« D’une société motorisée vers une société multimodale » - Nicolas Duguet

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D’UNE SOCIÉTÉ MOTORISÉE VERS UNE SOCIÉTÉ MULTIMODALE « Ou la difficile passation de l’automobile aux nouveaux modes de transports » JANVIER 2017 – DUGUET Nicolas


Résumé : Dans cet article, j’ai cherché à savoir comment la société « toute automobile » qui s’est développée à partir des années 1950, a évolué pour en arriver à la société actuelle, se revendiquant multimodal, faisant la part belle aux nouveaux moyens de transports et cherchant à offrir un « droit à la mobilité » pour tous. Dans une première partie, une présentation de cette « auto-génération » est menée, et expliquée dans un contexte économique montrant une banalisation des réseaux techniques urbains. Dans un second temps nous verrons comment ce système a commencé à être remis en cause au début des années 1990 avec la transformation des villes en villes informationnelle, notamment par le rôle que jouent les transports en commun dans le « city-branding », traité notamment avec l’exemple du Tramway de Bordeaux et le projet du Grand Paris Express. Enfin, nous verrons les limites et les problèmes de cette mutation, en étudiant notamment ce « droit à la mobilité » revendiqué aujourd’hui, et ses limites.

DUGUET Nicolas - Master S7 Alter-Métropolisation - Xavier Guillot/Julie Ambal


L’Avènement de la société motorisée

Depuis son apparition, l’automobile n’a cessé d’alimenter le modèle urbanistique de nos sociétés. En effet, à partir des années 1960, près de 2 foyers français sur 3 possèdent un véhicule. Véritable outil de la croissance économique, passée pour une part significative de la population, d’un « produit de substitution à des modes de transports moins rapides et moins confortables, ou permettant moins l’expression de soi, comme les transports publics, la bicyclette ou les deux-roues à moteur » (L’Automobile et la ville : raisonner la cohabitation ? – Jean-Pierre Orfeuil – 2001) à un moyen de transport ayant son propre marché, produisant la majorité des circulations de l’espace quotidien et provoquant ainsi la transformation de ce dernier, afin de rendre l’automobile indispensable pour un nombre toujours plus croissant de déplacements de la vie courante.

Publicité pour la 4CV Renault – Début des années 1960

L’urbanisme, à partir des années 1960, va donc voir sa doctrine se transformer. En 1962, la France ne compte que 77 kilomètres d’autoroute. En six ans, elle va mettre en service plus de 900 km tout en en mettant plus d’un milliers en chantier (Les années Pompidou : Une France à grande vitesse – France Culture – Gerard Conreur – 2010). Les villes françaises vont s’adapter et se transformer de sorte à pouvoir offrir aux usagers automobiles toutes les infrastructures nécessaires à l’utilisation de leurs nouvelles voitures. A Bordeaux, l’exemple de la rocade, voulu par Chaban-Delmas dès 1958, et mise en travaux de 1967 à 1997 (De l’inauguration du Pont d’Aquitaine à la DUGUET Nicolas - Master S7 Alter-Métropolisation - Xavier Guillot/Julie Ambal


mise en service du pont François Mitterrand). Au commencement, elle correspond à une autoroute en boucle reliée à d’autres autoroutes. Elle est l’élément fondateur d’un système autoroutier urbain et périurbain global qui devait initialement intégrer les quais transformés en autoroute, une autoroute Bordeaux-Arcachon à partir de la gare Saint-Jean et une autoroute urbaine intercommunale plus connue sous le nom de « voie des mairies ». La mise en place de ce système autoroutier a pour objectif de détourner au large les trafics de transit (régional, national et international) et une partie du trafic local pour laisser respirer un centre urbain, déjà jugé au bord de l’asphyxie. Il s’agit de réaliser la translation d’automobiles et de camions d’une chaussée à une autre, beaucoup plus grande, plus loin, à la campagne. La rocade va se construire par tronçon pendant 27 ans et s’élargit par tronçon durant 18 ans. Mais au final aucune des trois autoroutes urbaines imaginées précédemment citées n’est finalement réalisée. (Exposition Rocade, territoire de projet – A’URBA – Bordeaux – Septembre 2016 – Mars 2017).

Photographie du pont d’Aquitaine (inaugurée en 1967) durant sa construction

D’autres villes de France, ont opéré leur mue pour se rendre « autocompatible ». A Toulouse, par exemple, en 1963, on peut voir que la place du Capitole, était entièrement vouée à l’automobile, comme le montre la photo ci-dessous.

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Photographie de la place du Capitole en 1963 (colorisée).

Globalement, la société des années 1960, semble marquer l’aboutissement de la transformation de la « pedestrian city » en une « networked city ». En effet, l’avènement de cette société « motorisée » voit apparaître le caractère inédit d’une « banalisation » de l’accès aux réseaux. L’électricité, le gaz, l’automobile, le téléphone ont fait éclater les limites d’abord urbaines des réseaux techniques, accentuant encore l’impression de banalité et de généralité de la desserte. Socialement parlant, cela se traduit par la transformation des réseaux techniques urbains en « réseaux participant à de nouvelles implications sociales et de nouvelles territorialités » (L’Urbanisme des réseaux, théories et méthodes – page 42-43 – Gabriel Dupuy – 1991). Ce modèle va prospérer pendant une quarantaine d’années, et ce malgré l’apparition des premiers chocs pétroliers dans les années 1970. Il faut attendre le début des années 1990 pour voir apparaître les premières prises de conscience en matière de politiques urbaines, notamment à travers un retour d’une politique forte en matière de transports en commun.

Un changement de mentalité L’arrivée des nouveaux moyens de communications voit se développer un nouveau type de ville, la ville informationnelle, ou ville postfordiste, avec comme caractéristiques :

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Ø D’avoir la capacité de réagir très rapidement à la demande changeante et pouvant y répondre Ø Remettre en avant l’importance du territoire de proximité, ou les gens se connaissent bien, ou la présence d’un tissu d’entreprises permet une réaction rapide de l’ensemble du secteur local. Ø Redévelopper un faible niveau de différences entre les patrons et les employés, en permettant la collaboration d’un point de vue économique. Ø Permettre à l’environnement spatial de jouer un rôle, de donner une dimension spatiale pour ramener les gens vers des relatons sociales extrêmement fortes. De plus, le développement d’un monde globalisé a mis en lumière une concurrence entre les villes, qui doivent se démarquer pour que les villes puissent attirer et développer cette économie informationnelle. Un véritable « city-branding » se met en place. Les différentes politiques de décentralisation mise en place depuis 50 ans tendent à offrir aux villes et à leurs gouvernances les moyens de ces ambitions là.

Ex : OnlyLyon, le marketing territorial au service de la métropole du Grand Lyon

Outre cette explication économique, on voit également se développer dans les années 1990, l’apparition des premières conférences sur le climat et l’Etat de la planète. On commence à se soucier des impacts de l’homme sur son environnement, notamment de par sa production de GES (Gaz à effets de serre). D’abord avec le sommet pour la Terre qui à lieu à Rio de Janeiro en 1991 puis la conférence de Kyoto en 1997 (puis plus récemment la COP 21 de Paris). Il y a donc non seulement un enjeu économique, mais également écologique. Les principales villes françaises voient leurs hyper centres toujours plus congestionnés et saturés, et cela, malgré le développement et l’agrandissement de rocades périphériques à ces centres urbains. (À Bordeaux par exemple, on élargit les voies de la rocade la passant de 2x2 voies à 3x3), mais cela ne résout absolument pas le problème de congestionnement de l’agglomération bordelaise.

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Les villes commencent alors à faire des choix forts afin de se réapproprier leurs centres-urbains, à travers des choix forts, notamment par l’équipement de nouveaux modes de transports en communs en site propre, permettant tout d’abord de décongestionner les hyper-centres, puis de créer un maillage territoriale avec leurs agglomérations afin de développer des villes d’archipels fonctionnant par pôles. À Bordeaux, le développement du tramway, véritable projet urbanistique a totalement transformé la capitale girondine. En 1995, l’agence de l’A’URBA, mandaté par Alain Juppé, sous la direction de Francis Cuillier (grand prix de l’urbanisme en 2006) qui sort d’un succès avec la réalisation du tramway de Strasbourg, est mobilisée pour faire un travail d’inventaire des dysfonctionnements de la ville qui sont alors nombreux : le centre-ville est noirci par la pollution et laisse émerger de nombreux taudis. Bordeaux dans son ensemble se délite en une agglomération de plus en plus étendue tandis que la Garonne isole la rive droite de la rive gauche. Le travail mené par l’A’URBA permet de déterminer les axes prioritaires à desservir. La présence du tramway en surface entraîne mécaniquement un éloignement des axes de circulation (rappelons que dès 1958, le centre ville est considérée comme saturé, entraînant la création de la Rocade Bordelaise). Les façades des immeubles et des monuments sont ravalées tandis que les quais sont réaménagés en promenade. L’ensemble de ces travaux permet d’offrir à la ville une nouvelle attractivité à la ville, avec des impacts importants sur le plan du logement et du tourisme. Le tramway, par son réseau innovant et moderne a réussi à mailler le territoire de l’agglomération et stimuler la croissance urbaine le long des différentes lignes (d’après Les Tramways de Bordeaux, de Val TILLET et Jacques BAILLON, Editions Alan Sutton, 2013).

Photographie du Tramway le long de la ligne B au niveau de la Victoire à Bordeaux

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L’arrivée du tramway a permis de redévelopper d’autres transports doux dans la ville, notamment la marche à pied et le vélos, avec l’arrivée du V’CUB en complément. Cependant le tramway n’a pas supprimé totalement la voiture de Bordeaux, et de nombreux problèmes de congestion sont toujours présents, notamment au niveau des ponts entre les différentes rives. Si les réseaux de Tramways et de bus se sont étendus pour toujours plus structurer le réseau de desserte, il ne résous pas encore les problèmes liés aux habitants de l’aire urbaine de Bordeaux, qui ne peuvent pas encore se passer de l’automobile pour leurs pratiques quotidiennes. A Paris, le projet du Grand Paris Express, doit pouvoir repenser la desserte de l’aire urbaine, notamment en désaturant le RER et les lignes de transports existants, en réduisant la congestion et la pollution automobile, en luttant contre l’étalement urbain et le grignotage des terres agricoles, en favorisant le développement économique de la Région Île-de-France et en contribuant par effet d’entrainement à la compétitivité de la France dans son ensemble (Un nouveau métro pour le Grand Paris – 9 avril 2014 – Société du Grand Paris). Derrière ce beau discours enjôleur, il y a une forme d’hypocrisie, malgré le développement d’un maillage toujours plus fort de réseaux de transports en commun, certaines classes peuvent quand même se sentir lésé, notamment car l’automobile leur sert d’outil dans leur quotidien. C’est là qu’est mis en lumière la question du « droit à la mobilité ». Avec son apparition il y a maintenant une dizaine d’années, lors de la création de l’Institut pour la ville, il revendiquait le droit « de pouvoir se déplacer dans nos sociétés urbanisées (c’est devenu indispensable). Les droits au travail, au logement, à l’éducation, aux loisirs, à la santé…passent ainsi par une sorte de droit générique qui commande tous les autres, le droit à la mobilité ». Les acteurs publics ont été sensibilisés, notamment grâce au travail d’associations sur le terrain prenant en charge cette question. Cependant, on s’aperçoit bien lors d’enquêtes menées auprès des entreprises, qu’une part des difficultés de recrutement est liée aux difficultés pour les postulants à se rendre dans les entreprises. Mais aujourd’hui ces enjeux ne sont pas les seuls. La mobilité s’est transformée ces vingt dernières années, s’orientant vers un nouveau processus d’autonomie des utilisateurs. Cette autonomie passée d’aspiration à condition, entraîne une sorte de « burn-out » des maillons les moins bien reliés aux réseaux de mobilité. L’action publique à donc un rôle prépondérant à jouer dans cette mutation des mobilités. Elle est donc remise en question et se confronte à des problèmes de limites, telles que : -

Les limites écologiques, liées à la mobilité généralisée qui va se limiter d’elle-même par la raréfaction des ressources pétrolières.

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Les limites économiques liés à l’augmentation du prix des carburants et aux investissements dans les nouvelles infrastructures.

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Les limites physiques des villes dans l’accueil des flux, une réalité d’autant plus que le confort exigé par les résidents, les passants, les touristes tend à réduire les espaces du mouvement.

Le développement des systèmes de transports publics censés pallier ces inconvénients est handicapé par des besoins de financement public croissant beaucoup plus vite que la richesse nationale. En 2008, par exemple, 17 milliards d’euros ont été dépensés ou investis dans les transports collectifs urbains, départementaux et régionaux. Le problème posé par le droit à la mobilité n’est pas que les limites précédemment citées risqueraient d’être franchies si l’on aidait la population en difficulté à se déplacer elle aussi plus facilement. Ce n’est pas l’extension du droit qui est en question, mais la croissance indéfinie de la norme de mobilité comme l’explique Jean-Pierre Orfeuil (Dix ans de « droit à la mobilité », et maintenant ? – Métropolitiques – 16/09/2011) Faut il pouvoir mener une existence normale, être capable de parcourir des distances toujours plus élevées ? Non semble répondre le grand commerce qui multiplie désormais les implantations de superettes et de formats moyens. Oui pour ceux qui réduisent le maillage hospitalier et juridictionnel du territoire. Si la capacité de la mobilité a été indiscutablement un merveilleux outil de construction et d’extension des univers de choix personnels. Comment peutelle demeurer (ou redevenir) une capacité partagée si les inégalités se creusent ? Comment va évoluer la mobilité dans le futur, notamment avec le développement des véhicules électriques qui viennent de passer symboliquement le cap des 1% des parts de marché au niveau des ventes de véhicules. Le développement de ces véhicules personnels « propres » ne risque-t-elle pas de limiter le développement des systèmes de mobilité alternatif des villes, alors qu’ils représentent un enjeu toujours plus important pour notre société ? N’y a-t-il pas dans le champ de l’action publique et de la régulation des marchés urbains, des voies à explorer pour que les territoires soient plus accessibles à tous ? Comment l’avenir permettra de gérer la mobilité sans proscrire au développement personnel de chacun ?

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Bibliographie : Ouvrages : -

L’Urbanisme des réseaux, théories et méthodes – page 42-43 – Gabriel Dupuy – 1991 Le Grand Pari(s), consultation internationale sur l’avenir de la Métropole Parisienne – Partie sur l’AUC – Hors-série AMC (Le moniteur architecture) – Avril 2009 Grand Paris Stimulé – L’AUC Paris – 2009

Articles : -

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Les années Pompidou : une France à grande vitesse – Gerard Conreur – France Culture – 21/12/2010 o https://www.franceculture.fr/histoire/les-annees-pompidou-unefrance-grande-vitesse La « reconquête » des voies sur berges, ou l’ultime mort de la France de Pompidou – Olivier Faye – 22/03/2013 ; Slate.fr o http://www.slate.fr/story/68489/voies-sur-berges-francepompidou L’aménagement du territoire et l’urbanisme, au cœur de la lutte contre les GES – www.sagacité.org L’automobile et la ville : raisonner la cohabitation ? – Jean-Pierre Orfeuil – Economie & Humanisme – numéro 359 – décembre 2001/janvier 2002 De nouveaux équilibres : de 1945 à nos jours (article sur l’histoire de la ville de Bordeaux ; Bordeaux.fr - http://www.bordeaux.fr/p7100 La voiture individuelle en ville remise en question – Jean-Remy Macchia – Radio France – 24/09/2013 – http://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-auto/la-voitureindividuelle-en-ville-remise-en-question_1750817.html Carnets Roses : Toulouse, chronique d’une (re)naissance – o http://defigrandesecoles.lexpress.fr/ecs-toulouse/cat/actustoulouse/societe/page/10/ Dix ans de « droit à la mobilité », et maintenant ? – Jean-Pierre Orfeuil – Métropolitiques – 2010 - http://www.metropolitiques.eu/Dix-ans-dedroit-a-la-mobilite-et.html

Exposition : -

ROCADE : territoire de projet – A’URBA – Bordeaux – Septembre 2016 – Mars 2017

Cours (dans le cadre du Master IAT) - Grands enjeux urbains contemporains : - L’Avènement des villes-mondes – Gilles Pinson o Le retour des villes – Gilles Pinson DUGUET Nicolas - Master S7 Alter-Métropolisation - Xavier Guillot/Julie Ambal


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