« L’urbanisme entrepreneurial : l’uniformisation d’un modèle urbain » - Emeric Ferchaud

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L’urbanisme entrepreneurial : l’uniformisation d’un modèle urbain Par Emeric Ferchaud, le 24/01/18 Mots clés : Urbanisme entrepreneurial / Marketing Territorial / Uniformisation L’impact de la mondialisation sur notre société sous entend des transformations territoriales, cet article s’interroge sur les modifications des pratiques de production de la ville régie par un urbanisme entrepreneurial. Au travers d’analyses, il est question d’identifier les outils qui vont intervenir dans ce processus ainsi que les éventuelles conséquences comme l’uniformisation d’un modèle urbain qui induirait une perte d’identité culturelle. Nous aurions tendance à penser que la métropole est le lieu physique de la mondialisation qui s’exprime par une intensification des échanges internationaux de biens matériels, immatériels et humains. Elle se caractérise par une organisation territoriale polarisée par les villes et la montée en puissance des grandes villes. Celles-ci, transformées en métropoles se sont vues émerger comme acteur mondial en raison d’un affaiblissement des états nations et de ce fait participent à l’intégration d’un modèle globalisé qui contribue à son développement. Par l’implantation de sièges sociaux d’entreprises multinationales dans les grands centres urbains, les métropoles regroupent la vie économique, c’est en quelques sortes une concentration du capitalisme (Frédéric Gilli, France culture), une accumulation d’activités, de fonctions stratégiques. Un vaste air fonctionnel où converge une multitude de flux sans cesse renouvelés (marchandises, personnes, capitaux, idées …) qui impliquent la présence d’une existence collective humaine et surtout de certains acteurs « la classe créative » (Richard Florida). Actrices de la mondialisation, les métropoles peuvent en subir les impacts : accroissement des inégalités urbaines, transformation des centres villes, surenchère foncière, uniformisation. Il s’agit de comprendre au travers d’un cas précis, comment les transformations initiées par le processus de métropolisation dictent une conduite commune qui modifie les pratiques de productions de la ville et jouent un rôle dans un phénomène à plus grande échelle, celui d’une éventuelle uniformisation de nos villes ainsi que de nos pratiques. Dans un premier temps, nous aborderons de manière générale l’impact de la mondialisation sur notre société qui sous entend des transformations territoriales par l’apparition du néolibéralisme ainsi que des nouvelles pratiques qui s’apparentent à la gestion d’un model entrepreneurial. Nous traiterons par la suite d’une des pratiques employées par les métropoles qui tentent par l’application du marketing territorial de se distinguer les unes des autres. En suivant, nous aborderons un des outils de ce marketing qui passe par la production architecturale et le recours à une certaine élite donnant ainsi naissance au phénomène « d’archi star », pour conclure sur le constat d’un mimétisme urbain, d’une perte de singularité et parfois d’identité culturelle des territoires. Mondialisation, transformation territoriale, l’élaboration d’une planification entrepreneuriale. Nous sommes face depuis une vingtaine d’années à une production de la ville Néolibérale, celle-ci tentant de rénover le libéralisme en rétablissant ou en maintenant le libre jeu des forces économiques et l'initiative des individus. Les transformations territoriales subites au cours du siècle dernier ont fait émerger des nouvelles manières de planifier l’urbanisme


notamment par l’apparition des villes globales qui développent des projets conséquents. Considéré comme point de convergence où différents types d’acteurs se rencontrent, les métropoles mettent en place certaines stratégies pour se distinguer. Il s’agit d’attirer les personnes qui vont permettent au développement de cette métropole, certains de ses acteurs sont essentiels (investisseurs, touristes, classe créative). Nous pourrions assimiler ce type de manipulation aux objectifs de croissance et de compétitivité d’une entreprise. Ces innovations en terme de développement métropolitain nous amènent à penser que des changements vont aboutir à une transformation de logique entrepreneuriale. Les villes considérées comme des acteurs sont à la recherche de biens distinctifs pour se rendre plus compétitives et attractives. Tout types de ressources sont mobilisables dans l’édification d’un capital symbolique, de recherche d’attractivité. Prenons par exemple le cas de Marseille qui en 2013 est promue capitale européenne de la culture, de nombreux projets vont voir le jour ce qui va lui permettent de se distinguer et d’affirmer une certaine position vis à vis de ses éventuelles concurrentes. Une concurrence interurbaine se fait ressentir. Pour muter et répondre aux attentes d’entreprise et de groupes sociaux stratégiques, une transformation de l’urbanisme s’opère, une logique guidée par le marketing territorial. Ce schéma peut être interprété comme la transposition spatiale de la transition postfordiste (hall et hubbard, 1996). Les villes tentent toutes de reproduire le modèle « entrepreneurial » en se donnant les mêmes objectifs et priorités. Une aire de compétions urbaine nationale, internationale est en train de faire son apparition. Les politiques s’efforcent de créer des conditions favorables pour attirer de nouveaux acteurs et usagers à fort capitaux (parc industriel scientifique, équipement culturel). La communication, le marketing sont un des médiums de cette transformation urbaine qui s’opère. Le Marketing territorial au cœur de la fabrique urbaine du 21eme siècle. Convaincre une certaine cible de choisir ce territoire suscite l’idée d’une transition entre espace subie et espace désiré, c’est en cela que le marketing territorial vise à améliorer l’attractivité. Il utilise une multitude d’outils qui vont agir sur différents plans pour atteindre les objectifs fixés. L’image tient une place forte dans la stratégie de développement de ses espacé désirés, elle ne cesse d’évoluer. Au commencement, des plaquettes de présentation, des brochures imprimées. Utilisé par la suite sous la forme digitale (réseaux sociaux, blogs, applications…), elle ont permis de fédérer, fidéliser une communauté de personnes. On voit réapparaître une autre forme de marketing territorial, il s’agit de l’élaboration d’icône reconnaissable et identifiable par un grand nombre. La production architecturale devient alors une ressource mobilisable pour bâtir du capital symbolique, et ainsi développer une attractivité et une identité distinctive. Ce phénomène n’est pas nouveau, nous avons pu déjà l’observer lors de la décentralisation, l’époque où l’architecture est mobilisée comme un instrument de communication et comme « emblème municipal ». Dans l’urbanisme du 21eme siècle ce projet architectural s’accompagne souvent d’un récit et d’une illustration du devenir. Celui-ci est produit en général par des professionnels de la ville et du marketing qui recherchent l’adhésion de ses habitant mais aussi la promotion d’une identité comme une marque ou un label comme l’illustre Saint-Étienne avec la Cité du design. Pour se démarquer les villes choisissent d’élever un repère urbain, dans de nombreux cas, il s’agit de lieux culturels, levier d’attractivité touristique et économique. Cette production


architecturale a pour but d’étoffer la stratégie de marketing territorial produit par nos villes. Des projets qui comme le cite péjorativement Christophe Mager et Laurent Matthey Dale font le « buzz ». En général, il s’agit d’édifices couteux et spectaculaire dont la griffe ne provient que de grands architectes. Au vu des propos du maire d’Anger recueilli dans une interview dans Telerama en 2007, il est certain que cette pratique est devenue répandue pour nos élites urbaines : « La recette d’une ville qui se veut croissante et attrayante est la présence d’une gare TGV, d’un musée des beaux arts dont la rénovation a fait parler d’elle (financièrement) et surtout comme la majorité des métropoles d’aujourd’hui la création d’un lieu culturel et qui plus est dessiné par un grand nom en architecture communément appeler les starsystems ». Les « Star-systems » ou comme le cite Benoit Meyronin les « starchitects » sont l’un des leviers les plus anciens du marketing urbain. Considérées comme un outil du marketing territorial, leurs productions variées se répètent dans bon nombre de métropole jouant ainsi le rôle d’icones. N’amorcent-elles pas néanmoins un schéma de production rébarbatif qui pourrait contraindre les métropoles à une forme de standardisation urbaine ? « Star-système », « Archi-star », « icones », outil d’un marketing territorial Au cours des 30 dernières années, nous avons pu voir apparaître des distinctions dans le domaine de l’architecture, des prix, des marques de prestige qui renforcent la notion « d’image » de l’architecte. Ces transformations ont induit une restructuration de l’architecture et de l’urbanisme. A l’opposé du modernisme où la série est pratiquée pour des raisons économiques, la singularité est l’originalité de « référence » en étant de plus en plus reconnue. Utiliser cette « image » pour redynamiser des villes, c’est en cela qu’un petit groupe d’architectes avec une certaine notoriété se sont vus endosser le rôle « d’archi-star », Leurs projets mettent en scène le capital symbolique des villes et servent parfois d’éléments de réconciliation entre tradition et modernité. Bilbao en est l’exemple même avec l’implantation du GuGGenheim signé par Franck Gerhy qui a permis le repositionnement d’image de cette ville portuaire du nord de l’Espagne qui souffrait auparavant d’une situation économique compliquée. La Ville de Montpellier, pionnière du marketing urbain à elle eu recours à l’architecte Ricardo Bofill. Ce sont ainsi des noms, des personnages qui deviennent des metteurs en scène de tendances au service du territoire : le Musée du quai Branly à Paris œuvre de Jean Nouvel, la Fondation Vuitton de F.Gerhy ou encore le Musée Tinguely de Mario botta a Bale. Ces édifices sont pensés par nos élites urbaines dans un but commun, revaloriser l’image de leurs cités pour la rendre concurrentielle d’un point de vue international. Ce type d’édifice est généralement confié a des architectes avec une stature internationale ce qui permet à la ville de s’identifier, de se distinguer vis à vis d’autres métropoles. L’archi « star » devient alors un model de référence et de reconnaissance publique pour l’attrait d’une ville. Nous ne sommes plus entrain de parler de bâtiment iconique de part leur stature formelle mais de personnage qui incarne un rôle d’icône. La courses aux vedettes d’architecture est lancée, c’est à la métropole qui signera le plus de grand noms : « Montpelier et sa dizaine de grands personnages ». Du fait que nos élites politiques s’arrachent ce type de figure pour développer l’attractivité de leurs villes, les projets s’exportent et se ressemblent : la fameuse gare ou aéroports de Santiago Calatrava où l’on


reconnaît sans nul doute sa griffe. Les éléments iconiques (Tours, équipements culturel, quartier durable) sont reproduits de ville en ville ce qui finit par créer une forme de concurrence entre elles. Vu sous cet angle, les « archistars » s’apparentent à de grandes marques qui non détenue nous excluent d’une « mouvance » culturelle idéologique. Ce schéma de reproduction fait que nos villes peuvent parfois manquer d’originalité. Que l’on se trouve à Bordeaux, Bilbao, Montpelier ou Lyon, un sentiment de déjà vue ce fait ressentir. Nous sommes face à une forme d’uniformisation de l’urbain et de la culture qui peut parfois entrainer un effet de déstructuration sociologique et de perte d’identité, celle-ci pouvant disparaître au profit d’une identité commune. À la recherche de croissance et de compétitivité entre les grandes villes où se concentrent culture, dynamisme et richesse, les politiques urbaines en oublient la redistribution et l’équilibre territorial ce qui a pour conséquence de laisser des territoires en désuétude. L’utilisation de sommes pharamineuse dans l’élaboration de projets iconiques génère des inégalités financières mais aussi de fonctionnement, il suffit de regarder à l’extérieur de nos métropoles et de comprendre que pour des raisons de coûts, les projets architecturaux peuvent parfois être délaissés. Utilisés par les villes entrepreneuriales et leurs élites dans le but de produire du sens, les « archistars » ont tendance à se rapprocher d’une architecture « image » résultante d’un marketing urbain et en oublie parfois certains fondements. L’Architecture ne serait elle pas alors en train de s’effacer au profit d’images qui font vendre ? Bibliographie : Amélie Nicolas, le 23/06/2014. Le projet urbain nantais : une mise à l’épreuve du modèle Bilbao Laurent Matthey, le 24/06/2016. Une discrète architecture ostentatoire. Faire la ville entre considération financières, urgence à produire du logeent et injonctions à la « qualité urbaine » Géraldine Molina, 2014/1 (n° 156-157). Mise en scène et coulisses du star-system architectural : la théâtralisation des vedettes et ses paradoxes Benoît Meyronin, Marketing territorial: Enjeux et pratiques Olivier chadoin, 2014/1 (n° 25). « Les formes informent » : le retour du symbolique dans la fabrique de la ville néolibérale Géraldine Molina, le 18/06/2014. Distinction et conformisme des architectes-urbanistes du « star system »



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