occasion d'ouvrir la voie à d'autres formes d'actions. Les squats ne seront jamais en phase de s'éteindre. Au contraire, pour reprendre la célèbre phrase "un squat fermé, est un autre squat qui s'ouvre", ils continueront à nous guider chacun, dans le rôle que nous devons jouer pour contribuer tous ensemble, à la réanimation de nos villes et de nos quotidiens. Car la ville, ce sont eux et ce sont nous. Alors bien plus qu'un modèle potentiel, ces processus enclenchés, relèvent en vérité d'une micro utopie bien réelle, nous remémorant le rôle fondamental de nos villes : être un champ d'expériences et de vie où la seule oeuvre produite est l'action collective. Il est donc désormais de tout un chacun, de prendre conscience de la leçon que nous apportent les squats. Celles que les différences existent et qu'il est de notre devoir de les exacerber, pour en tirer une force, un outil, au service d'une ville hétéroclite.
78
134
Ibid
04.Conclusion
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bibliographie
figure 85. Christiania, un squat porteur d'une rĂŠvolution urbanistique, 1971
136
Bibliographie
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Bibliographie
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tableau des illustrations
figure 85. Christiania, un squat porteur d'une rĂŠvolution urbanistique, 1971
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Tableau des illustrations
figure 01, Pougnol, Au-delà des apparences, 26 Juillet 2012, photographie. site internet : www.flickr.com
p. 4
figure 02, Aldo Van Eyck, S’approprier l’espace et le vivre, 1950, photographie. site internet : www.walkonwildsideanna.wordpress.com
p. 6
figure 03. Improviser la construction d'une ville informelle, à Christiania, Copenhague, 1971, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 17
figure 04, La ville radieuse de Le Corbusier, 1925, dessin. site internet : www.thecharnelhouse.org,
p. 19
figure 05, Makeshift Metropolis, Le plan voisin de Paris, 1925, photographie. site internet : www.dwell.com
p. 19
figure 06, Affiche résistance prolétarienne, 1968, photographie. site internet : www.nidieuxnimaitrenpoitou.wordpress.com
p. 22
figure 07, Occupation illégale, Secours rouge, 1972, photographie. site internet : www.laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.fr
p. 22
figure 08, Cor Mulder, Lutte des Krakers pour la défense du squat, Amsterdam, 1981, photographie. site internet : www.laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.fr
p. 23
figure 09, Promenade Larsens Plads, individualisation de la pratique urbaine, Copenhague, 2015, photographie personnelle.
p. 27
figure 10, Maja Daniels, Concert sur les rives du Københavns Havn, vivre la ville, à Christiania, Copenhague, 2009, photographie. site internet : www.majadaniels.com
p. 27
figure 11, « Participer collectivement à la construction d’un nouveau monde, fondation Christiania, 1972, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 31
figure 12, Se recréer un lieu de socialité, vivre collectivement la ville, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 2011, photographie. www.christiania.org
p. 31
143
figure 13, Construction de la porte de Christiania, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 2011, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 34
figure 14, Andres Garrido, Quarante-cinq ans d’existence, et une porte toujours debout, à Christiania, Copenhague, 2014, photographie. site internet : www.jonas-chopin.com
p. 35
figure 15, Une rue, un repas partagé, vivre la ville sans limite et sans contraintes, à Christiania, Copenhague, 1982, photographie. site internet : www.bewaremag.com
p. 37
figure 16, Christiania, une île située au cœur du centre historique, à Christiania, Copenhague, 2016, photographie. site internet : www.google.fr/maps
p. 39
figure 17, Patrimoine architectural abandonné, potentiel d’action du squat, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1969, photographie. site internet : www.youonlyliveonce.com
p. 39
figure 18, Günter Zinnkann, Abandon des bâtiments militaires, aire de nouveaux possibles pour les squatteurs, à Fribourg, Allemagne, 1989, photographie. site internet : www.vauban.de
p. 43
figure 19, Andreas Delleske Haus 037, témoin d’une revitalisation de son patrimoine architectural, à Fribourg, Allemagne, 2013, photographie. site internet : www.vauban.de
p. 43
figure 20 Espaces vacants, potentiel de reconversion, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1971, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 45
figure 21, Réinventer collectivement Christiania, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1971, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 45
figure 22, Réinvestir l’île pour lui redonner une seconde vie, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1971, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 45
figure 23, Découvrir un nouveau lieu des possibles, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1971, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 48
144
Tableau des illustrations
figure 24, Ouvrir le squat, début d’une lutte urbaine intense, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1971, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 48
figure 25, Réhabiliter un espace pour soi et son collectif, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1972, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 48
figure 26, Ouverture d’une bibliothèque destinée à tous, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1973, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 49
figure 27, S’ouvrir, communiquer et s’intégrer, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1972, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 49
figure 28, Ouvrir le squat à son quartier, sensibiliser les visiteurs, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1972, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 49
figure 29, Les christianites brisent la barrière de l’île, et se proclament ville libre, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 26 Septembre 1971, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 54
figure 30, Réhabiliter pour revaloriser l’ancienne zone militaire, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1971, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 56
figure 31, Aménager et s’approprier collectivement l’espace, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1972, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 56
figure 32, Transmettre des idées au travers de la décoration, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1974, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 56
figure 33, construction de nouveaux baraquements pour accueillir de nouvelles activités, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1973, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 58
figure 34, Organiser la restauration, habiter la caserne, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1972, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 58
145
figure 35, Offrir un nouveau confort de vie, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1971, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 58
figure 36, L’expression au service de la revitalisation, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1973, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 61
figure 37, Les façades, supports de messages revendicateurs, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1974, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 61
figure 38, Aménager des espaces de rencontre, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1973, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 63
figure 39, Animer le squat pour soulever un soutien populaire, à Christiania, Copenhague, 1993, photographie. site internet : www.politiken.dk
p. 63
figure 40, Le café Manefiskeren, rendez-vous de tous les danois, à Christiania, Copenhague, 2002, photographie. site internet : www.politiken.dk
p.63
figure 41, Organiser des événements pour partager une expérience urbaine unique, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 2011, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 64
figure 42, Spectacles et concerts, exposer des sujets de société, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 2009, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 64
figure 43, Petersen Erik, S’approprier son environnement et user de ce qu’il a à nous offrir, à Norrebrø, Copenhague, 31 Mars 1968, photographie. site internet : www.museoreinasofia.es
p. 67
figure 44, Christiania, un terrain d’actions politiques, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1978, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 69
figure 45, Nils Vest, Rédaction des règles de vie christianite au sein des Fællesmøde, à Christiania, Copenhague, 2006, photographie. site internet : www.arbejderen.dk
p. 71
146
Tableau des illustrations
figure 46, Solvognen et le théâtre au service de l’action des squats, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1975, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 73
figure 47, Une armée de père noël pour dénoncer une société du tout contrôle, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1974, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 73
figure 48, Principales actions du squat au Danemark de 1945 à 2005, graphique d’après les données recueillies par Flemming Mikkelsen dans « Collective action in Denmark 1946-2005 », 1974.
p.74
figure 49, Actions policières au service de la stigmatisation du squat, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1971, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 79
figure 50, Surveiller les actions des squatteurs, tolérer pour mieux contrôler, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1971, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 79
figure 51, Arrestation d’un père noël de l’armée Solvognen, à Copenhague, 1974, photographie. site internet : www.weirdwalks.dk
p. 79
figure 52, Réunion des christianites pour l’organisation de la Junk Blocade, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1979, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 81
figure 53, Invitation des christianites au gouvernement pour la signature du premier traité, à Christiania, Copenhague, 1972, photographie. site internet : www.denstoredanske.dk
p. 83
figure 54, Quand la stigmatisation prend le pas sur le bienfait des différences, à Christiania, Copenhague, 1972, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 87
figure 55, Rédaction du plan vert par les christianites, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1991, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 90
147
figure 56, Christian Als, Visite de la commission des affaires juridiques, engagement d’un nouveau dialogue, à Christiania, Copenhague, 2012, photographie. site internet : www.bt.dk
p. 90
figure 57, Erik K. Abrahamsen, Christiania, un nouveau succès populaire, à Christiania, Copenhague, 26 Septembre 2015, photographie. site internet : www.tvndk.wordpress.com
p. 93
figure 58, Anniversaire de Christiania, un événement métropolitain, à Christiania, Copenhague, 26 Septembre 2015, photographie. site internet : www.politiken.dk
p. 93
figure 59, Allie Cooperman, Le grey hall, nouvelle institution culturelle du Danemark, à Christiania, Copenhague, 2011, photographie. site internet : www.allieadventures.wordpress.com
p. 93
figure 60, Erik K. Abrahamsen, Le marketing des célèbres trois points, témoins d’un changement de stratégie des squatteurs, Copenhague, 26 Septembre 2015, photographie. site internet : www.tvndk.wordpress.com
p. 95
figure 61, Piper Logan, Les trois points : plus qu’un logo, une identité, à Christiania, Copenhague, 2014, photographie. site internet : www.plogandis2014.wordpress.com
p. 95
figure 62, Le finger plan, Copenhague, 1947, carte. site internet : www.actindk.wordpress.com
p. 99
figure 63, Nouvelle échelle d’action, dialoguer à l’échelle européenne, 2010, carte. site internet : www.slideshare.net
p. 99
figure 64, Le black Diamond, symbole architectural au service du nouveau visage métropolitain, 2015, photographie personnelle.
p. 100
figure 65, Inscription de l’Arken dans le patrimoine culturelle danois, 2015, photographie personnelle.
p. 100
figure 66, Mondialisation, vecteur d’un changement géostratégique danois, 2010, carte. site internet : www.politiken.dk
p. 101
figure 67, Guy Debord, Vivre la ville selon nos désirs individuels d’ambiances, the naked city, 1957, carte. site internet : www.archipressone.wordpress.com
p. 104
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Tableau des illustrations
figure 68, FL. Lamberth, Maisons containers au bord du fleuve, à Christiania, Copenhague, 1995, photographie. site internet : www.christianiaarkiv.dk
p. 108
figure 69, the house boat, construction d’une maison recyclée, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 1985, photographie. site internet : www.christiania.org
p. 108
figure 70, Redessiner un nouveau visage des bâtiments militaires, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, 2002, photographie. site internet : www.cubecinema.com
p.109
figure 71, The lake house, habiter les rives de l’île, à Christiania, Copenhague, 2001, photographie. site internet : www.cubecinema.com
p. 109
figure 72, Maison flottante, à Christiania, Copenhague, 2001, photographie. site internet : www.cubecinema.com
p. 109
figure 73, Maison recyclée, signature d’une architecture christianite, à Christiania, Copenhague, 2013, photographie. site internet : www.huskebloggen.blogspot.fr
p. 110
figure 74, Schorle, La caravane flottante, performance artistique pour les 44 ans de Christiania, à Christiania, Copenhague, 2015, photographie. site internet : www.silexzeitung.de
p. 111
figure 75, Mary Birdy, Christiania, quartier identitaire de Copenhague, 2014, carte touristique. site internet : www.marybirdy.fr
p. 112
figure 76, Intégration de Christiania parmi les grands symboles architecturaux de Copenhague, 2014, carte touristique. site internet : www.frederiketmary.centerblog.net
p. 113
figure 77, Karine Wierzba, Kreuzberg, quartier historique témoin d’une action collective emblématique, Allemagne, 2014, photographie. site internet : www.caraporters.fr
p. 116
figure 78, Karine Wierzba, Kreuzberg au cœur d’une convergence d’usages et de pratiques urbaines, Berlin, Allemagne, 2014, photographie. site internet : www.caraporters.fr
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figure 79, Günter Zinnkann, Les roulottes, première occupation éphémère de Vauban, Fribourg, Allemagne, 1989, photographie. site internet : www.vauban.de
p. 117
figure 80, Les façades des anciennes bâtisses militaires au service d’une revendication : « nous faisons le monde comme nous l’aimons », Fribourg, Allemagne, 2012, photographie. site internet : www.vauban.de
p. 118
figure 81, La co-construction, démarche pour un urbanisme innovant, Fribourg, Allemagne, 2009, photographie. site internet : www.vauban.de
p. 119
figure 82, Haus 037, symbole d’une participation citoyenne, Fribourg, Allemagne, 2013, photographie. site internet : www.vauban.de
p. 119
figure 83, L’écoquartier Vauban, penser et dessiner la ville collectivement, Fribourg, Allemagne, 2011, photographie. site internet : www.vauban.de
p. 123
figure 84, Fracture urbaine, institutionnalisation synonyme d’un délaissement du squat, Fribourg, Allemagne, 2009, photographie. site internet : www.vauban.de
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figure 85, Christiania, un squat porteur d’une révolution urbanistique, à Christiania, Copenhague, fondation Christiania, photographie, 1971. site internet : www.christiania.org
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Tableau des illustrations
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remerciements
À mon Directeur de mémoire, Monsieur Xavier Guillot, qui a su tout long de cette année, m’encadrer, m’orienter, m’aider et me conseiller. À Julie Ambal, pour son aide précieuse et le temps qu’elle m’a consacré, à chaque interrogation et chaque doute. À mes très chers parents, Christine et Philippe, qui ont toujours été là pour moi, dans les bons comme dans les mauvais moments. À mes sœurs, Florianne, Coraline et Louna, ainsi que mon frère Amaury pour leur encouragement et leur soutien permanent. À Julie, mon binôme, avec qui j’ai détourné ces longs moments de désespoir en instants drôles et mémorables, et à Alizée, pour ses conseils et son aide à toute heure de la journée et surtout de la nuit. À mes amis pour leur amitié, leur soutien inconditionnel et leur encouragement, Evangeline, Galadrièle, Alison, Clémence, Justine G., Chloé, Eva, Cécile, Yassmine, Camille, Justine B. Mais surtout, merci à Christiania et ses habitants, de défendre les valeurs d'une ville où l'usager et son expérience urbaine, redeviennent le coeur de tout projet.
À tous ces intervenants, merci tout simplement.
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Alexia Barritault
Le squat, porteur d’une révolution urbanistique ? Image de couverture de : Arnaud Fournier & fondation Christiania Impression Copy-média À Bordeaux, Mai 2016 Imprimé en cinq exemplaires
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