Le tramway: nouveau moyen de transport ou nouvelle manière de l’appréhender? par Emonet Pauline, le 20/01/18 Mots-clés: mobilité, urbanisme, transports collectifs, requalification urbaine, tramway.
Les villes Européennes sont le moteur de notre économie. La grande majorité des citoyens européens vivent en zone urbaine et l’essentiel de nos richesses y sont réalisées. Bien que l’économie se soucie peu jusqu’alors de la durabilité, elle doit être aujourd’hui pensée en corrélation avec la mobilité urbaine durable en ayant comme visée la qualité de vie de chacun. Ce sont deux données intimement liées et essentielles dans notre quotidien. Cependant, les villes européennes font face à plusieurs difficultés. Les encombrements de circulation, les émissions de gaz à effet de serre, la pollution atmosphérique et sonore, et bien d’autres y sont décuplés. C’est pour cela qu’aujourd’hui la problématique de la mobilité urbaine est commune à toutes les villes. Elle apparait donc comme une caractéristique de nos sociétés, une caractéristique due à l’échange constant de biens et d’hommes. Cette société en développement implique des types de mobilités très diverses (géographiques, économiques, sociales…). De plus, nous faisons face à de profonds changements concernant les comportements des individus face aux transports. Les rythmes urbains se désynchronisent, les modes de vie et de travail évoluent. La mobilité se doit donc de refléter de plus en plus la diversité (Ruben C.Lois Gonzalez, 2013). Elle fut longtemps uniquement une question réduite aux transports et qui, peu à peu, s’est élargie au domaine scientifique, comme par exemple la sociologie. Elle entretient un rapport étroit avec la ville puisque si une ville est complexe sa mobilité le sera, par conséquent, aussi. On note une émergence de ce concept engendrant un renouvellement de la recherche sur le transport urbain (Banos, Thévenin, 2009). La question qui nous intéresse ici portera sur la mobilité urbaine, les différentes pratiques des transports urbains et ici, particulièrement, la question du tramway en Europe. Tant en France qu’en Espagne ou même en Suisse sa mise en place laisse apparaitre un impact notable sur la configuration urbaine. Les villes ayant investi dans l’amélioration de l’offre de transports publics sont nombreuses. En effet, elles souhaitent favoriser leur utilisation afin de faire diminuer l’usage de l’automobile pour augmenter la pratique des transports en commun. Bien que l’installation du tramway dans les villes s’accompagne généralement de mesures de limitation du stationnement, on note une stabilisation de la part de l’automobile dans la mobilité quotidienne. Ainsi, entre 2001 et 2010, il y a 87 000 déplacements quotidiens supplémentaires en voiture, soit une hausse modérée de 0,6 %.(Kaufmann, 2008). Pour autant, cela ne veut pas dire que la fréquentation des transports publics n’augmente pas.
Par contre, la part des transports publics dans la mobilité quotidienne varie assez fortement entre différentes villes de tailles comparables ayant effectué des investissements importants en faveur des transports publics. C’est en particulier le cas entre des agglomérations suisses et françaises. Des raisons « culturalistes » sont souvent évoquées pour expliquer ce constat. En effet, les Suisses seraient plus sensibles au respect de l’environnement et utiliseraient donc plus les transports publics que les Français. D’autre part, le rapport à la norme serait différent en Suisse et en France. Cependant, ne serait-ce pas une expression des stéréotypes nationaux ? Cet article se concentre donc sur les différences d’usages et conception des transports publics entre la France, la Suisse et l’Espagne, des pays géographiquement proches mais présentant des différences notables. L’objectif est donc, d’analyser les raisons en fonction desquelles la population fonde ses pratiques modales. Une mise en place uniforme du tramway en Europe ? En Europe le tramway est né comme le train de la Révolution Industrielle et a largement participé à favoriser les processus d’urbanisation dans de nombreuses villes. Avant la Seconde Guerre Mondiale, même s’il commençait à être concurrencé par de nouveaux modes de déplacement, comme le vélo, le métro ou encore le bus ; le tramway avait encore un rôle notable. Mais il eut un changement rapide avec la diffusion de la voiture à partir des années 1950 et c’est elle qui est devenue et de loin, la véritable concurrente du tramway. Cependant, ce propos doit être nuancé en fonction de contextes locaux différents en Europe. Nous pouvons évoquer deux figures distinctes. La première concerne les pays latins dans lesquels l’expansion de la voiture due à l’image de « liberté individuelle » qu’elle offre, vient s’opposer au développement du tramway. Les freins limitant la diffusion de la voiture disparurent très vite. La seconde figure porte sur les pays de la « Mitteleuropa ». Ces pays ont conservé dans leurs principales villes leurs réseaux de tramways. Même si certaines villes de ces pays ont abandonné leur réseau de tramways pour les mêmes raisons que dans les pays latins, ce processus de fermeture resta limité. À la fin de la décennie 1970, on assiste au retour du tramway dans les mobilités urbaines. Il revient en ville, grâce à une technique, une fonctionnalité et une esthétique renouvelées.
Cependant, la réhabilitation et l’adaptation du tramway traditionnel aux exigences du tramway moderne ne se concevront, ni ne se développeront de la même façon que dans les agglomérations des pays qui reconstruisaient leur tramway. L’introduction du tramway moderne ne se réalisa que très tardivement. L’Europe du Nord et centrale furent les premières en matière de redéfinition du rôle du tramway dans les politiques de transports collectifs urbains. En ce qui concerne les pays du sud de l’Europe (Espagne, Italie, Portugal), l’adaptation du tramway fut plus tardive puisqu’elle n’eut lieu qu’à partir de 1990 (Bierber, 1994). Tous la même politique des transports ? Malgré les difficultés financières auxquelles l’Europe fait face en ce moment, la politique de réintroduction du tramway dans les villes européennes qui avaient plus ou moins abandonné ce mode de transport revient en force. L’expansion du tramway auquel nous assistons actuellement dans les villes européennes n’est pas une mode passagère. Le tramway est de retour et accompagne l’ensemble des processus liés au développement durable. Grâce au renforcement de la conscience environnementale ainsi qu’à une demande de croissance soutenable des citadins, le tramway est aujourd’hui « à la mode » dans les villes (Guidez, 2011). L’augmentation des embouteillages dans les espaces urbains a mis en évidence la confrontation entre mobilité individuelle et qualité de vie. De nos jours, les habitants identifient de plus en plus, la voiture à la pollution, aux embouteillages et à un ensemble d’effets négatifs comme la perte de temps. Face à cela, l’Europe doit prendre en compte les effets négatifs liés à l’utilisation de l’automobile. Contrairement à la voiture, l’image du transport public est de plus en plus positive, associée à plusieurs causes comme le respect de l’environnement, l’amélioration de l’accessibilité, mais aussi à des avantages en terme d’efficacité et d’économie. Le tramway possède plusieurs caractéristiques. Tout d’abord, il apparaît comme un élément essentiel pour garantir la mobilité soutenable des citadins dans des espaces urbains de plus en plus contraints et saturés. Ensuite, il renforce la capacité d’interconnexion avec les autres moyens de transport. Enfin, le tramway s’inscrit dans une stratégie de régénération urbaine clairement affichée et planifiée (Wolff, 2013). Il apparaît comme un élément de modernisation des villes de nos jours, en garantissant l’accès aux centres urbains se dotant de nouveaux programmes. Mais en même temps, il met en valeur les quartiers périphériques en les rendant plus accessibles et en changeant complètement le rôle des différents secteurs urbains.
Le tramway apparait comme un moyen de transport à l’image « responsable » pouvant servir dans la compétition des grandes villes européennes. Les effets positifs du tramway sur la ville sont nombreux. Cependant, ne faut-il pas se méfier de sa transformation en objet esthétique et en une oeuvre d’art ambulante qui parcourt les quartiers en intégrant des espaces qui étaient délaissés?
La France: une politique pionnière des transports en commun ? En ce qui concerne le cas français, comme dans tous les pays latins, les transports collectifs ont été malmenés. Ce n’est qu’en 1985 que le tramway renait à Nantes. Même si la disparition du tramway s’est produite facilement, sa réapparition s’est effectuée lentement dans ses débuts et à la suite de multiples hésitations. A l’exception de quelques villes ayant décidé d’adopter à cette époque du matériel innovant comme le VAL à Lille, Rennes ou encore à Toulouse, toutes les autres ont recours au tramway pour répondre à une demande d’amélioration des transports collectifs, prisonniers du « tout voiture ». Par la suite, dans les année 1990 à 2010, il devient un outil de marketing urbain et de requalification urbaine pour les élus. Le retour du tramway se rapporte à une série de plusieurs interventions. C’est dans des contextes locaux politiquement marqués en faveur de son installation, qu’il réapparaît aussi bien à Nantes qu’à Grenoble. Mais ce qui va faire persister le tramway français proposé par ce qui deviendra en 1998 Alsthom, est le détournement et l’élargissement de sa fonction transport comme outil de requalification urbanistique. En quasiment 30 ans, les effets du tramway se sont considérablement renforcés, d’une ligne unique au début, à la constitution des premiers véritables réseaux comme à Grenoble, Montpellier ou encore Bordeaux où l’essor du tramway vient marquer profondément l’urbanisme des villes. Dans chaque projet le réaménagement des villes accompagne son élaboration. A Bordeaux par exemple, on voit se transformer les quais, les rues sont remodelées, les bâtiments historiques restaurés (Gonzalez, 2013). LA SUISSE : le modèle culturel par excellence des transports collectifs ? La Suisse n’a, elle non plus, pas échappé à la remise en cause du tramway face à l’apparition de l’automobile dans les années 1950 et 1960. Mais, même si les réseaux sont peu nombreux à avoir été maintenus, la culture des transports ferroviaires comme modèle joue un rôle majeur dans la conservation et le retour du tramway dans ce pays.
Pour preuve, à côté des systèmes de tramway et sans pouvoir utiliser le terme de tram-train ou de train-tram, des lignes ferroviaires à voie métrique, construites en accotement ou sur la chaussée de routes, brouillent la vision et la division classiques entre d’une part les transports ferroviaires et d’autre part les transports urbains de type tramway. Ces petites lignes locales desservant des zones périurbaines, jouent un rôle beaucoup plus proche du tramway que du RER ou du train régional (Lausanne-Echallens-Bercher). La division culturelle entre Suisse germanique et Suisse latine se fait aussi ressentir dans le domaine des transports urbains, reflétant la position charnière de ce pays en Europe. En effet, même si les réseaux de tramways ont connu un recul dans toute la Suisse, c’est essentiellement en Suisse romande et italienne que celui-ci a été le plus marqué. Dans cet espace, une seule ligne urbaine de tramway a survécu à Genève. Cette opposition entre les deux composantes culturelles helvétiques s’est légèrement atténuée avec le retour du tramway à Lausanne en 1992 et surtout avec la renaissance d’un véritable réseau dans la Cité de Calvin depuis presque une vingtaine d’années. Aujourd’hui, c’est au tour des villes alémaniques et romandes de développer leur réseaux de tramway. Il s’inscrit avant tout dans une politique globale des mobilités, en étant systématiquement complémentaire de l’offre ferroviaire et relayé par un réseau de bus efficace. Les réseaux des villes de Bâle, Berne et Zurich partagent des traits communs : permanence, évolution en fonction des besoins de déplacement et intégration à des systèmes globaux de transports collectifs. A Genève, la création d’un nouveau réseau s’insère dans une politique de densification le long de ses axes. La renaissance de ce réseau genevois échappe totalement au « modèle français » et se calque sur les réseaux alémaniques qui font peu de cas de la requalification urbanistique. Pour toutes les villes disposant d’une ou de plusieurs lignes de tramway, la préoccupation majeure s’inscrit dans le champ des mobilités et non de la réhabilitation urbanistique, même si le prolongement ou la réintroduction de lignes de tramway conduit à un traitement de l’espace public. Le retour du tramway répond à une préoccupation majeure de cohérence optimale entre transports et urbanisme (Winkin, 2011). L’ESPAGNE : en marge dans la mise en place des transports collectifs ? Contrairement à son voisin portugais, le tramway Espagnol a connu lui aussi, comme la France et la Suisse, une disparition pour ensuite réapparaitre depuis une vingtaine d’année environ dans plusieurs villes espagnoles. C’est Valence, la première ville à lancer la dynamique de renaissance en 1994 en réutilisant en parti d’anciennes lignes de chemin de fer abandonnées. L’Espagne, dans cette démarche, s’inspire fortement de l’exemple français alliant les besoins de transports collectifs aux impératifs de la
requalification urbanistique. Bien que Valence possède un tramway depuis les années 90, c’est réellement à partir des années 2000 que plusieurs villes se dotent de ce mode de transport. En effet, à cette époque les autorités de plusieurs agglomérations portées par un dynamisme économique, avant la crise économique actuelle, plaçaient le tramway sur le même plan que d’autres projets architecturaux et urbains symboliques. L’exemple le plus parlant concernant le cas espagnol est celui de Bilbao. En 2002, son tramway est inauguré et vient s’inscrire, au même titre que le musée Guggenheim comme un des outils de requalification urbaine de l’ancienne ville industrialo-portuaire. Pourtant dans cette ville, le tramway n’a qu’un rôle secondaire en matière de part de marché. Encore plus qu’en France, le tramway en Espagne a cette fonctionnalité de régénération urbaine mise en avant dans tous les projets réalisés, même si la fonction de déplacement n’est pas oubliée. Les villes espagnoles, dépassent alors l’idée d’un projet uniquement de transport et se lancent dans des opérations de traitements paysagers complémentaires afin d’améliorer le cadre urbain. C’est le cas à Bilbao avec les plantations de bandes paysagères ou encore l’aménagement de quais en bord de Ria (Masboungi, 2008). Malgré la référence au « modèle français » pour qualifier ce retour du tramway, nous notons par rapport à la France, une différence importante. Que ce soit à Valence, ou Bilbao, les projets de tramway dans ces villes viennent reprendre des tracés d’infrastructures ferroviaires abandonnées. De plus, dans plusieurs villes espagnoles, la gestion des réseaux de tramway se singularise par rapport aux trois autres pays étudiés. En effet, dans plusieurs agglomérations, il n’y a pas d’autorité locale gérant le tramway. Pour revenir à l’exemple de Bilbao Euskatren au Pays Basque gère seule ce nouveau mode de transport n’ayant aucun lien avec le réseau urbain existant. Bien qu’il y ait des similitudes la France et l’Espagne en terme de mise en place des réseaux de tramway, le modèle français n’est pas leur unique source d’inspiration. Cette renaissance du tramway en Espagne s’inspire aussi du pragmatisme des réseaux allemands. C’est ainsi que plusieurs lignes se développent en empruntant d’anciennes voies ferroviaires locales. Enfin, les réseaux de lignes de tramway obéissent à la hiérarchie des modes de transports collectifs en fonction, de la taille des agglomérations. Ces lignes de tramway qui visent une requalification de l’espace public sont situées du fait de l’urbanisme traditionnel espagnol dans des secteurs fortement densifiés comme on peut en trouver dans les villes allemandes ou néerlandaises. Cette situation en matière de densification et de morphologie urbaine tranche totalement par rapport à plusieurs villes françaises caractérisées par un étalement considérable et des densités plus faibles.
Nous l’avons vu, la mise en place du tramway en Europe répond constamment à une envie de cohérence entre les transports et l’urbanisme. Grâce à une méthode comparative des différentes approches de la mobilité au sein des territoires évoqués, à savoir la France, la Suisse et l’Espagne, l’idée serait de savoir si les pratiques culturelles ont une réelle influence sur la mise en place des transports au sein des villes et plus particulièrement celle du tramway. La notion de pratiques culturelles rassemble en général l’ensemble des activités de consommation ou de participation liées à la vie intellectuelle et artistique, qui engagent des disposition esthétiques et participent à la définition des styles de vie. C’est aussi des activités accomplies dans le temps libre, sans finalité productive et dans laquelle les individus rencontrent des possibilités d’expression. A partir de stéréotypes nationaux nous tenterons d’observer, par la suite, si une relation entre les pratiques propres à chaque pays impactent réellement sur les politiques menées. Assiste-t-on à une uniformisation dans l’élaboration des réseaux de transports urbains ? Il faudra toutefois définir plus finement la notion de pratique culturelle afin de mener à bien cette enquête.
BIAISER (Alain), ORFEUIL (Jean-Pierre), La mobilité urbaine et sa régulation: quelques comparaisons internationales, les Annales de Recherches urbaines, 1953, 140p. MASBOUNGI (Ariella), Bilbao, la culture comme projet de ville, Editions de La Villette, ouvrage bilingue Français-Espagnol, 2002. GART, Les pratiques d’intermodalité vélo – transports collectifs, Collection « Études », 2015, 47p. URL: https://www.gart.org/S-infor- mer/Nos-publications/Etude-les-pratiques-d-intermoda-litevelo-transports-collectifs Guidez (Jean-Louis), « La mobilité n’est pas un long fleuve tranquille », Transflash, CERTU, no 365, 2011, p. 1-2. L’HOST, TRECOLLE, VERGER, « Histoire du tramway, omnibus, trolleybus et autobus à Bordeaux », Édition du Cabri, Breil-sur-Roya, 2000. GWIAZDZINSKI Luc, « Des tramways nommés désirs. Les réseaux de transport collectif, nouveaux instruments de l’urbanisme fictionnel », Métropolitiques, 13 février 2015. URL : http://www.metropolitiques.eu/Des-tramways-nommes-desirs.html.
GAGNIERE Vincent, « Les effets du tramway sur la fréquentation du transport public. Un bilan des agglomérations françaises de province», Revue Géographique de l’Est, vol. 52, octobre 2012. URL: http://rge.revues.org/3508 KAUFMANN Vincent, « Les pratiques modales des déplacements de personnes en milieu urbain: des nationalités d’usage à la cohérence de l’action publique », Revue d’économie régionale et urbaine, février 2003, 184p. GONZALEZ, OTON, WOLFF, « Le tramway entre politique de transport t outil de réhabilitation urbanistique dans quelques pays européens: Allemagne,Espagne, France et Suisse », annales de Géographie, 2013, 128p. WINKIN, LAVADINHO, Villes qui marchent: Tendances durables en santé, mobilité et urbanisme. Les cas de Grenoble et Genève, Rapport technique Agence Nationale de la Recherche française, Université de Lyon ENS-LSH, 2001. REDONDO, « Tramway et territoire : quel urbain en perspective? », Revue Géographique de l’Est, vol. 2, no 1-2, 2012. URL : http://rge.revues.org/3572.